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Le droit du bien-être animal dans le monde : évolution et universalisation

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Academic year: 2021

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© Sabine Brels, 2016

Le droit du bien-être animal dans le monde : évolution

et universalisation

Thèse

Sabine Brels

Doctorat en droit

Docteure en droit (LL. D.)

Québec, Canada

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Le droit du bien-être animal dans le monde :

Évolution et universalisation

Thèse

Sabine Brels

Sous la direction de :

Lyne Létourneau, directrice de recherche Richard Ouellet, codirecteur de recherche

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iii

Résumé : Le droit du bien-être animal dans le monde : évolution et universalisation

Le droit du bien-être animal s'universalise.

En plus de présenter son évolution mondiale, cette thèse démontre l'existence de solides fondements au soutien d'une protection universelle du bien-être animal en droit international. Qu'est-ce que le droit du bien-être animal ? Domaine peu connu de la science juridique francophone, le droit du bien-être animal (de l'anglais "animal welfare law") concerne l'ensemble des prescriptions qui règlementent le traitement des animaux utilisés à diverses fins (production alimentaire et vestimentaire, expérimentation, divertissements, captivité, compagnie etc.). Au-delà des prescriptions visant à interdire certains actes de cruauté, elles

visent généralement à promouvoir de meilleurs traitements envers les animaux. Mais les intérêts humains, d'ordre économique, scientifique, culturel ou traditionnel,

constituent autant de limitations et d'exceptions à ces dispositions protectrices. En plus de présenter une vue d'ensemble du droit du bien-être animal dans le monde, cette étude permet d'en dégager les principales forces et faiblesses du point de vue de la protection des animaux. Dans une première partie, cette thèse met en lumière la progression croissante du droit du bien-être animal. Les premières lois interdisant la cruauté envers les animaux sont nées dans les pays anglo-saxons et européens au XIXe siècle, avant de s'étendre aux autres pays du

monde au XXe siècle. À partir des années 1960 est apparu un nouveau modèle législatif visant

explicitement le bien-être animal. Peu après sont nés les instruments européens à ce sujet. Ceux-ci visent désormais à réglementer l’élevage, le transport, l’abattage et l'expérimentation animale, afin de réduire les souffrances des animaux, désormais reconnus par l’Union européenne comme des "êtres sensibles" dont le bien-être doit être protégé.

Dans une seconde partie, cette thèse permet d'établir que le bien-être animal est en train

d'émerger comme un nouvel objectif international, voire universel, sur la scène mondiale. En ce sens, l'objectif de protéger le bien-être des animaux a été récemment intégré au sein des

instruments internationaux, notamment dans les normes de l'Organisation mondiale de la santé animale au début des années 2000. Aujourd'hui, la protection du bien-être animal attire l'attention des plus importantes organisations mondiales, comme l'Organisation mondiale du commerce et même l'Organisation des Nations Unies.

La protection du bien-être animal peut-elle être formellement reconnue par la Communauté

des États et consacrée comme un nouvel impératif universel en droit international ? L'utilisation du cadre théorique des sources formelles du droit international conduit aux

résultats suivants : il existe un fond commun du droit du bien-être animal, dont peuvent être dégagés des principes généraux, qui représentent des fondements solides vers la consécration du bien-être animal comme impératif universel, notamment au sein d’une convention globale. Enfin, la conclusion principale souligne que le droit du bien-être animal demeure un droit faible quant à l’objectif protecteur visé. Actuellement, il permet moins le bien-être réel des animaux que l’atténuation de leurs souffrances. Mais en progressant vers une plus grande considération de leurs intérêts, le droit pourrait un jour véritablement protéger leur bien-être.

Mots-clefs : bien-être animal ; droit animal; droit comparé; droit européen;

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iv

Abstract: Animal Welfare Law in The World: Evolution and Globalization

Animal welfare law is globalizing.

Beyond presenting its world-wide evolution, this thesis demonstrates the existence of legally strong foundations toward a universal protection of animal welfare in international law.

What is animal welfare law? Mostly unknown in the legal science of French-speaking countries, animal welfare law concerns all the prescriptions which aim at reducing the poor welfare of the animals used for various ends (such as food and clothes production, experiments, entertainments, captivity, company etc.). Those prescriptions generally aim at condemning some acts of cruelty and promoting the good treatment of these animals. However, economic, scientific, cultural or traditional purposes pose often severe limitations or exceptions. This study presents the general content and outlines the main strengths and weaknesses of animal welfare law in the world.

In a first part, this thesis brings to light the increasing progression of animal welfare law. First

adopted by Anglo-Saxon and European countries in the XIXth century, anti-cruelty laws then

spread to other countries in the XIXth century. From the 1960s onwards, a new model of

legislation was born, explicitly concerning animal welfare. Right after appeared the European instruments on this subject, now regulating activities such as farming, transports, slaughter and experiments. They are aimed to reduce the suffering of the animals, recognized by the European Union as "sentient beings" deserving protection.

In a second part, this thesis states that animal welfare is emerging as a new objective internationally, even universally, since the beginning of this XXIth century. In this sense, the

objective of animal welfare protection has been integrated recently in international instruments, most notably in the standards of the World Organisation for Animal Health from early 2000'. Today, animal welfare is beginning to be addressed by the largest global organizations, such as the World Trade Organization and even the United Nations.

Can the protection of animal welfare be formally recognized by the Community of States and enshrined in international law as a new universal imperative?

Using the theoretical framework of the formal sources of international law lead to the following results: there is a common ground on animal welfare law, from which general

principles can be identified, in order to allow the establishment of solid foundations towards

the recognition of animal welfare protection as a new universal imperative for the Community of States, particularly in a global convention.

Finally, the main conclusion underlines that animal welfare law is currently weak regarding its protective goal. Indeed, it aims less to truly protect the welfare of the animals, than to merely reduce their suffering. However, in progressing towards a better consideration of animals' interests, a real protection of animal welfare can become a future reality in the law.

Key words: animal welfare; animal law; comparative law; European law; international law;

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v

TABLE DES MATIÈRES

RESUMÉ ... III ABSTRACT ... IV TABLE DES MATIÈRES ... V - LISTE DES TABLEAUX ... VI - LISTE DES FIGURES ...VII - LISTE DES ANNEXES ... VIII - LISTE DES ABREVIATIONS ... IX REMERCIEMENTS ... XI

INTRODUCTION ... 1

PARTIE I- LA PROGRESSION NATIONALE ET EUROPÉENNE DU DROIT DU BIEN-ÊTRE ANIMAL ...49

TITRE 1- L’ÉVOLUTION CONSTANTE DES DROITS NATIONAUX SUR LE BIEN-ÊTRE ANIMAL ...50

Chap. 1- LES LOIS ANTI-CRUAUTÉ COMME MODÈLE INITIAL DE PROTECTION ...51

S.1- Les lois anti-cruauté issues des pays anglo-saxons et européens au XIXe siècle ...51

S. 2- L'expansion des lois anti-cruauté dans de nombreux pays du monde au XXe siècle ...66

Chap. 2- LES LOIS PRO-BIEN-ÊTRE COMME NOUVEAU MODÈLE DE PROTECTION ...80

S.1- Les lois pro-bien-être toujours issues des pays anglo-saxons et européens ...80

S.2- L'expansion du modèle pro-bien-être dans le monde au début du XXIe siècle ...101

TITRE 2- LA CONSOLIDATION CROISSANTE DU DROIT EUROPÉEN SUR LE BIEN-ÊTRE ANIMAL ...114

Chap. 1- LA DOUBLE PROTECTION EUROPÉENNE ET COMMUNAUTAIRE DU BIEN-ÊTRE ANIMAL ...115

S.1- La protection européenne et communautaire des animaux de production ...115

S.2- La protection européenne et communautaire des animaux de laboratoire et de compagnie 138 Chap. 2- LA PROTECTION RENFORCÉE DU BIEN-ÊTRE ANIMAL EN DROIT COMMUNAUTAIRE ...150

