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De quelques biais invalidant le concept de personnalité et sa mesure

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De quelques biais invalidant le concept de personnalité

et sa mesure

Bernard Gangloff

To cite this version:

Bernard Gangloff. De quelques biais invalidant le concept de personnalité et sa mesure . Bulletin de

psychologie, Groupe d’étude de psychologie, 2001, pp.375-380. �hal-01692355�

(2)

bullETiN dE psycholoçiE 1 tome 54 (3) 1 453 1 mai-juin 2001

De quelques blais invalidant

le concept de personnalité

et

sa mesure

Bernard GANGLOFF*

PROBLÉMATIQUE

La personnalité est habituellement définie com-me 1' ensemble des caractéristiques stables et diffé-renciatrices des individus (Child, 1968, p. 83). Nombreux sont alors les questionnaires qui, desti-nés à mesw:er cette personnalité, affichent des in-dices de validité officiellement satisfaisants. n est cependant possible de se demander si ces indices ne sont pas illusoires. Et, plus précisément, de se demander si les consignes, ou si la polysémie de certaines des réponses que ces questionnaires pro-posent aux sujets, ne sont pas constin1tives, dès l'origine, de biais susceptibles d'affecter les résul-tats des réponrumts, et donc de fausser les indices de validité établis sur la base de ces résultats. Si, au surplus, on garde en mémoire que la validité des tests opérationnalise la validité des concepts et théories auxquels ils réfèrent, il convient alors de s'interroge~· également sur la validité de ces concepts et théories, en l'occurrence, ici, sur ceux relevant de la personnalité.

Le présent travail, centré sur ces questions, s'ar-ticule en deux études axées, l'une et l'autre, sur la caractéristique la plus fondamentale de la person-nalité, c'est-à-dire sur sa stabilité (Bonis, 1989, p. 319). La première étude porte alors sur une analy-se de consignes, la analy-seconde sur la polysémie de cer-taines des réponses proposées aux sujets.

PREMIÈRE ÉTUDE

Tout le monde, nous semble-t-il, conviendra que les résultats obtenus aux tests n'auraient aucune va-leur si l'on demandait aux sujets d'éviter tel ou tel. type de réponse; c'est-à-dire si l'on créait une si-tuation d'emprise (Lemoine, 1994, p. 11-12) obli-geant les sujets à répondre de telle ou telle façon. Ce serait un peu comme si, réalisant un sondage politique, on demandait aux personnes interrogées d'éviter d'indiquer qu'elles soutiennent les idées de tel parti politique particulier : un tel sondage relè-verait assurément de l'escroquerie. Le problème, c'est que les recruteurs se comportent de manière similaire ; restreignant activement la liberté de ré -ponse des sujets. Quelles ·en sont les consé-quences ? Telle est la question à laquelle nous

avons souhaité répondre, avec, pour illustration, le Guilford-Zimmerman (G. Z.), qui constitue l'in· ventaire de personnalité le plus employé en France dans le domaine du recrutement (Bruchon-Schweitzer et Ferrieux, 1991, p. 13).

Rappelons que le G. Z. est constitué de 300 ques-tions réparties en 10 facteurs (voir annexe 1) et qu'à chacune de ces questions les sujets doivent répondre par« oui», «non», ou «? ». Quant aux consignes, elles incitent les sujets

à.

notamment, respecter les deux règles suivantes : « répondez à toutes les ques-tions sans exception » et « si vous ne pouvez déci-der entre "oui" et ''non", entourez le "?", mais évi-tez cette réponse autant que possible» (1).

Nous avons alors demandé à 134 sujets (121 femmes et 13 hommes, âgés de 18 à 23 ans, étu-diants en l"' année de psychologie) de répondre au test, mais sans les informer qu 'Hs devaient éviter le «?».Cette demande fut présentée, aussi bien dans cette étude que dans la suivante, comme un exerci-ce pédagogique (il s'agissait donc d'une situation sans enjeu, minimisant les risques de tricherie vo-lontaire). Ensuite, à partir des réponses fournies, nous avons d'abord recensé le nombre de«?>> par trait ; puis, sachant que « plus de trois "?'' pour un trait suffit pour invalider la note correspondante » (Guilford et Zimmerman, 1961, p. 24), nous avons calculé le nombre de profils valides, ·

Les résultats (tableau 1) mettent alors en éviden-ce que, globalement, inoins de 15% des sujets (2) fournissent des réponses permettant de valider les 10 traits. Ainsi, du fait que les traits ne sont jamais totalement indépendants les uns des autres, c'est-à-dire que le profil d'wi individu ne peut être consi-déré comme valide que si chacun des 10 traits qui

(*) Laboratoire PRIS, département de psychologie, Université de Rouen, France.

