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(1)

La femme orientale dans deux récits de yoya~

de Nerval et de Flaubert

par

Léna DER KALOUSTIAN

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Juillet 1993 ® Lénn Der Knloustian

(2)

RÉSUM~

Au X IX(;') siècle, le voyage en Orient est à la fois une source d'information et une quête personnelle. Cette rencontre avec un monde nouveau est a8sociée à la révélat.ion d'un univers féminin différent. La représentation de la femme orientale dans Le voya~e en Orient de Nerval et

~..ll.Q.1&s de yQya~e en Orient de Flaubert, est la mise en texte d'une expérience vécue. Cette transposition obéit à des lois internes et à des contraintes culturelles et personnelles que ce mémoire tente de déchiffrer et de décomposer.

Il est divisé en trois parties. La première partie est consacrée à

J'intention didactique du récit de voyage qui, pour satisfaire aux exigences

descriptives de cohérence et d'intelligibilité, fragmente et catégorise la femme orient.ale selon une perception limitée aux apparences. La description est en même temps soumise aux schémas conventionnels établis par des siècles d'études orientalistes.

La seconde partie intitulée l'organisation narrative du récit de

voyage montre que les épisodes féminins constituent des unités narratives quasi autonomes qui réflètent le rythme du voyage, alors que sa dimension autobiographique est un facteur d'unité.

Ii~nfin, dans une dernière partie, nous abordons la représentation de la femme orientale en fonction d'une interprétation globale de l'Orient. Elle est alors à la fois influencée par les attitudes et les idées de la collectivité de l'époque et par l'univers poétique spécifique de chaque auteur-voyageur.

(3)

ABSTRACT

The portrayal of the middle eastern woman in LI;' voyacc l'Il Qril'nt. of Nerval and Les notes de voya~e en Orient. of Flaubert jg tIlt' w,"it,Ü'1l representation of a personal experience. The transposi tion of observntiom; to literary images is subject to cultural and personal constrall1t.s that. the pre3ent thesis aims at deciphering and analysing.

We have entitled Informational intent t.he first Ht'cllOTl of our

research, in which we have discovered that intelligiblc descript.ions tend to the fragmentation and the eategorization of the middle CHst,('rn womull. 'l'his approach has led us to find that the authors' perceptions arp oncn limitl'd to appearances. Moreover, our literary analysis have confirmed t.hat, the representations follow the laws and patterns established by cpnturies of oriental studies.

The second section, entitled The narrative organization shows that the episodes where women are involved have been organized into quasi-autonomous narrative entities reflecting the rythm of the travel. On thp other hand, the autobiographical expression serves as a uni(ymg clement.

In the last sE!ction, The woman as part of a global interpretation of the Middle East, we have realized that her represcntations are influeneed by the attitudes and cultural context of the time as wel1 as the specifie poetie world of the authors .

(4)

TABLE DES MATIÈRES

(5)

TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE: L'INTENTION DIDACTIQUE CHAPITRE 1 L'INTENTION INFORMATIVE

A L'observation et l'art de vovalfer 1) Un faisceau de "choses vues" 2) Le caractère secret de l'univers

féminin oriental 1\ 1

14

15 17 3) La perception extérieure de l'auteur-voyageur 18

B Désir de voir et "pouvoir voir' 18

1) L'aspect temporel et spatial tH

2) Rôle du hasard 22

3) Le déguisement 23

4)

''Le

porte-regard"

24

C Imentaire et classement

25

D Valeur de l'jnformation 2H

CHAPITRE II LES TECHNIQUES DESCRIP'frVES

3

0

,fJ

A L'orpnisatjoQ de l'informatioQ 32

1) Le choix des niveaux de perception 32

(6)

3) Plans et cadrages

B Le déchiffra" de l'ipformation

1) Les corrélations directes et causales

III

36

38

39

2) Les corrélations implicites ou caractérielles 40

3) Le visible, le dévoilé, le surpris 41

C Extériorité de la représentation et théâtraUsation 42

D Fonction didactique et fOnctiOn d'empbase

44

CHAPITRE III LA CONFORMITÉ CONVENTIONNELLE

A Relations intertextuelles et vraisemblance

B Le

genre

du récit de voyage

1) Les manifestations du savoir 2) La surdétermination

C L'hégémonie de l'orientalisme D Une esthétique de la répétition

E La conformité à l'opiniOn commune 1) L'exotisme féminin

2) La fantaisie sexuelle

F Valeur de l'iptertexte

DEUXIÈME PARTIE: L'ORGANISATION NARRATIVE CHAPITRE 1: LA DIMENSION AUTOBIOGRAPHIQUE

A Valeur référentielle

du

rIE.

B Le témoin 48 48 49 50

52

53

54

55

56

57

58

60

61 62 63

(7)

IV

1) Le cadre événementiel

2) Le narrateur distant du texte

C L'expérience personnelle

HS

1) Le narrateur-acteur 71

D FonctiQn textuelle du couple

JE

et ELLE 7:1

CHAPITRE II: LES RENCONTRES FÉMININES ET LES

CONTRAINTES NARRATIVES DU RÉCl'r DIl~ VOYAGg 7H

A Les contraintes narratives de l'itinéraire B Le schéma de la ''Rencontre''

C Valeur dramatique du couple JE 1 ELLE D

1&

double registre de représentation E La composition mélodjque

TROISIÈME PARTIE LA REPRÉSENTATION DE LA FEMME

ORIENTALE ET LE SENS DU RÉCIT

DE VOYAGE

CHAPITRE 1: L'IDÉOLOGIE ORIENTALISTE ET LA FEMME ORIENTALE

SO

81

85

87

91 94 A

Le

djscoun sur l'Orient et le discours sur la femme 94

B La dichotomie Orient 1 Occidept 95

C L'Orient opposé à l'Occident 96

D L'Orient complémentaire de l'Occidept 98

1) L'Orient miroir du passé

99

(8)

E L'usage de l'autre

1) Appropriation culturelle et domination

2) Immobilisation et marginalisation

CHAPITRE II LA REPRÉSENTATION DE LA FEMME ORIENTALE ET LA QUETE PERSONNELLE DE NERVAL

ET DE FLAUBERT v 103 104 106 109 A L'enjeu personDel du Voyage en Orient de Nerval 109

1) Rôle de la femme orientale 2) Le schéma d'une initiation 3) L'usage du matériau oriental B La quête esthétique de Flaubert

1) L'harmonie des choses disparates 2) L'immobilisme oriental

C Persistance du thème de la femme orientale

CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE 111 113 115 116 116 119 120 124 134

(9)

INTRODUCTION"

(10)

2

Malgré les vicissitudes historiques, les relations entre l'Europe et l'Orient ont toujours été maintenues. Mais c'est surtout à partir de la Henaissance et des premières Capitulations de 1535 que les liens entre la France et le Proche-Orient se sont resserrés. Et lorsque le marquis de Villeneuve, ambassadeur de France auprès du Sultan, renouvelle les Capitulations en 1740,1 le profil du voyageur en Orient a déjà évolué. Aux voyageurs médiévaux, essentiellement des moines et des chevaliers, se sont joints les march:..:.nds, les diplomates et les explorateurs. Cette multiplication des contacts permet une meilleure connaissance de l'Orient puisque les rapports des diplomates, les récits de voyage des missionnaires et des marchands constituent déjà une précieuse source d'information.

Mais peu à peu, la France va disposer d'un savoir systématique et institutionnalisé sur l'Orient. Systématique, parce que l'Orient devient un corpus d'études organis~es en fonction de disciplines scientifiques telles que l'ethnologie, la philosophie, l'histoire. Institutionnalisé, car cet orientalisme naissant crée ses propres organismes, comme l'École des Langues Orientales de Paris en 1795, ou la Société Asiatique de Paris en 1822. Si l'orientalisme reste généralement associé à une certaine tradition universitaire, il a été aussi encouragé par les exigences politiques et commerciales dans la mesure

(11)

d'expansion. Colbert protégeait les voyageurs et les aidait à publier l('ur~ relations de voyage. Il suffit de citer Thévenot, Tavernier ct Chardin. 1)(' même Bonaparte, lors de son expédition d'Egypte, s'est entouré d'érudits qui ont publié collectivement une monumentale Description de 1'''~~ypt~.2 À

cause de ces motivations d'ordre politique ou scientifique, et parce 'lm' l'Orient reste un sujet de réflexion géré par des professionn('ls spécialiHé:-;, l'intention didactique du récit de voyage va prédominer jusqu'au début du XIXe siècle. Elle trouve son apogée chez Volney qui voulait en faire une annexe de l'histoire.

