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Les représentations du travail des jeunes salariés d'agence de location de personnel

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Academic year: 2021

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LES REPRÉSENTATIONS DU TRAVAIL DES JEUNES

SALARIÉS D’AGENCE DE LOCATION DE PERSONNEL

Mémoire

Jean-Daniel Glazer Allard

Maîtrise en sociologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Les représentations du travail des jeunes salariés

d’agence de location de personnel

Mémoire

Jean-Daniel Glazer Allard

Sous la direction de :

Daniel Mercure, directeur ou directrice de recherche

Mircea Vultur, codirecteur ou codirectrice de recherche

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RÉSUMÉ

Le travail est un phénomène social total au cœur des mécanismes de production et de reproduction de la société moderne. Les changements dans les modes de régulation et dans les représentations sociales que se font les acteurs sociaux du travail font de ce dernier un objet d’étude pertinent pour comprendre les transformations que subissent les sociétés occidentales. Dans ce contexte, les agences de location de personnel deviennent des agents régulateurs adaptés aux logiques du monde du travail postfordiste. L’objectif de ce mémoire est de dégager les formes que peut revêtir le rapport au travail chez les jeunes salariés employés par le biais d’agences de location de personnel. À partir d’un corpus de données empiriques discursives, l’enquête expose le rapport transactionnel que possèdent ces salariés envers les agences de placement. Les analyses plus fines dégagent quatre rapports types envers le travail en agence de placement : le rapport de l’opportuniste, le rapport de l’aspirant, le rapport du contenté et le rapport du résigné. C’est en s’intéressant à l’articulation entre les stratégies individuelles mobilisées, la centralité relative du travail et le cheminement ainsi que les perspectives d’avenir que sont dégagées les logiques inhérentes à chacun des rapports types identifiés, témoignant des multiples formes que peut prendre le rapport au travail des jeunes salariés en agence de location de personnel.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... III TABLE DES MATIÈRES ... IV LISTE DES TABLEAUX ... VI REMERCIEMENTS ...VII

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I – LE TRAVAIL : CONTEXTE GÉNÉRAL... 3

I.A LE RAPPORT AU TRAVAIL À TRAVERS LES PÉRIODES HISTORIQUES ... 3

I.A.I)LES SOCIÉTÉS TRADITIONNELLES ET PRÉMODERNES : SOCIÉTÉS SANS CONCEPT DE TRAVAIL .... 3

I.A.II)LA MODERNITÉ : LES SOCIÉTÉS FONDÉES SUR LE TRAVAIL ... 7

I.B LE SALARIAT ET LE MODE DE RÉGULATION FORDISTE ...10

I.B.I)MUTATIONS ET FLEXIBILITÉ ...12

I.C LE POSTFORDISME ET SES DYNAMIQUES ...17

I.C.I)NOUVELLE CULTURE DU TRAVAIL ...17

I.C.II)CAUSES, ÉVOLUTION ET DYNAMIQUE DU CHÔMAGE ...20

CHAPITRE II – CADRE THÉORIQUE, CONCEPTS OPÉRATIONNELS ET MÉTHODOLOGIE ...24

II.A LES JEUNES ET LA JEUNESSE : SITUATION SUR LE MARCHÉ DE L’EMPLOI DU QUÉBEC ...24

II.A.I)SOUS-GROUPE À LÉTUDE : LES DIFFÉRENCES HOMMES-FEMMES ET LES IMMIGRANTS DANS LE MARCHÉ DU TRAVAIL AU QUÉBEC ...29

II.B LES AGENCES DE LOCATION DE PERSONNEL ...30

II.B.I)CROISSANCE DE LINDUSTRIE DES AGENCES ET LOGIQUES DE RECOURS AUX AGENCES ...31

II.B.II)HISTORIQUE LÉGISLATIF DES AGENCES DE LOCATION DE PERSONNEL ...33

II.B.III)RELATION TRIPARTITE : DYNAMIQUE ET CONSÉQUENCES ...34

II.C LE RAPPORT AU TRAVAIL ET LES STRATÉGIES INDIVIDUELLES ...37

II.C.I)LE RAPPORT AU TRAVAIL ...37

II.C.II)LES STRATÉGIES INDIVIDUELLES ...41

II.D OBJECTIF DE RECHERCHE ET MÉTHODOLOGIE ...43

II.D.I)OBJECTIF DE RECHERCHE ...43

II.D.II)PERSPECTIVES DANALYSE ...44

II.D.III)L’ENQUÊTE DE TERRAIN ...45

II.D.IV)CARACTÉRISTIQUES DE LÉCHANTILLON...47

CHAPITRE III – LE RAPPORT AU TRAVAIL : ANALYSE ET RÉSULTATS ...51

III.A LES MOTIFS POUR TRAVAILLER LORS DU PREMIER EMPLOI ...51

III.A.I)LES MOTIVATIONS POUR TRAVAILLER LORS DU PREMIER EMPLOI : Y-A-T-IL DES DIFFÉRENCES SELON LE SEXE, LE NIVEAU DÉDUCATION OU LE STATUT DIMMIGRATION? ...56

III.B SE RÉALISER AU TRAVAIL : QUELLE SIGNIFICATION? ...58

III.B.I)DIFFÉRENCES DANS LA PERCEPTION DE LA RÉALISATION AU TRAVAIL SELON LE SEXE, LE NIVEAU DÉDUCATION ET LE STATUT DIMMIGRATION ...65

III.C LE RAPPORT AU TRAVAIL ET L’AGENCE ...67

III.D CONCLUSION ...76

CHAPITRE IV – LES RAPPORTS TYPES ENVERS LE TRAVAIL DES JEUNES SALARIÉS D’AGENCE DE PLACEMENT ...78

IV.A L’OPPORTUNISTE...78

IV.B L’ASPIRANT...84

IV.C LE CONTENTÉ ...88

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IV.E CONCLUSION ...94

CHAPITRE V - SYNTHÈSE, CONCLUSION GÉNÉRALE ET PISTES DE RECHERCHE ...95

V.A RETOUR SUR LA PRÉSENTATION ET SUR L’ANALYSE ...95

V.B CONCLUSIONS SUR LE RAPPORT AU TRAVAIL DES JEUNES SALARIÉS D’AGENCE DE LOCATION DE PERSONNEL ...100

BIBLIOGRAPHIE ...106

ANNEXE I – SCHÉMA D’ENTREVUE ...113

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LISTE DES TABLEAUX

TABLEAU 1-DISTRIBUTION DU NIVEAU DE SCOLARITÉ DE L’ÉCHANTILLON ET DE LA POPULATION DU

QUÉBEC, DONNÉES DE 2014(EN %) ...48

TABLEAU 2-DISTRIBUTION DU PAYS D'ORIGINE DES RÉPONDANTS ...49

TABLEAU 3-LE RAPPORT AU TRAVAIL DES JEUNES AYANT FAIT L’EXPÉRIENCE DU MARCHÉ DE

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier M. Daniel Mercure, professeur titulaire de l’Université Laval et directeur de ce projet de mémoire, pour son support continu, son impressionnante expertise, sa disponibilité et sa patience tout au long de ma démarche. Sa contribution à l’exercice qu’à été ce projet de maîtrise m’est inestimable. C’est avec fierté que j’affirme que c’est grâce à ses conseils, ses réflexions et son ouverture que j’ai pu mener cette entreprise à bon port. Ses enseignements ont ultimement fait de moi un meilleur chercheur.

Je souhaite également remercier M. Mircea Vultur, professeur titulaire à l’Institut national de la recherche scientifique et codirecteur de ce projet de mémoire de maîtrise, pour les mêmes raisons. Je lui suis reconnaissant de m’avoir donné l’opportunité de m’imbriquer dans ses projets de recherches et de m’avoir donné accès aux données qui ont permis ce projet de maîtrise.

