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Phi zéro ; vol. 6, no 3, Philosophie orientale

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(1)

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lafrenière, tao, homme et sociétê

jacques langlais, le bouddhisme et les orthodoxies:

bilan d'une contestation

jean grondin, la dissolution du sujet dans l'infinité

du soi de la pensée

(2)

COMITË DE DIRECTION

Pierre Bellemare, Muriel Buisson, Louis Faribault, François Fageau

COMITË DE LECTURE

Pierre Bellemare, Muriel Buisson, Louis Faribault, François Pageau Philippe Lapointe

CONCEPTION ET RËALISATION DES MAQUETTES: Pierre Cloutier

PHI ZERO est indexée dans le Répertoire analytique des articles de revue (RADAR)

Dépôt légal-Bibliothèque nationale du Québec _, ISSN 0318-4412

(3)

h

• ,

La

revue~8

1

Z C I O s1adresse

A

tous et en

partic~er aux étudiants de philosophie du

Qué-bec. Publiée sous la direction du Service de documentation du Dép~rtement de Philosophie de l'Université de Montréal, elle paraît trois fois par année.

Les textes dactylographiés devront être adressés à la revue

.phi

zélO,

ais SerV'ice de Documentation, Département de Philosophie,

Université de Montréal, Case Postale 6128,

Montréal, Québec.

(4)
(5)

sommaire

Denis Lafranière, Tao, homme et société. 5

Jacques Langlais, Le bouddhisme et les orthodoxies:

bilan d'une contestation. 45

Jean Grondin, La dissolution du sujet dans l'infinité

du Soi de la pensée. 71

Chronique 103

(6)

... ..,..,..;. • ,; ~ ·1 .. 5 ,•,

(7)

tao, homme

(8)
(9)

c:.ll.Qn

De leur époque, Lao-· tseu, Tchouang-tseu et Lie~ tseu ne sauraient évidemment représenter les uniques re- · présentants de ~e courant connu sous le nom de Taofsme; il est néa~~oins permis de les considérer comme un point de convergence où des enseignements éparpillés et parfois gros-sier ont trouvé une expression philosophique des plus éle-vées. Ayant vécu à cette époque lointaine où la Chine n'é-tait pas encore, mais bien sur le point de devenir un pays unifié, un Empire (221 av. J .c. ), ces personnages "litté-raires", et probablement aussi "historiques", ont donc été mêlés

à

l'effervescence intellectuelle et l'animosité d'une société en train d'accomplir,

à

~ravers de constantes et douloureuses guerres de principautés, une métamorphose que l'on doit bien appeler "Révolution". Or, c'est lorsque l'on saisit le degré éminemment tendu et mouvementé de l'existen-ce d'un individu dans l'existen-cette société soumise

!

des changements d'ordre socio-économique et politique majeurs et prolongés que l'on est frappé par l'originalité et le caractère mar-ginal d'une pensée comme celle de ces Taofstes.

(10)

Imprévisi-ble conm1e le Tao, cette pensée s'est attardée à des choses qui, c'est le moins que l'on puisse dire, ne suivaient pas le courant de l'époque. Qu'il s'agisse de Confucius, de ~fütsen, des Légistes, le centre des préoccupations intellec-tuelles gravitait autour de questions colll!~e celles de la na-ture de l'ordre social, du comportement civique, du rôle et du pouvoir du Prince ou de l'Etat. Pendant que ceux-ci s'é-vertuaient à clarifier le d::m:aine de l 'hurnain et du profane, voilà des individus qui s'adonnaient

à

cogiter sur la Nature et son mystère, tout en paraissant lever le nez sur l'agita-tion sociale, pour vaquer

à

des pratiques de méditation. Il faut toutefois se méfier un peu de ce cliché et ne pas exa-gérer 11 aspect "désincarné'' ou 11détemporalisé11 de leur dé0 marche. En effet, une étude un peu approfondie de leurs tex-tes permet de réaliser qu'ils étaient des hommes parfaitement de leur siècle malgré leur originalité et l'on retrouve chez eux des réflexions très en rapport avec leur contexte social. Très critiques

à

l'égard de leur milieu, ils ont voulu situer

l'homme dans la Nature plutôt que de l'isoler uniquement au sein d'une société h~"llaine: un certain anti-anthropocentris-me constitue peut-être la première marque d·e leur personnali-té intellectuelle. Cette mise en perspective de l'homme dans l'ordre cosmique comporte aussi un nouvel ajustement dans le rapport homme-société. Ils ont su,

à

ce propos, joindre une critique et un diagnostic particulièrement acerbe et auda-cieux à une solution dont les éléments, tout en exprimant une profonde sagesse 11naturiste11

, ont,

à

nos yeux et probablemelit aussi à ceux de leurs contemporains, quelque chose d'un peu na!f ou à tcut le moins utopique. L'urgence dans laquelle nous nous trouvons présentement, en ce XXe siècle, de trouver

les moyens de définir de nouveaux rapports homme-nature et, par voie de conséquence, homme-société dans une vision écolo-gique des choses et non plus seulement économique ou politi-que, -cet état d1urgence nous peTID.et donc d'apprécier aussi des solutions pouvant para1tre "nafves" et 11utopiques11 puis-qu'en de telles situations extrêmes les ressources d'une ima-gination audacieuse ne doivent pas être négligées.

(11)

de l'hUJYl~in, entre le Ciel, la Terre, et l'Homme, entra tous les êtr~~ et le Tao, voilà 11idéal tao!ste! L1

affirmation de l'unité du réel, voilà 11

essentiel du message de ces sa-ges. De là découlent toiJ.s les autres points, non pas de leur "système" puisqu'ils seraient les premiers

à

refuser d'être ainsi barricadés, mais bien plutôt d·e leur sagesse de vie. Leur cri tique d·~ la connaissance discursive au profit de l'intuition, leur refus d'une existence fragmentée en ac-tions sou1nises

A

11

arbitraire des règles et des ri tes pour ne considérer que la pure spontanéité recouvrée dans le Tao, leurs violentes attaques contre les effets néfastes d·e ce qu'ils appellent les artifices de la civilisation afin de marquer la nécessité du non-agir (wou-wei), tout ceci ne peut être vraiment bien compris qu'en regard de leur point de dé-part, c'est-à-dire l'unité absolue du réel, son harmonie in-time. Pourquoi certains commentateurs ont-ils trouvé dans le Taofsme des "Peres". l'indice d'un mysticisme de grande profondeur, si ce n'est

à

cause de l'insistance avec laquel-le ils convient

à

celui qui veut vivre selon le Tao de se dé-faire de tout désir déterminé, de toute volonté propre et mê-me de toute identité, du "je", afin de se confondre parfaite-ment avec l'Unité du Tout et ainsi mieux s'insérer dans l'ûr-dre cosmique. La liberté appartient alors

A

celui qQi a at-teint ce niveau d'accomplissement dans le Tao. Ni la vie, ni la mort ne doivent être e,.~visagées séparément car elles ne font qu'exprimer deux facettes successives d'une unique rélité. Vivre selon le non-agir, c'est éviter de rivaliser a-vec quoi que ce soit qui puisse représenter 1.m obstacle afin de permettre

!

ces jours de s'éteindre au crépuscule d'une vie et non prématurément. Ce thème de la longue vie sera da-vantage retenu dans le Taofsme ultérieur et se transformera par ailleurs en une recherche d·e techniques pour accéder

à

l'immortalité. Si la multiplicité des êtres se résorbe fina-lement d~ns l'indétermination du Tao, chaque être n'en de-meure pas moins tout

à

fait singulier. De plus, il n'existe aucune hiérarchie entre les êtres. Le Tao est partout, au-tant dans le brin d'herbe que dans le fwnier ou dans l'homme. La conception d~ la société, dans cette vision moniste des

(12)

10

choses, devra donc s'opposer radicalement

à

toute hiérchie sociale fondée sur une échelle de valeurs-purement ar-tificielle puisque la Nature elle-même pourvoit aux besoins du bon comme du méchant.

