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La catégorisation en Luganda par rapport à l'anglais et au français : le cas des deverbaux agentifs

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Academic year: 2021

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UNIVERSITE DE POITIERS

UFR LETTRES & LANGUES

ED 527 – ÉCOLE DOCTORALE COGNITION, COMPORTEMENTS, LANGAGE(S)

LA CATEGORISATION EN LUGANDA PAR RAPPORT A

L

ANGLAIS ET AU FRANÇAIS

:

LE CAS DES DEVERBAUX

AGENTIFS

.

PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT PAR ENOCH SEBUYUNGO

LE 19 NOVEMBRE 2010

POUR L'OBTENTION DU GRADE DE DOCTEUR EN LINGUISTIQUE SOUS LA DIRECTION DE MONSIEUR LE PROFESSEUR MICHEL PAILLARD

MEMBRES DU JURY :

M. RAPHAEL KABORE, PROFESSEUR A L'UNIVERSITE DE PARIS 3

M. OSWALD NDOLERIIRE, PROFESSEUR A MAKERERE UNIVERSITY, OUGANDA M. SYLVESTER OSU, MAITRE DE CONFERENCES A L'UNIVERSITE DE TOURS MME. ODILE RACINE-ISSA, MAITRE DE CONFERENCES HDR A L'INALCO

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A mes parents :

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REMERCIEMENTS

J’exprime ma profonde gratitude à M. Michel PAILLARD, Professeur à l’Université de Poitiers qui a bien voulu accepter de diriger ce travail. Il m’a témoigné beaucoup de bonne volonté, de disponibilité, de patience et s’est préoccupé de mon confort moral et matériel lors de mes séjours en France. En outre, il a participé à la conception de notre sujet, l’a lu et corrigé avec un dévouement attentif, un courage persévérant et beaucoup d’intérêt.

Ma profonde reconnaissance va également à Mme Hélène CHUQUET et à M. Jean CHUQUET, Professeurs à l’Université de Poitiers qui m’ont beaucoup encouragé et dont les conseils m’ont permis de me bien m’installer et étudier en France.

Mes remerciements cordiaux s’adressent en particulier aux collègues et professeurs de L’Institute of Languages de Makerere University, Ouganda qui par leur expérience sur les langues bantoues ont bien voulu accepter de corriger ce travail malgré les nombreuses tâches qu’ils assument.

Une pensée toute particulière ira à mon épouse Jane SEBUYUNGO pour tous les encouragements qu’elle m’a apportés. Ma reconnaissance va également à M. le Professeur Hervé RAKOTO et à son épouse Mme. Francesca RAKOTO pour leur amitié, leur encouragement et toutes les remarques clarificatrices à propos de la forme de ce travail.

Par ailleurs je tiens à remercier particulièrement mes collègues doctorants du LABO FORELL A : Caroline DUMAIS-TURPIN, Romain VANOUDHEUSDEN, Ramon SOLANO, Maya IBRAHIM, Yamba BANGRE pour leur chaleureux accueil, leur disponibilité et la sympathie qu’ils m’ont témoigné.

Je tiens enfin à remercier Mme. Magali MOREAU de CROUS Poitiers ainsi que Le Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) de l’Ambassade de France en Ouganda pour leur soutien et efficacité dans la gestion de ma bourse d’études. A tous ceux qui m’ont assisté et aidé que je ne peux tous citer ici nommément. Qu’ils trouvent à travers ces lignes mes sincères remerciements.

(4)

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION. ... 6

Présentation générale de la recherche. ... 6

Cadre théorique. ... 9

Objectifs de recherche. ... 18

Méthode de recherche. ... 19

Abréviations et symboles employés. ... 22

Plan de la thèse. ... 24

Chapitre 1 ... 25

LA CATEGORISATION DANS LES LANGUES. ... 25

1.1 La catégorisation grammaticale ... 27

1.1.1. L’existence et l’identification des catégories... 27

1.1.2. Les phénomènes d’accord entre catégories ... 29

1.1.3. Sous-catégories et constructions grammaticales ... 33

1.2 La catégorisation sémantique... 37

1.2.1. Les champs sémantiques ... 37

1.2.2 Les tons ... 45

Chapitre 2 ... 47

LE LUGANDA PARMI LES LANGUES BANTOUES. ... 47

2.1 La classification et la distribution géographique des langues bantoues ... 47

2.2 Les caractéristiques générales des langues bantoues ... 49

2.2.1 Le système supra-segmental ... 50

2.2.2 La structure syllabique ... 50

2.2.3 Les tons ... 53

2.2.4 La longueur phonémique ... 54

2.2.5 La congruence morpho-sémantique ... 57

2.2.6 Les classes nominales en luganda ... 63

2.2.7 L’agglutination... 67

2.2.8 La typologie SVO ... 75

Chapitre 3 ... 79

LE MARQUAGE DES CATEGORIES NOM, VERBE ... 79

EN LUGANDA. ... 79

3.1 Le nom : définitions et caractéristiques ... 79

3.2 Les types de noms ... 80

3.3 La morphologie nominale en luganda ... 82

3.4 Le verbe : définitions et caractéristiques ... 90

3.5 La morphologie verbale en luganda... 92

3.6. Les extensions verbales. ... 95

3.6.1 L’extension « contactive ». ... 98

3.6.2 L’extension impositive ... 99

3.6.3. L’extension intensive ... 105

(5)

3.6.5 Les cas particuliers... 112

3.7. Formes Verbales Complexes ... 113

Chapitre 4 ... 118

LES DEVERBAUX EN LUGANDA. ... 118

4.1 Déverbaux désignant le procès ... 119

4.2 Déverbaux désignant l’agent ... 124

4.3 Déverbaux désignant le lieu ... 126

4. 4 Déverbaux désignant l’instrument ... 130

4. 5 D’autres types de déverbaux ... 137

Chapitre 5 ... 139

L’EXPRESSION LINGUISTIQUE DE L’AGENTIVITE. ... 139

5.1 Caractéristiques générales de l’agentivité... 139

5.1.1. Le nom d’agent formé par dérivation. ... 142

5.1.2. Le nom d’agent formé par conversion. ... 149

5.2 Le déverbal agentif en anglais ... 151

5.2.1. Les déverbaux agentifs formés par affixation... 151

5.2.2. Les déverbaux agentifs formés par conversion... 159

5.3 Le déverbal agentif en français ... 161

5.3.1. Les déverbaux agentifs formés par affixation... 162

5.3.2. Les déverbaux agentifs formés par conversion... 167

5.4 Le déverbal agentif en luganda ... 168

5.4.1 Les agentifs suffixés en -i. ... 173

5.4.2 Les agentifs suffixés en -a. ... 179

5.4.3. Les agentifs suffixés en -e. ... 191

5.4.4. Les agentifs suffixés en -o. ... 195

Chapitre 6 ... 199

L’ANALYSE DE LA BASE VERBALE DES NOMS AGENTIFS. ... 199

6.1 L’analyse tonale et syllabique de la base verbale. ... 203

6.1.1 Les noms agentifs de la classe A. ... 206

6.1.2 Les noms agentifs de la classe B. ... 208

6.1.3 Les noms agentifs de la classe C. ... 211

6.1.4 Les noms agentifs de la classe D. ... 212

6.1.5 L’application des tons aux noms agentifs du corpus ... 216

6.2 L’analyse phonologique de la base verbale du nom agentif en luganda ... 227

6.3 L’analyse morpho-syntaxique de la base verbale. ... 233

6.3.1 Les bases causatives... 234

6.3.2 Les bases intensives ... 238

6.3.3 Les bases réciproques ... 239

6.3.4 Les bases impositives... 242

6.3.5 Les bases réversives. ... 243

6.3.6 Les bases verbales transitives. ... 243

6.3.7 Les bases verbales intransitives. ... 244

6.4 Conclusions sur l’analyse de la base verbale des agentifs. ... 247

(6)

