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Signes iconiques et énoncés linguistiques en vidéo

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Faculté des Lettres

SIGNES ICONIQUES ET ENONCES LINGUISTIQUES EN VIDEO

Jean Tourangeau

mémoire présenté

pour l'obtention

du grade de maître es arts (M.A.)

Ecole des gradués Université Laval

AOUT 1990

droits réservés de Jean Tourangeau 1990

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A l'aide du système triadique de Peirce index, icône, symbole -en regard de sa théorie du signe et de sa notion d'interprétant; à l'aide de même de la narratologie élaborée par Genette et du concept de "métaphore vive" inaugurée par Ricoeur; à l'aide encore des actes de langages (speech act) initiés par Austin et poursuivis par Searle; la vidéo est disposée à la fois dans son contexte d'énonciation et de monstration.

La vidéographie peut alors se lire comme un lieu symbolique où la vitesse du matériau et des dispositifs est replacée dans une diachronie beaucoup plus large et qui est celle de l'histoire de

l'art au XXième siècle.

Enfin, à travers deux vidéos québécois Continuons le combat de Pierre Falardeau (1971) et Bébé Bière de Philippe Bézy (1987), cette méthodologie axée sur le couplage des énoncés linguistiques et des signes iconiques évacue l'idée que le cinéma est l'analogon de la vidéo et de la TV.

Jean Tourangeau

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"Le mot et l'image sont des corrélats qui se cherchent

éternellement, comme nous le montrent suffisamment les tropes et les comparaisons. On pensait ainsi depuis toujours que ce qui se disait ou se chantait à destination de l'ouie, devait aussi venir à la rencontre de l'oeil. Nous voyons de la sorte, qu'aux temps de l'enfance de l'humanité, le mot et

l'image se relayaient continuellement, que ce soit dans le livre des lois ou dans la théodicée, dans la Bible ou dans l'abécédaire. Quand on prononçait ce qui ne pouvait être imagé, quand on imageait ce qui ne pouvait être prononcé, on agissait comme il convient; mais on se méprenait bien souvent et on parlait au lieu d'images: de là naquirent ces monstres symboliques-mystiques, doublement affreux."

Goethe

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Page

NOTE LIMINAIRE i TABLE DES MATIERES i i

INTRODUCTION iiiii

CHAPITRE I

essai de differentiation entre photo, cinéma et vidéo 1

notes bibliographiques 28 suivi du découpage/verbatime de Bébé Bière 30

CHAPITRE II

signes iconiques et énoncés linguistiques en télévision

et en vidéo 34 notes bibliographiques 57

suivi du verbatine/découpage de Continuons le combat 59 et de Dry Cleaning en voix off

CHAPITRE III

la vidéo comme texte de l'image: le récit iconique 63

notes bibliographiques 90

CONCLUSION 91 BIBLIOGRAPHIE GENERALE 95

REVUES ET PUBLICATIONS EN VIDEO 97 ANNEXE A: Vidéo A l'écran

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Pendant les années 80, nous avons assisté à un discours dominant au sujet de la vidéo fondé sur les relations causales que ce médium entretiendrait avec la télévision. Il nous apparaît pertinent, au seuil des années 90, de confronter ce discours à ce qui l'a constitué pendant cette décennie. Une décennie que 1'on a statuée de post-moderne malgré que la télévision a longtemps été perçue comme l'icône par excellence de la modernité.

N'y a-t-il pas là une transformation de l'instantanéité du médium, et ce qui en fut sa spécificité (voire sa différence face au cinéma), au profit du code, soit son lieu de réception incarné par le genre télévisuel?

Les mêmes modalités ont-elles cours lorsque nous définissons l'art vidéo comme un art référant à lui-même, soulignant en cela la différence qui existe entre la pratique artistique et les modes de production commerciaux? Aussi nous juxtaposerons:

Continuons le combat. Pierre Falardeau, 1971, n/b, 30 min. Bébé Bière. Philippe Bézy, 1987, coul. et n/b, 3 min.

qui tous deux usent de la lutte comme rituel et comme métaphore sociale, voire symbolique, malgré que 16 ans les séparent.

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en regard de sa théorie du signe et de la narratologie d'abord élaborée par Genette (métaphore et métonymie), et à l'aide par ailleurs d'écrits qui ont circulé pendant cette période de temps; nous tenterons d'échafauder une méthode d'analyse qui juxtapose les signes iconiques et les énoncés linguistiques.

Ainsi le premier chapitre présentera un contexte large de discussion où nous établirons les différences fondamentales entre photo (et photo polaroid), cinéma, vidéo et télévision.

Puis, nous appliquerons dans le chapitre 2 et 3, à partir du découpage technique des oeuvres ci-haut mentionnées basé sur le système de Marie-Claire Ropars-Wui1leumier dans Le texte divisé

(essai sur l'écriture filmique), la méthodologie qui en résulte.

Autant dans Continuons le combat, la caméra en gros plan et en plans rapprochés, doublée de la voix hors-champ du narrateur

(l'auteur lui-même qui s'adresse directement au spectateur), concourt à nous placer à l'intérieur de l'arène; autant dans Bébé Bière, on nous montre cette scène avec distance comme si elle avait été tournée par la TV pour la TV. Ce qui en ferait selon certains une oeuvre autoréférentie1 le, soit une oeuvre d'art.

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être remplis de bière (à cause du titre) et sans laquelle il n'y aurait pas de match de lutte télévisée. D'où l'inscription subséquente au bas de l'écran POURQUOI LA VIANDE PARCE QUE CA FAIT VENDRE LA BIERE. Pour ces raisons, on pourrait interpréter Bébé Bière comme une pièce ironique sur la TV, c'est-à-dire dont le sujet est son mode de production caché, par sa portée symbolique -économie et surcharge à la fois - sur laquelle repose sa capitalisation et dont le double jeu mots/images est un

interprétant fonctionnel.

A la suite de quoi, nous examinerons la même argumentation à partir d'oeuvres appartenant à la même période que Bébé Bière: Dry cleaning en voix off. Monique Crépault, 1987 (Québec)

Las Vegas, Doug Melnyk, 1987 (Manitoba, en anglais)

que nous comparerons aussi à des textes de la même période sur le couplage TV/Vidéo.

Dans Dry cleaning en voix off, le motif central est un miroir porté à la main dans lequel se mire le personnage féminin principal, juxtaposé - comme c'était le cas pour les sociétés québécoise et tamul dans Continuons le combat - à un gratte-ciel à la façade de miroirs; la rencontre de ces deux motifs/figures marquant en cela la différence entre l'espace privé et l'espace public, entre l'espace narcissique et l'espace projectif.

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instituée comme une pratique qui se fonde sur le miroir, porterait à la fin des années 80 au Québec sur la fonction mixte d'émetteur et de récepteur; changeant en cela la définition même de la vidéo?

La vidéo traite-elle alors du Même lorsqu'elle joue sur les paramètres qui ont toujous illustré ces dispositifs? La vidéo est-elle attirée par son alter ego, la TV, lorsqu'est-elle en reproduit

les modes de production? La vidéo est-elle "l'autre audiovisuel" face au code dominant qu'est la TV? Quelle est alors l'identité de la TV lorsqu'elle est produite en fonction des paramètres vidéographiques si l'on se réfère à des projets dits artistiques qui mixent la commande muséologique et sa future retransmission au sein d'un réseau télévisuel?

Y aurait—il une différence marquante au niveau des énoncés et de l'icône si on replaçait ces procédés en face du cinéma. Sachant qu'en France, le cinéaste de la nouvelle vague Jean-Luc Godard dans Soft and Hard et Passion a procédé de la même manière face au traitement documentaire lorsqu'il utilise les dialogues ou met en

scène la peinture sous forme de tableaux vivants. Et qu'aux Etats-Unis, Francis Coppola pour le film Apocalypse Now a jumelé les dispositifs avant qu'ils ne soient mis en abîme dans Sex. Lies and Videotape. Nous essaierons de reprendre à ce stade cette argumentation mais en l'adaptant face au regard que la vidéo y

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Enfin, nous concluerons sur la question cardinale en narratologie en spécifiant ce qui est de l'ordre du récit, de

l'ensemble, face à ce qui est inséparable de l'icône; d'où la portée, osons-nous croire, de ce mémoire de maîtrise.

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ESSAI DE DIFFERENTIATION ENTRE PHOTO. CINEMA ET VIDEO

A l'intérieur de médias temporels tels que la vidéo et le cinéma, le balayage de la surface et le parcours sont commandés par la succession et le rythme des images quoique leur premier matériau soit la photo. Youssef Ishagpour suggère à ce propos que

"le cinéma n'est pas seulement la reproduction technique, la photographie animée, c'est la projection de l'intérieur vers

l'extérieur: une lanterne magique perfectionnée".!

