• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | Des savoirs professionnels du BTS CIRA

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | Des savoirs professionnels du BTS CIRA"

Copied!
23
0
0

Texte intégral

(1)

DES SAVOIRS PROFESSIONNELS DU BTS CIRA

Alain Deliou

INTRODUCTION

Les principaux résultats présentés dans cet article ont été obtenus à la suite d'une recherche effectuée dans le cadre d'un DEA de didactique des disciplines scientifiques et techniques. Elle fait partie d'un ensemble de travaux du LIRDHIST1.

Dans le cadre de ce travail, nous avons étudié les processus qui ont présidé à la création d'une formation scolaire technologique. Les transformations profondes qui provoquent l'évolution des technologies conduisent les secteurs industriels à solliciter le système éducatif et particulièrement les formations professionnelles pour former leur personnel. Ces dernières se voient confrontées à l'introduction de nouveaux enseignements en formation initiale, continue, et/ou en alternance. Le problème général que nous considérons ici, concerne l'adaptation des formations techniques, technologiques ou professionnelles aux demandes qui traduisent les besoins de l'industrie. Plus spécialement, nous nous sommes intéressés aux processus conduisant à la création d'une formation demandée par des industriels.

Comment ces demandes provoquent-elles l'émergence d'une discipline à enseigner ? Quels sont les acteurs de la noosphère, lieu où, d'après Y. Chevallard, on pense le « fonctionnement didactique », où

1 Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique et en Histoire des Sciences et des Techniques, Université Lyon 1 - Directeur J. Gréa.

(2)

l'on élabore le « projet d'enseignement » et où l'on décide de la constitution d'un programme ?

1- CHOIX DU BTS CIRA COMME DOMAINE D’ETUDE ET PROBLEMATIQUE

En systémique2, il est bien connu qu'un système stabilisé est plus

facilement observable. Cependant, la relative immobilité de ses variables ne donne immédiatement que peu d'indications sur les structures et les paramètres internes qui constituent ce système. Nous avons pris exemple sur Y. Chevallard3 qui considère la réforme de l'enseignement des

mathématiques modernes comme situation « critique » de la vie du système d'enseignement pour identifier, par leur remise en cause, ses principes fondateurs. Ainsi, nous nous sommes intéressé, parmi toutes les fluctuations que le système « éducation professionnelle » a subi, à l'impulsion fondatrice qui conduit à la constitution d'une de ses formations.

Dans le champ des situations critiques possibles, celle qui nous a semblé la plus accessible concerne la formation « Contrôle Industriel et Régulation Automatique (CIRA) », sous-branche de l'Automatique, elle-même faisant partie de la Cybernétique. Le travail en CIRA peut s'exercer selon plusieurs types que nous définirons ultérieurement. Notre formation technique initiale et notre pratique industrielle nous ont rendu familiers l'objet technologique, le contexte industriel, les techniques du métier et le langage de la corporation. De ce fait, le chercheur en didactique pouvait envisager d'investir le territoire du technicien.

D'autre part, l'enseignement choisi est relativement récent. En plus de la documentation, des ouvrages, des cours, des programmes constitutifs de cet enseignement, nous espérions bénéficier de contacts directs avec ses fondateurs. De plus, le corpus du « savoir enseigné », actuellement en vigueur, est accessible.

L'introduction d'une nouvelle formation suppose la rédaction d'un référentiel et la mise en place d'un programme d'enseignement.

∗ Dans quel contexte institutionnel a été élaboré et a évolué le BTS « CIRA » en tant que formation professionnelle ?

∗ Quels savoirs techniques, technologiques ou professionnels, définis comme références à la demande de l'industrie, sont-ils pris en compte par l'institution scolaire ?

2 Ziegler & Niechols. (1942). Optimum settings for automatic controllers.

(3)

Pour tenter de répondre à ces questions, nous présenterons et analyserons successivement les processus qui ont conduit à la constitution de la formation, selon le sommaire suivant :

∗ Présentation du contexte historique

∗ Processus de mise au point et création de la formation CIRA ∗ Aspects didactiques.

∗ Évolutions contextuelles qui ont provoqué des modifications en CIRA

∗ Conclusion et bibliographie

2- HISTORIQUE D’UNE NOUVELLE FORMATION

Notre terrain d'exploration, à savoir l'émergence d'une nouvelle formation en CIRA, s'inscrit dans un contexte spatio-temporel. En effet, les acteurs de la noosphère sont les représentants d'institutions différentes ayant, à l'époque considérée (1954), leurs propres contraintes et besoins. En conséquence, il nous semble important de faire l'état des lieux des partenaires : l'industrie et l'école, pour comprendre les phénomènes mis en jeu lors de leur rencontre. Ce travail a été élaboré successivement selon deux approches complémentaires. D'abord, à partir d'entretiens, nous avons repéré ce qu'en disent les fondateurs. Ensuite, nous avons essayé de valider les informations recueillies en faisant une comparaison critique avec l'ouvrage « Histoire de l'enseignement technique »4 de

Pelpel et Troger, (1993), dont nous avons extrait de nombreuses citations.

2.1- Contexte Industriel : Énoncé des besoins

Nous abordons en premier lieu le contexte des industries, car se sont elles qui ont suscité et demandé la formation « CIRA ».

2.1.1- Les antécédents

L'industrie contemporaine est héritière des traditions artisanales et manufacturières du XIXe siècle. Jusqu'au milieu du vingtième siècle, la production industrielle était alors manuelle et de faible capacité.

2.1.2- Après guerre : reconstruction et besoin de production

Il y a 50 ans, l'industrie française se trouvait fortement endommagée, désorganisée par la seconde guerre mondiale et fortement dépourvue en main d'œuvre qualifiée. Le plan Marshall permit alors de relancer l'activité économique du pays et de reconstruire les outils de production et de fabrication en donnant la priorité aux industries lourdes : pétrochimie, chimie, sidérurgie... La relance économique du

(4)

pays entraîna une forte demande en produits de toutes sortes, de la part de la population et aussi de l'industrie. Pour faire face à l'accroissement considérable de la demande en matériaux et énergie, les industriels sont conduits à concevoir des usines avec des capacités de production de plus en plus importantes. Cela est vital pour la production d'énergie, dont la principale source est alors pétrolière. C'est pourquoi, les industries pétrochimiques et principalement pétrolières sont particulièrement précoces dans la conception, la construction et l'exploitation d'unités de production en continu de grande capacité.

