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La production de l'actualité à l'ère numérique : une étude de la pratique des journalistes de la Tribune de la presse sur les réseaux socionumériques

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Academic year: 2021

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La production de l’actualité politique à l’ère

numérique

Une étude de la pratique des journalistes de la Tribune de la

presse sur les réseaux socionumériques

Thèse

Geneviève Chacon

Doctorat en communication publique

Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Geneviève Chacon, 2017

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La production de l’actualité politique à l’ère

numérique

Une étude de la pratique des journalistes de la Tribune de la

presse sur les réseaux socionumériques

Thèse

Geneviève Chacon

Sous la direction de :

Thierry Giasson, directeur de recherche

Colette Brin, codirectrice de recherche

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Résumé

Cette thèse porte sur les pratiques des journalistes politiques québécois en ligne et plus particulièrement sur les réseaux socionumériques. Jusqu’ici, peu d’études scientifiques ont analysé ces pratiques à l’extérieur des États-Unis et hors du contexte spécifique des campagnes électorales. Notre recherche vise à combler cette carence dans la littérature scientifique en communication politique et dans le domaine des études sur le journalisme. Les objectifs de la thèse sont les suivants : (1) décrire les usages que font les journalistes politiques de l’internet et des réseaux dans leur pratique professionnelle; (2) expliquer les motivations qui sous-tendent ces usages et; (3) rendre compte de la manière dont ces usages et ces motivations influencent les normes du journalisme politique.

L’approche théorique du système médiatique hybride proposée par le politologue Andrew Chadwick (2013) nous sert de guide pour étudier le journalisme politique contemporain. Cette approche permet d’appréhender les processus de communication politique comme une hybridation entre des technologies, des genres, des pratiques et des normes anciennes et nouvelles. Pour mieux connaître et comprendre le journalisme politique à l’ère numérique, nous procédons à une étude de cas examinant les pratiques en ligne des journalistes de la Tribune de la presse du Parlement de Québec. Nous avons développé un devis innovant qui s’appuie sur les méthodes mixtes. Celui-ci comporte un volet d’analyse de contenu quantitative des messages diffusés sur le site de microblogage Twitter par les journalistes parlementaires. À ce volet s’ajoute une série d’entretiens semi-dirigés menés auprès de 28 journalistes de la Tribune de la presse.

Dans un premier temps, nous brossons un portrait d’ensemble de l’utilisation que font les journalistes parlementaires de l’internet et des réseaux socionumériques. Puis, nous nous attardons à certaines dimensions de la pratique du journalisme politique en ligne. Une attention importante est accordée à l’utilisation que font les journalistes de Twitter. Tout d’abord, nous analysons la pratique qui consiste à diffuser de l’information en temps réel. Nous étudions aussi les motivations qui sous-tendent cette pratique. Notre analyse révèle que les raisons qui expliquent l’instantanéité ne se limitent pas à la technologie qui la rend possible. La concurrence dans l’industrie des médias, la recherche

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de visibilité et les demandes exprimées par la direction des organisations médiatiques constituent des motivations importantes pour diffuser de l’information en temps réel, une pratique qui constitue désormais la norme. Nous examinons ensuite différentes manifestations de l’ouverture – et de la fermeture – des correspondants parlementaires à la participation du public dans la production de l’actualité sur les réseaux socionumériques. Plus spécifiquement, nous recensons les éléments de transparence à l’égard du public, de dialogue et de partage du rôle traditionnel de sélectionneur d’information (gatekeeper) dans les messages des journalistes sur Twitter. Nous observons que la spécificité du journalisme parlementaire et la conception que se font les journalistes de leur rôle constituent autant de barrières à la participation du public au processus de construction de l’actualité politique. Enfin, nous traitons du rapport des journalistes politiques québécois à l’idéal d’objectivité, un principe central du journalisme moderne en Amérique du Nord. Nous recensons la présence d’autopromotion et, dans une moindre mesure, d’opinion et d’humour dans les messages publiés par les journalistes sur Twitter.

Cette thèse documente une pratique émergente durant son développement et présente des données empiriques inédites sur la pratique des journalistes politiques québécois sur les réseaux socionumériques. Elle décrit le caractère complexe et hybride des pratiques des journalistes politiques en ligne. Elle révèle comment les facteurs économiques et organisationnels contribuent à façonner les utilisations de la technique. Dans un contexte de crise de revenus dans l’industrie des médias, la concurrence entre les organisations médiatiques et les pressions organisationnelles favorisent une pratique orientée vers la diffusion en temps réel et l’autopromotion. Malgré le potentiel interactif des réseaux socionumériques, l’ouverture des journalistes à la participation des citoyens dans la production de l’actualité politique est encore marginale. Les journalistes politiques demeurent aussi attachés à l’idéal normatif de l’objectivité, mais cet idéal coexiste avec une pratique en ligne qui comporte des éléments de subjectivité. Ces continuités et ces transformations décrites par les journalistes font l’objet de débats au sein de la profession. Notre travail vise à éclairer ces discussions dans un contexte de changement et d’incertitude.

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Abstract

This thesis focuses on the contemporary practice of political journalism in Québec. More precisely, it investigates the practice of parliamentary journalists online and specifically on social networking sites. Since now, few studies have analysed how political journalists use social media platforms, particularly in non-US contexts and outside of election campaigns. This work aims to fill this gap in journalism studies and political communication literatures by asking three main questions: (1) how and to what extent do political journalists use internet and social media in their professional practice; (2) what are their motivations to do so; (3) how these uses and motivations influence norms and standards of political journalism?