6.4.2 Les agentifs suffixés en -e. ... 249

6.4.3 Les agentifs suffixés en -a. ... 251

6.4.4 Les agentifs suffixés en -i. ... 257

Chapitre 7 ... 262

RETOUR COMPARATIF SUR LES TROIS LANGUES. ... 262

7.1 Les contraintes morpho-phonologiques et morpho-syntaxiques imposées par la base verbale... 262

7.1.1 Les suffixes agentifs et leurs bases. ... 262

7.1.2 Les contraintes syntaxiques imposées par la base verbale. ... 263

7.2 Les agentifs composés. ... 267

7.2.1 La structure de l’agentif composé en luganda. ... 267

7.2.2. Les agentifs composés en luganda et français par rapport à l’anglais. ... 270

7.2.3. Les agentifs composés en luganda par rapport à l’anglais et au français. .. 271

7.3 Les agentifs et les verbes supports. ... 274

7.3.1. La nature déverbale des nom-objets. ... 275

7.3.2. Les principaux verbes supports... 278

7.3.3. Les types de constructions comportant des verbes supports... 280

7.3.4. Les agentifs dérivés à partir des prédicats nominaux. ... 282

7.4 Les paires synonymes. ... 283

7.4.1. Les caractéristiques générales des paires synonymes. ... 284

7.4.2. Des paires synonymes en –i et en -e. ... 289

7.4.3. Des paires synonymes en –i et en -a. ... 292

7.4.4. Une comparaison des paires synonymes du luganda avec celles en anglais et en français. ... 295

CONCLUSION ... 299

ANNEXE I: Carte des Langues Bantoues ... 310

ANNEXE II : Les noms agentifs du corpus. ... 311

ANNEXE III : Les classes tonales des noms agentifs... 319

ANNEXE IV : Les noms agentifs à bases transitives. ... 326

ANNEXE V : Les noms agentifs à bases intransitives. ... 333

ANNEXE VI : Extrait de l’analyse du corpus par le logiciel « Wordsmith ». ... 334

ANNEXE VII : Echantillon du corpus traduit. ... 335

(7)

INTRODUCTION.

Présentation générale de la recherche.

Cette thèse a pour objet d’étude les déverbaux agentifs dans la langue luganda, par rapport à l’anglais et au français. Elle vise à élaborer la description morphologique des catégories nom et verbe ainsi que la dérivation V>N en luganda, une langue bantoue de la famille Niger-Congo, tout en comparant la formation des noms agentifs avec l’anglais et le français, langues indo-européennes qui ont fait l’objet d’une tradition longue de recherches dans le domaine de la morphologie dérivationnelle.

Le choix du sujet faisant l’objet de notre étude s’inspire de motivations théoriques. Celles-ci découlent, d’une part, des travaux antérieurs de recherche que nous avons faits, et d’autre part, des ouvrages existants sur la formation de mots en général et le luganda en particulier.

Dans notre recherche de maîtrise menée à Makerere University en Ouganda, nous avons examiné les facteurs influant sur la traduction du luganda vers le français. Tout en nous appuyant sur un corpus écrit de 10 nouvelles en luganda nous avons montré les différences dans l’organisation linguistique en luganda et en français pour exprimer la même réalité. Par exemple, des unités lexicales du luganda nécessitent

(8)

souvent les explicitations dans la langue d’arrivée, le français. La transposition verbe-nom est également signalée comme un procédé auquel on a souvent recours dans la traduction.

Au niveau de notre mémoire de DEA à l’université de Rouen, nous avons examiné les écarts morphologiques dans les écrits scolaires des apprenants de français à Makerere University en Ouganda. Les erreurs en français de ces étudiants ougandais étaient attribuables à une combinaison des facteurs allant des méthodes d’enseignement utilisées aux dictionnaires de poche anglais-français dont se servent les apprenants. Les résultats de l’analyse ont indiqué que la plupart des écarts au niveau du lexique et de la morphologie correspondaient non pas à la langue maternelle des apprenants mais plutôt aux interférences de l’anglais, la langue officielle du pays. Les erreurs dues à la langue maternelle (majoritairement le luganda) étaient cependant présentes et dans l’ensemble ces travaux présentent une intéraction entre ces trois langues. Sur certains éléments le luganda ressemblait plus au français et il était difficile pour les locuteurs natifs de luganda de faire certaines erreurs. Mais l’anglais était aussi, sur certains aspects, plus proche du français. Cette comparaison implique plusieurs dimensions d’investigation qui seront utiles non seulement aux pédagogues mais aussi aux linguistes oeuvrant dans le domaine de la linguistique contrastive. C’est là où réside l’une des motivations des présents travaux.

Faire des recherches sur le luganda en tant que locuteur natif a certes des avantages mais une telle entreprise est confrontée également à certains défis. Parmi les avantages on peut citer l’intuition ; cette capacité de comprendre le sens des énoncés avec toutes les dénotations et connotations qui s’y attachent. Il s’agit aussi de la capacité de critiquer ou compléter certaines notions sur la langue notamment vues par les locuteurs non-natifs. Le locuteur natif n’a pas vraiment besoin d’exemples ; il les a déjà émanant de son expérience personnelle de ‘vivre’ sa langue maternelle. Pourtant, cette situation comporte quelques inconvénients. Le manque parfois d’objectivité sur certains points ; la tendance à tenir pour établi et à ne pas admettre que certaines structures peuvent exister dans sa langue parce que « c’est comme ça ma langue ». Le défi pour un chercheur qui travaille sur sa langue maternelle est donc de s’éloigner de ce qui est considéré comme établi en posant les questions de type « pourquoi » sur sa propre

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langue, comme pourra faire un locuteur non-natif. Les échanges sont donc importants tant avec les non-natifs que les locuteurs indigènes.

Abordons maintenant la deuxième motivation du travail présent : les ouvrages existants donnant un aperçu général sur le luganda, ainsi que ceux récents et théoriques sur la morphologie des langues bantoues.

Le luganda a fait l’objet d’études linguistiques peu nombreuses parmi lesquelles on distingue (Ashton et. al, 1954 ; Cole, 1967 ; Kalema, 1977 ; Hyman et Katamba, 2001 ; Bastin, 2003 ; Katamba, 2003 ; Ferrari 2005 ; McPherson, 2008 ; Ferrari-Bridgers 2009). Celles-ci ont traité de la grammaire descriptive générale, la phonologie, les tons, la morphologie verbale et nominale ainsi que la syntaxe. Bien qu’elle soit abordée dans ces descriptions, la composante de la morphologie dérivationnelle tend à privilégier la dérivation V>V (les extensions verbales). Signalons pourtant qu’Ashton et al. (1954), Ferrari (2005) et Ferrari-Bridgers (2009) mettent en évidence la dérivation V>N en luganda, citant les suffixes agentifs permettant de construire des noms d’agent à partir des bases verbales. D’après Ashton et al. (1954) et Kalema (1977), les déverbaux agentifs du luganda sont suffixés en –i et en –a. Hyman et Katamba (1993b) citent les suffixes –a et –e comme dérivationnels. Selon Cole (1967), le luganda compte 4 suffixes agentifs : -a, -e, -i et –o. Ferrari (2005), quant à elle, insiste sur la formation des noms d’agent du point de vue syntaxique et non pas morphologique. Ferrari-Bridgers (2009) cite quatre suffixes agentifs : -i, -a, -e et –o, mais comme Ferrari (2005), finit par mettre en question l’agentivité de ces suffixes en attribuant le rôle agentif au préfixe nominal de classe 1, mu-. Cette affirmation que la formation des déverbaux agentifs s’effectue dans la syntaxe et non pas dans la morphologie va à l’encontre de l’opinion traditionnelle émise par plusieurs linguistes selon laquelle la formation des noms bantous est due aux processus morphologiques (Mufwene, 1980 ; Bwenge, 1989 ; Bresnan & Mchombo, 1995 ; Kiango, 2000 ; Bastin, 2003 ; Katamba, 2003 ; Schadeberg, 2003). La position théorique de Ferrari (2005) et Ferrari-Bridgers (2009) nécessite une investigation et cette recherche vise à fournir quelques réponses par un examen non seulement de tout l’éventail des ‘suffixes agentifs’ du luganda mais aussi d’aborder le problème de formation du nom d’agent en utilisant une approche morphologique.

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Il convient de reconnaître également d’autres études faites sur la morphologie dérivationnelle d’autres langues bantoues par exemple (Polak-Bynon, 1975 ; Gasana, 1981 ; Maw, 1994 ; Kiango, 2000 ; Schadeberg, 2003). Celles-ci ont servi à éclaircir le phénomène de la formation des mots bantous où, d’après ces auteurs, les noms agentifs sont suffixés en –i. La réconsidération des études antérieures mène à un réexamen de ce qui constitue un nom agentif en langues bantoues et notamment en luganda où des auteurs différents ont précisé des morphèmes agentifs différents.

