Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Revue des deux mondes
(1829)
Revue des deux mondes (1829). 1879/01-1879/02.
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LE
SOCIALISME
CONTEMPORAIN
EN
ALLEMAGNE
IV'.
LES SOCIALISTES CONSERVATEURS ET LES SOCIALISTES ÉVANGÉLIQUES.
I.
Les mots de socialiste et de conservateur
jurent
de se trouverréunis; l'un
neveut-il pas
détruire tout ce quel'autre tient
àconserver? Cependant il est un
parti
quiprend
cette dénomination,et
iln'est
pas téméraire de dire que, dans une certaine mesure, M. deBismarck en
est
leplus illustre représentant.
L'esprit allemandcherche, avant tout, à échapper au reproche
d'E!'?Mc:
c'est-à-dire àl'habitude
de ne voir les choses qued'un
côté. Les objets ont en général une face éclairée et une face plongée dans l'ombre.Celui qui
n'aperçoit
que le côté illuminépar
le soleilverra tout
en rose, celui qui
s'arrêtera
au côtéde l'ombre verra tout
en noir.Si quelqu'un s'avise de faire le tour de
l'objet,
il soutiendraqu'il
est à la fois noir et blanc, clair et obscur,et
dans cescontradic-tions apparentes il y aura une sorte de logique et un reflet de la
réalité. C'est ainsi
qu'est
né le socialisme conservateur. Lisezcer-taines de ses
pages,
vous croiriezqu'elles
sont écritespar
unnemi irréconciliable de
l'ordre
social; continuez la lecture, vous rencontrez un homme pour qui toute reformeest
une faute, et toutprogrès
unpas
vers labarbarie.
Voyez M. de Bismarcknul
nemontre avec plus
de
précision et de force les transformations detoute
nature
qui donnent ànotre
époque une physionomienou-velle. Comme il a été
pour
beaucoup dans ces changemens, onpeut
dire qu'il est un des grands révolutionnaires de notre temps. Etcependant, par
certains côtés, il estresté le
type du seigneurféodal, gouvernant ses vassaux
d'une
main de fer, pourleur
biensans doute, mais entendu à sa façon
et
réalisépar
lui, nonpar
eux.La société moderne, dans la période de
transition
où nous sommesengagés, présente aussi des contrastes bien frappans. D'une
part,
la science appliquée à la production nous éblouit deses
merveilles.'Chaque exposition
internationale
lasse de plus en plusnotre
admi-ration. Les gens riches le sont infiniment plus que
jadis.
La classeaisée
est
beaucoup plus nombreuse, et l'ouvrier lui-même est cer-tainement mieux logé, mieux vêtu et de toute façon mieux pourvuqu'autrefois. Cependant,
d'autre part,
on nepeut
le nier, que demisères dans les centres industriels!
Quelle
gêne, quelles souf-frances, quandune
crise prolongéerestreint
la-demande de travail et abaissela
main-d'œuvre! C'est lapeinture
de ces maux,attribués
à la concurrence, qui forme la base d'opération de toutes les sortesde socialisme. La plus grande
partie
du livre fameux de Karl Marx,das
Co~
n'est
que le résumé des faits désolans ou mêmeré-voltans que constatent les documens parlementaires anglais. Les
socialistes conservateurs acceptent comme exacte cette sombre
peinture
de notreétat
social actuel et ils enattribuent
la cause à l'industrialismeet
àla
bancocratie. Sur ce point, ils sont d'accordavec les socialistes révolutionnaires et ils
parlent
comme eux.Pour
porter
remède à ces désordres, trois systèmes se présen-tent. L'économiste nous dit Laissez agir les loisnaturelles.
Laliberté
guérit
les blessures qu'elle fait. Ouvrez libre carrière àl'initiative individuelle, et tout
sera
pourle
.mieux dansle
meilleurdes mondes possibles. Le socialiste démocrate
prétend
que lebon-heur
et la justices'établiront
aussitôt qu'onaura
faitentrer
lesinstrumens de travail dans le domaine collectif. Enfin le socialiste
conservateur ne voit de salut que dans le
retour
aux institutionsqui
garantissaient
aux hommes, sous l'ancien régime,l'ordre
et lerepos.
Le libre échange, lalibre
concurrence, la libreusure,
voilà,d'après
lui, les pestes quimettent
à mal toute société où elless'é-tablissent.
Un des chefs du
parti
libéral auparlement
allemand, M.Lud-wig Bamberger, montre bien ce
qu'a
de singulier la situation deguerre
des classes. Sans doute ailleurs, en France, en Angleterre, en Italie, le socialisme existe mais du moins tous ceux dont il menace lesintérêts
se réunissentpour
le combattre. Cen'est
qu'enAllemagne qu'on voit des groupes nombreux de personnes riches,
nobles, instruites et pieuses, déclarer la guerre à la bourgeoisie.
Les gentilshommes campagnards
attaquent
le capital, oubliantqu'il leur est indispensable pour améliorer leurs
terres;
les pro-fesseurs déclarent que le chemin qui conduit à l'opulence passetout
à côté de la maison de force, et enfin des évêques conspirentavec des démagogues. Là seulement on voit ce spectacle étrange
de gens qui, avec une frivolité aristocratique, se font un jeu de
miner les bases de
l'ordre social,
dansl'intérêt
prétendu
de lamorale et de la religion. Ce phénomène que signale ainsi M.
Bam-berger
meparaît
avoir deux causesd'abord l'horreur
de~'Emsc!
tigkeit,
ainsi que jel'ai
dit, et chezquelques-uns l'esprit
scienti-fique, en second lieu
l'intérêt
électoral. Quand deuxpartis
sont enprésence et qu'il
s'en
trouve un troisième qui dispose de beaucoupd'électeurs, c'est
à qui lui fera le plus de concessions pours'as-surer
son concours. Les socialistes ont eu sept cent mille voix;faut-il s'étonner
que les ultramontains et les féodauxtâchent
d'avoir
leur
appui contre les libéraux, leurs adversaires actuels?Quoi
qu'en
dise M. Ludwig Bamberger, de pareilles alliances sesont vues en tous pays.