En ce qui concerne la vidéographie, on peut se demander si l'influence marquante, c'est-à-dire les codes de référence ne proviendraient pas d'abord des images transmises par la TV puisque

celle-ci a aussi l'électronique comme base malgré que le cinéma la précède historiquement et que les composantes de ces trois média aient en commun le mouvement.

"D'un point de vue morphogénétique, l'image vidéo ou électronique...relève d'un système de figuration qui consiste, dans son principe, comme la photographie et le cinéma, à enregistrer par

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des moyens optiques la trace lumineuse laissée par un objet qui préexiste à l'image"2; dont "l'ancêtre moderne" de ce procédé pourrait être, en ce sens, Moholy-Nagy lorsqu'il élimina la caméra dans ses photogrammes de 1921-22 en plaçant l'objet directement sur

le papier sensible.

Rappelons qu'à la même époque, plus précisément en 1926, Kandinsky écrivait dans Point, Ligne, Plan au sujet de la frontière entre le point et la ligne que celle-ci est "le temps qui se matérialise en espace" et que par rapport au point, elle est "une

succession de points". "Elle est le tracé d'un point en mouvement".

Rappelons aussi que Vico déjà en 1725 dans sa Scienza Nuova posait que l'objet du point est de bouger et de devenir ainsi une

ligne. Ce qui donnait selon lui la supériorité du dessin sur la couleur, mais aussi spécifiait l'esprit humain vers le mouvement.

Or l'on sait que le moniteur couleur est composé de 525 lignes selon les standards américains N.T.S.C. (625 pour le système européen P.A.L.) façonnées à même le mouvement de va-et-vient qui, balayant la surface, explore la totalité de l'écran-image afin de dégager la potentialité lumineuse de chaque point.

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celle-ci en permanence à une très grande vitesse. L'image est ainsi le fruit d'une destruction et d'une régénération

continuelles, et elle ne doit son unité qu'à la persistance rétinienne. C'est une image-mémoire par excellence. Elle n'existe nulle part. De la durée pure."3

Corollairement la photo, puisqu'elle est mouvement arrêté, procéderait à une analyse antérieure de la lumière, son temps de perception n'étant pas alors basé sur le même rythme constant de balayage. Le facteur spatio-temporel en vidéo agirait sur le percept car l'espace s'instaure sur l'énergie et les variantes

introduites par le temps, la couleur et la forme augmentant la complexité des vecteurs et leur durée.

Ohio at Giverny, une installation que l'américaine Mary Lucier présenta à Montréal lors de Vidéo 84. applique cette définition. Le jardin de Giverny servit à Monet de source d'inspiration autant que de motif impressionniste: le point coloré se substitue au point de lumière suivant la manière -mais en usant d'un autre support technologique adapté à notre époque - des pointillistes français qui tiraient une partie de leur art de la théorie des couleurs de Chevreul. Concrètement, Mary Lucier ranime la couleur-lumière comme construction de l'espace, tel que l'élabora Monet, à partir de son lieu d'inspiration même. La durée de perception parachève une image

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contemplative -le jardin- qui est la représentation idéelle de cet atmosphère; à tel point qu'elle a traversé notre ère et nos barrières culturelles pour acquérir un statut d'icône.

En 1987, l'installation Couleur du québécois François Girard nous forçait, après avoir été plongé dans le noir, à entrer dans un espace sombre, une opposition tant au jardin éclairé de Giverny qu'à celui de TV Garden (1974-78) du coréen Nam June Paik où un amoncellement de téléviseurs, pêle-mêle, étincelait de milliers d'ondes lumineuses en action perpétuelle. Si, chez Nam June Paik,

le spectateur était invité à déambuler autour et parfois à travers l'installation comme s'il s'agissait d'un jardin, notre regard chez Girard devait lentement s'habituer à observer les trois couleurs primaires projetées du plafond sur trois tables adjacentes d'égale grandeur. Or la source lumineuse émanait de trois appareils de télévision placés au-dessus des tables. Le point lumineux forme un ensemble grâce à l'unité de sa surface conditionnée par les lignes, le plan étant aboli au profit de l'émanation lumineuse comme si nous avions affaire à un "color field". Parce que la couleur de chaque appareil bouge, s'ensuit une lecture mouvementée, et sans cesse changeante, qui nous empêche de fixer le moment, l'instant présent.

"Transposition de la couleur/matière (opaque, résistante, ayant bu et absorbé la lumière) à la couleur/lumière

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différence de la matière picturale qui, tout comme la

sculpture ou l'architecture a besoin d'un éclairage extérieur pour être vue."4

Tricolor video de Nam June Paik (Centre Georges Pompidou, 1982) effectuait, à partir de 156 millions de points électroniques, une série intermittente bleu blanc rouge dont la figure générée était le drapeau tricolore français. Tel que Jean-Paul Fargier le soulignait dans le catalogue d'exposition: "Déjà sous Bleu Blanc Rouge perce le RVB. Rouge Vert Bleu: base de tous les codages de couleur en télévision."

"Il faudra - finalement - attendre l'art vidéo pour que la lumière réelle intègre l'espace de l'image, image close et lumineuse palpitant de son propre halo - l'art cinétique des années soixante et le cinéma n'ayant fait que prolonger la technique du vitrail: un verre ou une pellicule colorée se trouve éclairé par l'arrière."5

L'avènement des images ne se fait donc plus par projection, la projection cinématographique étant située à l'arrière des spectateurs, mais en une sorte de face à face avec le regardeur comme pour un tableau dans l'esprit de ce que proposait Marcel Duchamp. La métaphore de la source lumineuse à son stade imaginaire ne pouvant pas s'opérer selon les mêmes particularités que ce

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qu'appelait Barthes "le divan du pauvre". En d'autres termes, le stade du miroir dans la constitution de l'identité du JE, au-delà du principe de réalité et de plaisir, ne peut se soustraire à sa projection sur l'écran à cause de l'échelle et, d'autant plus, parce que les spectateurs sont plongés dans le noir. Une catharsis opposée à ce qui se passe devant le poste récepteur de télévision où le JE est confronté à un NOUS dans une fonction qu'il résume par l'expression "le petit écran".6 C'est sans doute sur un phénomène semblable, parce que paradoxal, apparu depuis l'art Pop, que s'appuie la photo qui se réfère au cadre.

"De même, l'image-fenêtre du cinéma nous invite à quitter la salle, à l'oublier, en plongeant dans son ouverture.

L'obscurité facilite en outre cette évasion centrifuge hors des murs en rabattant sans cesse notre regard sur l'écran de toile. A l'inverse, l'écran électronique, lui, ne fonctionne pas comme une fenêtre, il ne s'inscrit pas dans un mur, il n'emporte pas le regard du dedans vers le dehors; il fait, au contraire, entrer le dehors dans le dedans, en un

mouvement centripète et violent, dans le lieu même où se tient le regardeur. Il agit par effet d'incrustât ion...En revanche, les images parfaitement intégrées à leurs supports et faisant corps avec eux, comme les fresques pariétales des grottes magdaléniennes ou les mosaïques byzantines, ou même une certaine peinture qui cherche à mettre en valeur le subjectile lui-même, n'agissent pas par effet d'incrustation. Elles travailleraient plutôt par enveloppement."7

Ces caractéristiques ont provoqué Wolf Vostell dans TV Cubisme (1985) à diriger l'oeil du regardeur vers la TV et le cubisme en

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même temps de façon à assujettir la compréhension que nous avons de ce mouvement pictural, maintenant passé, à celle des images déformées qu'il fabrique en vidéo et que le cubisme a déjà analysées; la distorsion télévisuelle réifiant le Dasein, c'est-à-dire l'étant là et ses effets devant le cubisme qui fait dorénavant partie de notre réalité?