Une autre problématique qui se pose alors est celle des affixes multiples portant la même valeur sémantique ; un problème signalé par Lieber (2004) s’appuyant sur l’anglais avec quelques illustrations tirées aussi du français, mais qui n’a pas été abordé en luganda. Il s’ensuit donc que cette dernière mérite une investigation par rapport à l’anglais et au français.

Cadre théorique.

Notre étude concerne la formation des déverbaux qui se place dans le contexte plus large de la morphologie dérivationnelle. Une analyse détaillée est faite de l’approche lexicaliste et son statut dans la théorie linguistique par Scalise & Guevara (2005) qui retracent son évolution depuis la jeunesse de la grammaire générative inspirée par Chomsky (1957) jusqu’à ce jour. A quoi s’ajoutent les analyses plus récentes de Lieber & Scalise (2007) et Rosenberg (2008). Notons pourtant que ces analyses se basent presque entièrement sur les langues européennes, d’où la nécessité d’un réexamen de cette approche tout en intégrant des apports des africanistes ainsi que des exemples tirés des langues bantoues et du luganda en particulier. Nous nous intéresserons à la structure du déverbal agentif du luganda en recourant à la discussion qu’elle a suscitée parmi les spécialistes. Nous voudrions en particulier mettre en lumière les implications théoriques pour la formation des noms en luganda.

L’hypothèse lexicaliste dans la théorie linguistique.

L’hypothèse lexicaliste s’inscrit dans l’approche lexicaliste de la formation de mots et de la notion du lexique. L’histoire et le développement de cette approche sont bien

(11)

retracés par Scalise et Guevara (2005) dont nous faisons un résumé dans les paragraphes qui suivent.

Au 19e siècle, la morphologie fut au cœur de l’étude des langues

indo-européennes : Bopp (1816). Plus tard elle occupait une place importante dans la linguistique structurale américaine : Sapir (1921) et Bloomfield (1933).

Mais avec l’avènement de la grammaire générative : Chomsky (1957), la morphologie a été mise à l’écart au profit de la syntaxe et de la phonologie. Par exemple la composition et la dérivation étaient attribuées aux transformations syntaxiques et/ou phonologiques dans la structure profonde. Le lexique, pour sa part, était considéré tout simplement comme une liste de mots. Cette théorie a inspiré les auteurs de cette époque tels que Lees (1960), Reibel & Shane (1969), Jacobs & Rosenbaum (1970), Peters (1972) et avec quelques révisions, Chomsky (1965) et Chomsky et Halle (1968).

Quelques années plus tard, Chomsky (1970) semble s’éloigner de cette position en proposant dans son ouvrage Remarks on Nominalization que la morphologie plutôt que la syntaxe est à l’origine des nominalisations. C’est à partir de là que les linguistes commencent généralement à considérer que les mots possèdent une structure interne avec des traits catégoriels et que la formation des mots complexes pouvait mieux s’expliquer par les règles lexicales.

Chomsky a abordé les nominalisations déverbales dans le cadre de cette approche lexicaliste ; une tradition qui a été poursuivie par Carstairs McCarthy (1992). L’approche lexicaliste1, selon laquelle les règles de la morphologie sont séparées de

celles de la syntaxe, s’est développée au fur et à mesure que les différents linguistes y ont apporté des précisions. Parmi ces linguistes on distingue Halle (1973) qui dans son article Prolegomena to a Theory of Word Formation pose les fondements d’une composante morphologique autonome dans le cadre de la théorie lexicaliste. D’après lui, les morphèmes constituent la base du lexique, chacun représenté par les segments phonologiques et étiqueté au niveau syntaxique par N, V, ADJ etc. à l’exception des affixes qui sont étiquetés Af (sans catégorie syntaxique). Ainsi les règles de formation de mots s’appliquent à ces morphèmes afin de les organiser en mots. Ces règles de

1 Aussi connue comme Generalised Lexical Hypothesis, Strong Lexical Hypothesis ou Lexical Integrity

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formation de mots (Word Formation Rules ou WFRs)2 peuvent aboutir non seulement à un changement de catégorie lexicale mais aussi des caractéristiques syntaxiques relatives. Par exemple le suffixe anglais –al peut s’adjoindre au verbe arrive afin de donner le nom arrival. Ce modèle proposé par Halle est connu aujourd’hui comme l’application forte de l’Hypothèse Lexicaliste selon laquelle les mêmes règles de formation des mots s’appliquent à la morphologie flexionnelle et dérivationnelle. La position de Halle avance l’argument parmi d’autres que les mots possèdent une structure interne qui régit l’adjonction des affixes à des bases. Par exemple, en anglais, le préfixe

re- s’attache aux verbes mais non pas aux noms.

De nombreuses critiques ont été néanmoins adressées à la position de Halle qui ne fait aucune distinction entre la formation des mots dérivés et ceux flexionnels.

Aronoff (1976) a aussi contribué au développement de l’approche lexicaliste. Il a proposé un modèle morphologique basé sur les mots et non pas les morphèmes et cela parce que le même morphème peut avoir un sens dans un mot mais non pas dans un autre. Citons ici son fameux exemple de blackberry, strawberry et cranberry où on fait référence aux types de baies : une mûre, une fraise et une canneberge. Pour les deux premiers en anglais, on peut séparer les morphèmes berry et black ou berry et straw c’est-à-dire que les deux morphèmes existent indépendamment pour signifier au niveau de l’ensemble du mot, le type de baie. En revanche, le dernier exemple, cran n’existe pas indépendamment de berry, le mot entier étant monomorphémique.

Ces morphèmes cranberry existent dans plusieurs langues comme le luganda. Considérons par exemple le morphème « applicatif » –ir qui représente la forme prépositionnelle ‘pour’ ou ‘à’ quand il est suffixé aux bases verbales : yímb-ír-á ‘chanter pour/à’, zánny-ír-á ‘jouer pour/à’ mais qui n’existe pas indépendamment dans certains mots : búulír-á ‘dire’, sáttír-á ‘trottiner’. Tout cela montre la validité de l’argument d’Aronoff selon lequel c’est à partir du mot plutôt que du morphème que l’on peut mieux analyser la formation de mots :

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All regular word-formation processes are word-based. A new word is formed by applying a regular rule to a single already existing word. Both the new word and the existing one are members of major lexical categories.3

Scalise et Guevara (2005 :158) signalent la différence entre les modèles d’Aronoff et de Halle :

In contrast to Halle (1973), in Aronoff’s model words and affixes are represented in different levels: words are in the lexicon while affixes are parts of rules, that is to say, affixes are not lexical items. A WFR is a sort of ‘instruction’ to change the category of the base into another category (e.g. A -- N) and it is at the same time a phonological and a semantic operation on the base (the former typically adding an affix to the base, the latter changing its meaning).

Aronoff précise que les règles de formation de mots (les WFR) s’opèrent sur un ensemble de mots ou bien des lexèmes. C’est ce lexème qu’il appelle une base. D’après lui, il existe au niveau de cette base, les restrictions syntaxiques, sémantiques, phonologiques et morphologiques auxquelles sont soumis les WFR. A côté de ces restrictions, Aronoff a cité les conditions gouvernant les règles morphologiques : l’Hypothèse à Base Unitaire ou UBH (Unitary Base Hypothesis), l’Hypothèse de Branches Binaires ou BBH (Binary Branching Hypothesis), l’absence de syntagme ou NPC (No Phrase Constraint) et le blocage sémantique.

Il arrive parfois que le lexique tend à éviter la formation de deux noms de même sens. Il s’agit bien là du blocage sémantique et selon Aronoff (1976 :43) cité par Scalise & Guevara (2005 : 165), ce phénomène peut se définir comme « the nonoccurrence of

one form due to the simple existence of another ». Mais comme le signalent Scalise et

al. (1983) et Rainer (1988), le blocage sémantique exprime une tendance générale du comportement du lexique et ne peut pas être considéré comme un facteur contraignant influençant le fonctionnement des règles morphologiques.

Disons aussi que le point le plus faible des WFR telles qu’elles sont proposées par Aronoff est le fait que ces WFR s’attachent seulement aux mots mais ne s’opèrent ni au niveau des morphèmes ni au niveau des syntagmes.

(14)

En somme, l’approche lexicaliste se base principalement sur les hypothèses postulées par Halle (1973) et Aronoff (1976) mais aussi sur les apports d’autres linguistes tels que Siegel (1978), Williams (1981), Sproat (1985), Zwicky (1985), Carstairs McCarthy (1987), Booij (1988), Spencer (1988) dont les réflexions ont permis d’affiner les propositions originales.