On
peut rattacher
les origines du socialisme conservateur àRod-bertus-Jagetzow, parce
qu'en
effet c'est lui qui lepremier
a donnéà la critique socialiste une base scientifique. M. de Bismarck faisait
récemment à la
tribune
duparlement
allemand l'éloge de cepen-seur solitaire, dont l'influence a été si grande, quoique son nom ne
soit pas arrivé jusqu'à la foule. On l'a nommé avec raison le
Ri-cardo du socialisme. Son livre
paru
en 18~2, ZurErkenntniss
MM-serer ~<M'r</MC/M/i~'C/~K/!M~7K<~ (Exposé de notre
situation
économique), contient déjà en germe les idées dont on
s'est
serviplus tard
etqu'il
a développées lui-même dans sonautre
ouvrage,Zur
Beleuchtungder
socialenFrage.
Dans des fragmens de sesnotes
et
dans unepartie
de sa correspondance avec Lassalle,pu-bliés récemment (1), il montre
lui-même
pourquoi ilpeut
senom-mer conservateur. « Notre manière de comprendre le droit et la
philosophie de
l'histoire, écrit-il
enparlant
de Lassalle, étaitsem-blable, en ce que nous ne considérions pas la succession des formes sociales et politiques comme épuisée
par l'établissement
du régime constitutionnelou'du
système représentatif. Nous étions tous deux(1) Briefe von Ferdinand Lassalle an Car! Ro~6er<M!-J<tge<soM', mit emer
Einlei-tung von Adolph Magner. Berlin, 1870. (Lettres de Ferdinand Lassalle à C.
convaincus
qu'en
se plaçant aupoint
de vued'une
philosophie du droitplus
idéale et plus rigoureuse que celle qui est reçueaujour-d'hui,
on aperçoit les imperfections de lapropriété
tellequ'elle
est maintenant appliquée au sol et aux capitaux, et on entrevoit une forme
d'appropriation plus pure, plus
équitable, en vertu delaquelle la
part
de chacunserait
proportionnée au servicerendu.
En pratique, nous ne pûmes nous
entendre,
ajoute Rodbertus. Las-salle, on le sait, voulait changer en peu de temps la condition desouvriers en les faisant
entrer
dans des associations de productionfondées avec le concours de
l'état.
Moi je voulais conserver leprin-cipe du salaire, mais en
admettant
une réformeentreprise par
l'é-tat.
Lassalle voulait faire duparti
socialiste unparti
politique. Acet effet il réclamait le suffrage universel. Je voulais le maintenir
sur
leterrain
exclusivement économique et scientifique. » Lassalle était unagitateur ardent
qui croyaitarriver
bientôt aubut,
tandisque Rodbertus comprenait si bien la
lenteur
des transformationssociales
qu'il n'espérait
pas avant un laps de cinq siècles laréali-sation de son idéal de la
propriété
proportionnée au service.Rod-bertus
avait de commun avec leparti
actuel des « agrariensqu'il
défendait énergiquement lesintérêts
agricoles; il lespréten-dait
sacrifiés aux financiers. Faisant valoirlui-même
son domaine de Jagetzow, il connaissait à fond, comme von Thuenen, toutes lesquestions qui se
rattachent
à l'économierurale,
mais iln'aspirait
point
comme les « agrariens » à. rétablir le régime du passé.La nuance la plus
rétrograde
du socialisme conservateur a été représentéepar
leprésident
von Gerlach, qui, sous le nom dejRMH6~<~M~- (Spectateur),
traitait
la question sociale dans lejour-nal des féodaux, la Kreuzzeitung (Gazette de
la
Croix).
Ilpréten-dait
ymontrer
que les propriétaires fonciers et les ouvriers sont également sacrifiés auxerreurs
du libéralisme économique et àl'art
del'usure
(Wucherkunste), qui caractérisent notre temps. IIvoulait maintenir avant
tout
ce régimeagraire
encore en vigueur dans la Prusse orientale, où les paysans viventet
travaillent sousle patronage et souvent sous la férule des seigneurs. Il
de-mandait qu'on défendît la classe des artisans à la fois travailleurset propriétaires
del'instrument
de travail contre lesenvahisse-mens de la
grande industrie,
qui divise le monde dela
productionen deux classes distinctes et hostiles, les capitalistes et les
sala-riés. Un des principaux argumens de Marx consiste à montrer quela
concurrence du bon marché amène le triomphe fatal desgrands
établissemenss'élevant sur les ruines des petits
industriels
:et qu'ellereconstitue ainsi la féodalité de
la
finance et del'industrie
appuyéesur
le servage, non dedroit,
mais de fait, desprolétaires.
Leautre
conclusion que Marx. Le seul moyen de sauver l'artisanet de
reconstituer
une classe où le capital et le travail se trouventréunis
est derétablir
des corporations crééespar
la loi et armées du monopole, comme au moyen âge. C'est aussi le point capitalsur
le-quel se séparent les deux champions du socialisme catholiqueen
France. Tous deux veulent la corporation
demétier.
Mais M. PeTinmaintient la liberté des professions, tandis que M. de Mun
soutient
qu'alors il
n'y
a point de réforme réelle ni de changementappré-ciable au régime
actuel.
Il est certainqu'à
côté de sesinconvé-niens la corporation offrait de réels avantages. Mais il ne faut pas
croire qu'on puisse à volonté
ressusciter
le passé. La cause qui faitmourir
les institutions les empêche derenaître.
Si la corporationfabrique
plus cher,
la concurrence étrangère latuera.
Le seulmoyen de la faire vivre artificiellement
serait d'y
appliquer le régimede la régie des tabacs. Or, s'il fallait soumettre toutes les
indus-tries à ce corset de force, je doute
qu'aucune
nation s'yrésignât.
Lassalle, répondant à Gerlach, fait bien voir ce que ces rêves de restauration du passé ont de chimérique <f Étant donnée,
dit-il,
la force organique de la grande
industrie,
il est aussi impossibled'en
arrêter
l'essor
qued'empêcher
les ruisseaux de se jeterdans
la rivière et de laconstituer.