Merci également à ma mère qui m’a soutenu contre vents et marrées et qui a toujours crue en ma capacité de mener à terme mes entreprises. Ce mémoire est aussi la cristallisation de la persévérance qu’elle m’a enseignée.

Enfin, merci à mes amis et aux membres de ma famille qui m’ont encouragé à tout moment.

Je tiens spécialement à dire merci à Marie qui, malgré les destinées qui se croisent et qui s’éloignent, m’a toujours soutenu dans mes projets et dans mes aspirations. Ce mémoire, c’est aussi un peu le tien.

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INTRODUCTION

La modernité a fait du travail une activité sociale toute particulière, positionnant celle-ci au cœur des mécanismes de la production économique et de l’organisation de la structure de la société. Les transformations qui ont suivi ont changé cette activité productive tant dans ses manières de l’organiser que dans les manières de se la représenter, individuellement et collectivement. Au terme de luttes entre divers acteurs sociaux, le travail durant la période des Trente Glorieuses assurait, comme il était peu arrivé dans l’histoire jusqu’à présent, une sécurité, une protection et une prospérité marquées par l’abondance. Tous pouvaient aspirer, à travers le labeur quotidien, améliorer leurs conditions et ce sentiment s’accompagna même du rêve d’une société ludique sans travail. La réalité aura été différente : le fordisme, comme mode de régulation et de mise en application du travail, a fait place au postfordisme. La flexibilité devient le mot d’ordre pour les organisations confrontées à une compétitivité de plus en plus accrue; la main-d’œuvre, pensée comme facteur de production, n’échappe pas à cette logique. Les pays avancés contemporains se caractérisent par une croissance du travail atypique et d’un chômage de longue durée, deux phénomènes marginaux dans les sociétés à l’ère du fordisme. Dans ce contexte, les agences de location de personnel deviennent un agent adapté aux logiques de ce nouveau monde et de cette nouvelle culture du travail. Leur offre dans le marché de l’emploi répond aux exigences de flexibilité des entreprises et des salariés. La jeunesse, en voie d’insertion professionnelle, doit alors s’intégrer à ce marché du travail dont les règles d’accès et de rétention diffèrent certes de celles auxquelles leurs parents ont été confrontés à leur âge. Si les conditions réelles du contexte se modifient, les attentes, les exigences et les représentations à l’égard du travail varient par le fait même. Le présent projet de recherche se penche sur le sens donné au travail chez les jeunes qui ont recours aux agences de location de personnel. Plus précisément, l’exercice consiste à dégager les formes que prend le rapport au travail en agence chez les jeunes salariés qui y ont recours. À partir d’un corpus de données discursives de quarante participants utilisateurs des services d’une agence de placement, une analyse des représentations du travail a été élaborée.

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Le premier chapitre de cette entreprise expose le contexte général entourant la notion du travail. Dans celui-ci, les multiples manières de se représenter le travail sont présentées à travers les périodes historiques en Occident dans le but d’exposer en quoi les représentations actuelles de cette activité sont chargées d’une valeur symbolique et sociale. Par ailleurs, ce chapitre est aussi l’occasion de présenter les transformations des modes de régulation du travail, et plus particulièrement le passage du fordisme au postfordisme. De plus, il s’agit de souligner les dynamiques propres à chacun de ces modes de régulation.

Le second chapitre traite des concepts à opérationnaliser en vue de l’analyse des résultats et de la méthodologie utilisée. La première partie du chapitre s’intéresse au concept de la jeunesse et fait état de la situation des jeunes au travail au Québec. La deuxième partie présente les agences de location de personnel, leur histoire au Québec et les implications de la relation tripartite qu’elles génèrent. La troisième partie présente les notions de représentations du travail et de stratégies individuelles et la quatrième expose l’objectif de la recherche et revient sur les concepts qui sont utilisés pour y arriver. Cette partie est aussi l’occasion de présenter la méthodologie de l’étude, qui comprend les perspectives d’analyse, la présentation du déroulement de la collecte de donnée et la composition de l’échantillon rejoint.

Le troisième chapitre présente une analyse des thèmes suivants : les motivations à travailler lors du premier emploi, le sens donné au fait de se réaliser à l’emploi et, enfin, le rapport au travail et à l’agence.

Le quatrième chapitre poursuit l’analyse en proposant une typologie des rapports au travail en agence chez les jeunes salariés d’agence de location de personnel construit sur la base des analyses précédentes.

Finalement, le cinquième et dernier chapitre fait un retour sur l’ensemble de l’étude et vise à dégager les conclusions générales de l’enquête.

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CHAPITRE I – LE TRAVAIL : CONTEXTE GÉNÉRAL

Cette section a pour but de présenter diverses perspectives sur la notion du travail. En premier lieu, le rapport au travail est exposé dans une approche historique afin de souligner sont caractère contextuel et social. Cette section propose une revue des grandes manières de penser le travail des sociétés sans concept de travail, en passant par les sociétés traditionnelles jusqu’à la modernité. Vient ensuite une présentation du travail à travers le salariat et le développement du fordisme comme mode de régulation du marché du travail. Enfin, la dernière section s’intéresse aux transformations du monde du travail après les Trente Glorieuses, soit le passage du fordisme au postfordisme.

I.A LE RAPPORT AU TRAVAIL À TRAVERS LES PÉRIODES HISTORIQUES

Il s’agit ici de présenter brièvement les transformations des représentations du travail à travers diverses périodes historiques en Occident. Étant donné les visées du présent mémoire, il s’agit avant toute chose de faire un retour sur l’évolution du rapport au travail, et non pas de s’attarder aux diverses formes et manières d’organiser celui-ci à travers les époques. Bien que l’homme ait toujours été confronté à la nécessité d’assouvir ses besoins naturels dans un monde plus ou moins hostile, le rapport entretenu envers celui-ci s’est transformé pour en arriver à la manière dont les sociétés contemporaines se le représentent. Conséquemment, il serait inadéquat de penser le travail avec les catégories mentales de la modernité; les sociétés précédant l’ère moderne ne concevaient pas dans le travail le grand principe organisateur de l’ensemble de la société.

I.A.I) LES SOCIÉTÉS TRADITIONNELLES ET PRÉMODERNES : SOCIÉTÉS SANS CONCEPT DE TRAVAIL

Les sociétés dites primitives ou archaïques ne disposent pas d’un mot – et donc d’une catégorie mentale – qui puisse représenter l’idée du « travail » tel que nous la connaissons. Toutes formes d’activités productives, en vue de satisfaire les besoins élémentaires ou non, ne sont pas unifiées sous une même notion permettant de les différencier des autres formes d’activités humaines. L’agriculture, la pêche, la chasse ou la maçonnerie, par exemple, sont donc des catégories d’action similaires aux autres

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comportements caractéristiques de la vie en société. De telle sorte, le travail n’est pas associé à une dimension économique, soit de production et d’échange : il est l’une des multiples dimensions de la vie sociale, stimulant et exploitant les représentations et les symboliques collectivement partagées1. Comme toute autre dimension de la vie dans les

sociétés à forte régulation sociale, il est essentiellement une activité collective plutôt qu’individuelle, tant dans son application concrète que dans ses finalités. N’y sont ni associées les notions de richesse, de création de valeur, d’accumulation ou d’échange, propres aux sociétés modernes et prémodernes2. En somme, les sociétés dites primitives

tendent à concevoir les activités productives, obligatoires à l’assouvissement des besoins fondamentaux de l’homme, comme un prétexte à dynamiser la vie collective.