Il convient aussi de distinguer à ce stade l’application forte et l’application faible de l’Hypothèse Lexicaliste. Ces deux positions sont représentées respectivement par Halle (1973) et Aronoff (1976). D’une part, la syntaxe n’a rien à voir avec les phénomènes morphologiques. C’est-à-dire que les processus de formation de mots (la morphologie dérivationnelle) ainsi que les règles flexionnelles (la morphologie flexionnelle) existent dans le lexique et non pas la syntaxe, les deux étant des modules séparés. Telle est la position proposée par l’application forte ou stricte de l’Hypothèse Lexicaliste qui semble être renforcée également par le principe de l’intégrité lexicale avancé par Lapointe 1980, Di Scullio & Williams 1987 (Scalise & Guevara 2005 :170). Selon ce Principle of Lexical Integrity, les règles syntaxiques ne peuvent pas interférer avec la structure interne du mot.

D’autre part, selon d’autres linguistes, il convient de faire une distinction entre la morphologie dérivationnelle et la morphologie flexionnelle. La première appartient au lexique alors que la seconde, à la syntaxe. Telle est la position de l’application faible de l’Hypothèse Lexicaliste.

Rosenberg (2008 :9) cite Villoing (2002) pour bien résumer ces deux positions :

Villoing (2002 :115-116) met l’accent sur le fait que l’application forte ou faible de l’hypothèse lexicaliste entraîne la distinction entre morphologie unitaire et morphologie scindée. Selon la première position, la morphologie englobe à la fois la formation flexionnelle des mots et la formation dérivationnelle des mots. Selon la deuxième position, qui correspond à la Split Morphology Hypothesis (voir Perlmutter 1988, cf. aussi, Stump 1998 :18), la morphologie s’occupe uniquement des opérations dérivationnelles alors que la morphologie flexionnelle appartient au domaine syntaxique.

Selon Scalise et Guevara (2005), l’hypothèse lexicaliste dans sa version faible présente l’avantage de mieux expliquer les phénomènes linguistiques nécessitant une interaction entre les composantes morphologiques et syntaxiques.

(15)

Dans leur analyse de l’évolution de l’approche lexicaliste, Scalise et Guevara (2005 :171) parlent également de nouvelles tendances dans l’analyse lexicale qui ne sont pas nécessairement ancrées dans la grammaire générative. Celles-ci comprennent la structure PAS (Phrase Argument Structure) et la structure LCS (Lexical Conceptual

Structure). Ces deux façons d’analyse ajoutent à la morphologie, traditionnellement

considérée comme l’étude de la structure interne des mots, une dimension dans laquelle on traite la valence des mots. Il s’agit donc de l’interaction entre les éléments relevant de la syntaxe et leur corrélation possible avec les éléments morphologiques. Autrement dit, l’effet par rapport aux mots, de la structure interne sur la valence externe. La question qui reste à trancher est celle de savoir si cette valence externe relève de la structure interne (appartient au lexique) ou si elle relève de la syntaxe.

Scalise et Guevara (2005 :176) soulèvent également le débat théorique sur la morphologie et la syntaxe par rapport à la formation de mots : « Syntactic models of

morphology argue that word-formation phenomena follow syntactic constraints, interacting with syntactic operations, and that they should be subsumed within the syntactic component ». L’exemple est cité de l’incorporation. Est-elle un processus

relevant du lexique ou de la syntaxe ? D’après l’hypothèse d’incorporation syntaxique proposée par Baker (1988), la formation de mots est réalisée dans une certaine mesure par des processus considérés comme syntaxiques. Cela est renforcé par son Mirror

Principle selon lequel les dérivations morphologiques doivent refléter directement les

dérivations syntaxiques et vice versa (Baker, 1985). D’après ce principe, l’ordre des morphèmes s’explique par la syntaxe. Mais les analyses de Baker ont été critiquées par des morphologues qui ont démontré que l’incorporation appartient au domaine lexical. Par exemple selon Roeper (2005 :126) « thematic roles limit incorporation where dative

verbs are involved. While we find compound nominalizations like teacher-lover we do not find *teacher-thanker. Both roots and affixes are surprisingly limited ». Et si l’on

considère nos présents travaux sur les déverbaux agentifs du luganda, on constate que les approches syntaxiques ne sont pas en mesure d’expliquer de manière convaincante la formation des affixes dérivationnels différents.

Une autre approche proposée par Lieber (1992) critique l’application forte de l’Hypothèse Lexicaliste notamment en ce qui concerne la formation des composés syntagmatiques. Lieber démontre que les affixes flexionnels peuvent s’adjoindre aux

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composés syntagmatiques : « a friend of mine’s book ». Elle avance l’argument que la construction des mots se réalise sur le plan syntaxique étant donné que les éléments formels tels que tête, sous-catégorisation et projection employés pour expliquer les processus morphologiques, sont identiques à ceux élaborés dans le domaine syntaxique. Ackema (1995 :87) s’oppose néanmoins à cette approche en affirmant une séparation entre les composantes morphologique et syntaxique malgré le fait que les deux sont régis par les mêmes principes : «morphology is syntax below zero, not….a byproduct of

syntax above zero ». De plus, les exemples fournis par Lieber (1992) portent sur la

composition et les affixes flexionnels et non pas sur les affixes dérivationnels4 permettant de changer la catégorie syntaxique comme par exemple la formation des déverbaux agentifs. A quoi s’ajoute la position avancée par Roeper (2005 :126) selon laquelle les principes et règles de la syntaxe ne parviennent pas parfois à incorporer les éléments idiosyncratiques du lexique et le contenu interne des racines et affixes lexicales limitent la productivité des règles syntaxiques.

Il importe de considérer aussi les autres orientations théoriques récentes de cette question en dehors du cadre bien élaboré par Scalise et Guevara (2005). Rosenberg (2008 :9) met en lumière l’importance de l’inclusion de la composante sémantique ou bien la morphologie constructionnelle :

Levin & Hovav (1998 :248) remarquent que les études sur la morphologie négligent souvent son côté sémantique en faveur de son côté structural, c’est-à-dire la réalisation morphologique. Ces approches correspondent donc aux théories dissociatives, selon Corbin (1987), et et séparationnistes, selon Beard (1990)…..Pour le modèle de morphologie constructionnelle – modèle associatif – « forme et sens sont indissociables lors d’une opération de construction de mot » (Roger 2003 :179).

Rosenberg (2008 : 8) note l’influence sur l’abandon de l’hypothèse lexicaliste de la théorie minimaliste stricte de Chomsky (1995) selon lequel les mots sont pleinement fléchis déjà dans le lexique. Par exemple, « Josefsson (1997), travaillant dans le cadre

4 Spencer (2005 :83) nous fournit cependant ce genre d’exemples : « a why-does-it-have-to-be-me-ish

expression». Mais soulignons qu’aucun exemple n’est cité s’agissant d’un déverbal agentif. De plus, Spencer remarque dans sa conclusion (2005 :94) qu’il serait déraisonnable de subsumer la morphologie sous la syntaxe : « Even those syntacticians who deep in their souls believe that syntax provides a Theory Of Everything, should, if they are to behave rationally, encourage morphologists to seek morphology-specific principles and should discourage under-motivated attempts to reduce all morphology to syntax».

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minimaliste, estime que la formation des mots en suédois est régie par des principes syntaxiques complexes ».

A cela s’ajoute Ferrari (2005) qui travaillant aussi dans un cadre théorique minimaliste affirme que « Merge and Move » constituent les opérations primaires pour la dérivation des noms du luganda. D’après Ferrari, la formation des noms déverbaux est essentiellement un processus syntaxique. Elle rejette les soi-disant affixes dérivationnels : -i, -a, -e et –o soulignant que ceux-ci sont dénués de valeurs morphologiques et sémantiques : « -i is not an agentive feature. The semantic feature

agentive is derived from the NCP of class 1/2» (2005:355). L’opinion émise par Ferrari

va effectivement à l’encontre de ce qui est trouvé dans la littérature où les différents auteurs mettent en évidence l’existence d’un processus de dérivation où des suffixes permettent de construire les agentifs (Bwenge, 1989 ; Bresnan & Mchombo, 1995 ; Kiango, 2000 ; Bastin, 2003 ; Schadeberg, 2003). Ce dont il s’agit ici est une approche syntaxique qui ne tient pas compte d’un point de vue morphologique.