2.1.3- Exigence de sécurité : naissance de l'automatisme

Pour assurer la sécurité nécessaire à la manipulation des grandes quantités de matières dangereuses (hydrocarbures), l'industrie pétrolière se dote de règles et de techniques spécifiques pour la conception, la construction, la conduite et la maintenance de ses unités. En Europe, la société pétrolière SHELL est alors pionnière dans le domaine de la sécurité. Pour cela elle a recours, entre autres, aux technologies hydrauliques et pneumatiques (intrinsèquement non dangereuses du point de vue des risques d'explosion et par opposition aux technologies électriques). Cette contrainte de sécurité conduit d'une part à automatiser les mesures et les commandes les plus fréquentes de telle sorte que le produit inflammable ne soit jamais en contact avec l'air, et d'autre part à réaliser à distance ces opérations de mesure et de commande. L'introduction des techniques puis la multiplication des instruments de télémesure (capteurs transmetteurs) et de télécommande (vannes automatiques) permettent la centralisation des informations. Ainsi, le regroupement des données en une salle de contrôle, véritable blockhaus, autorise les exploitants à conduire leurs unités en toute sécurité. Pour garantir la continuité et la stabilité d'une unité « en continu », la conduite « en manuel » s'avère alors difficile. Il est nécessaire de maîtriser « en automatique » les flux de matière et d'énergie. (Ceci s'effectue par le maintien des principales grandeurs physico-chimiques à des valeurs préétablies). Cette fonction est dévolue aux appareils de régulation. Ces régulateurs, pour les mêmes impératifs de sécurité que précédemment, sont de technologie pneumatique.

2.2- Contexte de l'industrie Horlogère5

Au XVIIe siècle, l'horlogerie française est particulièrement florissante et contribue au rayonnement de ses techniques à l'étranger. Mais la révocation de l'Édit de Nantes décapite cette activité alors que le marché de la montre croît sans cesse. En 1792, le gouvernement révolutionnaire invite un groupe d'horlogers suisses à créer à Besançon la

(5)

« Manufacture Nationale d'Horlogerie », sous la direction de Laurent Mégevand. En un demi-siècle, Besançon devient rapidement la capitale de l'horlogerie française. Elle est à son apogée de 1860 à 1880, et son rayonnement se fait sentir jusqu'en 1930. Pendant cette période, la « Manufacture » et « l'establissage » (regroupement de petits ateliers familiaux) fondent en 1860 l'école nationale professionnelle d'horlogerie (appelée aussi ENH). Après la deuxième guerre mondiale, les nouvelles techniques « électroniques » de la montre à quartz, le développement des centres horlogers d'Extrême-Orient, et la concurrence acharnée de la Suisse mettent l'industrie horlogère française en difficulté. L'industrie horlogère bisontine est en perte de vitesse et essaie une reconversion dans les microtechniques. Les enseignants de l'ENH sont conduits à rechercher de nouveaux débouchés et étudient de nouvelles formations, notamment à l'appareillage électromécanique, pour l'équipement des tableaux de bord des voitures automobiles.

2.3- Contexte scolaire6

Pour disposer de techniciens qualifiés, les manufactures puis les industries ont confié à l'école, et plus particulièrement aux ENP le soin de leur formation. Ces quelques lignes expliquent les raisons de ce choix.

2.3.1- De la formation professionnelle individualisée à l'enseignement démocratisé

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, la formation professionnelle est essentiellement accomplie dans le cadre d'un apprentissage « sur le tas », guidée par un patron mais souvent dans des conditions précaires. Seul le compagnonnage permet à un petit nombre d'accéder à un véritable métier socialement reconnu. Ces compagnons, « du Devoir » ou « du Tour de France », constituent à cette époque l'élite ouvrière.

Au début du XVIIIème siècle, l'enseignement primaire est dispensé par les Frères des écoles chrétiennes, sous l'impulsion de J-B de la Salle. Ces enseignements gratuits s'adressent aux enfants des milieux populaires. Au XIXe siècle, les « Frères » développent les formations techniques et professionnelles. Tout au long de ce siècle, elles s'intensifient dans de nombreux établissements dont le plus célèbre est incontestablement l'École St-Nicolas à Paris.

La première école des Arts et Métiers est tout d'abord fondée, dans un but charitable, en 1788 à Liancourt (Oise). Par l'arrêté du 25-2-1803, le Premier Consul transfert l'établissement à Compiègne et lui assigne comme but la formation de « bons » ouvriers et de chefs d'atelier. Le niveau d'études s'élève continuellement jusqu'à atteindre celui d'ingénieurs (décret d'octobre 1907). Les « gad'zarts » occupent

(6)

rapidement des postes de responsabilité, mais, de ce fait, ne constituent pas le noyau technique moyen dont l'industrie a besoin.

2.3.2- L'institutionnalisation de l'enseignement technique

C'est pourquoi, au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, différentes écoles de formation professionnelle voient le jour à l'instigation des municipalités, du patronat, de chefs d'entreprises, de sociétés industrielles. A cette époque, les objectifs, les modalités, les contenus de formation sont différents les uns des autres, sont fluctuants au cours du temps et sont, d'une manière générale, caractérisés par la non-intervention de l'État. Il faut attendre la défaite française de 1870, et même 1880 pour obtenir la première législation favorisant la formation laïque et gratuite de « masse » et assurant « le développement de la dextérité et des connaissances techniques nécessaires aux jeunes gens qui se destinent aux professions manuelles »7. C'est en 1892 qu'est créée,

pour la première fois au niveau national, la direction de l'enseignement « technique » au sein du ministère du commerce. La formation des professeurs des écoles « pratiques » est confiée à l'école normale de l'enseignement technique, fondée en 1912. Puis sont créées ou regroupées les ENP (Écoles Nationales Professionnelles). En 1914, il existe 6 ENP dont l'ENH de Besançon, accueillant 1850 élèves sur l'ensemble du territoire. Par leur petit nombre et la qualité de leur enseignement, les ENP vont bénéficier longtemps d'une réputation appréciée et respectée.

2.3.3- Le développement de l'enseignement technique

L'entre-deux-guerres voit se multiplier les formations techniques (120 000 élèves en 1939). Compte tenu de ses caractères spécifiques, l'enseignement « technique » se structure en un ensemble diversifié et hiérarchisé d'établissements, autonomes par rapport à l'enseignement secondaire classique. Ces formations sont alors dominées par les ENP qui délivrent à un premier niveau un CAP « certificat d'aptitudes professionnelles » puis, à un niveau supérieur, le diplôme « d'élève breveté des ENP » (équivalent au BTS actuel) qui préparent aux écoles des Arts et Métiers. Les chambres de métier essaient de reprendre à l'Éducation Nationale, l'organisation de « l'apprentissage », mais sans de nets succès. Les formations de « promotion sociale » ne touchent que 12 % des jeunes ouvriers. En 1939, seul 37 % des français reçoivent une formation professionnelle. L'enseignement technique, en train de se constituer, hésite entre diverses dénominations : « technique », « professionnelle » ou « pratique ».

(7)

Dans les années 50, l'enseignement technique se structure :

⇒ 1946 : création du baccalauréat Math et Technique (ancêtre du Bac E) destiné à valoriser les études des élèves d'ENP.

