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Race, origine et religion : ressentis et stratégies d’acteurs face à la discrimination à l’embauche et au travail

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: dumas-01821914

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01821914

Submitted on 23 Jun 2018

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face à la discrimination à l’embauche et au travail

Karen Joly

To cite this version:

Karen Joly. Race, origine et religion : ressentis et stratégies d’acteurs face à la discrimination à l’embauche et au travail . Education. 2016. �dumas-01821914�

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Collège des Sciences de l’Homme

Faculté des Sciences de l’éducation

Race, Origine et Religion

Ressentis et stratégies d’acteurs face à la discrimination à l’embauche et au travail

Mémoire de master 2

Responsable – Formation – Insertion - RFI

Présenté par

KAREN JOLY

Sous la direction de

Jean-François BRUNEAUD

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Université de Bordeaux

Collège des Sciences de l’Homme

Faculté des Sciences de l’éducation

Race, Origine et Religion

Ressentis et stratégies d’acteurs face à la discrimination à l’embauche et au travail

Mémoire de master 2

Responsable – Formation – Insertion - RFI

Présenté par

KAREN JOLY

Sous la direction de

Jean-François BRUNEAUD

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Remerciements

Je souhaiterais tout d’abord adresser toute ma gratitude à mon directeur de mémoire, Jean-François Bruneaud, pour m’avoir permis de traiter ce sujet qui me tient tant à cœur et pour toute la confiance qu’il m’a accordée tout au long de l’élaboration de ce mémoire. Je remercie également Pierre Mazet d’avoir accepté ce projet de recherche.

Je remercie les personnes qui ont bien voulu me livrer une partie sensible de leur vie, Arnaud, Nouah, Tracy, Mouss, Antoine, Céline, Zined, Kissala et Sylvie.

A Nathan, mon fils qui a su faire preuve de tant de patience durant ces longues années d’études.

À Arnaud, qui a toujours su me soutenir dans mon projet de reprise d’études.

Je témoigne également toute ma reconnaissance à Hassan pour son dévouement inconditionnel et pour sa présence dans les moments de doute et ses conseils judicieux qui ont alimenté ma réflexion.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ... 8

I – De l’inexistence au déni, la difficile reconnaissance des discriminations ethno-raciales en France ... 10

1. La discrimination ethnique et religieuse, à la source du social et du juridique ... 10

a). La Notion de Discrimination : limites définitionnelles ... 10

b). Directe ou indirecte : variation discriminatoire ... 11

c) L’influence étatsunienne sur la prise en compte européenne de la discrimination directe ... 15

d) La résistance française à lutter contre les discriminations ... 17

2. Les limites du système juridique français ... 18

a) racisme et égalitarisme ... 18

b) Discriminations ethnico-raciales et religieuses en France : reconnaissance tardive ou déni ? ... 19

c) Dispositifs français de lutte contre les discriminations : une efficacité discutable ... 20

3. L’universalisme et l’égalitarisme français, des obstacles à une égalité réelle ... 21

a) Les paradoxes de l’universalisme français ... 21

b) La nomination des groupes minoritaires ... 23

c) Nommer la race, un véritable tabou ... 24

e) L’impossibilité de penser la France pluriculturelle ... 25

4. Les minorités visible ... 26

a) De quoi parle-t-on ?... 26

b) La visibilité, source de discrimination ... 27

c) Visibilité ethnico-raciale ... 28

5. Discrimination ethnico-raciale et religieuse en France : état des lieux ... 30

a) Le milieu du travail ... 30

b). Mesurer l’origine ethnique : une réticence française ... 32

c) Maghrébins, Africains et Antillais dans le collimateur des discriminations postcoloniales ... 33

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6. Les discriminations religieuses à l’embauche ... 37

a) L’étude de l’Institut Montaigne : des résultats inédits ... 37

b) Homme et musulman : un cocktail discriminant ... 38

c) L’effet religion ... 39

7. L’expérience des discriminations : la subjectivité des acteurs ... 40

a) L’insuffisance de l’approche juridique ... 40

b) La discrimination : une expérience traumatisante... 41

c) Comprendre les effets des discriminations de l’intérieur ... 42

II – méthodologie ... 44

1.Présentation des sujets ... 45

2. La méthode ... 47

3. Les conditions de l’entretien ... 47

III – résultats et analyse ... 48

1. Constats généraux ... 48

a) La discrimination au travail et à l’embauche, un combat au quotidien... 48

2. L’Égalité réelle face à l’emploi, oui mais pas pour tous ... 49

a) Des parcours professionnels marqués par un sentiment d’inégalité face à l’emploi ... 49

c) Une discrimination localisée ... 52

d) Une Différenciation une inégalité de traitement entre les hommes et les femmes ... 53

e) L’exotisme attractif ... 53

3. La religion musulmane, facteur aggravant de discrimination ... 53

a) Une image dégradée de l’islam ... 53

b) La pratique religieuse comme facteur aggravant ... 55

c) Conflits de valeurs ... 55

4. L’art de la lutte et de l’esquive : Les stratégies adoptées et les conséquences des discriminations ... 56

a).La colère ... 56

b) Un fort sentiment d’infériorité ... 57

c) La résistance : « Discriminés, méprisés mais pas aliénés » ... 58

d) Le niveau social : une protection contre le sentiment de discrimination ... 58

e) L’exil ... 59

f) La réclusion ... 61

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a) Les liens entre le sentiment de discrimination et la question identitaire : ce sentiment

d’appartenance et non appartenance... 62

b) Un conditionnement dès la petite enfance ... 64

Conclusion ... 66

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INTRODUCTION

« Se rappeler que le combat, le séculaire combat pour la liberté, l’égalité et la fraternité, n’est jamais entièrement gagné, et que c’est tous les jours qu’il vaut la peine d’être livré. » Aimé Césaire.

La France a toujours eu du mal à se reconnaitre comme un pays d’immigration. Pourtant, son histoire fortement ancrée dans la colonisation et l’esclavage lui confère une place de choix en la matière. Aujourd’hui, les descendants de cette histoire, citoyens français, subissent un certain nombre de discriminations à l’embauche et au travail. A l’heure où le burkini est au centre du débat politico-médiatique français, paradoxalement, le gouvernement met en place des actions visant à reconnaitre ces discriminations. Ainsi va-t-il lancer en avril 2016 une grande campagne de testing auprès de plusieurs dizaines d’entreprises, dont les résultats sont attendus à la fin de l’année.

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L’étude suivante ne traitera pas l’objet d’un point juridique, mais se concentrera sur l’expérience vécue des discriminations ethniques, raciales et religieuses par des personnes appartenant aux principaux groupes minoritaires français.

Il s’agira de se pencher sur le ressenti de ces discriminations à l’embauche et au travail, tant dans leur construction que dans leurs répercussions sur les victimes.

Une première partie sera consacrée à la définition de la notion de discrimination et à l’ambiguïté de son application dans le contexte sociojuridique français

Suite à un point méthodologique, la troisième partie présentera les résultats qui seront analysés à la lumière de la subjectivité de l’expérience des acteurs.

