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Réjean Robidoux. <em>D’éloge et de critique : études littéraires</em>

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Academic year: 2021

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Yvan-G. LEPAGE

Études littéraires françaises et québécoises : Robidoux à l’œuvre

Ce beau livre, le plus récent de Réjean Robidoux, professeur émérite de l’Université d’Ottawa, est un recueil de quarante études littéraires françaises et québécoises qui ont jalonné sa riche carrière de chercheur habile à conjuguer science et intuition, intelligence et style, ce que Pascal appelait si justement « esprit de géométrie » et « esprit de finesse », rarement unis, comme on sait, chez la même personne. En réunissant ces textes pour la plupart déjà publiés dans des revues ou des collectifs, entre 1955 et 1999, Robidoux a voulu non seulement les tirer de l’oubli dans lequel ils risquaient de sombrer, mais leur insuffler en quelque sorte une seconde vie, grâce à un agencement méthodique, fondé à la fois sur la distinction des corpus et sur la chronologie des auteurs étudiés. L’entreprise était délicate, et l’auteur en est très conscient, ainsi qu’en témoignent les précautions oratoires qu’il prend en multipliant les paratextes ou « énoncés d’escorte ». L’« avis au lecteur » de la page 9, avec sa traditionnelle clause de modestie (« Simple recueil de moments personnels [...], jalons et parcours, fragments et vestiges [...] »), est le premier d’entre eux; mais il en est d’autres. Ainsi, le texte liminaire (« Praticien de la littérature »), qui résume le parcours de Robidoux et présente sa méthode critique, qualifiée tour à tour d’« humble éclectisme fonctionnel », de « praxis », de « suite de démonstrations vivantes, variables, individuées », conçue comme « un certain style plutôt qu’une certaine méthode », cherchant «inlassablement la clé du rapport entre la forme et la signification ». Ainsi encore les introductions à chacune des deux principales parties du recueil (« Domaine français » et « Domaine québécois »), dont l’«

Apologia pro vita sua » (titre inspiré à la fois des Confessions d’Augustin et

du De vita sua de Guibert de Nogent), et l’Épilogue, au titre « césaro-hugolien » : « Veni, vidi, vixi », sans compter les notes explicatives précédant la plupart des chapitres ou sections du livre.

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Mais ce n’est pas tout. Pour chacune des études ici réunies, Robidoux estime encore utile de fournir les renseignements nécessaires à leur compréhension et de préciser les circonstances de leur écriture. Il lui importe en effet de justifier aussi bien l’entreprise globale que chacun des textes en particulier, afin d’éviter tout malentendu. Le lecteur pourra trouver lourds ces soins infinis; s’ils peuvent passer pour la manifestation d’un scrupule intellectuel ou moral, ils ont surtout pour motif d’expliquer pourquoi ces textes ont été reproduits tels quels, leur auteur ayant pris le parti de ne pas les mettre à jour, quels que soient par ailleurs les progrès accomplis par la critique depuis leur parution. Robidoux opte donc pour la fidélité aux textes qui jalonnent sa trajectoire critique. Toute mise à jour, même du point de vue de la bibliographie (du reste surabondante dans certains cas), aurait à ses yeux constitué une forme de trahison, quand elle n’entraînait pas tout simplement la mise à l’écart de certains textes qui peuvent être considérés comme nettement datés. Robidoux en fournit un bel exemple avec la première étude, intitulée, non sans auto-ironie, « Aventure d’un texte et d’un exégète» et consacrée au célèbre rondeau de Villon : « Mort, j’appelle de ta rigueur ». Il y montre en quoi les progrès de la textologie en ont transformé la lettre, au point d’en rendre caduque l’interprétation qu’il avait cru pouvoir en fournir à ses étudiants, en 1957.

Il est aussi des textes de circonstance, donc sans prétention, puisqu’ils ne sont pas le fait d’un spécialiste, comme par exemple « Le marivaudage », bref article de 1958, destiné sans plus à préparer le spectateur à la présentation du Jeu de l’amour et du hasard par la Société dramatique de l’Université d’Ottawa. Il n’est pas sûr, au reste, que cette réflexion d’un amateur éclairé sur la notion de « marivaudage », tellement galvaudée par l’école, ait perdu de sa pertinence. Quoi qu’il en soit, on peut dire que la méthode de Robidoux se montre particulièrement efficace quand il aborde certains auteurs majeurs des XIXe et XXe siècles, d’abord parce qu’elle paraît mieux adaptée à ce

corpus, ensuite parce qu’il les a beaucoup fréquentés, ces auteurs qui font partie du cercle de ses intimes : Nerval, Claudel, Gide, Mauriac, Radiguet et Cocteau, mais par-dessus tous, peut-être, Roger Martin du Gard, auquel il a consacré sa thèse de doctorat, dont la rédaction s’est

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étendue sur quatre ans (1958-1962) et dont la publication, en 1964, lui valut rien de moins que le prix du Gouverneur général.