Il faudra attendre Chateaubriand pour que des raisons personnelles de voyage soient invoquées: "J'allais chercher des images, voilà tout",a écrira-t-il à propos de son voyage en Orient, inaugurant ainsi une nouvelle lignée de voyageurs pour qui le voyage, au-delà de son aspect informatif, est vécu comme une expérience personnelle, la réalisation d'un projet profondément senti et pressant.

En effet, tout voyage implique une possibilité de renaissance et de liberté retrouvée; il répond ainsi à une nécessité vitale de fuir hors de soi ct de s'étaler dans l'espace. Dans une lettre à Louise Colet, datée du 13 août 1846, Flaubert écrit: "Je porte en moi la mélancolie des races barbares avec ses instincts de migration et ses dégoûts innés de vie qui leur faisait quitter leur pays comme pour se quitter eux-mêmes."4 Il s'agit donc d'un besoin de s'arracher à la vie routinière et de chercher un remède à un état chronique de • mélancolie. Cette même attitude est à l'origine du départ de Nerval qui espère revenir différent, "autre", pour faire face à la vic et au monde qui

(12)

4 l'entoure. "Il fallait sortir de là par une grande entreprise qui ... me donnât aux yeux des gens une physionomie nouvelle",5 écrit-il à son père, car il

considérait précisément son voyage comme une sorte de convalescence: "Lequel vaut mieux, de garder près de lui son fils, ou de le savoir bien portant. gagnant des forces et satisfait au moins d'un désir accompli ?"6

De plus, la destinati~n du voyage correspond aux obsessions et aux exigences personnelles des voyageurs dont les aspirations, les structures morales et esthétiques ont besoin de l'Orient. Ainsi d'autres raisons que celles de sa santé ont poussé Nerval au voyage. Lors d'un séjour en Autriche,

il rencontre une Abyssine assise sur le siège avant de la calèche d'un prince: "Je ne sais si le regard éclatant de l'Abyssine ne fut pas encore pour moi un des coups d'oeil vainqueurs de la trompeuse Loreley, depuis ce jour je ne fais que rêver à l'Orient."7 Nerval est sans doute parti sur les traces de sa mythologie personnelle, à la recherche d'un nouvel ordre esthétique et spirituel. D'ailleurs, au début du Voya~e en Orient, dans le chapitre intitulé "Les Amours de Vienne", Nerval se compare au Capitaine Cook: " ... Il rêvait des îles inconnues ct parfumées et finissait par aborder un soir dans ces retraites du pur amour et de l'éternelle beauté."B Quant à Flaubert, il a l'intime conviction que sa véritable patrie est l'Orient. "Je crois que j'ai été transplanté par les vents dans un pays de boue, et que je suis né ailleurs, car j'ai toujours eu comme des souvenirs ou des instincts de mers bleues",9 dit-il.

I~n 1842, Flaubert précise ses projets dans une lettre à Ernest Chevalier: "Mais nom de Dieu, est-ce que je ne marcherai avec mes pieds sur le sable de

(13)

5

Syrie? ... "10 Le désir de l'Orient s'exprime ainsi chez Nerval comme chez Flaubert par des images de vie idéale.

Dans cette perspective plus personnelle du voyage, la définition mf>tllC' de la nature et des limites de l'espace oriental devient ambiguë. Pour ICH

grands écrivains romantiques, l'Orient est un lieu d'inspiration ct. dt' méditation: "L'Orient, soit comme une image, soit comme une pensée est devenu ... une sorte de préoccupation générale",ll écrit Victor Hugo dans la préface des Orientales. Et lorsque Goethe, dans «Le Diyan occidental-orientaI.) exhorte au voyage, il évoque moins une réalité géObJ"faphique qu'un horizon poétique: "Le Nord, l'Ouest, le Sud volent en éclats. Les trônes st' brisent, les empires tremblent. Sauve-toi. Va dans le pur Orient respirer l'air des patriarches."12

De la même façon, le voyageur réel définit l'Orient selon ses connaissances ou ses rêves. Il s'y réÎert. toujours comme à une unité géographique et culturelle. Or, il s'agit en fait d'un territoire immense qui commence à l'est de la France et s'étend aux confins de l'Asie. 11 a dCH

capacités presque infinies de subdivisions et il abrite une multitude de peuples et d'ethnies. Mais lorsque Hachette publie en 1861 le Guide Joanne, il n'inclut dans sa définition de l'Orient que les pays de souveraineté ottomane, y compris la Grèce. C'est ce qui explique les limites de J'itinéraire traditionnel des voyageurs du

XI Xe

siècle; itinéraire inventé par Chateaubriand, puis repris avec quelques variantes par beaucoup d'autres, dont Nerval et Flaubert. Il comprend l'Egypte, la Syrie, la Palestine, Constantinople et la Grèce.

(14)

6

On pourrait s'interroger sur les raisons qui fixent le voyage au XIXe

siède dans cet espace Levantin, autour du Mare Nostrum. Dans La poétiQue de )'espace,13 Gaston Bachelard montre qu'un espace physique peut acquérir un sens émotionnel ou rationnel par les expériences et les sentiments qui y sont associés. Le Proche-Orient méditerranéen, par son passé hellénique et biblique, est chargé de signification pour l'Européen qui part retrouver ses origines culturelles et religieuses. C'est le retour à la "terre rnatemelle",14 selon l'expression même de Nerval. D'un autre côté, l'Orient islamique suscite suffisamment l'attrait du mystérieux et procure le plaisir de l'inédit. Cette combinaison du familier et de l'inconnu, séduisante et sécuritaire en même temps, crée une pratique du voyage qui empêche de sortir des sentiers battus et qui, par son caractère rituel, ressemble fort à une initiation.

Espace géographique ou espace mythique, l'Orient reste toujours distinct de l'Occident; une ligne de démarcation qui correspond autant à une réalité géographique qu'à une tradition de pensée, sépare ces deux entités opposées. Cette division permet aux voyageurs de désigner l'espace européen et français comme "le nôtre" et le territoire au-delà comme "le leur", établissant du même coup une différenciation entre "nous" et les "autres". C'est donc à partir d'un cadre de références personnelles que va s'amorcer la connaissance des autres. Déjà Hérodote avait ouvert la voie en posant un regard grec sur le monde non grec.

Lors de cette découverte "des autres", l'intérêt des voyageurs pour la femme est primordial puisqu'elle est une composante essentielle de tout espace social nouveau. Ainsi les attitudes d'un Bougainville débarquant à

(15)

,..,

,

Tahiti et celles de Nerval et Flaubert sont similaires dans leur l'fTort de suü.i r

et de comprendre la place et le rôle de la femme au sein de son milieu ct pat· rapport aux critères occidentaux. Mais indépendamment de cette curiosité sociologique et sur le plan plus personnel, quelle peut Hre la signification dt' la féminité orientale pour les voyageurs?

Si à l'origine de tout départ se trouve le rapport insatisfaction/d0si r, - désir de l'autre ou désir d'une vie nouvelle - la femme oril'ntale devil'l1t. parfois l'incarnation de ce double désir. D'une part, la découvel·te d'un univers féminin différent reste associée à la promesse d'une spxualité différente. Or, les fantasmes engendrJs par la traduction des Mille et. url(,' ll.lÙ.t.§.15 de Galland ont contribué a entretenir l'image d'un univl'rs fémini Il oriental fait de sensualité et de volupté, et où la sexualité serait. moins réprimée. Dans une lettre de mars 1842, Flaubert exprime ainsi son rêve de la femme orientale: "Dans ces pays-là, les étoiles sont quatre fois comme les nôtres, le soleil y brûle, les femmes s'y tordent et bondissent dans les baisers, sous les étreintes."16 D'autre part, l'idée persistante de la femme assumant Il' premier trait d'union entre sa race et les étrangers laisse espérer l'mitiation il un nouvel art de vivre. Cette notion de mélange des races domine le voyag(' de Nerval. "Il faut que je m'unisse à quelque fille ingénue de ce sol sacré qui est notre première patrie à tous, que je me retrempe à ces sources vivantes de l'humanité d'où ont découlé la poésie et les croyances de nOR pères." 17 Plutôt

qu'une révélation, Nerval souhaite un retour à des valeurs perdues.