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I

D

E L

INEXISTENCE AU DÉNI

,

LA DIFFICILE RECONNAISSANCE DES DISCRIMINATIONS ETHNO

-

RACIALES EN

F

RANCE

1. La discrimination ethnique et religieuse, à la source du social et du juridique

a). La Notion de Discrimination : limites définitionnelles

La discrimination commence lorsque cesse la ségrégation, plus précisément quand cesse la croyance dans une inégalité fondamentale, naturelle, des individus et des groupes, au sein même d’une société démocratique. Selon Fassin (2002), le sentiment de discrimination s’aiguise au moment où cessent l’esclavage et la ségrégation, plus précisément lorsque les individus prennent conscience de leur égalité de droits.

La fin des années 1990 marque l’apparition du mot « discrimination » dans le lexique ordinaire de l’action publique. En effet, les pouvoirs publics et plus largement la société française ont commencé à reconnaître l’existence de discriminations spécifiques comme celles liées à l’origine, souvent qualifiées de « raciales ». Cette évolution s’inscrit en rupture avec un discours et une idéologie qui avaient consisté à nier jusqu’alors cette réalité. C’est également au cours de cette période que le thème a commencé à faire l’objet de débats dans les cercles intellectuels ou politiques et à donner lieu à des enquêtes journalistiques ou à des travaux scientifiques. Jusqu’alors limité dans ses usages à de rares affaires portées devant les tribunaux, le terme et l’idée qu’il recouvre ont désormais une place privilégiée dans le langage savant comme pour le sens commun.

Dérivé du mot latin « discriminis » qui signifie « séparation », son sens premier marque l’établissement d’une séparation, d’une différenciation entre deux objets. Pourtant, toute distinction n’est pas illicite et ne constitue pas nécessairement une discrimination dans la mesure où des individus peuvent être traités différemment de manière légale. Son usage est marqué par une connotation fortement négative dans les sociétés démocratiques dont le principe d'égalité se situe au centre de leurs valeurs. Il désigne ainsi toutes les formes de distinctions opérées dans la vie sociale aux dépens d'individus ou de groupes d’individus, justifiées par une partie de la population, mais jugées comme inacceptables et contraires aux normes édictées par la majorité.

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De manière générale, une discrimination se définit comme l’application d’un traitement inégal et défavorable d’un individu ou groupe d’individus à raison de certains critères prohibés par la loi pour reprendre l’euphémisme officiel consacré tel que le souligne Fassin (2002).

Du point de vue législatif, la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations stipule :

Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, du patronyme, du lieu de résidence, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation ou identité sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales.

Toutefois, on ne peut réduire les discriminations à la seule définition édictée par la loi française qui tend à écarter, voire à gommer, les lourdes conséquences qu’elles peuvent engendrer chez les victimes en matière de stigmatisation, d’exclusion sociale et professionnelle et d’humiliation.

b). Directe ou indirecte : variation discriminatoire

La loi relative à la lutte contre les discriminations du 16 novembre 2001, évoque explicitement dans son article premier les motifs de discrimination (Article L122-45 du code du travail).

« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un

stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 140-2, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap. ».

L’approche juridique distingue deux formes de discriminations :

La discrimination directe constitue la forme la plus simple. Elle est définie comme la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable, qu’une autre ne l’est, ne l’a

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été, ou ne le serait dans une situation comparable en raison d'un motif cité par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008. Autrement dit, la discrimination directe constituerait la forme la plus rudimentaire et la plus flagrante. Elle aurait lieu lorsqu’une personne est soumise à un traitement différent reposant sur un motif de discrimination prohibé, et ce, de façon ouverte et avouée souvent doublée d’une intention de discriminer.Refuser d'embaucher une personne en raison de son origine ethnique, de sa couleur de peau, de son âge ou de son sexe représentent des exemples types de cette catégorie discriminatoire.

Quant à la seconde catégorie, la notion de discrimination indirecte, ne faisant pas l’objet d’une définition juridique en droit français, il convient de se référer ou reporter à celle donnée par les directives communautaires.

Introduite en droit français par une loi de 2001, et définie par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, la discrimination indirecte est présentée comme la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes par rapport à d'autres, pour des motifs prohibés, comme le sexe, à moins que cette disposition, ce critère, ou cette pratique ne soient objectivement justifiés par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires.

La discrimination par suite d’un effet préjudiciable constitue une forme beaucoup plus subtile que la discrimination directe. Elle se produit généralement sans intention de discrimination. Ainsi, tel que la Loi le spécule, un employeur peut avoir agi de bonne foi, sans intention de discriminer, et être responsable d’une situation de discrimination. Il doit alors évaluer la possibilité de déroger à la norme ou bien à la pratique afin de prémunir la ou les victimes du préjudice subi. En d’autres termes, il doit tenter de mettre en place une mesure d’accommodement qui neutralisera l’effet discriminatoire. Autrement dit, la discrimination se rapporte à des mesures ne semblant pas poser de problèmes à première vue, mais qui, en raison des circonstances dans lesquelles elles s’appliquent, ont néanmoins un effet discriminatoire sur un groupe particulier de personnes. En d’autres termes, si de telles mesures semblent acceptables à un niveau abstrait, elles restent problématiques à un niveau concret. Contrairement à la discrimination directe, la discrimination indirecte n’est pas immédiatement manifeste, elle est plutôt implicite. La situation discriminatoire découle plutôt de l’application uniforme d’une norme, d’une politique, d’une règle ou d’une pratique, neutre à première vue, ayant néanmoins un effet discriminatoire auprès d’un individu ou d’une catégorie d’individus en leur imposant des obligations, des peines ou des conditions

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restrictives non imposées à autrui. Des normes ou pratiques peuvent donc avoir un effet discriminatoire, « même si cet effet n’a pas été voulu ni prévu. ».

Contrairement à la discrimination directe, la discrimination indirecte n’est fondée que de manière indirecte sur le motif interdit. Toutefois, il est important de noter que la nature indirecte de la discrimination ne signifie pas que les personnes qui en sont victimes soient moins affectées de quelque manière. En réalité, que la discrimination soit directe ou indirecte, l’intensité des souffrances ressentie par la victime reste la même. Dans les deux cas, un préjudice est porté à l’exercice des droits et des chances et, quelle que soit sa nature, la discrimination peut avoir des conséquences négatives considérables sur le statut économique et social des individus qui en font l’expérience ainsi que sur leur bien-être et leur santé physique et psychologique.

Sa particularité réside dans le fait qu'elle n’est repérable, par nature, qu'en observant a

posteriori les effets d'une mesure, d'une disposition ou d'une pratique sur les différents

groupes victimisés. En effet, la mesure, disposition ou pratique étant neutre « en apparence », le motif réel est « voilé ». C’est la raison pour laquelle son appréciation se fait au regard de la comparaison entre des groupes de nature différente. Souvent appelée « discrimination

statistique », cette approche se caractérise par une démarche comparative et quantitative qui

consiste, à contexte équivalent, à vérifier la présence et la fréquence de phénomènes discriminatoires à l’égard de certains groupes et leur absence pour d’autres.