⇒ 1952 : création du Brevet d'Études Industrielles (BEI = troisième + 2 ans) préparé dans les collèges techniques.

⇒ 1952 : création du Brevet de Technicien (BT = BEI + 2 ans) L'effectif des ENP passe de 70 000 en 1945 à 140 000 élèves en 1960, avec le soutien des organisations patronales de la métallurgie et de l'électricité pour faire face aux demandes d'embauche. Les élèves « métallurgistes » et « électriciens » dominent les effectifs (45 %). Au début des années 1950, le ministère de l'Éducation Nationale cherche à fédérer puis à structurer les différentes filières techniques. Ces travaux sont dirigés par les CNPC (Commission Nationale Paritaire Consultative) dans lesquelles l'industrie est représentée par les délégués des grandes branches professionnelles, et l'Éducation Nationale par ses inspecteurs généraux.

C'est dans ce contexte fortement évolutif de l'enseignement professionnel que nous abordons la création du BTS CIRA.

3- CREATION EN 1954 DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE « CIRA »

L'émergence de la formation « CIRA » a été portée principalement par deux groupes d'acteurs appartenant à des institutions différentes. C'est grâce aux témoignages « de premières mains » de Messieurs Appert, Déliou, Guinet et Schitter, que nous avons pu réaliser nos travaux de recherche. Qu'ils en soient chaleureusement remerciés.

3.1- La SHELL

Vers 1950, la société pétrolière internationale Shell veut développer ses sites de production en France et particulièrement ceux de Petit Couronne (Normandie) et de Berre l'étang (Bouches du Rhône). Son ingénierie est chargée de la reconstruction des usines, et embauche des ingénieurs dans tous les corps de métier. En 1952, la Shell recrute M. Appert comme responsable de la mise en place des régulations des procédés. M. Appert est alors ingénieur de l'école Bréguet (ancêtre de l'école supérieure d'électronique et d'électricité). Ses courts passages dans différentes entreprises l'avaient conduit à se spécialiser dans la télémesure. M. Appert prend alors l'initiative de former les techniciens de la Shell sur les nouveaux appareils pneumatiques et aux nouvelles techniques de régulation. Il prend ensuite rapidement la responsabilité globale de tous les services « régulation » des différentes usines

(8)

françaises de la Shell. Il terminera sa carrière comme responsable « formation - organisation » à la direction nationale de cette entreprise.

3.1.1- Les besoins en techniciens

Vers 1950, les responsables des industries pétrolières confient tout d'abord l'installation et la maintenance des appareils pneumatiques de contrôle (capteurs-transmetteurs et vannes automatiques) et de régulation (régulateurs) aux techniciens « Instrumentistes » dont la plupart sont, à l'origine, des micromécaniciens ou des horlogers. Ces techniciens sortent, à cette époque, des écoles nationales professionnelles (ENP), et plus particulièrement de celles très réputées de Cluses et de Besançon qui assurent la formation des horlogers8.

Pour assurer la conduite des procédés pétroliers et de leurs grandeurs physico-chimiques, les techniciens « Régleurs » doivent recevoir une formation scientifique afin d'obtenir une bonne compréhension des phénomènes physico-chimiques mis en œuvre. Ces compléments de formation, dispensés par la société Shell en Hollande ou aux USA, confèrent à leurs détenteurs une plus-value très recherchée sur le marché du travail. Cela provoque des surenchères à l'embauche. Ceci n'était pas un phénomène nouveau. Pour éviter les conflits entre les entreprises, cela avait déjà conduit, en 1925, au transfert des formations professionnelles de l'industrie au sein de l'école publique. C'est en 1952, que la société Shell commence ses démarches pour organiser, en France, la formation de ses instrumentistes et de ses régleurs. La société Shell élabore un cahier des charges définissant ses besoins de formation et prend contact avec les différents centres de formation pouvant satisfaire ses exigences.

3.1.2- Essais de formation « hors école »

En 1952, la société Shell confie alors à Monsieur Appert le soin de recruter et de former les techniciens « Instrumentistes » et « Régleurs » dont elle a besoin. Plusieurs cessions de formation sont organisées dans les centres de formation de la Shell (en Hollande et aux États Unis d'Amérique). Des stages de promotion interne sont mis en place sur les sites de production eux-mêmes, sous la responsabilité des ingénieurs de production. Ainsi, les « Instrumentistes » et les « Régleurs » bénéficient d'une formation par apprentissage « sur le tas » prise en partie sur leur temps de travail. Il s'avère que les durées d'apprentissage sont trop longues par rapport aux évolutions rapides des nouvelles techniques et technologies mises en œuvre dans l'industrie pétrochimique. La Shell ressent alors la nécessité d'une formation « lourde » de vingt semaines à temps complet pour former ses techniciens aux nouveaux appareils d'instrumentation.

(9)

M. Appert s'adresse d'abord naturellement à la FPA « Formation Professionnelle des Adultes » sous tutelle du ministère de l'industrie. A cette époque, la FPA est saturée par les formations des métiers du bâtiment (dessinateur, métreur, calculateur en béton, maçon, électricien etc.) et ne donne aucune réponse à la demande de la Shell.

3.2- Présentation de la formation

La Shell, ayant constaté que la plupart de ses techniciens « Instrumentistes » avaient une formation initiale en micromécanique et en horlogerie, prend contact avec l'ENP d'horlogerie de Besançon dont la notoriété était largement internationale. En avril 1954, M. Appert présente aux enseignants de cet ENP les nouveaux matériels sur lesquels il souhaite voir former ses actuels et futurs techniciens « Instrumentistes » et « Régleurs ».

3.3- ENP - Horlogerie de Besançon

Messieurs Jacques Déliou et Jean Marchand avaient la responsabilité, au sein de l'ENH, de la formation conduisant au Brevet d'Études Industrielles (BEI) de construction horlogère.

M. Déliou obtient le diplôme « d'élève breveté des ENP » en 1946, puis suit les cours de physique générale au Conservatoire National des Arts et Métiers. En 1948, il est chef de fabrication dans une entreprise horlogère bisontine. Il réussit le concours national de professeur technique des ENP en 1951. Nommé à l'ENH, il est chargé de l'enseignement de construction horlogère. Son proviseur lui confie en 1952 la mission d'étudier (avec l'ENP de Cluses et l'ENP Diderot de Paris) la création des futures sections « appareillage électromécanique ». Pour assurer cette mission, il suit les cours d'électricité et d'électronique à l'Institut de Chronométrie de Besançon.

M. Marchand est ingénieur des Arts et Métiers. Il est nommé chef des travaux à « l'école du bois » de Mouchard, puis au lycée Vaucanson de Grenoble. Pour se rapprocher de sa famille, il obtient en 1954 son affectation à l'ENH de Besançon comme professeur de construction horlogère.