Andrew Chadwick’s (2013) hybrid media system theoretical approach guided us through our study of political journalism. This perspective allowed us to conceptualize political communication processes as a hybridization of old and new technologies, genres, practices and norms. To better understand political journalism in the digital age, we conducted a case study of the practices of parliamentary journalists of the National Assembly Press Gallery in Quebec. We developed an innovating mixed methods design which includes a quantitative content analysis of the messages posted by the parliamentary correspondents, on the microblogging site Twitter, and a series of 28 semi-structured interviews with these journalists.

Based on these observations, we draw an overall picture of the parliamentary journalists’ uses of internet and social networking sites. Then, we examine in closer details a few dimensions of their practice online, paying specific attention to their uses of Twitter. First, we analyze how and to what extent they convey information in real time. We also investigated the reasons that motivate them to do so. Our data reveals that instantaneity is not only the result of technological affordances. Intense competition in the media industry, a constant quest for visibility and organizational pressures were cited as key motivations to convey information immediately, which became the norm. Second,

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we studied journalists’ openness to public participation in the construction of political news. More specifically, we looked for elements of transparency, dialog and gatekeeping sharing in the messages conveyed by Quebec political journalists on Twitter. Except for transparency, these elements were rare. The specificity of parliamentary journalism and the way journalists conceived their audience were cited as barriers to the public’s participation in the construction of political news. Finally, we examined political journalists’ relationship with the normative ideal of objectivity, a central norm of North American journalism. We observed the presence of self-promotion and, to a lesser extent, opinion and humour in the messages published by parliamentary journalists on Twitter.

This thesis documents an emerging practice during its development. It presents original data on Quebec political journalists’ practice on social networking sites. It describes the complex and hybrid character of their practice. It also shows how economic and organizational factors contribute to shape the uses of technological tools. In a context of crisis in the media industry, competition and organizational pressures encourage practices of immediacy and self-promotion. Despite the interactive potential of social networking sites, journalists’ attitude toward public participation in the construction of political news remains relatively closed, with a few individual exceptions. Political journalists are still attached to the norm of objectivity, but their online practices also shows elements of subjectivity. These continuities and transformations described by Quebec political correspondents are part of a broader debate in the journalistic community. Our work aims to contribute to this discussion by shedding light on a quickly evolving and highly uncertain context.

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Table des matières

Résumé ... i

Abstract ... iii

Liste des tableaux ... viii

Liste des figures ... x

Remerciements ... xi

Introduction ... 1

Chapitre 1. Problématique et cadre théorique ... 12

1.1 La construction de l’actualité politique ... 15

1.2 Le système médiatique hybride et le cycle de l’information politique ... 18

1.3 Une approche centrée sur la pratique du journalisme politique ... 21

1.4 La production de l’actualité sur les réseaux socionumériques ... 24

1.5 Le rapport des journalistes au temps ... 27

1.5.1 De la machine à vapeur au télégraphe ... 28

1.5.2 Les médias électroniques et le cycle quotidien de la nouvelle ... 30

1.5.3 L’intégration des technologies numériques dans les rédactions ... 31

1.5.4 Quand l’immédiateté signifie « maintenant » ... 33

1.6 Le rapport des journalistes aux publics ... 37

1.6.1 La participation du public dans la production de l’actualité ... 37

1.6.2 La participation à l’ère de l’internet et des réseaux socionumériques ... 39

1.6.3 La transparence ... 42

1.6.4 Normalisation ou transformation de la pratique? ... 42

1.7 L’objectivité remise en question ... 45

1.7.1 L'idéal de l'objectivité journalistique ... 46

1.7.2 Objectivité, subjectivité et expertise critique ... 48

1.7.3 L’objectivité journalistique aujourd’hui ... 50

1.8 L’autopromotion... 53

1.8.1 Le « mur » entre l’information et les intérêts commerciaux ... 54

1.8.2 Où est le public? ... 55

1.8.3 L’autopromotion chez les journalistes ... 56

1.9 Synthèse et questions de recherche ... 57

Chapitre 2. Méthodologie ... 61

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2.2 Une approche en méthodes mixtes ... 65

2.3 La délimitation du cas à l’étude : les pratiques des journalistes de la Tribune de la presse ... 67

2.4 Vue d’ensemble du devis de recherche ... 69

2.5 Analyse de contenu ... 72

2.5.1 Twitter et le journalisme ... 72

2.5.2 Le processus de codification ... 74

2.6 Entretiens semi-dirigés ... 81

2.6.1 Le canevas des entretiens ... 83

2.6.2 L’analyse des entretiens ... 85

2.6.3 Conclusion ... 87

Chapitre 3. La pratique du journalisme politique québécois sur les réseaux socionumériques : une vue d’ensemble ... 91

3.1 Quelles plateformes? ... 92

3.2 De la cueillette à la diffusion de l’information ... 93

3.3 Usages de Twitter : les grandes tendances ... 97

3.4 Discussion et conclusion ... 103

Chapitre 4. Ici, maintenant : la production de l’actualité dans l’instant présent ... 106

4.1 La diffusion de l’information politique dans l’immédiat ... 107

4.1.1 La construction de l'actualité politique en temps réel : une vignette narrative ... 111

4.2 Pourquoi immédiatement?... 117

4.2.1 La capacité sur le plan technologique ... 118

4.2.2 Gagner en influence : compétition, pression organisationnelle et quête de visibilité ... 120

4.3 Immédiatement! C’est la norme. ... 124

4.3.1 Transformations et questionnements sur le plan normatif ... 126

4.3.2 Transformations dans la nature du débat politique ... 131

4.4 Discussion et conclusion ... 135

Chapitre 5. L’ouverture à la participation publique ... 140

5.1 La transparence ... 141

5.1.1 Les motifs de la transparence ... 143

5.2 Le dialogue ... 145

5.2.1 À la source du dialogue ... 151

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5.3 Partager la scène? ... 156