<gangloff@epeire.univ-rouen.fr>

(1) Ajoutons que cette dernière incitation est réitérée en

entretien, c'est-à-dire après le test, afin que les sujets

ayant coché un nombre trop important de « ? » modifient

leurs réponses en transformant le maximum de « ? » en

«oui» et« non» (Guilfm:d et Zimmennan, 1961, p. 24). (2) La répartition entre les hommes et les femmes étant

(3)

xi 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0

ni bruts 20 11 9 9 10 6 12 10 10 17 20

ni% 14,93 8,21 6,72 6,72 7,46 4,48 8,96 7,46 7,46 12,69 14,93

Tableau 1. ProportJons de traits 'la/Ides obtenus au G. Z, sur l'ensemble de la popullltlon

xi= nombre de traits valides (c.-à-d. dans lesquels le nombre de •?" est inférieur ou égal à 3); ni= nombre d'in-dividus correspondants (par ex., colonne 1 : 20 individus fournissent des réponses validant l'ensemble des traits).

le constituent est valide, cela signifie qu'en situa-tion non artificielle, moins de 15% des profils éta-blis sont honnêtement exploitables. Inversement, cela signifie qu'habituellement, sur 10 sujets ré-pondant au G. Z., 9 font l'objet d'une décision (orientation, embauche, ... ) foncMe sur des résultats artificiellement biaisés.

Ajoutons que de telles malversations, indispen-sables à la production d'indices de validité officiel-lement satisfaisants, ne sont pas propres au G. Z. ll est ainsi indiqu6 dans les consignes du 16 P. F. : « répondez à toutes les questions, sans en passer aucune. Vous aurez peut-être l'impression que cer-taines questions ne vous concernent pas : répondez-Y quand m~me, du mieux que vous pourrez » ; et «essayez d'éviter la réponse intermédiaire ( ... ). Ne l'utilisez que dans les cas où il vous serait vrai-ment impossible de répondre par l'une des autres éventualités, peut-être à une question sur cinq». On trouve également ce type de consignes dans le M. M. P. 1. ( « si vous ne pouvez pas vous décider entre vrai et faux, faites une croix sur le "T', mais évitez cette dernière réponse autant que pos-sible ») ; ou dans le Bemreuter ( « si vous êtes ab-solw:ilent incapable de répondre oui ou non à la question, alors faites un cercle autour du "?" » ), ou encore dans des tests unidimensionnels (par ex., échelle d'anxiété de Cattell) (3).

DEUXIÈME ÉTUDE

Les résultats de l'étude précédente ne portaient pas exclusivement sur la stabilité personnologique : cocher un « ? » supporte, en effet, différentes inter-prétations, et la flexibilité personnologique ne constitue que l'une d'elles. Aussi avons-nous vou-lu, dans une seconde étude, affiner notre recherche pour nous centrer spécifiquement sur 1' aspect stabi-lité. Nous avons alors utilisé l'Alter ego (Caprara et coll., 1993, 1997). L'Alter ego fait partie de la fa-mille des tests issus du modèle dit des cinq facteurs ou Big five. ll présente ainsi l'avantage de pouvoir être considéré comme l'un des meilleurs outils de mesure de la structure généralement estimée repré-sentative de la personnalité (par ex. Rolland, 1994, p. 65 ; Caprara et coll., 1994, p. 13). En outre, au-cune restriction de réponse n'étant contenue dans ses consignes, il autorise l'implantation d'une pro-cédure permettant aisément de travailler sur la sta-bilité pour en cerner l'étendue.

Ce test est constitué de 132 questions (24 pour chacun des 5 facteurs, plus une échelle de menson-ge, voir annexe 2), et à chacune des questions les sujets se voient proposer 5 possibilités de réponse : «tout à fait vrai», « plutôt vrai», «ni vrai ni faux», «plutôt faux», «tout à fait faux». Nous nous sommes alors intéressés à la réponse intermé-diaire ( « ni vrai ni faux » ).