Mais ce débat entre la séparation de la morphologie et la syntaxe ou l’incorporation de la morphologie dans la syntaxe laisse à penser aujourd’hui qu’il y a une interdépendance entre ces deux modules de la grammaire. Rosenberg (2008 :9) cite Ackema & Newman (2004) et Lieber & Scalise (2007) pour bien saisir, à notre avis, l’essence de ce débat :

Le modèle lexicaliste faible élaboré par Ackema & Newman (2004) tolère une interface entre morphologie et syntaxe et se situe dans un cadre minimaliste…La morphologie et la syntaxe partagent certains principes, par exemple certains traits et la notion de « merge », mais sont en même temps basées sur des principes différents : la syntaxe du mot diffère de la syntaxe du syntagme (2004 :3-10). La morphologie est néanmoins autonome par rapport à la syntaxe….Lieber & Scalise (2007 :2-3) fournissent des évidences tirées de langues différentes pour montrer que la morphologie a accès à la syntaxe (p.ex. des composés phrastiques) et l’inverse (p.ex. l’accord dans des dialectes néerlandais), et aussi qu’il y a des interactions entre morphologie et sémantique (p.ex. des propriétés anaphoriques des éléments sub-lexicaux), ainsi qu’entre morphologie et phonologie (p.ex. la phonologie au niveau phrastique peut opérer à l’intérieur des mots). Or, ils avancent que l’interaction entre morphologie et syntaxe est restreinte et qu’il importe d’identifier cette restriction. La nouvelle hypothèse lexicaliste que proposent Lieber & Scalise (2007 :21) prévoit que : « Syntax and morphology are normally blind to each other. However, limited intermodular access may be allowed. »

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En somme, comme le soulignent Scalise et Guevara (2005 :182), la morphologie demeure un domaine intermédiaire entre la phonologie et la syntaxe. Les débats persistent selon lesquels les opérations morphologiques sont autonomes sans l’apport syntaxique (application forte de l’hypothèse lexicaliste) et vice versa où la morphologie est subsumée sous la syntaxe. La position intermédiaire entre ces deux approches extrêmes est l’hypothèse lexicaliste dans sa version faible. Il est généralement accepté qu’il y a une interaction entre la morphologie et la syntaxe et il convient de ne pas les traiter isolément l’un de l’autre. Spencer (2005 :93-94) résume ce débat ainsi :

I have surveyed some of these claims, concluding that the evidence for a ‘syntax-all-the-way-down’ approach to word formation is at best scanty. However, it remains true that there are important ways in which syntax impinges on word formation, whatever one’s theoretical stance…..We will simply discover as our understanding progresses that the syntactic and morphological principles come to converge on each other. In other words, ‘splitting’ is a perfectly reasonable research strategy for the field as a whole to adopt…If we assume a ‘syntax-all-the-way-down’ approach we will never hypothesize possible independent morphological principles and therefore we will never find them. The monolithic strategy, in contrast to the ‘splitting’ strategy, uniquely brings with it the risk that it will seriously impede progress. For this reason it would be, in a literal sense, irrational for the linguistics community as a whole to encourage the ‘syntax-all-the-way-down’ approach.

A cela s’ajoute encore l’observation de Spencer et Zwicky (1998:1), «morphology is the

study of word structure, and words are at the interface between phonology, syntax and semantics ». Sous cet angle, les travaux de recherche linguistiques devraient explorer

cette ‘interface’ entre la morphologie et la syntaxe tout en s’appuyant sur les différentes langues. C’est dans cette perspective que s’oriente la présente thèse. Il est également intéressant à noter que d’après Lieber et Scalise (2007), la syntaxe n’interfère pas avec les processus de dérivation, se limitant notamment à la construction des composés. La formation des déverbaux agentifs appartient donc au domaine morphologique, ce qui renforce notre position théorique dans cette recherche : un modèle de morphologie constructionnelle dans le cadre de l’hypothèse lexicaliste faible.

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La morphologie bantoue dans la tradition lexicaliste.

Il est particulièrement intéressant de noter dans l’abondance de la littérature sur l’approche lexicaliste, la lacune des recherches sur les langues non-européennes et particulièrement africaines. Cela s’explique en effet par le fait que ces langues sont en grande mesure encore peu connues et leur étude connait encore des difficultés de documentation, comme le souligne Kiango (2000 : 8) : « Many African languages have

no dictionaries, and the existing few dictionaries are not comprehensive ». Notons

pourtant que certains linguistes africanistes ont fait des analyses intéressantes sur des langues africaines dans la tradition générativiste et ont pu élaborer les grammaires pour des langues différentes. Mufwene (1980) nous fait remarquer que les préfixes de classe nominale jouent un rôle dérivationnel dans la construction des mots en kikongo. De même, en kinyarwanda, la formation des dérivés verbaux et nominaux s’effectuent au moyen d’affixation (Gasana, 1981). Omanda (2007) démontre également que les affixes dérivationnels permettent la construction des lexèmes en galwa.

Bwenge (1989 :15-16) se montre en faveur d’une approche lexicaliste quant à la description de la morphologie dérivationnelle de swahili. Kiango (2000 :74) place également la formation des mots bantous, et plus précisément dans la langue swahili, dans une approche lexicaliste. Les deux reconnaissent, au sein de cette approche, le rôle central joué par les affixes dérivationnels dans la formation des mots.

En conclusion cette étude se situe dans le cadre théorique de l’hypothèse lexicaliste faible selon laquelle la formation de mots par la dérivation et la composition, dans la tradition générativiste, se fait en grande partie par les règles lexicales avec un peu d’influence des règles inspirées par la syntaxe. Autrement dit, la formation de mots par dérivation ou composition relève davantage de la morphologie que de la syntaxe.

Objectifs de recherche.

Notre étude a pour objectif d’examiner la catégorisation verbo-nominale et en particulier la formation des déverbaux agentifs en luganda par rapport à l’anglais et au français. Nous ferons d’une manière contrastive l’analyse des suffixes agentifs

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différents ainsi que des contraintes, phonologiques et morpho-syntaxiques imposées par des bases auxquelles s’attachent ces suffixes.

Méthode de recherche.

Notre étude s’inscrit dans la recherche qualitative qui se définit par une orientation vers la découverte, l’exploration, la description et l’induction (Patton 2002). Cette recherche se situe dans un paradigme d’exploration et interprétation qui se caractérise par les éléments suivants :

• Démarche non-expérimentale • Données qualitatives

• Analyse interprétative

Cette recherche a nécessité un corpus réalisé à partir d’articles de presse recueillis en ligne auprès de www.bukedde.co.ug d’août 2008 à septembre 2009. Il s’agit d’une variété de textes extraits du quotidien Bukedde5, le seul quotidien en

luganda au moment de la collecte des données. Les articles sont tirés de différents auteurs et domaines : le sport, la religion, les sciences, la littérature, la culture et l’éducation. Notons cependant qu’il s’agit majoritairement des reportages de nature politique.

Comptant 204653 « tokens » notre corpus représente l’un des rares corpus écrits du luganda et à la différence d’autres thèses sur le luganda,6 cette étude est la première s’appuyant sur un corpus électronique.

Les corpora (la collecte des données linguistiques sous format électronique) se sont avérés pendant les dernières décennies un outil important d’analyses aussi bien

5 Qui signifie ‘l’aube’ ; ‘au point du jour’ ; ‘le matin’ :

Bu- kedd- e

Cl.14 S Faire jour. PERF. VF

6 Nous parlons ici de Kalema (1974), Lemarechal (1987) et Ferrari (2005) qui se basent sur Ashton et al. (1954) A Luganda Grammar.

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dans la linguistique appliquée que théorique. Les corpora linguistiques sont particulièrement importantes quant aux études sur la variation linguistique ou variétés de langue. La compilation des corpus a permis une plus grande exploration des différences entre le discours parlé et écrit ainsi que les variétés sociales, diachroniques et géographiques.

Les études à base de corpus sur les langues bantoues ne sont pas extrêmement nombreuses. On peut citer De Schryver (1999) The Phonetics of Cilubà, Gauton et. al (2004) A Study of the intrinsic and contextual semantic import of the Zulu nominal

suffix –kazi et Taljard (2006) The historical relationship between adjectives and enumeratives in Northern Sotho. D’après De Schryver & Nabirye (2009) ce genre

d’études a permis l’identification dans des langues bantoues des éléments inconnus ou souvent négligés.