5.3.1 Monter la garde : les motivations ... 158

5.4 Normalisation et hybridité sur le plan normatif ... 160

5.5 Discussion et conclusion ... 166

Chapitre 6. Exit l’objectivité ? Opinion, humour et autopromotion ... 170

6.1 Tweeter son opinion ... 174

6.2 Des gazouillis comiques ... 175

6.3 Humour et opinion : les motivations ... 177

6.4 Continuité et transformation sur le plan normatif ... 179

6.5 L’étendue des pratiques d’autopromotion sur Twitter ... 181

6.6 Expliquer les pratiques d’autopromotion en ligne ... 185

6.7 Autopromotion : une norme contestée ... 188

6.4 Discussion et conclusion ... 191

Conclusion ... 197

Les limites de la recherche ... 198

Courir pour être lu, vu et entendu sur la toile... 199

La bulle, le microcosme ... 206

Le journalisme politique : remises en question et perspectives de recherche ... 209

Bibliographie... 214

Annexe 1. Guide de codage pour l'analyse de contenu quantitative des tweets des journalistes parlementaires membres de la Tribune de la presse du Parlement du Québec. ... 231

Annexe 2. Questionnaire en ligne ... 236

Annexe 3. Schéma d’entretien semi-dirigé ... 239

Annexe 4. Production des journalistes de la Tribune de la presse sur Twitter la semaine et la fin de semaine, répartie en fonction de la période de collecte de données ... 241

Annexe 5. Nombre moyen de tweets par semaine en fonction de l’usager ... 242

Annexe 6. Présence d’opinion dans les tweets des journalistes de la Tribune de la presse (en pourcentage)... 244

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Liste des tableaux

Tableau 2.1 Devis de recherche………...………..p. 71 Tableau 2.2 Grille sommaire de codification de l’analyse de contenu…………...p. 80 Tableau 3.1 Les plateformes numériques utilisées dans le cadre de la pratique

professionnelle des journalistes de la Tribune de la presse…………...p.92 Tableau 3.2 Profil des journalistes parlementaires sur Twitter (collecte 1)………....p.98 Tableau 3.3 Profil des journalistes parlementaires sur Twitter (collecte 2)………....p.98 Tableau 3.4 Caractéristiques relevées dans les messages des journalistes parlementaires sur Twitter (tweets politiques)………...p.100 Tableau 3.5 Fonctions des messages diffusés par les journalistes parlementaires sur Twitter (tweets politiques)……….p.101 Tableau 4.1 Plateformes associées à la diffusion de l’information le plus rapidement possible………..………p.107 Tableau 4.2 Plateformes associées à la diffusion de l’information en temps réel ………..……….p.108 Tableau 4.3 Motivations pour diffuer de l’information le plus rapidement possible en ligne et sur les réseaux socionumériques ………p.118 Tableau 5.1 Éléments de transparence relevés dans les messages des journalistes

parlementaires sur Twitter (tweets politiques) ………....…….p.142 Tableau 5.2 Plateformes numériques associées au dialogue par les journalistes

parlementaires………..….p.145 Tableau 5.3 Interlocuteurs des journalistes parlementaires sur Twitter (contenus

politiques)………..p.151 Tableau 5.4 Sources des messages qui font l’objet d’un retweet par les journalistes parlementaires (contenus politiques)………p.157 Tableau 6.1 Sources des messages qui font l’objet d’un retweet par les journalistes

parlementaires………...p.182 Tableau 6.2 Destination des hyperliens inclus dans les tweets des journalistes

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Tableau 6.3 Les fonctions utilisées par les journalistes à des fins de promotion sur Twitter………...p.184 Tableau 6.4 Autopromotion individuelle et organisationnelle sur Twitter………...p.185

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Liste des figures

Figure 1.1 Temps moyen écoulé entre un événement et la publication de l’information le concernant, en fonction de l’origine (locale, nationale, étrangère)....p. 29 Figure 3.1 Les sources d’information jugées utiles par les journalistes de la Tribune

de la presse sur Twitter………...…….p.95 Figure 4.1 Répartition dans le temps des tweets diffusés par les journalistes parlementaires sur le Projet de loi n°52 : Loi concernant les soins de fin de

vie, du 18 au 20 février 2014………...……..p.113

Figure 5.1 Nombre moyen de tweets dialogiques en fonction du type d’interlocuteur (tweets politiques)………..p.149

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Remerciements

Cette thèse marque l’achèvement d’un projet qui a pris naissance il y a cinq ans, au hasard d’une discussion, dans les corridors de l’Assemblée nationale du Québec. Mon directeur et ma co-directrice de thèse, Thierry Giasson et Colette Brin, m’ont alors accueilli au sein de leur équipe. Ils m’ont accompagnée avec patience et dévouement dans chacune des étapes de ce parcours exigeant. Motivateurs hors pair, ils ont partagé généreusement leur expertise dans les domaines de la communication politique, du marketing politique et des études sur le journalisme. Ils ont aussi contribué de manière significative à mon développement intellectuel en favorisant mon intégration au sein de leurs projets de recherche et en m’ouvrant les portes de leur réseau. Malgré leur ordre du jour bien rempli, ils se sont toujours montrés à l’écoute et disponibles. Ils m’ont fourni un encadrement rigoureux. Ils m’ont aussi accordé beaucoup de respect et de liberté, m’encourageant à mener à terme un projet qui porte mes propres couleurs. Je leur dois beaucoup.