S.1- De la valeur secondaire à la valeur prioritaire de l'objectif communautaire de bien-être animal ...151

S.2- De la promotion à l'imposition de l'objectif communautaire de bien-être animal sur la scène internationale ...162

PARTIE II- L'ÉMERGENCE INTERNATIONALE ET UNIVERSELLE DU DROIT DU BIEN-ÊTRE ANIMAL ...183

TITRE 1- L'APPARITION RÉCENTE DU BIEN-ÊTRE ANIMAL EN DROIT INTERNATIONAL ....184

Chap. 1- LA NORMALISATION INTERNATIONALE DE L'OIE ...185

SUR LE BIEN-ÊTRE ANIMAL ...185

S.1- Les caractéristiques et fondements des normes de l'OIE sur le bien-être animal ...185

S.2- Le contenu des normes de l'OIE sur le bien-être animal ...192

Chap. 2- LES MANIFESTATIONS ÉLARGIES DU BIEN-ÊTRE ANIMAL ...216

EN DROIT INTERNATIONAL DE L'ENVIRONNEMENT ET DE L'OMC ...216

S.1- Une protection incidente en droit international de l'environnement ...216

S.2- Une protection inédite dans le droit de l'OMC ...224

TITRE 2- LA CONSÉCRATION LATENTE DU BIEN-ÊTRE ANIMAL EN DROIT UNIVERSEL ...245

Chap. 1- L'UNIVERSALITÉ DES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT DU BIEN-ÊTRE ANIMAL .247 S.1- L'identification des principes généraux du droit du bien-être animal...248

S.2- La valeur juridique universelle des principes généraux du droit du bien-être animal ...264

Chap.2- L'ADOPTION D'UNE CONVENTION GLOBALE SUR LE BIEN-ÊTRE ANIMAL ...287

S.1- Justification d'une convention globale sur le bien-être animal ...288

S.2- Proposition de convention globale sur le bien-être animal ...303

CONCLUSION ...326

BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE ...365

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vi -

Liste des tableaux

Tableau 1 : Lois protectrices des animaux en Afrique ... 424

Tableau 2 : Lois protectrices des animaux aux Amériques ... 425

Tableau 3 : Lois protectrices des animaux en Asie ... 427

Tableau 4 : Lois protectrices des animaux en Europe ... 429

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vii

- Liste des figures

Figure 1 : Pays de l’UE producteurs de foie gras et interdisant le gavage ... 126 Figure 2 : Carte du monde représentant les pays disposant de lois de protection des animaux (anti-cruauté et pro-bien-être) ... 423

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viii

- Liste des annexes

Annexe 1 : Lois nationales anti-cruauté et pro-bien-être animal ... 423

Annexe 2 : Instruments européens et communautaires sur le bien-être animal ... 434

Annexe 3 : Normes internationales sur le bien-être animal... 439

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- Liste des abréviations

CBI : Commission baleinière internationale CDB : Convention sur la diversité biologique CEE : Communauté économique européenne CIJ : Cour internationale de Justice

CITES : Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages

menacées d’extinction

CJCE : Cour de justice des Communautés européennes CJUE : Cour de justice de l'Union européenne

CMS : Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage CCNUCC : Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques

DUBEA : Déclaration universelle sur le bien-être animal

FAO : Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (de l'anglais : Food and Agriculture Organization of the United Nations)

GIEC : Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat

OIE : Organisation mondiale de la santé animale (acronyme officiel issu du nom originel :

Organisation internationale des Epizooties)

OMC : Organisation mondiale du commerce OMS : Organisation mondiale de la Santé ONU : Organisation des Nations Unies PGD : Principe général de droit

PGDI : Principe général du droit international UE : Union européenne

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« Une société n'est vraiment juste, sociale, civilisée, que si elle respecte et protège l'animal »

Professeur Alfred Kessler

La Faculté n'entend donner aucune approbation aux opinions émises dans les thèses : celles-ci sont propres à leurs auteurs.

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xi

Remerciements

Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement mes directeurs : Lyne Létourneau et Richard Ouellet. Je leur suis infiniment reconnaissante pour leurs conseils judicieux et la grande liberté qu'ils m'ont laissé dans mes recherches. Je tiens aussi à remercier très sincèrement les organismes subventionnaires qui m'ont permis de réaliser ce travail : le CRSH à travers l'attribution de la bourse Vanier, le CRDP, la Chaire de droit de l'environnement dirigée par la Professeure Paule Halley et l'Université Laval pour les bourses et aides octroyées par la Faculté de droit. J'aimerais aussi remercier la professeure Véronique Guèvremont.et les évaluateurs de ce travail. Enfin les vices-doyens Pierre Rainville et Georges Azzaria, avec leurs assistantes indispensables : Marjolaine Caron et Martine Duquet. J’adresse aussi un profond remerciement à mes proches humains (famille et amis) et non-humains (animaux de tous poils), de m’avoir épaulé par leur soutien et toute leur affection. Parmi mes collègues qui œuvrent pour le(s) droit(s) des animaux, je remercie tous ceux que j’ai eu la chance de rencontrer, qui m’ont encouragé et inspiré. En particulier, Merci à : Antoine Goetschel, Jean-Marc Neumann, Bryan Pease, Peter Fitzgerald, David Coates, Dirk Verdonk, Marita Candela, Olivier Le Bot, Jean-Pierre Marguénaud, Muriel Falaise, Rebeka Breder, Bettina Cagnat, Clémentine Griveaud, Helène Thouy, Oriol Caudevilla, Christian Razeau, Gieri Bolliger, Pamela Frash, Kathy Hessler, Saskia Stuki, Livia Boscardin, Alex Bruce, Birgitta Wahlberg, Tom Kelch, Randall Abate, Steven Wise, Danielle Duffield et Marcelo Rodriguez. Aux spécialistes en éthique animale : Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, Thomas Lepeltier, Florence Burgat, Valéry Giroux, Élise Desaulniers, Frédéric Côté-Boudreau, Christiane Bailey, Renan Larue, Martin Gibert, Patrick Llored, Matthieu Ricard, David Olivier, Estiva Reus, Georges Chapouthier, Jean-Claude Nouët, Thierry Auffret Van Der Kemp, Peter Singer et Gary Francione. Aux journalistes et auteurs Aymeric Caron et Karine-Lou Matignon. Et aux indispensables, parmi lesquels : Joëlle Verdier, Dominique Siccardi, Jérôme Dumarty, Dominique Droz, Maxime Ginolin et Brigitte Gothière. Merci aussi à toutes les organisations de protection des animaux pour leur travail extraordinaire. Parmi mes proches et amis qui m’ont aidé et soutenu, Merci à : Evelyne Faure, Pauline Faure, Janine Faure, Philippe Gouy, Manon Couderc, Max Couderc, Clothilde Capus, Jade Pollack, Molly Mednikow, Sabine Minsky, Dominique Morin et sa famille, la famille Legoy, la famille Roy (Jean-Philippe, Emmanuel et leurs parents), la famille Faure (Marie, Nicolas, Danielle et Pierre), les Marcos (Aline, Daniel et Axel), la famille Diebler, Geneviève et Rémy Villata, Alain Bonal, Allan Conter, Evans Fouché, Alexie Etilé, Mohsen Kayal, Nora Linsenmaier, Thibaud Delaunois, Christian Biltgen, Marie Chetcuti, Philippe Magri, Marie Coelf, Pauline Foubert, Valentine Tasset, Corinne Vigier, Michel Marty, Nicolas Pitavy, Warren MacDonald, Robert Cowell, Laurent Chaloupe, Audrey Gratadour, Marc Desalliers, Jacques et Amira.

Merci à mes proches animaux qui m’ont toujours confortée dans la voie que j’ai choisie : Counie, Radja, Téa, Hermine, Quinoa, Sueño, Eclipse, Maya, Tiken, Youki, Vicky et Oriane.