M. Jean-Paul Schitter, jeune professeur de mathématiques, arrive à l'ENH en 1953. On lui confie alors l'enseignement de la chimie. Il assure cet enseignement lors de la mise en place en 1956 de la première formation « CIRA » en année complémentaire (voir en § 4.6). Il assurera cet enseignement en classe de TS CIRA jusqu'à sa retraite.

Nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer M. Jacques Guinet, qui a été un élève de la première promotion en année complémentaire en 1956

(10)

(voir en § 4.6). Le témoignage de ce dernier nous a permis d'enrichir et de valider nos informations.

3.4- Formation des enseignants

Dès 1954, Messieurs Déliou et Marchand étudient ces matériels, visitent les différents sites de production et rencontrent les techniciens de la Shell. Celle-ci prend en charge financièrement la formation de ces professeurs de l'ENH dans ses centres de formation en Hollande et dans ses usines de production, mais aussi chez ses constructeurs d'équipements de régulation (MECI, BAILEY, ...)

3.5- Expérimentation de la formation « CIRA » en formation continue

Puis, l'ENH organise un premier cycle « en promotion sociale » pour les techniciens de la Shell. Ce cycle se déroule en quatre périodes de cinq semaines à temps complet, et sur une durée de trois ans (de 1955 à 1957). C'est vraiment à cette occasion, au contact des techniciens de la Shell, que se forment les professeurs de l'ENH, cités précédemment, et que se forge le programme de cette nouvelle formation.

3.6- Élargissement de la noosphère

De 1956 à 1962, Monsieur Appert de la Shell et Monsieur Déliou de l'ENH participent activement aux réunions de la Commission Nationale Consultative Paritaire de la Chimie (CNPC-C). Celle-ci est présidée par :

∗ Monsieur Giveaudon (ingénieur de l'École Polytechniques) représentant de l'Union des Industries Chimiques (UIC),

∗ Monsieur Stadler (ingénieur des Arts et Métiers), représentant du syndicat des Constructeurs d'Appareils de Contrôle Industriel et de Régulation Automatique (CACIRA),

∗ et Monsieur l'Inspecteur Général Fritsch, agrégé de sciences, ancien professeur à l'école nationale supérieure de l'enseignement technique (ENSET), représentant de l'Éducation Nationale.

Cette CNPC-C assure la mise en place de la carte scolaire des formations professionnelles liées à l'industrie chimique. C'est au cours d'une de ces réunions, en 1958, que la dénomination « CIRA » (Contrôle Industriel et Régulation Automatique) apparut la première fois, à la demande de la « CACIRA ». Monsieur Bastian, proviseur de l'ENH, ingénieur des Arts et Métiers puis son successeur, lui aussi ingénieur « ancien élève » des Arts et Métiers, et l'inspection pédagogique régionale laissent aux enseignants une grande liberté, bienveillante, dans la conduite des recherches et des études pour la mise en place de nouvelles formations. Toutes ces rencontres sont facilitées par la solidarité des « Gad'zarts ». Les enseignants, Messieurs Déliou,

(11)

Marchand et Schitter prennent, sur leurs loisirs et sur leurs deniers personnels, le soin de se former, d'organiser la formation et de participer à toutes ces réunions.

3.7- Essai en formation initiale

Cette formation « CIRA » cristallise une première fois à l'occasion de la mise en place, en formation initiale, d'une année complémentaire au BEI d'horloger (de septembre 1956 à décembre 1957). Puis elle prend sa forme quasi définitive avec la création de la première formation en 2 ans (de 1958 à 1960), sur le canevas des BTS qui sont alors en gestation dans les CNPC.

3.8- Institutionnalisation

La création d'un BTS CIRA est officiellement instituée en août 1962. Le diplôme de TS CIRA est attribué, exceptionnellement avec effet rétroactif, aux élèves des premières promotions.

4- LA FORMATION « CIRA » - APPROCHES DIDACTIQUES

Sans entrer ici dans les détails du programme élaboré dans les années 1950, nous pouvons remarquer le travail d'ingénierie didactique réalisé par l'équipe d'enseignants de l'ENH. En effet, la demande initiale de la Shell est de former ses techniciens aux technologies mécaniques et pneumatiques constitutives des nouveaux appareils. Il s'agit alors de former des instrumentistes ! Mais la partie « réglage du procédé » semble occultée, voire ignorée par les responsables de la Shell, comme si le fait d'avoir un bon instrument assurait, à lui seul, une bonne conduite du procédé.

4.1- Analyse du programme d'enseignement

A l'occasion de cette phase d'organisation de la nouvelle formation « CIRA », la notion de pratique sociale de référence est intuitivement mais efficacement mise en œuvre au sein de la noosphère. Ce n'est que plus tard, en 1982, que ces pratiques sociales de référence furent repérées et introduites par J.L. Martinand au sein de la didactique des sciences et de la technologie9. J.-L. Martinand relève « Dans de nombreuses

disciplines, en tout cas en Sciences et Technologie, les activités scolaires veulent être des images d'activités sociales réelles. Il y a certes des différences obligatoires, mais la référence est nécessaire. [...]. Au fond, c'est par rapport à toutes les composantes d'une pratique que doit se poser la question de la référence : objets de travail, instruments matériels et intellectuels, problèmes, savoirs, attitudes, rôles sociaux ».

9 Martinand, J.L. (1987). Pratiques de référence, transposition didactique et savoirs professionnels en sciences et techniques. Actes du Congrès de l'AIPELF.

(12)

Cette référence aux pratiques sociales est ici très forte puisque la société Shell détache plusieurs ingénieurs pour les identifier, et une vingtaine de techniciens font part de leurs pratiques aux enseignants de l'ENH pour l'élaboration des programmes.

Les objectifs initiaux de la formation sont d'obtenir des compétences débouchant obligatoirement sur une pratique professionnelle, si possible immédiatement efficace. C'est sans doute pourquoi la validation des compétences est effectuée, dès cette époque et encore aujourd'hui, par un jury paritaire (industriel et enseignant) lors de l'examen du BTS CIRA.

4.2- Les contraintes didactiques

L'analyse sur site des pratiques effectives des techniciens de la Shell, et non pas seulement le recueil de ce que ces techniciens pouvaient en dire, conduit les enseignants à prendre en compte les savoirs professionnels mis en œuvre. Ces derniers concernent le procédé industriel lui-même, tant du point de vue de son étendue dans l'espace, des appareils de « génie chimique » utilisés que du point de vue de la physico-chimie de ses fabrications, de ses modes de fonctionnement dynamique. Ces savoirs se rapportent aussi aux techniques et aux technologies des appareils, équipements et systèmes de contrôle des procédés.

4.3- Une révolution conceptuelle chez les enseignants

Pour les enseignants de constructions horlogères de l'ENH, habitués à raisonner sur des objets finis avec leurs contraintes mécaniques fixes, c'est une véritable révolution conceptuelle que de devoir prendre en compte des fluides en mouvement (liquides ou gazeux) dont les grandeurs sont essentiellement dynamiques.

