Tissage et specialisation du t r a v a il
en
Mésopotam
du
VIF
m illénaire
au
Catherine Breniquet (Université de Bordeaux 3 et ArScAn - Du village à l’État)
S'il est com m uném ent admis que le tissage est l'une des rares activités artisanales à avoir été pensée sur un m o d e industriel dans l'A n tiquité, et particulièrem ent en Mésopotamie, les modalités de l'organisation de la production sont loin d 'ê tre claires.
Exception faite du tissage cordé que nous n'aborderons pas ici, le tissage sur m étier ap paraît au cours du Néolithique. Il sem ble faire partie des inventions ou des perfectionnem ents induits par une vie villageoise de plus en plus exigeante en biens d 'é q u ip e m e n t. La d o cu m e n ta tio n directe en est toutefois très rare c a r productions et outillage sont en m atériaux périssables, ne laissant d o n c que des traces e xce p tio n n e lle m e n t mises en lumière par l'arch éologie : rares installations com m e celle d'EI Kowm, empreintes d e tissus à armure toile sur ce m êm e site ou à Jarmo, dès le PPNB, L'activité semble strictem ent dom estique to u t au long du Néolithique co m m e en tém oignent les vestiges toujours associés aux habitats. La seule p a rt extérieure du travail c o n ce rn e la préparation des fibres (végétales ou animales) d o n t au moins une partie se déroulait in é v ita b le m e n t dehors. Bien q u 'a u c u n e preuve form elle n 'e n ait été apportée, on suppose l'activité essentiellement féminine. Les difficultés auxquelles l'arch éologue est confronté pour rendre co m p te de c e tte a c tiv ité sont multiples mais co u vre n t trois dom aines qui interfèrent, techniques et sociaux :
- la localisation des installations de tissage (dans l'h a b ita t stricto sensu c'est-à-dire dans la maison ? dans toutes les maisons ? à l'extérieur (cour, d e v a n t des habitats) ? ailleurs ?
- la nature des installations (quel type de m étier à tisser ?) e t leur p e rm a n e n c e (elles n 'a p p a ra isse n t pas dans toutes les réfections
successives des maisons, c e qui suggère un activité saisonnière),
- la nature des fibres travaillées (végétales en majorité c a r le lin est une des premières plantes domestiquées, mais sans d o u te aussi ponctuellem ent la laine, à partir du PPNB).
À l'au tre b o u t d e la chronologie, dans la deuxièm e m oitié du IIIe millénaire av. J.-C. (Ur III, 2100), on constate par le biais des textes, l'existence en basse M é so p o ta m ie d e grandes m anufacture s é m a n a n t des grands organismes, temples ou palais, spécialisées dans le tissage e t em ployant une main d 'œ u v re fém inine servile (fem m es à gages, corvéables, captives de guerre, etc.) e n ca d ré e par des contrem aîtres, maîtres tisserands ou artisans spécialisés dans les finitions, représentant en to u t plusieurs milliers d e personnes. Ces manufactures, d o n t on ne sait trop s'il s'ag it d e gigantesques ateliers ou plus vra ise m b la b le m e n t d 'u n c o m p le x e d'a ctivités dispersées dans l'espace, sont à la tê te d 'u n e production industrielle, standardisée d e qualité variable utilisant b e a u co u p la laine e t utilisée ta n t pour des besoins internes que pour l'exportation. C e tte p ro d u c tio n fa it l'o b je t d 'u n co n trô le adm inistratif strict (com ptabilité, gestion) a ya n t laissé des traces écrites. Les ateliers sont permanents. C om pte tenu d e l'imprécision des textes e t d e la discrétion d e l'archéologie, il est d 'u sage d e penser qu'ils n'utilisent q u 'u n seul type d'outillage, le m étier à tisser horizontal, le seul clairem ent attesté dans l'ico n o g ra p h ie (Fig. 1), e t que leur production est certes variée mais un peu m onotone. Les principaux com m entateurs ont insisté sur le fait que la chaîne de p ro d u c tio n p e u t être d é c o u p é e en un c e rta in nom bre d e séquences qui s'enchaînent : filage,
Fig. 1. Suse, m étier à tisser horizontal, fin IV mil. (= GMA 275)
ourdissage, tissage, finitions, pour les principales. Celles-ci p euven t être exécutées par des artisans au degré de c o m p é te n c e variable, travaillant seuls ou sous la férule d 'u n contrem aître. C ette situation, propre à la période d'Ur III, a largem ent popularisé l'im a g e d 'u n e M ésopotam ie figée dans les lourdeurs bureaucratiques, L'absence d e renouvellem ent de la docum enta tion a en outre gom m é to u te perspective dynam ique : le tissage aurait toujours fonctionné ainsi, sans grande im agination technique. On pourrait penser que le processus de form ation d e ces grandes m anufactures a é té progressif e t rechercher leur origine. On pourrait d o n c ainsi exploiter les moindres bribes d 'in fo rm a tio n pour en reconstituer le processus. À l'a p p u i d e c e tte hypothèse, le fait que la région évolue, se structure e t voit apparaître à la fin du IVe millénaire, à l'é p o q u e dite d'Uruk, un m ode de vie urbain, a ve c les transformations que cela suppose
L'évolutionnism e ordinaire, s'il est certes confortable, n'est guère satisfaisant pour l'esprit. On conviendra qu'il n'y a rien d e naturel ou d 'o b lig é dans c e processus, que la techniqu e fait partie d e la culture, qu'il existe d'autres voies pour docum ente r c e tte activité parm i lesquelles l'eth noarchéologie mais aussi l'ic o n o g ra p h ie . D'un p o in t d e vue historiographique, il n'est pas très difficile de voir que c'est le c o n c e p t d e cité-tem ple, forgé au d é b u t du XXe siècle, qui est responsable d e c e tte situation. Dès lors q u 'o n le réfute, peut-on s'autoriser à penser l'organisation du tissage sur des bases différentes ?