Nerval, Robidoux l’a enseigné, lui consacrant plusieurs cours de plus en plus savants, mais jamais érudits, je veux dire désincarnés. Son éclairante analyse de l’énigmatique sonnet « Artémis » est donc parfaitement à sa place dans le présent recueil. Mais il aurait pu tout aussi bien y ajouter le texte de l’une ou l’autre de ses leçons inspirantes sur Hugo, le poète et le romancier. Je puis témoigner, moi qui ai suivi certains de ses cours et de ses séminaires, de son talent d’exégète de la

Fin de Satan et de Dieu, mais aussi de ces romans puissants que sont Les travailleurs de la mer et L’homme qui rit. Je pourrais en dire autant de

Balzac, de Stendhal ou même de Benjamin Constant, romanciers auxquels j’ai été initié par Robidoux, qui savait, grâce à l’enchantement de ses phrases proustiennes, lentement déroulées, nous faire pénétrer dans l’intimité de ces auteurs, sans nous farcir la tête de données biographiques et bibliographiques que tout étudiant se hâte du reste d’oublier, tandis que la véritable compréhension d’une œuvre la lui rend inoubliable.

« J’étais attiré par Gide, peut-être bien parce qu’il était prohibé », voilà la confidence que nous fait Robidoux, page 129. Il devait non seulement le lire, mais encore l’enseigner et même lui consacrer un livre : Le Traité du Narcisse (1978). Les questions qui suscitent l’intérêt de Robidoux, à la lecture de Gide, sont d’ordre moral et philosophique; elles ont trait aux rapports de la littérature — et de l’art — avec la vérité et la liberté. La religion, quant à elle, est une interrogation qu’il lie à Roger Martin du Gard et à Mauriac.

La production française, qui occupe la première moitié du livre, correspond, pour l’essentiel, à la première « période » de Robidoux, celle de la formation intellectuelle et des premières années d’enseignement (1948-1967). Au cours des années qui suivront, et qui sont celles de la maturité, il sera surtout sollicité par la littérature canadienne-française, devenue « québécoise » dans le sillage de la Révolution tranquille. Le véritable acte de naissance public de cette seconde « période » me paraît être l’emblématique Roman

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canadien-français du XXe siècle (1966), issu d’un cours professé en collaboration

avec André Renaud (en salle de classe à l’Université d’Ottawa et à la télévision de Radio-Canada), durant l’année universitaire 1964-1965. Bien sûr, Robidoux n’avait pas attendu cette occasion pour s’intéresser à la littérature d’ici. Six ans plus tôt, il avait fait paraître, dans la Revue

de l’Université d’Ottawa, un condensé de son mémoire de diplôme

d’études supérieures (Laval, 1957), consacré au mouvement littéraire québécois de 1860. Ce mémoire, confie-t-il, lui acquit « un certain renom de connaisseur, parmi les experts en antiquités de la seconde moitié de notre XIXe siècle littéraire » (258). En 1961, il publiait un article que l’on peut qualifier de retentissant, intitulé « Fortune et infortunes de l’abbé Casgrain », dans lequel il dénonçait la petitesse morale de celui qui se laissait volontiers coiffer du titre (un rien usurpé) de « père de la littérature canadienne », tout en s’enrichissant aux dépens des auteurs, grâce à l’institution des livres de prix dont il fut le premier à bénéficier. Ces « casgraineries » (pour reprendre le mot de Robidoux [259]), qui constituent le prodrome d’une importante œuvre critique, placent Robidoux au rang des pionniers de la recherche et de l’enseignement en littérature québécoise, officialisés, pour ainsi dire, par la création, en 1958, du « Centre de recherches sur la littérature canadienne-française » (devenu depuis le CRCCF, ou Centre de recherche en civilisation canadienne-française), dont il fut l’un des cofondateurs. Il le rappelle lui-même dans un des articles du présent recueil : « Le CRCCF et la littérature du trait d’union ».