Mais de même qu'onpeut s'emparer
de la force du courant afin d'en
tirer parti,
ainsi onpeut
se servir du développement même de la grandeindustrie
pour refaire uneclasse moyenne de
travailleurs
capitalistes, comme au sein de la corporation, mais fondéesur
d'autres
bases. Il est conforme à la philosophie de l'histoired'utiliser
les forcesrésultant
del'évolu-tion
naturelle
de la civilisationpour atteindre
lebut
plutôt
qued'essayer
de
lesenrayer,
ce qui seraitd'ailleurs
inutile. aLa nuance Gerlach
était
désignée sous le nom de ZMM/i'nMc~'07~« réaction corporative. » Deuxécrivains très connus qui défendaient
les mêmes idées générales, le professeur Huber
et
le conseiller dejustice Wagener, se
séparèrent
de Gerlachsur
ce point. S'il y a unequestion sociale, dit le
professeurHuber, c'est
parce que le salaire est trop souvent insuffisant. Pourquoil'est-il?
Parce que,prétend-il,
la baisse de prix des objets fabriqués, résultant de la. diminutiondes frais de production,
s'obtient
toujourspar
la réduction dessa-laires. En fait, ceci
n'est point
exact. Pourquoi, ajoute Huber, nepas
arriver
au mêmerésultat par
une diminution des profits? Cen'est
point en raisond'une
loi morale, rationnelle ou économiqueque l'une des
parties qui
concourent à la production de la richesse est toujours sacrifiéeà
l'autre.
IIfaudrait
que la rémunératioRdu travail
fût
fixée nonpar
l'arbitraire,
maispar
l'équité. Or l'équité commandequ'après
que le capital a touchél'intérêt
etdeux
parties,
enproportion
du servicerendu.
Maisqui
fixera cettepart?
Ce nepeut
être qu'une
sorte dejury
de
prud'hommes oùmaîtres
et
ouvriers seront également représentés, etdont
lesdé-cisions auront force 1 égale. La répartition serait ainsi
réglée,
nonplus
comme maintenantpar
lalutte
brutale des intérêts, c'est-à-direau fond
par
la loi du plusfort,
mais, comme dans les anciennes corporations,par
un principe de justice. Bienentendu,
il nes'agit
pas de
rétablir
les corps de métiers avec leurs monopoles et leursentraves, mais de soumettre
tout
le monde économique à unebu-reaucratie
industrielle
et àun
ensemble de tribunaux, nouveauxorganes du
droit.
Le professeur Huber est
mort,
mais le conseiller Wagenervit,
etil est même devenu un personnage des plus influons; car, dit-on, le chancelier de
l'empire
le consulte volontiers en matière économi-que (1). Voici cequ'écrivait,
dansuneréponse
auprésident
Gerlach, le conseiller Wagener, qu'il nefaut
pas confondre avec unautre
économistetrès connu,
Adolph Wagner, professeur àl'université
de Berlin « Rienn'arrêtera
cette
puissance de démolition que nousvoyons
agir
sous nos yeux et qui emporte toutes tes institutionsan-ciennes. Les corps de métiers de l'ancien régime
ne
peuvent êtrerétablis,
mais la question ouvrière consiste précisément à chercher quelle organisationindustrielle
il faut adopterpour garantir
commeautrefois les droits de
l'ouvrier,
tropcomplètementméconnusaujour-d'hui.
C'est de cette question que dépendent l'avenir des états et ladestinée de la civilisation. Il reste à voir si les dinérentes classes
de nos sociétés
possèdent
assezde
prévoyance, d'énergieet
de sa-gessepour
contribuer à la constitutiond'un
ordre nouveau. Si ellesfont preuve de ces qualités, elles seront régies
par
des institutions libreset par
des fonctionnaires élus; sinon elles le serontpar
lamain de fer du césarisme.
Comme
le professeur Huber, M.Wa-gener proposait la création immédiate de conseils de
métiers,
oùles ouvriers
auraient
leursreprésentans,
et qui seraient investis du(1) On attribue à M. Wagener un ouvrage intitulé die Z.~SMng der socialen Frage
Mm StattdpMtt~t der ~tt'MtoA~ett undPro.CM, voneinempraktischenStaatsmanne,1878. En 1874 il fut envoyé au congrès économico-socialisted'Eisenach par M. do Bismarck,
ainsi que celui-ci l'a rappelé dans son discours du 17 septembre. En 1863 il écrivait dans le journal ultra-conservateur la A'feM~ze:<M!tg. L'auteur de l'écrit die ~(MMng y
développe la thèse de la a royauté socialiste. o « L'institution monarchique, dit-il, ne
peut avoir un avenir assuré que si, remontant à ses origines, elle se montre, tant en théorie qu'en pratique, l'égide des droits du faible, la protectrice des malheureux.
Comme dit Stein, la royauté doit replonger ses racines dans la terre profonde des
masses populaires. La monarchie de l'avenir sera la monarchie sociale, ou elle cessera
d'exister. Si la royaaté cherche son appui parmi les barons de l'industrie, parmi les princes de la bourse et dans les rangs des dix mille privilégiés, son autorité
dimi-nuera et elle nnira par sombrer dans cette grande transformation démocratique qui
fait arriver le peuple à la place de l'aristocratie et les organes de la science à celle des
droit de
régler
le salaire. On saitqu'en
Angleterre, en cas de grève,maîtres et ouvriers soumettent souvent
leur
différend à la décisiond'un arbitre.
I!s'agirait
de constituer des corpsd'arbitres
perma-nens et d'accorder force exécutoire à leurs décisions.
De 1866 à 1870, les préoccupations extérieures absorbèrent
l'attention,
et l'économie politique orthodoxe l'emporta dans leschambres et dans les conseils du gouvernement. Elle y était
repré-sentée
par
des hommesdistingués,
tels que le ministre Delbrück,les députés Lasker, Braun, Bamberger, Julius Faucher, etc. C'est à leur innuence qu'on doit l'abolition des lois contre
l'usure,
une politique
libre-échangiste
manifestéepar
l'abaissement oula
suppression de certains droits de douane et la réforme monétaire
sur la base de l'étalon
d'or, nécessitant
la vente forcée del'argent.