À l’époque classique, dont les écrits sur le travail proviennent principalement de la Grèce antique et de l’Empire romain, les représentations du travail et les rapports envers celui-ci se transforment. Tout comme dans le contexte des sociétés primitives, aucun mot n’existe pour regrouper les activités humaines de production; chacune, par exemple l’agriculture ou l’artisanat, est prise comme des réalités autonomes en soi et ne saurait être associée à une catégorie mentale commune. Les Grecs associaient néanmoins à ces activités des notions comme ponos (activité pénible, nécessitant un effort) ou erga (œuvre, donner forme à la matière), désignant plus l’acte du travail laborieux en lui-même dans divers contextes que le concept de travail tel que compris par les modernes. Bien que les Grecs savaient reconnaître et apprécier l’utilité des tâches matérielles et le savoir-faire leur étant associé (ce dont témoigne la richesse des produits culturels, artistiques et architecturaux de l’époque), l’activité laborieuse liée au domaine de la production était essentiellement méprisée. Cette perception négative découle de la conception de l’idéal moral grec : le citoyen, homme libre, se devait de participer aux affaires et à la gestion de la cité. Le caractère péjoratif et dégradant du travail3 venait, d’une part, du fait qu’une telle activité

implique la servitude ou la dépendance de celui qui l’exerce envers un autre homme (tel

1Dominique MÉDA (2010). Le travail, Presses des universités de France, Paris, page 8.

2Marie-Nöelle CHAMOUX (1994). Sociétés avec et sans concepts de travail : remarques

anthropologiques, dans « Sociologie du travail », vol. 36, Paris, pages 57 à 71.

3Pour la suite de cette section, l’utilisation du mot « travail » sera employée pour en simplifier la

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est le cas de l’esclavage, de la mendicité, de l’artisanat ou même du commerce). L’activité laborieuse en elle-même n’était pas méprisée, mais la dépendance à autrui qu’elle impliquait en faisait une tâche asservissante et aliénante, privant les uns et les autres de leur liberté. D’autre part, être un citoyen libre impliquait l’obligation de se libérer de la nécessité des activités laborieuses pour se consacrer aux activités politiques et morales; Aristote mentionnait même, dans Politique, que les agriculteurs ou les artisans ne sauraient être de bons citoyens, puisque les exigences du quotidien les empêcheraient de se consacrer à leurs devoirs moraux4. En somme, le caractère péjoratif

de l’activité laborieuse était dû au fait qu’elle détournait les hommes libres de leurs responsabilités, soit la participation à la gestion et au bien-être de la cité, et les forçaient à s’utiliser les uns les autres, les contraignant à une relation de servitude. Ainsi, le rapport au travail chez les Grecs est largement tributaire des idéaux moraux de la vie en société de l’époque; ceci mettant en évidence que le travail n’était pas perçu comme le fondement de l’ordre social, ni comme ce qui était désirable ou valorisé. Rappelons d’ailleurs qu’il y avait une absence, dans l’acte de l’activité laborieuse elle-même, de notion d’ajout de valeur quelconque. L’importance accordée aux vertus morales valorisées dans ces sociétés, soit la participation à la vie politique de la cité, démontre bien que la nature du lien social chez les Grecs réside dans le politique, plutôt que dans l’échange comme le proposera Adam Smith des siècles plus tard, marquant les représentations du monde moderne sur lui-même. Cette manière de concevoir le travail persistera jusque sous l’Empire romain :

« En outre, ce que nous appellerons plus tard travail n’est interprété ni comme un ajout de valeur ni comme une contribution à l’utilité générale. Le travail ne détermine pas l’ordre social, il n’est pas au centre des représentations que la société se fait d’elle-même, il n’est pas encore considéré comme le moyen de renverser les barrières sociales et d’inverser les positions acquises par la naissance. Le travail n’est créateur de rien5. »

4Léopold MIGEOTTE (2003). « Les philosophes grecs et le travail dans l’Antiquité », dans D. MERCURE

et J. SPURK, Le travail dans l’histoire de la pensée occidentale, Presses de l’Université Laval, Québec, pages 11 à 32.

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C’est avec l’avènement du christianisme et de sa mythologie que les représentations sociales du travail se transformeront. Celui-ci sera de moins en moins considéré comme un acte dégradant et aliénant.

Durant le Moyen Âge, les représentations du travail ne subissent pas de transformations majeures; celui-ci reste avant tout une activité peu valorisée qui assure la subsistance, soit le propre du modèle productif traditionnel. Cependant, ce sont les idéaux moraux qui caractérisaient le mode de vie aristocratique de l’Antiquité qui sont remis en cause. Saint Augustin, personnage illustre de la pensée chrétienne du Moyen Âge, amorcera la critique sévère des ordres contemplatifs qui refusent le travail, associant la contemplation et la vie scolastique à la paresse et à l’oisiveté. Il sera aussi de ceux qui développent l’idée selon laquelle le travail est un moyen privilégié pour entrer en relation avec la nature et le monde, donc avec l’œuvre de Dieu6. Bien que l’apport chrétien façonnera

progressivement le rapport au travail, c’est sous la Réforme protestante que s’opèrera une véritable transformation des attitudes envers celui-ci. Figure importante de la Réforme, Luther propose la thèse voulant que Dieu exige de chacun de suivre sa vocation, soit le métier lié à son statut, et de s’y appliquer sans y déroger. Cette conception introduit donc l’idée du devoir envers son métier et, surtout, envers le travail. Cependant, il ne comporte pas de dimension économique en soi, puisqu’il est simplement une obligation exigée de Dieu, et demeure intrinsèquement en contradiction avec l’idée de mobilité sociale, puisqu’il vise la reproduction de la structure sociale existante. Mais l’apport le plus particulier de Luther est le suivant : le travail n’est plus compris comme un acte ayant pour fin la subsistance, mais il devient un moyen de réaliser un idéal religieux en s’imposant comme une obligation pour tous les chrétiens. Récupérant le legs théologique de Luther, c’est avec Calvin qu’apparaît une véritable valorisation du travail; avec lui vient une réinterprétation de la Genèse dépeignant un Dieu travaillant à la création du monde et s’occupant de l’administration de celui-ci à travers les hommes. Par le travail, les hommes accomplissent donc l’œuvre et la volonté divine; le travail devient sa propre

6Jean-Marie SALAMITO (2003). « Travail et travailleurs dans l’œuvre de Saint Augustin », dans D.

MERCURE et J. SPURK, Le travail dans l’histoire de la pensée occidentale, Presses de l’Université Laval, Québec, page 37.

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fin. Les différenciations avec les propositions de Luther tiennent au fait que l’homme besogneux n’est pas contraint de s’enfermer dans sa vocation et qu’il lui est possible d’améliorer sa condition. Pour la première fois, le travail se retrouve doté d’une notion d’ascension sociale7. Les puritains s’inspireront de l’héritage de Calvin en valorisant la

dévotion sans limites au travail, afin de rendre hommage à Dieu et de trouver un signe de leur élection divine. Weber, dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, fait non seulement remarquer que cette culture religieuse façonne un certain type d’homme, orienté vers le travail, mais que cet ethos associé au travail est le fondement du monde industriel et moderne, bien que maintenant vidé de ses considérations religieuses. Il résume :

Le puritain voulait être un homme de métier – nous devons l’être. En effet, à partir du moment où l’ascèse quitta la cellule monastique pour être transposée dans la vie professionnelle et commença à exercer son empire sur la réalité intramondaine, elle contribua à sa manière à construire le puissant cosmos de l’ordre économique moderne, tributaire des conditions techniques et économiques de la production mécanique et machinisée, dont les contraintes écrasantes déterminent aujourd’hui le style de vie de tous les individus nés dans ses rouages […]8.