Bien que cette étude n’ait pas pour objectif l’analyse des variétés ou de variation linguistiques, une approche à base de corpus a permis d’identifier de manière objective des déverbaux agentifs. C’est là que réside un avantage fondamental de cette approche comme l’affirme De Schryver & Nabirye (2009) : la description qui en résulte s’appuie sur l’usage réel d’une langue plutôt que sur les conjectures théoriques comme c’est le cas chez les grammaires traditionnelles actuelles.

Il convient de souligner aussi les inconvénients que peut présenter un corpus. Ce dernier est en effet un échantillon d’une langue ; il n’en est pas complètement représentatif (Hunston, 2002 :23). En effet certaines structures ou unités lexicales possibles peuvent ne pas être présentes dans un corpus. Notre corpus ne prétend donc pas constituer un inventaire exhaustif des noms agentifs du luganda mais donne simplement une description à titre indicatif de leurs paradigmes morphologiques possibles. Il se présente aussi le risque pour le corpus d’inclure des « erreurs » de performance chez des locuteurs, à l’oral aussi bien qu’à l’écrit. Mais on peut avancer l’argument ici que ces écarts peuvent bien démontrer des variétés ou de la variation linguistique. Par exemple on trouve dans notre corpus mùtápùsí, une variante de

mùtápùtá. Les deux noms agentifs signifient ‘interprète’ étant formés à partir du verbe tápùtá ‘interpréter’. D’emblée, mù-tápùs-í semble une formation aberrante ; ce mot peu

courant ne figure même pas dans le dictionnaire monolingue de luganda (Kiingi, 2007) alors que mù-tápùt-á y est donné. La construction du premier suscite cependant des

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questions sur la productivité des morphèmes dérivationnels ainsi que la création possible de mots nouveaux de ce type en luganda.

Le logiciel Wordsmith a permis d’examiner les formes occurentes des noms

agentifs et d’en établir un index de 241 « tokens » et 1857 « types ». En revanche on a eu recours à une analyse manuelle quant à l’analyse des tons et des consonnes finales des bases verbales.

7 La base de données fournie par Ashton et al. (1954) compte 53 déverbaux agentifs du luganda. Celle de Ferrari-Bridgers (2009) en compte 49. Nous proposons donc une analyse sur un échantillon d’exemples plus varié. Précisons aussi que dans ce corpus, des dérivés en –i sont 144, ceux en –a, 29, 9 en –e et 3 en – o.

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Abréviations et symboles employés.

Abréviations.

ADJ. : Adjectif

ADJ. NUM./QUAL. : Adjectif numérique et qualificatif

Adv. : Adverbe ASSOC. : Associatif AUG. : Augment APPL. : Applicatif C : Consonne CAUS. : Causatif Cl. : Classe nominale Clit. : Clitique

COD : Complément d’Objet Direct

COI : Complément d’Objet Indirect

DEM. : Démonstratif

Fut. : Marque du temps futur simple

Fut. Pr. : Marque du temps futur proche

GEN. : Génitif

INT. : Intensif

Litt. : Sens littéral

LOC. : Locatif N. : Nom NEG. : Négation NEUT. : Neutre PASS. : Passif PERF. : Perfectif

PLS : Personne du Pluriel Sujet

PN : Préfixe Nominal

PO : Préfixe Objet

PR : Pronom Relatif

PrOb : Pronom Objet

PRS : Préfixe Relatif Sujet

PrSuj : Pronom Sujet

Prép. : Préposition

RAD. : Radical

RECIP. : Réciproque

REV. : Réversif

S : Sujet

SGS : Personne du Singulier Sujet

Suff. : Suffixe

SUFF. ADJ. : Suffixe Adjectival

V : Verbe

Voyelle (dans un contexte phonologique)

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Symboles. : Ton haut ` : Ton bas ^ : Ton descendant / / : Niveau phonologique [ ] : Niveau phonétique {} : Niveau morphémique < > : Niveau graphémique - : Frontière morphologique

* : Forme non attestée

> : A pour dérivé

< : Est dérivé de

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Plan de la thèse.

Le présent travail se divise en sept chapitres. Le premier traite les deux aspects de la catégorisation dans les langues : la catégorisation grammaticale et sémantique en s’appuyant notamment sur le luganda, le français et l’anglais. Le second chapitre place le luganda dans le contexte plus large des langues bantoues en mettant en évidence ses caractéristiques morpho-phonologiques et morpho-syntaxiques. Dans le chapitre trois on aborde la structure nominale et verbale du luganda qui nous amène à considérer la dérivation V>N dans le chapitre quatre où un éventail est présenté des déverbaux du luganda. Le chapitre cinq est consacré à l’examen de la notion d’agentivité dans les langues. Sous cet angle, on présente une analyse de la formation des noms d’agent en anglais, en français et en luganda. Après avoir présenté les caractéristiques générales des agentifs en luganda, on aborde l’analyse des bases verbales dans le chapitre six. Il est question ici d’une étude des contraintes phonologiques et morpho-syntaxiques de la base susceptibles d’exercer une influence sur le type de suffixe agentif. Enfin dans le chapitre sept on revient sur la catégorisation du déverbal agentif dans les trois langues en se basant sur les résultats donnés par les analyses du corpus.

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Chapitre 1

LA CATEGORISATION DANS LES LANGUES.

La linguistique contrastive consiste à confronter les langues, et examiner comment celles-ci fonctionnent sur le plan phonologique, morphologique et syntaxique. Et tout cela se fait dans le cadre des théories applicables à de telles comparaisons. Autrement dit, il s’agit d’étudier le fonctionnement des systèmes linguistiques tout en considérant à la lumière des théories linguistiques pertinentes, les points communs et différents dans le comportement des langues. C’est dans ce contexte que l’on aborde le thème de la catégorisation dans les langues.

Par catégorisation, on entend l’expression du sens par les langues au moyen de distinctions syntaxiques et/ou sémantiques. Il s’agit ici du genre, du nombre, de la personne, des parties du discours (la catégorisation en linguistique au sens grammatical) et des unités lexicales employées pour l’expression de relations et/ou le découpage de l’extralinguistique (la catégorisation au sens sémantique).

En d’autres termes, la catégorisation linguistique démontre que les langues expriment la réalité de façons différentes. Ces différentes manières d’expression sont effectivement les différentes manières d’organiser l’expérience vécue par les locuteurs. C’est là où réside le fait que chaque langue possède une « vision du monde déterminée par un contexte culturel donné » (Greimas & Courtés, 1979 :35).

Un certain nombre de linguistes se penchent sur cette question dans Faits de

Langue 14 La catégorisation dans les langues (2000) présentant de différentes

perspectives de la catégorisation lexicale et syntaxique du point de vue de langues différentes. Nous ne reprendrons pas ici la discussion sur ces notions mais nous nous

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contenterons de présenter un éventail des questions de catégorisation abordées dans certains de ces articles.

Sur le plan lexical, Dubois et Grinevald (2000) montrent que le découpage des couleurs est essentiellement une organisation de l’expérience cognitive mais la part du culturel est aussi décisive. Honeste (2000) démontre que la catégorisation lexicale s’organise « non pas autour de propriétés inhérentes aux référents mais autour des expériences qu’une communauté peut en proposer ». De ce point de vue, la polysémie « oscille entre métaphore et métonymie » dont les représentations sont influencées par la culture des locuteurs. Et cela est, par ailleurs, appuyé par ce qu’affirme Hart (1999 :48) « different languages express, through different logics, different visions of

the world and man».

Entre lexique et syntaxe se trouve la morphologie préfixale et suffixale. Corbin (2000) dans "Pour une théorie sémantique de la catégorisation affixale" fait une analyse de la capacité catégorisatrice des préfixes et des suffixes en français. Elle examine l’idée que, dans les langues indo-européennes, les préfixes par opposition aux suffixes, ne permettent pas traditionnellement la construction des unités appartenant à des catégories lexicales différentes de celles de leur base. Se fondant aussi sur l’idée que, dans beaucoup de langues, le marquage catégoriel des lexèmes est en position finale, Corbin conclut en affirmant que les préfixes ont une capacité catégorisatrice même si celle-ci est moins considérable que celle des suffixes. Delhay (2000) en parlant des niveaux de catégorisation des diminutifs en français signale que le diminutif d’un lexème X ne désigne pas tout simplement ‘un petit X’ mais représente également ‘une sorte de X’, ‘un analogue de X’ ou ‘une partie de X’. Kerleroux (2000) souligne, dans son analyse de la conversion en français dans le cadre de la morphologie constructionnelle, que c’est le statut syntaxique qui définit la valeur sémantique au niveau du mot : « l’objet de la morphologie, l’unité lexicale ou lexème, n’est défini que s’il dispose de trois ordres de propriétés : l’appartenance à une catégorie, une forme phonologique, et un sens lexical ».