"On peut ainsi repérer un effet de type pointilliste dans le jeu de la trame, cubiste avec le mixage et la superposition, ou encore surréaliste avec les juxtapositions oniriques des décors."8

On pourrait aussi établir des correspondances, non seulement entre la vidéo et les mouvements esthétiques qui ont circulé au XXième siècle, mais encore au moyen des composantes de ce médium avec un autre médium comme l'a posé l'américain Beryl Korot dans Text and Commentary en 1977:

"In 1974 I began to create a relationship in my work between the system of programming threads, and the programming of multiple channel video works based on thread structures. Certain analogies emerged between the loom and other

communications technologies. For one, in weaving, writing, and videorecording, the information (in the form of pattern, words, image) is created, encoded and decoded line-by-line. Time becomes an important component to this linear

structuring in terms of how quickly and effectively information is received and stored."9

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Vilmouth, le sculpteur français associé à la nouvelle sculpture britannique, dans Pour une autre fréquence (1984) car le fil électrique, sans fonction réelle, instaure une relation avec les fils tressés qui forment l'écran coloré du téléviseur. Le tressage crée une seconde image, celle du siège d'une chaise, se profile alors la figure de Van Gogh et de sa fameuse chaise bretonne. S'opposeraient donc deux univers, celui projeté par les images du téléviseur qui procèdent par empilement et tension, celui induit par l'oeuvre d'art dont certains éléments comme la couleur

appartient à la chaîne symbolique. 10

Depuis les expériences de l'artiste allemand Vostell en 1958 où le récepteur allumé montrait des images lumineuses brouillées aléatoires et sans hiérarchie, la vidéo a la possibilité de signaler ces similarités et ses singularités avec la TV, au niveau du format de son écran puis, plus récemment et encore plus étroitement au niveau de la perception, par le biais de sa couleur électronique et non chimique comme au cinéma. Expériences d'ailleurs réactualisées lors de l'exposition Aperto (44ième Biennale de Venise) dans la série Mil 1ionem (1988-89) où il plaçait un mini-appareil de télévision en plein centre d'un tableau au cadre noir et lourd fortement accentué. La photo entourant l'appareil reprenait des vues de Berlin après son bombardement par

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les Alliés. Si les barbelés entourant l'appareil simplement allumé de 1958 référaient à la guerre, ici c'est la représentation

fortement "rejouée" par les médias de cette photo d'archives qui inscrit le même contenu. Or des briques du même format que le mini-téléviseur parsèment la surface au moment où, selon notre "temps d'antenne'* devant l'oeuvre, nous arrivent des images télévisuelles de sources diverses. Virilio pose que le déferlement des images a par essence par son rythme une fonction guerrière. Vostell applique le même statut aux images en comparant l'image statique et l'image en mouvement (dans l'appareil placée face à nous) mais dont les sources trahissent des fonctions divergentes. D'où une volonté de ré—inscrire ce passé récent dans un temps présent, et derrière cette fausse redite, réactiver le sens de la démolition brique après brique du mur de Berlin aujourd'hui. La spécificité du médium fonctionne parce qu'on la contextualise dans sa chaîne historique certes, mais à la fois dans le réseau/rhizome du sort et ressort des images.

De même, depuis l'usage du portapak Sony que Nam June Paik démontra le 4 octobre 1965 lors de la visite du pape Paul VI à New York dans une course en taxi en direction du Café à Gogo situé au 152 Bleecker Street dans Soho, la capacité d'enregistrement du médium n'a plus à être prouvée. Les associations avec le cinéma

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sont des lors renforcées puisque la conservation des traces est désormais possible car "Il n'y a pas de pensée hors de ses

supports, même occultés et intériorisés".11

Il n'en demeure pas moins que le relais en est d'autant effacé puisque la reproduction sur la pellicule est directe et que

l'enregistrement visuel et sonore est immédiat, et ce en cours de réalisation au contraire du cinéma. Voilà sans doute pourquoi le cinéma direct fut une révolution à la fin des années 50 tellement

il permettait à une petite équipe de production d'enregistrer simultanément à la caméra portée à l'épaule des images en son synchrone; ce que la vidéo recouvre avec encore plus d'efficacité puisqu'il était possible pour la première fois avec elle de voir instantanément ce que l'on tournait en une sorte de rétroaction que n'offrait pas le cinéma même pas celui dont on disait qu'il était un cinéma-vérité.

"Un film n'imite pas la réalité, il ne la représente pas: il la reproduit. Un tableau, un livre, une scène, peuvent imiter, représenter, ils ne peuvent reproduire: ils produisent un irréel qui a une réalité en tant qu'oeuvre. Le cinéma c'est la reproduction de ce qui avait été devant 1'apparei1."12

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Win Wenders dans Nick's Movie (1980) a réservé à la vidéo un traitement plus ou moins fini en opposition à la netteté du cinéma:

les images du fouillis des techniciens ainsi que l'approche à la mort de Nicholas Ray, tournées en vidéo, manifestent à la fois la distorsion aménagée par le point de vue technique, la machine électronique, et la déstabilisation qu'a suscitée l'arrivée de ce nouveau médium face à la pellicule. Métaphoriquement, cela

signifie-t-i1 que la vidéo consacre la mort du cinéma?

Dans la même veine, l'ambiguïté du cru, peu amoindrie par un côté plus granuleux que le cinéma aurait rendu, n'est pas sans filiations avec la différence intervenue en photographie lorsque les sels d'argent ont fait place à un papier plastifié qui se développait beaucoup plus rapidement. Or cette ambiguïté du direct

sur ces deux niveaux techniques s'articule sur un temps qui est un temps réel et auquel le flou photographique, et en particulier les photos floues des années 70 (dont le polaroid pourrait être l'ancêtre) se rattachent, c'est-à-dire le modèle de l'origine tout autant que l'aboutissement, le simulacre. Hypothèse reprise par plusieurs dramaturges contemporains dont Eugène Ionesco dans La Cantatrice chauve (1950) où les Smith sont campés dans leur salle à manger à la façon d'un téléroman et dont "...l'idée de terminer cette pièce...sans la terminer, c'est-à-dire, de façon cyclique, par le reprise de la première scène et la permutation des

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personnages."13

Propriétés ironiques, voire citationnelles, qui ne sont pas sans rappeler Le Chien de Luis et Salvador de Bernar Hébert (1984), un "remake" de Un chien andalou de Luis Bunuel et Salvador Dali de 1928 où, malgré un titre incluant l'identité des réalisateurs du film cité, les personnages et les situations dramatiques ne se répètent pas selon le film original.

"La vidéo ne communique pas; pas plus que la peinture ne reproduit le modèle...La singularité de la vidéo consiste non pas en sa capacité de reproduction fidèle et figurative du modèle (la photographie et le cinéma peuvent en faire

autant), mais au contraire, en la rapidité et 1'immédiateté de 1'oubli...Dans ce sens, la vidéo rejoint l'essence de la performance: au sens où l'entend Daniel Charles "performer, c'est répéter - et rien ne se laisse mieux répéter que

l'absence de sens ou de contenu. L'essence de la narrativité se situe assez paradoxalement au niveau zéro du

"narratif"."14

L'installation vidéo serait-elle, dans cette voie, un Gesamtkunstwerk médiatique en ce qu'il viserait un impact à chaud sur "the active spectatorship", le désir d'inclure le spectateur qui ferait de l'art une expérience plutôt qu'un symbole. La synthèse des arts wagnérienne, l'espoir de l'art total de metteurs en scène comme Appia et Piscator se finaliserait en juxtaposant et en jumelant au même niveau et moment d'intervention la mise en

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scène des personnes (sujet) ou des personnages (objet), la scénographie des lieux de tournage et l'appareillage scénique, la chorégraphie d'ensemble et le son d'ambiance ou composé pour l'événenment car il est entendu ici et maintenant.

Est-ce le cas si l'on examine de près Live Taped Video Corridor (1969-70) de l'américain Bruce Nauman:

"A live video camera is mounted 10 feet from the floor just outside the corridor. On entering the corridor, you look into the top monitor to see yourself entering the corridor, but the top monitor shows a tape of the empty corridor. You keep watching, waiting for yourself to appear as you enter, and then notice that you are appearing in the bottom corridor."15 Cette expérience serait-elle un modèle? Un modèle américain?

"Dans Present Continuous Past(s_^ de Dan Graham (1974) où deux panneaux muraux adjacents sont couverts de miroirs dont l'un est placé face à un moniteur encastré qui diffuse l'image prise par la caméra au-dessus de lui, c'est, comme l'a décrit Philippe Dubois, la boîte optique de Bruneileschi qui est

citée. Le spectateur n'est plus rejeté à l'extérieur, sa vision n'est plus limitée au petit trou percé au dos de la peinture dont il ne voit que le reflet dans le miroir opposé.