Mais le voyage en Orient, une fois réalisé, pourquoi faudrait-il le représenter, le mettre en texte? D'après Michel Butor, les voyageurs qui

(16)

8 laissent des traces de leur passage sur les sites visités manifestent déjà le

bef;oin d'enrq.,ristrer leur voyage. "À la marque directe on peut préférer une marque plus respectueuse, plus décisive, par objets représentatifs, le livre

étant un exemple émment ")1-{ Une étroite parenté existe ainsi entre les livres

et le voyage; les hvres prOJetés et écrits pendant ou après les voyages, ou les

livres lus en vue du voyage. Nerval ne cachait pas qu'il partait pour trouver

matière à article. ",J'31 voyagé pour trouver des sUJets de feuilletons", écrit-il

il Htadler en décembre 1840YJ Il méditait aussi un beau livre d'images en

faveur ch, qUOl il aVaIt aclll'té un daguerréotype. "J'ai placé avantageusement

mon voyage d'li~gypte qui fera un volume avec gravures, et j'ai acquis des matériaux pour au mOIns deux ans."20 Pour Fla~lbert, le voyage était déjà éel"iture puisqu'il tente de r6chger un journal quotidien auquel il renonce pour

se contpnter dp notes rapides qu'il utilisera après son retour. 21 Quant aux

ledures qu'ils ont faites, des études précises révèlent les sources

docuTnpnt.aires de chacun.22 D'ailleurs, Flaubert lui-même affirme à Emmanucl Vasse, dans une lettre datée du 15 septembre 1846, avoir lu le

Coran, comme il ),(\T11cJ'cie Louise Colet en janvier 1847 de lui avoir envoyé

son V () lr1l'y. ~:l

Le f~lit. d'aSSOCIer le voyage à la lecture et à l'écriture confere aux

t.ext.es éCJ'lb une autorité accrue. En effet, lorsque les ouvrages scientifiques

ou littérmres sc réfèrent constamment les uns aux autres, ils créent un savoir

ct. une expertise qui l'l\mplaccnt souvent l'obsei·vation. Claude Pichois

congtate il PI'OPOg de Nerval: "Il voit moins qu'il ne lit. Souvent il ne voit que gl'ùcc aux livres. Parfois. il nous fait voir ce qu'il n'a pas vu sans

(17)

qu'apparaisse la différence entre ce qu'il a lu et cc qu'il a réellement vu."2.\

En même temps, ces renvois au déjà lu ou au déjà narré incitent. il une pri~l'

de position par rapport au matériau oriental ~mr lequel l'auteur g'apPl.il' ou dont il s'écarte. Nerval et Flaubert ont tous deux emprunté sans v<.'rgogne ù

William Lane dont le livre sur les égyptiens était paru <.'n IH:Hi25. Par contn'.

Nerval a voulu se distinguer de Lamartine et de Chateaubriand. Seloll

Claude Pichois, "il négligera Athènes et Jérusalem magnifié<.\s par Sl'~ illustres prédécesseurs."26

Enfin, si le livre est le principal moyen par lequel le voyageur marque

le lieu de son passage, "il lui est loisible en travaillant sur le livre d<.'

travailler considérablement sur cette marque."27 AutrenlC'nt dit, l'éCl;t.Urt'

permet de vivre ou de revivre le voyage tout en le façonnant selon dPH unit(is

d'information sélectionnées, organisées et hiérarchisées, l11<llS aussi selon la

signification globale du récit de voyage qui exige une unité formelle pt

structurelle. Aussi la double finalité du voyage en Orient au XIXl' SIècle sp retrouve au niveau du récit qui oscille constamment entre ces deux pôles.

tantôt le moi de l'auteur reste subordonné au souci didactiquc, tantôt il cst

dominant et médiatise tout ce que le texte dit sur l'Orient.

La question qui se pose pour nous est de savoir comment la

représentation de la femme orientale s'intègre à ce système codé où la réalité

sociale orientale et les aspirations des auteurs-voyageurs prennent fèJrm('

ensemble. D'un côté, le caractère référentiel de la représentation multiplie

les détails et modifie les points de vue adoptés, de façon à traduire la

(18)

10

ks détails et modifie les points de vue adoptés, de façon à traduire la complexité de l'univers féminin oriental, et d'un autre côté l'espace textuel agit en tant que principe organisateur et contraignant. Toutefois, il faudrait ajouter que ces ('{,,; ·traintes textuelles ne sont pas nécessairement inhibitrices mais productives dans la mesure où l'auteur, dans sa tentative de reconstruction et de ré appropriation de l'univers féminin oriental, crée sa propre pratique de représentation dont l'organisation et les lois internes sont déchiffrables.

Il s'agit donc pour nous de délimiter, dans les deux récits de Nerval et de J·'laubert, les unités de texte évoquant les figures féminines et de les comparer entre elles pour montrer comment l'intention informative justifie les nécessités descriptives de cohérence et d'intelligibilité, ainsi que la conformité à un savoir spécialisé. Dans un deuxième temps, il faudra mettre

à jour le réseau de contraintes et de conventions imposé par la dimension autobiographique et les structures narratives du récit de voyage. Enfin, en plaçant la représentation de la femme orientale dans la perspective d'une signification globale du récit de voyage, nous pourrons déterminer l'influence des attitudes et des idées de la collectivité de l'époque ainsi que celle de l'univers poétique de chaque auteur .

(19)

-•

11

NOTES

1 Le Larousse du XXe siècle donne la définition suivante des Capitulation::;:

« Traités qui garantissent aux sujets des nations chrét.iennes qui ré::;idl'Iü

temporairement ou d'une manière permanente dans les pays dit.s ho .. ::;

chrétienté, le droit d'être sOl'..straits à l'action des autorités locales l't dl' relever de leurs autorités nationales représentées par leurs commIs.» 2-. Au retour de l'expéditior. d'Égypte, Bonaparte exigea de::; savants qui

l'avaient accompagné, la préparation d'un ouvrage collectif int.itulé: Description de l'E~te ou Recueil des observations ct des rechrrch('s (lui ont été faites en E"ypte pendant l'expédition de l'armée l'rançahH.' et publié par les ordres de Sa Majesté l'Empereur Napoléon le Grand, Imprimerie Impériale, Faris, 1809-1828, 23 vol ..

3 Chateaubriand, François-René de, ~vrçs rOIllHn('sqU('S

et

Voyuli!cs, ,T. II, Gallimard, Paris, 1969, p. 702.

4 Flaubert, Gustave, Correspondances, dans Oeuvres, '1'.1., Bibliothèque de la Pléiade, cd. Gallimard, Paris, 1973, p. 300.

5 Carré,

J.

M., Yoya~eurs et écrivains français en 1~"YDte, Imprimerie de l'Institut d'archéologie orientale, Le Caire, 1932, p. 8.

6 Nerval, Gérard de, Correspondances, dans Oeuvres, Bibliothèque dt' la Pléiade, ed. Gallimard, Paris, 1952, p. 856.

7. Carré,

J.

M., op. cit., p. 6.

8 Nerval, Gérard de, Voya2e en Orient dans Oeuvres complètes. 'l'. Il,

Bibliothèque de la Pléiade, ed. Gallimard, Paris, 1981, p. 201. 9. Flaubert, Gustave, Correspondances, T. J, op. cit., p. 76. 10.

Thid.,

T. I, p. 99.

11 Hugo, Victor, Les Orientales. T. J, ed. Pierre Albouy, Ga11imard, Paris, 1964, p. 580.

12. Goethe, Wolfgang, Westostlicher Diwan, 1819. Traduction française:

J&

Divan occidental-oriental, Aubier Montaigne, Paris. Tiré du poème "Hé'" gue, p. 54 .