Mon parcours doctoral a été grandement enrichi au contact des membres du Groupe de recherche en communication politique (GRCP), réunis sous le leadership de Thierry Giasson. J’ai eu le privilège de côtoyer des collègues brillants et généreux : Yannick Dufresne, David Dumouchel, Audrey Dupuis, Émilie Foster, Jean-Christophe Gaudet, Mikaël Guillemette, Virginie Hébert, Carl Lavenant-Langelier, Gildas Le Bars, Catherine Lemarier-Saulnier, Sofia Tourigny-Koné, Mélanie Verville, Mickaël Temporão, Sabrina Sassi et Gabrielle Sirois. Les activités du GRCP m’ont également permis de recevoir les commentaires constructifs de plusieurs chercheurs sur certaines dimensions de ce projet, notamment ceux de Marc A. Bodet, de Pénélope Daignault, de Fabienne Greffet, de Mireille Lalancette et de Juliette De Maeyer. Je remercie aussi Frédérick Bastien pour son intérêt envers mon travail et ses conseils attentionnés.

Plusieurs professeurs et étudiants du Département d’information et de communication de l’Université Laval ont aussi contribué par leurs questions et leurs commentaires au développement de cette thèse. Je souhaiterais remercier plus

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particulièrement les professeurs Henri Assogba, Jean Charron et Manon Niquette pour leur contribution, de même que ma collègue et amie Emmanuelle Gagné qui a été au cours de ces années une source d’inspiration. Je remercie également Sylvain Parasie, de l’Université Paris-Est Marne-La-Vallée d’avoir accepté de faire partie du comité d’évaluation.

Cette thèse n’aura pas été possible sans la participation des journalistes politiques de la Tribune de la presse qui ont accepté de me rencontrer et de répondre à mes questions. Je les remercie de m’avoir accordé ce temps que je sais si précieux. Pour traiter les données recueillies lors des entretiens avec les journalistes, j’ai eu le privilège de participer à deux formations en analyse de données qualitatives offertes par le

European Consortium for Political Research. Je tiens à remercier Marie-Hélène Paré

pour son enseignement exceptionnel et son apport concret à la thèse. La participation à ces séjours méthodologiques a été rendue possible grâce au soutien financier du Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique (CECD) et de sa directrice Dietlind Stolle. Des résultats issus de ce projet de recherche ont également été présentés lors de colloques nationaux et internationaux au Canada, aux États-Unis, en Croatie et en Suisse. La participation à ces conférences a été soutenue par le CECD et le GRCP. Enfin, mes recherches doctorales ont bénéficié de bourses d’études remises par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le Fonds de recherche du Québec – Société et culture, le programme de Bourses Bell Média en journalisme, le Département d’information et de communication et la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval.

En terminant, je souhaiterais remercier mes proches. Tout d’abord mes parents, Agathe et Paul, qui m’ont transmis la passion d’apprendre et m’ont encouragée depuis mes premiers pas « à aller à l’école longtemps ». Je remercie aussi ma fille Juliette qui a grandi avec ce projet. En plus d’être une source incroyable de motivation, elle m’a raccrochée à chaque instant à la réalité. Enfin, je consacre mes derniers remerciements à mon époux, Benoit. Son regard, son écoute et son soutien indéfectible ont contribué à faire d’un rêve un peu fou un accomplissement.

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Introduction

Le monde politique qu'observe le citoyen ordinaire n'est pas celui des gouvernants et des institutions politiques en action, c'est celui de l'« actualité » politique telle qu'elle est distillée jour après jour, heure après heure, par l'arsenal médiatique (Charron, 1994 : 9).

Le jeudi 27 novembre 2014, des journalistes politiques convergent vers l’Université de Montréal pour assister à un discours du député du Parti québécois et homme d’affaires Pierre Karl Péladeau (@PKP_Qc). Des courriéristes parlementaires observent aussi le discours transmis en direct sur internet, depuis leurs bureaux de Québec. Les messages que ces journalistes diffuseront sur le site de microblogage Twitter permettent de suivre le déroulement des événements, en temps réel :

Julie Dufresne @JuDufresne_RC 17 Nov 11:37

Selon certaines infos, @PKP_Qc pourrait confirmer ds prochaines min, lors d'un discours à l'UdeM qu'il est candidat à course à direction PQ.

Patrick Bellerose @PatBellerose 17 Nov 11:57

RT@HuffPostQuebec Slogans anticapitalistes à l'UdeM, gardes de sécurité bloquent les portes. Pas de grabuge #PKP pic.twitter.com/HmWyZ1svA4

Des journalistes partagent aussi des contenus émis par des citoyens assistant à l’événement. Le journaliste politique Philip Authier rediffuse le tweet d’un militant présent sur place (@souverainquebec) qui présente une photographie de l’assistance :

Philip Authier @PhilipAuthier 17 Nov 12:05

RT@souverainquebec Une salle comble #UdeM Conférence de Pierre-Karl #Péladeau à l'Université de Montréal #Québec #PQ #OpNat #QS #CAQ pic.twitter.com/NSMDW08xvA

Pendant le discours du politicien, les discussions de coulisses vont bon train sur le réseau.