Enfin un grand Merci à tous ceux qui œuvrent pour un monde meilleur. Un monde plus moral et plus juste ; vers moins de souffrances et plus d'égalité entre les êtres, pour tous les êtres.

(12)

1

INTRODUCTION

« Alors, est-ce qu'on ne pourrait pas, de nation à nation, commencer par tomber d'accord sur l'amour qu'on doit aux bêtes ? [...] Et cela, simplement, au nom de la souffrance, pour tuer la souffrance, l'abominable souffrance dont vit la nature et que l'humanité devrait s'efforcer de réduire le plus possible, d'une lutte continue, la seule lutte à laquelle il serait sage de s'entêter »1.

Dans son apologie de l'amour des bêtes, Zola parle de la lutte contre la souffrance comme d'une lutte prioritaire dans le monde. Une lutte universelle pour tous les individus, humains et animaux. L'objectif ultime est un monde de paix. Un monde où les animaux humains et non-humains seraient traités selon le même "code de justice", un monde où des lois uniraient les hommes dans les "vastes liens d'une société universelle de protection envers eux-mêmes"2.

Nous vivons à une époque extraordinaire où tout est possible. Le meilleur comme le pire. À l'heure où les consciences s'éveillent à la cause animale, de plus en plus d'êtres humains se

mobilisent dans le monde entier, face aux souffrances infligées aux animaux. Celles-ci n'ont jamais été aussi importantes qu'aujourd'hui. Tant quantitativement que

qualitativement. Quantitativement, un nombre exponentiel d'animaux sont tués

volontairement et légalement chaque année : plus de 150 milliards pour l'alimentation3 et 100

millions pour l'expérimentation4 ; des millions pour l'industrie de la fourrure ; et des milliers à

d'autres fins comme les divertissements (combats d'animaux avec mise à mort, chasse etc.)5 ;

sans compter les milliers d'espèces terrestres et marines qui disparaissent de la surface planétaire à une vitesse inquiétante6. C'est le plus grand zoocide de l'histoire de l'humanité7.

Qualitativement, cette grande hécatombe n'a d'égal que la sophistication des souffrances

infligées aux autres animaux8. Des mutilations de convenance aux tortures expérimentales, en

passant par le broyage des poussins vivants et tant d'autres horreurs banalisées ou occultées.

1 ZOLA, E., "L'amour des bêtes", Le Figaro, 24 mars 1896.

2 Id. Zola avance l'idée que : "De cet amour universel des bêtes, par dessus les frontières, peut-être en arriverait-on à l'universel amour des hommes" et "rêve d'un acheminement vers la cité du bonheur futur".

3 Voir ADAPTT, "More Than 150 Billion Animals Slaughtered Every Year", The Animal Kill Counter, en ligne : http://www.adaptt.org/killcounter.html (date d'accès 8.12.2014).

4 Voir PETA, "Animal Experiments : Overview", en ligne: http://www.peta.org/issues/animals-used-for-experimentation/animals-used-experimentation-factsheets/animal-experiments-overview/ (accès le 8.12.2014).

5 Ce terme est employé pour caractériser les activités où l’être humain utilise les animaux pour se "divertir". Voir JEANGÈNE VILMER, J.-B., Éthique animale, PUF, 2008, p. 199.

6 Voir BROWSWIMMER, F., Écocide : Une brève histoire de l’extinction en masse des espèces, Broché, 2006. 7 Le mot "zoocide" est employé à l'instar de RICARD, M., Plaidoyer pour les animaux, Allary éditions, 2014, p.172. 8 Entendus comme animaux non-humains. À des fins pratiques, nous parlerons le plus souvent des "animaux" au sens usuel. Notons que Montesquieu, dans L'esprit des lois, parlait aussi des "autres animaux" (Flammarion, 2013, p.63).

(13)

2

Il ne nous revient pas ici d’en dresser une liste exhaustive9. De nombreux cas seront abordés à

travers leurs règlementations, puisque cette étude vient présenter l'état du droit du bien-être animal, plus particulièrement concernant le traitement, légal ou illégal, des animaux à ce jour. Les multiples atteintes causées aux animaux sont perpétrées, moins au nom de la nécessité

vitale que d'"alibis"10 comme le plaisir gustatif, la commodité, la tradition et l'amusement11.

Le poids de ces arguments est-il suffisant pour légitimer objectivement qu'elles perdurent ?

Il s’agit d’atteintes à la vie, à l'intégrité, à la liberté, voire à la dignité d’individus vivants. La plupart de ces atteintes sont aujourd’hui commises en toute légalité, sur une base régulière

et généralisée partout dans le monde.Ne s'agit-il pas pourtant de"crimes contre l'animalité"?12

De nos jours, la culmination des souffrances animales, comme leur contestation, semblent avoir atteint un point de non-retour. Même si notre part d'inhumanité n'a jamais causé autant de torts aux autres animaux, notre part d'humanité n'a jamais autant souhaité les protéger. C'est ici que le droit joue un rôle crucial, comme outil de médiation entre les intérêts humains et ceux des animaux, ainsi qu'en vue de protéger les animaux contre certains agissements humains de plus en plus controversés. Si notre point de vue se place ouvertement du côté de la défense des animaux, cette étude n'en est pas moins le fruit d'une analyse juridique objective. La lutte contre la souffrance des êtres est identifiée de longue date comme l'une des missions

du droit. En 1909, le Professeur René Demogue exprimait cette noble fonction en ces termes:

« le droit apparaît comme une chose infiniment belle, comme étant en quelque sorte la communion, le terrain de rapprochement [...] de ceux qui peuvent souffrir. Le droit apparaît comme un immense syndicat de luttes contre les souffrances, entre tous les êtres qui sont pitoyables, parce qu'il peut leur être fait du mal, beaucoup de mal. »13

9 Voir à ce sujet CIVARD-RACINAIS, A., Dictionnaire horrifié de la souffrance animale, FAYARD, 2010. 10 Voir les "discours-alibi" dans JEANGÈNE VILMER, J.-B., Éthique animale, PUF, 2008, pp.126-131.

11 "We do not need to eat animals, wear animals, or use animals for entertainment purposes, and our only defense of these uses is our pleasure, amusement, and convenience", FRANCIONE, G., Animals as Persons, C.U.P., 2008, p.118. 12 Sur cette notion, voir généralement CAO, D., "Crimes against Animality", dans ARRIGO, B.A. et H. BERSOT (ed),

The Routledge Handbook of International Crime and Justice Studies, Routledge, 2014, pp. 169-190. Cette expression a

été utilisé au Québec, par exemple dans le Rapport du Barreau du Québec sur le document de consultation "Crimes contre les animaux", approuvé par le cabinet du bâtonnier le 11 janvier 1999.

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3

Dans son article, l'auteur plaidait déjà en faveur de la reconnaissance du statut juridique de "sujet" pour tout animal étant, comme nous, capable de souffrir14. Que cette souffrance

concerne les êtres humains ou les animaux, tout individu mériterait la protection du droit. En ce sens, nous postulons que les animaux devraient être juridiquement protégés face à

toutes les souffrances qui leur sont infligées et ce universellement, partout dans le monde. Tel est le point de départ de cette étude qui constitue à la fois sa source, son sens et sa finalité.

De l'objectif de lutter contre les souffrances infligées aux animaux découle la notion de protection du bien-être animal. En effet, le bien-être vient s'opposer à la souffrance, autant que la protection (de ce bien-être) vient s'opposer à l'infliction (de ces souffrances).

Dans quelle mesure le droit du bien-être animal permet-il d'empêcher l'infliction des

souffrances causées aux animaux et d'encourager les actions bienveillantes envers eux ? C'est ce que le lecteur découvrira à travers la présentation de son contenu et de ses limites.