(20)

12

13 Bachelard, Gaston, La poétique de l'espace, P.U.F., Paris, 1957.

14. Nerval, Gérard de, YQya~e en Orient, op. cit., p. 515.

15. La première traduction - expurgée - de Galland, publiée en 1704, s'empara de l'imagination du public. Et bien que les contes soient marqués d'une forte spiritualité, les thèmes de sexualité, d'amour et de violence furent retenùs.

16 Flaubert, Gustave, CQrrespondances, 'f'. l, op. cit., p. 99. 17. Nerval, Gérard de, Yoya~e en Orient, op. cit., p. 506.

18 Butor, Michel, "Le voyage et l'écriture", dans Romantisme, 4,1972, p. 4 à

19.

lB. Nerval, Gérard de, Correspondances, op. cit., p. 835. 20.

lhld.,

p. 894.

21. Biasi, Pierre-Marc de, dans l"'lntroduction" au Voya~e en Égypte, Grasset, Paris, 1991, p.78 explique que Flaubert rédige le chapitre intitulé "La Cange" durant le voyage, et le reste après son retour à Croisset.

22. Les sources documentaires de Nerval sont citées par Claude Pichois dans la "Notice" au Yoya~e en Orient, QP. cit. p.1378 à 1380, et celles de I:laubert, par Pienc-Marc de Biasi dans l"'lntroduction" au Voyage en EgYDte, op. cit. p.46 ..

2:3. Flaubert, Gustave, Correspondances, T. l, op. cit., p. 835. 24. Pichois, Claude, op. cit., p. 1379.

25 Lane, E.W., An accQunt Qf the manners and customs of modern

I~~gyptians, 2 vol., Londres, 1836 (ré-édition Londres,

J.

M. Dent, 1936, éd. avec introduction de Musi Saad el Din, 1963).

26 Pichois, Claude, op. cit., p. 1377.

(21)

PREMIÈRE PARTIE

L'INTENTION DIDACTIQUE

(22)

CHAPITRE l

L'INTENTION INFORMATIVE

14

L'art de voyager implique, au même titre que tous les arts et métiers, un apprentissage et une attitude d'esprit spécifique. Bien regarder et bien voir pour comprendre les contrées et les civilisations nouvelles, puis les expliquer à ses compatriotes. Dans cette perspective, le voyageur se trouve investi d'une responsabilité cognitive et didactique, et il doit faire appel à ses compétenres d'observateur et de descripteur. Car l'intention informative du récit de voyage repose sur une activité de transformation qui consiste à passer des structul'es du monde réel aux structures textuelles grâce à l'observation et à la description qui sont les opérateurs solidaires de cette transposition.

A L'observation et l'art de voyager.

En effet, pendant le voyage, l'observation est une forme de connaissance directe et immédiate, elle est donnée par les voyageurs comme

]\~qlliva]ent du regard de l'enfant qui découvre le monde: ",J'ouvre les yeux sur tout, naïvement et simplement"l, écrit déjà Flaubert lors d'un séjour à Gênes. Dans un deuxième temps, l'observation permet, comme dans les Selences de la nature, d'organiser le visible en savoir. Elle guide la description vers une synthèse objective et écrite de la réalité perçue. Par

(23)

t f, conséquent, plus le récit de voyage :'-;C' rl'ft>l'l' Ù une rpalit6 ll1in\ltll'II~l'll\l'llt

observée, plus sa valeur informatiVl' dl'vil'nt crédibll' l't plll~ Ji ~l' th'fin t comme un texte scientifiquC' par oppo~it IOn au rOllwn, Il l'st \'ral qUl' dan~ ln

tradition grecque l'historien l'st bien "cl'1ui qui voit l't <111i racontt' Ù partir d ·

son regard,"~ Sans aller jusqu'à prétendre, comnw VoJ.H''y, f' .. in' OI'\lVI'l'

d'historien, Nerval exploIte quand mê>me cette distinction l'ntt'(' vPl'itL' pt,

fiction pour mieux se situer en marge de la litt.ératurC' l't. par cpt art.ifil'l'.

garantir l'authenticité de son témoignage ct. dl' Hl'~ mf'ornwt JOns,

L'humble vérite n'a pa!:. Il'~ n\~,>ourcl'f-, IIllIlII'Il"I''' <II'''

combinmsons dramatH\lWf-, ou IOll1alH'~qlll'~ ,JI' n'('1I1'11I1' lIll '1

un des évenrmcnt'> qUI n'ont de' llwntp qU(' par h'lll' !.impli(·it{· mêmp, Il vaut Ilneu" Cl' Ill!' <'l'mhl(', dlr(' naïv('llwut (,OIllIlH'

les anClünh nnvIg:ltf'UI'<', ü·) JOUI' 11011" n'avon" VlI l'Il lIH'r qll'lIl1

morceau de hOls qUI OO\.l'lIt a l'aV('lltllll', 1,1') aU!II' 1111 g(l('):llld

aux m!C',> gri!:.cs:3

Il est significatif que les mêmes termes de !lai veté et dl' si mpl iCI 1,(. SP

retrouvent chez Nerval et. chez Flaubert pour caractériser une approdll' qui

se veut informative et objective,

1) Un faisceau de "choses vues".

Cette "soif de voir" des voyages, concerne autant les monument.s ('1, I(·s sites historiques que les milieux humains, Nerval "S't'st surtc)1lt at.l.ach(· li

nous montrer l'Egypte vivantc"4, remarque son élmi Edmond TpXH'r FlaulH'rt

(24)

16

se passionne pour les détails de la vie quotidienne et ce qu'il appelle les observations morales: "Mon genre d'observation est surtout morale; je n'aurais jamais soupçonné ce côté au voyage: le côté psychologique, rumain, comique y est abondant."6 Aussi, un des aspects du récit de voyag~ sera de rcconstituer le système social oriental et en particulier l'univers féminin oriental à partir d'un faisceau de "choses vues." Or, toute chose vue suppose un regardant, et les difficultés sont considérables pour qui veut se mêler à la vie civile et relibrieuse de la population sans être musulman. C'est que l'Européen est avant tout un étranger, pour les hommes comme pour les femmes. "Quelle fatalité d'avoir un frengui dans ce quartier!"7, s'exclame le logeur de Nerval. Si l'étranger inspire presque toujours de la curiosité, comme à ces femmes de la plaine de la Békaa au Liban qui s'arrêtent et regardent "avec avidité et étrangeté"8 le passage de Flaubert et de ses compagnons, il peut aussi sUb.::iter des craintes variées. Lorsque Flaubert l'cncontre en Haute Egypte l'almée Kutchouk Hanem, celle-ci refuse de garder des étrangers sous son toit. "Elle ne se souciait pas trop que nous restions chez elle de peur des voleurs qui viennent lorsqu'ils savent qu'il y a des étrangers."9 Dans le pire des cas, l'Européen est le giaour, l'infidèle méprisé, qu'il vaut mieux éviter. Sur le bateau qui l'emmène vers la Syrie, Nerval fait face à l'hostilité des matelots qui lui dénient le droit de garder une esclave musulmane. Ils disent "que j'avais

tort,

étant croyante, de rester avec un infidèle"lo, lui explique l'esclave et, à la première occasion, elle-même ne manque pas d'user de l'insulte.l l

(25)

17

2) Le caractère secret de l'univers féminin oriental.

En plus de cette méfiance générale à l'égard des étrangers, le voyageur se heurte plus particulièrement au caractère secret et prot(\gé dl' l'univers féminin oriental. Il constate que la femme orientc'lle ('st maintC'nue à l'écart du monde, physiquement et socialement. Elle vit dans dl'::; appartements spéciaux, "Il faut qu'on sache aussi que chaque maison était divisée en deux parties tout à fait séparées, l'une consacrée aux hommes l'I,

l'autre aux femmes"12, raconte Nerval. De plus, des grillages de hois placé::; aux fenêtres, les moucharabiyés, jouent le rôle de barrières entre elle ct I('s autres. Quand elle sort, les habits et les voiles cachent son corps et son visage, la privant ainsi de toute existence individualisée. "II faut avouer que le habbara noir ... fait de toute femme un paquet sans forme"1:I, constate Nerval. Même la vie sociale de la femme se limite à la fréquentation des autres femmes et des hommes dont le lien de parenté est étroit. Ceux-ci sont d'ailleurs les gardiens vigilants de ces habitudes sociales: le VOy~lgcur turc, sur le même bateau que Nerval, laisse ses femmes et ses esclaves il l'arncre, dans une sorte de parc fermé par des bal ustrades afin de les soustrai re au "contact dangereux des Francs"14. Cette protection est moins stricte sur lGfl vaisseaux qui ne transportent que des passagers levantins, admet Ncrval.l!i La femme elle·même est tellement habituée à cette vie recluse qu'elle réagit violemment à toute intrusion masculine, rédIe ou supposée, qui viole son intimité. Nerval rapporte avec amusement les plaintes de la khanoum, sa voisine, une veuve de cinquante ans. "De ce côté, me dit Abdallah, est le

(26)

18

jardin :l'une khan oum (darne principale d'une maison) qui s'est plainte de ce que vous avez regardé chez elle". Nerval niant avoir regardé, Abdallah répond: ":E;lIe vous a vu, elle, cela suffit."16

3) La perception extérieure de l'auteur-voyageur.