Entre les époques d'Uruk e t Ur III, les deux limites que nous retiendrons ici, il fa u t bien avouer que la docum enta tion n'est pas des plus abondantes, Les données a rch é o lo g iq u e s sont très rares, particulièrem ent rebelles à l'analyse. Toutefois, il nous a semblé possible d'explorer deux grands axes :
- l'ap parition des premiers ateliers, sans d o u te dès la fin du IVe millénaire, en voyant les questions techniques et d'organisation du travail,
- la mise en p la c e d 'é c o n o m ie s com plém entaires, en traitant de l'ém e rg ence de la laine c o m m e m atériau d o m in a n t e t du dévelo p p e m e n t des marges désertiques d e la Mésopotamie.
I. L’apparition des premiers ateliers
En basse Mésopotamie, la fin du IVe millénaire a va n t J.-C. voit l'apparition d e c e qu'il est convenu d 'a p p e le r à la suite de G ordon Childe la « révolution urbaine », issue d 'u n e structuration forte des villages préexistants. Ce p h é n o m è n e a ffe c te plusieurs m étropoles, Uruk é ta n t la p rin cip a le (ou plus e xa cte m e n t la mieux connue), sans que le pays ne semble unifié sur le plan politique. C ette situation dure jusqu'au milieu du IIIe millénaire. Le m ode de vie urbain qui a p paraît alors dem eure tributaire d'un arrière-pays agricole, e n co re mal connu, mais largem ent dévolu aux cultures céréalières irriguées, Néanmoins, ta n t l'im portation d e matières premières q u e l'exp ortation d e produits m anufacturés sont attestées e t m êm e monopolisées par le pouvoir. Des mouvements d e biens en quantité considérable sont e ffe ctive m e n t enregistrés, consignés par écrit, parmi lesquels (bien que la lecture d e ces premiers textes soit difficile) des tissus. On ne saurait trop se leurrer, l'é co n o m ie dem eure sans d o u te encore largem ent redistributive e t les besoins les plus importants sont sans d o u te internes.
À notre sens, il c o n vie n t d 'é ta b lir ici une distinction entre deux phénom ènes distincts, l'existence d 'u n e production de luxe destinée à un p e tit nom bre d'individus, e t la p ro d u ctio n standardisée destinées aux besoins internes à la société en biens d e consom m ation (sacs, ballots, vêtem ents) e t en moyens d e rétribution des travailleurs (à cô té des rations d 'o rg e e t d e laine brute), e t d o n t une petite partie éta it sans do u te aussi destinée aux échanges. Dans les deux cas, l'impulsion est donnée par l'élite d e la société qui, d 'u n e m anière ou d 'u n e autre, organise la p ro d u c tio n à son profit exclusif, mais seule, la s e co n d e c a té g o rie suppose le d é v e lo p p e m e n t d 'u n e production d e masse, d e série, standardisée d o n c, c o m m e c e la est a tte sté dans d'a utres dom aines à la m êm e période.