Du côté de la catégorisation syntaxique, Grinevald (2000) oppose deux types de classification nominale : le système de genre (langues indo-européennes) partiellement lié au trait sémantique de ‘sexe/M-F’ d’une part, et le système de classes nominales (langues bantoues) consistant à un plus grand nombre de classes qui se manifestent par

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un préfixe sur le nom même, d’autre part. Le système de classes, contrairement au système de genre, est assez irrégulier sur le plan morphosyntaxique : « les accords ne sont pas toujours un système ‘allitératif’ dans lequel les marques d’accord ressemblent aux marqueurs de classe affixés aux noms, et les genres sont parfois composés d’appariemments arbitraires entre marque du pluriel et marque du singulier ». Mais Creissels (2000) considère pourtant ces deux systèmes nominaux comme plus similaires que distincts, appartenant à un seul type de classification nominale : « en effet, une description du français en termes de classes nominales selon le modèle Niger-Congo donnerait un système à 4 classes, et une description du tswana selon le modèle indo-européen donnerait un système de 8 genres ». Les deux types de systèmes, selon lui, sont très peu différents sur le plan de grammaticalisation. Par ailleurs remarquons que les 2 systèmes ont une faible motivation sémantique pour les genres (ou classes).

La catégorisation linguistique révèle alors un phénomène intéressant selon lequel les langues fonctionnent différemment afin de représenter les concepts et de délimiter les notions. Sous cet angle, nous allons brièvement examiner, de manière contrastive, le comportement des langues différentes dans les domaines grammatical et sémantique mais accordant une attention particulière aux 3 langues de cette étude : le luganda, l’anglais et le français.

1.1 La catégorisation grammaticale

Nous allons examiner ici l’existence et l’identification des parties du discours dans des langues, le comportement flexionnel des mêmes catégories sous forme d’accords, notamment les accords de classe en luganda. Nous considérerons enfin les (sous-) catégories et constructions grammaticales : emploi ou non d’ « être », verbe à copule, les variations dans la transitivité et la causativité, la morpho-syntaxe de la négation ainsi que l’emploi différent des prépositions.

1.1.1. L’existence et l’identification des catégories

Les langues comportent des catégories grammaticales traditionnellement appelées parties du discours. Notons pourtant que ces parties du discours ne sont pas

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nécessairement équivalentes dans les langues. Par exemple, des mots désignés comme adjectifs en anglais et français ont souvent pour équivalents en luganda des formes verbales : angl. smart, fr. chic, lug. kunyuma ‘être chic’.

Il est reconnu que les langues ont en commun certaines catégories grammaticales. Par exemple, les termes ‘nom’ et ‘verbe’ sont applicables à presque toutes les langues8 bien que les usages et propriétés varient d’une langue à une autre. Selon Bhat (2000) cité par Nemo (2007 :39), des langues telles que le mundari (langue austro-asiatique), ne font aucune distinction entre noms et verbes : « tout mot (y compris ceux qu’il faut traduire par des noms communs, des noms propres, des pronoms ou des numéraux etc.) peut être utilisé comme un prédicat et peut prendre des marques verbales flexionnelles telles que temps et aspect, des marques d’accord et de voix ». Ce point est corroboré par ailleurs par des exemples fournis par Groussier (2003 :124) :

Ces langues comportent deux catégories de mots : des mots ‘à contenu’ (content words) pouvant indifféremment fonctionner soit comme verbes soit comme noms et des noms et des mots et affixes marqueurs des déterminations qui caractérisent alors le fonctionnement des mots ‘à contenu’ soit comme nominal soit comme verbal [ …] le mot ol qui signifie soit « écrire », soit « chose écrite ». Il fonctionne comme un nom dans ol-ra gonong « le prix de l’écrit » où il est suivi du suffixe –ra, marqueur de ‘possession’. Or, on peut ajouter à cette expression le marqueur de passé –ken- / -ked- , en principe caractéristique du fonctionnement verbal : ol-ked-ra gonong signifie « le prix d’un écrit du passé ».

Ces quelques exemples de la langue mundari font ressortir l’ambivalence catégorielle de mots, et comme le souligne Groussier (2003), cet élément nous renvoie à la définition de la notion (Culioli 1982) : « une notion est antérieure à la catégorisation en nom, verbe etc ». Groussier ajoute que les noms et verbes existent dans cette langue mais au niveau morphosyntaxique et non pas lexical.

Mais du point de vue de ce qui nous intéresse, c’est-à-dire les 3 langues qui font l’objet de cette étude, les catégories N et V sont reconnues même si elles n’ont pas des formes linguistiques identiques : ce qu’on appelle les noms dans les langues européennes ne sont pas nécessairement désignés comme des noms dans les langues

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bantoues de l’Afrique.9Par l’exemple le nom miséricorde angl. mercy a pour équivalent en luganda le nom verbal kùsáasíra. C’est-à-dire que ces noms anglais et français, contrairement à leurs ‘équivalents’ en luganda, n’ont pas de verbes qui y correspondent. Il s’ensuit que, sans racines verbales, ces noms ne peuvent pas se transformer directement en verbes, ayant recours aux verbes supports dans des constructions telles que : have mercy, avoir pitié de.

On trouve néanmoins, en luganda, anglais et français, les noms et verbes au niveau lexical ainsi qu’au niveau du comportement morphosyntaxique des unités lexicales dans les phrases. Nous n’allons pas entrer dans les détails de cette catégorisation ici ayant réservé cette analyse au chapitre 3.

Un autre constat important est le fait que les catégories N, V, Adj. peuvent subir la conversion en anglais (et dans une moindre mesure, en français) alors que cette opération morphologique où une catégorie grammaticale peut se transformer en une autre sans laisser aucune trace visible telle que affixe ou autre marque du rapport, est impossible en luganda et dans l’ensemble des langues bantoues. Nous verrons plus tard que les propriétés morphologiques de ces catégories en langues bantoues ne permettent pas une telle transformation.

1.1.2. Les phénomènes d’accord entre catégories

Notons d’abord une différence entre le français et l’anglais au niveau des catégories grammaticales. Il s’agit des formes de la fléxion et de l’accord qui ne changent pas de la même manière. Les variations de forme du nom en anglais se font en fonction du nombre. Par contre, en français l’adjectif et l’article changent en fonction du genre.10

Les adjectifs en anglais ainsi que l’article « the » ne varient pas en fonction des noms auxquels ils se rapportent dans les phrases.

Le luganda fonctionne presque de la même façon que le français : les articles et adjectifs changent dans les phrases en fonction du genre. Mais contrairement au français qui ne dispose que de deux genres : masculin et féminin, le genre en luganda s’exprime

9 Guthrie M. (1948:5) 10 Robins R.H. (1980:185)

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par au moins 9 genres representés par 21 classes nominales11. Il s’agit ici d’un système d’accord au moyen de préfixes où la forme de l’adjectif est régie par la classe nominale du nom auquel il se rapporte. Illustrons ce fait par quelques exemples ci-dessous :

ANGLAIS LUGANDA FRANÇAIS

The good bag The good bags The good chair The good chairs

Ensáwò ennûngí Ensáwò ennûngí Entébè ennûngí Entébè ennûngí

Le bon sac Les bons sacs La bonne chaise Les bonnes chaises The good boy

The good boys The good girl The good girls

Omùlénzí omùlûngí Abàlénzí abàlûngí Omùwálà omùlûngí Abàwálà abàlûngí

Le bon garçon Les bons garçons La bonne fille Les bonnes filles The good mattress

The good mattresses The good orange The good oranges

Omùfálìsó omùlûngí Emìfálìsó emìrûngí Omùcúngwâ omùlûngí Emìcúngwâ emìrûngí

Le bon matelas Les bons matelas La bonne orange Les bonnes oranges The good perfume

The good perfumes The good spoon The good spoons

Akàlóosâ akàlûngí Obùlóosâ obùlûngí Akàjíìkó akàlûngí Obùjíìkó obùlûngí

Le bon parfum Les bons parfums La bonne cuillère Les bonnes cuillères The good book

The good books The good dress The good dresses

Ekìtábó ekìlûngí Ebìtábó ebìlûngí Ekìtéeteèyí ekìlûngí Ebìtéeteèyí ebìlûngí

Le bon livre Les bons livres La bonne robe Les bonnes robes The good clothing

The good clothings The good door The good doors

Olùgóyè olùlûngí Engóyè ennûngí Olùggí olùlûngí Enzìgí ennûngí

Le bon vêtement Les bons vêtements La bonne porte Les bonnes portes The good boat Elyâtó eddûngí Le bon bateau

11 Partant du principe qu’un genre comprend le singulier et le pluriel, les 9 genres suivants ayant les correspondances singulier-pluriel, sont possibles en luganda : classes 1/2, 3/4, 5/6, 7/8, 9/10, 11/10, 12/14, 15/6, 17/6, et 20/22. Il convient de noter que certaines classes (13, 18, 23) n’ont aucune place dans une telle classification car elles existent uniquement au singulier.