Le Taofsme appara1t comme la seule pensée ayant approfondi la métaphysique dans la chine anciennne. Tao-Kia

(école Philosophique du rao) est le nom donné

à

cette école constituée par Lao-tseu, Tchouang-tseu et Lie-tseu (quoique l'existence de celui-ci soit fort contestée). On a coutume d~ la distinguer du tao-kiao (religion taofste) qui s'est constituée plus tardivement mais qui devait marquer davanta-ge l'histoire de la Chin~, et ce jusqu'à nos jours. Celui-ci coillprend d1

ailleurs une énorme littérature réunie sous forme de canon, le tao-tsang (canon taofste),qui n1inclue pas moins de 1,464 titres.

Mon intérêt pour le Taofsme philosophique, malgr~ le fait que la religion taofste ait évidemment mieux réussi en Chine que celui-là, vient de ce qu'il représente à mes yeux un type de sagesse auquel l'Occident semble allergiqu•3 et dont la Chine a peut-être retenu davantage qu'on serait enclin à le croire. Si le Chinois est un être super$titieux, c1est aussi un être

de la terre, un pa.ysan qui entretient un lien serré avec l'ordre naturel. Son pragmatisme se trouve déjl fondé métaphysiqu0ement chez Tchouang-tseu. Le Chinois est humble. Qui mieux que Lao-tseu a jamais chanté les méri-tes de l'humilité? Toute la s11ges~e taofste réside en ceci qu'elle veut restituer l'homme au premier ordre auquel il ap-partienne, soit llordre cosmique, et lui faire éprouver ainsi un profond sentiment de liberté au sein d'une société scléro• sante et envahissante. Si l'homme vit en société, c1est d'a-bord un être de Nature. A l'encontre d'une existence formali-sée et stéréotypée sous le joug écrasant des conventions et habitudes artificielles de la société11civilisée11

, génératrice de guerres sanglantes et de calamités de tous ordres, le tao-fste propose

l~homme de renouer le contact avec cette Natu-re qui l'englobe et pourvoit

à

tous ses besoins afin d'appren-dre de celle-ci

à

vivre spontanément, sans artifices, avec une

(13)

"naturalité" qui lui pannette de côtoyer les autres êtres dans un harmonie rétablie. Or, pour les taofstes, tout se tient dans 1 JUni.vers. C 1 est pourquoi le contact avec le Tao, qui exprime selon e~~ le niveau le plus profond, le premier principe de la réalité, devra nécessairemen·c inspi-rer la conduite du Saint et par le fait même directement sur la société entière.

Cette brève étude cherche justement

à

dégager la pensée politique et sociale des textes de Lao-tseu et de Tchouang-tseu en ayant d'abord pris soin d'expliciter la

no-tion de Tao et son rapport à l'homme, afin de faire res3or~ tir la continuité et la cohérence qui existent entre ces di-vers plans. Si l'accent, chez Lao-tseu, est mis sur l'art, pour le Prince, de gouverner, et que chez Tchouang-tseu il soit par contre mis sur l'émancipation individuelle, on n1 insistera pas sur cette différence de "ton" entre les deux auteurs croyant que leur parenté est finalement plus fon-damentale.

1- Le Tao

"Le tao qu'on tente de saisir n'est pas le Tao lui-même; le nom qu'on veut lui donner n'est pas son nom adéquat. Sans nom., .il représente

i

1 origine de 1 J univers; avec un nom, il constitue la Mère de tous les êtres •••

Non-être et Etre sortant d'un ·fond unia que ne se différencient que par leurs noms. Ce fond unique s'appelle Obscu-rité."

(Tao ttl King, ch.l) (1)

Ces vers de Lao-tsea par lesquels s'ouvre le Tao ttl King nous fournissent déjà l'essentiel de ce qu1

11 Y a

à

savoir du Tao. Le Tao est ineffable, insaisissable, l'

(14)

origine de tout. Par sa Vertu (te) il est la "Mère de tous les êtres". Lui-même cependant ne peut être qu10bscuTité, une s.:>rte de "fond unique" indéterminé. Son unité, son ef-ficience et sa spontanéité se trouvent déj! affirmées. Les deux premiàres sont explicites, mais la spontanéité est im-plicitement formulée. Elle se déduit facilement. Si le Tao est un principe indéterminé, i l faut d0::mc que son efficience soit tout à fait spontanée, sinon i l faudrait admettre qu'el -le répond à un ensemble de détermininations déjà inscrites dans le Tao.

Bien qufil "représente l'origine de l'univers" le Tao ne doit pas être compris comme un Dieu créateur dist.inct de l'univers qu'ilcrée ex nihilo, c'est-à-dire selon la con-ception judéo-chrétienne de Dieu. Le Tao est un principe strictement immanent. Il constitue l'origine, mais! l'in-térieur même de l'univers.

Le Tao est un terme couramment employé dans la Chi-ne an-::ien:".le où on lui donnait le sens de Voie ou d'Ordre. Chez Lao-tseu, en plus des sens antérieurs, on en rencontre un nouveau. Non plus simplement principe d'ordre, c1est une réalité

à

l'origine de l'univers auquel il est antérieur, non pas au sens chronologique mais ontologique. "Il y a là une différence significative entre Tao et Taofstes et celui des autres écoles, même celle des Légistes, qui pourtant sont influencés par la métaphysique de Lao-tseu"(2). Une ques-tion peut alors être posée

à

Lao-tseu

à

savoir comment il peut, en même temps, déclarer te Tao ineffable, tout en le nommant constamment dans son texte. La réponse nous est don -née au chapitre 25. Lao-tseu y précise qu1il s'agit non pas d'un nom propre mais d'une dénomination utile. "Ne connais -sant pas son nom, je le dénomne 11Tao". Tchouang-tseu dira (ch. 25) que "le nom du Tao n'est qu'une h11pothèse gratuite." a) Son im:nanence

L'immanence du Tao dans la métaphysique tao!ste conduit

A

une vision non-hiérarchique du réel. Le Tao n'est ni une conscience, ni un Esprit régulateur gouvernant, dans

(15)

sa Transcendance, l'ensemble des êtres, tous 1 3 êtres. Le symbole de 11eau est ment utilisé pour le Tao.

Il est diffus dans d'ailleurs

fréquem-"Le Tao est

à

l'univers ce que les ruisseaux et les vallées sont au fleuve et

à

la mer."

(T.t.K., ch. 32)

Parce qu1"ll protège et nourrit tous les êtres sans qu'il en soit mattre, ainsi il peut s'appeler grandeur." (T.t.K., ch. 34) Cette façon d'envisager le pr3Jllier princi-pe du réel ne princi-peut manquer d'influencer considérablement la pensée sociale et politique, comme nous le verrons par la suite. Le Tao ne gouverne pas, il s'épand. C'est la raison pour laquHlle ne se rencontre aucu~1e discrimination en son sein. Un anecdote tirée du Tchouang-tseu (ch. 22) (3) il" lustre d'ailleurs fort pertinemment ce point.

"Tong-Kouo-tseu demanda

à

Tchouang-tseu: "0~ est donc ce que vous appelez le Tao? -Partout, dit Tchouang-tseu.

-Il faut le localiser, repartit Tong-Kouo-tseu.

-Dans cette fourmi; dit Tchouang-tseu. -Plus bas"/

-Dans ce brin d'herbe. -Plus bas"/

-Dans cette tuille. -Plus bas encoreî

-Dans ce purin, dit Tchouang-tseu." Tong-Kouo-tseu ne répondit pas."

Le Tao n'établit aucune différence de valeur entre un homme, un brin d'herbe ou du fumier. N'ayant pas d'affections hu-maines, "toutes les choses du monde lui sont COIIDile chien de paille." (T.t.K., ch.5) Ceci permet d'ailleurs une inter-prétatiQn plus juste des vers de Lao-tseu (ch. 25) ~ l'on serait tenté de voir une certaine hiérarchie dans l'univers.