4.4- L'architecture du programme

La nécessité de faire comprendre aux élèves la physico-chimie des procédés provoque une forte proportion (50 %) d'enseignement des sciences (chimie, physique, mathématiques) dans le programme initial, ainsi que dans le programme actuellement en vigueur. Les enseignants de ces disciplines ont, à cette époque, le constant souci d'élaborer un programme répondant aux préoccupations immédiates des industries recrutant des techniciens « CIRA ». L'enseignement technique et technologique de construction horlogère est, à cette période, fortement basée sur l'étude mécanique de la technologie. Mais pour la formation professionnelle en « CIRA », on voit apparaître deux nouveaux enseignements : la régulation et la mesure industrielle.

(13)

4.5- Étude selon la Transposition didactique des savoirs

Il nous faut bien admettre10 l'absence de communauté « savante » assurant l'institutionnalisation du savoir professionnel. Par défaut de sources savantes, il ne saurait y avoir de phénomènes de transposition didactique, dans son sens le plus strict, pour les savoirs professionnels. Chevallard admet des savoirs « savantoïdes » plus ou moins « savantisés ». Dans ce cas, l'analyse des phénomènes de transposition didactique repose sur l'analyse et la reconnaissance des processus de « savantisation » des « savoirs de référence ». Au départ, ce statut « savantoïde » est conféré par la société Shell qui demande, paye et accepte la formation. Ce statut « savantoïde » s'inscrit ainsi dans le temps et l'espace et a, de ce fait, un caractère tout à fait temporaire et local. Certains de ces savoirs « savantoïdes », tels que la régulation, ont fait et font encore l'objet d'études théoriques ultérieures et de recherches scientifiques poussées (servo-commande, asservissement). Ces savoirs ont acquis un statut définitif de « savoir savant » puisqu'ils ont été publiés et paraissent encore maintenant dans des publications scientifiques ou universitaires.

4.6- Un stage en entreprise pour chaque élève

Dans le programme du BTS CIRA, il est prévu, pour les élèves, un stage de 16 semaines en entreprise, ce qui constitue une durée particulièrement importante par rapport aux autres BTS. La formation au cours de ce stage ne ressort pas des modes habituels de l'enseignement scolaire. Nous sommes plutôt dans une situation de « formation sur le tas ». Ce stage fait l'objet d'un rapport d'activité sur site, présenté comme épreuve professionnelle de synthèse lors de l'examen. Cette épreuve est dotée d'un coefficient 5, qui représente un quart de la totalité des points de l'examen. D'autre part, alors que les directives officielles semblent vouloir donner de plus en plus d'importance à la formation en entreprise, la compétition économique empêche aujourd'hui les industries de dégager les ressources en matériels et en hommes nécessaires à l'encadrement des stagiaires quelqu'en soit leur niveau. En conséquence, il est de plus en plus difficile, au dire des enseignants, de trouver des stages pour les élèves. On peut aborder l'étude du maintien paradoxal du statut donné au stage, à partir de différents points de vue : sociologique, historique, économique, politique etc.... Toutes ces approches seront sollicitées dans le cadre d'une problématique que nous voudrions spécifique de la didactique. Elle pourrait être énoncée de la façon suivante :

10 Déliou, H.-P. (1995). Contribution à l'étude d'une formation technique et professionnelle : Le BTS CIRA. Mémoire de D.E.A.

(14)

4.7- Étude du stage à partir des Pratiques Sociales de référence. Nos travaux de D.E.A. ont montré que le stage est l'occasion de découvrir l'entreprise, son environnement, son étendue géographique, mais aussi les activités multiples qui s'y déroulent depuis l'espace restreint d'un laboratoire jusqu'aux sites de production pouvant s'étendre sur plusieurs hectares. Le stage contribue fortement à l'acquisition des capacités professionnelles, notamment pour l'analyse des procédés mais aussi l'apprentissage des « ficelles » du métier. Mais le stage est surtout l'occasion d'apprentissage de savoirs non explicités dans le référentiel

de la formation ou du diplôme. En particulier, les notions de repérages

« spatial » et « temporel » des phénomènes physico-chimiques survenant dans les procédés industriels sont des savoirs non enseignés au lycée. Il en est de même pour l'apprentissage de l'organisation d'un travail dans le temps et l'espace d'une grande entreprise. Cependant la maîtrise de ces notions est vitale dans l'activité professionnelle du TS CIRA ; à ce titre nous les avons caractérisées comme notions paradisciplinaires (en dehors du champ de l'enseignement disciplinaire) ou protodisciplinaires (constitutives de la discipline) du CIRA. Enfin, l'expérience du stage est utilisée en deuxième année pour valider l'enseignement technique mais aussi celui de sciences physiques. Autrement dit, les cours théoriques sont ainsi légitimés par les exemples concrets extraits des expériences de stages.

4.8- Étude du stage à partir de la transposition didactique des savoirs.

Lors de nos travaux, nous nous sommes trouvé confronté avec les limites des phénomènes de transposition : décontextualisation, déperson-nalisation, désyncrétisation, désynthétisation, temps d'apprentissage... La mise en évidence et la prise en compte de ces limites, au-delà desquelles le phénomène ne peut plus avoir lieu, permet de comprendre l'influence des phénomènes de transposition lors du passage d'un « savoir savantoïde » vers un « lieu d'enseignement », scolaire ou industriel. Autrement dit, les limites des phénomènes de transposition influencent le choix de la durée et du lieu de l'apprentissage des savoirs professionnels, en particulier pour ceux dont il est difficile d'assurer un enseignement de type scolaire. À titre d'exemple, le « repérage spatial » et le « repérage temporel » sont des notions dont le temps d'apprentissage est incompatible avec le temps didactique dévolu à leur enseignement, avec ses contraintes de séquentialisation dans un cadre scolaire. Il en est de même de l'étude de la dynamique des procédés industriels.

(15)

4.9- Protoconnaissance disciplinaire

Nous avons vu que dans les années 50, la Shell avait confié la maintenance de ses appareils à des micromécaniciens et plus particulièrement à des horlogers. Ces derniers possédaient d'une part la maîtrise de la technologie « mécanique » nécessaire à l'instrumentiste et d'autre part une protoconnaissance des pratiques de réglage. (En effet, un horloger observe, règle et maîtrise les dérives dans le temps des montres qu'il a en réparation. Il possède ainsi une protoconnaissance de la régulation à travers la pratique de la dynamique du procédé particulier qui est celui d'une montre.) Cette pratique « de la dynamique de la montre » s'est avéré un véritable « savoir protodisciplinaire en acte » de la pratique du métier de régleur. L’« ex-horloger » devenu instrumentiste à la Shell, était en quelque sorte prédisposé à l'acquisition des savoirs théoriques liés à l'étude de la dynamique des procédés. Pour les autres techniciens « non horlogers » le saut cognitif, au sens de Vygotsky, était plus important. Ils se sont alors « naturellement » orientés vers des métiers qui leur semblaient plus accessibles.