Le droit du bien-être animal concerne l’ensemble des mesures qui visent à réduire les souffrances et à améliorer les conditions de vie (et de mort) des animaux utilisés à des fins humaines. Il s'agit des fins alimentaires, vestimentaires, pharmaceutiques, cosmétiques, scientifiques, éducatives, ou encore relatives à la compagnie et aux divertissements15.

Puisque le droit vise à réglementer certaines actions ou activités humaines16, le droit du

bien-être animal s'inscrit ainsi dans le cadre des différentes utilisations (ou instrumentalisations17)

des animaux à des fins humaines, lesquelles sont présentes partout à travers le monde18.

De l'instrumentalisation multiple de l'animal procède sa réification (du latin "res", chose), c'est-à-dire sa réduction à l'état de chose ou d'objet, dans le vocabulaire courant comme en droit positif. En effet, les animaux peuvent se voir considérés comme des produits de consommation, du matériel expérimental, des cibles de chasse, jusqu'à des gadgets jetables19.

Aujourd'hui en effet, l'instrumentalisation de l'animal a atteint des sommets sans précédents.

14 Id. L'auteur parle des animaux sensibles comme de ceux "ayant comme nous des réactions psychiques douloureuses ou désagréables".

15 Comme nous le verrons, il s'agit notamment des méthodes d'élevage, de transport et d'abattage des animaux de production ; de l'expérimentation des animaux de laboratoire ; de la chasse, la pêche, la capture et la captivité des animaux sauvages ; ainsi que du traitement des animaux de compagnie et des animaux utilisés pour les combats, compétitions ou autres spectacles.

16 Le "droit" désigne "un ensemble de règles de conduite". Voir CORNU, G. (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 2001. 17 L'instrumentalisation des animaux consiste à les utiliser comme des instruments aux fins de l'homme. Voir RICARD, M., "L'instrumentalisation en masse des animaux pose un problème éthique", Sciences et avenir, 19.06.2015.

18 OCKERMAN, H.W. et C. L. HANSEN, Animal by-product processing & utilization, Technomic Pub. Co., 2000. 19 Illustrons cette gadgétisation de l'animal par l'exemple des petits animaux vivants (poissons, salamandres et tortues) vendus sous forme de porte-clefs à la mode en Asie. Notons qu'ils ne survivent que quelques heures dans les pochettes où ils sont enfermés. Voir l'article à ce sujet CNN, "Live animals sold as key rings in China", CNN Asia, 15.04.2011.

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Dans son Plaidoyer pour les animaux, Matthieu Ricard vient appuyer sur un point sensible : « Le point commun le plus frappant entre l'homme et l'animal est la capacité de

ressentir de la souffrance.Pourquoi nous aveuglons-nous encore, en ce début du

XXIe siècle, sur les douleurs incommensurables que nous leur faisons subir,

sachant qu'une grande part d'entre elles ne sont ni nécessaires ni inévitables ? »20

Du caractère inutile (dans le sens de non vital) et évitable (à travers le recours à des alternatives) pour la plupart des souffrances causées, résultent d'importantes implications abordées en éthique animale21. La prémisse est celle selon laquelle l'animal ne doit plus être

traité comme un objet à notre service mais pour ce qu'il est, c'est-à-dire un être vivant et souffrant. Par définition, l'animal est un être vivant doué de sensibilité22. Sur le plan

scientifique, cette sensibilité est définie comme l'aptitude à souffrir et à éprouver des sensations douloureuses ou désagréables (mais aussi agréables), avérée pour l'ensemble des vertébrés et certains invertébrés comme les céphalopodes23. Certaines études vont jusqu’à

démontrer le degré élevé d’intelligence des invertébrés supérieurs comme les pieuvres, ainsi que leur capacité à ressentir des émotions, au-delà de simples sensations agréables ou non24.

Coupant court aux débats sur l'absence de langage articulé et de raisonnement complexe chez les animaux non-humains, Jeremy Bentham a fait place à la sensibilité (ou "sentience"25) des

animaux comme critère de considération éthique et juridique dans sa citation notoire de 1789 : « La question n'est pas : "Peuvent-ils raisonner ?", ni "Peuvent-ils parler ?", mais "Peuvent-ils souffrir ?"26 ».

Depuis lors, la pertinence du critère de sensibilité a été avancée et maintenue27, pour justifier

l'octroi d'un statut moral et juridique aux animaux en tant qu'êtres sensibles (ou "sentients").

20 RICARD, M., Plaidoyer pour les animaux, Allary éditions, 2014, p.15.

21 Citons notamment les implications les plus importantes développées par les partisans de la théorie des droits des animaux, comme Tom Regan, et du courant abolitionniste, comme le juriste Gary Francione. Voir respectivement REGAN, T., The case for animal rights, Berkeley, University of California Press, 1983 ; et FRANCIONE, G.L.,

Animals as persons: Essays on the abolition of animal exploitation, New York, Columbia University Press, 2008.

22 Voir la définition commune du terme "animal" comme "Être vivant organisé, doué d'une sensibilité et capable de mouvement" dans le Dictionnaire de la langue française de 2011.

23 Voir BOVET, D. et G. CHAPOUTHIER, "Les degrés de sensibilité dans le monde animal et leur identification scientifique", dans AUFFRET VAN DER KEMP, T. et M. LACHANCE, Souffrance animale : De la Science au

Droit, Yvon Blais, 2013, p.13.

24 Voir par exemple : MATHER, J.A., "Cognition in cephalopods", Advances in the Study of Behaviour, 1995.

25 De l'anglais "sentient" pour désigner un animal "sensible" ou "sentant". Voir à ce sujet REUS, E., "Sentience !",

Cahiers antispécistes, n° 26, 2005. Nous utiliserons par la suite le terme "sensible" qui est celui usité en droit positif.

26 BENTHAM, J., An Introduction to Principles of Morals and Legislation [1789], Athlone, 1977, pp. 411-412. 27 Selon Peter Singer : "Le critère de la sensibilité [...] fournit la seule limite défendable à la préoccupation pour les intérêts des autres". Voir SINGER, P., La libération animale, 2e éd., Grasset, 1993, pp. 37-39.

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Quelles sont les implications de cette sensibilité ? Sur le plan éthique, il s'agit de bien traiter les animaux et de leur épargner toute souffrance évitable28. Sur le plan juridique, il s'agit

d'intégrer ces prescriptions pour protéger les animaux comme êtres sensibles en droit positif. Désormais, certaines législations mentionnent expressément que les animaux sont des êtres sensibles29. Plus généralement, de nombreuses législations visent à protéger les animaux

contre la cruauté et la notion de bien-être animal devient plus présente à l'échelle mondiale. Qu'en est-il de la volonté de protéger juridiquement le bien-être des animaux de manière universelle ? Un régime de protection pourrait-il voir le jour à l'avenir, notamment au sein de l'organisation universelle par excellence qu'est l'Organisation des Nations Unies (ONU) ? Par exemple par le biais d'un accord multilatéral (convention ou traité) et/ou toute autre voie ? Pour l'heure, il n'existe aucun accord multilatéral permettant de protéger le bien-être animal de

manière globale -c'est-à-dire dans le cadre de toutes les utilisations, pour tous les animaux et dans tous les pays du monde.

Ce vide juridique a été identifié comme une lacune, de la part de plusieurs internationalistes30.

Afin d'y remédier, l'adoption d'un tel accord serait-elle possible, voire même pertinente ? Du point de vue de la protection des animaux, un accord conventionnel serait approprié pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les animaux sont présents partout dans le monde et victimes de multiples atteintes généralisées. Ensuite, ceux-ci ne disposent d'aucune forme de protection dans plusieurs pays. Enfin et surtout, une protection universelle du bien-être animal permettrait d'établir une base normative commune pour tous les pays en droit international. Puisqu'il s'agit d'un problème universel, l'ensemble des maux infligés aux animaux en appelle aussi à une réponse juridique universelle. Mais l'objectif de protection du bien-être animal

n'est pas formellement reconnu à ce jour comme un impératif juridique universel31.