La discrimination indirecte, difficilement identifiable, est de ce fait souvent incomprise, moins bien reconnue. Le préjudice porté à l'exercice des droits et des chances est pourtant bien réel pour les groupes qui en sont victimes. Il peut avoir des conséquences considérables sur le statut économique et social, sur le bien-être, la santé des individus. Toutefois, cette forme de discrimination, qui s’avère être la plus courante en France, tend à rendre

inopérationnalisable la loi, particulièrement en matière de discrimination ethnico-raciale et

religieuse. Si, d’un point de vue législatif, la loi française est équipée pour réprimer les discriminations ethno-raciales, elle s’avère généralement inopérante tant il est fréquemment quasi-impossible pour la victime d’apporter la preuve d’une « intention » raciste du discriminant ou d’une certaine « neutralité » dans sa pratique.

Divers chercheurs et auteurs spécialisés sur la question des discriminations ethnico-raciales en France mettent en lumière ces limites. À travers son analyse, Tammouz Al-Douri1, spécialisé

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en droit des discriminations tente de lever le voile sur la question en mettant en perspective la situation française et celle des États-Unis. L’opération lui permet à la fois de sortir des clichés sur l'affirmative action américaine et de déconstruire la législation française.

Selon l’auteur, le modèle républicain conçoit et réprime les discriminations directes car elles représentent des défaillances résiduelles, des fautes individuelles qui trahissent la République française. Toutefois, les discriminations indirectes, les plus massives, produites par la norme apparemment neutre et universelle, la menacent et remettent en cause ses propres valeurs. Les discriminations indirectes témoignent de l’injustice que l’égalité formelle peut engendrer et constituent un argument en soi pour les revendications d’égalité réelle des groupes discriminés. Elles mettent un nom sur le sentiment d’injustice et la frustration que peuvent éprouver les victimes face à un ensemble de normes qui leur est présenté comme neutre. Lorsqu’on parle de discrimination en France, on fait généralement référence à une pratique qui consiste à exclure consciemment certains groupes sociaux. Ainsi, un employeur commet une discrimination s’il refuse de recruter une personne en raison de son sexe, de son appartenance ethnique, raciale ou religieuse. Paradoxalement, il est supposé respecter l’égalité s’il applique le même traitement à tous.

Cette vision prédominante du phénomène de discrimination que Tammouz Al-Douri2 qualifiera de « représentation libérale de la responsabilité », se fonde sur les seules intentions de l’individu, et non sur les effets sociaux de ses pratiques. Seule la volonté de discriminer est sanctionnée. Par conséquent, malgré le préjudice discriminatoire subi par la victime, un individu qui ne serait pas « mal intentionné » ne devrait donc pas être tenu pour responsable de ses pratiques.

Cette perception largement admise a tendance à réduire la discrimination à un seul de ses aspects, le caractère direct du phénomène posant en cela problème aux groupes discriminés pour plusieurs raisons.

En effet, qualifier la discrimination de directe nécessite d’établir la preuve de l’intention discriminatoire du mis en cause. Même si sa charge peut être aménagée, cette preuve est extrêmement difficile à établir puisque les personnes qui discriminent évoquent rarement directement le motif de la discrimination (la religion, le sexe, la « race » de la victime). Les condamnations pénales ou civiles pour discrimination directe sont donc relativement rares, ce qui tend à rendre invisibles les discriminations dans leur ensemble.

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Le recours au concept de discrimination indirecte aurait pour objectif d’examiner ces phénomènes sous un angle nouveau. S’inspirant du modèle législatif américain, il introduit en Europe, le concept novateur des discriminations raciales indirectes. Pour en comprendre le sens et l’origine, il nous est apparu fondamental de plonger un tant soit peu dans l’histoire de la lutte contre les discriminations aux États-Unis et des recherches sur le « racisme inconscient » face aux minorités.

c) L’influence étatsunienne sur la prise en compte européenne de la discrimination directe

À la fin des années 1960, l’égalité des droits acquise entre les Noirs et les Blancs aux États-Unis n’efface en rien les séquelles matérielles et morales consécutives à plus d’un siècle de ségrégation et d’exploitation raciales. C’est pour lutter contre ce constat que furent adoptées les mesures légales anti-discriminatoires (Civil Rights Acts de 1964 et 1968) et les premières mesures d’affirmative action – traduit par « action positive » dans la suite de ce texte –pour « corriger les effets de la discrimination passée et présente » dans le secteur de l’emploi financé par des fonds publics. C’est également dans ce contexte que des analystes, principalement dans le champ de la sociologie, vont changer de regard sur la discrimination en l’envisageant non plus seulement comme la conséquence d’un comportement individuel mais comme le produit d’un système. Ce sont les notions de « racisme institutionnel » (Knowles & Prewitt, 1969), de « discrimination institutionnelle » (McCrudden, 1982) ou « systémique » qui émergent pour traduire ce changement de paradigme. Ces études ont montré que des normes discriminatoires, ancrées dans les habitudes d’une institution, d’une entreprise, ou de la société en général pouvaient avoir un effet négatif sur les Noirs ou sur d’autres groupes minorisés sans que les personnes qui les appliquent ne soient elles-mêmes animées d’une volonté consciente d’exclure ou de discriminer. De même, la psychologie a mis en évidence la manière dont les stéréotypes et les préjugés contribuent à la formation d’une « norme » que les individus appliquent sans en avoir forcément conscience. Un individu peut donc avoir un comportement discriminatoire bien qu’il se dise convaincu de l’égalité entre les êtres humains. Ces travaux ont ensuite été repris par des juristes, principalement dans le monde anglo-saxon pour repenser le droit des discriminations et lui permettre d’appréhender des formes de discrimination non-intentionnelles.

Les récents travaux en sciences sociales ont montré l’influence de la culture familiale et sociale sur les choix des individus. Certaines normes racistes peuvent être ainsi intégrées même si l’intention raciste n’est pas formulée. D’après la théorie freudienne, le sentiment de culpabilité pousse l’individu au déni de la position sociale dominante qu’il occupe et à la

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rationalisation de ses choix pour les faire apparaître comme « neutres », bien que ses motivations puissent être discriminatoires de manière inconsciente. D’après la psychologie cognitive, certaines croyances sont tellement ancrées dans la représentation du monde que se font les individus qu’elles sont considérées comme des faits et non pas comme des points de vue. Ils peuvent alors être amenés à prendre des décisions qu’ils considèrent comme neutres mais qui sont en réalité le fruit de croyances particulières et discriminantes. On peut alors s’interroger sur le caractère non-intentionnel de la discrimination directe qui peut amener à en nier la composante systémique que peuvent subir les Afro-américains ou autres minorités. Car cela risque en effet de justifier moralement l’idée que, si les Noirs sont au bas de l’échelle sociale, c’est à cause de leur propre infériorité et de délégitimer les mesures spécifiques pour combattre ces discriminations, comme les mesures d’affirmative action en nourrissant le ressentiment de ceux qui n’en bénéficient pas.

