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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-02993814

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02993814

Submitted on 23 Dec 2020

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“ Notes pour un Carnet de voyage dans une Maison De

Retraite ”

Philippe Rousseau, Jean-Michel Devésa

To cite this version:

Philippe Rousseau, Jean-Michel Devésa. “ Notes pour un Carnet de voyage dans une Maison De Retraite ”. Eidôlon, 2015. �hal-02993814�

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Littérature du moi, autofiction

et hétérographie dans la littérature

française et en français du XX

e

et du XXI

e

 siècles

Sous la direction de Jean-Michel Devésa P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S D E B O R D E A U X

E

idôlon

N° 113

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Notes pour un Carnet de voyage dans une

Maison De Retraite

par Philippe Rousseau1

- Viens chez nous faire un carnet de voyage. Comme celui que tu as fait en Russie2.

Je suis un garçon poli, je réponds à l’invitation de l’Association du CLEM3.

Je vais donc vivre une résidence d’écriture en immersion durant un mois dans une Maison De Retraite. MDR.

Pas de dossier de candidature, pas de lettre de motivation, je suis l’invité sans autre formalité. De plus, l’analyse précise, argumentée, avec des exemples précis dans mon texte me convainc que je ne suis pas invité pour une autre raison que les qualités que les membres de l’association décrivent dans Passeport

pour une Russie.

Ce n’est pas aussi prestigieux que les résidences d’écriture répertoriées au catalogue du CNL4. Je ne vais pas écrire « ce que je veux » Mais écrit-on jamais

« ce que l’on veut ». La thématique est imposée par le lieu, mais je vais écrire. Avec un « mais » adversatif, non mais !

1 Philippe Rousseau, auteur, acteur, directeur de la Compagnie Taupes Secrètes Artistes

Associés, membre de l’EA  4593 CLARE, Université Bordeaux Montaigne (France).

Philippe Rousseau, Un carnet de voyage en Maison de Retraite, Bordeaux, Éditions du CLEM, 2014. Des extraits sont édités sur le site des éditions Raconter la Vie. Un spectacle, issu de ces textes, a été créé à l’été 2014 avec Philippe Rousseau, interprète, Pascal Laurent, marionnettiste. Prod. TSAA, Été Métropolitain (CUB de Bordeaux).

2 Philippe Rousseau, Passeport pour une Russie, Mes pas captent le vent, Bordeaux, Édition Élytis, 2010. Le spectacle a été créé sous le titre Mes pas captent le vent au TNT à Bordeaux le 6 décembre 2011 avec Philippe Rousseau, interprète, Manu Deligne, musicien (guitare électrique), Jean-Marie Broucarret, direction d’acteur, Marie Duret-Pujol, assistante à la mise en scène et dramaturge, Manu Bassibé, éclairagiste, Isabelle Gruand, costumière. Prod. TSAA, TNT, OARA, IDDAC.

3 CLEM  : Comité de Liaison des associations du patrimoine de l’Entre-deux-Mers (en Gironde). Pour en savoir plus : http://www.clempatrimoine.com/.

4 CNL : Centre National du Livre. Pour en savoir plus : http://www.centrenationaldulivre. fr/fr/auteur-traducteur/aides_aux_auteurs/credits_de_residence/.

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150 Philippe Rousseau

N’ai-je pas déjà écrit que le verbe d’action prévaut sur le complément d’objet5 ? Fût-il direct, le complément d’objet est futile à la bonne tenue

gram-maticale de la phrase. Non mais ! MDR.

J’écrirai un carnet de voyage dans un pays où je ne suis jamais allé. J’écrirai un carnet de voyage.

J’écrirai.

J’ai un premier rendez-vous avec Fabienne, animatrice de cette maison. En attente dans son bureau, l’économiseur d’écran de son ordinateur me fait sourire. J’y lis le sigle de Maison de Retraite : MDR. Je ne comprends pas tout de suite. Pour moi, MDR est un sigle résumant une formule de jeune : Mort De Rire. J’explique à Fabienne. Nous rions ensemble. Nous rirons souvent ensemble.

Elle me renseigne. Ici est un EHPAD. EHPAD est un acronyme. Il signifie Établissement Hébergeant des Personnes Âgées et Dépendantes. J’entendrai cet acronyme comme un mot dans l’usage des usagés comme du personnel. Je l’entends tantôt utilisé au masculin, tantôt au féminin. J’aime autant Maison De Retraite. MDR. La Maison est aussi appelée Belle-croix, du nom du château qui a longtemps abrité l’institution. Belle-Croix, EHPAD, MDR.