5- ÉVOLUTION DE LA FORMATION « CIRA »

En France, de 1955 à nos jours, l'organisation et les contenus de l'enseignement initial de la formation CIRA, ont subi inéluctablement des évolutions. Ces transformations ont été provoquées par des besoins et des contraintes provenant de l'industrie, mais aussi de l'institution scolaire elle-même.

5.1- Évolution du Contexte Industriel (à partir de 1960)

Pour ce qui concerne le « CIRA », nous ne retiendrons ici que les grandes évolutions technologiques qui ont influencé les métiers d'instrumentiste et de régleur. Nous pouvons remarquer cinq grandes périodes d'une dizaine d'années chacune.

5.1.1- De la mécanique à l'électricité

Jusqu'en 1955, la technologie des appareils « CIRA » est essentiellement mécanique. La majorité des opérations est conduite en « manuel ». De 1955 à 1965 environ, c'est l'ère du pneumatique. Il y a quelques tentatives d'électronique à lampes, mais les puissances électriques alors requises sont incompatibles avec les contraintes de sécurité exigées dans les industries chimiques. Les dispositifs électriques de sécurité (Tout ou Rien) sont réalisés en technologie à relais électromagnétiques et mis en œuvre par des électriciens.

(16)

5.1.2- De l'électricité à l'électronique analogique

De 1965 à 1975, c'est l'époque de l'électronique dite analogique. La découverte et la miniaturisation du transistor permettent la réalisation des fonctions électroniques utilisées en instrumentation avec des alimentations électriques ayant de faibles niveaux d'énergie. On peut remarquer, comme exemple typique, la standardisation des signaux entre appareils « CIRA » dont la transmission s'effectue par la modulation d'un courant variant entre 4 et 20 mA sous une tension continue de 24 V (soit une puissance maximale inférieure à 0,5 W).

À cette époque, on voit apparaître les premières fonctions logiques intégrées pour traiter les fonctions de sécurité, et pour exécuter certains modes de marche des procédés séquentiels. Les automatismes deviennent plus complexes et nécessitent le développement de nouveaux savoir-faire et de techniques spécifiques. Ce qui entraîne l'apparition d'un nouveau métier, celui d'« Automaticien ».

5.1.3- De l'électronique analogique à l'informatique centralisée

De 1975 à 1985, c'est l'invasion du numérique. L'arrivée de l'ordinateur permet d'abord la centralisation des nombreuses informations d'un procédé industriel pour effectuer des bilans et des rapports (à titre d'exemple, une unité pétrolière de raffinage comprend plus de 1000 points de mesure). Puis la fiabilisation des calculateurs permet la commande directe des procédés à partir de systèmes numériques de contrôle et de commande (SNCC) sans avoir recours à des régulateurs « électroniques analogiques ». Ainsi peuvent être réalisées, sans câblage, des « stratégies » plus complexes de contrôle et de régulation.

Dans cette période, les automatismes deviennent encore plus nombreux et rapides. Ils sont alors pilotés par des Automates Programmables Industriels (API). Les TS CIRA se voient encore obligés d'intégrer un nouveau métier lié à l'informatique industrielle.

5.1.4- De l'informatique centralisée aux réseaux de communication

De 1985 à 1995, la miniaturisation des composants électroniques (analogiques ou digitaux) a rendu possible l'intégration de fonctions de plus en plus élaborées dans un petit volume et avec une consommation électrique faible. C'est le règne du microprocesseur. Par exemple, les capteurs réalisent des calculs en plus de leur fonction de mesure, les enregistreurs assurent des fonctions d'acquisition et de traitement de mesures et de gestion d'alarmes en plus de leur fonction propre d'enregistrement. L'instrumentation devient « intelligente », c'est-à-dire dotée de moyens de communication. Les fonctions de régulation deviennent plus sophistiquées, paramétrables, intégrant des signaux

(17)

analogiques, discrets (Tout ou Rien) ou numériques, et aussi des fonctions logiques continues, séquentielles ou de logique « floue ». Certains « CIRA Informaticiens » deviennent des spécialistes des réseaux de communication ou de la programmation structurée et répartie.

5.1.5- Des réseaux de communication à la répartition

Depuis 1990, les systèmes numériques sont interconnectés en réseau, les SNCC, les API, et les équipements deviennent « communicants ». La bataille mondiale des constructeurs pour la définition des normes de communication sur les réseaux industriels n'est à ce jour pas terminée. Mais les futures possibilités de communication donneront la possibilité de nouvelles conduites des procédés industriels basées sur la répartition des tâches à accomplir.

5.1.6- 30 ans : une génération de techniciens « CIRA »

La période des trente glorieuses (de 1960 à 1990), fut celle de pleine embauche des « CIRA ». Au début de cette période, il fallait construire les usines, puis les automatiser et à la fin rénover les équipements devenus obsolètes. Aujourd'hui, il n'y a plus suffisamment de nouvelles constructions pour alimenter en travail les ingénieries et les bureaux d'études... Actuellement, la miniaturisation des composants électroniques a permis l'intégration des équipements, dans des boîtes fermées, étanches, irréparables... L'instrumentation est devenue « jetable » ! Par conséquent, le besoin en instrumentistes de maintenance a fortement diminué.

5.2- Évolution du contexte institutionnel de la formations « CIRA » Parallèlement à l'évolution industrielle, le système éducatif a subi des transformations remarquables.

5.2.1- L'environnement du BTS CIRA

Comme nous l'avons précédemment écrit, de 1954 à 1968, la formation « CIRA » n'est dispensée qu'à l'ENH (École Nationale d'Horlogerie) de Besançon. Pendant cette période, les syndicats d'enseignants militent11 pour retarder l'orientation professionnelle des

jeunes qu'ils estiment alors trop précoce. La politique de l'Éducation Nationale vise alors à l'unification des différentes filières, réparties dans une nomenclature nationale en 7 niveaux de formation, le « 1 » étant en haut de l'échelle pour les formations d'ingénieurs. Les BTS sont classés au niveau 3. Les ENP deviennent les Lycées Techniques d'État (LTE). Les BEI sont transformés en Baccalauréat de Technicien (BEP = troisième + 2ans), et en 1961, les Brevets de Techniciens Supérieurs

(18)

(Btn + 2 ans). Le BTS CIRA est reconnu par les conventions collectives de la chimie en 1965. Comme les BTS donnent des garanties de qualification professionnelle, c'est à dire de compétences relatives à un métier, aussi bien du côté des employés que de celui des employeurs, on les dit « diplômes qualifiants »12. Les conventions collectives déterminent pour chaque diplôme le niveau d'embauche, l'indice salarial, la position du TS au sein de l'entreprise ainsi que les fonctions qu'il est capable d'y exercer. Parallèlement, dans les années 63-65, les Instituts Universitaires de Technologies prolongent les baccalauréats de Techniciens (BTn) qui se préparent dans des lycées Techniques.