Le voyageur européen assume ainsi une double différence, celle de son statut d'étranger et cel1e de son sexe: il sc trouve toujours à distance de la femme orientale. Sans COITlpter que l'obstacle de la langue est infranchissable ct que la communication, lorsqu'elle a lieu, passe par un interprète. Nerval a recours à Madame Bonhomme pour converser avec l'esclave Zeynab et [i')auhert commente avec ironie une situation peu propice à l'échange intime: "Faire l'amour par interprète!"17, s'exclame-t-il, révélant ainsi la présence incongrue de son drogman Joseph. Par conséquent, l'observation et la description de la femme orientale ne peuvent se faire le plus souvent que selon une perception extérieure limitée aux apparences et au comportement. ComnH' l' expliq ue Fla u bort à Louise Colet, c'est une connaIssance essentiellement sensorielle: "Je formulais seulement de la façon la plus courte l'indispensable, c'est cl dire les sensations, non le rêve."18

B Désir de voir et "pouyoir voir",

Cependant, cette fonction de voir réc1all1e des justifications. Pour Philippe Hamon, le voir d'un personnage "suppose un pouvoir voir [et] un vouloir voir de ce personnage",19 destinés à assurer la vraisemblance des

(27)

19 représentations. À cause même de la tradition orientale du secret, Icl:' circonstances de l'observation des femlTIes doivent être explicitées. Pourquoi et comm.ent la femme orientale a·t-elle pu être approchée?

Le désir de voir est tributaire d'un trait caractériel comme le désir de s'instruire et la curiosité qui sont à l'origine même du départ. Ceg motivations initiales, qui se spécifient en des nuances particulièreg, sont. toutes dérivées de l'attrait qu'exerce l'exotisme oriental sur les voyageurs du

XIX

e siècle, qu'il s'agisse d'un exotisme culturel, esthétique ou d'un désir

d'aventure. Mais tout autant que par l'objet de l'observation, le Msir de voir est stÏInulé par la possibilité d'une transgression, malgré les risques qU'l'lie comporte, de l'interdit qui entoure les femmes. "Qui oserait pénétrer dans ceH forteresses du pouvoir marital et paternel, ou plutôt qui n'aurait la tentation de l'oser?"20, se demande Nerval. Paradoxalement, le "vouloir voir" devient,lc corollaire de l'impossibilité ou de la difficulté de voi r: autant par simple voyeurisme que pour surprendre ce qui est habituellement hors de la vue des voyageurs.

1)

L'aspect temporel

et spatial.

Toujours est-il que l'envie de voir reste elle-même dépendante des conditions d'une bonne vision dont les éléments cssentiels sont les circonstances temporelles et spatiales. Pour Nerval et Flaubert, l(l "pouvoir voir" se confond avec l'éloge de la lenteur et de la patienl.!c. "Pourquoi passer si vite?"21, se demande Nerval lorsqu'il déambule dans les rues du Caire faisant allusion aux Européens frivoles "qui abandonnent Le Caire après huit

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20

jours."22 De même, Flaubert écrit à sa mère: "Nous voyageons lentement, ne nous fatiguant pas, regardant avec de longues contemplations ce qui nous passe sous le nez."23 Cette disponibilité temporelle concerne autant la durée du séjour que celle du regard. Si Nerval décide de rester plus longtemps au Caire, les opportunités de rencontres vont se multiplier. Et les longues contemplations de Flaubert lui laissent le temps de mobiliser toutes les ressources de l'oeil pour mieux voir ou, du moins, voir différemment des autres. "Il y a en tout de l'inexploré"24, affirme-t-il.

L'aspect temporel du "pouvoir voir" n'est pas seulement défini par la durée, mais à l'autre extrême, par l'instantanéité d'un moment privilégié, comme lorsqu'une femme soulève un coin de voile ou révèle un détaïl physique plus personnel. "Vous rencontrerez une femme dont la démarche, dont la tai11e, dont la grâce, dont quelque chose qui se dérange dans le voile ou dans la coiffure indique la jeunesse ou l'envie de paraître aimable."25 Ici, c'est bien le caractère furtif de l'observation qui lui confère sa valeur. Cette thématique justificatrice des circonstances temporelles de l'observation outre qu'elle explicite les conditions d'un "pouvoir voir", introduit aussi, sur le plan textuel, les pauses et les arrêts correspondant au temps de la description et de la transmission de l'information. Selon Philippe Hamon, ces fractions de secondes ou ces minutes "chiffrent à la fois une pause dans l'énoncé, un temps de l'aventure, Inais aussi rythment et mesurent métaphoriquement un temps de lecture."26

L'observation doit aussi être envisagée dans ses rapports avec l'espace. Les déplacements et les visites, inhérents à l'essence même du

(29)

21 voyage, diversifient les lieux de l'observation et déclenchent dl's possihili t.~8

nouvelles, Une précision géographique minutieuse n'ste la lTleil1cul'l' P"l'llV('

de la réalité d'une rencontre, Décl;vant une toute jeune proHtitu~l', ~'lallbel't

semble communiquer son adresse: "Dans la rue qui contil1l~l' Il' bazar ('n

suivant tout droit pour aller à Birr-Amber, passé l'épicil'r grec,"27 Mais

surtout les traits de spatialité définissent deux modes difTér('nts du "pouvoir

, " VOIr.

Un «pouvoir voir» qui fige le regardant à son poste d'obsprvation et

délimite un champ visuel précis, souvent un espace clos. Flaubert, enr('rm~ dans une chambre et assis dans un fauteuil, assiste à la dansl' dp \'alm~('

Kutchouk Hanem.28 Dans la salle du théâtre du Caire, Nerval a le loisir ck contempler les coiffures et les toilettes des femmes débarrassées de leur voilt-.

L'observation s'achève lorsque le voyageur quitte les lieux ou lon;que la

femme sort du champ visuel: "À la sortie du théâtre, tout.es ces femmes Hi richement parées avaient revêtu l'uniforme habbarah de tafTctas noir, couvert

leurs traits de borghot blanc et remontaient sur des ânes ,. "2!1 Divers

éléments de l'espace pratique de la vie des femmes, comme les baIeons, h's

jardins, les fenêtres avec leur grillage de bois, favorisent ce cadrage du champ

visuel en un plan fixe qui découpe une aire précise d'observation. "Les

femmes montaient dans la maison où elles quittaient leurs voiles ct J'on

n'apercevait plus que la forme vague, les couleurs et le rayonnement de leun;

costumes et de leurs bijoux à travers le treillis de bois tourné.":10

Dans d'autres cas, l'observation est dynamisée par le regard ambulant.

(30)

22

entourage en un enchaînement de tableaux animés. Ainsi Nerval errant dans le dédale des rues du Caire observe les femmes dans "les bazars, les rues et les jardins ... marchant seules à l'aventure, ou deux ensemble, ou accompagnées d'un enfant."31 De même, Flaubert visitant ce qu'il appelle "le quartier des garces" juxtapose une série de portraits de femmes "assises devant leur porte sur des nattes ou debout."32 Le "pouvoir voir" réside alors dans la mobilité d~l regardant qui découvre un espace ou un milieu neuf à exp1orer.

2) Rôle

du

hasard.