Fabienne me précède dans la première visite. Elle est mon guide dans ce voyage. Elle nomme :

- Bonjour Mme Pou, Bonjour Mme Bo6.

Je ne connais personne, je suis le guide : - Bonjour Mme Pou, Bonjour Mme Bo.

De temps en temps, elle prénomme. Je suis : - Bonjour Paulette.

- Oh, ça me fait plaisir que vous m’appeliez Paulette.

Nous aurons souvent le même dialogue avec Paulette. Elle me demandera si elle est mignonne et la couleur de ses yeux. J’y répondrai toujours dans le sens qu’elle désire. Paulette a les yeux bleus comme le ciel. Ils sont vivants. J’y lirai tout ce qu’elle ne peut plus dire. Notre histoire durera jusqu’au jour où elle demandera si j’ai des belles couilles. Ne lui donnant pas la réponse qu’elle souhaitait, elle m’enverra paître :

- Et merde.

Après réflexion, nous avons décidé que je vivrais ici deux jours par semaine pendant deux  mois. Plus souple qu’une résidence CNL, aussi bien payée, à deux pas de chez moi, que demande le peuple ?

5 Philippe Rousseau, «  Ils veulent apprendre le Français en deux  minutes, c’est pas possible ou Une attention à la langue Française », Dans Nouveaux plaisirs du texte, coll. « Revista Centrului Inetrdisciplinar de Studiu al Formelor Discursive Contemporane », Bacau, Alma Mater, 2013, p. 201-208.

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Notes pour un Carnet de voyage dans une Maison De Retraite

Et, en plus, y a Paulette, ce sera chouette. Même si j’ai eu du mal à renouer notre relation après l’épisode des « belles couilles ».

Un jour, j’entends dans un couloir :

- On ne retrouvera pas Mme Pou comme avant.

Je note les figures de style utilisées ici. En premier, l’euphémisme. Il adoucit la présence de la maladie et de la mort dans ce pays. La mort est, au final, plus discrète que la maladie :

- Souvent, ils partent à l’hôpital et soit, ils reviennent dans un état pire qu’en partant, soit, ils reviennent pas.

J’ai aussi entendu la délocution. - Faudra me huiler ça.

C’était en parlant des jambes de Mme Ca.

Fabienne apprend le nom de cette figure de style qu’elle connaît cepen-dant. Elle me dit qu’elle est proscrite mais qu’elle s’entend elle-même l’utiliser. Elle culpabilise.

Un autre jour, dans le même couloir, j’entends encore : - Odette a retrouvé son Pierrot.

En plus d’être euphémisée, Mme Pou, passant de vie à trépas, est prénommée.

J’avais rencontré Mme  Pou le premier jour de présence ici. J’angoissais.

Je venais expliquer le projet  : vivre ici à mi-temps pendant deux  mois afin d’écrire un livre, un carnet de voyage sur la vie dans une maison de retraite. L’association Le CLEM a jusqu’à maintenant interroger les personnes âgées sur leur passé. Le désir est d’aller aussi voir leur présent. L’intuition est d’y aller d’une manière poétique, sans jugement, tel mon précédent carnet de voyage. Je suis donc venu me présenter et présenter le projet avec la peur que l’un et l’autre nous ne soyons pas compris, pas acceptés.

- Qu’est-ce que ce gars vient faire ici, à observer comment l’on vit ?

Cette pensée était avant de voir Mme  Pou et les autres. J’avais choisi de

chercher le chemin des points communs. Je me présentais, mes enfants, mes parents qui sont un peu plus jeunes que le public d’ici – penser à les appeler : tant de fauteuils, de maladie m’incite à prendre de leurs nouvelles, dès ce soir. J’omettais les mamans. Pas sûr que leur nombre soit un point commun. Je lisais des précédents textes et en particulier des extraits du carnet de voyage sur la Russie. J’avais osé aussi la lecture d’un poème sur le désir ultime7 : ce poème

exprime le désir de dire « je t’aime » à ceux que l’on aime avant de mourir. Les regards me semblent encourageants quant à ma demande de visa.

- Qu’avez-vous mangé en Russie ?

7 Texte présenté dans le spectacle Vos désirs sont des ordres. Écrit suite à un atelier d’écriture dans un EHPAD à Cestas (33) en 2006.