Cocher cette réponse peut, comme dans le G. Z., relever de l'ignorance, d'un manque d'implication dans l'épreuve, ou d'une volonté de truquer les ré-sultats, notamment pour tenter de fournir une ima-ge positive de soi (Caprara et coll., 1997, p. 32) ; cocher cette réponse peut également signifier que le sujet est quelqu'un de mesuré, se situant exacte-ment dans la moyenne ; mais cette réponse est en-core susceptible d'indiquer que le répondant adopte une conduite variable, fonction des circonstances, et que, pour rendre compte de cette variabilité, il choi-sit d'inscrire sa réponse au centre ; et bien évidem-ment, puisque l'objectif de l'Alter ego est de cir-conscrire la personnalité, c'est-à-dire d'appré-hender des caractéristiques personnologiques stables, un choix trop fréquent, par le sujet, de cet-te dernière possibilité de l'alcet-ternative, ne permet aucune application valide du test. Aussi le choix de cette possibilité peut-il être considéré comme une non réponse (4).

Nous avons donc décidé de remplacer la formu-lation polysémique « ni vrai ni faux » par l'une de ses significations possibles, en l'occurrence par «ça dépend des fois», et demandé à 73 sujets (58

(3) Dans le même ordre d'id6e, mais de

mâ'nière

moins

sournoise, il convient de faire aussi mention des inven-taires n'accordant aucune possibilité de rq,onse centrale. Ainsi l'Inventaire de personnalité d'Eysenck ne comporte que 2 modalités de réponse ( « oui » ou « non » ), avec, là encore, l'obligation, contenue dans les consignes, de répondre à toutes les questions ; de même le California

psychological inventory de Gough ne propose que les modalités « vrai ,. ou « faux » et précise dans les consignes : « il est indispensable d'indiquer "vrai" ou

"faux" pour chaque phrase,

meme

si, dans certains cas, vous n'êtes pas tout à fait sOr de votre opinion».

(4) C'est d'ailleurs ce que prévoit l'Alter ego, mais de

façon plus large (puisque ce test n'utilise qu'une seule réponse intermédiaire, polysémique : « ni vrai ni faux ,. )

et moins explicite car il faut, pour s'en apercevoir, mettre en rapport correction manuelle (qui, selon une informa-tion qui nous fut transmise par l'éditeur du test, assimile,

(4)

xi 5 4 3 2 0

ni bruts 2 1 2 5 18 45

ni% 2,74 1,37 2,74 6,85 24,66 61,64

Tableau 2. Propottlons de traits valides obtenus à l'Alter ego, sur rensemble de la population

xi

=

nombre de traits valides (c.-à-d. dans lesquels le nombre de réponses lntennédiaires est inférieur ou égal à

5) ; ni = nombre d'individus correspondants (par ex., colonne 1 : 2 individus fournissent des réponses validant l'ensemble des traits).

femmes et 15 hommes, âgés de 17 à 23 ans, étu-diants en Ire année de psychologie), de répondre à

ce nouveau questionnaire. Comme dans l'étude précédente, nous avons alors comptabilisé le nombre de réponses intennédiaires, que nous avons traitées comme des non reponses, puis, du fait qu'un profil Alter ego est considéré comme non va-lide si le nombre de non réponses dépasse globale -ment 7 (c-à-d. 5% des items, voir Caprara et coll., 1997, p. 107), nous avons calculé le nombre de pro-fils valides.

Les resultats alors obtenus sont on ne peut plus nets : sur 73 profils, seuls 3 sont valides ! C'est-à-dire que, corollairement, 95,89% des profils sont non valides (et même 97,26% si l'on souhaite, en sus, effectuer une analyse trait par trait et ne pas re-tenir plus de 5% de réponses intermédiaires par trait) (voir tableau 2).

Cela signifie qu'en situation non polysémique, au moins 95% des sujets qui répondent à 1 'Alter ego font état de conduites adaptatives, de conduites qui varient selon les circonstances, et qui invalident a!nsi l'utilisation de l'Alter ego. D'où des manipu-lations psychotechniques ayant pour objectif, en évitant l'apparition de ces conduites, de préserver la stabilité de la personnalité de la perception de son arbitraire.

DISCUSSION

Le postulat de stabilité (ou encore de constance, ou d'unicité) personnologique signifie que les indi-vidus adoptent généralement toujours les mêmes modes ~ pensée, conduites, à la fois dans le temps et à travers les situations. Si, en théorie, ce postulat est tout à fait défendable, on remarque cependant que sa validation expérimentale ne peut aboutir sans de douteuses acrobaties psychotechniques.