Angelica Montgomery @ajmontgomery 17 Nov 12:24

Who wrote this speech? #pkp #polqc #assnat

Patrick Bellerose@PatBellerose 17 Nov 12:25 @ajmontgomery No one, improvised. :)

Angelica Montgomery @ajmontgomery 17 Nov 12:27

#PKP does not announce his candidacy. Appears Rad-Can has been had by its sources in a rather public way #assnat

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Après plusieurs minutes de conjectures, la nouvelle tombe finalement.

Sébastien Bovet @SebBovetSRC17 Nov 12:29

DERNIÈRE HEURE: @PKP_Qc annonce qu'il SERA candidat à la direction du @partiquebecois #assnat

Hugo Lavallée @hugolavallee 17 Nov 12:29

@PKP se présentera cet après-midi à la permanence du #PQ pour prendre possession de son bulletin de candidature pour la course #assnat

Angelica Montgomery @ajmontgomery 17 Nov 12:30

It appears I spoke too soon. #assnat #cjad

Angelica Montgomery @ajmontgomery 17 Nov 12:30

#PKP announces his candidacy as a result of a direct question #assnat #cjad

Puis, les réactions à l’annonce émergent rapidement, comme l’illustre ce tweet de la courriériste parlementaire Geneviève Lajoie (@GLajoieJDQ). Celle-ci partage un message du député péquiste et candidat pressenti à la course à la direction du Parti québécois, Jean-François Lisée (@JFLisée) :

Geneviève Lajoie @GLajoie JDQ 17 Nov 12:34

RT@JFLisée Bienvenue dans la campagne, cher Pierre Karl. Peu importe le gagnant, nous formerons une formidable équipe ! @PKP_Qc #polqc

Des journalistes politiques retweetent aussi quelques messages à saveur humoristique, comme ceux-ci, l’un émanant d’un citoyen (@CEICtwit) et l’autre d’une journaliste (@peggylcurran) :

Charles Lecavalier @CLecavalierJDQ 17 Nov 12:35

RT@CECItwit Calisse, l'annonce de PKP relègue aux oubliettes celle du futur du hockey à Québec.1

Geoffrey Vendeville @GeoffVendeville 17 Nov 12:37

RT @peggylcurran: PKP has saved a lot of reporters from ruining their weekend. Or calling him on his private line.

1 Ce message fait référence à une nouvelle tombée plutôt durant la journée concernant l’achat des Remparts de Québec, une équipe de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, par l’entreprise Québecor dont l’actionnaire majoritaire est Pierre Karl Péladeau.

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3

En après-midi dans les couloirs de l’Hôtel du Parlement, la réponse des autres partis à la sortie de Péladeau ne se fait pas attendre. Des courriéristes parlementaires relaient les propos du député de Québec Solidaire Amir Khadir (@amirkhadir) et du chef de la Coalition Avenir Québec François Legault (@francoislegault).

Martine Biron M_Biron 17 Nov 14:04

@amirkhadir @PKP_Qc "il a un empire à son service" #polqc Angelica Montgomery @ajmontgomery 17 Nov 15:08

RT@francoislegault Bonne chance @PKP_Qc . Pendant que vous travaillerez pour le pays imaginaire, je travaillerai à faire avancer le pays réel.

Puis, à Dakar où il assiste au Sommet de la Francophonie, le premier ministre du Québec s’adresse à la presse. Depuis la capitale sénégalaise, le journaliste Marc-André Gagnon partage son compte rendu du point de presse via un hyperlien ajouté à son tweet.

Marc-André Gagnon @MAGagnonJDQ 15:49

PKP officiellement dans la course à la chef. du PQ: depuis Dakar, la réaction du PM Philippe Couillard ici: ow.ly/F09ZE #assnat

Ainsi, en suivant le fil Twitter des journalistes de la Tribune de la presse du Parlement de Québec, nous avons assisté au déroulement d’un événement politique et de ses ramifications, de minute en minute, puis d’heure en heure. Discussions de coulisse, rumeurs, démentis et confirmation d’information, l’actualité s’est construite bribe par bribe, à travers le regard des journalistes eux-mêmes, mais également par l’intermédiaire des messages des politiciens et des citoyens, sur un ton parfois sérieux, parfois humoristique, depuis Montréal, Québec et Dakar.

La reconfiguration de l’environnement médiatique

En deux décennies, la démocratisation d’internet, le développement des appareils mobiles et l’avènement des réseaux socionumériques ont non seulement contribué à transformer les modes de consommation de l’information. Ils ont également favorisé l’accélération de sa production. Le cycle de l’information a été graduellement comprimé. Le temps qui s’écoule entre un événement et la diffusion de l’information s’est rétréci considérablement (Karlsson et Strömback, 2010; McNair, 2013). Dans les rédactions,

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l’immédiateté, conçue comme l’instant présent, a graduellement remplacé les heures de tombée régulières (Usher, 2014). Des nouvelles émergent ou sont diffusées en primeur sur les réseaux socionumériques. Les usagers les partagent, les commentent et ajoutent des bribes d’information. L’actualité se construit par fragments successifs avec la contribution de multiples usagers (Chadwick, 2013; Hermida, 2013). Une plateforme comme Twitter permet aux internautes – et bien entendu aux journalistes – d’exercer une veille sur l’information qui circule dans leur milieu et d’y contribuer (Hermida, 2010). Cependant, le caractère instantané et ouvert des communications sur les réseaux socionumériques pose aussi un défi important au journalisme, dans la mesure où sa légitimité repose en grande partie sur le processus de vérification des faits (Hermida, 2013). Comme le soulignent Kovach et Rosenstiel (2007), la vérification constitue un prérequis essentiel au rôle que joue le journalisme en démocratie.