(16)

14

"L'homme imite la terre. La terre imite le ciel. Le ciel imite le Tao.

Le Tao n'a d'autre mo~le que soi-m~e." Cet ordre exprime donc une gradation de différents niveaux d'inclusion et non une série de termes opposés ou hiérarchisés. Qualifier une telle pensée de panthéisme na-turaliste, cela est donc tr~s approprié. Tchouang-tseu, A cet égard, évacue toute équivoque en disant

A

propos du Tao:

11

11 engendre le ciel et la terre. Au-delA du fa!te suprtme de l'univers, il n'a pas de hauteur. En deça des six extrémités de l'univers, il n'a pas de profondeur ••• C'est par lui que la Petite Ourse et la Gran-de Ourse parvinrent

1

la fixité dans le fir-mament, par lui que le soleil et la lune as., ..

sur~rent leur mouvement perpétuel."

Englobant, universel et complet sont les grandes désigna-tions du Tao retenues par Tchouang-tseu. (4)

b) Son unité

Fond unique duquel sortei.ït le Non-Etre et 11Etre (T.t.~., ch.l), le Tao trouve son unité non pas seulement en ce qu'il est contenu dans les limites de l•univers, mais aussi en ce qu•il a une certaine essence. Malgré le fait qu'il soit fuyant et insaisissable, il faut lui concéder une quelconque essence vraie et efficiente de sorte que son uni

-té soit fondée sur l'invariabilité.

11Le Tao est quelque chose de fuyant et

d'insaisissable. Fuyant et insaisissable, il présente cependant quelque image, in-saisissable et fuyant, il est cependant quelque chose. Profond et obscur, il contient une sorte d'essence. Cette

(17)

sorte d'essence est très vraie et com-porte 11

efficience. Depuis l 'antiqui-té son essence n 1a pas varié. "

(T,t. K., ch.21)

Il y a certes une difficulté

à

maintenir le carac-tère indéterminé du Tao tout en lui prêtant "une sorte d'es-sence". Peut -être que la clé permettant de lever l 1 ambi-guité se trouve dans les vers du premier chapitre de Lao-tseu

où il distingue le Tao "sans nom" du Tao "avec un nom". Sans nom, c 1

est-à-dire indéterminé, ce serait là le Tao premier,

fondamental, .l 11

origine de l 1univers. Pour rendre compte

de la multiplicité des êtres produits dans cet univers il

faut cependant admettre un principe déterminant. L'expres-sion 11

Mêre de tous les êtres" para!t alors exprimer un

as-pect non pas premier mais second du Tao, c'est-l-dire sa ver-tu (TH) ou Efficience.

Quoi qu'il en soit, il sera toujours difficile de

concilier un Tao, Indétermination pure, avec l'idée que de lui émanent toutes les déterminations, même en faisant appel

au TH. Une chose demeure certaine toutefois, c'est que le Tao est un absolu impersonBel. (5) Le retour au Tao que le

saint tente d'effectuer par la méditation est un retour

à

la source de l'unité de la Nature. Si l'on découvre une forme

de mysticisme taofste

!

travers les textes de Lao-tseu et plus particuli~rement de Tchouang-tseu, elle repose sur cette

idée de l 1

Unité du Tout fondée 9Ur l 1Unité du Tao, Unité à laquelle l'homme peut finalement s'identifier pour déjà lui avoir toujours appartenu. "Qui va vers le Tao, le Tao l'ac-cueille." (T.t.K., ch. 23).

c) Son efficience

"Tous les êtres sont nés de lui sans

qu'il en soit l'auteur." (T.t.K., ch.34)

"Le Tao lui-~me n'agit pas et pourtant

(18)

16

Chaos originel "muet et vide", "indépendant et i-naltérable" (T.t.K., ch. 25), le Tao est l'origine de tout. Il ~ne toute chose

à

l'être sans toutefois conférer

A

au-cune son essence singulière. Comme nous l'avons vu, c'est le propre de la Vertu (Ttl) d'être "Mère de tous les êtres". L'historien de la philosophie chinoise, Fung Yu-lan,

pré-sente un peu différem:nent ce rapport du Tao et du Tti chez Lao-tseu.

"According to Lao Tzu, Tao is that by which all things come to be. In this

pro-cess' of coming to be, each individual thing obtains something from the universal Tao, and this something is called Te. Te is a word that means 11power11

or 11virtue11

, both in

the moral and non-moral sense of the latter term. The Te of a thing is what it natural-ly is ••• This is because Tao is that by which they come to be, and Te is that by which they are what they are." (6)

Le Tao produit tous les ètres sans agir. Son effi-cience n'est pas celle d'un auteur dont la volonté préside

A

l'apparition de ses oeuvres~ mais doit être perçue comme une sorte d'émanation spontanée et aveugle, une diffusion irradiante se déployant en une constellation d'êtres soumise aux mouvements alternatifs du Ying et du Yang, c'est-à-dire de l'aller et du retour au Tao. L'idée que le Tao tire son efficience de lui-même et que celle-ci ne soit en définitive qu'un processus involontaire, "désintéressé" de production des êtres singuliers sera reprise exactement comme telle dans la doctrine, désormais célèbre, du wou-wei ou non-agir chez le saint taofste en regard du gouvernement de celui-ci selon

le Tao. ·

d) Spontanéité

La longue et tortueuse histoire des traductions du Tao tti King permet l'observation d1un curieux phénomlne

(19)

con-cernant la notion de Tao. Des thèses contradictoires sur celui-c. tantôt le figent dans une éternelle immuabilité ou tantôt le projettent dans une perpétuelle inconstance. M. Etiemble nous donne un court aperçu de ces débats philologi-ques et philosophiphilologi-ques dans la préface qu'il a faite au Tao tH King dans la traduction de-Lieu Kia-hway. (7) Etant don-né qu'il ne nous appartient pas de trancher ce débat, nous laisserons donc de côté la question de l'immuabilité ou de l'inconstance du Tao pour ne retenir que son caractère de spontanéité.

Les changements qui s'opèrent dans l'univers ne répondent

à

aucune "intention créatrice" mais sont le fruit d'une mouvance perpétuelle "laissée ~ elle-même".

"C'est par le sans-désir et la quié-tude que l'univers se règle de lui-même.11 (T.t.K., ch. 37)

Par ces mots, Lao-tseu affirme donc que tout dans l'univers se produit de façon harmonieuse ("se règle de lui-même") bien que cela se fasse "par le sans-désir", c'est-à-dire tout

â

fait spontanément. Harmonie et spontanéité sont in-dissociables. La naturalité exprime alors la dynamique de tout être s'inscrivant! l'intérieur du flux incessant des changements que conna1t l'univers dont l'harmonie se main-tient constamment.

II-L'homme et le Tao

La société des hommes a perdu le sens du Tao. L' unique façon pour elle de retrouver son sens naturel sera de se défaire des entraves de la culture: l'homme spontané pré-serve l'harmonie de son milieu. Les Taofstes répudient les manifestations culturelles non directement reliées

à

la sa-tisfaction des besoins primaires. Selon eux elles menacent l'homme en ce qu'elles ont tendance ~ s'ériger en absolues et par le fait même

l

oppresser celui-ci.

(20)

Cette position prend donc le contre-pied de la con-ception de l'homme de Confucius (K'ong fou-tsau). La vertu

confucéenne par excellence est rendue par l'idée de Jen qui

signifie :n.al.trise de soi et conduite rationnelle, c1

est-A-dire salon les normes inscrites dans les rites et les règles.