L'archéologie se trouve dans l'in c a p a c ité de d o c u m e n te r le p h é n o m è n e ta n t en raison de l'a n c ie n n e té des fouilles qu e des conditions de conservation des produits organiques dans le sol m ésopotam ien. Il co n vie n t d o n c d e d é ve lo p p e r d 'a u tre s a p p ro ch e s susceptibles d 'a p p o rte r les informations m anquantes parmi lesquelles l'analyse de l'icon ographie figurative des sceaux-cylindres. Il serait trop long de dévelop per c e tte a p proche en détail ici (et nous renvoyons le lecteur à des travaux antérieurs), mais disons q u 'e lle repose la reconnaissance des gestes techniqu es e t des outillages spécifiques associés, p a r le biais de
Fig. 2a. D jem det Nasr, femmes filant (= GMA 306) comparaisons a v e c d'autres images antiques e t par l'ethnoarchéologie. La presque totalité de la chaîne o p é ra to ire du travail du fil (à l'e x c e p tio n des opérations d e teinture et de finitions) pe u t ainsi être docum entée, e t de manière suffisamment cohérente pour qu'il n 'y ait pas d'am biguïté, À d é fa u t d 'u n e d o c u m e n ta tio n directe, la m é th o d e p e rm e t de docu m e n te r un artisanat plutôt mal connu.
Deux points nous paraissent saillants pour notre propos : c e qui a trait à l'organisation du travail e t aux techniques utilisées.
Telle qu'e lle apparaît, la chaîne de production est sans d oute dispersée dans l'esp ace e t segm entée dans le temps. Dans une société fondam en talem ent agricole, rien n'autorise à affirmer que le tissage a lieu to u te l'a n n é e : les fibres utilisées, qu'elles soient végétales ou animales, ne sont pas disponibles en p e rm a n e n ce , mais p e u v e n t n a turellem e nt être stockées. L 'ico n o g ra p h ie m ontre q u 'à la fin d e l'é p o q u e d'Uruk, c e sont des femmes qui assurent la première partie d e la chaîne opératoire (c'est-à-dire la préparation du fil : Fig. 2a). Ces femmes sont reconnaissables à leur vêtem ent qui descend sous les genoux, mais aussi à leurs longs cheveux portés « en queue-de-cheval ». Ils sont en fa it vraisem blablem ent défaits sur leurs épaules. Ce détail, attesté dans de nombreuses cultures, correspond à une a ttitu d e traditionnelle liée au c a ra c tè re « m agique » de l'a c tiv ité , visant à ne pas entraver son bon déroulem ent par d'autres « noeuds ». Un tel détail pourrait sembler anodin, il peut aussi suggérer dans c e co ntexte précis que l'a ctivité n'est pas encore traitée co m m e une activité professionnelle. Certaines activités artisanales sont entourées d'interdits, mais un artisan professionnel ne s'embarrasserait peut-être pas d e ces détails. Ces femmes opèrent a ve c un fuseau à fusaïole, e t a v e c une quenouille. C ette dernière courte e t tenue à la main, est d 'u n m odèle bien attesté dans l'A ntiquité classique. Cela suggère que la fileuse d o it se concentrer sur son travail et d o n c ne pas pratiquer une autre activité. En cela, elle s'oppose au m odèle m édiéval qui nous est familier où
Fig. 2b. C h o g a Mish, fem m e assise filant (à droite) (= GMA 1671)
la fileuse est souvent aux cham ps à g arder les troupeaux. L'iconographie m ontre q u e la fileuse est soit d e b o u t sans qu 'u n q u e lco n q u e paysage soit évoqué, c e qui n'autorise pas à conclure, soit assise sur un siège, c e qui en revanche suggère une activité d'intérieur (Fig. 2b).
Les scènes d e tissage à proprem ent parler m ontrent souvent des femmes au travail, mais au cours de la première m oitié du IIIe millénaire, un c h a n g e m e n t est perceptible dans l'iconographie. Ce sont des hommes qui tissent (Fig. 3), signe assez évident d 'u n e première spécialisation du travail et sans d oute d 'u n ch a n g e m e n t économ iqu e profond. Nous serions te n té e d 'y lire le passage d 'u n e é conom ie strictem ent redistributive fo n d é e sur la c o lle cte et la redistribution d e « tributs » domestiques, à une économ ie organisée sur une autre base. Il ne s'ag it peut-être pas d 'u n « m arché » au sens où les économ istes l'e n te n d e n t, mais p lu tô t d 'a teliers contrôlés par le pouvoir, produisant pour lui et sans d o u te a ve c des standards d e fabrication stricts. En d'autres termes, d e telles scènes pourraient montrer clairem ent que la production est sortie du strict cadre domestique, entre l'Uruk e t le Protodynastique III, mais il ne s'agit sans d o u te pas d'initiatives individuelles.