Or, la vérification des faits nécessite du temps. Dans des rédactions un peu partout à travers le monde, l’impératif d’immédiateté fait l’objet de débats (Davis, 2010; Usher, 2014). Des chercheurs ont aussi exprimé des inquiétudes sur la manière dont l’immédiateté pourrait affecter la qualité et la diversité des contenus journalistiques (Philips, 2012). Cependant, peu d’études empiriques se sont attardées à la dimension temporelle de la pratique du journalisme politique en ligne et sur les réseaux socionumériques.

Par ailleurs, si le rythme de la production de l’information se transforme, d’autres modalités de la fabrication de l’actualité sont également en mutation. Traditionnellement, la littérature scientifique dépeint la nouvelle politique comme une construction négociée principalement entre les journalistes et les autorités politiques (Charron, 1994). Or, avec l’avènement d’internet et des réseaux socionumériques, les sources d'information des journalistes tendent à se diversifier, intégrant des éléments d'information des médias en ligne et des réseaux socionumériques. Internet fournit désormais aux acteurs politiques, médiatiques et citoyens l'occasion d'interagir, et parfois de négocier la construction de l'actualité publiquement, en temps réel. Si les journalistes n’ont plus le monopole de l’information transmise au grand public, ils ont désormais la possibilité d’interagir avec

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celui-ci et de faire preuve de plus de transparence à son égard. Mais qu’en est-il en réalité?

Deux grandes tendances émergent sur ces questions dans les études empiriques consacrées aux usages journalistiques des réseaux socionumériques. D’une part, la littérature scientifique relève une tendance des journalistes à transposer leurs pratiques et leurs normes traditionnelles dans l’environnement numérique, et donc, à « normaliser » la pratique du journalisme en ligne (Singer, 2005). De manière générale, les journalistes utiliseraient davantage les réseaux socionumériques dans une perspective de veille sur l’actualité plutôt que de production de contenus originaux (Hedman et Djerf-Pierre, 2013). Ils dialoguent peu en ligne et demeurent très prudents lorsque vient le temps de partager de l'information émanant de sources non traditionnelles. Enfin, ils fournissent peu de détails sur la manière dont l'information est sélectionnée et construite (Lasorsa et

al., 2012).

D’autre part, un pan de la recherche traitant de l’utilisation de l’internet par les journalistes suggère aussi une forme d’hétérogénéité et d’hybridité dans les logiques à l’œuvre. L'utilisation de l’internet tendrait à varier, combinant à la fois des logiques traditionnelles et des logiques nouvelles, en fonction d'une variété de facteurs contextuels, notamment la perception qu'ont les journalistes des publics utilisateurs, ainsi que les pratiques déjà établies dans les environnements de travail (Boczkowski, 2004; Dagiral et Parasie, 2010). Sur les réseaux socionumériques, des journalistes politiques ouvrent parfois les portes des coulisses du pouvoir en présentant aux internautes des détails sur la manière dont l’information est produite (Lawrence et al., 2014). Certains utilisent ces plateformes pour réseauter et collaborer avec d’autres usagers (Hedman et Djerf-Pierre, 2013). Aussi, le ton plus informel des échanges sur ces réseaux amènerait des journalistes à émettre leur opinion ou à partager des propos humoristiques (Holton et Lewis, 2011; Mouraõ et al., 2015). Ces travaux récents suggèrent aussi que des journalistes utilisent ces réseaux à des fins d’autopromotion (Molyneux, 2015; Molyneux et Holton, 2015). Enfin, il est important de préciser que l’utilisation que font les journalistes d’internet et des réseaux socionumériques dans la production de l’actualité

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adopte des trajectoires parfois divergentes selon les organisations et les individus; elle est également susceptible d’évoluer dans le temps suivant l’enseignement fourni dans les écoles de journalisme, le comportement des consommateurs ou les décisions prises dans les entreprises de presse.

Toutefois, peu d’études ont analysé l’utilisation d’internet et des réseaux socionumériques par les journalistes politiques, tout particulièrement à l’extérieur des États-Unis et du contexte particulier des campagnes électorales. De plus, la plupart des études empiriques portant sur ce type de pratique s’attardent soit aux contenus médiatiques, soit aux conditions de production, sans nécessairement faire le lien entre les deux. Enfin, la recherche ne nous informe que très peu sur les motivations qui expliquent les usages journalistiques des réseaux socionumériques, de même que sur les transformations normatives associées à ces usages. Ces carences dans la littérature marquent le point de départ de notre thèse dont les objectifs généraux sont les suivants :

1. décrire les usages que font les journalistes politiques de l’internet et des réseaux socionumériques dans leur pratique professionnelle;

2. expliquer les motivations qui sous-tendent ces usages;

3. rendre compte de la manière dont ces usages et ces motivations influencent les normes du journalisme politique.

Enquêter sur la production de l’actualité politique à l’ère numérique

Pour aborder ces questions, nous adopterons une approche pragmatiste. Cette perspective sera doublée d’une expérience professionnelle passée de journaliste ayant travaillé à Radio-Canada durant près de neuf ans, dont une année à titre de correspondante parlementaire à l’Assemblée nationale du Québec2. Cette expérience a

d'ailleurs eu une influence sur notre démarche scientifique. Les années de pratique dans différentes salles de rédaction à travers le pays nous ont permis d’acquérir de

2 L’auteure de cette thèse a été employée à Radio-Canada de 2002 à 2011. Elle a travaillé à la Chaîne Culturelle, ainsi que dans les stations régionales de Montréal, de Windsor, de Sept-Îles, de Toronto et de Québec. Elle a également été reporter nationale et membre de la Tribune de la presse du Parlement de Québec d’octobre 2010 à septembre 2011.