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The good boats The good thorn The good thorns

Amáàtó amàlûngí Elíggwà eddûngí Amággwà amàlûngí

Les bons bateaux La bonne épine Les bonnes épines

Remarquons d’abord qu’il n’y a aucune variation de l’adjectif et de l’article en anglais. La variation ne se fait qu’au niveau de la catégorie de nombre. Le luganda et le français pour leur part, démontrent que l’adjectif et l’article se modifient en fonction non seulement du nombre mais aussi du genre. Mais notons également que le genre en français (masculin/féminin) correspond aux classes nominales en luganda. Les données présentées ci-dessus sont en effet rangées en fonction des classes nominales du luganda. On peut résumer cette différence ainsi :

FRANÇAIS

Articles Genre Accord en genre de

l’adjectif au singulier

Accord en genre de l’adjectif au pluriel

Le Masculin Bon [b5] Bons [b5]

La Féminin Bonne [bǚn] Bonnes [bǚn]

LUGANDA

Augments Classe nominale Accord de la classe nominale et de l’adjectif au singulier Accord de la classe nominale et de l’adjectif au pluriel E n- (Cl. 9) nn-ungi nn-ungi

O mu- (Cl. 1) mu-lungi ba-lungi

O mu- (Cl.3) mu-lungi mi-lungi

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E ki- (Cl.7) ki-lungi bi-lungi

O lu- (Cl.11) lu-lungi nn-ungi

E li- (Cl. 5) dd-ungi ma-lungi

On observe que, pour ce cas, il n’existe pas sur le plan phonétique de différence entre le singulier et le pluriel en français alors que les différences existent en luganda à l’exception de la classe nominale 9. Ces différences, en français, ne sont pas de même nature à l’oral et à l’écrit : à l’oral, le féminin se termine le plus souvent par un son consonantique, absent au masculin. A l’écrit, le féminin ne se distingue du masculin que par un -e final supplémentaire, et parfois le doublement de la lettre-consonne qui précède ce –e.

Il est aussi intéressant de remarquer que l’accord se fait au moyen de la suffixation en français et au moyen de la préfixation en luganda. En français les suffixes s’accolent à la base adjectivale bon alors qu’en luganda, il y a une adjonction des préfixes à la base lungi.12Cela fait apparaître une différence importante entre le français et le luganda car en français, comme le souligne Corbin (2000 :67), « les marques de genre et de nombre s’appliquent à la fin des adjectifs et des noms ». En revanche, en luganda, ces marques sont en position initiale sous forme de préfixe.

Reprenons la caractéristique du genre, qui se manifeste différemment dans les 3 langues :

Anglais Français Luganda

He Il A

She Elle A

It il/elle Gu,li,ki,e,lu,ka,ku,wa

Remarquons d’abord que les différences au niveau du genre peuvent être représentées en anglais par les pronoms he, she, it. Les deux premiers désignent en

12 Il importe de préciser ici que l’adjonction des préfixes à la base –lungi se fait parfois avec quelques modifications phonologiques. Par exemple le préfixe nn et la base –lungi produit nnungi. Pareillement dd et –lungi produisent ddungi. Cela s’explique par le fait que les consonnes apico-alvéolaire nasale nn et apico-alvéolaire plosive dd suivis par l’apico-alvéolaire latérale l produisent une liaison. Certains phonèmes n’apparaissent que dans des contextes précis et limités.

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général des êtres humains ainsi que le dernier, avec quelques exceptions, les non-humains. Notons ensuite que le français, pour sa part, a recours à il et elle qui peuvent évoquer à la fois les humains et non-humains. Soulignons enfin que le luganda ne fait aucune distinction entre il et elle, les différences au niveau du genre étant régies par la classe nominale. En effet, il et elle, qui représentent en français les noms appartenant à des genres différents, font partie du même genre en luganda : mùyízì ‘il est étudiant’/ ‘elle est étudiante’.13Il est également à signaler que le pronom anglais it (il/elle) est caractérisé par des pronoms variés en luganda, et chacun en fonction de la classe nominale du nom représenté. Ce phénomène sera considéré de manière plus détaillée dans le prochain chapitre qui est consacré à la langue luganda parmi les langues bantoues.

1.1.3. Sous-catégories et constructions grammaticales

Il convient de noter la différence de comportement des sous-catégories en anglais, français et luganda. Prenons l’exemple des verbes copules introduisant des attributs en anglais et français (être, demeurer, sembler, paraître, devenir). Ces verbes attributifs peuvent se substituer (paradigmatiquement) dans une phrase en anglais et français mais non pas en luganda où « être » se distingue des autres faisant s’effacer le pronom sujet qui lui est relié.

Vient ensuite la notion sémantique de la causativité où l’on peut relever certaines différences. L’anglais, comme le français, dispose d’un certain nombre de verbes déployés pour exprimer la causativité tels que make, get et on peut citer en français des verbes comme faire, rendre. Certaines formations dérivationnelles remplissent une fonction causative (Robins 1980 : 209) comme blacken, whiten en anglais. Le luganda, de son côté, peut former des dérivés causatifs à partir des verbes simples par suffixation.

13 Le pronom de luganda a (il/elle) s’efface devant l’adjectif épithète ou un nom attribut précédé par le verbe ‘être’. Par exemple, la phrase « Il est chauffeur » sera rendue en luganda par mùvúzì (litt. chauffeur). Autrement dit, le pronom personnel sujet « il » ainsi que la copule « être » sont désignés ici par le PN, mu.

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Verbe Verbe causatif dérivé au moyen de la suffixation Límbá ‘mentir’ Límbísá ‘faire mentir’

Zánnyá ‘jouer’ Zánnyísá ‘faire jouer’ Nywâ ‘boire’ Nywêsá ‘faire boire’ Yógérá ‘parler’ Yógézá ‘faire parler’ Túùlá ‘s’asseoir’ Túùzá ‘faire s’asseoir’ Gúlá ‘acheter’ Gúzá ‘faire acheter’

Robins (1980 :174) illustre des différences au niveau des classes lexicales en donnant cet exemple de l’anglais :

The English classes noun, verb, and adjective are required respectively for words like death, pursue, and malicious, each of which belongs to one class only. Words like work belong both to the noun and verb classes (he works well, his work is good, their works are good)

Il est évident que les 3 mots anglais cités ci-dessus, appartiennent à des catégories grammaticales différentes. Death ‘la mort’ est en effet une nominalisation du verbe die. Pourtant en luganda, death (ókùfâ) est l’infinitif du verbe mourir même si il peut jouer un rôle nominal. Alors survient la question : l’infinif, est-il plus nominal que verbal ou plus verbal que nominal ? Cela dépend du contexte comme le montrent les phrases ci-dessous :

(1) Agénda okùfâ. (2) Okùfâ kwé.

/agenda/ /okufa/ /okufa/ /kwe/

‘il/elle va mourir’ Litt. mourir sa

‘sa mort’

Les nominalisations du verbe sont fréquentes en anglais et en français. En luganda, un certain nombre de verbes peuvent se prêter à une nominalisation mais très souvent la forme infinitive du verbe joue ce rôle pour désigner le procès. (Voir 4.1)

Cela nous amène aux moyens morpho-syntaxiques d’expression de la négation. Notons d’abord que l’anglais et le français expriment la négation au moyen de mots

Références

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