Confiant en la bonté de la nature humaine, il croit néan-moins qu1

il faille se méfier de la spontanéité et des ini-tiatives personnelles, préférant soumettre celles-ci à

l'en-cadrement des normes, Le respect des hiérarchies est donc de première importance pour lui,

Aussi, pour les taofstes, le terme Jen ne

repré-sente-t-il en fin de compte que l'artifice humain, la pure-"

invention humaine détachée et par conséquent opposée au T1

ien qui ezprime l'idée de Ciel, de Nature et qui qualifie les

dons innés et les tendances naturelles, Le sinologue

fran-çais ~iarcel Granet voyait d'ailleurs dans cette opposition

fondamentale le point central de la doctrine de Lao-tseu et Tcnou.a.ng-tseu,

"L'opposition du T'ien et du Jen (qui

est non pas 11hum~n, mais le social et le civilisé) est le centre de la doctrine de

Lao-tseu et de Tchouang-tseu. Elle diffère

e.nti&rement d1une opposition entre le divin et l'humain. La méditation, ni même l'ex-tase, ne visent pas

à

donner accès

à

une sagesse transcendante. Elles révèlent

à

l'homme ce qu1il est, ce qu'il peut

demeu-rer, si la civilisation (Jen) n'oblitère

pas en lui le Tao, le Ttl, le T1ien, c1

est-à-dire son essence propre (sing), pure de

toute contamination," (8)

En ~ffet la méditation Taofste n'est rien d'autre qu'une recherche d'autonomie, Or, étant donné que seul le Tao est vraiment autonome, la méditation du saint Taofste

vise uniquement

à

réaliser la complète identification de ce-lui-ci avec le Tao. La mystique Taofste, qui n'a rien de

(21)

spirituelle par ailleurs, se résume donc en un mouvement de retc r au Tao. Par ce retour, le saint redonne

à

son être "son unité, sa simplicité, sa vacuité1'(9). L'ataraxie, dans cet optique, prend la forme d' u~1 "quiétism.e naturaliste••( 10).

L'idéal humain, tel qu'il peut s'articuler

à

tra-vers les attitudes de vie sur lesquelles les Taofstes sem-blent avoir le plus insisté, trouve sa parfaite expression dans la féminité, L'homme du Tao cherche

à

reproduire les différent~ traits caractéristiques de la féminité. A elle seule, cette position constitue une véritable révolution dans les moeurs do: l'époque, tout imbue qu'elle était alors des valeurs guerrières de la virilité.

"Préserver en soi la simplicité et 11 u~1i­

té du Tao; comme lui, ressembler

à

une vallée; se savoir comme lui mâle et femelle, yang et yin_. c'est-à-dire être universel, mais choisir dans cette double virtualité la féminine, car en dépit des apparences elle est la p1.us effi-cace: ces conseils devaient surprendre comme des paradoxes oucrecuidants. En exaltant la féminité, Lao-tseu prenait en effet le contre-pi~d des idées reçues. Dans la hiérarchie des valeurs féodales, les masculines étaient les plus honorables, alors que les féminines é-taient tenues pour inférieures" (ll).

Une chose toutefois commande et guide l'ensemble d~s réfl~;dons sur l'existence de l'homme dans tous les tex-tes des auteurs Taofstex-tes. Leur premier souci

à

l'égard de l'hom~e est de lui assurer une vie libre et longue. Ecarter le plus soigneusement possible toutes les causes directes ou indirectes d'atteinte

à

la vie et la liberté de l'hom:ne, voi-là la 3~gesse toute ramassée de ces penseurs. Si l'on trou-ve chez eux une interrogation métaphysique, celle-ci n'était certes pas abordée pour elle-même, mais elle devait servir plutôt

à

l'approfondissement, dans l'ordre pratique d'un art de vivre, Le saint n'a pas d'autre programme que celui

(22)

de traduire, en 11 incarnant, le sens du Tao.

"Qui fait un avec le Tao vivra longtemps. Jusqu'à la fin de sa vie, rien ne saurait 11 atteindre". (T.t.K., ch. 16)

Cette préoccupation de préserver la vie en évitant tout ce qui la menace est

à

la base de leur art de vivre. Toutes les vertus qui vont être privilégiées ensuite ont pour fonction d'assurer

à

l'individu une longue vie.

Ainsi, ••• "The wise man of Tao should follo~ the natural w~y by cultivating the Taoist virtues (tê) such as wu-wei (non-ac-tion"), spontaneous naturalness, simplicity, tranquility, impartiality, selflessness, hu-mili ty, tenderness, nondesir~ noncompeti tion, nonpossession and nonknowledge " (12).

La question, dès lors, n'est pas d'échapper

à

tout prix

à

la mort. Celle-ci est inévitable dans un univers ré-gi par le mouvement d'alternance du Yin et du Yang. Il s'a-git simplement de faire en sorte que la sentence ne soit pas exécutée prématurément. C'est plus tard, alors que les re-cherches de techniques d'immortalité prendront le dessus, qu'on perdra la sénérité face

à

la mort qui caractérisait un Tchouang-tseu, entre autres.

a) Won wei

"Pratique le non-agir, tout restera dans l'ordre". (T.t.!<., ch. 3)

Tout dans l'univers est embrassé par le Tao. Rien ne saurait lu:l échapper. Philosophie du changement, le Tao-rsme insiste toutefois sur l'harmonie qui lui préside. Au-cun être par conséquent qui ne subiss~ 1.!i loi du change;nent, comme d'ailleurs aucun être qui n'appartient

à

l' ord1·0

(23)

l'hom-me sinon que de s'immiscer complètel'hom-ment dans la vague du Tao

et dter épouser tour

à

tour les creux et les cimes? La seu-le façon de préserver l'ordre naturel est de TI~ pas le

faus-ser. Par le non-agir, le saint est confiant de ne pas trou-bler cet ordre. Cette logique pouvant paraitre de prime

a-bord légèrement simpliste, il convient d'élaborer davantage

cette doctrine d·..i wou-wei que certains ont interprété cormne un canonisation du fatalisille le plus grossier.

Il est important de noter immédiatement le motif supérieur qui justifie la doctrine; le maintien de l'harmo-nie universelle. Le non-agir prend alors le sens, non d'un épais croupissement dans l'inaction, mais de l'action qui atteint au maximum de l'efficacité parce qu'elle est

à

pro-pos et ne fait obstacle

à

rien. Remplir sa tâche

complète-ment et comme il se doit, c'est-à-dire sans la déborder, ce

qui serait succoillber

à

l'ambition. 11L

'oeuvre une fois accomplie, retire toi, telle est la loi du ciel". (T.t.K., ch.9)

"Produire et faire croître, produire sans s'approprier, agir sans rien attendre, guider

sans contraindre, c'est la vertu suprême'!.

(T.t.K., ch 10) L'action désintéressée correspond donc au wou-wei.

Ce n'est pas tout. Le wou-wei, en ce qu'il réfère au Tao, d-evient par le fait même efficace et généreux comme lui.

"Par le non-agir'.· il n'y a rien qui ne se

fasse. C'est par le non-faire que lton gagne l'univers. Celui qui peut faire ne peut gagner l'univers." (T.t.K., ch. 43)

"Le saint se garde d 1

amasser; en se

dé-vouant

à

autrui, il s'enrichit, après avoir

tout donné, il possède encore davantage. La voie du ciel porte avantage sans nuire; la ver-tu du saint agit sans rien réclamer."

(24)

22

Le non-désir bénéficie

à

celui qui sait se con-tenter de peu. Frugalité et simplicité profitent davantage que tout ex~ès puisque tout excès risque de diminuer les chance~ de longue vie. En effet, pour vivre longtemps, il faut menager sa santé en ne la sacrifiant pas au renom ou

à

la fortune.

" le saint évite tout excès tout luxe et toute licence." (T.t.K., ch. 29)

"Pas de plus grande erreur que d'approu-ver ses désirs. Pas de plus grand malheur que d'être insatiable. Pas de pire fléau que l'esprit de convoitise. Qui sait se borner aura toujours assez." (T.t.K., ch. 46) En fin de compte, le non-agir ne vise rien d'autre que d'éviter l'action contre-nature, celle qui veut modifier l'ordre des choses en le forçant. Agir selon ses inclinai-sons, sp·:mtanément, en réponse

à

ses talents innés, avec mo-dération et sans éclat, voilà en quoi consiste surtout le non-agir. Il signifie aussi l'action sans artifice et non

arbitraire. L'action doit donc se conformer à la limite de son motif sinon elle dépasse ce qui la justifiait et accom-plit un su1~plus inutile qui, plus souvent qu 1 autrement, , tourne en désavantage. Voici d'ailleurs une illustration fort intéressante

à

ce propos.