Les auteurs de prédilection de Robidoux, dans le domaine québécois, ceux du moins auxquels il s’est le plus intéressé, se résument à quatre; mais, pour trois d’entre eux du moins, il s’agit de géants : Émile Nelligan, Félix-Antoine Savard et Gabrielle Roy. Robidoux se sent visiblement en communion avec leur sensibilité, et en particulier avec Gabrielle Roy, qui a tout sacrifié à la littérature, nourrissant son œuvre de sa vie même, fût-ce au détriment de sa famille et de ses amis : rarement vit-on engagement plus complet, confinant au sacerdoce. La fascination que cette romancière d’exception exerce sur Robidoux peut se mesurer à la place qu’elle occupe dans D’éloge et de critique : huit articles s’étalant sur près de trois décennies (1967-1992). Aucune monographie, cependant (encore que le présent florilège, par la forte

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unité d’inspiration qui le caractérise, s’en approche assez), contrairement au poète Nelligan, qui a eu droit, lui, à deux éditions critiques et à une belle synthèse (Connaissance de Nelligan), issue aussi bien de son enseignement que de recherches personnelles, auxquelles il a continué de s’adonner après son départ à la retraite, en 1989. Intimement lié à Nelligan et à son œuvre poétique, le poète et critique Louis Dantin eut droit, lui aussi, à l’attention de Robidoux, qui lui consacra un livre en 1997. Leurs rapports font l’objet de la note liminaire du chapitre consacré à Nelligan.

Mais il est un autre auteur que Robidoux a fréquenté et étudié pendant plusieurs décennies, tout à la fois professeur d’université, critique et romancier, dont la célébrité tapageuse des années 1960 et 1970 devait être bizarrement suivie d’un brusque purgatoire (qui perdure au delà de sa mort) : je veux parler de Gérard Bessette (1920-2005). Avec cet alter ego, Robidoux aura vécu, comme il le dit, en « symbiose », pratiquant « une critique d’identification, poussant le zèle mimétique jusqu’à [s’]approprier [...] [son] style » (393). Mais Robidoux a-t-il jamais fait autre chose que de s’identifier affectivement et formellement aux auteurs qu’il aura pratiqués, surtout en littérature québécoise? Pour se fondre complètement en Bessette, il ne lui reste plus qu’à devenir à son tour romancier.

Cette sympathie que Robidoux éprouve pour les écrivains qu’il élit et pour ses amis explique pourquoi la critique se conjugue volontiers, chez lui, avec l’éloge. D’où le titre de son recueil, qui fait la part belle au panégyrique, avec, dans le cas des discours officiels de réception à la Société royale du Canada, tout l’appareil rhétorique propre à la littérature encomiastique (textes 32-37). D’autres sont plus personnels, voire intimes (texte 17 faisant l’éloge de cet « animateur littéraire » hors pair que fut Adrien Thério, et texte 18, hommage senti à Jean-Louis Major).

D’éloge et de critique n’est pas, on le voit, un ouvrage homogène, et les

répétitions ou redondances n’en sont pas absentes. Mais tout au long de cette anthologie, formée de textes de nature diverse, certes, mais habilement structurés, se fait entendre une voix unique, reconnaissable

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entre toutes, au service d’une pensée qui se développe avec lenteur, en d’amples périodes comparables à un fleuve charriant un riche limon, destiné à fertiliser le sol de sa plénitude.

L’homme qui se tient ainsi, majestueux, au milieu de ces vivants et de ces immortels que sont les chercheurs renommés et les grands écrivains évoqués en ces pages ne devrait-il pas se sentir de la même glorieuse famille qu’eux? Pourquoi alors ce pessimisme, cet air sombre qu’affiche Robidoux dans l’Épilogue? Ne va-t-il pas jusqu’à clore son propos sur ces terribles vers de Hugo : « Ô Seigneur! Ouvrez-moi les portes de la nuit / Afin que je m’en aille et que je disparaisse! » Seul le départ à la retraite a pu justifier pareil moment de déréliction. On aimerait croire que l’important travail critique auquel il s’est livré depuis ce jour fatidique, et dont le présent recueil est le plus récent témoin, aura chassé ces nuages, en lui redonnant, à défaut de la sérénité, un nouvel élan créateur digne de tous les éloges.

Référence : Réjean Robidoux, D’éloge et de critique : études

littéraires, Ottawa, Les Éditions David, coll. « Voix savantes »,

2005, 464 p.

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