Il est lui-même saisi à l'intérieur d'un jeu de reflets où l'oeil de la caméra se substitue au point de vue assigné par la tavoletta. La caméra filme le reflet de son objectif et celui de l'image du moniteur, mais décalée de huit secondes. Aussi ne s'agit-il pas d'un simple feed-back. Le spectateur est confronté à deux images simultanées de lui-même, l'une immédiate dans les miroirs, l'autre déjà passée, recyclée en permanence dans la précédente à l'infini. Le point de fuite devient ici un point temporel."16

Ce "time delay", parce qu'il s'organise en temps réel sur une dislocation de ce même temps, nous rend conscients du procédé

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scénique et de notre perception. Puis, il fragmente l'espace, déséquilibre notre sentiment d'appartenance au lieu où nous sommes

"installés" momentanément. Ce "time-space dislocation" fonctionne-t-il comme ce que dénommait Vostell en 1964 un Dé/collage Happening You lorsqu'il emprunte à la notion de collage tridimensionnel

initiée par Schwitters? La grande échelle et les facteurs d'environnement seraient amplifiés par un phénomène plus dynamique et global, sinon plus actuel, que met en évidence le décollage aérien. Les installations photographiques et l'utilisation de la photographie qui est faite en vidéo s'apparentent-elles alors au niveau de leurs fonctions indicielles?

Adaptons cette réflexion pour un vidéo plus narratif comme A Corridor afternoon du québécois Luc Courchesne (1985) où c'est le personnage, l'artiste lui-même qui s'y autoreprésente, en jouant notre rôle d'actant à travers des images inquiétantes ou séduisantes, amenées par les touches d'un sélecteur, dont la teneur nous fait vivre par médiatisation des effets qui le (nous) pousse à quitter le corridor... Ainsi la photo déchirée "Marital Fracture" qui agit comme intertitre à l'intérieur du vidéo est-elle un document actif à cause de la déchirure comme si l'acte de déchirer venait tout juste d'avoir lieu! Ou est-elle encore le signe de la mise en abîme du lieu d'origine -la caméra/la photographie- de la

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même manière qu'elle circonscrit le temps de pose/l'acte photographique. Ce que les récits réunissant mots/images de Duane Michals proposent en citant le processus du regard métonymique propre à la médiatisation du réel, motif pour lequel le daguerréotype inquiétait déjà les peintres en 1839.

Une nette différence, au niveau de la distanciation théâtrale, quand la canadienne Tanya Mars dans Pure Virtue (1985) interprète le rôle de Elizabeth I tout en lui faisant imiter, un peu plus tard, le rôle d'une danseuse sur un air disco à 1'encontre du happening Fluxus où Nam June Paik "était" son propre rôle, sans être médiatisé par un personnage, et ce spontanément, sans être dirigé par des actions déjà préconçues ou écrites à l'avance. Le spectateur est-il la projection de l'Autre, davantage que le comédien ou la comédienne qui s'identifie à l'autre en lui ou en elle, car le jeu et la médiatisation sont mis en présence côte à côte afin de se destiner à cet autre qu'on ne voit pas, mais que

1'on imagine.

Le court métrage noir et blanc Face à la caméra (1984) de Michel Lamothe, qui y emploie une caméra fixe afin de fixer/poser les portraits de ceux et celles qu'il photographie par hasard, nous fait oublier par un cadrage fixe le mouvement intérieur du

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médium au profit du temps de pose. Pourtant c'est le comportement qui en résulte des deux étapes, le "vrai" ou le "faux" modèle qui fait advenir ce paradoxe à la surface des choses.

Si la vidéo du milieu des années 80 travestit davantage ses sources, de la même manière que l'entreprit la peinture face à la photographie au siècle précédent, ou le cinéma "contre" la vidéo depuis la nouvelle vague française, c'est alors pour indiquer que plusieurs motifs l'animent à l'opposé de la TV dont les stratégies rhétoriques appuient de plus en plus les modes de consommation du capitalisme tardif. De ce point de vue, au moment où la vidéo remplaçait le super 8 utilisé à grande échelle par les masses, se réifiait l'esthétique du polaroid, c'est-à-dire de l'image instantanément développée. Par le biais des couleurs criardes presque phosporescentes, où le grain quasi absent aplatit la profondeur de champ, et qui ne sont pas sans relations avec l'effet propagé par le phospore de la couleur électronique; c'est la métonymie de tout le système de fabrication des images en série qui était découverte et instituée comme valeur de remplacement. La rapidité et ses déchets concevaient la copie.

Dans P.M. Magazine (1982-84), l'américaine Dara Birbaum se sert d'un encadrement où une photo, tirée du vidéo, est agrandie et dans

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laquelle l'image du téléviseur devient le réceptacle du moniteur vidéo lui-même en une sorte de mise en abîme. Cette procédure transpose bien les écarts lorsque:

"Associée à la photographie, la vidéo manifeste les qualités spécifiques de sa lumière et surtout son propre régime de temporalité...En fixant le geste, elle attire sur lui

l'attention, elle le dramatise par l'échelle qui lui est conféré dans l'espace. C'est au flux électronique que s'oppose ici le gel du mouvement." 17

Un gel qui dans l'ordre séquentiel de Muybridge calquait, par la répétition du mode scientifique, la structure temporelle assise sur l'appareillage technique moderne, et qui allait devenir le plan/champ photographique jusqu'à ce qu'on pousse la photo à être au noir, à ne rien voir sinon son processus chimique irréversible. La publicité récente, fabriquée pour la télévision, de la bière BLACK LABEL appartient à ce mode/monde, esquisse à nouveau ce dispositif de l'image arrêtée et cadrée, puis mise en mouvement sans interruption. Son passage au noir et blanc après tous les "progrès" technologiques de la couleur, entraîne une facture de l'absent révélé comme une pause/pose au moment où la couleur rouge apparaît à l'écran afin que le récepteur soupire de soulagement...

Ainsi la vidéo produite par des artistes ou selon le mode indépendant se marginalisait en isolant les premiers inventeurs

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dont Nam June Paik et l'ingénieur Shuya Abe lorsqu'ils fabriquèrent le premier synthétiseur couleur (1964) - qu'ils associaient à un "piano à lumières" - à moins qu'ils ne travaillent dans un laboratoire rattaché à un canal ou un réseau de télévision. Ce qu'ils firent en 1968-69 en s'associant et en associant WGBH-TV (Boston) et WNET-TV/Channel 13 (New York), ce qui s'accomplit aussi avec le réseau ARD au même moment en Allemagne avec le projet de Gerry Schum sur les relations du land art comme mouvement esthétique et du panoramique comme moyen technique pour

1'enregistrer.

Pendant ce temps, les précurseurs de ces dispositifs au Québec, pensons à Bill Vazan ou Serge Tousignant, étaient condammés à oeuvrer ou à retourner au sein de l'art de la représentation d'où ils originaient en grande partie: sculpture, photographie, gravure, dessin; des media qui optent pour la reproduction ou le multiple ou sinon qui portent sur le parcours actif du regardeur (dont il y aurait encore l'exemple de Suzy Lake dans A Natural Way to Draw (1972) lorsqu'elle demeurait au Québec). L'art de la communication ne privilégie guère les fondements conceptuels ou l'attention au processus de l'exécution. Cet art préfère la destination

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Voilà pourquoi certains vidéastes traduisent aujourd'hui en compagnie de musiciens -pensons à John Sandborn et Kit Fitzgerald à New York notamment- le rythme et l'énergie des schémas typés de "1'entertainment" à la présence de la figure (le danseur Merce Cunningham sur une musique de John Cage chez Nam June Paik) et au support d'une grille narrative afin de réussir à viser une clientèle que leurs prédécesseurs du Scopitone leur ont enviée.

Cette vidéo s'inscrit finalement comme un objet polysémique plutôt qu'une réponse à une rhétorique figurative ou à un mode de production. La position de François Girard, qui a soutiré de son vidéo Le Train (1985) un certain vocabulaire formel - dont les vitres d'une fenêtre à carreaux qui se transforment en surface réfléchissante comme pour annuler le cadre, sa structuration, pour le remplacer par une mare, soit une représentation sans grille ou miroitante, voire narcissique - pour le réajuster dans ses vidéoclips par la suite, en est un exemple. General Idea en est un exemple canadien différent lorsque le trio préféra adapter son style en s'affiliant à la télévision (De Appel en Hollande)

qu'à l'industrie du disque.

Sachant d'autre part que la vidéo est fondée sur une pt d'intensité du grain et de la lumière et sur une incapacité notoire

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à reproduire l'illusion de la profondeur de champ (face au cinéma en particulier), elle compense par une extension territoriale dont

l'installation vidéo est la marque artistique et dont les systèmes de production empiriques du vidéoclip en sont le terme immédiat.