Ainsi, c’est dans un contexte propice à la remise en cause de l’égalité formelle que la Cour suprême des États-Unis rend une décision représentant la première application de la discrimination indirecte – appelée disparate impact doctrine3. L’arrêt Griggs v. Duke Power

Co., rendu en 1971, sera alors considéré comme fondateur de la doctrine de l’effet disparate

Celle-ci se fondant sur la section 703(a) du Titre VII du Civil rights Act de 1964 pour proscrire la discrimination raciale en matière d’emploi.

Du côté du vieux continent, c’est la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJUE) qui pour la première fois va marquer la distinction dans l’ordre juridique communautaire entre discrimination directe et indirecte, notamment dans son interprétation de l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité, de la libre circulation des travailleurs, et de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes.

Les définitions de la discrimination indirecte que la CJUE a données dans ses arrêts vont évidemment influer sur les décisions des juridictions nationales en matière de non-discrimination. Elles vont surtout contribuer à l’élaboration de définitions claires et explicites de la discrimination indirecte contenues dans les directives de 1997 et 2000. Dans un premier temps, ces directives prévoient un cadre général pour lutter contre les discriminations fondées sur la race ou l’origine ethnique puis dans un second temps, un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

3

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d) La résistance française à lutter contre les discriminations

Le positionnement de la France concernant son choix politique de lutte contre les discriminations indirectes a généré de nombreux bouleversements. Pour appuyer ce propos, rappelons que l’évolution du droit français des discriminations et l’intégration de la discrimination indirecte dans la législation sous l’impulsion du droit de l’UE n’ont pas eu lieu sans résistance notamment de la part l’État français. Ainsi, ce n’est qu’après plusieurs mises en demeure de la commission européenne que le projet de la loi du 27 mai 2008 de transposition sera déposé et la procédure de vote d’urgence demandée. Mais, le gouvernement n’était pas le seul acteur méfiant à l’égard de ce bouleversement. C’est ce que montrent les inquiétudes exprimées dans le rapport sur le projet de Loi portant diverses dispositions d’adaptation au Droit communautaire dans le domaine de lutte contre les discriminations produit par la sénatrice Muguette Dini au nom de la commission des affaires sociales :

« Selon la perception républicaine française de l'égalité, les hommes sont égaux du seul fait

d'être hommes : le combat pour l'égalité passe par l'affirmation d'une commune appartenance à l'humanité, indépendamment des caractéristiques privées, qui sont secondaires. Or, le projet de loi tend au contraire à promouvoir de concert la lutte contre les inégalités et l'exacerbation des différences, en sous-entendant que toute inégalité est toujours due à une discrimination. Au lieu de faire de l'égalité un principe commun de rassemblement, il la transforme en un facteur de division, chacun étant renvoyé par le droit à ses caractéristiques privées4. »5.

Selon ce rapport, la lutte contre les discriminations peut en effet emprunter deux voies juridiques distinctes, porteuses de deux visions opposées de la société. Dans une entreprise, lorsqu'une personne considère qu'elle n'est pas traitée de la même manière que ses collègues, elle peut faire cesser l'injustice de deux façons.

Soit elle choisit d'insister sur ses différences de sexe, d’origine, d’orientation sexuelle, et considère qu'en raison de cette différence, elle est victime d'une discrimination. C'est la voie du projet de loi. Soit au contraire, elle n'invoque pas cette différence et s'appuie sur le principe d'égalité de traitement, en vertu duquel les salariés placés dans une situation identique doivent être traités de la même manière. Les deux démarches aboutissent certes au même résultat,

4

http://www.contretemps.eu/interventions/sous-luniversalisme-discriminations-indirectes - _ftn15.

5

Rapport n°253 (2007-2008) de Muguette DINI, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 2 avril 2008

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mais l'état d'esprit qui les sous-tend et ses effets sur les rapports sociaux sont totalement opposés. D'un côté, le droit insiste sur les différences et conduit les personnes à se positionner en victime, de l'autre il encourage à s'appuyer sur un principe commun à tous, et favorise une posture positive et constructive.

Dans le combat contre les discriminations, veut-on inciter au repli sur soi, à l'excitation des identités particulières, ou veut-on faire valoir des valeurs et des principes communs ?

La conception de la lutte contre les discriminations, véhiculée par le projet de loi et très inspirée des pays anglo-saxons, pourrait conduire à des dérives communautaristes, en menant chacun à se percevoir davantage comme un membre d'un groupe discriminé que comme une personne singulière s'inscrivant dans une communauté nationale.

Derrière cette question juridique se profile une interrogation de fond faisant référence à une « perception républicaine française » de l’égalité, perçue comme menacée par une logique différentialiste.

2. Les limites du système juridique français

a) racisme et égalitarisme

Depuis son émergence dans les années 1970, sous l’influence de plusieurs grands textes internationaux, le droit français des discriminations s’était caractérisé par une logique d’égalité formelle. Il s’agissait alors, en suivant une interprétation littérale de l’article 1er

de la Constitution, de garantir aux individus une stricte égalité de traitement, quel que soit leur sexe, leur religion, leur origine ethnique etc. Ainsi, la législation française de cette première génération du droit anti-discriminations se caractérise par une répression des discriminations directes, principalement devant la juridiction pénale. La loi du 1er juillet 1972 « relative à la lutte contre le racisme » introduit notamment le délit d’incitation à la haine raciale, puis de nombreuses législations suivront, concernant d’autres critères : le sexe, la situation de famille, les mœurs, le handicap, l’état de santé, les opinions politiques et les activités syndicales, l’apparence physique, le patronyme, l’âge et les caractéristiques génétiques.

Cependant, selon l’auteur, cette législation répressive présente deux limites principales en France. D’une part, il souhaite souligner son efficacité limitée et d’autre part son effet pervers qui contribue à faire de la lutte contre les discriminations un problème « symbolique » plutôt qu’une question d’égalité.

En effet, le constat est clair : tel que le montre entre autres le rapport Benbassa, Lecerf (2014) le nombre de condamnations pour délit de discrimination reste très faible (art. 225-2 du Code Pénal). La principale explication repose sur la nature même du droit pénal qui exige la preuve

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de l’intention discriminatoire. Cette prise en compte est une garantie essentielle du principe constitutionnel de la présomption d’innocence (Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, art. 9). Le respect de ce principe crée une difficulté quasiment insurmontable pour la victime présumée de discrimination dans la mesure où elle doit prouver la volonté discriminatoire. Or, les auteurs du délit de discrimination se gardent bien la plupart du temps d’expliciter leur intention fondée sur une idéologie raciste ou sexiste par exemple. Dans la mesure où les condamnations pénales sont extrêmement rares pour des raisons intrinsèques au droit pénal, le surinvestissement du domaine répressif caractéristique de cette période prend alors une tournure principalement symbolique.

b) Discriminations ethnico-raciales et religieuses en France : reconnaissance tardive ou déni ?

Le décalage entre la France, la Grande Bretagne ou les États-Unis, autres démocraties engagées dans la lutte contre les discriminations en raison de la « race » ou des origines, reste frappant. Le vote de lois anti discrimination remonte à 1964 tant aux États-Unis qu’en Grande Bretagne. En France, il faudra précisément attendre le 16 septembre 2001 pour que la Loi sanctionnant les discriminations soit votée. Ce décalage dans la reconnaissance liée aux préjugés racistes n’est pas seulement d’ordre temporel, elle affecte également les dispositifs juridiques et institutionnels mis en œuvre pour les combattre.