"A well-known Chinese story describes how two men were once •-;ompeting in drawing a snake; the one who ~ould finish his drawing first woi.lld win. One of them, having indeed fini-shed his drawing, saw that the other man was

still far behind, so decided to improve it

by adding feet to his snake. Thereupon the the other man said: You have lost the compe-tition, for a snake has no feet. "This is an illustration of over-doing which defeats

(25)

Pour ce qui est de savoir com~ent ces penseurs Taofstes mettaient en pratique leur doctrine du wou-wei, on croit ~Je la plupart vivaient cachés et se réfugiaient dans les montagnes sauvages, car ils refusaient de participer

à

la vie pu.'.)lique. D'autres cependant seraient deme..irés pay-sans ou simples pêcheurs (14). Encore faut-il se méfier du primat qu'ils paraissent accorder au bien-être individuel. Ils ne prêchent pas un individualis;ni= radical, insistant da-vantage sur l'unité du monde et croyant par conséquent

à

la communion et

à

la communication intime entre les êtres. D'ailleurs, "ils ont un vif sentiment de l'égale dignité de toutes choses" (15).

b) Le non-savoir

Il y aurait énormément de choses'à dire

à

propos de la position taofste vis-à~vis la connaissance. Malheu-reusement, faute de préparation et aussi parce que ceci ne concerne pas directement l'objet de cette étude, nous nous contenterons de quelques com~entaires nous paraissant plus pertinents.

Les attaques des Taof stes contre le savoir concar-nen t d'abord et avant tout la scolastique confucéenne, mais ne signifient point le rejet de toute forme de connaissance. Entre la pensée discursive et l'intuition, ils ne veulent retenir que celle-ci car 11 autre comn1,et l'erreur, selon eux,

de morceler en idées nettes et incompatibles l'indivisibili-té concrète, et la conséquence de ce morcellem•=nt dans la pensée est d'instaurer un morcellement dans l'agir. L'éla-boration d'un système codifié de règles de conduite basé sur une échelle de valeurs est une aberration et une menace très grave parce que reposant sur l'artificiel et l'arbitraire. Seule l 1 intuition d•::mne 11 acc~s au Tao et favorise par le

fait même le maintien de l'harmonie universelle.

"Contrairement aux i::;onfucianistes qui font de l'étude un des fondements de leur moralet Lao-tseu condamne le savoir et, en premier lieu,

(26)

cette fausse science des valeurs qu'enseignent

les moralistes et ritualistes. Ceux-ci

pré-sentent comme absolues des valeurs qui sont

aussi relatives que les notions d~ court et de long" (16).

11!_,' intelligence et le savoir entraînent le grand artifice," (T,t.K., ch, 18)

"!_,e monde n'a pas de normes, car le

nor-mal peut se faire anornor-mal et le bien peut sa transformer en monstruosité~' (T. t.K., ch. 58)

"La vie humaine est limitée; le savoir savoir est illimité. Qui subordon1e sa vie limitée

à

la poursuite de savoir illimité va

à

l'épuisement ; épuisé, il veut savoir encore et meurt ainsi d' épuissement~' (T- t,, ch. 3)

"Ton âme peut-elle embrasser l'unité sans jamais s'en détacher?" ...

'Teut-tu purifier ta vision originelle jusqu'à. la rendre immaculée?11

, • •

"Peux-tu tout voir et tout conna1tre sans user de l'intelligence?" (T,t.k. ch. 10)

"Le saint n'adopte aucune opinion ex -clusive et s'illumine au ciel." CT .... t., ch. 2)

Tolérance et ouverture d'esprit sont les fruits

attachés au relativisme des Taofstes par le dépassement de toute affirmation catégorique et de toute négation tranchée. L'ignorance taofste a le sens de la simplicité et de

l'inno-cence de l'enfant. Ignorer pour le saint consiste essentiel-lement

à

oublier, unique moyen pour être vraiment disponible

au flux changeant de la réalité.

Joseph Needham a caractérisé le typ.e do: connais-sance du Taofste c01mne étant féminine

à

l'op:;>osé de la con

(27)

"Confucian knowledge was masculine and managing: the Taoists condemned it and sought af ter a feminine and receptive knowledge which c0uld arise only as the fruit of a passive and yielding attitude in the observation of Natu-re." (17)

Il faut absolument savoir apprécier la perpicacité et le sens prophétique des réflexions de Tcho1.1ang-tseu

à

pro-pos des dangers que l'intelligence ingénieuse de l'homme ris-que de faire courir

à

l'ordre naturel par de illalencontreuses interventions dans le cours des évènements naturels. Ces mots nous viennent d'un penseur du IVe siècle avant notre ère, alors que le mot"écologie" n'existait pas encore.

" ••• l'ex!:'.ès d'intelligence met du désor-dre dans le rayonnement de la lune et du so-leil, effrite les montagnes, dessèche les fleuves et perturbe la succession des quatres saisons. Ces maux vont déranger même les vers craintifs et les insectes minuscules

dans leurs habitudes propres. Quél désordre l'amour de l'ingéniosité n'apporte-t-il pas dans l'univers? ••• Les excès de l'intelli-gence et de l'action ont pertubé le monde."

( T-

t.,

ch. 10)

Bien qu'il n'ait pas donné lieu

à

l'éclosion d'un mouvement scientifique comme tel, le Taofsme philosophique a néanmoins été l'inspirateur, en encourageant l'observation de la nature, "non seulement des arts graphiques, mais encore celui de nombreuses techniques." (18)

III- La société et le Tao

Une démarcation très profonde se creuse entre les visions confucéenne et taorste de la société: toutes deux cepandant réagissent

à

une situation sociale qu'ils j~gent nécessaire de transformer.

(28)

26

L'époque de Confucius en est une de décadence. L'ordre traditionnel et ses idéaux ~ont menacés. Confucius

trouve sa vocation dans la tâche de sauver l'héritage des anciens. Il propose le renforcement de la 3ociété féodale dont la base de fonctionnement doit être le respect et la p~atique des règles coutumières et religieuses, ceci afin d'assurer t'équilibre et la stabilité entre les seigneuries~

L'ordre social est foncièrement hiérarchique. La paix so-ciale résulte alors du strict respect de cette hiérarchie. Dans cette vision, c'est donc l'organisation sociale qui est privilégiée et qui assure le bonheur de l'individu. L'ordre prime et l'individu doit s'y subordonner, d'ailleurs pour son plus grand bien. Cet ordre correspond

à

un type de civi-lisation: celle de l'époque archafque. Confucius .;:onserve

à

cet égard une conception utopique de l'histoire. Un Pla-~ ' f d •

ton, en Grece, era e meme.

L'époque de Lao-tseu et de Tchouang-tseu est déchi -rée par de nombreuses guerres entre les différentes princi-pautés qui composent alors le territoire chinois. Comme tou-jours, les frais d'une guerre pèsent davantage sur le pauvre peuple que sur les haut placés. Sans nul doute que la situa-tion des paysans devait être particulièrement misérable, d' autant plus que le pouvoir devenait alors de plus en plus autoritaire. Les fruits d'une victoire n'étaient sûrement pas répartis dans le peuple. Ils devaient grossir les tré-sors du prince et profiter ainsi

à

ses quelques proches, u-niquement, Ce contraste entre la détresse du p·euple d'une part, et la position confortable des autorités d'autre part1

est

à

l'origine des principales critiques des Taofstes.

"La cour est bien tenue, mais les champs

sont pleins d'ivraie et les greniers sont vides,

Se vêtir de robes brodées, se ceindre d'épées tranchantes, se rassasier de boire et de manger, accumuler des richesses, tout cela s'appelle vol et mensonge et ne relève pas du Tao."