Le chancelier de l'empire a laissé faire parce que « ce
n'était
passon département. o Mais ses idées ne sont point du tout celles de
l'économie orthodoxe. Aussi-les protectionnistes
ont-ils
toujours espéré en lui (1). Aufond,
M. de Bismarck est le type duso-cialiste-conservateur.
11 est inutile de montrer en quoi il estconservateur;
voici comment il est socialiste. M. de Bismarckad-met
qu'il
y aune
question sociale et qu'il faut s'efforcer de la résoudre; ortout
est là. Pour l'économiste orthodoxe iln'y
apoint
de question sociale il ne dit pas que tout est parfait ici-bas la
statistique le lui défend; mais il
prétend
quetout
se règle au mieux possiblepar
le libre jeu de l'initiative individuelleagissant sous l'im-pulsion del'intérêt.
Celaétant,
l'état
n'a
rien à fairequ'à trancher
les dernières entraves qui gênent encore la concurrence
universelle,
tant
au dehorsqu'au
dedans du pays. Tellen'est
pas dutout
l'opi-nion de M. de Bismarck. Ce
n'est
pas en vainqu'il
a pris auxen-tretiens de Lassalle
tant
de goût qu'il eût souhaité de l'avoirpour
voisin de campagne et pour visiteur quotidien. Sur son uniforme
blanc, le rouge a visiblement déteint. Il croit qu'il est juste et bon
que la condition des classes laborieuses s'améliore, et il pense que
l'état
doit venir en aide àleur
relèvement. Lassaiie demandait àl'état
100 millions dethalers
pour
transformerl'ordre
social actuel en fondant des sociétés coopératives de production. Quoique M. deBismarck s'indigne de ce
qu'on
l'ait
cru
capable detraiter
deba-(1) J'assistais en 1875, Eisenach, au Congrès de la science sociale ou des
Kalheder-MCK~Mtett. Dans la premièreséance M. Rudolph Meyer se leva pour proposer de mettre
à l'ordre du jour la question de la situation de l'industrie allemande et celle des
moyens do porter remède à la crise intense qu'elle traversait. Comme M. Meyer était
l'ami du conseiller Wagener, le bruit s'était répandu qu'il était venu à Eisenach,
en-voyé par le chancelier, pour obtenir un vote en faveur du protectionnisme. Pour échapper à ce danger, le bureau fit remarquerque la question, ne se trouvant pas inscrite au programme du congrès, ne pourrait être discutée. En ce moment, les
jour-naux publient une lettre de M. de Bismarck où it expose nettement ses idées protec-tionnistes.
gatelle une somme de 7,000 thalers, il est loin de condamner
l'idée
de Lassalle. « Siquelqu'un, disait-il
dans la séance du parlement allemand du 17 septembredernier,
voulaittenter
une grandeen-treprise
de cettenature,
il sepeut
bien qu'on eût besoin de 100mil-lions de thalers. Une telle chose ne me semble pas
d'ailleurs
complè-tement folle
et
absurde. Nous faisons au ministère del'agriculture
des essais sur les différens systèmes deculture.
Nous en faisons aussidans notre fabrication.Ne serait-il pas bon de renouveler de sembla-bles essais à
l'égard
du travail de l'homme, et pourtenter
de résoudrepar
l'amélioration du sort del'ouvrier
la question appeléedémocra-tique-socialiste, que
je
nommeraiplutôt
la question sociale? Lere-proche que l'on
pourrait
me faire si je me suisarrêté
dans cettevoie, c'est tout au plus de n'avoir pas persisté jusqu'à un
résultat
satisfaisant; mais le temps
m'a
manqué pour m'occuper de cela. Lapolitique étrangère
m'a
complètement absorbé. Dès que j'en auraile temps et l'occasion, je suis
très
décidé à renouveler cestenta-tives que l'on me reproche et dont je me fais honneur. Dans ce
discours, il se défend d'avoir employé comme
instrument
de sesdesseins certains agens socialistes, mais il reconnaît
qu'il
y a là ungrand problème, le plus grand
peut-être
denotre
temps, et iln'est
pas éloigné
d'accepter
les idées de Rodbertuset
de Lassalle. Dansun
autre
discours, il dit plusnettement
encore que le rôle du roi,c'est-à-dire
del'état,
est de relever les classes laborieuses. En 1865,il introduisit auprès du roi une
députation
des ouvriers deWuste-giersdorf, en Silésie, qui désiraient exposer eux-mêmes leurs
do-léances. Ayant étéattaqué
à ce propos, il répondit au sein dupar-lement prussien « Messieurs, les rois de Prusse
n'ont
jamais étéde préférence les rois des riches. Frédéric le Grand disait Quand
je
serai roi,
je
seraile
vrai roi
des gueux. Il voulait dès lors se fairele
protecteur
des pauvres. Nos rois sont restés fidèles à ceprin-cipe. Ils ont provoqué l'émancipation des serfs, ils ont créé une
classe de paysans florissante.
Peut-être
aussi, du moinsest-ce
pour
eux l'objet de sérieux efforts,réussiront-ils
à contribuer àl'amélioration du sort des ouvriers. ') Ces mots résument le
pro-gramme du
parti
des socialistes chrétiens monarchiques, qui vientd'apparaître sur
la scène avec ungrand
déploiement de doctrine et d'éloquence.Les tendances socialistes de M. de Bismarck se sontencore révélées
dans la question de la
reprise
de tous les chemins de ferpar
l'état.
Les argumens invoqués
pour
justifier cette mesure peuvents'appli-quer
à biend'autres
industries. La bonne exploitationd'un grand
réseau de voies ferrées estune entreprise
industrielle desplus
com-pliquées. Il y faut des connaissancestechniques pour
l'entretien
deapti-tudes administratives pour organiser et faire marcher le personne!,
du
tact
commercial pourrégler les tarifs,
en un mot la réunionde
toutes lesqualités
qui font à la foisl'industriel
et.le
commer-çant.