Aux États-Unis, des lois sont spécifiquement dédiées au combat contre les discriminations liées à la race ou aux origines ethniques, et des organismes spécialisés dans la lutte contre les discriminations sont d’emblée mise en place dans l’objectif de les rendre effectives .Des agences spécialisées ont non seulement pour fonction de recueillir les plaintes des victimes et la prévention des comportements discriminatoires et de leurs conséquences à leur égard, mais également de révéler les disparités entre les groupes définis à travers une appartenance ethnique ou raciale afin de les corriger.

Le système juridique français, quant à lui, ne distingue pas le critère « d’origine » ou de « race » des autres critères prohibés comme le sexe, l’âge, l’orientation sexuelle. De ce fait, le refus d’autonomiser la question raciale différencie la France des autres pays sur cette question.

Selon Fassin, la « découverte » d’un problème social et le « succès » du vocable servant à en rendre compte ne signifient pas la naissance simultanée de la réalité qu’ils recouvrent, non plus même que la conscience qu’en a le monde social ». (2002, p.403) Parler de discrimination, ne signifie pas pour autant la prise en compte de la mesure et la conscience du

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phénomène. On peut dès lors se demander si ce manque d’intérêt ne relève pas de l’opposition entre le modèle multi-culturaliste anglo-saxon et le modèle d’intégration français aux accents assimilationnistes.

c) Dispositifs français de lutte contre les discriminations : une efficacité discutable

Dans leur rapport d’information intitulé « Les luttes contre les discriminations : de l’incantation à l’action » remis au Sénat en novembre 2014, les Sénateurs Benbasa et Lecerf montrent que si le droit français a prévu de nombreuses dispositions pour lutter contre les discriminations, son efficacité reste loin d’être prouvée tant le système est incohérent (Benbassa & Lecerf, 2014, p.14). Les auteurs dénoncent l’étonnant contraste entre la forte croissance du sentiment de discrimination décrite par différents sociologues et autres chercheurs et le taux de saisine auprès des tribunaux ou des associations et institutions spécialisées dans le domaine. Cela est particulièrement vrai dans le champ des discriminations liées à l’origine ethnico-raciale ou à l’appartenance religieuse dont les premières furent initialement officiellement reconnues dans un rapport publié en 1998 par le feu Haut Conseil à l’Intégration. Il faut dire que tels que le dénoncent plusieurs auteurs, (Geisser, 2003, Bouamama, 2004, Delphy, 2008, Bouteldja, 2016), la France a du mal à traiter ce type de discriminations. Les associations et les institutions « établies » bénéficiant d’une reconnaissance de l’État, du monde politique et médiatique sont plutôt en accord avec la dimension assimilatrice et laïciste du modèle d’intégration français. Le cas de SOS racisme est emblématique de ce phénomène. Créée en 1984 à la suite de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, l’association est souvent accusée d’avoir permis à François Mitterrand, alors Président de la République, d’instrumentaliser le racisme à des fins politiques et à son avantage en transformant les jeunes arabes responsables et revendicatifs de la seconde génération en beurs à intégrer. De leur côté, les institutions administratives telle que le Haut Conseil à l’Intégration (HCI, 1989-2012) ou la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE, 2005-2011) qui en 2011, fusionne avec le Défenseur des droits, sont plutôt perçues comme une machine à assimiler pour le HCI et comme une « autorité alibi » ou une « coquille vide » pour la HALDE tant elle est dénuée de pouvoir coercitif. Les chiffres en la matière sont éloquents puisque sur 43.407 réclamations reçues entre 2005 et 2010, seules 40 furent transmises à la justice. Ce faible traitement des réclamations est en partie expliqué par le fait que certaines d’entre elles constituaient plutôt des injures racistes ou sexistes relevant d’autres lois et en partie parce qu’elles n’étaient pas

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démontrées. Cette question de la preuve reste sans conteste la faiblesse du système français qui n’entend les discriminations que sur le seul fondement juridique des 20 critères officiellement édictés et refuse à la fois de mesurer les phénomènes discriminatoires à partir de la variable de l’origine ethnico-raciale et de donner du crédit au ressenti subjectif des victimes.

Malgré tout, la HALDE aura initié une prise de conscience chez une partie de la population de la force des discriminations et des préjugés, véritable violence sociale qui mine la société française et désillusionne le discours égalitaire officiel.

3. L’universalisme et l’égalitarisme français, des obstacles à une égalité réelle

« Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscitent son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » Aimé Césaire (Discours sur le colonialisme).

a) Les paradoxes de l’universalisme français

La France se définie comme une république, indivisible, laïque, démocratique et sociale qui place l’Égalité au cœur de ses valeurs. Le cadre juridique du droit concernant les discriminations vise à la mise en œuvre du principe déclaratif de l’égalité de droits pour tous : il a pour objectif de sanctionner la violation du principe d’égalité. La discrimination représente ainsi, une violation de ceprincipe inscrit dans la Constitution. Ce principe permet l’unicité et l’indivisibilité du corps national et va de pair avec une méfiance envers l’affirmation publique de la différence, considérée comme pourvoyeuse d’inégalité.

C’est dans cet esprit que l’article premier de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 stipule que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les

distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. ».

Ainsi la tradition juridique française considère que l’égalité est pour l’essentiel assurée par l’uniformité de la loi. La règle de droit est réputée satisfaire ce principe d’Égalité dès lors quelle est la même pour tous. On la nomme l’égalité formelle ou abstraite, en opposition avec

l’égalité concrète.

De ce fait, elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Il n'existe donc officiellement qu'une seule communauté, celle des citoyens à laquelle appartient sans exception l'ensemble des Français. Toutefois, si l’universalisme français considère que tous les hommes sont égaux et porteurs de valeurs qui

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transcendent leurs différences, cette définition théorique n’a jamais empêché la France de dévier de ce principe. Ce fut particulièrement le cas durant les périodes de colonisation où l’égalité des colonisés fut constamment différée dans l’attente de leur assimilation tout autant improbable qu’indésirable, tel que ce put être le cas par exemple, en Algérie. En situation d’immigration, il a longtemps été attendu des immigrés et de leurs descendants qu'ils s’assimilent, c’est-à-dire qu'ils perdent progressivement leurs spécificités culturelles. Cette logique se prolonge aujourd’hui à l’égard des citoyens français des minorités ethniques, raciales et religieuses qui subissent des discriminations de tous ordres dans différents secteurs.

Ce traitement postcolonial des minorités ethnico-raciales est mis en exergue par Bancel, Blanchard et Lemaire (2005) dans une réflexion analytique de l’idéologie républicaine.

Le modèle républicain se déclare « aveugle aux différences », garantissant ainsi un traitement égalitaire à chacun par-delà ses spécificités. Hors, cette conception universaliste de l’égalité entre en contradiction avec la reconnaissance de certaines particularités individuelles et collectives.