Indépendamment des facteurs spatio-temporels, le fait même qu'il y ait une rencontre avec les femmes nécessite une justification. Le hasard est alors le plus souvent invoqué; le voyageur, grâce à un concours heureux de circonstances, se trouve au bon endroit, au bon moment. Parce qu'il s'était couché de bonne heure, Nerval a pu voir passer le cortège de la mariée sous ses fenêtres. 33 Flaubert introduit plus directement le hasard avec des notations circonstancielles. "Un jour nous rencontrons derrière l'hôtel Orient une noce qui passe"34 ou "nous tombons tout à coup dans le quartier des garces."35 Mais il arrive aussi que les rencontres soient arrangées par des intermédiaires de toutes sortes qui constituent en Orient une classe sociale à part, gravitant autour des voyageurs. Le drogman Abdallah de Nerval, l'interprète Joseph de Flaubert, ainsi que le Juif Youssef ou Madame Carlès appartiennent à cette catégorie de personnages-truchements qui facilitent ou initient les rencontres. Nerval commence ses visites aux "filles à

(31)

marier" grâce au Juif Youssef dont "les connaissances sur 1('8 quest.ions dl's mariages"36 étaient très grandes. Abdallah lui sert de guide au marché dl'S esclaves et Madame Carlès lui présente Salèma. Plus pl·osHlquellll'nt, Flaubert visite les almées et les courtisanes de la Hautl' Ji~gyptl, avec l'aidl' dl' Joseph qui est d'abord envoyé en éclaireur. "Il r('ntrc de la ville; il a été voir une fille qui tiept des ... (avec le geste d'une citrouille) et qui sont comm(' ~~a ... (en frappant sur la table où j'écris)" ,37 raconte Flaubert qui décide d'y alll'I" après avoir écouté cette description.

3) Le déguisement.

L'accès à la femme orientale peut devenir difficile au point que le recours au subterfuge du déguisement s'impose. Déjà expérimenté par de nombreux voyageurs dont William Lane, le port du costume oripnlé.ll est un moyen prudent de pénétrer au sein de la société musulmane. "Heureusement, j'avais acheté un de ces manteaux de poil de chameau nommés machlah qui couvrent un homme des épaules aux pieds; av('c ma barbe déjà longue et un mouchoir tordu autour de la tête, le déguisement était complet"38, écrit Nerval qui se transforme en personnage orienlul pour se mêler à un cortège nuptial. Il est vrai que le déguisement rédUIt provisoirement les différences et facilite l'intégration dans l'environnement. social oriental. Mais surtout, le déguisement procure une griserie qui ouvre la voie à toutes les audaces. Car changer de vêtement c'est un peu changer de peau, renoncer à soi, devenir autre. D'où la satisfaction de Nerval

(32)

24

d'avoir assisté à la noce et surtout "d'avoir figuré comme un véritable habitant du Caire et [s]'être assez bien comporté à cette cérémonie."39

4)

''Le

porte-regard".

Enfin, dans le cas où l'observation est tout à fait impossible, le voyageur sera contraint d'exploiter le "pouvoir voir" d'un tiers, généralement un personnage qui, par son statut ou sa compétence, est en mesure de rendre compte de ses propres observations. Celui-ci joue alors le rôle de ce que Philippe Hamon appelle le "porte-regard ou le porte-parole" du voyageur. Nerval ne pouvait raisonnablement justifier une entrée, même clandestine, dans un harem. Profitant de l'absence du vice-roi, il entreprend alors la visite de son palais et des appartements des femmes en compagnie d'un cheikh musulman. Grâce à un jeu de questions et de réponses, le cheikh révèle les habitudes de la vie domestique du harem et rend visible ce qu'aucun Européen ne pouvait voir. "Nous parcourions, causant ainsi, les sentiers pavés de cailloux ovales .... Je voyais en idée les blanches cadines se disperser dans les allées, traîner leurs babouches sur le pavé de mosaïque et s'assembler dans les cabinets de verdure où de grands ifs se découpaient en balustres et en arcades ... "40 "Pouvoir voir" et faire voir sont assumés ici

(33)

25

C Inyentaire et classement.

L'observation établit donc le lien avec le monde et garantit la vérité de l'information. Au niveau textuel elle prend cn chargc l'introduction et la clôture des unités évoquant les rencontres féminines puisqu'clle explicite le lieu, le moment et les circonstances de ces rencontres. Mais est-cc que l'observation présente une simple copie du réel? Est-ce qu'elle transcrit., selon les expressions de Nerval et de Flaubert, "naïvement ct simplement" un répertoire des femmes vues? Ou est-ce que l'observation choisit et contrôIl' une typologie féminine suffisamment significative et pertinente au niveau de l'information? Autrement dit, est-ce que l'inventaire des figures féminines est associé à une forme de classement?

Dans la perspective d'un inventaire de toutes les rencontres féminines, la liste déclinée ne serait réglementée par aucun ordonnancement. si ce n'est l'axe chronologique du déroulement du voyage. Chaque figure féminine constituerait dans son entité une unité informative autonome. Mais en réalité, dans la richesse confuse de l'univers féminin oriental qui s'offre ù

la représentation, le regard du voyageur est plutôt attiré par certains détails porteurs d'un sens précis et sûr. Flaubert écrit à propos d'un groupe de femmes: "Elles ont des vêtements bleu ciel, jaune vif, rose rouge; tout cela tranche sur la couleur des peaux."41 Il ne retient ici de l'apparence de ces femmes que les détails producteurs de deux informations distinctes: la couleur des vêtements et la variété raciale. Comme Flaubert l'explique

(34)

lui-•

26 même, en Orient, "le détail vous saisit, il vous empoigne, il vous pince et, plus

il vous occupe, moins vous saisissez l'ensemble. Puis, peu à peu, cela s'harmonise et se place soi-même avec toutes les exigences de la perspective."42 De même, Nerval combine dans son ouvrage ce que Pichois appelle les deux formes des "impressions de voyage [et du] roman-voyage", 43 la première privilégiant plutôt les détails de scènes prises sur le vif.

Par conséquent, pour satisfaire à son projet informatif, l'auteur-voyageur va tâcher d'accumuler un ensemble raisonnablement saturé de détails producteurs d'informations sur la femme orientale. Ces détails ordonnés selon un certain nombre de variables vont constituer un système où viennent s'insérer les femmes qui illustrent le mieux telle ou telle de ces nécessités informatives. D'ailleurs Nerval et Flaubert posent presque la même grille, construisent le même réseau de renseignements en incorporant par exemple des scènes de noces, de danses des almées, de marchés d'esclaves, de rencontres à la fontaine. Tous deux citent les mesures d'exil des danseuses du Caire prises par Abbas Pacha et l'épisode de la femme européenne convertie par son mariage à l'Islam.

D Valeur

de l'informatiop.

On devine bien quelle est la finalité profonde de ce mode d'inventaire ct de classement qui fragmente la femme en des unités significatives variées. Outre qu'il évite les répétitions qu'aurait entraîné une énumération purement chronologique, il a le mérite de concentrer le sens, de l'épurer de

(35)

27

façon à faire passer l'information du banal à l'original. En effet., ce qui compte dans ce système est l'information différente, le détail supplémentaire que peut apporter chaque femme par rapport au fond bunal de leurs caractéristiques communes. La valeur de l'information n'est pas tant sa fréquence que le sens nouveau et donc plus fort qu'elle acquiert ainsi.

D'où l'insistance des auteurs voyageurs sur le caractère rare ou exceptionnel de certaines de leurs observations. 11 est vrai que cc côtü inattendu des récits de voyage cor:-espond aux attenLc,;:i des lecteurs. Le voyageur, en transmettant ses découvertes, se pose en observateur aver·ti qui diffuse un savoir appris lors du voyage. Et le lecteur qui voyage assis dans son fauteuil se trouve dans la situation de l'élève qui souhaite recevoir un savoir nouveau ou, tout au moins, des détails qu'il identifierait comme nouveaux ou différents de son propre mode de vie. Or l'Orient a perdu son originalité première bien avant les visites de Nerval ct de Flaubert. ".Je n'ai pas entrepris de peindre Constantinople; ses palais, ses mosquées, ses bains et ses rivages ont été tant de fois décrits; j'ai voulu seulement donner l'idée d'une promenade à travers ses rues et ses p~aces à l'époque des principales fêtes"44, précise Nerval qui prépare ainsi un nouvel horizon d'aUente pour le lecteur. Au lieu de l'inédit, il va lui présenter un éclairage différent, une dimension nouvelle ou un détail insolite, cet "inexploré" dont parle J·'lauberl. Au marché des esclaves, Nerval, ému par les plaintes ct les pleurs d'une femme, est détrompé pur son drogman qui lui explique, à sa grande surprise, que le chagrin ~xprime la crainte de perdre un maître ou de ne pas en

(36)

28

trouver. "J'étais encore tout rempli des préjugés de l'Europe et je n'apprenais pas ces détails sans quelque surprise"45, dit-il.