Dans ce contexte, le travail prend peu à peu un sens d’activité de production économique, bien qu’il ne trouvera, comme concept, son unicité que dans les transformations qui mèneront à la modernité. Loin d’être associé à la richesse ou au statut social, le travail aura généralement été, dans les sociétés traditionnelles, une activité ayant pour fonction d’assurer sa subsistance.

I.A.II) LA MODERNITÉ : LES SOCIÉTÉS FONDÉES SUR LE TRAVAIL

Dès le XVIIIe siècle, on assiste progressivement à l’unification de la catégorie « travail » comme concept regroupant l’ensemble des activités humaines de production. La philosophie et les sciences humaines de l’époque seront les grands témoins d’une redéfinition du rapport au travail, posant celui-ci au centre des réflexions de la société moderne sur elle-même. Dans la foulée des transformations politiques issues des

7Jean-Paul WILLAIME (2003). « Les réformes protestantes et la valorisation religieuse du travail », dans

D. MERCURE et J. SPURK, Le travail dans l’histoire de la pensée occidentale, Presses de l’Université Laval, Québec, page 71.

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Lumières et responsables de l’abolition du féodalisme – et de l’ordre social que ce système politique implique – le travail devient la clé de l’autonomie et de l’appropriation de son existence pour les individus. Le théoricien politique John Locke sera un des premiers à associer le travail à la notion de propriété privée et à l’autonomie. D’une part, il stipule que la propriété s’acquière par le travail, et d’autre part, que cette acquisition est la condition potentielle pour faire de tout homme un homme libre, échappant à la servitude de la condition naturelle et à la servitude des autres hommes. Les propositions de Locke, concordant aux idéaux révolutionnaires du libéralisme de l’époque, viendront fixer l’idée selon laquelle le travail peut faire de chacun son propre maître. La naissance de l’économie politique, et les travaux d’Adam Smith qui l’auront inspirée, auront pour effet d’ajouter une valeur supplémentaire au concept du travail. L’auteur, qui a le mérite d’être un témoin lucide des transformations de son époque, identifie trois caractéristiques aux activités de production : le travail est ce qui unit les hommes entre eux, il est abstrait et il est le moyen d’accroissement de la richesse9. Les implications de ces manières de se

rapporter au travail sont diverses. Tout d’abord, s’il est, pour Smith, au fondement du lien social, c’est parce que le travail est le résultat de la propension naturelle des hommes à l’échange et non d’un accord commun à la coopération. Ensuite, s’il est abstrait, il est traité comme une marchandise, une force de travail échangeable et louable; il devient un facteur de production au même titre que le capital et la terre. Finalement, s’il est la source de la richesse, c’est qu’il ajoute une valeur d’échange aux biens et aux services dont il participe à la production. Ainsi, la pensée smithienne donne au travail une dimension économique qui n’existait pas jusque-là. Les observations d’Adam Smith témoignent d’un changement d’attitude important à l’égard du travail – du moins, chez une certaine élite économique de son temps – qui persiste et se diffuse encore aujourd’hui. Si l’économie politique met en évidence le caractère économique du travail, le développement de la sociologie fera aussi du travail – et plus particulièrement de la division de celui-ci – un aspect fondamental de la compréhension du lien social. Cette relation est notamment exposée par Émile Durkheim dans son ouvrage classique De la

division sociale du travail, dans lequel il explique comment un accroissement de la

9Adam SMITH (1976). Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Éditions

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division du travail crée des formes de solidarité et de dépendance entre les individus10. Le

début du XIXe siècle verra, notamment avec Hegel et Marx, une valorisation du travail comme liberté créative de l’homme. Ces philosophies proposent le travail comme étant l’essence de l’homme, cette caractéristique étant ce qui le distingue spécifiquement de l’animal, puisque seuls les humains aménagent le monde à leur volonté en travaillant; il serait donc ce qui définit l’homme. Les idéologies marxistes et socialistes insistent sur cette vision en ajoutant que le travail, une fois sortie de l’aliénation du salariat, permettrait aux hommes de se réaliser11. Il aurait donc le potentiel d’être source

d’accomplissement et d’épanouissement, ce qui rompt avec l’idée qui aura dominé jusqu’à cette époque voulant qu’il soit avant toute chose synonyme de peine et de souffrance. Les grands penseurs de la modernité auront identifié les transformations de mœurs et d’attitude à l’égard du travail, témoignant de l’émergence et de l’accomplissement d’une société dont l’organisation repose sur celui-ci.

Le développement du salariat viendra aussi déstabiliser les représentations associées à l’activité productive. L’industrialisation aura été vantée comme l’accomplissement du progrès, de la liberté et de la richesse, du moins, pour ceux en bénéficiant réellement; paradoxalement, il aura fait émerger une misère ouvrière sans commune mesure. Devant l’accroissement des conditions déplorables de travail dans la population, l’État social-démocrate est progressivement devenu régulateur de la condition salariale à travers le droit. Robert Castel mentionne : « Le contrat individuel de travail à été progressivement entouré et traversé de régulations collectives garanties par la loi, dont le droit du travail et la protection sociale constituent les deux piliers. […] Mais, simultanément, le travail a été, si l’on peut dire, dignifié, dans la mesure où il est devenu support de droits12 ». Ainsi,

régulé à partir d’un système de droits et de devoirs, le travail (salarié) devient le moyen

10Émile DURKHEIM (2007). De la division du travail social, Presses universitaires de France, Lonrai, 417

pages.

11Jan SPURK (2003). « La notion de travail chez Karl Marx », dans D. MERCURE et J. SPURK, Le travail

dans l’histoire de la pensée occidentale, Presses de l’Université Laval, Québec, pages 201 à 226.

12Robert CASTEL (2009). La montée des incertitudes – Travail, protections, statut de l’individu, Éditions

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reconnu à l’accès à la protection sociale et aux droits sociaux, garantie par la présence de l’État.

La modernité aura bouleversé les manières de concevoir le travail et aura repositionné son rôle dans l’ensemble de l’ordre social. Ainsi, la société moderne fait du travail une de ses valeurs fondatrices puisque celui-ci est au fondement de la configuration de l’espace social et des positions occupées par les acteurs sociaux dans ce dernier. Cette présentation simplifiée du rapport au travail à travers diverses époques historiques occidentales met en évidence le caractère évolutif et changeant d’une telle notion, et rappel qu’il se comprend et s’explique dans le contexte culturel d’une époque donnée.

I.B LE SALARIAT ET LE MODE DE RÉGULATION FORDISTE

Vers 1930, le modèle fordiste prend forme lors d’importantes transformations économiques – les suites du krach de 1929 – et politiques – dont l’élaboration du New

Deal – qui marqueront le passage d’un capitalisme axé sur l’offre (la production) à un

capitalisme axé sur la demande (la consommation de masse). Le développement de la société salariale, « […] une société où le salariat occupe la grande majorité des actifs et où le travail salarié confère un statut et des droits qui permettent l’intégration des individus13 », s’accentue. Ainsi, le travail sera progressivement de plus en plus régulé par

un code législatif et un ensemble de protections favorisant les salariés. S’en suivra une période d’amélioration des conditions de travail et de réduction de la précarité qui atteindra son paroxysme dans l’après-guerre, adéquatement surnommé les « Trente Glorieuses ». Les salariés peuvent désormais espérer améliorer leurs conditions matérielles d’existence, leur sécurité et leur statut. Robert Castel mentionne que ces nouvelles formes de protections ont des conséquences significatives sur la vie sociale des travailleurs, jusqu’à la manière d’organiser son temps : « […] c’est sur le socle d’un salariat reconnu et protégé que le travailleur peut investir d’autres activités, les loisirs, l’éducation, la culture, la participation à la vie associative et sociale14 ». Ainsi, le travail

13Yves ALPES et al. (2010). Lexique de sociologie, 3e édition, Éditions Dalloz, Paris, page 309.