"Cette propension respecte les caractéristiques ou propriétés "naturelles" (ou actuelles) de l'image vidéo, à savoir son inappétence (historique, technologique, datée, et qui peut certes se modifier) à toute haute ou stricte définition, sa tendance au contraire à l'implosion, à la destruction,

défiguration et disparition d'une image que des champs comme la photographie, le cinéma - ou même la peinture - nous avaient habitués à percevoir depuis la Renaissance comme fortement organisée."18

Autrement dit, la vidéo n'a pas peur de se répéter au risque d'aggraver le spectacle de sa vitesse d'exécution (30 images/ seconde au lieu des 24 images/seconde du cinéma) et de réalisation puisque son développement ne recourt pas à la technique chimique beaucoup plus longue. Elle se voit en direct tout de suite, ce qui n'était pas le cas au cinéma hollywoodien avant qu'on branche à la caméra un moniteur tel que le fit Francis Coppola lorsqu'il tourna Apocalypse Now et ce qui est rarement le cas à la télé depuis que l'enregistrement en différé est devenu sa manière d'être. La vidéo évacue, au lieu de refouler, son "trop de présent", son trop-plein car elle sait qu'elle n'a pas de passé. Devant ce trop, répond-t-elle par le cliché (qui est ce que l'on attend répond-t-elle), ou

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force-t-elle plutôt notre attention à son processus d'avènement des images qui dénote le simulacre en elle? Veut-elle s'instituer, au contraire de la TV, comme une métaphore sociale où, par contraste, tout semble apparemment possible?

Une apparence en somme qui se cristallise par un morcellement du champ perceptif au niveau des sens et une hétérogénéité des sources comme si les formes et la couleur ne se concrétisaient plus sous l'effet de l'image en surface. Le pointillisme de la trame représenterait ces couches possibles en déguisant les apparences de point de fuite et de profondeur sous une superposition de plans qui s'assembleraient en un nombre quasi infini. Ainsi les photographies imitant le "blue print" de Lise Bégin parce qu'elles proviennent de l'appareil de télévision en marche, dévoilent cette trame, signant en cela son lieu de provenance. L'absolu de la figure, surtout de la figure centrale pour un portrait, serait prise en charge par le récit de ce réel, ce donné effectif, plutôt que le fabriqué. Or cet aspect n'est pas sans rapport dans le temps avec la montée de la figuration dans le monde avec un point culminant en 1982 avec la Figuration libre en France, la Transavantgarde en Italie, le Néo-expressionnisme en Allemagne et

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Que dire de plus lorsqu'on s'arrête au film Passion du français Jean-Luc Godard lorsqu'il agrandit l'écran TV jusqu'à ce qu'il envahisse totalement l'espace de l'écran-ciné comme pour simuler, jouer à être le gros plan face à des tableaux vivants qu'il a filmé auparavant à partir d'un lent travelling de la caméra, empiétant ainsi sur leur territoire pictural spécifique. Un jeu auquel s'adonne la photo grand format en voulant redonner à la figure, au genre que constitue le portrait, sa charge affective.

Dans ses Video Wall Projection de 1970-72, l'américain Keith Sonnier voulait créer un "pictorial space" en falsifiant la projection cinématographique, c'est-à-dire en incorporant au visionnement vidéo la projection lumineuse sur le mur qui servait d'écran, mais en même temps en (d)énonçant ce que le mur a à voir avec la peinture dont on connaît l'importance comme support, matériau et cadre.

La vidéo pourrait être logiquement la représentation déviante du mouvement et de son étendue, de sa béance finalement à cause du temps que prend le regard lorsqu'il élimine les intervalles et synthétise des événements dynamiques pour abolir leur succession conventionnelle, leur durée. Surtout que sa mise en figure est consacrée tel qu'au cinéma sur le support qui la reçoit, son

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véritable récepteur, non pas sur l'écran mais bien dans le téléviseur; ce qui est un autre simulacre. On imagine alors bien

le succès de la formule type de la TV dans la TV!

La TV revêterait-elle de ce fait de nouvelles figures analogiques comme celles d'incarner la fonction re-stabi1isante de notre société? Et comment ce paradoxe prendrait-il forme? Qu'en serait-il conséquemment de la place de la vidéo qui se poserait la question de la définition du médium, non plus vis-à-vis sa spécificité (ce qui équivaudrait à revenir sur le vieil argument moderniste), mais encore face à ce qui a formulé son processus, soit les phénomènes d'appropriation dont le simulacre a imprégné son départ et, à la fois, rend compte de son aboutissement final.

Nous nous retrouvons en plein coeur de la crise du sens (du non-sens) lorsque nous examinons le statut de l'image inféré par

le modèle. Par exemple, y a-t-il une différence entre une photographie du chien dont se sert William Wegman dans ses vidéos et son apparition médiatisée et mouvante à l'intérieur de ses vidéos? Son statut, qu'il soit photographique ou vidéographique, demeure une représentation iconique!

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à l'aide du ruban-cache, un photomaton (au lieu de le (re)construire) , dans lequel elle enchâsse un moniteur vidéo qui montre des images d'elle-même sortant du réceptacle où se déroulent

ordinairement les photos développées. Le poièma, le travail accompli au sens de Aristote, est fondé ici sur l'usage, le poièsis, et la figure subsumée de l'exécutante ou le technè. Le développement quasi instantané de l'appareil photo est repris sans écart et sans distance avec le dispositif vidéo dont la première habileté est de jouer avec le temps presque réel dans l'espace bien réel lui. La médiatisation est affaire de représentation certes, mais en éliminant la charge symbolique de son affect remplacé ici par la part éphémère de la vitesse et ses leurres, le geste s'annulant au profit du trompe-l'oeil, de la perte d'identité du sujet vers son objet, sa part ludique. Autrement dit: "Une production dialectique, qui fasse advenir le système comme acte et

la structure comme événement".20

Nous pourrions alors penser les supports électroniques dont la vidéo et la télévision comme des codes qui comportent des schemes où s'infèrent des indices et des conventions à la fois, directs et indirects en même temps, plus ou moins arbitraires, peu ou très discriminatoires, mais pour qui 1'intentionnalité, leur portée subjective, découle de leur contexte d'énonciation, car s'énonçant comme dépendants de la portée sémantique de leurs procédés.

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A ce stade-ci, Mourir (1988), de François Girard par exemple est-elle une oeuvre qui implique un message, "des visées sémantiques", que Maison (1987) de Bernar Hébert, la participation canadienne du projet international de commande télévisuel Time Code, comporterait de la même manière (ou d'une autre manière) étant donné la parenté de ces vidéos. Ils ont en effet en commun un tournage fort naturaliste qui s'accorde à la présence réelle des acteurs afin qu'ils campent des personnages peu distanciés, plutôt que de se manipuler à travers les effets accélérés ou ralentis du rythme et des jeux de volets propres au montage, et des points de vues de caméra qui ne peuvent qu'induire d'importants moyens de production chez le destinataire. Et, par ricochet, la télévision, en renforçant ses modes de réception qui la déterminent grâce à l'imago qui en découle, s'articulerait comme le réceptacle, le producteur et le transmetteur à la fois des codes et de leurs referents au lieu d'exprimer, laissant cette fonction à la vidéo dite d'art? Car c'est à cause de cette situation contingente, à laquelle le cinéma peut ne pas avoir à faire face, que la vidéo expose peut—être sa nature qui est de reposer sur l'ambivalence et "1'entre-deux" .

"Le cinéma a eu la particularité de naître comme art primitif et moderne à la fois... Primitif, il lui fallait tout

inventer, par tâtonnement et emprunt...i1 participait. . .de ces mouvements de destruction de l'art et de production de

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formes nouvelles qui, avec le futurisme, le cubisme, dada et le surréalisme, ont relevé la technique, le montage et le choc au rang de moyen d'expression. Le moderne, totalité coexistante, hétérogène et contradictoire, de traditions diverses et de projets différents, se spécifie par la médiation et la complexité."21

D'un autre point de vue, à l'autre bout de la chaîne, lorsqu'aucune figure n'est reproduite et que l'appareil TV comporte un autre usage, qu'en est-il des ressorts énonciatifs? Ainsi doit-on exclure l'écran-vidéo-texte car:

"dans le cas de l'écran réticulé on a affaire à une surface cristalline, dans l'autre on a une surface isotrope. L'écran-vidéo-texte est cristallin pour la lettre et l'icône, isotrope amorphe pour les couleurs et les valeurs...En d'autres termes, et c'est une conclusion essentielle, avec l'écran vidéotex on n'a absolument pas affaire à un écran télé."22

Le meuble TV a remplacé la radio qui a remplacé le foyer comme centre d'intérêt (ce sur quoi plusieurs projets vidéo ont déjà attiré l'attention). La plus récente citation vient en droite ligne du réseau télévisuel québécois Quatre Saisons: la dernière image, avant de fermer l'appareil, étant un feu de foyer se consumant

lentement. Une dialectique nous dira-t—on si on compare cette représentation à ce qui constitue la vidéo.