Cette approche de l'univers féminin oriental qui part du détail, de 1'unité informative, pour représenter l'ensemble, renforce la valeur didactique de l'information; mais eHe est peut-être aussi un moyen de maîtriser la réalité multiple et plurielle de l'Orient. Diviser, fragmenter et disperser ses composantes permet de saisir et de dominer séparément chacun de ses aspects. Edward Said considère cette difficulté à absorber l'Orient dans sa globalité comme "une difficult.é épistémologique"46 que l'Occident a tâché de résoudre par la science de l'orientalisme qui, elle-même, se sous-spécialise pour pouvoir étudier un Orient fragmenté et classifié selon des disciplines variées telles que la géographie, l'histoire, la linguistique, l'anthropologie, la numismatique .

(37)

NOTES

1. Flaubert, Gustave, COl'resJ)ondanç('g 'l'. l, Bihiiothl'qlll' dt' la Pkmdl" Gallimard, Paris, 1973, p. 225 à 22(j. Cl'st nous qui ::;otdignon::;.

2. Foucault, Michel, Les mots ('t,

les

ChOSl'S, Caillmard, Pari::; l~)(l(;. p. 1,1~.

3 Nerval, Gérard de, Voyage cn Ot·il'tlt. op.

cil ..

p 4:3!l (C·t.'st. nous qUI

soulignons).

4. Pichois, Claude, dans la "NotIel''' au Voya~p {'Il 01 Il'U1. D12L..!.'!.L. p. t:n7.

5 Flaubert, Gustavc, Voyagl' (ln l·~gyptl'. {;ra:-;~l'I. Pans. 1 ~)~) 1

A \;,

P:ll~(' 327, Flaubcrt éent: "Rônl'xion: I('s ü'mplps PgVptll'IlS 1I1't·Ill!lt·t('1I1 profondément"

6. Flaubert, Gustave, COl'respondancl's, T. 1. op. Clt., Il 70,1.

7. Nerval, Gérard de, Voyage en Oripnl, op. t.:it., p. :311.

8 Flaubert, Gustave, Not,('s de voyage en Oripnl, dans OPlIVI'('S COJllpJ(:tl,,\S, Seuil, Paris, 1964, T. TI, p. 625.

9. Flaubert, Gustave, Voyage ('11 Egyp{,e, op. cit. , p. ~H(j.

10. Nerval, Gérard de, Voyag(' en Ot;l'l1t, op. dL, p. 440.

11. Ibid .. p. 441. 12. 1..J;;lliL p. 372. 13. Ibid .. p. 289. 14. Ibid .. p. 566. 15. Ibid .. p. 566. 16. Ibid .. p. :310.

17. Flaubert, Gustave, Voyage en I·~gyptc. op. ciL p. 1~)H.

(38)

30

19 Hamon, Philippe, Introduction à l'analyse du descriptif, Hachette, Paris,

1981, p. ] 86.

20 Nerval, Gérard de, Voya~e en Orient. op. cit.. p. 472. 21.

l.1:illL...

p. 260.

22 .I..b.U;L p. 260.

23 Flaubert, Gustave, Correspondances, T. l, op. cit.. p. 598.

24. Flaubert, Gustave, "Lettre à Maupassant", citée par René Dumesnil dans Gustave Flaubert. l'homme et l'oeuvre, p. 418.

25 Nerval, Gérard de, Voyage (ln Orient. op. cit.. p. 285. 26 Hamon, Philippe, op. cit., p. 191.

27 Flaubert, Gustave, Voyage en Egypte, op. cit.. p. 271.

28 Ibid., p. 2R3.

2B Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op. cit.. p. 328.

:w

Ibid., p. 265. :n. Ihid., p. 2fiO.

:12 Flaubert, Gustave, Voyage en Egypte, op. cit., p. 271.

3:t Nerval, Gérard de, Voyage en Ql;ent, op. cit., p. 263. 31. Flauhert, Gustave, Voyage en Egypte, op. ciL p. 194.

(C'est nous qui soulignons.)

an .

.!!llil.,

p. 270. (C'est nous qui soulignons.)

:J6. Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op. cit.. p.293.

:17 Flaubert, Gustave, Voyage en Egypte, op. cit.. p. 263.

as. Nerval, Gérard de, Voyage en Orient, op. cit.. p. 360. :19

lhld.,

p. :361.

4 {).

llllilo

p. :37 0 .

(39)

42. Flaubert, Gustave, Correspondances. T. I, op. cit" p. 5():3.

43. Pichois, Claude, dans la "Notice" au Voyage en Orirnt. op. ciL, p. 13H 1.

44. Nerval, Gérard de, Voya~e en Orient, op. cit.. p. 788.

45.

Ibid.,

p. 316.

46. Said, Edward, L'Orientalisme. l'Orient créé par l'Occidf.'nt. Seuil, Pm·jR, 1980, p. 217 .

(40)

CHAPITRE II

LES TECHNIQUES DESCRIPI'IVES

A L'oruanisation de l'information,

Comment se présentent, dans ces deux récits de voyage, les relations spécifiques de l'observation et de la description? Selon quel processus la description transcrit-elle l'information fournie par l'observation? Autrement dit, et pour poser le problème dans une perspective beaucoup plus large, comment un objet réel peut-il être converti en langage? D'après Michel Foucault, "la structure, en limitant et filtrant le visible, lui permet de se transcrire dans le langage."l La participation d'une volonté sélective au service de l'observation permet donc la délimitation des unités informatives. La description ne se veut plus alors une simple compilation de notations hétéroclites, mais au contraire un instrument d'ordre et de structuration. Pour représenter la femme orientale, elle va solliciter divers systèmes de catégorisation et d'organisation en vue d'augmenter la cohérence et l'intelligibilité de l'information transmise.

1) Le

choix des niveaux de perception.

L'observation, au lieu d'appréhender le réel dans la totalité et la simultanéité de ses différents niveaux de perception, s'arrête à un niveau

(41)

choisi, celui justement où l'intelligibilité du message il transmettre Cf~t. la meilleure. Le coup d'oeil de l'auteur-voyageur traduit alors une dl;cisioll qu'il impose au niveau de l'écriture. Lorsque Flaubert. écrit: "Deux HutreH femmes: la première, à ne:r. fort, droit, accroupie à gauche - la dl'llxil'Il11'. petite, noire, assez jolie de profil ... "2, il révèle un choix qu'il fixe dans la description de quelques traits précis avec leurs prédicat.s: au lll'Z (fort. ct.

droit), à la position (accroupie) pour la première femme; ù la couleur (1101n-). à la taille (petite) et au profil (joli) en ce qui concerne la deUX1ènll'. La cohérence descriptive s'acquiert ainsi par une réduction des possil)1lit.~:;;

infinies offertes par le champ visuel au profit de la force informative.

2) Fragmentation

du

visible et exhaustivité.