Ainsi les tests confrontent-ils les candidats à un contexte particulier, contexte constitué des situa-tions auxquelles il est fait référence dans les ques-tions qu'on leur pose. Et c'est d'après leurs ré-ponses à ce contexte que les candidats sont évalués. Or, bien évidemment, comme le démontre Brunswik (1956, p. 1-58), ce contexte ne peut être représentatif de l'ensemble des contextes pos-sibles ; ainsi que le précise Shweder (1975, p. 480), « la plupart de nos contemporains sont [ainsi] per-çus dans un contexte restreint oà seule une petite variété de comportements apparaissent ». Plus

spé-cifiquement, Blasco souligne (1993, p. 233) que les tests issus du modèle des cinq facteurs « restent ex-cessivement réductionnistes » et négligent le fait que« la gamme des comportements et attitudes [ ... ] comporte beaucoup de nuances et des dimensions très spécifiques». En outre, nul ne peut affirmer qu'existe un bon contexte, c'est-à-dire un contexte générique permettant à l'individu de s'exprimer de façon totalement autonome (auquel cas, d'ailleurs, à l'idée aberrante d'un tel contexte décontextué, s'ajouterait celle selon laquelle il suffirait d'une seule question pour cerner l'ensemble des caracté-ristiques d'un candidat (5)). Ainsi, pour pouvoir dire qu'il évalue la personnalité profonde, stable, des candidats, le recruteur doit nier que leurs ré-ponses sont des réré-ponses contextuées, donc· des ré-ponses potentiellement instables, variant en fonc-tion du contexte (6). Pour autant, cette conduite passive, de négation, n'est pas la seule mise en œuvre par le recruteur.

Nous constatons, en effet, ici, que cette négation reste insuffisante à la légitimation des outils des re-cruteurs. Et ceux-ci en sont bien conscients. Aussi s'efforcent-ils d'employer une formulation polysé-(suifll de fa note 4)

« deux réponses à un même item • à « réponse intermé

-diaire») et correction informatisée (où, selon encore une information fournie par l'éditeur, « deux réponses à un même item » est coté « non réponse ») ; mise en rapport suggérant donc que « réponse intermédiaire » est équiva-lent à « non réponse ». Ajourons; -au· surplus; que traiter une « réponse centrale » comme une « non réponse » n'a rien d'exceptionnel : lors d'un travail d'élaboration d'un nouveau questionnaire de Big five, Laglaive (1998, p. 48) indique, lui aussi, que les réponses intermédiaires «je ne sais pas» sont assimilables aux non réponses.

(5) Soyons généreux et allons même jusqu'à cinq : une pour chacun des cinq domaines répertoriés comme constituant la personnalité.

(6) Cette inférence naturalisante par laquelle le recru-teur prétend aboutir à des conclusions sur la nature, la psychologie profonde du candidat, inférence bâtie selon le processus du «tiers ~elu» (Demailly, 1988, p. 130), n'est d'ailleurs pas sans rappeler la théorie de l'inférence des correspondances (Jones et Davis, 1965) dans laquel-le, pour pouvoir exploiter les réponses fournies par les candidats aux questions des tests, le recruteur est contraint « d'éliminer les causes environnementales ou liées à la situation» (Kelley, 1967, p. 209), c'est-à-dire est contraint de nier les évidentes limites des outils psycho-techniques qu'il emploie

(5)

mique permettant de mieux encore exclure toute ré-férence à une quelconque instabilité comportemen-tale. Aussi intiment-ils également aux candidats qui s'apptêtent à répondre à leurs questions d'oublier,

notamment, la variabilité potentielle de leur com-portement ; de faire comme si leur comcom-portement était perpétuellement stable et de choisir une ré-ponse l'attestant. Tant il apparaît qu'en 1 'absence de ce que l'on ne peut qualifier autrement que com-me des escroqueries procédurales, la crédibilité de la psychotechnique personnologique s'écroulerait dans l'invalidation, nous le constatons ici, d'envi-ron 90% des profils établis sur la base des tests per-soonologiques.

Bien évidemment, .le caractère biaisé d'une pro -cédure ou d'un outil de mesure ne saurait, à lui seul, suffire à invalider l'objet mesuré, sauf à consi-dérer que cet objet n'est défini que par les procé

-dures et les outils affectés à sa mesure. Tel est ain-si le cas de l'intelligence(« l'intelligence, c'est ce que mesurent les tests d'intelligence », ont parfois confié leurs créateurs). Tel semble être, également, le cas de la personnalité : « Comme le dit Cattell,

les questionnaires sont les ambassadeurs des.

théo-ries de la personnalité» (Bonis, 1989, p. 319). Ce qui signifie que l'invalidation des tests de person-nalité peut aussi conduire à l'invalidation des

théo-ries sous-tendant ces outils, en l'occurrence à l'in-validation des théories de la personnalité en leur conception de la personnalité comme une entité stable.