Dans quelle mesure pourrait-il le devenir ? Pourquoi et comment ? Telles sont les questions clés de cette étude, globale et inédite, sur le droit du bien-être animal dans le monde.

28 L’éthique animale est une sous-discipline de la philosophie morale qui étudie le "statut moral des animaux" et notre "responsabilité à leur égard". Voir à ce sujet : JEANGÈNE VILMER, J.-B., Éthique animale, PUF, 2008, p.15. 29 Citons l'exemple de la France (Art. L214-1 du Code rural et Art. 515-14 du Code civil) au niveau national et celui de l'Union européenne (Art. 13 du Traité de Lisbonne) au niveau supranational. Voir infra les Titres 1 et 2 (Partie I). 30 Voir AUSTEN, M. et T. RICHARDS, Basic legal documents on international animal welfare and wildlife

conservation, Kluwer Law International, 2000, p.1 (“There is a distinct absence in international law for the protection

of animals from cruelty and mistreatment”) ; NIELSEN, L., The WTO, animals and PPM, Martinus Nijhoff Publishers, 2007, p.325 (“Animal welfare protection is not laid down in any international agreements”) : CURNUTT, J., Animals

and the law : a sourcebook, Calif, ABC-CLIO, 2001, p.15 (“A comprehensive treatise on global animal law has not

yet been written”).

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Avant d'entrer au cœur de celle-ci, expliquons pourquoi le droit du bien-être animal est un domaine d'intérêt grandissant (I), avant d'établir que cette recherche globale constitue une étude novatrice du droit du bien-être animal dans la science du droit à l'échelle mondiale (2).

I- Le droit du bien-être animal comme domaine d'intérêt grandissant

Selon l'historienne Elisabeth Hardouin-Fugier32 :

« l'implantation d'un jus animalium [...] constitue une véritable révolution culturelle dont les ouvrages récents ne semblent pas encore mesurer l'importance »33.

L'expression latine "jus animalium" est traduite en français par "droit animal", "droit animalier" ou encore "droit des animaux". Bien que l'appellation "droit animal" ne fasse pas l'unanimité parmi les juristes francophones34, il s'agit de la traduction littérale de l'expression

"animal law" en anglais35. Elle est aussi consacrée au Québec sur le plan académique36, c'est

pourquoi nous utiliserons celle-ci par la suite. Cette étude porte plus précisément sur le domaine que les anglophones appellent "Animal welfare law", ou "droit du bien-être animal". Dans cette thèse, nous traiterons ainsi du droit du bien-être animal, d'une manière inédite à la fois pour la science juridique en général et la science juridique francophone en particulier. Qu'est-ce que le droit du bien-être animal ? Et quelle est la pertinence d'une étude à ce sujet ? Afin d’y répondre, définissons tout d’abord le droit du bien-être animal en précisant ses fondations éthiques (1). Puis nous verrons qu'il s'agit d'un sujet d'intérêt juridique grandissant à travers le monde, permettant d'amener l'intérêt de cette étude et la démarche envisagée (2).

1- Description du droit du bien-être animal : un droit spécifique, historiquement fondé

Présentons les idées qui sous-tendent le droit du bien-être animal (a), avant de le définir (b).

32 Cette expression figure notamment dans l'intitulé de cet article : HARDOUIN-FUGIER, E., "Du mal-être au bien-être des animaux : une lente conquête du jus animalium en Europe", dans BROOM, D. M. et al, Bien-bien-être animal, éditions du Conseil de l’Europe, 2006, pp. 185-198.

33 HARDOUIN-FUGIER, E., “Naissance de la protection animale dans le droit européen”, dans MARGUÉNAUD, J.-P. et O. DUBOS (dir.), Animaux et droits européens : au-delà de la distinction entre les hommes et les choses, Pédone, pp.21-34, 2009, p.21.

34 Le professeur Jean-Pierre Marguénaud objecte notamment que l'expression "droit animal" serait grammaticalement inadaptée en français. Voir MARGUÉNAUD, J.-P., "L’Animal en droit français", Derecho animal, Avril 2013, §1. 35 Si le "droit animal" provient de l'anglais "animal law", cette appellation se retrouve notamment en espagnol à travers l'expression "derecho animal". En ce sens, il n'y est pas question de "animalian law" ou "derecho animalista" qui seraient les traductions fidèles du "droit animalier" en français.

36 Notre choix porte ainsi sur la traduction fidèle et la concision de l'expression droit animal, présente au Québec dans le cadre du "Groupe de Recherche International en Droit Animal" (GRIDA) dirigé par Martine Lachance à l'UQAM. Elle se retrouve aussi en France, dans le cadre de "La Fondation Droit Animal, éthiques et sciences" (LFDA).

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a) Brève histoire des idées qui sous-tendent le droit du bien-être animal37

Avant d’en arriver au droit, il convient de parler de l’avant-droit, c’est-à-dire de tout le discours philosophique et moral qui a conduit à l’idée d'un droit des animaux et qui légitime l’action du législateur. D'où vient l'idée de protéger le bien-être des animaux ? Et pourquoi est-il moralement légitime d'intervenir pour fixer des règles afin de protéger ce bien-être (contre les souffrances infligéeaux animaux et pour une plus grande bienveillance humaine) ? La condamnation de la cruauté et le devoir de respecter les animaux font partie des règles morales universelles. Elles sont présentes à travers le monde depuis des temps ancestraux. Après une brève présentation des racines morales du droit du bien-être animal (1°), nous verrons la convergence de l'éthique au(x) droit(s) avec les principales thèses en présence (2°). 1°) Les racines morales universelles et ancestrales du droit du bien-être animal

Dans l’histoire de l’humanité, l'idée selon laquelle les animaux doivent être respectés remonte à la nuit des temps. Parmi les premières civilisations qui les vénéraient38, relevons que :

« les Égyptiens enterraient les loups, les ours, les crocodiles, les chiens et les chats, en lieux sacrés, embaumaient leur corps, et portaient le deuil à leur trépas »39.

De tout temps, les souffrances causées aux animaux ont été dénoncées.

a- Des pères antiques de l'éthique animale aux penseurs occidentaux et orientaux

Au VIe siècle avant J.-C., Pythagore prônait déjà une alimentation végétarienne et condamnait

les sacrifices, en reconnaissant que les animaux avaient une âme40. L’éthique animale serait

née avec lui et ses disciples, comme Empédocle, Théophraste et Plutarque dans l’antiquité41.

Depuis cette époque et jusqu’à l’époque actuelle, Lyne Létourneau dresse ce constat :

37 Voir à ce sujet WALDAU, P. et K. PATTON (ed.), A Communion of Subjects : Animals in Religion, Science, and

Ethics, Columbia University Press, 2006.

38 Voir LE BON, G., Les premières civilisations, Flammarion, p.271.

39 MONTAIGNE (DE), M., Essais de Montaigne, 1669, imprimeurs de l’Institut de France, 1939, p.218. En référence aux écrits d’Hérodote.

40 JEANGÈNE VILMER, J.-B. (dir.), Anthologie d'éthique animale, PUF, 2011, pp.19-25. Platon reconnaissait aussi une âme aux animaux au Ve siècle avant J.-C., en affirmant que : "Ce monde vivant est vraisemblablement doué d’une âme et d’une intelligence, une seule entité vivante visible contenant toutes les autres entités vivantes qui par nature sont liées entre elles", cité dans BLOOM, S., L’esprit sauvage, Gründ, 2007, p.104.

41 Voir LÉTOURNEAU, L., "De l’animal-objet à l’animal-sujet ? : Regard sur le droit de la protection des animaux en Occident", Lex Electronica, vol. 10, no 2 (numéro spécial), Automne 2005, p.4.

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« une attitude unique, cohérente et remarquablement constante sous-tend tout le discours contre la cruauté envers les animaux et en faveur du traitement humanitaire de ces derniers »42.