14Robert CASTEL (2009). La montée des incertitudes – Travail, protections, statut de l’individu, Éditions

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ne domine plus l’exhaustivité de la vie, permettant de s’investir dans la dimension hors-travail de celle-ci. Pour sa part, l’entreprise privée jouissait de la forte croissance économique et de l’élargissement d’un bassin de consommateurs doté d’un meilleur pouvoir d’achat. Ces changements aux conséquences non négligeables, dont l’essor de la classe moyenne et la hausse du taux de syndicalisation, seront compris comme le propre du mode de régulation fordiste du travail, et de la société des « Trente Glorieuses ».

Ce mode de mise en application du travail se caractérise par trois éléments : sur une production de masse standardisée organisée selon les principes du taylorisme, sur un partage des gains de production et sur l’intervention de l’État dans l’économie. Le premier élément repose les théories de Frederick Taylor, visant à décomposer le processus de travail en tâches de plus en plus minimes, ne nécessitant pas de travailleurs particulièrement qualifiés, faisant du taylorisme la division du travail du mode de production du fordisme. Dans un contexte industriel, les biens produits grâce à cette parcellisation des tâches étaient donc peu dispendieux, mais aussi peu variés, puisque les ajustements à la chaîne de production entravaient partiellement ou complètement le fonctionnement de celle-ci. Ce mode de production se caractérise de plus par une séparation nette entre la conception et l’exécution, propre du taylorisme, qui cloisonne les diverses expertises les unes par rapport aux autres. Ainsi, cette manière de faire propre au fordisme s’avère plutôt rigide dans son application, tant pour la production de biens que pour celle de services, mais se traduit néanmoins par une génération de richesse. La seconde caractéristique est comprise comme une meilleure distribution des gains de production et de la richesse entre l’employeur et les salariés. Le renforcement du Code du travail et du pouvoir de négociation des syndicats de plus en plus présents aura pour conséquence d’améliorer le niveau de vie des travailleurs. Au Québec, le taux de syndicalisation double sur cette période, passant de 20% en 1945 à 40% au début des années soixante-dix15. Le travail à longue durée, garantie et auquel s’ajoute un ensemble

d’avantages sociaux collectivement négociés devient alors la norme. La troisième et dernière caractéristique du modèle fordiste repose sur l’intervention d’une nouvelle forme

15MINISTÈRE DU TRAVAIL QUÉBEC (2011). Les 80 ans du Ministère du Travail – Au diapason d’une

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d’État dans l’économie. Acteur de plus en plus important dans l’économie depuis les années trente, l’État national voit son rôle se redéfinir en celui de l’État providence, développant de multiples mécanismes de redistribution de la richesse. Celui-ci se pose comme intervenant dans la régulation de la société, notamment à travers une multiplication des programmes de sécurité sociale, et de l’économie, veillant directement et indirectement à la croissance continue de celle-ci. Ces caractéristiques propres au mode de régulation fordiste qui ont défini les « Trente Glorieuses » peuvent être résumées ainsi : « […] un tel modèle de société était fondé sur l’enrichissement collectif, le travail salarié, l’emploi régulier à durée indéterminée, l’essor des classes moyennes et la présence de nombreuses protections sociales16 […] ». Les mutations sociales et

économiques engendrées par les chocs pétroliers successifs dans les années soixante-dix remettront en cause ce modèle.

I.B.I) MUTATIONS ET FLEXIBILITÉ

Les changements amorcés dans les années soixante-dix causeront progressivement l’effritement du modèle salarial fordiste comme mode hégémonique de régulation du travail, au profit du modèle postfordiste. Il semble possible d’identifier divers éléments à la source de ces transformations, soit la mondialisation de l’économie, le développement des nouvelles technologies et des innovations organisationnelles, la désaffectation des salariés à l’égard de la rigidité de la régulation fordiste et la diminution de l’implication de l’État dans l’économie.

Vers les années soixante-dix, les industries occidentales sont de plus en plus soumises aux pressions économiques des marchés étrangers qui s’ouvrent et se développent. Grâce aux percées des technologies de l’information, le phénomène de la mondialisation s’accélère, ouvrant non seulement de plus en plus de marchés où faire affaire, mais augmentant aussi la compétition avec les entreprises de ces nouveaux marchés. Tout le système économique s’en retrouve transformé; les modes de gestion de la production des

16Daniel MERCURE (2001). « Nouvelles dynamiques d’entreprise et transformation des formes d’emploi.

Du fordisme à l’impartition flexible », dans J. BERNIER (dir.), L’incessante évolution des formes d’emploi

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Trente Glorieuses s’avèrent rapidement inadéquats dans ce nouveau monde économique. En effet, comment rivaliser avec des entreprises dont la force de travail de la masse salariale s’achète à un coût si faible que les coûts de production globaux représentent une fraction de ceux des entreprises occidentales? À défaut de réduire les salaires à un prix compétitif – ce qui engendrerait nécessairement un ensemble de conflits sociaux – l’entreprise privée sera contrainte de réviser l’ensemble de son organisation, y compris ses politiques de gestion du travail et du rapport au travail. Cette crise de la compétitivité mettra vite en lumière les problèmes quant à la rigidité du modèle fordiste et dont la flexibilité sera la voie de sortie17. Durant les « Trente Glorieuses », l’entreprise se fondait

sur une hiérarchie complètement verticale, où les prises de décision ne pouvaient être prises qu’au sommet et se répercutaient par la suite dans les structures inférieures. À l’inverse, les informations rapportées sur la chaine de production devaient circuler du bas de la hiérarchie vers son sommet pour ensuite attendre les nouvelles directives de celui-ci. Cette structure organisationnelle était non seulement très rigide, mais ne pouvait pas s’adapter rapidement aux fluctuations d’un marché de plus en plus turbulent suite aux entrées des nouveaux acteurs dans l’économie mondialisée. S’inspirant des doctrines organisationnelles du toyotisme et de la théorie des flux tendus, les entreprises verront dans la quête de flexibilité de tous leurs organes un moyen de survie dans ce monde économique. En favorisant une organisation moins centralisée et plus horizontale, où chaque département dispose d’une certaine autonomie dans sa prise de décision, où chaque employé est invité aux prises de décisions et comprend ainsi mieux son rôle dans le procès de production, où la séparation classique entre conception et exécution s’amenuise, les entreprises réussirent à mieux se coordonner et à produire plus avec moins de ressources18. Ainsi, l’accroissement de la concurrence par le développement de

la mondialisation a poussé les entreprises à se lancer dans une véritable quête de la flexibilité, tant dans leurs modes de gestion que dans leur manière d’organiser le travail. Le mode de régulation fordiste du travail devait changer :

17Daniel MERCURE et Mircea VULTUR (2010). La signification du travail – Nouveau Modèle productif

et ethos du travail au Québec, Presses de l’Université Laval, Québec, page 32.

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Les organisations ont aussi élaboré des politiques de gestion qui favorisent une polyvalence accrue dans les activités de travail, une plus grande souplesse dans l’adaptation des formes d’emploi, du volume de la main-d’œuvre et des règles de travail, depuis les formes de rémunération de plus en plus étroitement associées aux gains de productivité de l’entreprise jusqu’à la renégociation des conventions collectives jugées trop rigides19.