Les résultats ici obtenus nous font ainsi re

-joindre, mais par l'emploi d'une démarche expéri-mentale, certaines conclusions de littérateurs, de sociologues, de philosophes, d'essayistes. Comme l'iodique Enriquez (1989, p. 67-71), non seulement «la constance n'existe pas (les individus évoluent,

se transforment)», mais chacun de nous est, en outre, constitué « d'une pluralité 'de personnes psy-chiques » ; tout le contraire de cette « identité com-pacte», de ce «caractère lisse» que réclame le système. Aussi le concept d'identité n'est-il, pour Enriquez, qu'un concept « illusoire». De même Schopenhauer solJ].igne ([18181 éd. 1992, p. 354) : « Dès que nous nous avisons de pénétrer en nous-mêmes, et que; dirigeant l'œil de notre esprit vers le dedans, nous voulons nous contempler, nous ne réussissons qu'à aller nous perdre dans un vide sans fond». ll en va d'ailleurs jusqu'au nom propre, ajoute Forrester (1980), qui participe de

cette illusion d'un moi univoque et « nous force à désespérément nous simplifier.

A

ne nous recon-naître qu'en un seul sujet : celui qu'indique notre nom, biographiquement déterminé selon des termes préfabriqués; [nom qui protège le moi par] une unité artificielle» (p. 113) ; nom carcéral «où l'on prétend vivre sous une seule identité, alors qu'une vie se compose d'une infinité de

biogra-phies, de morts, de solutions de continuité, alors qu'un corps est le théâtre d'une multitude d'ac-tants,. (p. 27). Et Forrester poursuit (p. 118) en in-diquant que chez Marcel Proust «l'identité de chaque personnage se pluralise avec l'âge et le temps». illustration d'ailleurs reprise par Bourdieu (1994, p. 85-86) qui remarque lui a11ssi : « attesta-tion visible de l'identité de son portéur à travers les temps et les espaces sociaux [ ... ], le nom propre [ ... ], du fait que ce qu'il désigne n'est jamais qu'une rhapsodie composite et disparate de

pro-priétés biologiques et sociales en changement constant [ ...

J,

ne peut attester l'identité de laper-sonnalité, comme individualité socialement consti-tuée, qu'au prix d'une formidable abstraction. C'est ce qui se rappelle dans l'usage inhabituel que Proust fait du nom propre précédé de l'article défi-ni (le Swann de Buckingham Palace, l'Albertine d'alors, l'Albertine caoutchoutée des jours de pluie), tour complexe par lequel s'énoncent à la

fois la subite révélation d'un sujet fractionné, mul-tiple, et la permanence par-delà la pluralité des mondes de l'identité socialement assignée par le nom propre ».

Cette illusion de constance pourrait cependant posséder une certaine instrumentalité, tant sur le plan individuel qu'au niveau social. Si l'on admet, en effet, que « le monde social [ ... ] tend à identifier la normalité avec l'identité entendue comme constance à soi-même» (Bourdieu, 1994, p. 84), alors l'illusion de constance constituerait le prix à

payer pour se percevoir et être perçu par autrui comme quelqu'un de normal. C'est ce que souligne aussi, en matière de processus, Rhinehart (éd.

1995, p. 316 et 318) lorsqu'il rappelle qu'existent, du moins dans nos sociétés occidentales, de fortes incitations pour conduire tout individu « à réprimer sa multiplicité naturelle » ; pour conduire tout indi-vidu à acquérir « le sentiment d'un moi unitaire »,

sentiment fondéé sur l'artificielle fabrication d'un «moi unique dominant [ ... ] les autres», alors même qu'il est tout à fait envisageable« que le dé-sir de ne pas être unitaire, de ne pas être un seul, de ne pas avoir une seule personnalité, soit le désir hu-main le plus naturel et le plus fondamental dans nos sociétés multivalentes », car désir correspondant le mieux au ressenti des individus vis-à-vis de leur au-thenticité, vis-à-vis de leur être profond. De telles analyses signifient que cette illusion pourrait, certes, engendrer une certaine adhésion sociale, in-tégrée aux processus de régulation du soi, mais ad-hésion provenant d'une dépendance normative à une mystification institutionnalisée. Telle est enco-re, à un niveau plus global, la position d'Adorno ([1951] éd. 1983, p. 144) pour qui «la conception de l'ultime et absolue substancialité du moi est vic-time d'une illusion qui protège l'ordre existant au