(29)

"Le peuple est affamé parce que ses diri -geants l'accablent d'impôts. Voilà ce qui l' affame. Le p·auple est indocile parce que ses dirigeants sont trop entreprenants. Cela le rend indocile. Le peuple méprise la mort parce que sa vie est trop dure. Ce qui fait qu'il méprise la mort. Seul celui pour qui la vie n'est pas trop dure peut apprécier la

vie.11 (T.t.k., ch. 75)

Désillusionnés sur les bienfaits de la société féodale transformée en véritable tyrannie et éprouvant la nécessité de retrouver un mode de vie simple, paisible, con-sacré d'abord

à

la satisfaction des besoins élémentaires, les auteurs taofstes n'y sont pas allés

à

coup de nuances ou des suggestions légères de réforme, mais ont voulu, pour 1 'homme et l.3. société, un revirement radical de persp·ecti ve au plan des moeurs et de l'organisation sociale.

"Lao Tzu's naturalism led him to the con-clusion that all unnatural things such as war, taxation., punishment, (secular) knowledge, ce-remonies, social conventions, and human mora-l i ty should be condemned or discarded." (19) Tout cet artifice, en fin de compte, au lieu de procurer le bien-être des gens, les enferme dans un carcan optJressif et abusif. Les rites et le savoir ne font rien d'autre que diviser les hom~es entre eux. La hiérarchie so-ciale et le respect des valeurs qui la maintiennent aboutis-sent en division de classes et permettent

à

un tyran ambi.;.. tieux le plonger le peuple dans les affres de la guerre se-lon son gré du moment.

Y a-t-il vraiment quelque chose de plus nécessaire que de manger, se vêtir et s'abriter? A cette question, les Taofste ont répondu simplement: non! Tout la reste est

con-tre nature et joue finalement concon-tre l'homme. La société féodale est donc formellement condamnée par les Taofstes

(30)

qui n'y voient qu'usurpation camouflée sous une soierie de conventions hypocrites. voyons ce qu'en dit Tchouang-tseu.

Et encore:

"Petit voleur est arrêté; grand voleur est fait feudataire; à la porte du feudataira affluent les défenseurs de l'htr:nanité et de la justice. Siao-po, le duc Houan de T'si tua son frère aîné et épousa sa veuve, mais Kouan Tchang consentit

à

devenir son premier

minis-tre. T'ien Tch'eng-tseu assassina son prince et s'empara de la pLincipauté de Ts'i, mais Confucius accepta son cadeau de soierie. En

théorie, les lettrés méprisent les usurpa-teurs; en pratique ils s'abaissent devant

eux." (T.t., ch. 29)

"Qui vole une agrafe est mis à mort; qui vole un~ pLincipauté en devient le seigneur, les gardiens de l'humanité et de La justice vivront sous sa protection. Cela ne prouve-t-il pas qu'on vole avec la bonté et la jus-tice, la sagesse et la prudence? Ainsi, ce-lui. qui marche sur la trace des bandits par-vient

à

rallier les seigneurs de son temps, à voler au nom de la bonté et de la justice, à s'approprier le boissaau et des dix bois-seaux, la balance et les poids, les contrats et les sceaux ••• " (T.-t., ch. 10) C'est donc toute la société avec ses institutions qui est mise en cause puisqu'à sa tête se trouve un prince qui n'a pu parvenir là que grâce

à

des machinations pour l'u-surper. Le meilleur voleur, voilà celui qui peut gouverner! Comme critique du pouvoir politique c'est tout de même un peu fracassant. La soluti6n:qui vient ensuite l'est d'ailleu=s tout autant.

(31)

"Anéantissez la sainteté et rejettez la prudence, il n'y aura ~lus de grands voleurs. Jetez les jades et détruisez les perles, il n'y aura plus de ?etits voleurs. BrGlez les con~ trats et cassez les sceaux, le peuple rcdevi~n­

dra simple et frustre. Fendez le boisseau et brisez la balance, les gens ne se disputeront plus. Abolissez les institutions des saints rois, le peuple deviendra raisonnable."

(T.-t., ch. 10)

Aussi déconcertante et d 1 apparence si p·au rés.liste que puisse para!tre cette position, elle cadre parfai tem·ent avec la métaphysique qu'ils abhorraient. En effet, comme on a vu précédemment, spontanéité et harmonie sont indissocia-bles dans le Tao. La société elle-même n'échappe pas

à

cette logique tant et aussi longtemps que les hoillilles qui la compo-sent vivent selon le Tao. C'est ainsi par conséquent que l'on peut situer l~ véritable point de divergence des conceptions confucéenne et taofste de la société. Ce n'est plus l'ordre social qu'il importe de définir au préalable afin de s'y con-former ensuite, mais ce qu'il faut faire, c'est ne rien fai-re! Astreindre les individus

à

adopter un comportement tout défini d'avance afin de préserver un "ordre" arbitrairement imposé, ça ne marche plus et ça ne peut plus durer. C'est chaque homme qui doit fa,;:onner la société et non le contrai-re. En agissant spontanément, les homnes sauront par le fait même mieux harmoniser leurs rapports, tout à fait comme le font les astres dans le ciel. Or, l'harmonie taofste n'est pas conçue comme hiérarchisée. Au contraire, l'univers, par-ce qu'il n'a pas d'affections humaines, n'établit paa de dif

-férences entre les êtres. Les Taofstes s'en prenaient donc

à l'eKistence des différenciations sociales, aux classes

so-ciales. Tchouang-tseu évoque à ce propos "l'art de vivre tel qu'on le pratiquait au temps de l'indistinction primordiale." (T.-t., ch. 12), Voulant montrer par là que les hommes

à

11 origine ne connaissaient pas un tel désordre. Cette réfé-rence à un autre type d'existence sociale para!t fondée

(32)

rencon-trait encore, sur la côte orientale du pays, de ces ~etits groupes de paysans ayant une o:rgani~ation s·::>ciale tres élé-m~ntaire et peu différenciée en regard de la complexité de la société

à

laquelle appartient Tchouang-tseu. Sans nul doute insp~ré par ces exemples, celui-ci préconisera une so-ciété égalitaire, comme d1ailleurs Mtltseu

et Lao-Tseu avant lui. Egalitaire ne signifie pas pour autant uniformisante puisque chaque être doit accomplir son propra "ttl'·.

1~a

voie du Ciel ••• abaise ce qui est en haut et élève ce qui est en 0as; elle enlève ce qui est en trop et supplée

à

ce qui manque. La voie de Ciel enlève l'excédent pour compen-ser le manquant. La voie de l'hom:ne çst bien différente: l'homne enlève à l'indigent pour l'ajouter au riche. Qui peut donner au monde son superflu sinon celui qui possède le Tao?"

(T.t.k., ch. 77) 1~a

nature du peuple ne varie pas. Il tisse pour se procurer ses vêtements; il laboure pour se procurer ses nourritures. Cette caractéris-tique est commune à tous. Elle est égale et sans privilège ••• à cette époque aussi les

hom-mes cohabitaient avec les oiseaux et les

qua-' • ' • l

drupedes et vivaient cote a cote avec tous es êtres. Ainsi, comment aurait-on distingué le gentilhommme du bas peu-pla? Egalement igno-rants, ils vivaient selon leur propre vertu. Dép~urvus de tout désir artificiel, ils étaient simples comme la soie écrue et le bois brut. Une telle simplicité caractérise la nature

fondamentale du peuple." (T.-t., ch. 9) Reprenant les idées du chapttre 80 du Tao ttl King, tchouang-tseu précise encore:

"Ne connaissez-vous pas l'époque où régnait la vertu supérieure? ••• En ce temps-là, les

(33)

hom-mes faisaient usage de cordelettes nouées; ils trouvaient savoureuse leur nourcitur~; beaux leurs vêtem•:nts, agréables leurs coutumes, con-fortables leurs habitations. D1u1e principau-té à l'autre voisine, les gens pouvaient sia

-percevoir, entendre le chant des coqa et l'a-boiement des chiens; ils mouraient de vieil-lesse sans être jaœais entrés en relations. En ce te:nps- là régnait un ordre parfait. 11