La flexibilité organisationnelle s’accompagne d’une flexibilité fonctionnelle, salariale et numérique. La première tend à accroître la polyvalence des travailleurs au sein même de l’entreprise par le travail en équipe et le décloisonnement des expertises. La seconde vise à synchroniser les gains salariaux aux rendements de l’entreprise et aux performances mêmes du travailleur. Avec celle-ci s’opère une remise en cause des régimes salariaux collectivement négociés dans la période fordiste et une individualisation du rapport salarial. Finalement, la flexibilité numérique vise à ajuster le volume de la masse salariale aux fluctuations du marché; il faut désormais pouvoir se lier et se défaire de sa main-d’œuvre au gré de l’offre et de la demande des marchés. Ceci a pour conséquence de multiplier les formes d’emploi atypiques et le recours à la sous-traitance20. Le

développement de ces formes de flexibilité effrite progressivement le modèle fordiste au profit d’un nouveau mode de régulation du travail, nommé le postfordisme.

Le développement des technologies, notamment celles liées à la troisième révolution industrielle, peut aussi être considéré comme un facteur d’effritement du modèle fordiste. L’intégration de plus en plus marquée de l’informatique, des nouvelles technologies de la bureautique et de la robotique dans le processus de production exige de nouvelles qualifications chez la main-d’œuvre, ainsi qu’une mise à profit de leurs expertises et de leurs savoir-faire singuliers. Alors que l’éducation de masse, dynamique fondamentale de production et de reproduction de la société postindustrielle selon Daniel Bell, est déjà bien ancrée depuis l’après-guerre, l’économie de type industrielle fait place à une économie du savoir, fondée sur l’innovation technologique constante21. Si l’on mesurait

la force d’une nation industrielle par sa capacité industrielle, on considère, dans cette

19Daniel MERCURE (2001). « Nouvelles dynamiques d’entreprise et transformation des formes d’emploi.

Du fordisme à l’impartition flexible », dans J. BERNIER (dir.), L’incessante évolution des formes d’emploi

et la stagnation des lois du travail, Québec, Presses de l’Université Laval, page 9. 20Ibid., page 11.

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forme d’économie, la puissance d’une nation postindustrielle par sa capacité scientifique. En résulte une réorganisation du travail importante : les travailleurs disposent de niveaux de formations plus élevés et nombre de postes de travail propres au modèle fordiste sont éliminés, devenus obsolètes par le développement de nouvelles technologies. L’économie du savoir tend ainsi à intégrer de plus en plus les savoirs formalisés et les savoir-faire des travailleurs aux processus de production. Rompant avec mode de régulation fordiste qui repose sur une standardisation maximale laissant peu de place à particularités individuelles et aux initiatives, l’introduction de technologies de plus en plus sophistiquées dans les postes de travail implique de plus en plus les compétences humaines.

Un autre facteur explicatif de l’affaiblissement du modèle fordiste réside dans les attentes, les motifs et les aspirations des travailleurs eux-mêmes. Le mode de production standardisé repose sur un ensemble de tâches répétitives et monotones, représentant certainement un contenu de travail aliénant pour une part des salariés ayant de fortes attentes quant à l’utilisation de leurs capacités créatives ou souhaitant se réaliser à travers leur travail. L’accroissement de la flexibilité, la polyvalence et l’autonomie relative exigée envers les travailleurs ouvrait de nouvelles opportunités pour les plus désillusionnés de l’organisation scientifique du travail fordiste22. Une plus grande

maîtrise de ses propres tâches – et parallèlement une plus grande responsabilité envers celles-ci – fournissait l’occasion pour ces salariés de se réapproprier leur travail, de se faire reconnaître et de se réaliser, en tant qu’individu, par celui-ci. La régulation fordiste du travail parcellisé, souvent vide de toute reconnaissance ou valorisation autre qu’instrumentale, devenait de plus en plus insupportable dans un univers d’individualisation croissant où cet individualisme se traduit par une recherche constante de réalisation de soi dans toutes les sphères de son existence, y compris au travail23.

Ainsi, « en ne tenant pas compte de l’importance de la coopération créative comme force productrice de richesse, il est évident que le fordisme a contribué à marginaliser une

22Pierre VELTZ (2000). Le nouveau monde industriel, Éditions Gallimard, Saint-Amand, page 85.

23Louis DUMONT (1983). Essai sur l’individualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie

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importante source de renouvellement de ses gains de productivité24 ». Le caractère

répétitif, monotone, impersonnel et parfois aliénant de la régulation du travail fordiste est à la source de la désertion et du désintérêt d’une part des travailleurs dont les aspirations à l’égard du travail ne pouvaient être comblées dans cette forme d’organisation. Ceci aura nécessairement contribué à l’enthousiasme suscité par l’avènement des nouveaux modes de régulation du travail que représentait le postfordisme.

Finalement, la présence de plus en plus marquée du discours néolibéral dans l’univers politique est un facteur pouvant expliquer l’amenuisement du fordisme comme mode de régulation du travail. D’une part, alors que la société des Trente Glorieuses se caractérisait par une implication directe de l’État dans la sphère économique, ce discours, dont les présupposés théoriques reposent sur les enseignements de l’économie classique, préconise un interventionnisme minimal de celui-ci dans l’économie. Le rôle de l’État comme acteur économique se transforme : il ne doit plus agir directement dans l’économie, mais il doit plutôt servir de support aux entreprises privées, qui sont désormais considérées comme les véritables vecteurs de la richesse, de la croissance économique et de la création d’emploi. La diminution de l’importance de l’État dans la sphère économique remet de fait en question son rôle de mécanisme de redistribution de la richesse, ainsi que son rôle de protection sociale et de législateur du travail25. Dans un

tel contexte, l’État s’implique de moins en moins dans le monde du travail devant les exigences du « laisser-aller » du néolibéralisme. D’autre part, la pertinence des syndicats dans la relation de travail est remise en cause par les tenants de l’idéologie ultralibérale. Cette perte d’influence syndicale se concrétise par une réduction des négociations collectives des conditions de travail, alors que la relation de travail s’individualise de plus en plus. Ainsi, la montée du discours néolibéral affaiblit l’influence de l’État et des syndicats dans les modes d’organisation du travail, ce qui diminue de fait l’importance du fordisme dans ceux-ci.

24Daniel MERCURE et Mircea VULTUR (2010). La signification du travail – Nouveau Modèle productif

et ethos du travail au Québec, Presses de l’Université Laval, Québec, page 34.

25Robert CASTEL (2009). La montée des incertitudes – Travail, protections, statut de l’individu, Éditions

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Les mutations sociales et économiques responsables du passage du modèle de régulation fordiste au modèle de régulation postfordiste sont diverses. La nécessité d’accroître sa flexibilité pour les entreprises, le développement des technologies et les transformations des qualifications qui en résultent, le manque d’opportunité créative du fordisme pour les travailleurs et la montée de l’influence du discours néolibéral sont tous des facteurs explicatifs de cette transition.

I.C LE POSTFORDISME ET SES DYNAMIQUES

La mondialisation de l’économie, les nouvelles technologies et les innovations organisationnelles, la rigidité de la régulation fordiste contraignante pour la créativité des travailleurs et la diminution de l’implication de l’État dans l’économie sont les sources identifiées de l’avènement du postfordiste comme nouveau modèle productif. Celui-ci est aux fondements d’une structuration des modes de régulation du travail, définissant de fait de nouvelles cultures du travail, et le marché global du travail et de l’emploi. Ces nouveaux modes de régulations du travail et la croissance du travail atypique sont les conséquences des dynamiques propres aux exigences de flexibilité du postfordisme. La présente section s’intéressera donc d’une part aux nouvelles attentes des entreprises et des employeurs, mais aussi des employés, et d’autre part aux restructurations que subit le marché de l’emploi depuis les années soixante-dix.