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152 Philippe Rousseau

Je réponds avec l’anecdote de la meringue qui porte le nom français de Baiser. Cela leur plaît. Mme  Pou ouvre grand la bouche. Avale-t-elle une

meringue ou fait-elle un baiser ? Me fait-elle un baiser ? Mon visa longue durée et multiple entrée est accepté. Ne cachons pas non plus que le fait d’être un homme ne gâche rien à l’affaire. Dans l’assistance, il n’y en a qu’un. C’est lui qui a posé la question. Sinon, je ne l’aurais pas vu.

Je suis accepté des résidents. Il me reste à me faire accepter du personnel ? Ne va-t-il pas penser que je l’observe, que j’épie ses faits et gestes, que je l’espionne, que je vais rapporter ces faits et gestes ? Chacun ici fait du mieux qu’il peut mais chacun est bien conscient de faire des erreurs, comme la délocution, alors, il serait légitime qu’ils aient peur. J’irais, avec la même peur que je leur imagine avoir, présenter le projet en trans, les réunions de transmission d’informations que le quotidien du personnel a tronquées en trans. La figure de l’apocope est en usage aussi ici. L’information passe, Fabienne m’y aide, même si une personne du personnel relève que des questionnaires de satisfaction remplissent déjà cette fonction que cette personne a compris que j’allais occuper.

Je commence ma résidence. Très vite, je culpabilise d’être ici à ne rien faire, en tout cas ne rien faire de visible. Tout le monde ici s’agite et moi, je prends le temps. J’y prends des habitudes, des rituels.

- Qu’est-ce que vous faites là ?

Une dame en fauteuil m’interroge sur un ton que je prends pour agressif. Elle a raison. Qu’est-ce que je fais là  ?  Vous n’êtes pas toute seule à vous le demander. Moi aussi des fois, je me le demande. Au début, ça m’a paru clair. Ça paraît clair aux autres. Une évidence qui m’échappe maintenant. Alors je doute. Aujourd’hui est un jour de doute. Mon guide est parti à l’enterrement de Mme  Pou avec Jean-Claude, son cavalier devenu esseulé depuis qu’elle a

rejoint son Pierrot. Je suis seul.

- Qu’est-ce que vous faites là ? Rien, vous ne faites rien… Le ton est agressif, je ne m’étais pas trompé.

- Et au fait, ça vous regarde ?

Elle n’a pas entendu ma pensée. Elle continue. Bien sûr que cela la regarde. Elle est chez elle. C’est moi qui n’y suis pas. Je suis payé pour être ici et je ne suis pas chez moi. Elle, elle paye et elle est chez elle. Je suis ici et je suis gêné. Que pensent-ils de moi ? Tous, les résidents permanents, comme le personnel qui, lui, ne fait que transiter.

- Ha, moi si je pouvais encore travailler. […] J’ai travaillé et là je ne peux plus. […]

Mme  Cha part dans un monologue dont je ne comprends que certaines

phrases8.

8 Les monologues de Mme  Cha, comme d’autres, sont intégralement retranscrits dans

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Notes pour un Carnet de voyage dans une Maison De Retraite

Je ne fais rien ici. Je me balade. Je salue Mmes Fa, Ga, HXYZ le matin, toujours

à la même place. Je monte déposer mes affaires dans le bureau de Fabienne. Je prends sa clef pour le café moins cher. Je suis nourri, logé (j’y passerai plusieurs nuits), pas blanchi. Et le café reste à 30 centimes. Je salue tout le monde et tout le monde me salue. Je me cache pour écrire. J’observe et je note le résultat de mes observations. Elles vont de ce que mes cinq  sens reçoivent jusqu’à mes perceptions intimes. La colique néphrétique que mon corps a déclenchée la nuit qui a suivi le premier jour fait-elle partie de ces perceptions intimes ? Je l’inclus dans un texte. J’écris des textes courts, proches de l’instantané photo-graphique. En prose, le plus souvent, quelquefois en vers. Je ne sais pas vers quoi ça va. On verra. Cette comptine arrive sans prévenir :

Elle est vieille, il est vieux, Lui pareil, elle pas mieux, À leur âge, à leur âge, Je serai aussi vieux qu’eux. Je la chante toute la journée. - On s’embête pas ?