(T.-t., ch.10)

L'idéal taorste ast ici très bien présenté. L'or-ganisation sociale la plus simple est celles de petits villa-ges paysans autonomes. Elle est la plus compatible avec le souci d'une existence simple, sans luxe.ni excès, spontanée, naturelle et favorisant des liens d'égalité entre les hommes. Agricole et non féodale, elle correspond

à

la société d'avant l'âge du Bronze en Chine. Cet idéal représente assurément une réaction "contre la montée des pouvoirs autoritaires au sein des Etats bureaucratiques en formation

à

l'époque trou-blée des ~oyaumes combattants" (20). Quant

à

la dernière partie du texte, celle qui traite du type de voisinage entre les principautés, on peut difficilement comprendre

à

premiè-re vue la portée et la signification exacte de ces paroles. Joseph Needham propose une explication qui ne manque pas d' intérêt et qui pourrait s'avérer très juste étant sonné qu'

elle reste tout

à

fait dans la ligne de la pensée sociale

taorste. Ces mots, d'après lui, seraient une façon indirec-te de rejeindirec-ter la société féodale ainsi que l'expression de leur antipathie vis-à-vis des marchands.

"••• the only occasions on which the people from a country would have needed to go to ano-ther in ancien Taoist times would have been ·~o

buy and sell; or to make war under the leader-ship of one of the feüdal lords. This passage gives the clue, therefore, that the Taoists were the spokem·en of some kind of primitive agrarian collectivis;n, and were oppos~d to the

(34)

feudal nobility and to the merchants alike" (21). Par cette critique de la société féodale, les

Tao-fstes n'excluent pas automatiquement toute forme de

gouver-nement. Seulement, celui-ci sera très particulier. Il faut bien qu'il y ait un gouvernement, mais il doit être discrè-tem~nt exercé, de telle sorte que le peuple ne se sente pas dirigé. Le meilleur gouvernement, c'est celui que l'on voit le moins.

IV- Le gouvern~ment du saint

De Confucius, Lao-tseu retiendra l'idée qu'un sage doit se trouver

à

la tête d'un état et que ce sage ne peut

réussir à bien remplir sa tâche qu'à la condition de veiller à son propre p·arfectionnement individuel. Àlors que le pre-mier mettait l'accent sur le dévouement auprès du peuple, dévouement concrétisé en u.ne multiplication des interventions sociales du prince, celui-ci préfère servir le peuple en ré-duisant le plus. possible les interventions du gouvernant. Gouverner selon le wou wei, c'est adopter une politique du

"laisser-faire".

Une telle position risque d'être bien mal comprise

si l'on ne prend pas soin de dégager au préalabl8 l'idée, que se faisaient les Taofstes, de l'homme naturel. Pour eux, l'hor.une naturel qui vit selon le Tao et qui suit l'ordre du Ciel ne peut qu'entretenir 1.111 rapport pacifique et harmonieux

avec les itres qui l'entourent. Les troubles et les conflits entre les hommes découlent du fait de leur abandon du Tao. Le bonheur d 1 un individu

réside dans 11 épanouissemen

·c total

et spontané de son ttl, c'est-à-dire de sa singularité et de

sa nature profonde. Permettre la libre expression des

qua-lités in~ées de chacun au sein même de la société

à

laquelle

il appartient, voilà ce qui doit guider par conséquent

l'ar-ticulation du rôle de celui qui désire gouverner selon le

Tao. A cet égard, je crois qu'il n'est pas tout à fait

jus-te de dire, coI!L'Ile Marcel Granet, que "ni l'idée d'oeuvres

(35)

la politique taofste" (22), bien qu'il ait raison d'insister sur le fait que les Taofstes privilégiaient l'épanouissement du sa_,1t pour lui-même. Si les Taofstes ont combattu si violemment le féodalisme, c'est assurément

à

cause du tort qu'il infligeait au peuple. Très profondément touchés et bouleversées

à

la vue des misères de la plus grande partie de la population, ces p·enseurs ont cherché un fond•ement mé-taphysique

à

leur "anthropologie", qui soit tel qu'il puisse redonner

à

tout hom111e sa véritable dimension et 11

affranchis-se par le fait même d'une forme particulière d'esclavage. Ils ont voulu briser les chatnes d'un certain ordre social en révélant

à

tout homme sa dimension proprement cosmique. Chaque homme débord•:! infiniment les limites attachées

à

sa fonction strictement sociale, limites qui le condamnent en-tre auen-tre à êen-tre parfois considéré comme un simple rouage. Les taofstes ont dénoncé l'hypocrisie des conventions et des rites qui étaient censés accorder l'ordre et la paix

à

la société et aux hommes parce qu'ils n'acceptaient pas que la liberté puisse être ainsi assujettie à autre chose qu'à l' ordre cosmique. Leur attitude, en fin de com?te, est animée d'un profond respect et d'un esprit résolument généreux et bienveillant vis-à-vis les hommes. En ce sens, ils se rap

-prochent énormément de l'altruisme généralisé d'un Mtltseu dont l'influence sur eux est d'ailleurs indéniable. Il est tout à fait évident qu'au niveau de leur pensé sociale et politique ils n'ont pas pu ou pas voulu faire abstraction de toute affection. Au contraire, quoiqu'ils en disent, le Tao apt>aratt p·aut-être finalement comme très "humain" en ce sens qu'ils l'ont conçu de telle sorte qu'il justifie par la sui-te l'agir humain ~épondant aux valeurs de la tolérance et de la générosité.

On a ~arfois négligé de discerner à travers les textes taofstes une véritable pensée politique et social~ ne retenant d'eux que le souci de l'émancipation du Saint.

' ' ... d 1 .. 1

Vouloir les reduire a ceci perŒet peut-etre avancer, a a suite de Henri Maspero, que "dès l'origine, le Taofsme a été une doctrine du salut individuel qui prétendait conduire l' adepte

à

l'innnortalité" (23), oubliant tout de même que "la majorité des aphoris~es du rao-ttl-King sont des recettes de

(36)

gouvernement~ (24) , et parlant d'immortalité là où il fau-drait plutôt dire "longue vie".

Laissons donc les textes nous dire eux-même ce qui s'y trouve. D'abord, voici les deux conditions posées par Lao-tseu

à

un "Irai gouvernement.

"Peut-tu aimer le p·~uple et gouverner

l'état par le non-agir?11 CT.t.k., ch. 10)

Aimer ici prend le sens de favoriser généreusement chacun, ne porter préjudice

à

auci.ln. La meilleure garantie p-:>ur ce faire étant le non-agir, c'est-à-dire "laisser-faire" la libre spontanéité des ;tres en évitant les actions pouvant y porter atteinte. Le saint, en s'approchant du Tao, doit inévitablement devenir comme l'eau qui "favorise tout et ne rivalise avec rien.n (T.t.k., ch.8). Rendu là, sa position ne saurait manquer d'~tre favorable, son coeur profond, son don généreux, sa parole fidèle et son gouvernement en ordre parfait. Le saint doit donc s'identifier au pe~ple le plus possible pour que son service soit véritablement désintéres-sé et efficace.

·~e saint n'a pas d'esprit propre. Il fait sien l'esprit du peupJ.e. L'existence du saint inspire la crainte

à

tous les hommes du monde. Le ssint unifie les esprits du monde.