I.C.I) NOUVELLE CULTURE DU TRAVAIL

La réorganisation de l’économie qui fait suite aux crises successives des années soixante-dix impose des pressions importantes sur les entreprises qui se voient contraintes d’adapter leurs modes de fonctionnement à ces nouvelles réalités. Ce nouveau contexte transforme les modes de mise en application du travail, façonnant les attentes des employeurs envers leurs employés, et les attentes de ces derniers envers leurs employeurs. Les changements d’attitudes et d’exigences des employeurs résonnent alors dans l’ensemble du marché du travail, ceux-ci étant d’importants agents de régulation de ce marché du travail par leur rôle structurant dans le recrutement, l’embauche et la gestion de la main-d’œuvre. Le modèle productif change et vient redéfinir, tant chez les employeurs que les employés, les manières d’appliquer et de se représenter le travail,

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désignant de fait une nouvelle dynamique du marché de l’emploi propre au postfordisme. Reprenant les analyses de La signification du travail de Daniel Mercure et Mircea Vultur, cette nouvelle manière de se rapporter au travail est déclinée selon trois logiques : la flexibilité comme dynamique d’entreprise, la promotion de l’implication subjective et de l’autonomie du travailleur et finalement, le développement de la logique d’employabilité26.

La première dynamique de la régulation postfordiste du travail est celle de l’accroissement de la flexibilité de l’entreprise et de ses effectifs. L’imprévisibilité du marché impose à l’entreprise d’accroître sa mobilité, sa liquidité, ce qui se traduit pour les salariés par un ensemble de transformation des manières d’organiser le travail pour le rendre plus flexible en lui-même. Ainsi sont multipliées les exigences envers les employés pour qu’ils puissent s’ajuster rapidement et efficacement aux pressions de variation du marché sur l’entreprise. Ceci se traduit par une polyvalence accrue des tâches de travail, un développement du travail en équipe, de la formation continue, des transferts de connaissances entre les diverses équipes, d’une rémunération au rendement, d’une responsabilisation et d’un engagement envers les objectifs de l’entreprise. La recherche de flexibilité implique aussi de repenser le rapport salarial dans ses modes de recrutement et de gestion : l’entreprise doit se faire et se défaire de sa main-d’œuvre au gré des fluctuations du marché, multipliant les offres de contrats de travail atypiques, à durée déterminée. Pour bien des travailleurs, souvent peu qualifiés, cette organisation du travail correspond à une précarisation économique. En somme, l’accroissement de la flexibilité signifie, pour la masse salariale, une exigence de polyvalence accrue et dans bien des cas, une instabilité et une insécurité quant au travail lui-même.

La seconde logique correspond à celle de la promotion de l’implication subjective envers le travail et de l’autonomie responsable. Alors que le modèle fordiste disposait d’une structure de décision verticale, le mode d’organisation postfordiste vise à impliquer davantage les travailleurs aux différentes étapes de la production, selon une structure plus

26Daniel MERCURE et Mircea VULTUR (2010). La signification du travail – Nouveau Modèle productif

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horizontale. Cette manière de fonctionner a pour effet de donner la possibilité aux employés de mieux comprendre leur position et leur rôle dans l’ensemble du processus productif, ce qui semblait plutôt abstrait dans le mode de gestion rigide des Trente glorieuses27. Ainsi, cette implication plus subjective et personnelle envers ses tâches de

travail est promue par les gestionnaires, car elle s’avère une dynamique de mobilisation plus efficace que lorsque le travail semble être strictement imposé. Plus impliqués, les travailleurs tendent davantage à mobiliser leurs divers savoir-faire et leur motivation au profit des intérêts de leur employeur, véritable gage d’efficacité. Tout en cherchant à créer une adhésion des travailleurs envers les objectifs de l’entreprise, on exige d’eux une plus grande responsabilité à l’égard des tâches, se traduisant par une intensification du travail. Ceux-ci deviennent alors, en quelque sorte, responsables de leurs réussites ou de leurs échecs puisque ceux-ci se résument au niveau d’investissement personnel du salarié, sans considération pour les aléas que peut subir l’entreprise.

La troisième et dernière logique est celle du développement des compétences et de la notion d’employabilité, notamment inspiré de l’approche de la gestion des ressources humaines. Se basant sur un rapport salarial de plus en plus individualisé et non plus collectif (ce qui était le propre du modèle fordiste), l’idée du poste de travail comme fondement de l’organisation du travail, associée à la reconnaissance des diplômes et à l’ancienneté, est remise en question. L’approche par compétence tend à répondre aux difficultés d’adaptation du mode de régulation fordiste dans le contexte de flexibilisation de la main-d’œuvre. Par conséquent, la position d’un travailleur est de moins en moins associée au poste de travail occupé et de plus en plus aux compétences – cristallisées sous les savoirs institutionnalisés, les savoirs être et les savoirs faire – dont il dispose. En témoigne l’importance accrue donnée aux savoirs faire et aux savoirs être dans le recrutement et la gestion de la main-d’œuvre28. Cette manière de concevoir l’idée de

compétence accroit d’autant plus la mobilité tant interne qu’externe des travailleurs. Dans un contexte où la main-d’œuvre se voit davantage nomade, la responsabilité revient au

27Jeremy RIFKIN (1997). La fin du travail, Éditions La Découverte, page 143.

28Mircea VULTUR (2007b). « La structuration de l’insertion professionnelle des jeunes par les modes de

recrutement des entreprises », dans S. BOURDON et M. VULTUR (dir.), Les jeunes et le travail, Les Éditions de l’IQRC/Presses de l’Université Laval, Québec, page 137.

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travailleur de démontrer qu’il est employable et qu’il entretient cette employabilité. La formation continue et la mise à jour de ses connaissances deviennent ainsi un moyen – voire une contrainte – pour ne pas risquer la désuétude de ses compétences et, ultimement, le déclassement. En somme, la carrière organisationnelle, fondée sur des positions déterminées par le diplôme et l’ancienneté, se substitue à une logique de parcours professionnel à forte mobilité horizontale, où l’employabilité repose sur une acquisition continue de compétences.

Pour conclure sur ces nouvelles exigences issues du mode de régulation postfordiste, l’imprévisibilité du marché est transposée de l’entreprise à l’individu. Ainsi, la régulation postfordiste du monde du travail se manifeste dans les nouvelles normes managériales qui s’imposent comme des prescriptions aux travailleurs. Ces transformations ont des conséquences sur les logiques du marché de l’emploi : le chômage devient une dynamique normale de ce nouveau monde du travail.

I.C.II) CAUSES, ÉVOLUTION ET DYNAMIQUE DU CHÔMAGE

Lors de la transition progressive entre les modes de régulation fordistes du travail à ceux du postfordisme, les sociétés occidentales assistent à une crise de l’emploi se traduisant par une limitation de l’accès à l’emploi et une réduction des protections qu’il implique. Non seulement la crise de la fin des années 1970 aura redéfini les manières d’organiser empiriquement le travail, mais elle aura contribué à la croissance du chômage de masse. Alors que les « Trente glorieuses » se caractérisaient par une période de plein emploi, marqué par de petits épisodes sectoriels de chômage, celui-ci devient un phénomène normal à partir des années 1970; non seulement est-il de plus en plus fréquent, mais sa durée est de plus en plus longue. À titre d’exemple, au Canada, le taux de chômage passe d’environ 3% en 1966 à 7,5% en 2014, en atteignant plus de 12% lors des périodes d’instabilité économique au milieu des années 1980 et 199029. Toujours au Canada, la

proportion de chômeurs de longue durée – soit la proportion de chômeurs sans emploi depuis un an ou plus – est passée de 3,9% en 1977 à 9,7% en 2003; au Québec, cette

29TRADING ECONOMICS (2014). « Canada – Taux de chômage » dans Trading Economics [En ligne],