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l’information précieuse sur le métier. À l'instar d'autres chercheurs qui partagent cette particularité, nous estimons que le vécu du chercheur constitue une source importante d’activité intellectuelle (Francoeur, 2011 : 6-7).

Dans ce contexte, nous ne prétendons pas à une objectivité complète. Nous croyons plutôt que la manière d’appréhender une situation ne peut être totalement dissociée des croyances du chercheur.

De quelque façon qu'on l'envisage ou qu'on se la représente, comme Peirce l'avait déjà souligné avec force, la position du chercheur ne peut pas se recommander d'un doute ou d'une mise entre parenthèses qui s'affranchirait de toute croyance. Que cela exige de sa part une vigilance critique particulière est une chose; qu'il s'en dispense au nom d'une neutralité qui le placerait dans une position d'extériorité à l'égard des problèmes qui donnent son sens à l'enquête en est une autre (Cometti, 2010 : 286).

Ainsi, l'analyse que nous proposons n'est pas « une "correction" de la version des faits des acteurs, ou une révélation aux acteurs d'une réalité dont on présume qu'ils n'ont pas conscience » (Cometti, 2010 : 287). Notre objectif consiste plutôt à reconstruire et à rendre intelligibles les actions et les croyances des praticiens, en favorisant l'investigation autour de questions pertinentes à leurs yeux.

Sur le plan théorique, pour mieux connaître et comprendre la pratique contemporaine du journalisme politique à l’ère numérique, nous suivons l'approche du système médiatique hybride mise de l’avant par le politologue Andrew Chadwick (2013). Cette proposition permet d’appréhender les processus de communication politique comme une hybridation entre des technologies, des genres, des pratiques et des normes anciennes et nouvelles. Plus précisément, elle invite le chercheur à tenir compte de la manière dont les nouvelles pratiques intègrent des logiques traditionnelles, de même que la manière dont les pratiques traditionnelles incorporent des logiques émergentes. Chadwick remet aussi en question le concept de cycle de la nouvelle. Il conçoit plutôt la

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construction de l’information politique comme un processus complexe et fluide où se combinent une variété de technologies et de genres, et où gravitent une diversité d’acteurs – médiatiques, politiques et citoyens – susceptibles d’intervenir dans la négociation de l’actualité de manière plus directe et en temps opportun. Enfin, ce cadre théorique souligne aussi le caractère évolutif, complexe et interdépendant du système médiatique. Cette approche nous apparaît particulièrement féconde pour analyser la pratique contemporaine du journalisme politique dans son rapport à la technologie, au temps, aux sources et aux publics.

De manière plus précise, nous nous attarderons à certaines dimensions de la pratique du journalisme politique, soit l’immédiateté, l’ouverture à la participation du public dans la construction de l’actualité, l’objectivité et l’autopromotion. Pour mieux connaître et comprendre la pratique du journalisme politique à l’ère numérique, nous procéderons à une étude de cas examinant les activités des journalistes de la Tribune de la presse du Parlement de Québec. À l’image d’autres organisations semblables un peu partout en Occident, la Tribune de la presse regroupe des journalistes affectés à la couverture quotidienne des travaux parlementaires. Ceux-ci forment un groupe bien défini et reconnu qui bénéficie d’un accès privilégié aux institutions politiques.

À travers cette étude de cas, nous répondrons à chacune de nos questions de recherche, en adoptant une démarche en méthodes mixtes combinant la déduction et l’induction. Nos conclusions s’appliqueront en premier lieu au cas étudié. Cependant, nous croyons que celles-ci sont susceptibles de dépasser les limites du cas à l’étude et d’être éventuellement transférables à d’autres contextes. À cette contribution empirique s’ajouteront des contributions sur les plans méthodologique et théorique qui s’inscrivent dans les champs de la communication publique, de la communication politique et de la sociologie du journalisme.

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La structure de la thèse

Le premier chapitre de la thèse expose la problématique à l’étude et présente le cadre théorique sur lequel s’appuie notre analyse. Nous y définissons les contours du journalisme politique et traitons de son évolution dans le temps. Nous nous attardons ensuite aux travaux portant sur la négociation de l’actualité politique, ainsi que ceux du politologue Andrew Chadwick sur le système médiatique hybride qui constituent le cœur de notre cadre théorique. Puis, nous dressons un état des connaissances existantes sur les usages journalistiques d’internet et des réseaux socionumériques en soulevant les carences dans cette littérature encore très récente. Nous concluons ce chapitre en présentant les questions de recherche qui orientent notre investigation.

Le deuxième chapitre décrit la méthodologie utilisée. Nous y présentons un devis innovant qui s’appuie sur des méthodes mixtes. Celui-ci comporte un volet d’analyse de contenu quantitative des messages diffusés sur Twitter par les journalistes de la Tribune de la presse durant quatre semaines. À la différence des travaux semblables qui sont menés a posteriori, nous avons opté pour un processus de codification en temps réel afin de demeurer le plus près possible du contexte communicationnel dans lequel s’inscrit la pratique du journalisme politique. À ce volet s’ajoute une série d’entretiens semi-dirigés menés auprès de 28 journalistes de la Tribune de la presse. Les entretiens font l’objet d’une analyse thématique. Cette analyse vise à enrichir notre description des usages d’internet et des réseaux socionumériques, à expliquer les motivations qui sous-tendent ces usages et à comprendre comment ils contribuent à (re)façonner les normes journalistiques actuelles.