Pour ne mentionner que les auteurs français les plus célèbres, citons Montaigne à la Renaissance, Rousseau et Voltaire au siècle des Lumières, ainsi qu'Hugo et Zola au XIXe

siècle. Plus connus comme humanistes que comme animalistes, leurs textes en faveur de la cause animale -comme ceux d'auteurs anglophones, germaniques et autres- sont désormais

compilés dans l'ouvrage de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Anthologie d'éthique animale43.

Non seulement le bien-être animal a été prôné de tous temps, mais aussi partout dans le monde. Toutes les philosophies et toutes les religions contiennent en leur sein la notion de respect pour toute forme de vie. Au-delà de la pensée occidentale (comme avec les penseurs précités), la notion de respect pour les animaux se retrouve aussi dans la pensée asiatique44.

Citons en particulier le néo-confusianisme, avec Wang Yang-Ming, qui fut le premier dans la dynastie de Ming a prôné "l'amour pour toutes choses", avant que le confucianiste japonais Kaibara Ekken n'érige en devoir religieux le traitement humain des animaux45.

Élevé en devoir universel dans les droits religieux, le principe de respect de l'animal existe dans les différentes religions du monde.

b- Le respect de l'animal dans les droits religieux du monde entier

À l'image du confucianisme, le shintoïsme prône le respect pour toute création de la nature46.

Il en va de même du taoïsme en Chine, où est prônée une approche agressive et non-violente, de pair avec la sauvegarde des créatures comme priorité, ainsi que le végétarisme47.

Pour les religions orientales, citons aussi l'exemple de l’hindouisme, représenté en particulier par les pensées du Mahatma Gandhi, considérant tout être vivant comme un semblable et prônant la non-violence48. Parmi ses citations en faveur des animaux, en voici une célèbre :

« Il est possible de juger de la grandeur et la valeur morale d’une nation à la façon dont elle traite ses animaux »49.

42 LÉTOURNEAU, L., L'expérimentation animale : l'homme, l'éthique et la loi, Éditions Thémis, 1994, pp.14-15. 43 JEANGÈNE VILMER, J.-B. (dir.), Anthologie d'éthique animale, PUF, 2011.

44 Voir MONOD, T., L’hippopotame et le philosophe, Actes Sud, Babel, 1993, pp. 333-340.

45 Celui-ci est inscrit au Chapitre "serving Heaven" du Mencius 7A:1.Voir ADLER, J.A., "Of Animals and Man: The Confucian Perspective", Conference on Religion and Animals, Harvard-Yenching Institute, Cambridge, 21.05.1999. 46 HARTZ, P., Shinto, World Religions, 3rd ed., Infobase publishing, p.11.

47 Voir HU, H.L. et W. ALLEN, Taoism, Chelsea House Publishers, 2009, p.50. 48 Voir STOENESCU, R., Gandhi ou le scepticisme fanatique, Radu intello, 2007, p.47. 49 Voir BLOOM, S., L’esprit sauvage, Gründ, 2007, p. 24.

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Le jainisme est un courant très protecteur puiqu’il interdit totalement de leur faire du mal50.

Pour le bouddhisme, le devoir de compassion envers toute créature vivante est très important51. Il s'agit de ne pas être indifférent à la souffrance de l'autre et souhaiter

sincèrement qu'il en soit libéré52.

Pour Kalou Rimpotché, c'est « un acte de grande compassion que de les protéger »53.

Il s'agit aussi d'un devoir de "non-agressivité" consistant à ne pas nuire aux autres (animaux inclus), puisque la notion d'interdépendance implique que notre bonheur est lié à celui des autres, sachant que les animaux ont aussi "droit à une existence heureuse"54.

L'islam reconnaît que l'animal est doté d'une "âme et conscience" et que l'être humain est

responsable de l'harmonie des vies, sur lesquelles il doit veiller avec science et équité55.

Selon le Coran, les croyants doivent avoir "une attitude de respect total des créatures"56.

De même, le judaïsme défend de faire souffrir les animaux57 et rend l'assistance aux animaux

obligatoire58. Il existe aussi des prescriptions comparables à celles du droit positif, à l'image

de l'interdiction de frapper un animal, d'un droit au repos hebdomadaire, du devoir d'assistance aux animaux en détresse, comme des interdictions de castration et de chasse59.

Une question peut ici se poser : comment se fait-il que ces deux dernières religions, qui se soucient du sort des animaux, prônent leur égorgement vivant pour l'abattage rituel ?

Halal pour l'islam et Kasher pour le judaïsme, l'abattage rituel doit être réalisé selon certaines règles. L’abatteur doit être qualifié, le couteau bien affuté et l’exécution rapide, tout en permettant de libérer l'âme de l'animal (représentée par son sang) avant de prendre sa chair60.

Aujourd'hui encore, certains croyants revendiquent que cette méthode serait l'une des plus efficaces pour limiter les souffrances de l'animal, y compris par rapport aux nouvelles

50 Voir NAKOS, J., "Le jaïnisme et les animaux", Cahiers Antispécistes, n°32, mars 2010.

51 Voir CHEVASSUT, D., "Le bouddhisme" dans BROOM, D. M. et al, Bien-être animal, éditions du Conseil de l’Europe, 2006, p. 149-152.

52 Id., p.149.

53 Id. En référence à "Paroles et Visages de Kalou Rimpotché : Lama du Tibet", Éditions Claire Lumière, 1986. 54 Id., p.151.

55 SARI ALI, R.H.E., "L'islam", dans BROOM, D. M. et al, Bien-être animal, éditions du Conseil de l’Europe, pp.159-163, 2006, p.159.

56 Id., Coran, X, 36 à 39.

57 Selon le Talmud : "il est défendu de faire souffrir les animaux, par précepte de la Torah", Chabbath, 128b ;

Baba Metsia, 36b. Cité dans GUIGUI, A., "Le judaïsme", dans BROOM, D. M. et al, Bien-être animal, éditions du

Conseil de l’Europe, pp.165-169, 2006, p.165. 58 Id., Deutéronome, XXII.

59 Id., 165-166.

60 "Il s'agit en même temps d'offrir symboliquement l'âme de la bête à Dieu et sa chair aux hommes", dans OUBROU, T., "L'abattage rituel musulman, réflexion théologique et considérations éthiques", dans MARGUÉNAUD, J.-P. et O. DUBOS (dir.), Animaux et droits européens : au-delà de la distinction entre les hommes et les choses, Pédone, pp.103-113, 2009, p.108.

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technologies, dont le pistolet à tige perforante qui intervient lors de l'étourdissement préalable des animaux dans le système d'abattage classique61. Ces arguments sont toutefois critiqués par

de nombreuses personnes, notamment des vétérinaires, qui réclament un étourdissement préalable systématique, y compris dans le cadre des abattages rituels62. Certains imams et

rabbins progressistes se montrent favorables à cet étourdissement, sachant que les textes religieux préconisent que les animaux soient vivants, mais pas conscients63. Relevons aussi

qu'aucun croyant, même pratiquant, n'est obligé de sacrifier un animal de sa vie entière64.

En tout état de cause, prendre la vie d'un animal est reconnu comme un acte lourd de sens, qui ne doit pas être effectué à la légère et sans nécessité65. Or, le sacrifice (étymologiquement

"sacré") est devenu un acte largement banalisé et l'abattage à la chaîne, un fléau généralisé66.

De fait, aucun texte religieux originel n'exige de tuer les animaux, y compris pour les consommer67. En effet, les théologiens s'entendent pour dire que les croyants peuvent s'en

passer68. Ainsi, aucune religion ne serait opposée au végétarisme ni au véganisme (impliquant

un mode de vie respectueux des animaux au-delà de l'alimentation). Bien au contraire, cela est

confirmé par une étude de 2005 de la "Société des végétariens éthiques et religieux"69.