5.2.2- Le BT ICR, une formation préparatoire au BTS CIRA

Au début des années 1960, il y a création du Brevet de Technicien Industriel en « Contrôle et Régulation » (BTI CR). Cet enseignement en deux ans à l'issue d'une classe de seconde technique, est assimilé au Baccalauréat Technique (au niveau « 4 »). Son programme est conçu comme une pré-formation au BTS CIRA. A la fin des années 60, il y a création d'une option « appareillage » (lié à l'instrumentation) aux CAP et BEP micromécaniques qui se préparent dans les CET (Collège d'Enseignement Technique). Ces grandes réformes vont tendre à éloigner encore un peu plus l'enseignement des milieux productifs13.

5.2.3- Une TS CIRA par bassin d'emploi

A la demande des industries chimiques d'Île de France, l'ENP de Chimie de Paris (ENCPB) ouvre à son tour en 1968 une formation au BTS CIRA. Au début des années 70, la loi d'orientation autorise l'exonération fiscale aux entreprises des frais imputables à la « formation professionnelle ». Ceci stimule la formation des salariés, et l'AFPA (Association Française pour la Formation des Adultes) ouvre sa première formation « CIRA » à Montpellier. Avec, Saint Omer, Nantes, Jarny, Lyon, il existe sept formations BTS CIRA en France en 1981.

5.2.4- La régionalisation entraîne l'essaimage

Dans les années 1985, en raison de la relative « prospérité » antérieure des techniciens « CIRA », plusieurs régions accueillent de nouvelles sections de BTS. Ainsi, une dizaine de nouvelles formations publiques voit le jour et une vingtaine apparaissent sous différentes formes dans le privé : chambre patronale, cours du soir en formation continue, lycées privés... Alors qu'au niveau industriel, c'est la pleine récession des embauches !

12 Pateyron B. (Février 1997). Mémoire de Thèse.

(19)

5.2.5- De nouvelles formes de préparation au BTS CIRA

A cette époque, le foisonnement des sections conduit l'Éducation Nationale a réfléchir de façon générale aux modes de préparation des divers BTS. Ainsi, différents décrets autorisent la préparation des BTS par la voie scolaire dans les lycées publics et les écoles privées, mais aussi dans le cadre de la formation professionnelle continue, par la voie de l'apprentissage, par des établissements d'enseignement à distance... Pour satisfaire les exigences de ces nouvelles formations, l'enseignement est découpé en « modules » qui feront l'objet d'un contrôle « formatif » continu. Le diplôme est délivré après capitalisation sur cinq ans des unités de contrôles « sommatifs ».

5.2.6- L'établissement d'un référentiel du BTS CIRA

En 1986, un premier référentiel d'emploi recense, par fonction, les activités que le TS CIRA peut être conduit à assurer dans l'entreprise. A partir de ce document, le BTS CIRA se dote d'un deuxième référentiel14 des compétences générales, technologiques et professionnelles requises pour la délivrance du BTS CIRA. Enfin, le référentiel du diplôme définit les modalités de validation des compétences définies précédemment. Ces trois référentiels sont établis par l'Éducation Nationale, et plus particulièrement par les enseignants, à partir d'enquêtes réalisées auprès des industriels de la branche professionnelle CIRA, de questionnaires et de leur connaissance du profil du TS CIRA. Le référentiel du diplôme15 présente les correspondances entre le référentiel d'emploi (liste des tâches à accomplir par le technicien) et le référentiel des compétences (liste des capacités). C'est à partir de ce référentiel de compétences que peut être préparé, par modules, le BTS en UCC.

5.2.7- Standardisation de la formation des enseignants

Les professeurs techniques des lycées techniques (PTLT), chargé des enseignements professionnels, étaient recrutés parmi les professionnels titulaires d'un diplôme à BAC + 2 ans (ou supérieur) et ayant une expérience industrielle minimale de trois ans dans la spécialité technique puis après la réussite à un concours national. Mais depuis 1980, il n'y a plus de concours de recrutement de PTLT. Les anciens PTLT sont assimilés au corps des certifiés en mars 1986. Le corps des PTLT disparaît. Ainsi, des professeurs certifiés ou agrégés, non spécialisés, doivent assurer, de plus en plus souvent, les enseignements professionnels, sans avoir une pratique industrielle, voire même sans être spécialiste de ces enseignements.

14 BO n° 32 du 18-9-1986. Arrêté du 17-7-1986 Article 2.

(20)

5.2.8- Généralisation de l'enseignement CIRA

Enfin en 1993, le Brevet de Technicien Industriel en Contrôle et Régulation (BT-ICR) disparaît à l'occasion de la réorganisation des filières de formation des Sciences et Technologies de Laboratoire (STL). L'ancien Baccalauréat BTn (physique) « F5 » devient un Baccalauréat STL spécialité Physique de Laboratoire et des Procédés Industriels (PLPI) qui propose une option « Contrôle et Régulation ». Le nouveau programme Bac STL PLPI CIRA reprend approximativement l'ancien programme du BT ICR.

En 1995, nous pouvons recenser 20 sections STL PLPI CIRA et 29 BTS CIRA de l'enseignement public, auxquelles il faut ajouter une douzaine de sections du privé dans cette spécialité.

5.3- Évolution des Programmes « CIRA »

Le stage des élèves en entreprise et le jury paritaire de l'examen donnent l'occasion aux enseignants de rencontrer des industriels, d'être à l'écoute de leurs besoins et des évolutions des pratiques industrielles. Nous faisons ici un rapide survol des changements de l'enseignement professionnel.

Il faut tout d'abord remarquer que les différentes disciplines enseignées en CIRA, tant scientifiques que professionnelles, ne font que très rarement l'objet de manuels scolaires spécifiques. Cette absence d'ouvrages scolaires officiels provient vraisemblablement du faible effectif des acheteurs potentiels, ce qui décourage les éditeurs et les auteurs. Les professeurs sont amenés à concevoir, à élaborer par eux-mêmes et pour leur propre compte leurs cours. Pour ce qui concerne l'enseignement professionnel, ce travail d'ingénierie et de transposition didactiques s'opère généralement sans évaluation externe de la part de professionnels « CIRA ».

5.3.1- Évolutions des programmes d'enseignement général

Le programme de mathématiques s'étoffe, en 1967, par le calcul opérationnel avec l'opérateur de Laplace (p) particulièrement adapté à la représentation des réponses et aux calculs des régulations. Il intègre ensuite, en 1986, la transformée en z pour le traitement des systèmes échantillonnés.