Si je m’embête. La directrice me taquine. Elle est passée en courant devant moi, assis à une table à ne rien faire. Je suis sûr que c’est de l’humour mais sa phrase m’embête. Un autre jour, j’avais répondu tentant moi-même de l’humour :

- Je travaille, je prends mon café.

Je me donne quelques fonctions, quelques occupations. Je lis Sud-Ouest seule-ment après que M. Bi l’a lu. Je rends des services. Je vais chercher un sonotone. C’est bizarre de rentrer chez quelqu’un que l’on ne connaît pas, d’observer – le pli est pris – de prendre un objet et de s’enfuir avec un rythme cardiaque proche de celui d’un voleur. Je pousse un fauteuil. Je sers un verre d’eau. Je change de place, de salle. J’emmène au soleil. Je fais se rencontrer Mmes Le et La. J’interroge

M. Bi sur sa sortie matinale où il va chercher le Sud-Ouest. Je visite. Je triche au loto pour offrir les boucles d’oreille que j’aurais gagnées à Christiane qui pleure d’avoir perdu les siennes. J’épluche des pommes de terre et des carottes le jour d’épluchage des pommes de terre et des carottes.

Fabienne :

- Aujourd’hui, patate et oignons. Les cuisines savaient que Philippe venait alors ils ont ajouté des oignons.

J’épluche alors les oignons. Je ne pleure même pas. MDR.

J’attends midi et demi que l’on mange. Tout à l’heure, il me tardera que mon guide rentre de l’enterrement de Mme Pou pour que l’on mange ensemble.

Qu’est-ce que je fais là ? Ah oui, il m’arrive de blaguer. Inutile ici de trouver de nouvelles blagues tous les jours. On peut faire la même blague, la même conversation tous les jours, tout le jour. Y’en a qui cherche toujours le change-ment, le progrès, le nouveau, être moderne, post-moderne. Ici, pas nécessaire de se renouveler. Et ça n’empêche pas de rire. MDR.

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154 Philippe Rousseau

Avec M. Ploy les blagues sont de cul. Sa copine s’appelle Monique. - Vous la connaissez ?

- Monique, non, la blague, oui. Mais Maurice, il n’y a pas que le cul dans la vie. - Non, il y a aussi les seins.

Je n’avais qu’à pas lui tendre la perche. J’écoute, j’écoute, j’écoute.

Je regarde, je regarde, je regarde. Je sens, je sens, je sens.

Je ressens, je ressens, je ressens. Et j’écris.

Ici comme en Russie, la figure de style de la répétition n’est pas un problème. Et moi, je l’aime cette figure.

On m’attend le matin et j’attends les matins de la semaine où je vais les revoir, les réécouter les sentir et les ressentir. Je culpabilise moins.

- Je vous ai vu l’autre jour dans un coin de la bibliothèque.

Je m’y étais caché pour écrire. La phrase est dite sur un ton enjoué par la gouvernante. Chacun fait son boulot ici. Les cuisiniers cuisinent, les anima-teurs animent, le médecin et les infirmières soignent, les aides-soignantes les aident à soigner. La directrice dirige et moi, il n’y a aucune raison que je ne fasse pas le mien. Qu’est-ce qui caractérise un travail ? Un résultat, un proces-sus, du temps, des savoir-faire, des compétences ? Une fonction ? Le fait que ce travail apporte quelque chose à ceux qui le reçoivent, à celui qui le donne ?

- J’ai peur de mourir. Je ne veux pas. Je vais mourir, je ne veux pas.

Depuis les phrases que je prenais pour des reproches, j’avais cessé de comprendre les paroles de Mme Cha. Le volume de la voix est faible, le sens

incohérent. La précision soudaine de cette phrase tait mes pensées. Je suis bien là où je suis et où je suis est un endroit où la moyenne d’âge est de 92 ans avec quatre centenaires. Les figures de style et, nous l’avons vu, en particulier l’eu-phémisme, tentent d’adoucir la vie ici. Mais il y a des réalités. Et moi, je pense :

- Oui, tu vas mourir.

Ma pensée ne fait ni dans l’euphémisme, ni dans la dentelle. Mon corps lui s’y prend autrement. Je prends la main, l’avant-bras. Je serre un peu fort. Je fais attention aux os et à la peau. De chair, il n’y en plus. C’est une exagération bien sûr. Je n’aime pas les exagérations. J’aurais dû dire « presque plus », mais au vu de mes propres doigts, je confirme qu’il n’y a plus de chair aux doigts de Mme Cha. Je caresse ses cheveux. Tourne la pulpe de mes pouces sur ses tempes.