Le peuple tourne ses yeux et tend ses oreilles vers lui, et le saint le traite comme s:)n p!.·opre enfant." (T.t.k., ch.49) A l'exemple du Tao, le saint ne fait aucune discri-mination entre les hommes et sait ;tre bon

à

l'égard des bons comme des méchants. C'est parce qu'il fait retour au Tao et

à

s::m unité que le saint peut par la suite unifier les es-p-::-its et devenir le modèle du monde. Son exemple rayonne et s'impose pour la raison essentielle qu'il ne s'exhibe pas, ne s'affirme pas, ne se glorifie pas et ne s'exalte pas. Pa-raphrasant les paroles de l'Evangile, nous dirions qu'il doit

(37)

être comme le "ferment dans la pâte". Humilité, tolérance

, , ,

'

bienveillance et generosite, telles sont donc les qualités essentielles de celui qui gouverne. Ses moyens doivent pa-ra!tre faibles p9ur être efficaces et son esprit ténébreux poür éclairer vraiment. L'autorité du saint n'a donc rien de despotique. Elle n'a guère non plus un caractère autori-taire; elle sait persuader plutôt que de s'imposer sous des dehors en apparence insignifiants, le saint dissimule un

ê-tre <l•:! lümière et de vertu; dans la discrétion la plus com-plète, i l aide les hommes

à

se parfaire en évitant d-e bles-ser leur amour-propre. Ce type de prince ne ressemble donc en rien

à

l'image et

à

la réalité habituelles qu'on trouve de lui alors.

"• •• le saint discipline sans bles.sar, purifie sans vexer, rectifie dans contraindre, éclaire sans éblouir." (T.t.k., ch. 58) La rais·:m d •être d 1 un tel gouvernement, en défini-tive, est de veiller

à

l'amélioration de tout homme, l'aider

à

,'J.tteindre sa propre perfection. Son rôle en est un de ca-talyseur autant qu~ d-e protection. En effet, le peuple doit être mis

à

l'abri des influences néfastes des faux sages qui tentent de le tromoer avec leurs conventions et leurs rites. Tol.lt aussi

dangere~

s•:mt le savoir et le désir puisqu 1 ils conduisent

à

la ruse et

à

l'ambition et corrompent ainsi 11 honmi•e et la société entière qui s 1 épuisent ensuite à la pour-suite du renom et de la fortune. Ceux-ci ne sont-ils pas la cause des maux du peuple?

Voilà p•.:>urquoi "le gouvernement du saint consiste

à

vider l'esprit du peuple,

à

remplir son ventre,

à

af-faiblir son ambition,

à

fortifier ses os.

Le saint agit en sorte que le peuple n'a ni savoir ni désir et que la caste de l'intel-ligence n'ose pas agir.

Pratique le non-agir, tout restera dans

(38)

Ou encore: "rejette la sagesse et la connaissance, le peuple en tirera cent fois plus de profit.

Rejette la bonté et la justice, le peu-ple reviendra

à

la piété filiale et

à

l'amour paternel.

Rejette l'industrie et son profit, les voleur et les bandits dispara!tront.

Si ces trois préceptes ne suffisent pas, ordonne ce qui suit:

dicerne le simple et étreins le naturel

'

réduis ton égoisme et refrène tes désirs."

( T. t. k., ch. 19)

Dans ces conditions, on cmnprend facilement que le sainl exerce un gouvernement conrne s'il ne gouvernait pas. En plus de s'effacer ie la tête du corps politique pour des-cendre au niveau du peuple et se confondre avec lui afin de le mieux pétrir, il ne prend pas sur lui le mérite de son oeJvre,

...

mais laisse au peuple le sentiment de se diriger lui-meme.

"Le Ma!tre éminent est ignoré du P·~uple • ••• le Ma!tre éminent se garde de parler et quand son oeuvre est accomplie et sa tâche rem-plie le peuple dit: "Cela vient de moi-même."

(T .. t.k., ch. 17) C'est pourquoi un gouvernement non dire~tif doit réduire le plus possible les interdits et les prohibitions, les armes et l'industrie, les lois et les ordonnances. Pour assurer la paix et la simplicité dans le peuple, il n'y a pas de meilleur moyen. "On régit un grand Stat comme on fait frire un petit pl)isson" (T!'t.k., ch. 60), en ne le remuant pas trop

à

coups d'ordonnances afin de ne pas le mettre en miettes. A cet égard, il devient inutile de multiplier les fonctions au sein d'une institution, ce qui contribue en re-tour

à

rend~e l'exerciee du gouvernement encore plus discret. Il suffit d'accorder toujours ses gestes aux besoins réels du peuple. Tout surplus risque de nuire au peuple plus que

(39)

de lui porter avantage. Cette politique est don.:: plus réa-liste que prévue puisqu'elle ne dit pas simplementde laisser aller .1.es choses n'importe comment et advenant n'importe quoi, cnmcne une conceptiœ1 simpliste du non-agir peut donner

à

penser, mais elle consiste bien davantage

à

restaurer l'or-dre humain selon le Tao par l'abolition de la :wciété féoda-le et féoda-le retour

à

une vie sociàle libérée et harmonisée. En -:e sens p·aut s'éclairer et se dissip·er la contradiction appa-rente entre la nécessité du non-agir et du laisser-faire d'une p~rt et l·e m.aïn<:ien d'un gouvernement d'autre part. Comparons ici ces deux extraits du Tchouang-tseu.

110n doit laisser le monde

à

lui-même et être

tolérant

à

son égard et non le gouverner. On doit le laisser

à

lui-même afin que les h'l':!llnes ne s'écartent pas de leur nature innée. On doit être tolérant afin qu'ils n'altèrent pas leur vertu propre. Si chacun ne s'écarte pas de sa nature et conserve intacte sa vertu, est-il besoin d'un gouvernement?" CT.t., ch. 11)

"-Ma1

tre, dit BourJ:asque, bien que vous ne

vous intéressiez pas au peuple, je voudrais que vous m'expliquiez ce qu'est la doctrine politique du saint.

-Cette politique, répondit Ep~isseur obscure, consiste en ceci: nommer les administrateurs en fonction des besoins du peuple, confier les postes en fonction des capacités, se tenir au courant des exigences et des tâches du peuple pour répondre

à

ses aspirations. Si le diri-geant parle et agit conformément

à

ces prin-cipes, le monde s'améliore de lui-même. Il suffit qu'il lève le doigt ou qu'il cligne de l'oeil, puisque les peuples des quatres direc-tions viennent

à

lui. Telle est la politique

du saint." (T.-t., ch. 12)

(40)

gens. La promotion des intérêts du peuple repose sur une

attitude de réceptivité et d'attention de la part du saint

A f '

en meme temps qu une promptitude a satisfaire ses besoins par l'entremise d'administrateurs efficaces et dans le plus respect des capacités de chacun. Tout ceci s'oppose radi-calement

à

toute forme de dictature basée sur la fo·rc2 et

la c~ntrainte. Le pouvoir du saint est diffus, tel le Tao. Parce qu'il n~ s:oppose et ne rivalise avec rien, il ne peut échouer. Le saint doit donc s'adapter constamment aux be-soins nouveaux de son peuple. La société tuofste est fonda-mentalement dynamique puisqu'elle est le lieu où composant les g<?stes Sf>Ontanés des hommes tous rassem'olés dans l 'u~-ii­

té indéfectible du Tao.

"L'unité qui s•adapte sans cesse aux

va-riations changeantes, voilà le Tao." 1

( T • -t • , ch. 11 ) "Le roi éclairé, dit Lao Tan, étend par-tout ses bienfaits, mais il ne fait pas sentir qu1il en est l'auteur. Il aide et améliore

tous les êtres sans que ceux-ci sentent qu'ils sont sous sa dépendance. Le monde ignore son nom et chacun est content de soi. Ses actes

sont imprévisibles et il s'identifie avec le

néant." (T.-t., ch. 7)

La puissance du saint provient donc de ce qu1il s'identifie au Tao. Voilà pourquoi on dit que le saint

gou-vern~ en se gouvernant lui-même. Il l~cite à la perfection

par l'application à son propre perfectionnement. Vide de

lui-même, il acquiert 11efficacité du Tao lui-même. Car en

ceci réside la perfection du saint qu1il oublie son ttre ,

:J

dans la symbiose parfaite avec l'origine de l'Univer~, c1

est-à-dire le Tao. Ce mouvement de retour au Principe prend les allures d 1 u~'le

véritable mystique qui porte en elle "le secret de la transformation des êtres". Ecoutons Tchouang-tseu.

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