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vague propre à la fin du XIXième depuis la comparaison de la locomotion animale et machinique et de sa mise en image, suivie de son abstraction mentale au XXième dont les études à l'encre sur papier Paysage en accéléré (1914-15) de Klioune, Machine tournez vite (1916-17) de Picabia et les futuristes italiens ne sont que la pointe "ancienne" de l'iceberg. Si ici on glorifiait, on iconisait déjà l'image de la rapidité moderne, à la même époque, le cinéma matérialisait le fugace et l'éphémère par leur mouvement même. La vidéo, plus accélérée que le cinéma comme on l'a vu, pourrait être alors, non pas l'image de la machine mais la machine elle—même, l'en—soi et le pour-soi des conséquences de notre perception euclidienne se rencontrant pour la première fois au moment où le faux acquiert un statut imagique copié sur celui du vrai .

"Nous voilà ici dans un chaînon de la crise: la machine médiatique ne se distingue plus du récepteur ou destinataire. Celui-ci invente à mesure et à merci le message. Machine productrice, message produit et récepteur ne font qu'un. Le message devient virtuel, comme la machine qui l'a produit et

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2. Couchot Edmond, "La mosaïque ordonnée", Communications, no. 48, 1988, Seuil, p. 80 et 81

3. Duguet Anne-Marie, "Voir avec tout le corps", Revue d'esthétique, no. 10, 1986, Privât, p. 149

4 De Mèredieu Florence, "L'implosion dans le champ des couleurs", Communications. op. cit., p. 256

5. De Mèredieu Florence, ibid.

6. A ce sujet, on voudra bien référer au livre de Jacques Lacan La télévision publié au Seuil en 1974.

7. Couchot Edmond, "La mosaïque ordonnée", Communications, op. cit.,

8. Verrier Jean-Marc, "L'image-pulsation", Revue d'esthétique, op. cit., p. 131

9. Rapporté par Diana Nemiroff et Normand Thériault dans Hier et Après, Musée des Beaux-Arts de Montréal, Montréal, 1980, p. 61 10. Tourangeau Jean, Vanguard, Feb. 85, p. 36

11. Stiegler Bernard, "L'effondrement techno-logique du temps", Traverses, nos 44-45, Centre Georges Pompidou, sept. 88, p. 56 12. Ishagpour Youssef, op. cit., p. 120

13. Vaïs Michel, L'écrivain scénique, Presses de l'Université du Québec, Montréal, 1978, p. 73

14. Soun Gui Kim, "Temps de la vidéo, temps de la performance", Revued'esthétique, op. cit., p. 64

15. Entrevue tirée de Bruce Kurtz "The Present Tense", in Video Art an anthology, Harcourt Brace Jovanovich, New YorkçLondon,

1976, p. 240

16. Duguet Anne-Marie, op. cit., p. 152 17. Duguet Anne-Marie, ibid.

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l'Etoile, Paris, 1987

20. Ricoeur Paul, "La structure, le mot, l'événement", Esprit. no. 35, 1967, p.808

21. Ishagpour Youssef, op. cit., p. 32

22. Bouvet Emmanuel et Cabat Odilon, "Les trois lettres", Revue d'esthétique. op. cit., p. 60

23. Sfez Lucien, "Le radeau de la Méduse", Traverses. op. cit., p. 41

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1. entrevue

"la performance de mes hommes... prouve leur mérite' (écrit en français, entendu en anglais)

NADA NADA

(entendu et écrit en russe)

2. lutteur et visage d'un homme en gros plan + foule lutteur no.2 (même procédé)

entrevue

"c'est du grand sport ils sont habiles...

... s incères. . . . . .résolus . . . . . . conscienceux"

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(écrit en français au bas de l'écran)

entrevue

"ils ont de l'expérience... ...de la maturité...

... du jugement"

(écrit en français, entendu en anglais) NADA

(entendu et écrit en russe)

(même son qu'au plan 1/lettres différentes)

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SIGNES ICONIQUES ET ENONCES LINGUISTIQUES EN TELEVISION ET EN VIDEO

Si nous acceptons l'idée de Jacques Lacan: "Il n'y a pas d'Autre de l'Autre", la differentiation que l'on observe entre filmant/filmé, narrateur/narrataire, récepteur/destinataire (etc.) et qui, jusqu'à maintenant, a servi de modèle assez classique dans le champ de la communication; bien des hypothèses seraient caduques, sinon obsolètes.

D'ailleurs le procès intenté à la représentation par les arts visuels depuis les débuts de l'abstraction et à la linéarité en poésie depuis Un coup de dés jamais n'abolira le hasard de Mallarmé se pose à nouveau depuis que l'inversion temporelle, surnommé flash back en cinéma, et que les tropismes de Nathalie Sarraute ont été "revus et corrigés" par le simulacre. C'est à la suite de ces phénomènes, tournés vers leur réappropriation et leur découverte, parfois même leur rejet, que la vidéo entre en lieu et forme, en ligne de compte.

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l'index au coeur du procès post-moderne. Si certains-es croient que les relations causales ont perduré à titre de fondements épistémologiques, nous verrons ici à replacer le contexte d'énonciation de ce paradigme quand la télévision représente toujours le modernisme, son symbole.

Ce discours fondé sur l'idée du Rien chez Nietszche, qui à son tour a amené le principe de la table rase, a d'ailleurs été repris (initié) par de nombreux vidéastes américains dont Nam June Paik qui a participé à l'élaboration d'une télévision-laboratoire à Channel 13 sur le réseau WNET de New York à titre d'artiste en résidence de la fin des années 60 jusqu'à aujourd'hui. Pendant les années 80, plusieurs artistes vidéos eurent les mêmes possibilités mais, selon eux, sentirent que le médium TV comportait de nouvelles contraintes.

Ainsi Bill Viola proposa un projet intitulé Reverse Television qui passa sur les ondes de WGBH à Boston du 14 au 28 novembre 1983 où 44 personnes, âgés de 16 à 83 ans, assis face à la caméra à la place où ils regardent habituellement la télévision, devaient

initialement apparaître sur l'écran 1 minute afin de remplacer le temps normalement alloué à la publicité. Malgré que chacun des spots répétait la durée d'une pub, le projet a été transmis par son

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raccordement temporel, les portraits raccourcis de 30 secondes se succédant comme s'il s'agissait d'un télé-film à suivre pendant 2 semaines. Peu après, l'artiste devait les raccorder à son tour, en les raccourcissant à nouveau de 15 secondes afin de composer une bande vidéo classique.1

L'artiste new yorkaise Jenny Holzer, bien connue pour ses panneaux-réclames lumineux où elle mixe l'image et les mots, a aussi expérimenté ce type de spots, montés à la Mission audio-visuelle du Centre Georges Pompidou en 1987, qui devaient s'intercaler à travers le temps d'antenne dans l'espace réservé à la publicité. Même si la télé française a agi de la même manière que la télé américaine, les salles les ayant projetés par la suite ont tenté d'engendrer cet écart temporel en les introduisant à travers d'autres vidéos afin de montrer que ces derniers peuvent aussi devenir un flot ininterrompu, un flux, mimant là la télévision.

La figure travaillée par Jenny Holzer est la publicité en elle-même par la teneur de son message et par l'impact immédiat qu'elle projette sur le récepteur. Quand à Bill Viola, c'est au destinataire des émissions de télévision qu'il s'adresse en s'inspirant de l'effet miroir (ce qui n'est pas sans rappeler

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Performer/Audience/Mirror (1977) de Dan Graham qui provoquait les spectateurs de la performance à faire face à la performeuse assise en face d'eux avant qu'ils ne se reflètent dans un miroir), entre le véritable téléspectateur et celui ou celle qui lui fait face, dont en somme il ou elle est une représentation. On pourrait en ce cas prendre l'hypothèse de Didier Anzieu et l'adapter à ce processus lorsqu'il dit que: "tout individu qui se regarde dans le miroir ou à la surface des eaux rencontre son altérité."2

Quoique tous deux aient choisi d'insérer leurs oeuvres dans un interstice temporel dévolu à la consommation, d'où le questionnement sur le statut de l'artiste et de l'objet d'art;

il n'en demeure pas moins que Bill Viola a répondu à la télévision en récrivant son projet après sa transmission tandis que Jenny Holzer a laissé les réseaux de distribution trouver une alternative. Bill Viola consacre de ce fait une position de rétroaction à l'artiste tandis que Jenny Holzer fait confiance à

la vidéo qui s'est alors retournée sur elle—même en se comparant au flux au niveau de sa définition médiatique tout en y énonçant ce qui fait sa différence.