En définitive, nous sommes en France dans ce que l’on pourrait appeler une injonction paradoxale, d’une part parce que son modèle d’intégration assimilationniste oblige à reconnaître l’individu comme « un citoyen abstrait » empêchant toute singularité, toute particularité au nom du principe d’égalité, sachant que ce citoyen abstrait correspond généralement à l’archétype du groupe majoritaire. Par conséquent, la personne de nationalité française d’origine étrangère doit se fondre et gommer toutes distinctions culturelles afin de coller à l’image des citoyens français généralement issus du groupe majoritaire. L’objectif étant de former une seule et même identité, l’identité dite nationale. Ajoutons que la question de l’identité nationale reprise par les différents partis politiques fait encore débat à travers des thèmes tels que le port du voile, l’intégration des minorités, la politique d’immigration et la religion.

Plusieurs travaux viseraient, ou tendraient à expliquer ce décalage par une sorte de déni de la part de la société française à l’égard de ses populations issues de l’immigration (Delphy, 2008). Gambetta parlait de la démocratie en ces termes « La vraie démocratie, ce n’est pas de reconnaître des égaux, mais d’en faire » disait Gambetta.

Hors, admettre ces inégalités reviendrait à remettre en question les principes et les valeurs au fondement du modèle universaliste républicain. Cette indifférence à la différence a de lourdes répercussions et elle agit sur les individus de groupes minoritaires, tant sur leur estime de soi

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que sur leur représentation du monde. Notre première réflexion va tenter d’éclaircir ce point essentiel à cette question de la reconnaissance étroitement liée au poids de son histoire.

Dès lors, comment expliquer les crispations à l’égard du pluralisme français et ce qui semble être une obstination à penser de manière critique, la présence de ces minorités, dites visibles, qui la composent ? Il ne s’agit en aucun cas de dresser un portrait négatif de la société française et de ses principes fondateurs, mais de tenter de comprendre en quoi ces différents paradoxes peuvent impacter sur les minorités discriminées, notamment le paradoxe de la désignation des groupes ethno-raciaux et de leur nomination.

b) La nomination des groupes minoritaires

Peu à peu, année après année, la société française glisse vers une radicalisation du débat public dont la polémique autour du discours de Nadine Morano qui livrait son fantasme d’une France blanche6 constitue un bon exemple de la nature de cette dérive. Paradoxalement, la France a des difficultés à nommer « ses populations minoritaires ». Hors, si par exemple, l’identification par la couleur de peau n'est plus courante, elle le fut chez toute une génération d'après-guerre, où la conception du monde justifiait l'usage du mot "race". C’est le 16 mai 2013, que la suppression du mot « race » sera inscrite dans la législation française par l'assemblée nationale à la suite d'une promesse de campagne de François Hollande.

Aujourd’hui l’usage de terme tel que « diversité » fonctionne comme un « nom de code », un moyen de ne pas citer cette partie de la population française. Ce vocable inventé par les grandes entreprises américaines dont les politiques étaient destinées à réduire les inégalités sociales entre les Noirs et les Blancs, est employé aussi bien dans les sphères politiques que sociales. Tel que l’affirment Fassin et Fassin (2006), le problème de la discrimination raciale en France n’est pas qu’une question d’ordre social, elle est aussi une question raciale. En traitant les discriminations à travers la valorisation de la « diversité » et la promotion des populations victimes, on tenterait de réduire les discriminations raciales. La promotion des populations constitutives de la « diversité » laisse penser que la question des discriminations qu’elles subissent serait traitée, pourtant « plus de diversité n’équivaut pas à réduire les inégalités, et sa valorisation n’aboutit que marginalement à réduire les discriminations raciales » (Masclet, 2012, p.28).

Parmi toutes les sources d’inégalité possible, seule la problématique de la discrimination raciale se trouve aujourd’hui au cœur de nombreux paradoxes. Comme nous l’avons évoqué

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précédemment, c’est en partie au nom du principe d’égalité que la France s’empêche aujourd’hui de se doter des instruments de mesure nécessaires dans ses politiques publiques dans la prise en compte des populations les plus exposées que constituent les groupes minoritaires. C’est pourtant la capacité de mesurer les différences de salaires entre les hommes et les femmes qui a permis d’incarner la permanence d’une inégalité de traitement vécue au quotidien par une grande partie de la population.

c) Nommer la race, un véritable tabou

Masclet souligne la difficulté de catégoriser les discriminations raciales. Les catégories par lesquelles on désigne les individus exposés à ces discriminations représentent « autant de

points de vue qui font l’objet » (2012, p.23). Selon lui, mettre en avant les origines nationales,

géographiques ou raciales revient à considérer que les inégalités entre les groupes sociaux peuvent être pensées indépendamment des rapports de classe dans lesquels ces groupes sont placés. Mais en fonction des origines évoquées, les inégalités sont renvoyées à des processus qui ne sont pas de même nature.

Avec la nationalité, on touche la question des tensions entre le national et l’étranger. En définissant les origines de ces populations à travers leur couleur de peau ou leur nom, elles apparaissent comme le résultat d’oppositions construites sur la base d’un code racial préétabli. Or, en désignant les populations à travers « la race » qui les stigmatise, on contribue à la présenter comme un fait objectif alors qu’elle se définit comme une construction mentale. La race est le produit d’une intériorisation de différence socialement construite pouvant agir comme des frontières. C’est la raison pour laquelle les termes tels que « diversité » ou « minorité visible » euphémisment des réalités que l’on n’ose pas vraiment énoncer. Outre son caractère inné du phénotype, nous sommes en face d’un phénomène s’inscrivant dans une logique de construction sociale car, tel que le stipule Bruneaud (2005, p.44), si l’ensemble de la population mondiale était unicolore, le problème ne se poserait pas. Contrairement aux traits culturels, les traits phénotypiques tels que la couleur de peau constituent des attributs propres à l’individu dès les premiers instants de sa vie. L’apartheid en Afrique du Sud et la ségrégation aux États-Unis illustrent de manière pertinente cette théorie.

Contrairement aux États-Unis, le terme de « race » fait l’objet d’un rejet assez consensuel dans la société française au sein de laquelle le fait même de nommer est problématique tant le terme renvoi à un passé et un présent pour le moins embarrassant. Cependant, le fait de ne pas nommer, ne signifie aucunement que les faits existants ont disparu. Ce n’est pas

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essentiellement que la question de la race dont il est question, mais des diverses représentations dont ces populations minoritaires stigmatisées sont prisonnières.

« Notre incapacité de nommer, implique une obligation de penser […] Les gens ne se trompent pas, ils commettent des actes manqués » (Fassin 2002, p418).