Si vous chargezl'état
de
ce service,l'un
des plus difficiles~ue'présente
le
champ dutravail,
vous pourrez à plusforte raison
lui
canner l'exploitation des milles, comme à Sarrebrucket
dansleBarz,
la. mise envaleur
desterres,
comme dans les ferates dudomaine, en
un
mot,
la imbrication des principauxproduits,
ma-tières premières oumanufacturées.
Iln'y
a point de raison pours'arrêter
dans cettevoie.
On arrive logiquement àmettre toute
l'in-dustrie
aux mains del'état,
ce qui est l'idéal du socialisme extrême.Dans ces dernières
années,
la déroutes'est
mise dansle
camp dessocialistes conservateurs. Les uns ont été grossir les
rangs
des« agi'ariens;
les
autres,
effrayés desprogrès
du socialismedéma-gogique, sont redevenus
conservateurs rétrogrades; d'autres
en6nse sont
ralliés'au
groupe des socialistesévangéliques,
que nouses-saierons tantôt de faire connaître. Cependant le plus
instruit d'entre
eux, M. Rudolph Meyer, dont nous avoossouvent~déjà cité le curieux
ouvrage,
<~
E~a~cï'p~on~
des~n~M
~M!
résume
dans ce livre leprogramme
des hommes de sa nuance,qu'il
avaiten partie exposé au congrès des
X~/te~e/~ocï'a~~
à Eisenach,en' 1872. M. R. Meyer se déclare
tout
d'abord
pour
le
maintien dusuffrage universel'. C'est le meilleur moyen,
dit-il, d'initier
)& qua-trième état, le peuple, aux réalités de la vie politique et de lepré-server des chimères
irréalisables.
L'exemple dutiers-état
en Franceavant 1789 est
instructif
sous:cerapport.
Commeil ne pouvaitprendre
aucune
part
à la direction des affairespubliques
et qu'iln'en
avaitaucune .expérience, il se laissait aller à
rêver
des réformesabso-lues, conçues
par
l'imaginationet
déduitespar
la logique. Cettepensée est juste; elle
est
empruntée à Tocqueville, qui ladéve-loppe admirablement dans son chapitre de l'/4n6'en
R~
in-titulé « Comment vers le
milieu
duxvur
siècle les hommes delettres
devinrent les principaux hommes politiques du pays etles effets qui en
résultèrent.
On -nepeut
pas dire cependantqu'en Allemagne le suffrage 'universel
ait
préservé les ouvriers del'esprit
révolutionnaire. Ce qui est vrai toutefois,c'est
qu'il les afait
sortir
des nuages dorés de l'utopiepour
les conduire sur leter-rain
où sepoursuit
la lutte desintérêts.
Mais cen'est
niplus
com-mode,
ni
plusrassurant pour
les maîtres. On se souvient que M. deBismarck
s'est
également prononcépour
le maintien du suffrageuniversel.
Le soi-disant conservateur M. R. Meyer invoque l'opinion de
Rodbertus
pour
démontrer quel'état
doitrégler
la distribution des'est
inquiété que de pousser à l'accroissement de laproduction.
Cependant à un certain moment la question de la distributionde-vient la plus
importante.
Quand le développement del'industrie
apour
effet decréer
d'une part
une classe extrêmement riche etd'autre part
une classe nombreuse de prolétaires, onpeut
dire quel'ordre
véritable est trouMé. La conséquenceet le symptômecarac-téristique de ce désordre est l'apparition d'un luxe immoral,
pous-sant les privilégiés qui en
jouissent
dans la sensualité, et excitantchez ceux qui en sont privés l'envie, la haine
et l'esprit
de révolte (1).Montesquieu aussi exprime souvent l'idée qu'il faut empêcher une
inégalité excessive de diviser la nation
pour
ainsi dire en deuxpeu-ples ennemis. Il consacre
les
chapitres viet
vu du livre V del'Esprit
des lois à démontrer ce point. « Il ne suffit pas, dit-il, dans une bonne
démocratie, que les portions d~
terre
soient égales, il faut qu'ellessoient petites, comme chez les Romains. » Aujourd'hui on
peut
dire comme en France. C'est la démocratie
rurale,
si onparvient
àl'éclairer,
qui offrira à la France une base solide pour fonder desinstitutions libres
et
quipeut
lapréserver
des bouleversemens so-ciaux. Montesquieu avaitemprunté
ces maximes àl'antiquité.
Aristote y revient sans cesse.« L'inégalité, dit-il, est la source de
toutes les révolutions, car aucune compensation ne dédommage
de l'inégalité. » « Les hommes égaux sous un
rapport
ont voulul'être
en tout. Égaux en liberté, ils ont voulul'égalité
absolue. Nel'obtenant
pas, on se persuade qu'on est lésé dans ses droits; on s'insurge. )) Le seul moyen d'éviterles
révolutions,d'après
Aristote,est de maintenir une certaine égalité. « Faites que même le pauvre
ait un
petit héritage.
» C'est précisément cequ'ont
fait en grande mesure les lois de la révolution française. « Unétat, dit
encorele Stagyrite,
d'après
le vœu de lanature,
doit être composéd'élê
mens qui serapprochent
le plus possible de l'égalité. )) II montreensuite que dans un
état
où iln'y
a en présence que des riches etdes pauvres, les
luttes
sont inévitables. « Levainqueur,
ajoute-t-il,
regarde le gouvernement comme le prix de la victoire, et il s'en
sert
pour opprimeret
dépouiller les vaincus.On
le voit, quandR. Meyer et Rodbertus demandent que les lois favorisent et
main-tiennent
l'égalité,
ils ne font que reproduirela
thèse deMontes-quieu et d'ÂFistote. Mais comment
atteindre
cebut
sans sacrifier laliberté? Voilà le
grand
problème. Faute d'avoir su le résoudre, lesdémocraties
antiques
ontpéri
dansl'anarchie.
Rodbertus admet la légitimité de l'esclavage dans
l'antiquité.