N'y a-t-il pas là une transformation de l'instantanéité du médium, et ce qui en fut sa spécificité (voire sa différence face au cinéma), au profit du code, soit son lieu de réception incarné

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par le support télévisuel?

Ainsi dans les exemples américains ci-haut mentionnés, le locuteur serait porteur du message tandis que l'auditeur représenterait le code, la vidéo étant alors le laboratoire, le dire et le faire, et la télévision son réceptacle, c'est-à-dire le destinataire. La télévision serait ainsi symbolisée à titre d'auditeur par excellence.

Ceci nous amène à poser logiquement que le code de réception et la télévision ne font qu'un parce que c'est "l'auditeur qui représente le code."3 En ce sens, la TV produirait des énoncés performatifs non-explicites indirects "en ce qu'elle accomplit un acte sans le dire car, malgré qu'elle parle, elle ne prend pas la responsabilité de ce qu'elle rapporte."4 D'où la constitution de genres spécifiques propres à la vidéo et à la TV qui seraient fondés sur des interventions survenant à un niveau d'aboutissement différent de la chaîne puisque "nous devons tenir compte de la différence entre la communication, qui implique un émetteur véritable ou présumé, et l'information, dont la source ne peut être considérée comme un émetteur par celui qui interprète."5

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définir l'art vidéo comme un art référant à lui-même selon des axiomes tautologiques qui proviennent du champ des arts plastiques d'où origine la vidéo dite d'art? Ou encore, lorsque nous nous servons de l'exemple du livre comme d'un réfèrent qui s'opposerait, par sa préhension, au processus de médiatisation étant donné que "la différence entre auditeur et lecteur repose dans la transposition de la suite verbale du plan temporel au plan des signes spatiaux, ce qui atténue fortement le caractère univoque du flot verbal." 6

Aussi, on se trouverait à décrire la vidéo comme une pratique artistique dont la base est l'intention de l'artiste "en ce qu'il veut susciter des effets qui impliquent une croyance puisque cet acte ou ce geste engage la responsabilité de celui ou celle qui parle."7 Alors qu'on réserverait à la télévision une fonction de consommation, d'où l'imposition de l'auditoire comme valeur a priori.

Youssef Ishagpour dit à ce propos: "La télévision ne fait plus semblant d'ignorer le spectateur, elle provoque l'hallucination du proche dans laquelle s'abolissent le sens du lointain, de

l'étranger, de l'insaisissable. les signes du dehors, ceux de l'adversité, ceux de 1'al terité. "8

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On peut conséquemment se demander quelle place on attribue au narrateur ou plutôt si cette position y est faussement symbolisée. Lyotard rétorquerait que "par principe, le narrateur s'adresse à un auditeur, le narrataire, qui peut ensuite se faire narrateur, faisant de la narration dont il a été le narrataire le narré d'une nouvelle narration."9

La vidéo traite-elle alors du Même lorsqu'elle fonctionne sur les paramètres qui ont toujours illustré ses dispositifs? Repensons ici, à nouveau, aux nombreux exemples américains, canadiens et québécois qui stipulaient que la notion de temps propre à la vidéo était d'être simultanée, pour ne pas dire sans tromperie; d'où le travail didactique, quasi démonstratif, qui portait sur le délai temporel. Par ricochet, aujourd'hui, l'abandon du tournage en direct à la télévision consacrerait davantage à celle-ci sa fonction de simulacre!

Lorsque la vidéo, à la fin des années 70, découvre la couleur dix ans après la télévision et exprime de ce fait un affect qui crée davantage de séduction, elle instaure en même temps des parentés qui vont rendre dynamiques les similitudes avec le champ télévisuel. De ce point de vue, plus on se rapproche des années 90, plus de vidéastes auront recours par antagonisme à la trame

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en noir et blanc, après qu'ils aient développé la couleur. Ce phénomène de ralentissement du progrès technologique se voit encore amplifié par le mixage des média (la réutilisation du super 8 par exemple), et le mélange des contextes et des genres.

Même la télévision américaine optera pour la série Wonder Years pour l'emploi du super 8 afin d'accentuer par ce hiatus technique un écart temporel manifeste afin que les récepteurs acceptent instantanément l'histoire racontée, soit celle du décalage des années 50 vécues par le protagoniste principal. Une méthodologie que la vidéo d'art avait déjà exploitée dès Puzzle de Jean Gagnon et Paul Gauvin en 1986. Le cinéma canadien n'est pas en reste non plus avec I've heard the Mermaids Singing (1987) de Patricia Rozema et Family Viewing (1987) de Atom Egoyam où la vidéo face au cinéma sert plutôt de témoin et d'interviewer à la fois, de réceptacle de la mémoire immédiate, de caméra-vérité et dont l'aboutissement américain récent sera Sex. Lies and Videotape en juxtaposant vidéo domestique et vidéo pornographique. C'est cet aboutissement actuel qui permet de spécifier autrement la vidéo en reprenant les origines de ses procédés face au statut qu'elle acquiert dorénavant. Autrement dit, c'est son statut qui parle en inscrivant

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Le québécois Bernar Hébert en est un exemple lorsqu'il passe de la couleur vers le noir et blanc de 1984 à 1987 comme sil cherchait en cela une définition de la vidéo face à la télé en s'y démarquant. Le noir et blanc fait aussi table rase de la

"technicolor". Ce qui ponctuerait la véritable signification de la rupture au niveau de la modernité?10 Dans Anémique cinéma réalisé en 1987, un "remake" de Anemic Cinéma de Marcel Duchamp et de Man Ray, il ne conserve que le mouvement en spirale du film original afin de marquer l'atmosphère nostalgique en citant les débuts du cinéma expérimental. Il enraye le rouage dit progressiste des médias de masse car, en isolant une seule caractéristique de ce qui était à l'époque une innovation tant technique que conceptuelle,

il met en évidence que le film a été une nouveauté. Ce qui signifie implicitement qu'il en sera de même pour la vidéo.

Dans le même ordre d'idées, certaines oeuvres de la torontoise Susan Rynard, en reprenant le principe d'efficacité des modes publicitaires au niveau des plans et du rythme du montage, les démet plutôt lorsqu'elle y juxtapose un autre genre comme celui de

la nature morte qui appartient à un autre mode de représentation qui fixe le mouvement.

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lorsqu'elle réfère. L'exemple le plus direct se présente lorsqu'elle interpelle son alter ego, la TV, notamment lorsqu'elle la commente, en recopie des extraits, en refabrique ses décors ou ses modes d'énonciation. Dans cette voie, les travaux de nombreux vidéastes indépendants de l'Ouest canadien sont un signe révélateur lorsque ces vidéastes indépendants dénoncent les modèles en récrivant les nouvelles à leurs manières à eux, en y ajoutant en particulier ce qui y fait défaut. Le sérieux de sa présentation qui

fait partie du code d'énonciation, est revu par sa part ludique, l'absent ou le personnel ou encore l'ironie qui en arrive à assumer la présence même de la nouvelle, la dominer.

"Lorsque la procédure suppose chez ceux qui recourent à elle certains sentiments, pensées ou intentions, lorsqu'elle doit provoquer par la suite un certain comportement de la part de l'un ou l'autre des participants, il faut que la personne qui prend part à la procédure (et par là l'invoque) ait, en fait, ces pensées, sentiments ou intentions, et que les

participants aient l'intention d'adopter le comportement impliqué."11

On devine en ces lieux une certaine identité des programmes télévisuels à laquelle la vidéo répond par sa différence, son potentiel d'altérité, sa part expressive, car, par comparaison, Malraux prêtait à la télévision "un don d'ubiquité". Ce qui est assez semblable dans les faits à la position de Adorno lorsqu'il

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affirme que: "les impératifs technologiques tels que celui qui consiste à produire en un temps minimum une quantité effrayante de matériau" 12. Un matériau qui, replacé, à notre époque, pourrait se lire autrement: "partout où identité il y a, il y a nécessairement altérité... puisque l'identité appartient exclusivement à ce qui est "hic et nunc", il doit en être de même pour 1'altérité".13

Et ceci même lorsqu'elle est produite en fonction des paramètres de la télévision par câble si l'on s'arrête au projet torontois de John Watt intitulé TELEVISION BY ARTISTS dont en particulier Darn These Hands de Robin Col Iyer et Shirley Wiitasalo? Cette émission de 28 min. 30 sec. use, non seulement de l'image même du téléviseur comme icône 14, mais encore des téléspectateurs quand elle reproduit ou mime leur comportement à l'intérieur de

leur espace privé devant l'appareil; ce qui nous ramène à Reverse Television de Bill Viola malgré que cette oeuvre torontoise fut antérieurement exécutée en 1980.