Toute la confusion qui règne aujourd’hui entre les catégories « étranger » et « immigré », « étranger » et « d’origine étrangère », « raciale » et « ethnique » ne résulte pas d’erreurs au regard de ce que serait une définition correcte de ces catégories. Autrement dit, il ne suffit pas de remplacer l’expression « français de souche » par l’expression erronée « français de France » pour avoir résolu le problème, à savoir qu’il s’agit tout simplement de désigner des individus qui se voient comme Blancs. Il y a ici, d’après l’auteur, une vérité profonde et inacceptable à savoir que la nationalité effective importe bien moins que l’altérité perçue, que des individus continuent d’être considérés comme n’appartenant pas à la société française. L’usage de ces termes en apparence anodins, pour éviter de nommer ces catégories, démontre à quel point on introduit une différence surdéterminante, et nous informe sur la façon dont la France républicaine pose ces problématiques liées à l’immigration. Bien souvent, on parle de Maghrébin pour désigner certains Français, et parfois ces catégories elles-mêmes se définissent à travers le pays dont ils sont originaires. Ces phénomènes ne sont pas le fruit du hasard et ils partent d’un sentiment de non appartenance à la Nation. De la fracture coloniale, aujourd’hui, nous sommes passés en France, à la fracture identitaire indiquent Bancel, Blanchard et Boubaker (2015). La médiatisation du mot diversité en France n’est pas fortuite. Au-delà de sa dimension apparemment consensuelle, ce vocable s’est néanmoins révélé source de confusion, au point d’éluder les vraies questions.

e) L’impossibilité de penser la France pluriculturelle

À présent, plus que jamais, la France se décline au pluriel. La diversité des trajectoires, des mœurs, des religions, des modes de vie n’a jamais été aussi « visible » dans l’espace public. Mais cette pluralité, la France se refuse encore à l’assumer et renvoie aux marges de la société toute une génération de citoyens qu’elle renvoie à ses différences, ses origines, ses particularités, en l’enfermant dans une altérité radicale ou qu’elle ignore en refusant que cet « Autre » puisse être différent, avoir sa culture, son identité propre. Ce malaise décrit par certains auteurs comme une « anomalie française »à l’égard de ces catégories ethniques dites minorées dénoncent une société de plus en plus aveugle à elle-même.

Safi conclut qu’en France, « un certain déni de la dimension ethno-raciale des inégalités sociales, découle d’une croyance obsessionnelle dans les pouvoirs assimilationnistes de ce

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pays, croyance qui est non seulement en forte discordance avec la réalité empirique, mais aussi en contradiction avec les principales conclusions théoriques des sciences sociales, depuis plus de cent ans sur la force des distinctions ethno-raciales et la puissance de leurs mécanismes de reproduction et de pérennisation » (2013, p.93). C’est ainsi que la reconnaissance d’une discrimination raciale révèle l’échec du modèle qui a précisément servi à l’occulter. L’omniprésence du discours sur l’intégration a en effet longtemps fonctionné comme un obstacle à l’énonciation du phénomène (le racisme apparaissait alors volontiers comme un fait marginal qu’une intégration plus volontariste devait résorber).

Comme le fait remarquer Alec Hargreaves (1997), intellectuel anglais spécialisé dans la littérature issue de l’immigration maghrébine, on ne peut plus se contenter d’invoquer les traditionnelles intolérances à l’égard des étrangers en temps de crise ou les différences culturelles avec les immigrés, car on n’a plus affaire, pour l’essentiel, à une population étrangère ou à un problème d’immigration : quel que soit le nom que l’on donne au phénomène, il trace bien des frontières au sein même de la société nationale En cela, la reconnaissance de la discrimination ethno-raciale constitue, pour les pouvoirs publics, une épreuve de vérité. Le principe égalitariste d’indifférence aux différences a pour effet pervers de conduire à l’indifférence aux discriminations, corrompant ainsi de l’intérieur l’égalitarisme républicain.

4. Les minorités visible

« C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils

montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. ». Ainsi le Général Charles de Gaulle définissait-il la France.

a) De quoi parle-t-on ?

Dans la mesure où nous serons amenée à utiliser l’expression de « minorité visible, » il nous a paru nécessaire d’en comprendre sa genèse à travers une brève mise au point. Dans un premier temps, il faut s’entendre sur la définition de l’expression de « minorités visibles ». Dans notre esprit, ce vocable recouvre toutes les personnes issues d’une immigration non européenne (africaine et asiatique principalement) et celles qui sont originaires des DOM TOM. Son concept se réfère à la Loi canadienne sur l’équité en matière d’emploi stipulant que font parties des minorités dites « visibles » les personnes autres que les autochtones, qui

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afin de promouvoir l’égalité des chances et mettre fin aux discriminations en matière d’emploi.

Utilisé depuis peu en France, ce concept s’applique à « une minorité nationale dont les membres sont facilement reconnaissables. Cela concerne en premier lieu, les différences ethniques et surtout la couleur de peau » En France, il s’impose peu à peu à la suite de protestation concernant le manque de diversité dans certains secteurs comme la publicité, la politique ou les médias. On utilise le terme de minorité visible pour dénoncer les actes de discrimination, mais aussi pour mettre en avant les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre les différentes formes de discrimination, comme avec la discrimination positive qui vise à rétablir la diversité dans le monde du travail. Cependant, l’expression « minorité visible » conduit à rendre davantage « visible » le fait que ces minorités sont déviantes à la norme blanche, tout en laissant invisibles les processus de discrimination eux-mêmes. Cette manière de prendre en compte la question ethno raciale tout en l’euphémisant a ainsi conduit à reproduire les allants de soi hégémoniques selon lesquels les non-Blancs sont moins sujets à discrimination que les groupes minoritaires marqués par leur étrangeté à la francité « normale ». La notion de « minorité visible » a ainsi été comprise comme l’équivalent de « issu de l’immigration » à travers l’usage banalisé de la notion de « personnes issues des minorités visibles ».

b) La visibilité, source de discrimination

La « visibilité » semble ainsi jouer un rôle important dans l’exposition aux discriminations. C’est sur la base d’indices signalant l’appartenance à une catégorie discréditée que se forme le traitement défavorable. Cette dimension des processus discriminatoires a été mise en valeur par de nombreux travaux en psychologie sociale consacrés aux préjugés et stéréotypes (Légal, 2008).

Bruneaud (2005) définit ce principe de visibilité comme étant tous les éléments pouvant émerger dans la sphère publique, chaque individu dévoilant malgré lui, une partie de son identité sur son lieu de travail, à l’école, avec son entourage proche ou professionnel.

Dans les travaux précurseurs de Goffman (1975) sur les processus de stigmatisation, le discrédit générant la dévalorisation, puis par une chaîne complexe de décisions plus ou moins intentionnelles des traitements défavorables et des mises à l’écart, se construit à partir des caractéristiques sensibles des personnes, tels que les traits physiques, la couleur de peau, l’âge, les incapacités ou difformités etc. Ces signes de visibilité, adossés à des stéréotypes et préjugés, constituent les vecteurs par lesquels se forment les discriminations.

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Par ailleurs, le simple fait de désigner un groupe implique que ce dernier soit porteur d’une identité collective, réelle ou supposée, qui diffère de celle du groupe qui a le pouvoir de nommer. Dès lors, il s’installe un processus de différenciation basé sur la conscience d’un « nous » et d’un « eux » Ce clivage peut se construire à partir de différences d’ordre culturel, religieux ou social (Bruneaud, 2005, p 11).