Rien, dans la d o c u m e n ta tio n d o n t nous disposons, n 'in vite à reconstituer l'existe nce de grandes m anufactures. Nous sommes dans l'ign orance to ta le de la configuration d e dits ateliers, m êm e pour la prem ière m oitié du IIIe millénaire. C o m p te tenu d e l'existence d e pièces annexes dans l'h a b ita t à l'é p o q u e d'Uruk, à Flabuba Kabira ou Djebel Aruda, pièces qui pourraient être dévolues à des activités artisanales si l'on en juge par les traces d'a ctivités qu'elles présentent (foyers, cendres, sans être pour a u ta n t liées au tissage), on pe u t penser que nous avons affaire à des activités dispersées dans l'espace. On ne saurait affirm er en revanche que ch a q u e unité dom estique est im pliquée dans ces activités.
Fig. 3. Tell Asmar, m étier vertical à pesons, ED III
(= GMA 1452)
En m atière d e techniques, là e n c o re ni l'archéologie, ni l'ép igraphie ne sont très loquaces. Sur la foi d e la seule em preinte d e cylindre claire (figurative e t réaliste), celle de Suse (Fig. 1), il est com m uném ent admis que les Mésopotamiens ne connaissaient que le m étier à tisser horizontal. Avons- nous vra im e n t là le signe d 'u n e p ré fé re n ce culturelle ? On pe u t égalem ent en douter.
Les productions tissées sont variées ta n t dans leur destination (habillement, am eublem ent, usage utilitaire) que dans leur degré de finition, c e qui suppose des techniques d e fabrication elles mêmes variées (ne serait-ce que dans la largeur des pièces réalisées). De plus, les rares empreintes de tissus de c e tte période suggèrent la possible attestation de l'arm ure sergé dès la fin du IVe millénaire (à Alishar). Sauf à im aginer des manipulations d e fils à la main (toujours possibles), sa réalisation suppose la maîtrise du m étier à 4 barres de lisses d o n t le m aniem ent com plexe d o it être parfaitem en t coordonné. Les historiens du textile ont toujours réfuté c e tte possibilité en raison d e l'ab sence d e sources p a rfaitem en t claires (c e qui est rarem ent le cas en archéologie) et d 'u n pré ju g é d é fa v o ra b le sur la M ésopotam ie, nettem ent dans l'om bre d e l'Egypte. À observer la fa ço n d o n t l'élite de la société m ésopotam ienne s'affiche en c e tte fin du IVe millénaire, a v e c des vêtem ents hachurés qu'elle seule porte (roi-prêtre et ses acolytes), on est en droit de se d e m a n d e r si ce n'est pas c e tte m êm e armure sergé qui est ainsi désignée, à la fois technique d e pointe e t marqueur social, com m e en Europe tem pérée à l'â g e du Fer. On serait m êm e assez prom pte à penser qu e le m onopole techniqu e porte sur ces réalisations, dans les premiers ateliers. Il en va sans d oute de m êm e un peu plus tard a v e c les kaunakès, réalisés toutefois différem m ent.
L'iconographie des sceaux-cylindres m ontre e ffe c tiv e m e n t des instruments, mais leur dessin toujours stylisé pe u t être source d e confusions ; Il fa u t se tourner vers le geste techniqu e associé qui est
Fig. 4. Mari, m étier vertical à deux ensouples, ED III
révélateur : artisans d e b o u t le bras levé pour un m étier vertical à pesons (Fig. 3), artisans assis pour un m étier vertical à deux ensouples (Fig. 4), auxquels s'ajoute le m étier horizontal où l'on travaille accroupi (Fig. 1). Si c e dernier est relativem ent banal, il n'en va pas d e m êm e pour les précédents qui ne sont pas des instruments de tous les jours e t qui sont plutôt destinés à un usage spécialisé en atelier.
il. Le d é ve lo p p e m en t des économ ies complémentaires
L'organisation d e la production suppose celle du travail e t le d é v e lo p p e m e n t d e m atériaux spécifiques, disponibles en grandes quantités. Pour la M ésopotam ie aux époques historiques, le d oute n'est pas permis, le m atériau en question est la laine des moutons domestiques.
La dom estication de l'anim al est acquise au cours du Néolithique. Le phénom ène se traduit par l'acquisition progressive d 'u n e toison laineuse. Le matériau semble exploité à des fins domestiques dès le PPNB, puis devient progressivement le m atériau du tissage par excellence. Dès le IVe millénaire, plusieurs races d e moutons sem blent attestées en basse Mésopotamie, e t destinées à des usages variés ; de même, dans le courant du IIIe millénaire, plusieurs qualités de laine sont répertoriées dans les textes. C ontrairem ent à c e qui a été a v a n c é récem m ent, le phénom ène ne c a c h e sans d o u te ni une « révolution des fibres », ni une aliénation des producteurs (les fem m es en l'o c c u rre n c e ). La laine n 'a jam ais supplanté le lin en Mésopotamie, mais on assiste à un ajustem ent d e la p ro d u c tio n entre les deux matériaux. Le lin devient progressivement réservé aux tissus d e luxe (vêtem ents royaux, sacerdotaux, rideaux d e sanctuaires) dès lors que la laine est disponible en plus grandes quantités.