Lorsque l'observation se fragmente et sc focalise sur les détails, "1(' référent à décrire est considéré comme une surface, comme un espace rationalisé-rationalisable, articulé, découpé, segment.é, grillé"

/1

expliqu(' Philippe Hamon. La femme orientale est ainsi soumise il une décomposit.ion des différents aspects de son apparence. Cette décomposlt.101l pst. nécessairement suivie d'une mise en série de ses diflërents éléments pour servir la linéarité du langage. D'où ce que Hamon appel1e "un effet de Iist.e".<1 Flaubert présentf! ainsi KU\chouk Hanem, l'almée rencont.rée en Haute Egypte:

Kutchouk Hanem est une grande et splendide créature -plus blanche qu'une Arabe - elle est de Dama,> - sa pC'au, surtout son corps, est un peu cafetée-quand elle s'asseoil cIe côté, elle a des bourrelets de bronze sur les flancs-ses yeux sont noirs et démesurés, ses sourcils noirs, ses nannes fendues,

(42)

larges épaules solides, sems abondants, pomme- elle portait un tarbouch large, garni au sommet d'un disque bombé en or au milieu duquel étaIt une pierre verte imitant l'émeraude- le gland bleu de son tarbouch était étalé en éventail, descendait et lui caressait les épaules- devant le bord du tarbouch, posé sur les cheveux et allant d'une oreille à l'autre, elle avait une petite branche de fleurs blanches, factices.5

34

Flaubert évoque les charmes physiques de Kvf:.houk Ranem dans l'ordre traditionnel du "blason" qui va du visage vers le corps. Cette mise en place stimule une tendance à l'exhaustivité, un désir d'épuiser l'information par un balayage aussi systématique que possible du champ visuel. Cependant, ici deux "listes" sont convoquées dans un agencement combiné: une liste des attributs physiques (les yeux, le sourcil, les narines, les épaules, les seins) et une liste des composantes de la toilette (le tarbouch, le gland, les bandeaux, les bijoux). Ces deux listes correspondent justement aux deux variables principaks qui vont définir la femme orientale. D'abord le phénotype racial qui commande la description des traits physiques et qui est le critère de référence privilégié des voyageurs. C'est pour cette raison que Flaubert, dérogeant une seule fois à l'ordre du blason, révèle en premier la couleur de la peau et l'origine damascène de la jeune femme (une couleur de peau à mi-chemin du noir exotiqüe et de la blancheur, conforme aux canons de la beauté européenne). Puis, le costume des femmes avec les sous-variables que sont la coiffure et les bijoux servent d'axes directeurs aux portraits de la plupart des femmes .

(43)

Selon ce même procédé Nerval fait le portrait de 1'L'::;clavL' :l.l\ynab.

mais cette fois "le dépli de la liste" comporte deux étapl'::;. Lors de la prL'mil'l'l' rencontre au marché des esclaves, les niveaux dl\ perception auxqul'Is s'arl'l'(e le regard de Nerval; "J'oeil en amande, la pallpiè>re obhqlll', ll's clH'Vl\llX d'acajou et la carnation jaune"6 sont les unités Rignificat.Jvcs dL' la l'a ct' javanaise et les facteurs qui motivent son choix. Dans la gl'il1p dt's variablt's

définissant la femme orientale, seule la case "origine racIHle" l'st l'pmplip. Mais plus tard, Nerval va poursuivre le portrait physique de Zpynah ('Il

reprenant l'ordre traditionnel du blason, seulement dans Ull(' optHllH'

inversée. Au lieu de louer les charmes de la femme, il va la d6mystifier (In pointant les défauts.

Seulement je vis avec peine que cette pauvre fille avait sous le bandeau rouge qui ceignait son front Ulle plllcP brülf>f'

grande comme un écu de six livres il partir dps prl'IllIPrS cheveux. On voyait sur sa pOltrme une autre brûlure cl(' mi'm(' forme, et sur ces deux marques un tatouage qUI rpprr"l'lltalt une sorte de soleil. Le menton étUlt aussi Latouf' {'n fer dp lance, et la narine gauche percée de manière il recevOIr un anneau. Quant aux cheveux, Ils étaient rognés par-devant il

partir des tempes et autour du front et, saufla partie brûlée, ils tombaient ainsi jusqu'aux sourcils qu'une lIgne noire proloOlgeait et réunissait selon la coutume Quant aux bra ... el aux pieds temts de couleur orange, Je savais que c'<'lmt l'em't d'une préparation de henné qui ne laissait aucune marque au bout de quelques jours 7

(44)

36 Une seule liste est déclinée, celle des caractéristiques physiques; par conséquent, seule la variable du phénotype racial est complétée. L'exhaustivité est ici au service d'une intention négative; le discours descriptif fragmenté, territorialisé, ne s'arrête sur des espaces précis du visage et du corps que pour mieux révéler les aspects décevants de l'exotisme oriental.

3) Plans et cadrages.

Ces portraits de femmes qui suivent un énoncé linéaire ordonné autour d'une ou plusieurs variables exigent un cadrage en plan fixe et impliquent de la part du regardant une posture figée de spectateur, le temps d'épuiser l'information fournie par les paradigmes descriptifs choisis. Il est évident que cette technique s'applique généralement aux figures féminines de premier plan, celles dont le rôle narratif est plus grand, - comme l'almée Kutchouk Ranem de Flaubert ou l'esclave Zeynab achetée par Nerval- ou cel1es qui représentent un message informatif important comme les quatre portraits que fait Nerval à Constantinople "de quatre belles personnes qui, par un hasard pittoresque ou un choix particulier, se trouvaient présenter chacune un type oriental distinct". 8

Cependant, la fragmentation du visible, au lieu de s'organiser par accumulation à l'intérieur de classes homogènes (le phénotype racial ou la toilette) peut se distrlbuer selon des grilles de classifications variées, définies par un aspect particulier de la variable toilette, par exemple. Alors qu'il assiste au spectacle du théâtre du Caire, Nerval intervient personnellement

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pour signaler le critère précis, producteur d'information, qui n~git sa description; "c'est la coiffure seule qui distingue les raccs; le costUllH' cst il

peu près le même pour toutes les autres partics".9 Ll'~ unités ll1r()l"ll\at.ivl'~

sont déjà pré-découpées par une pratique sociale sur laquel1p s'art.ieull' la

description. Les coiffures sont catégorisées en fonction de la divl'I"Sl t.{,

ethnique des femmes présentes dans la salle, les Grecques, ll's Arml'nil'fl11l'H.

les Juives.

On distinguait les Grecques au taktItos dt' drap rougp festonné d'or qu'elles porlent lnclmé ,;ur l'ol"l,tllp, Ip~ Arméniennes, aux châles et aux gazillons qu'('IIP~ pnln'm[,lplü pour se faire d'énormes coiffures Les JUives marl('('~, IH' pouvant scion les prescription" rabhllllque<" lal<,~er vOIr Ipllr chevelure, ont, à la place, des plumps dt' coq roul{>{·~ qUI garnissent les tempes et figurent des touffes de chf'vCUX \0

La fragmentation du visible naît ici du parcours panoramique du regard qui

sectionne les unités significatives et les représente selon une organisation

descriptive très proche de la technique ci nématographique, par unü

succession de gros plans qui transmettent l'information.

Le parcours panoramique du regard peut aussi être assumé par un

regardant ambulant. Flaubert se promenant dans les rues, identifie les

femmes par quelques détails flagrants.

Femmes grosses en bleu, yeux noirs enfoncés, menton carré, petites mains, les sourcils très peinl&, mr aImable

(46)

marquée légèrement de petite vérole.- Une autre était vêtue d'un habbar de Syrie bariolé.l l

38

Ce mode de description correspond souvent aux rencontres éphémères et fortui tes, lorsque des personnages mobiles viennent traverser l'espace ou lorsque le voyageur croise, au hasard de ses déplacements, des silhouettes de femmes anonymes qu'il ne reverra plus. Mais ces grilles de classifications ne sont pas rigides et leurs éléments permutables se recomposent entre eux pour créer des réseaux enchevêtrés, imitant la complexité de l'univers féminin oriental. Si toute description, selon Hamon, est le lieu de l'étalage d'un luxe, ici la richesse n'est pas seulement d'ordre lexical, mais thématise le foisonnement et la multiplicité orientale.

B

Le

déchiffrage de l'information,

L'intelligibilité de l'information n'est pas toujours évidente et saisissable au premier coup d'oeil. Elle peut se présenter d'une manière latente et ambiguë et nécessiter un effort de déchiffrage.

À

ce moment, la femme orientale n'est plus "une mosaïque de territoires, de champs et de discours à parcourir, mais considérée comme constituée de deux (ou plusieurs) niveaux superposés qu'il faut traverser en allant du plus explicite au moins explicite" .12 Il s'agit d'établir des rapports d'indication entre les éléments visibles, matériels, concrets et ceux invisibles et immatériels, afin de révéler les corrélations possibles entre les vêtements, les gestes, le comportement d'une part et les traits sociaux ou caractériels d'autre part. La

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