- J’ai peur de mourir. Je ne veux pas. Je vais mourir, je ne veux pas. Mme Cha pleure. Elle sanglote. Elle répète. Je comprends les mots

mainte-nant. D’autres parenthèses s’ouvrent plus difficiles à comprendre. Ses ellipses éllipsent le temps. Sa poitrine se soulève. Et s’affaisse.

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Notes pour un Carnet de voyage dans une Maison De Retraite

C’est décidé. J’ai d’ores et déjà écrit une quantité suffisante de textes pour les partager. J’en discute avec Fabienne. Elle a déjà lu sur mon épaule quelques extraits :

- On le fait un jour au café, on prévient quelques jours avant et ceux qui sont là sont là.

J’aime la tautologie, tu savais ça aussi, Fabienne, mon guide ? Merci mon guide dans ce pays.

Sitôt dit, sitôt fait. C’est facile, l’auteur va lire et les auditeurs seront là. José est le premier assis pour écouter mes premières notes. S’il aime qu’on apprécie sa cuisine, il aime apprécier le travail des autres. De la même manière que José n’attend pas qu’on le brosse dans le sens du poil vis-à-vis de sa cuisine, il sera aussi honnête envers mon travail. La gouvernante sera plus discrète. Une infir-mière attendra le lendemain pour me parler. Si souvent, la reconnaissance de l’écrivain passe par une édition, ici, je fus écrivain bien avant d’être édité. Dans ce pays, il est aussi normal d’avoir un écrivain que d’avoir un cuisinier.

J’ai aussi partagé les textes avec Mme Pi. Elle, elle lit seule, un peu à haute

voix. Je m’aperçois qu’il faut que je clarifie certains détails. Elle pose des ques-tions puis elle me dit :

- Vous faites une bonne, une bonne… comment vous dire ?

Elle cherche ses mots. Je ne sais pas quelle vie elle a eue, mais je vois bien qu’elle sait utiliser sa langue même si sa mémoire fait défaut. Elle change de verbe :

- Vous êtes un bon interprète.

Je prends pour un compliment. Alors, je suis un écrivain ou un interprète ? - J’ai peur de mourir. Je ne veux pas. Je vais mourir, je ne veux pas.

Mme Cha ne m’a pas quitté. Elle a continué son monologue. Elle me regarde.

Je la regarde. Si je tente de l’écouter et mets mon oreille près de sa bouche, je ne la vois plus. Si je la regarde, je n’entends plus. Je la regarde. Elle continue de plus en plus faible de parler. Elle continue de plus en plus fort de pleurer. Elle s’affaisse dans son fauteuil. Je n’ose la relever. Si je lui faisais mal. Son buste s’avance, se décolle du dossier. Son corsage s’efface. Son visage pointe vers l’avant. La pointe part des oreilles, va au nez. Il est fait afin de fendre l’air. Il tend vers la mort. Ses mains se crispent sur les bras du fauteuil. Je tiens toujours d’une main son avant-bras. J’en profite pour lui caresser le dos. Le dos retombe sur le dossier, le corps un peu plus affaissé qu’avant. Je regarde autour de moi. On vient m’aider. Nous serons trois pour la remettre bien dans son fauteuil. Deux lui prennent les épaules et une les jambes. Merci mesdames. Merci.

Mme Cha me regarde. Nos yeux sont forts. Les siens me disent :

- J’ai peur de mourir. Je ne veux pas. Je vais mourir, je ne veux pas. Les miens cherchent quoi dire et ils se taisent. Ma tête pense : - Tu vas mourir.

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156 Philippe Rousseau

Qu’est-ce que je fais là ? Mes yeux, mes mains, ma pulpe de doigt cherchent une autre réponse que ma pensée. Je cherche. Elle s’apaise. Elle s’endort. Elle a un visage de mort. Elle respire. Je respire. Je pleure.

Pas de colique ce soir. J’espère. Mon écriture ne changera pas la destinée de Mme Cha. Je m’étais perdu toute une nuit sur le lac Baïkal. Je me suis perdu

ici auprès de ceux qui ont perdu la tête, la boule, la carte, le Nord, l’Orient. Comment reviendrai-je de ce voyage vers ce futur  ? Vers leur présent et mon futur.

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