"Cet objectif qui consiste une fois encore à disposer du monde sensible tout entier dans une copie affectant tous les organes, ce rêve sans rêve, on s'en approche par la

télévision, et l'on a en même temps la possibilité de faire passer subrepticement dans cette duplication du monde ce qu'on estime pouvoir ajouter en plus au monde réel. Les espaces de la vie privée encore disponibles avant l'industrie culturelle, tant que celle-ci ne dominait pas de toutes parts la dimension du visuel, sont désormais remplis."15

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Son identité est-elle toujours la même quand on la conçoit face à une commande muséale sachant que les modalités de départ, les dispositifs techniques, le rôle de 1'énonciateur en élaborant son projet et en finalisant son message, varient le contexte de production des images et infèrent non seulement sur les énoncés mais aussi sur l'économie symbolique mise en jeu. Arrêtons-nous à

la Mendel Art Gallery de Saskatoon? PRIME TIME VIDEO, télédiffusé par CBC en 1982, incluait des oeuvres d'américains et de canadiens ayant filmé sur place et dont le commentaire de Cari Loeffler laisse songeur quant aux clichés qui se faufileraient derrière l'oeuvre de John Sanborn et Kit Fitzgerald:

"This work resides in the subtle manipulation of images

familiar to the Canadian plains. Opening on a shot of a grain tower the videotape unfolds accumulated images of wheat fields, harvest machines, tractors, farm houses, each subtly manipulated to hold the attention of a video art audience yet

identifiable for a television audience."16

Deleuze répondrait: "Ce terme de codage ne désigne pas ici une opération linguistique (construction d'un message), mais la façon dont la société règle la production."

La TV donne ainsi à l'image le statut d'index au sens où l'entend Peirce: "un index est un signe ou une représentation qui renvoie à son objet parce qu'il est en connexion dynamique, y

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compris spatiale, et avec l'objet individuel d'une part, et avec les sens ou la mémoire de la personne pour laquelle il sert de signe d'autre part." 17

La TV rend donc iconique la figure ou le plan, c'est-à-dire qu'elle ne peut qu'emprunter le statut qu'elle possède en imputant à la séquence un sens qui ne lui appartient pas en propre. Et ce parce qu'elle renvoie plus à sa mise en scène qu'à son expression, comme si elle s'adressait davantage aux conventions sur lesquelles repose le message: "la diffusion plus étendue dans l'espace et le temps n'est pas sans influence sur la relation entre le locuteur et son auditoire, et de là, sur la composition des messages." 18

Dans un programme présenté en 1987 pour une télévision par câble, par la galerie Plug-in de Winnipeg, qui rassemblait cinq artistes visuels à qui on a offert d'utiliser le médium vidéo pour

la première fois; on y remarque Las Vegas de Doug Melnyk.

Cette oeuvre de 4 min. 30 sec. s'édifie sur des images tirées de la TV et d'images tournées en studio: les premières étalent les néons des clubs de nuit de Las Vegas à partir d'un mouvement extrêmement rapide de la caméra qui suit non seulement la sinuosité des boulevards, mais encore la durée et le rythme d'une chanson de

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Elvis Presley. Les secondes optent pour le gros plan de visages de personnes inconnues qui racontent des anecdotes reliées ou

fantasmées à partir de cette cité qui évoque le rêve du "american way of 1 ife" .

Or, le monologue s'engage par une phrase dite par l'une des actantes: "Did you ever see Diana Ross in person?" redoublant par là notre attention à juxtaposer simultanément ou associer les signes linguistiques oraux aux signes iconiques. L'action de nommer passe par le geste ou l'acte de parler afin de signaler que la parole est de l'ordre de l'intimité, ce que le cadrage sur le visage des actants délimite. Y a-t-il en effet une image plus subjective ou denotative que le visage humain? Y a-t-il un espace plus privé que le studio lorsqu'on célèbre, en contrepartie, les

images de l'extériorité même que sont celles de la ville?

Parce que la TV attribue la valeur d'icône à la ville de Las Vegas, que le thème musical reprend une chanson fameuse de Elvis Presley qui s'y est donné en spectacle et que le commentaire de la première actante mentionne Diana Ross qu'elle vit "en personne" à Las Vegas; les vedettes Elvis Presley et Diana Ross revêtent le rôle de personnages tout comme la ville de Las Vegas. Ces derniers entrent en contradiction avec de vraies personnes qui par

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opposition s ' expriment,et ce d'autant plus parce qu'elles en décrivent le processus car "si le langage nous apprend ici quelque chose sur une autre réalité que lui-même celle-ci ne peut être que nous-mêmes, en tant que personnes qui parlent."19

Il est logique que la dernière image s'arrête sur la bouche ouverte d'un autre actant, masculin, de façon à contrebalancer la première actante et ainsi calquer le modèle Elvis Presley/Diana Ross. Dès lors, le vidéaste explicite que l'échange linguistique est un rituel lorsque sa teneur est syncrétique et, de ce fait, n'a d'autre voix/voie que l'échange symbolique: "Cette bouche qui ne parle plus... introduit le geste et le corps; elle interrompt le langage mais instaure, avec d'autant plus de force, le circuit symbolique."20

La position de Doug Melnyk stipule en ce cas que l'artiste tend à rectifier le tir médiatique et le "star system" parce qu'il veut convaincre son auditeur pour des motifs autres que ceux sur

lesquels s'appuient le mode capitaliste en transformant la portée récréative de la TV. En se prêtant au jeu des modèles hérités du message télévisuel, il véhicule son habileté à décoder l'illusion et le vraisemblable en se rangeant du côté des énoncés comportatifs

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Jenny Holzer et Bill Viola effectuaient la même échappée en remplaçant le vide fictionnel ou informatif de la TV par un sujet qui devenait l'objet à communiquer, et ce faisant, donnait la place à la signification.

Toujours en 1987, Philippe Bézy reprend une procédure similaire dans Bébé Bière (3 min.) où le lieu de la parole - la bouche - est bouchée par un biberon que les lutteurs portent à leurs lèvres et que l'on suppose être rempli de bière à cause du titre. Or les acteurs ont revêtu une couche, ce qui étaye l'état de bébé: ce costume-signe accentuant le stade connotatif de la mise en scène et forçant la gestuelle à s'éventer comme un leurre. D'autant plus que s'ensuit l'extrait d'une entrevue télévisée avec un entraîneur russe dont le sérieux de l'attitude et des propos contraste avec

la scène précédente. C'est le couplage qui fabrique la parodie.

Parce que le titre, de manière équivoque, fixe notre mémoire à sa quasi-homonymie, nous ne nous posons pas la question du vraisemblable: par exemple un bébé boit-il de la bière? au biberon? La mise en scène va donc augmenter ce caractère en organisant une arène à l'aide d'un arrière-plan de spectateurs en gros plan qui indubitablement assistent à un match sportif, et devant lequel luttent les deux personnages en question. Les mots d'abord

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transcrits en russe au bas de l'écran, puis en français, quoiqu'ils soient entendus dans leur traduction anglaise, s'inscrivent au moment où survient l'entraîneur.

L'objet du texte entendu dans le vidéo est de jouer le rôle d'un phylactère comme dans une bande dessinée parce que "inséré dans l'image, il permet une lecture plus rapide, une saisie plus

immédiate des noeuds et des mouvements de 1 'intrigue."22 La seconde inscription "POURQUOI LA VIANDE PARCE QUE CA FAIT VENDRE LA BIERE (en français), toujours au bas de l'écran, est avant tout un second commentaire sur la série d'actions qui se passe, puis un commentaire sur les commentaires grâce à sa syntaxe nette et incisive qui cherche à résumer afin de concentrer l'attention du lecteur sur le texte, d'autant plus net qu'il se détache en jaune sur un fond noir et blanc. N'est-ce pas là la pratique même de la réification?

Pour ces artistes, l'objet de la vidéo réside dans l'intention de déborder la représentation en ne clôturant pas le sens juste au niveau de son énonciation, parce qu'on en conçoit le dire et le faire comme un rhizome où les relations plurielles sont autant de signes qu'il est possible d'associer et, partant de là, qu'il est possible de visualiser.

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