On p e u t se d e m a n d e r d 'o ù vient un tel e n g o u e m e n t pour c e m atériau ? Ses propriétés
naturelles en fo n t une fibre facile à travailler e t à stocker, facile à teindre, aux qualités isolantes, et surtout facile à obtenir en grandes quantités pour peu que l'on déve lo p p e le che p te l ovin, com m e cela se passe dès la fin d e l'é p o q u e d'Uruk. De telles possibilités ne sont pas offertes par le lin qui, dans un m o n d e la rg e m e n t dévolu aux cultures vivrières, d e m e u re cu ltivé sur d e petites parcelles nécessairement irriguées ou arrosées (sans d oute les levées de terre des canaux) puisque le lin a besoin d 'e a u , mais sans grand espoir que le rendem ent de la fibre en soit décuplé, On ne saurait affirmer que l'on a poussé l'é le va g e du m outon à la seule fin d 'o b te n ir des fibres textiles. La laine est a va n t tout une richesse que l'on a ccu m u le (e t d o n t le pouvoir g o n fla n t est à lui seul l'expression m êm e d e l'a b o n d a n ce ), qui est sans d o u te monopolisée et redistribuée par « l'autorité » à l'échelon du village, puis d e la cité, co m m e l'atteste le versement de rations d e laine ju sq u 'à une d a te a v a n c é e de l'historie m é sopotam ie nne. L'organisation d e la p ro d u c tio n textile n'e st sans d o u te q u e le d é v e lo p p e m e n t extrêm e du processus dans un c a d re redistributif, et évoque par bien des aspects d'autres exemples mieux documentés. Elle s'opère sans d oute à la fois dans un c a d re domestique et dans des ateliers, dans les deux cas au travers de standards d e fabrication imposés par l'élite de la société aux IVe et IIIe millénaires. Seule, la situation d'Ur III pourrait être liée à des besoins d'o rdre militaire accrus.
Partout, la laine a quelque chose à avoir avec l'é co n o m ie palatiale, la seule contrainte est le besoin d'e sp a ce . Dans le sud d e la M ésopotamie, les terres dem eurent en majorité occupées par les cultures céréalières irriguées, sans possibilité d'extension du territoire puisque le pays est m orcelé en cités-états. Les tro u p e a u x d'o vin s présents en basse M ésopotam ie o n t sans d o u te é té un fa c te u r déterm inant dans la com pétition entre cités dans la première moitié du lllème millénaire et peut-être une des raisons d e l'expansion du territoire d e certaines cités au d é trim e n t des autres. Néanmoins, le phénom ène a ses limites.
Dans c e p a ysage m orcelé, si l'o n v e u t d é v e lo p p e r le c h e p te l ovin, il fa u t trouver des solutions alternatives, parmi lesquelles l'intégration des marges steppiques de la M ésopotam ie au réseau d 'é c h a n g e s . Le p h é n o m è n e est sans d o u te com plexe. On assiste en e ffe t à une réorganisation du réseau d 'é c h a n g e s dans le c o u ra n t d e la prem ière m oitié du IIIe m illénaire, a v e c le d é ve lo p p e m e n t d e cités-états secondaires dans le nord de la Syrie. La plus connue d e ces cités est Ebla qui précisém ent tire sa richesse des troupeaux de moutons qui paissent dans la steppe. Ces villes, toutes d 'u n p la n particulier (les Kranzhüget), sont des créations nouvelles e t ne sont pas issues du d é v e lo p p e m e n t d 'u n e grosse b o u rg a d e lo c a le préexistante. Toutes sem blent liées au pastoralisme m outonnier, a d a p té aux contraintes clim atiques locales, sans être pour au ta n t des villes d e nom ades e t toutes entretiennent des relations com m erciales étroites a v e c les cités du Sud.
On v o it d o n c q u e les param ètres sont nom breux à prendre en considération pour qui opère sur le tissage e t sur la spécialisation du travail, e t qu'il est illusoire d e rechercher encore une fois dans le p o n cif é culé d e l'O rient millénaire e t im m obile les éléments qui fo n t d é fa u t à notre réflexion.
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