Pour que lahaute
culture se développât, il fallait, suivant lui, que le travail forcé du plusgrand
nombreapportât
du loisir aux(1) Voyez, à ce sujet, l'ouvrage si intéressantde H. Baudrillart, Histoire du luxe. Paris, 1818. Hachette.
hommes libres. A cette époque, la
quantité
desproduits
étaittou-jours en proportion des moyens de production, car ceux-ci
consis-taient
uniquement dans lesbras
destravailleurs.
Si vous augmentiezleur
nombre, la consommation augmentait à mesure, et ainsi lesurplus
disponiblepour
payer le loisirrestait
minime. Aujourd'hui l'ouvrage est faitpar
destravailleurs
defer,
qui consomment du charbon et non dublé;
leur
nombre etleur
puissance sont illimi-tés, et jamais ils n'invoqueront les droits de l'homme pour réclamerleur
affranchissement. Quand le moulin à eau, venu d'Orient, futintroduit pour
la première fois dans le monde occidental, vers la finde la
république
romaine, un poète grec, Antiparos, composa une pièce devers
que l'anthologie nous a conservée et qui résumed'une
façon charmante la cause du progrès économique accomplidepuis deux mille ans « Esclaves qui faites
tourner
la meule,épargnez vos mains et dormez en paix. C'est en vain que la voix
retentissante
du coq annonce le matin dormez. Déméter a chargéles naïades de faire la besogne des jeunes filles. Voyez comme elles
bondissent brillantes et légères
sur
la roue qui tourne.Elles
en-traînent
l'axe avec ses rayons etmettent
en mouvement la lourdemeule qui tourne en rond. Vivons de la vie heureuse de nos pères
et jouissons sans travailler des dons dont la déesse nous comble. »
Ainsi la machine crée du loisir. Mais qui en jouira? voilà le point.
Trois cas peuvent se
présenter.
Ou bien ce loisir affranchira de touttravail un nombre croissant de personnes, la journée de ceux qui
continuent à travailler
restant
la même; ou il enrésultera qu'en
réalité iln'y
aura pas plus de loisir pour personne, mais lesheures
de travail devenues libres seront consacrées à fabriquer des objets de luxe, ou bien encore, comme le supposait Antiparos, la machineprofitera aux travailleurs en diminuant
leur
tâche. Dansl'intérêt,
non de
l'augmentation
du chiffre de la production, mais du progrèsde la civilisation, il
faudrait
souhaiter que la dernière hypothèse seréalisât.
Mais enfait,
ordinairementc'est
le premier et le secondcas qui se
présentent.
Les socialistes conservateurs comme les socialistes catholiques développent des idées générales très élevées et parfois
très
justes,mais sur le
terrain
des réformespratiques
les deux groupes semontrent également faibles. M. R. Meyer demande
qu'on
diminuel'impôt
sur
lapropriété
foncièreet
qu'on frappe de taxeséle-vées les profits de
l'industrie et
de la banque. Il réclame vivementle rétablissement des lois contre
l'usure;
il veut même limiterl'intérêt
payé à tout capital quin'est
pas mis envaleur par
celui àqui il appartient. Il semble ne pas voir
qu'en arrêtant
ainsi l'essorde
l'industrie
ilnuirait
auxintérêts
despropriétaires
fonciers qu'ilprétend
défendre. Il veut aussi qu'on étende notablement le rôlede
l'état.
L'état doit forcerd'abord
tous lesindustriels
àbâtir dès
maisonspour
leurs ouvriers. Lui-même doit fournir une habitation à tous ses employés. Il doit bienpayer
ses ouvriers afin que cetaux du salaire s'impose
pour
ainsi dire auxparticuliers,
et ilfaut
qu'il diminue la durée de la journée en raison de la difïiculté et de la fatigue du travail. Il faut favoriser l'avènement à la
pro-priété de tous ceux qui ne possèdent pas
aujourd'hui.
Commea
dit Thiers, sur chaquearpent
possédépar
un paysan vous trouverezun fusil
prêt
à défendre lapropriété.
Chaque métier devra avoir obligatoirementune
caisse deretraite
et de secours, et le chefd'industrie
seratenu
de contribuerpour une part
égale à celle detous ses ouvriers
réunis.
Il faut enfin un conseil de prud'hommespour
concilier les différends qui s'élèvententre
les fabricans et les travailleurs et une courarbitrale
pourtrancher
les dissentimensqui
n'auront
pas été régléspar
voie de transaction. Quelques-unesde ces mesures sont
bonnes; d'autres
sont inutiles ou nuisibles, comme les lois contrel'usure;
d'autres
enfin absolumentinexécu-tables, comme la limitation des bénéfices du capital employé dans
la banque et dans
l'industrie.
Pris dans son ensemble, le programmeparaît
bien mesquin qnand on ]e rapproche de l'exposé des motifs qui le précède, Il ne faut point s'en étonner. Ilest
bien plusfacile de montrer l'idéal à
atteindre
qued'indiquer
les moyensd'y
arriver.IL
Le
parti
des socialistes chrétiens monarchiques est de dateré-cente. Il
s'est
constitué au commencement de 1878par
l'initiativeénergique de M. Stocker,
prédicateur
de la cour, quiappartient
à lanuance des pasteurs conservateurs
et
orthodoxes. Il semble évidentque c'est l'exemple du clergé catholique qui a poussé les ministres
protestans
dans cette voie (1). Ils ont voulu, deleur
côté,con-quérir
de l'influencesur
les classes laborieuses, en s'occupant deleurs griefs
et
en se faisantl'interprète
dequelques-unes
deleurs
idées. Seulement,tandis que le clergé catholique le fait dans un
des-sein d'opposition,
et
pour faire élire des députés.hostiles auCitltur-(i) Un.journalreligieux protestant, die Neue Evangelische Kirchenzeitung, s'exprime
ainsi sur ce point nL'égtise romaine, en repoussant la loi contre le socialisme,
appa-raitra comme le défenseur des droits du peuple. L'égtise évangétique, qui n'est guère représentée au parlement, est considéréecomme l'alliée du despotisme. Le chrétien
pro-testantne doit-il pas effacer cette impressionen se dévouant aux intérêts du peuple ? Si
le protestantisme croyant se désintéresser de la question sociale, la plus grande de
notre temps et de l'avenir, s'il ne s'en occupe pas avec cœur et dévoûment, il perdra
toute influence sur les classes inférieures, qui se retourneront vers le catholicisme ou
vers le libéralisme incrédule.
kampf,
lespasteurs
de l'église officielleveulent
fortifier dansle-peuple le
sentiment
monarchique et étendre lespouvoirs
de laroyauté.