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proportion passe de 5,2% en 1980 à 12,2% en 200330. Ces chiffres globaux masquent

cependant d’autres réalités plus spécifiques : le chômage, dans sa fréquence et sa durée, touche davantage les jeunes et la main-d’œuvre peu qualifiée. Ces catégories sont plus vulnérables, puisque les premiers initient leur insertion professionnelle dans le marché du travail alors qu’ils ont peu d’expériences de travail, et les seconds peuvent difficilement s’adapter, faute de ressources tant culturelles qu’économiques, à un marché de l’emploi qui exige d’être de plus en plus nomade et polyvalent. Les effets du chômage ne sont d’ailleurs pas négligeables. Il est reconnu que le travail dispose d’une dimension qui dépasse son caractère instrumental; il est un élément structurant important du lien qui unit les individus les uns aux autres. Dans les sociétés modernes dont l’organisation de l’espace social repose sur le travail, ce dernier stimule la vie sociale puisqu’il « impose une structure temporelle à la vie; il crée des contacts sociaux en dehors de la famille; il donne des buts dépassant les visées propres; il définit l’identité sociale et il force à l’action31 ». Ainsi, les conséquences de l’absence de travail ne se limitent pas à la perte

d’un revenu et d’une autonomie financière; le chômage est déstructurant pour celui ou celle qui en fait l’expérience puisqu’il ampute la vie social et possiblement les repères identitaires. Il semble intéressant de noter que les individus vivant d’un emploi déstructuré et précaire – qu’il s’agisse de chômage, de situation d’insécurité à l’emploi ou de précarité contractuelle – souffrent de condition de détresse psychologique plus importante que ceux qui occupent un emploi régulier32. Dans cette perspective, les enjeux

liés à l’accès au marché du travail dépassent donc les questions purement économiques.

Le phénomène du chômage de masse durable renvoie en grande partie aux exigences accrues de flexibilisation des entreprises, et plus particulièrement de sa main-d’œuvre : celle-ci doit s’ajuster, tant dans son volume que dans sa disponibilité, au rythme du

30Vincent DUBÉ (2004). « Les mal-aimés du marché du travail », dans L’emploi et le revenu en

perspective, Vol. 5, No. 4, page 10.

31Marie JOHADA (1984). « L’homme a-t-il besoin de travail? », dans Frank NIESS, Leben wir zum

arbeiten? Die Arbeitswelt im Umbruch, Cologne, Bund-Verlag.

32M. VÉZINA, E. CLOUTIER, S. STOCK, K. LIPPEL, É. FORTIN et al. (2011). Enquête québécoise sur

des conditions de travail, d’emploi, et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST), Institut de

recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail - Institut national de santé publique du Québec et Institut de la statistique du Québec, Québec, page 600.

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marché. Les logiques de flexibilité financière prenant le pas sur les logiques industrielles du fordisme, la crise de l’emploi semble une dynamique normale de ce nouveau marché du travail; c’est du moins ce que défendront certains auteurs. Pour Robert Castel, le marché du travail postfordiste se caractérise par deux éléments dominants qui en font des logiques normales de son fonctionnement : le chômage de masse et la précarisation des relations de travail. Il attribue le premier aux effets de la nouvelle organisation du travail sur le capitalisme : la demande d’emploi stable est plus forte que l’offre. Conséquemment, certains individus ne peuvent simplement pas trouver d’emploi; selon l’auteur, il ne s’agit pas de chômage, mais plutôt de « non-emploi », car le premier implique l’existence d’une offre pouvant être comblée par la demande. Dans un cas de non-emploi, l’offre est déjà saturée, et la demande restante ne peut être comblée. Pour ce qui est de la précarisation des relations de travail, il le perçoit comme une nouvelle « […] condition en quelque sorte « normale » de l’organisation du travail, avec ses caractéristiques propres et son propre régime d’existence33 ». En effet, en réponse à

l’augmentation du chômage, les États et leurs gouvernements s’affairent à mettre en place des politiques de création d'emploi correspondant aux dynamiques d’un marché toujours plus flexible, compétitif et mondialisé; ces politiques créent surtout des emplois atypiques, ce qui renvoie les salariés à une certaine insécurité et perpétue la logique du chômage34. Une forme concrète de cette situation peut être observée dans les

recommandations de 1994 de l’OCDE en matière d’emploi; celles-ci préconisaient un accroissement de la flexibilité d’emploi pour répondre au phénomène du chômage. La réévaluation de ces recommandations, en 2006, menait à une conclusion semblable35.

Ainsi, le salariat fordiste trouve son opposition dans ce que Robert Castel propose d’appeler le « précaricat » comme nouvelle forme hégémonique de condition de travail. Il s’agit d’une croissance des formes d’emploi atypiques de toute sorte, souvent vidée de toute protection. Celles-ci correspondent à une multiplication du travail à temps partiel, des contrats temporaires et à durée déterminée, du travail par intérim, du travail à

33Robert CASTEL (2009). La montée des incertitudes – Travail, protections, statut de l’individu, Éditions

du Seuil, Paris, page 169.

34Dominique MÉDA (2010). Le travail, Presses des universités de France, Paris, page 60.

35OCDE (2006). Stimuler l’emploi et les revenus – Les leçons à tirer de la réévaluation de la stratégie de

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domicile ou sur appel, des emplois autonomes ou considérés comme « faux autonomes », de la sous-traitance et des relations de travail tripartites. À titre illustratif de l’évolution impressionnante du phénomène, au Québec, 16,7% des emplois étaient jugés atypiques en 1976; en l’espace de 35 ans, cette proportion a plus que doublé pour atteindre 38,1% en 201136. Castel propose même l’hypothèse selon laquelle ces formes précaires d’emploi

deviennent un moyen de répondre au phénomène de chômage de masse; la sortie du non-emploi, par le déficit d’une offre d’emploi stabilisé, peut se faire par le sous-emploi :

S’il y a à la fois du non-emploi de masse et une impossibilité de revenir au plein emploi dans le cadre des politiques actuelles et d’un fonctionnement du marché que Karl Polanyi appelait « autorégulé », c’est-à-dire abandonné à sa propre dynamique, la seule possibilité d’action volontariste consiste à essayer de grignoter la masse du non-emploi en inventant des formes nouvelles de sous-emploi37.

Castel soutient donc que la dégradation des conditions de travail fordiste devient l’organisation par défaut du marché du travail et que les formes d’emploi atypiques et précaires deviennent une réponse au problème du chômage de masse – ou plutôt du non-emploi – dont il est, essentiellement, la cause. En somme, le postfordisme comme régulateur du marché de l’emploi repose sur l’interaction des phénomènes du chômage massif et durable et une dégradation des conditions de travail.

C’est dans le contexte de ce nouveau monde du travail que les jeunes réalisent leur insertion professionnelle. Comme le chômage de masse affecte davantage les jeunes, les agences de location de personnel sont un médium intéressant pour intégrer le marché de l’emploi et s’adapter plus convenablement aux exigences de celui-ci. Le chapitre suivant présente les concepts opérationnels à partir desquels s’inspirent les perspectives d’analyse du corpus de données présenté dans cette recherche.

36Mircea VULTUR et Jean BERNIER (2013). « Inégalités structurelles et inégalités fractales dans le

contexte postfordiste du marché du travail », dans Revue Interventions économiques [En ligne], No. 47, URL : http://interventionseconomiques.revues.org/1877, site consulté le 6 février 2014.

37Robert CASTEL (2009). La montée des incertitudes – Travail, protections, statut de l’individu, Éditions

Figure

Tableau 1 - Distribution du niveau de scolarité de  l’échantillon et de la population du Québec, données de
Tableau 2 - Distribution du pays d'origine des  répondants
Tableau 3 - Le rapport au travail des jeunes ayant fait l’expérience du marché de  l’emploi par l’entremise des agences de location de personnel

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