La présence en France de minorités aux identités culturelles et religieuses plus ou moins affirmées durablement et définitivement installées pour les générations les plus jeunes questionne le modèle citoyen français et interroge les modalités du « vivre ensemble » dans une France devenue pluri-culturelle et pluri-cultuelle. Comment comprendre comment se construisent aujourd’hui le(s) sentiment(s) d’appartenance des jeunes générations dans une France devenue objectivement pluriculturelle et pluri-confessionnelle, dans laquelle la présence des minorités a bouleversé le paysage intégrationniste de la société ?

Déjà en 1989, Dubet constatait qu’il ne fallait « pas perdre de vue que si l’immigration est un phénomène ancien en France, la sociologie de l’immigration y est encore jeune. Intellectuellement, la société française est à l’aube de se percevoir comme un pays d’immigration et les sociologues sont parmi les pionniers de cette nouvelle représentation de la société et de la nation » (Dubet, 1989, p.12). Ce déni d’immigration typiquement français se prolongera dans le refus de la société française d’accepter la dimension multiculturelle et multiethnique de sa population. Sur le plan de la recherche, alors que la question de l’ethnicité est travaillée depuis la fin du XXe siècle dans un certain nombre de pays (ex : École de Chicago aux États-Unis), ce n’est qu’à partir du milieu des années 1990 que ce paradigme fera timidement son entrée dans les travaux empiriques français des sciences sociales. Dans un premier temps dans le domaine de l’école pour s’élargir progressivement à celui de l’action publique.

Du côté des politiques publiques, il faudra attendre encore quelques années pour que l’État reconnaisse l’existence de discriminations liées à l’origine ethnique, à la race ou à la religion en mettant en place des institutions, plus ou moins efficaces, censées les recenser et les traiter (Halde, médiateur de la République, etc.).

c) Visibilité ethnico-raciale

Toujours est-il que cette question de l’ethnicité est largement politisée dans la mesure où elle intimement liée au modèle d’intégration français dont la dimension assimilationniste se heurte à la reconnaissance des différences identitaires qu’elles soient d’ordre culturel ou religieux.

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Pourtant la France présente toutes les caractéristiques d’une nation multi-ethnique. Juteau rappelle que l’ethnicité « se construit dans le rapport à l’Autre que provoquent l’immigration, le colonialisme, […et] l’esclavagisme » (1999, p.21). Hors ces trois types de situations représentent des éléments fondamentaux dans la genèse de l’immigration française et de la construction historique, sociale et politique des minorités ethniques nationales. Nous le verrons en effet, les logiques de stigmatisation et de discrimination portent avant tout sur les minorités ethniques, religieuses et raciales issues de cette histoire esclavagiste et coloniale qui entraina une immigration que l’on peut définir de postcoloniale (Bancel, Blanchard, Lemaire. 2005). Abdelamlek Sayad consacrera une grande partie de ses recherches à montrer le prolongement dans l’immigration des rapports de subordination dans le contexte colonial. Généralement, les mouvements migratoires (post)coloniaux seront principalement constitués d’hommes, peu qualifiés. Appelés pour combler le manque de main d’œuvre dans l’industrie en temps de guerre, les immigrés nord-africains et africains participeront à la reconstruction et au développement des infrastructures de la France durant les trente glorieuses. La crise pétrolière de 1973 mettra fin à cette faste période et entrainera, dès 1974, l’arrêt officiel de l’immigration qui incitera les immigrés présents sur le territoire à recourir au regroupement familial pour faire venir femmes et enfants, marquant ainsi le passage d’une immigration de travail à une immigration de peuplement. Comme cette immigration était majoritairement constituée de main-d’œuvre de faibles niveaux de qualification, elle fut durement touchée par la crise et concentrée dans des quartiers de relégation (Lapeyronnie & Courtois, 2008) socialement et ethniquement ségrégués au sein desquels grandiront les générations issues de ces phénomènes. À ceux-là, il convient de ne pas omettre une bonne partie de la population originaire de l’outre-mer français et notamment antillaise qui, bien que non immigrée, n’en possède pas moins les caractéristiques notamment suite aux déplacements de populations initiés entre 1963 et 1981 dans le cadre du bien nommé Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (BUMIDOM).

Aujourd’hui, ce sont bien les descendants de ces immigrants antillais, nord-africains et africains qui subissent fortement des discriminations, notamment dans le domaine de l’emploi, basées sur des représentations fondées sur la race, la culture et la religion.

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5. Discrimination ethnico-raciale et religieuse en France : état des lieux

a) Le milieu du travail

La discrimination à l’embauche et au travail est aujourd’hui une réalité majeure que la France hésite à aborder de front. Le travail tient une place centrale dans nos sociétés contemporaines, il permet l’acquisition de revenus tout en en assurant un lien social. La représentation du travail a subi diverses transformations au fil des époques. Actuellement, il constitue un des outils d’intégration qui définit l’individu, et renvoie à l’idée d’une utilité sociale. Les différents travaux (Jacquemet, 2013 ; Brinbaum & Primon, 2015) dans le champ de l’insertion professionnelle ont bien souvent démontré les effets de la discrimination à travers la difficulté d’accès des jeunes publics sans qualification issus de l’immigration et des quartiers des politiques de la ville.

Hors, nous allons tenter de démontrer dans ce chapitre, grâce à des études effectuées sur la question des discriminations à l’embauche et au travail, que le diplôme et le statut social ne réduisent en rien les comportements discriminatoires dans la sphère professionnelle.

Contrairement à ce qu’indique le site du ministère du travail sur la tendance des discriminations à s’estomper, nous constatons, à travers d’autres sources, qu’elles restent criantes en France. Ainsi, selon le 8e Baromètre DDD/OIT de perception des discriminations dans l’emploi réalisé par l’Ifop en 2015, 85% des demandeurs d’emploi estiment que les discriminations à l’embauche sont fréquentes. La forte influence de l’origine ethnique et de la couleur de peau en tant que facteurs discriminants est reconnue par 66% des demandeurs d’emploi qui estiment qu’un nom à consonance étrangère représente un obstacle pour trouver un travail, et 62% des sondés considèrent que la couleur de peau peut être pénalisante.

Le président François Hollande s’était prononcé, pour la mise en place de l’action collective, mesure réclamée à plusieurs reprises par les associations antiracistes, ainsi, déclara-t-il le 4 mars 2015 dans une interview au journal « Le Parisien » : « Le racisme n’est pas que dans les

stades de football, il peut être dans les transports ou sur les lieux de travail ; Je n’accepterai jamais sa banalisation ». Ce projet d’action de groupe, permet à un collectif de personnes

d'intenter une action en justice contre une personne morale, la plupart du temps une institution publique ou une entreprise.

Dans les années quarante, Gunnar Myrdal parlait du « dilemme américain » afin de mettre en lumière la situation des Noirs aux États-Unis, restés proportionnellement plus pauvres et laissés pour compte du progrès et des principes démocratiques malgré l’égalité des droits dont ils jouissent depuis les années soixante. Aujourd’hui, le même constat est confirmé malgré un

Figure

Illustration 1 : Nombre de CV envoyé par les candidats avant de se voir proposer un entretien  d’embauche
Tableau 1 : Profils des enquêtés
Tableau 2 : Les 4 combinaisons de discrimination

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