En physique, l'étude de la résistance des matériaux disparaît en 1977. A partir de cette date le cours de dynamique des fluides s'étend à l'étude des fluides visqueux, et une introduction à la physique des particules et des champs ionisants fait son apparition pour répondre aux besoins de l'industrie électrique nucléaire.

(21)

5.3.2- Évolutions des programmes d'enseignement professionnel

Pour les enseignements professionnels, la construction mécanique et le dessin industriel ont disparu au profit de l'électricité et de l'électronique en 1977.

Le programme d'électronique à lampes est éphémère. Les circuits à « ampli-op » puis à microprocesseurs prennent le relais. Et plus récemment en 1986, l'étude des circuits de puissance à base de thyristors s'est intégrée au programme de physique appliquée et celui de régulation s'adapte aux systèmes numériques échantillonnés. Le programme de Mesures Industrielles se complète avec la mesure d'une part et l'analyse physico-chimique des fluides industriels d'autre part. L'étude de l'appareillage passe progressivement de la technologie pneumatique à la technologie électrique puis électronique, et enfin aux techniques de programmation et des réseaux. L'enseignement de l'automatisme se développe dans les années 65-75, et devient un des quatre enseignements majeurs en TS CIRA, avec la régulation, l'électricité-électronique et la mesure industrielle - technologie des appareils. Cet enseignement prépare au nouveau métier d'automaticien.

5.3.3- Institutionnalisation de la Régulation pour les CIRA

En 1995, à la demande de l'inspection générale, le cours de régulation à enseigner en TS CIRA est édité. De ce fait, la régulation devient l'objet d'une véritable transposition didactique. Il faut saluer cet effort qui facilite le travail des enseignants de cette discipline. Il serait souhaitable que dans un proche avenir, les autres disciplines professionnelles (Physique appliquée, Automatisme et Instrumentation) fassent, de même, l'objet de cette mesure d'institutionnalisation.

CONCLUSION

D'une manière générale, l'enseignement professionnel dispensé dans les centres de formation CIRA les plus anciens (antérieurs à 1985) a suivi les évolutions technologiques industrielles et s'est adapté aux exigences locales du bassin d'emploi dans lequel ils sont implantés. Certains de ces centres de formation privilégient certains aspects du programme en fonction des besoins des industries locales. Par exemple, les sections CIRA de Lyon se tournent davantage vers l'instrumentation et les systèmes numériques utilisés dans l'industrie chimique régionale. La section de Cherbourg renforce le cours de physique nucléaire en raison de la proximité des usines de La Hague. La section de Metz étudie plus particulièrement les mesures et les technologies adaptées à l'industrie sidérurgique...

(22)

Malgré les évolutions et les adaptations des programmes d'enseignement, la formation du TS CIRA ne prend pas en compte certaines compétences cependant indispensables dans l'exercice de son métier. Une série de réunions avec les enseignants CIRA du Lycée La Martinière Terreaux à Lyon et une vingtaine d'industriels de la région, a conduit au constat suivant :

∗ la formation technique « standard » CIRA, proposée par le système scolaire, prépare à la culture technique indispensable au TS CIRA mais ne semble plus avoir la souplesse nécessaire pour répondre à la rapidité d'évolution technologique et surtout à une diversité accrue des activités industrielles,

∗ les jeunes TS embauchés ont des difficultés à mobiliser et à réinvestir leurs connaissances scolaires pour faire face à leurs nouvelles fonctions,

∗ en raison des contraintes opérationnelles et de rentabilité économique, les entreprises ne proposent que trop rarement des formations d'accompagnement ou d'insertion de leurs nouveaux embauchés.

Pour répondre à ces nouvelles demandes, l'Éducation Nationale envisage prochainement une mise à jour du référentiel du diplôme de 198616.

(23)

RÉFÉRENCES

Académie de Lyon. 8-09-1995. Protocole d'ouverture et de suivi des D.N.T.S.

Arrêté du 17 juillet 1986. BO n° 32 du 18-09-1986. Édition du CNDP, deuxième trimestre 1988

BO n° 36 du 24-9-1992. Modification de l'arrêté du 18-9-1986. Annexe I CHEVALLARD, Y. (1991). La transposition didactique. Exemple

d'analyse de la transposition didactique.

CHEVALLARD, Y. (1994). La transposition didactique à l'épreuve. p 142. La pensée sauvage

Conseil supérieur de l'enseignement technique, réunion du 17.11.1932, archives nationales.

Décret du 4-11-1994. Application par Arrêté du 31-05-1995.

DÉLIOU, H.-P. (1995). Contribution à l'étude d'une formation technique

et professionnelle : Le BTS CIRA. .Mémoire D.E.A.

MARTINAND, J.-L. (1987). Pratiques de référence, transposition didactique et savoirs professionnels en sciences et techniques. In actes du Congrès de l'AIPELF.

Musée du temps, Exposition du bicentenaire de la montre. Besançon, 1994.

PATEYRON, B. (1995). La notion de territoire. In Différents types de

savoirs et leur articulation, (§2.2.2 p 42). La Pensée Sauvage,

Collection sciences, Travaux et thèses de didactique.

PELPEL, P. & TROGER, V. (1993). Histoire de l'enseignement

technique. Hachette Éducation

ZIEGLER & NIECHOLS (1942). Optimum settings for automatic

Références

Documents relatifs

courbe (en effet, l’absorbance de 1.20 n’appartient pas au domaine de linéarité de la courbe détalonnage, nous ne pouvons donc pas utilisé la formule A = k*c).. On prélève 10 mL

Restauration d’une dent d’un secteur prémolomolaire sur 3 faces ou plus par matériau inséré en phase plastique sans ancrage radiculaire, avec réfection d'un point de contact. 1 0

DAMAGE CONTROL RESUSCITATION DC Surgery DC Resuscitation DAMAGE CONTROL Stop Bleeding Surgery Embolization Tissular P / Oxyg Permissive HypoTA Correct Coagulop... Ann Fr Anesth

Du fait du rapprochement progressif entre les montants de pension des femmes et des hommes, le rapport entre le montant moyen des pensions de droit direct des femmes

mesure diurèse (sonde vésicale) : la surveillance du débit urinaire est le moyen d'apprécier la fonction rénale au cours de l'anesthésie, la sonde vésicale est posée

l’ampleur des lésions traumatiques et aux concentrations d’alarmines (aussi nommées Damage-Associated Molecular Patterns ou DAMPs) circulantes dont les acteurs (complément,

On peut également voir cette égalité en remarquant que D est une matrice de passage, exprimer l’endomorphisme T dans cette nouvelle base et utiliser les formules de changement

D’après le théorème précédent, par hypothèse, GalpL{Kq est fini, ainsi, tout H P H est fini, et on peut donc lui appliquer le corollaire du théorème d’Artin pour obtenir H