(6)

CONCLUSION

Selon certains auteurs, l'identité personnelle ne constituerait ainsi que le fruit d'un « processus de production idéologique [ ... qui] consiste donc en toute autre chose qu'à mettre à jour, révéler, dé-crypter une réalité existant en dehors de ce proces-sus et antérieurement à lui, [puisque c'est en fait] ce processus [qui] est créateur de cette réalité [ ... ] ; puisque cette réalité ne prend corps qu'à travers œ processus » (Moreux, 1978, p. 39). De même ffiiyrynen (1995) rapporte que le concept de soi n'appanu"t, dans son acceptation actuelle, qu'au XVIII" siècle et sous la pression des classes privilé-giées parvenant ensuite, peu à peu, à le transformer en modèle universel. Ce concept, ajoute Hiiyrynen, n'est ainsi qu'une construction microsociale, et plus précisément «un mythe~ (p. 14) qui aurait sans doute depuis longtemps été abandonné et rem-placé par « une notion plus hétérogène » (p. 7), par

«l'idée de multiples soi>> (p. 14), s'il n'avait eu pour raison pratique, notamment au travers des ins-truments qui le véhiculent (tests, entretiens psycho-logiques, ... ), de masquer le rôle de l'environn~

ment social, c'est-à-dire de servir, en l'occultant,

«le contrôle [ ... ] exercé [sur les peuples] par les classes privilégiées » (p. 16). Et il est certes vrai qu'en occultant toute variabilité des compo~

ments intraindividuels et qu'en expliquant toute

va-riabilité des comportements interindividuels par des différences interindividuelles, les psychotech-niciens excluent toute intervention de

l'environne-ment social et participent ainsi à la pérennisation de cet environnement. C'est ce que relève également Beauvois lorsqu'il note (1976, p. 12 et 14) : «le trait individuel [ ... devenant] l'explication suffisan-te des conduisuffisan-tes[ ... ], le rôle de l'environnement[ ... ] se trouve bel et bien évacué du processus explica-tif». Aussi, poursuit cet auteur (1982, p. 514), l'uti-lisation et l'intériorisation des traits et concepts personnologiques constituent « l'un des processus cognitifs essentiels de la reproduction idéologique, c'est-à-dire de la maintenance, dans les idéologies quotidiennes, des croyances et des représentations susceptibles de garantir la stabilité des structures sociales ».

Pour autant, indique encore Beauvois (1976, p. 7), cette utilisation et intériorisation ne consti-tuent« pas seulement le moyen d'une défense qua-si phyqua-sique du pouvoir. [Elles sont également] le générateur des représentations qui assurent [ ... ] la

légitimité des conditions d'exercice» de cette utili-sation et intérioriutili-sation. On conçoit alors bien que l'adhésion à cette analyse conduirait à éclairer d'un jour nouveau 1' activité des personnologistes : il s'agirait pour eux, en r~nforçant la construction d'un système idéologique répondant à une aspira-tion microsociale, et en renforçant la mise au point d'outils ésotériques opérationnalisant ce système, de développer un corps statutaire à la légitimité

édi-fiée sur la légitimité qu'il accepte de conférer à l'existence d'une classe sociale particulière.

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ANNEXE!

Les 10 traits du G. Z. (30 items par trait)

G : activité générale

R : contrainte (pondération, persévérance, esprit sérieux, maràise de soi) A : ascendance

S : sociabilité

E : stabilité émotionnelle 0 : objectivité

F : bienveillance

T : mtditation (tendance à la réflexion)

P: relations personnelles (tendance à la coopération M : masculinité

ANNEXE2

Les 5 facteurs et 11 kbelles de l'Alter ego (12 items par échelle).

1-Energie 1. dynamisme

2. dominance

2- Amabilité 3.coopération

4. attitude amicale

3- Caractère consciencieux 5. méticulosité

6. persévérance

4- Stabilité émotionnelle 7. contrôle de l'émotion

8. contrôle des impulsions

5- Ouverture d'esprit 9. ouverture à la culture

10. ouverture à l'expérience

Figure

Tableau 1. ProportJons de  traits  'la/Ides obtenus au G. Z, sur  l'ensemble de  la popullltlon
Tableau  2. Propottlons de traits valides obtenus  à  l'Alter  ego,  sur rensemble de la population

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