Aussi combattent-ilsvivement
IeFor~c/<r~~ar~
le partidu progrès, c'est-à-dire ces
libéraux qui, prenant
l'Angleterrepour
idéal, veulent restreindre l'action
del'état
et enremettre
la direc-tion aux volontés duparlement.
Leparti
socialiste évangéliquepoursuit
comme type degouvernement
le règne de Frédéric IIet
plus
encore celui de sonpère, qui menait
son royaume et sa familleà la
baguette,
mais quiétait
très
pieux a à sa manière, » etexcel-lent économe.
Le
pasteur
Stocker fondadeux
associations.D'abord
uneso-ciété
pour
la
réforme
sociale (C~M~/MrC!'M /Mr Social-Reform),ensuite une association d'OMuy:'6r& chrétiens ~oci'aM.z'
(c/M':s~'c~-so-ciale
Arbeiterpartei).
Quoique les mêmes idées et presqueles
mêmes personnes eussent présidé à la constitution des deux
groupes, leur
but
est très diuérenf. La Société dela
réforme
so-ciale doit se composer de personnes aisées et
instruites, pasteurs,
professeurs,
industriels, propriétaires,
quichercheront
en communles
moyens de réconcilierlesclasseshostilés
par
des
réformesqu'ins-pirera l'esprit
du christianisme. Aujourd'hui les partisans descorpo-rations, les « agrariens,
ceux
quidemandent
la protection dutra-vail national,
non-seulement
nes'entendent
pas pourunir
leurs
efforts, mais se combattent et se
neutralisent.
11 fautmontrer
com-ment ces tendances concordent et quel est le principe
supérieurqui
les justifie et qui les relie. Ce
que
l'on appelle la société cultivéecomprend si peu la véritable mission du christianisme
que,
quand lepasteur Stocker
commença à s'occuperde
la question sociale,toutes les feuilles libérâtes et progressistes lui crièrent
Mucker-socialismus « socialisme cagot. » H est donc
urgent
de combattrele matérialisme dans les classes élevées,
l'athéisme
dans le peupleet de Mre'
renaître
la conception religieusede
monde et de la so-ciété. D'unepart
ilfaut que
lespasteurs tendent la
main auxou-vriers afin de les
ramener
auchristianisme;
ce sera l'oeuvre duc~c/we:a~
~r~ï~~r~
D'autrepart,
il est nécessaire queles amis du peuple parmi les classes supérieures se
groupent pour
chercher
les moyens de prévenir la révolutionpar
des réformes. C'estce'que
fera leC~ï<?'<re!'R.
En même temps un journal fut fondé,der Staats-Socialist,
quiprit
pour
épigraphe ces motsa La question sociale existe et elle ne
peut
être résolue quepar
Fétat
fortementet
monarchiquement constitué, appuyésur
lesfac-teurs
morauxet
religieux de la vie nationale.Cela
signifieappa-remment « avec l'aide du clergé évangélique. ')
Après les
attentats
contrel'empereur,
on ne peutnier
enmoyens
se
présentent ou bien ignorer le danger et se bercer dansun
imperturbable
optimisme en répétant Laissez faire, laissezpasser;
le monde vatout
seul. C'est ce que conseillent lesécono-mistes.
Oubien
comprimer à outrance,supprimer
les journaux,-dissoudre les associations, tâ&ber
d'extirper
ainsile
malpar
laforce; c'est ce
queveut
le gouvernement. Ou bien enfindé-sarmer le mouvement de ses haines
subversives,
en s'efforçant d'améHorer là condition des ouvriers. C'est le système mis enpra-tique àMulho'usp'par M. DoIIfus
et
ses amis. Il vient de l'exposer auparlement
del'empire,
-etil
luiattribue
l'absence du socialismeré-volutionnaire en Alsace. C'est là le moyen que recommandait le
.S~ocM[/
II
netarda
pas à 'exposer le programme duparti
qu'il
s'agissait
defonder.
Le voici « Principes'généraux Leparti
chrétien-social des ouvriers se fonde
sur
leterrain
de )a foichrétie~me et
de'l'attachement
au.roi
et
à lapatrie.
Il rejette la.démocratie sociale comme
impraticable,
antichrétienne etanti-patriotique.
Il s'efforce de fonder une organisation pacifique destravailleurs afin de
préparer
des réformes pratiques de communaccord avec les autres
démens
de la vie nationale. Il apour but
de diminuer la distance qui sépare le riche du pauvre, et
d'établir
ainsi
la
sécante économique. Le programme réclame del'état
lacréa'don de corps
de
métiers distinctsd'après
le travail auquel ilss'adonnent, mais obligatoirement constitués dans
tout
l'empireet
appuyéssur un
règlement sévère pour l'admission des apprentis.Des commissions
arbitrales
seront constituées etleurs
décisionsauront
force légale. Création obligatoire de caisses de secours pourles veuves, les orphelins et les invalides du travail. Les corps de
métiers défendront les
intérêts
des ouvriers dans leurs rapports avec ceux qui les emploient. Interdiction detout
travail lediman-che. Suppression du
travail
des enfans et des femmes mariées dansles fabriques. Durée normale de la journée réglée
d'après
lanature
du travail. Il faut que ces règlemens deviennent l'objet des con-ventions internationales. En
attendant
qu'ils le soient, il convientde
protéger
le travail national contre la concurrence des pays oùdes mesures semblables
n'existent
pas. Règlemens sévères contre'l'insalubrité
des locauxet
desprocédés
des fabriques. Lespro-priétés
del'état
et des communes seront exploitées dansl'intérêt
des ouvriers, et on les augmenteraautant
que cela estéconomi-quement et techniéconomi-quement possible. Impôt progressif
sur
lerevenu
pour compenser les impôts
indirects
qui frappent principalementles
classes laborieuses. Impôtstrès
élevéssur
le luxe. Impôtsur
les successions, progressif suivant l'importance de
l'héritage
etl'é-loignement du degré de
parenté.