Selon le professeur de théologie Karsten Lehmküler, il s'agirait même d'une voie d'avenir : « Le projet originel du Créateur, aussi bien que la vision eschatologique d'une vie nouvelle, ne connaît pas cette mise à mort de l'animal en vue de l'intérêt de l'homme. Il serait donc possible d'anticiper cet avenir par un mode de vie végétarien »70.

61 Id., pp.11-112. Voir aussi GUIGUI, A., "Le judaïsme" dans BROOM, D. M. et al, Bien-être animal, Conseil de l’Europe, pp.165-169, 2006, p.168.

62 Voir The Times of Israel, "UK debate on ritual slaughter mobilizes Muslims and Jews", en ligne : http://www.timesofisrael.com/uk-debate-on-ritual-slaughter-mobilizes-muslims-and-jews/ (date d'accès : 20.08.2015). 63 Selon un rapport de 2010 : "L'abattage des animaux sans étourdissement préalable est inacceptable en toutes circonstances". Voir Federation of Veterinarians of Europe, Slaughter of Animals Without Prior Stunning, 2010.

64 "Le musulman a ainsi la possibilité de ne jamais sacrifier, dans le sens rituel du terme, un bête de sa vie". OUBROU, T., "L'abattage rituel musulman, réflexion théologique et considérations éthiques", dans MARGUÉNAUD, J.-P. et O. DUBOS (dir.), Animaux et droits européens : au-delà de la distinction entre les hommes et les choses, Pédone, 2009, p.113.

65 Tout mise à mort non essentielle est considérée comme un "massacre" inutile. "Quelle que soit la mort d'une bête, celle-ci laisse l'Homme devant une double dette tant au niveau spirituel qu'au niveau biologique". Id., pp.108-109. 66 Id., p.113.

67 Le droit canon n'impose pas la mise à mort des animaux, selon Alexandre M. Stavropoulos dans son article sur "L'orthodoxie" dans BROOM, D. M. et al, Bien-être animal, Conseil de l’Europe, 2006, p.173.

68 Voir Vegetarianism and the Major World Religions, Society of Ethical and Religious Vegetarians, 2005.

69 En ce sens, le végétarisme pourrait mettre tout le monde d'accord, tel qu'il est mis en avant écrit par plusieurs journalistes, écrivains, politiques et philosophes français dans cet article : "Le repas végétarien, le plus laïc de tous", paru dans Lemonde.fr le 26.03.2015. Les auteurs sont: Sandrine Bélier, Allain Bougrain-Dubourg, Florence Burgat, Aymeric Caron, Franz-Olivier Giesbert, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Matthieu Ricard.

70 Voir LEHMKÜLER, K., "le protestantisme" dans BROOM, D. M. et al, Bien-être animal, Conseil de l’Europe, pp.165-169, 2006, p.168.

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Enfin, la religion chrétienne n'échappe pas à la règle puisqu'elle prône le respect de l'animal d'une manière générale, qu'il s'agisse des églises catholique, protestante et orthodoxe71.

Pour justifier la domination humaine sur la nature et les animaux, il est souvent avancé que la Genèse, qui retrace la création du monde, affirme que l'être humain doit régner en maître sur le reste de la création72. Mais s'agit-il ici d'octroyer à l'homme une autorisation d'exploitation

illimitée de la nature et des autres espèces vivantes ? Ou plutôt de lui confier une responsabilité envers celles-ci, en tant que gardien des autres vies ? À ce propos, l’Ancien Testament précise que l’homme doit régner en "bon berger" sur les animaux, sachant que le juste connaît leurs besoins, alors que "les entrailles des méchants sont cruelles"73. L’idée que

l’homme doit satisfaire les besoins propres aux animaux, de pair avec la réprobation de toute

forme de cruauté à leur égard y est ainsi mentionnée. Un bon gardien n'est pas un tyran. Il y a presque mille ans, Saint-Jean de Jérusalem nous avertissait déjà dans sa 25ème prophétie:

« Lorsque commencera l'An Mille qui vient après l'An Mille, les animaux que Noé avait embarqués sur son Arche ne seront plus entre les mains de l'Homme que bêtes transformées selon sa volonté. Et qui se souciera de leur souffrance vivante ? L'homme aura fait de chaque espèce ce qu'il aura voulu et il en aura détruit d'innombrables. Que sera devenu l'homme qui aura changé les lois de la vie et qui aura fait de l'animal vivant une motte de glaise ? Sera-t-il l'égal de Dieu ou l'enfant du Diable ? »74.

En résumé, l’ensemble des droits religieux semblent s’entendre sur le respect dû aux animaux. Voyons désormais quels sont les liens entre l'éthique animale et le(s) droit(s) des animaux ? 2°) De l'éthique animale au(x) droit(s) des animaux

Différentes approches éthiques se reflètent en droit positif. Qu'il s'agisse des dispositions autorisant l'utilisation des animaux, ou celles préconisant de minimiser leurs souffrances car ils sont sensibles, ou encore des interdictions (de certaines pratiques, méthodes ou activités).

71 Voir FAGGIONI, M. P., "Le catholicisme" (pp.153-157) ; LEHMKÜLER, K., "le protestantisme" (pp.165-169) ;

STAVROPOULOS, A. M., "L'orthodoxie" (pp.171-176) ; dans BROOM, D. M. et al, Bien-être animal, Conseil de l’Europe, 2006.

72 "Dieu dit : faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre". Genèse, 1, 26. Bien que les premiers écrits de la Genèse ne soient toujours pas datés de source sure, ceux-ci pourraient remonter au XVe siècle av. J.-C. Voir à ce sujet : LACORDAIRE, J.-B., Conférences de Notre-Dame de Paris, Sagnier et Bray, Librairies éditeurs, 1848, p.225.

73 PURY (DE), A., Homme et animal Dieu les créa: les animaux et l'Ancien Testament, Labor et Fides, 1993, p.54. 74 MAREUIL (DE), J., Les prophéties de Jean de Jérusalem, Grancher, 2002 (celles-ci auraient été écrites en 1099).

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a- L'histoire des conceptions de l'animal-objet à l'animal-sensible

Encore aujourd'hui prédomine l'idée selon laquelle l'être humain est supérieur aux animaux. En vertu de celle-ci, les êtres humains auraient tous les droits, ou presque, sur ces derniers.

Droits de vie et de mort, de les utiliser et de les exploiter, ou encore de les torturer pour la science, le commerce ou les traditions, de leur prendre leurs terres et leurs petits, etc. Finalement, l'animal serait réduit à l'état d'objet utilisable par l'être humain. Parallèlement à cette conception de l'"animal-objet", encore ancrée dans la société actuelle et confirmée par le droit positif, se développe la conception de l'"animal-sensible". Celle-ci vient dores et déjà limiter certains agissments des humains envers les animaux, mais sans être encore assez forte pour permettre la reconnaissance juridique des animaux comme véritables sujets de droits.

- La conception ancrée de l' "animal-objet"

L'homme s’est posé en maître de la création depuis des temps ancestraux. Cela vient expliquer, encore majoritairement aujourd'hui, une approche que l’on peut qualifier de "spéciste" et "anthropocentrée" du reste du monde. Si le spécisme vise à privilégier l'espèce humaine sur les autres espèces75, l'anthropocentrisme place l'être humain au centre de tout,

comme s'il était, en termes familiers, le "nombril du monde"76.

L'idée que l’animal a été créé au service de l’homme se retrouve depuis l’antiquité avec Aristote. Au IVe s. av. J.-C., celui-ci affirmait que les animaux seraient inférieurs à l’homme

et qu’ils auraient été créés dans le seul but de satisfaire nos besoins77. Cette conception de

l’animal instrumentalisable à des fins humaines rejoint la conception de l'"animal-objet" et culmine avec la théorie de "l’animal-machine" de René Descartes. Dans son Discours de la

méthode de 1637, il pose que les animaux seraient comparables à des machines78, agissant

mécaniquement comme des horloges79. Puisque ceux-ci ne parlent pas et selon lui ne

raisonnent pas, ils seraient ainsi dénués de toute sensibilité, de toute pensée, et donc d’âme, laquelle serait le privilège de l’être humain80. Ce père de la philosophie moderne s’oppose

ainsi à Pythagore, qui fut le premier à concéder une âme aux animaux dès l’antiquité81.