» Le programme demande aufaits
pour améliorer le sort del'ouvrier
sous lerapport
matériel,intellectuel, moral et religieux. Il adjure les gens aisés de
tendre
la main auxprolétaires, d'appuyer
toutes les lois qui leur sont favorableset
de contribuer àaugmenter
leurbien-être
enleur
donnant de bons salaires et en
réduisant autant
que possible lesheures de travail. Tous doivent
prêter
leur
concours à la mise enœuvre des nouveaux corps de métiers qui sont destinés à remplacer
ce que les anciennes corporations avaient de bon. Il faut
porter
lesouvriers à conserver le
point d'honneur,
àfuir
les plaisirs grossierset a
pratiquer
les sentimens chrétiens dans la vie de famille.Les articles de ce programme sont, on ne
peut
le nier, inspiréspar
l'amour del'humanité.
Maisserait-il
possible de les appliquer parmi les complications del'industrie
moderne sans la désorganiser?Le point principal est le rétablissement sous un
autre
nom des cor-porations. Mais alorssurgit
aussitôt la dimculté que nous avons déjà signalée. Ces corporations seront-elles fermées etjouiront-elles
d'un
monopole? Ainsi lesdrapiers auront-ils
seuls le droit defabriquer du
drap?
Si vous accordez ce privilège, le maître nepourra
plusrecruter
son personnel où il le veut. Que devient alorsla liberté de
l'industrie?
Comment concilier ces monopoles avec les progrès incessans du mode de fabrication et avec le nombre sivariable des ouvriers employés? Si au contraire la loi maintient
la liberté, ces corps de métiers sont
tout
simplement lestrade's
Mt:o?M de l'Angleterre, qui sont certainement une puissante
ma-chine de
guerre pour
organiser la coalition et lagrève,
mais quin'eurent
pas les élémensd'une
nouvelle organisation du travail.Toutefois ce programme contient une observation
très
juste,c'est
que toutes les mesures de protection en faveur de la classe
ou-vrière devraient être votées à la suite
d'une
ententeentre
lesdiffé-rens
états. Ainsil'Angleterre et
la France et laplupart
desétats
européens ont
interdit
le travail des enfans dans les manufactures, tandis que certains pays refusent encore de le faire sous prétextede respecter la liberté. N'est-il pas odieux que les industriels
an-glais ou français soient victimes de
l'équité
de la loi deleur
pays,et que
d'autres profitent
del'inhumanité
de la législation qui les gouverne, pour vendre moins cher qu'eux en employantles
bras de jeunes enfans voués ainsi à des infirmités précoces? Les étatseu-ropéens, en raison de la facilité des communications, ne font plus
en réalité
qu'une
seule nation. H faut donc quepar
des conventionsinternationales les mêmes lois les régissent, sinon l'action indépen-dante et non concertée
d'un
pays jette le trouble dans tous lesautres.
La solidarité économique devenant chaque jour plus intime,il faut que le droit international
s'étende
chaque jour à plusLes socialistes chrétiens-monarchiques
n'espèrent
point voiradopter
leur
programmepar
les parlemens actuels où domine labourgeoisie libérale. Ils se sont donc tournés vers le roi, et ce qu'ils
rêvent, c'est
une royauté socialiste. En France également,Na-poléon 111,
tout
imbu des idées socialistes qu'il avait développéesdans ses premiers écrits, a voulu jouer le rôle
d'empereur
despaysans et des ouvriers. Dans la Grèce
antique
« les tyrans, »c'est-à-dire
lesdictateurs,
s'emparaient ordinairement du pouvoir en semettant
à latête
des riches contre les pauvres. C'est ainsi que César, à Rome,espérait établir
le pouvoir absolu. Au moyenâge,
en France, le roi
était
considéré comme le défenseur du peupleet des communes contre la féodalité. Aujourd'hui les socialistes-monarchiques
invitent
le souverain à remplir une missionsem-blable, mais contre la bourgeoisie financière et industrielle qui
exerce les privilèges de
l'aristocratie
foncière. Ils invoquentl'au-torité de Lorenz von Stein,
l'éminent
professeur de Vienne.« Toute
royauté, dit-il,
ne sera plus qu'une ombre vaine et feraplace à la république ou se transformera en despotisme militaire,
à moins que, pénétrée de la dignité morale de son rôle, elle
ne
prenne l'initiative des réformes sociales. » Quel bien
peut
faireun souverain constitutionnel à la merci des partis qui disposent
tour
à tour de la majorité? Et ces partis quesont-ils?
Descoali-tions
d'intérêts,
des groupes de coteries, les représentans et lesinstrumens
des égoïsmes de classes qui se servent du pouvoir pourexploiter à leur profit la législation et le budget. Seul le roi peut
s'élever
au-dessus
de ces conflits d'ambitions etd'appétits
pourre-présenter
l'intérêt
permanent de la nation, seul ilpeut prendre
en main la cause des opprimés, parce que~seul il ne
retire
aucunprofit de leur asservissement.
Cet idéal du bon despote,
assurant
à chacun sapart
de félicitéterrestre,
a un certain reflet messianique quipeut
séduire,surtout
quand le mécanismeparlementaire
tourne à vide ou se détraque.Mais qui
garantit
que le despote ne sera pas un fou, un idiot ou unméchant? Le césarisme a trop mal réussi pour qu'on y revienne,
volontairement du moins. Cependant il est certain que les
chrétiens-sociaux expriment bien l'idée que
l'empereur
Guillaume lui-mêmese fait de sa mission. Il a horreur du gouvernement des majorités, il accueille volontiers les plaintes des
ouvriers,
et,
comme nous l'avons vu, il donne de l'argent pour faire des expériencessocia-listes. Il faut
remarquer d'ailleurs
que la Prusse est un terrain ad-mirablement préparé pour l'éclosion du socialisme. Nul peuplemoderne ne