75 Voir OLIVIER, D., "Qu'est ce que le spécisme ?", Les cahiers anti-spécistes, n°5, décembre 1992.

76 Voir à ce sujet ARMENGAUD, F., "L’anthropocentrisme : vraie question ou faux débat", dans BURGAT, F. et R. DANTZER (dir.), Les animaux d'élevage ont-ils droit au bien-être ?, Paris, INRA, pp.173-186, 2001.

77 ARISTOTLE, Politics, Everyman’s library, 1959 dans SINGER, P., Animal liberation: a new ethics of our

treatment of animals, 2nd ed., Pimlico, 1995, pp. 188-189. Selon lui, puisque "l’homme est un animal rationnel", sa capacité de raisonner le placerait au dessus des autres créatures vivantes.

78 Descartes reconnait néanmoins qu’en tant qu’êtres vivants créés par Dieu, les animaux sont plus perfectionnés que les machines créées par les hommes. Voir DESCARTES, R., Discours de la méthode (1637), Hachette, 1856, p.39. 79 Id., p.41.

80 Id., p.40.

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Dans la continuité de Descartes, Malebranche affirme que "les animaux ne sentent pas" et même que "leurs cris et convulsions n’ont pas plus d’importance que le bruit d’une porte qui grince ou d’un ressort qui se brise"82. En ce sens, la pensée cartésienne a écarté toute

culpabilité concernant les souffrances causées aux animaux, puisque ceux-ci ne sentiraient rien. Bien que les études scientifiques démontrent désormais leur aptitude à souffrir, cette idée est toujours présente. On la retrouve notamment chez le philosophe contemporain Peter Carrhuters, selon lequel les animaux ne pourraient pas éprouver de souffrance puisqu'ils n'auraient pas la conscience de leur douleur83. En ce sens, les animaux n’auraient pas de statut

moral et nos devoirs envers eux seraient tout au plus des devoirs indirects. Comme l’affirmait Kant avant lui, nous n’aurions des devoirs directs qu’envers les êtres humains, et protéger les animaux devrait d’abord viser à protéger les intérêts humains84.

Des interrogations restent : la question du statut moral et juridique d'un être est-elle seulement liée à sa capacité d'exprimer ou de défendre son intérêt ? Et notre devoir n'est-il pas plutôt lié

à notre capacité de prendre en compte l'appel, souvent muet, qui émane de son existence ?85

Le fait que la conception de l’animal-objet soit encore très ancrée dans notre société actuelle paraît renforcer la difficulté d’élever le statut des animaux d'objet de droit à celui de sujet de droits. Or nous verrons certaines avancées avec la reconnaissance des animaux comme êtres sensibles, désormais inscrite dans le droit positif de plusieurs pays et au niveau européen86.

- La conception actuelle de l' ‘‘animal-sensible’’

Cette nouvelle conception juridique de "l’animal-sensible", telle que nous la qualifions, puise ses fondements dans la philosophie de Jeremy Bentham. Opposé à Descartes, tout comme l’était notamment Voltaire en France87, Bentham affirme que les animaux sont capables de

souffrir et que cet attribut fait en sorte qu’ils méritent d’être protégés juridiquement face aux souffrances inutiles88. Puisque les animaux peuvent souffrir, il affirme qu'ils devraient être

reconnus comme des êtres sensibles et légalement protégés face aux actes de cruauté et aux

82 Voir GOFFI, J.-Y., "La souffrance animale : aspects philosophiques", dans OUÉDRAOGO, A.P. et P. LE NEINDRE, L'homme et l'animal: un débat de société, INRA, 1999, p. 21-22.

83 Voir CARRUTHERS, P., The animals issue: moral theory in practice, Cambridge University Press, 1992.

84 KANT, E., "Duties to animals" dans REGAN, T. et P. SINGER, Animal rights and human obligations, Englewood Cliffs, N. J, Prentice-Hall, 1989, p.122-123.

85 Voir BROOM, D.M. et al, Bien-être animal, éd. Conseil de l’Europe, 2006, p.155. 86 Voir les Titres 1 et 2 de la Partie I de cette étude.

87 Voir VOLTAIRE, "A reply to Descartes" dans REGAN, T. et P. SINGER, Animal rights and human obligations, Englewood Cliffs, N. J, Prentice-Hall, 1989, pp.67-68.

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souffrances causées par l’homme89. Celui-ci devrait alléger le fardeau de ceux qui

subviennent à ses besoins90. Relevons ici que, comme Bentham, les partisans de la théorie dite

du "traitement humanitaire" des animaux, ne remettent nullement en cause le principe même de l'utilisation des animaux à des fins humaines91. Selon cette approche, l'homme serait :

« totalement en droit de domestiquer des animaux et de les tuer pour se nourrir et se vêtir. Mais il n’aurait pas à les tyranniser ou leur faire subir de souffrances inutiles »92.

Selon Lyne Létourneau, c'est principalement de cette conception que relève le droit de la protection des animaux en Occident93. Celui-ci refléterait une forme d’"égoïsme de groupe"

en protégeant les animaux de sorte que leur utilisation soit considérée comme "moralement acceptable", sans toutefois nuire aux intérêts propres à l’espèce humaine94. Il est même

possible d'aller jusqu'à penser que les mesures de protection du bien-être des animaux permettraient en quelque sorte de se donner "bonne conscience", en affirmant disposer de mesures protectrices, sans remettre en cause le principe même de domination, d'exploitation et d'extermination mondiale des êtres appartenant à d'autres espèces animales.

b- Les nouvelles conceptions éthico-juridiques de l'"animal-sujet" de droit(s)

Les nouvelles conceptions de l'animal vont toujours plus dans le sens de sa reconnaissance comme sujet, non seulement du droit mais de droits, reliant l'éthique aux questions juridiques.

- Les propositions contemporaines en éthique animale

Les mouvements contemporains de l'éthique animale permettent les "réformes de demain"95.

Les nouveaux courants de pensées prônent notamment la reconnaissance d'une forme d'égalité entre humains et animaux, de pair avec l’attribution de droits pour ces derniers96. Les deux

pionniers de l’éthique animale moderne que son Peter Singer et Tom Regan méritent d’être cités. Peter Singer se base sur la théorie utilistariste fondée par Jeremy Bentham pour créer le

89 En 1848, John Stuart Mill s’est également prononcé comme Bentham en faveur de la protection animale par la voie légale. Voir STUART MILL, J., "A defense of Bentham", dans REGAN, T. et P. SINGER, Animal rights and human

obligations, Englewood Cliffs, N. J, Prentice-Hall, 1989, pp.131-132.

90 LÉTOURNEAU, L., L'expérimentation animale : l'homme, l'éthique et la loi, Éditions Thémis, 1994, p.21. 91 Id., p.22.

92 THOMAS, K., Dans le jardin de la nature - La mutation des sensibilités en Angleterre à l'époque moderne

(1500-1800), traduit de l'anglais par Catherine Malamoud, Paris, Gallimard, 1985, p. 202.

93 Voir LÉTOURNEAU, L., "De l’animal-objet à l’animal-sujet ? : Regard sur le droit de la protection des animaux en Occident", Lex Electronica, vol. 10, no 2 (numéro spécial), Automne 2005.

94 Id., p.7.

95 LÉTOURNEAU, L., L'expérimentation animale : l'homme, l'éthique et la loi, Éditions Thémis, 1994, p.14. 96 Voir CYRULNIK, B., DE FONTENAY, E. et P. SINGER, Les animaux aussi ont des droits, Seuil, 2013.

Références

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