Les quatre chapitres suivants sont consacrés aux résultats de la recherche. Le troisième chapitre brosse un portrait d’ensemble de l’utilisation que font les journalistes de la Tribune de la presse des réseaux socionumériques. Parmi les plateformes utilisées par les journalistes dans le cadre de leur pratique professionnelle, Twitter se révèle être la plus populaire. Aussi, nous analysons de manière systématique le profil individuel des

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journalistes politiques sur le site de microblogage. Puis, nous présentons de manière sommaire les résultats de notre analyse de contenu.

Le quatrième chapitre porte sur le rythme de production de l’actualité. Nous nous intéressons plus spécifiquement à la pratique qui consiste à diffuser de l’information en temps réel, c’est-à-dire au moment même où celle-ci est disponible. Nous analysons entre autres l’usage que font les journalistes politiques de Twitter dans cette perspective, en combinaison avec d’autres plateformes. Nous examinons aussi les motivations qui sous-tendent ces pratiques. Notre analyse révèle que les raisons qui expliquent l’instantanéité sont loin de se limiter à la technologie qui l’autorise. Il s’agit à notre sens d’une des contributions majeures de cette thèse. Enfin, nous nous penchons sur la manière dont ces pratiques contribuent à transformer les normes journalistiques, tout particulièrement en ce qui a trait à la collecte, à la sélection et à la vérification de l’information. Nous incluons dans ce chapitre une vignette narrative qui illustre de manière tangible le caractère instantané du processus de construction de l’actualité politique en ligne.

Sur les réseaux socionumériques, les journalistes politiques sont désormais en contact direct avec leur public, du moins virtuellement. Le cinquième chapitre porte sur cette reconfiguration de la relation entre le producteur et le consommateur d’information politique. Nous examinons différentes manifestations de l’ouverture – et de la fermeture – des courriéristes parlementaires à la participation du public dans la production de l’actualité sur les réseaux socionumériques. Nous nous intéressons à certaines dimensions de la pratique soit la transparence, le dialogue, de même que le partage du rôle de sélectionneur d’information (gatekeeper). Nous verrons comment la spécificité du journalisme parlementaire, de même la conception que se font les journalistes de leur rôle constituent des barrières à la participation du public au processus de construction de l’actualité politique.

Le sixième chapitre est consacré au rapport des journalistes politiques québécois à l’idéal d’objectivité, une norme fondamentale du journalisme moderne en Amérique du Nord. Nous recensons la présence d’autopromotion et, dans une moindre mesure,

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d’opinion et d’humour dans les messages publiés par les journalistes sur Twitter. Nous examinons également les motivations qui sous-tendent ces usages de la plateforme, de même que la manière dont ces usages et ces motivations influencent le rapport des journalistes à l’idéal d’objectivité.

Cette thèse documente une pratique émergente durant son développement. Elle décrit le caractère complexe, multivoque et hybride des pratiques des journalistes politiques en ligne et sur les réseaux socionumériques. Elle démontre comment les facteurs économiques et organisationnels contribuent à façonner les utilisations de la technique. Dans un contexte de crise économique dans l’industrie des médias, la compétition entre les organisations médiatiques et les pressions organisationnelles favorisent une pratique orientée vers la diffusion en temps réel et l’autopromotion. Malgré le potentiel interactif des réseaux socionumériques, l’ouverture des journalistes à la participation des citoyens dans la production de l’actualité politique est encore marginale. Les journalistes politiques demeurent aussi attachés à l’idéal normatif de l’objectivité, mais cet idéal coexiste avec une pratique qui s’ouvre à la subjectivité. Ces continuités et ces transformations décrites par les journalistes font l’objet d’inquiétudes et de débats au sein de la profession. Notre travail vise à contribuer à ces discussions par une analyse systématique de la pratique du journalisme politique à l’ère numérique. Pour ce faire, nous reviendrons tout d’abord en arrière dans le temps, aux premiers balbutiements du journalisme politique.

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Chapitre 1. Problématique et cadre théorique

L'origine du journalisme politique moderne en Occident remonte au 19e siècle. À l'époque, le gazetier-éditeur met son journal au service de la religion, de luttes politiques et ouvrières. En Amérique du Nord comme en Europe, les journaux, même commerciaux, sont fréquemment associés à un parti politique et plusieurs ne couvrent pas les partis adverses (Goff, 2009). Puis graduellement, vers le milieu du 19e siècle, plusieurs facteurs contribuent à transformer le journalisme : l'industrialisation, le développement des moyens de transport, l'urbanisation, l'alphabétisation, ainsi que la liberté de presse garantie par certains gouvernements (Brin, Charron et de Bonville, 2004 ; Neveu, 2002). Le journalisme prend peu à peu ses distances des institutions religieuses et politiques pour se professionnaliser. Dans les journaux, le rôle du reporter prend forme. Les entreprises de presse se tournent quant à elle vers la production de masse et développent des pratiques commerciales qui s’appuient davantage sur la marque de commerce et la publicité (Brin, Charron et de Bonville, 2005 : 4). Comme le résume Taras, pour attirer un vaste éventail de lecteurs, « [n]ewspapers went from being a cause to being a business » (1990 : 50). Ces transformations se sont réalisées de façon graduelle et variable. Au Canada, les journaux ont commencé à se distancier des partis politiques à l'époque de la Première Guerre mondiale, puis de façon plus marquée après la Seconde Guerre mondiale. La présence de la presse partisane a perduré jusque dans les années 1960 dans le Canada anglais et jusque dans les années 1970 au Québec, avec la vente du

Montréal-Matin de l’Union nationale à Paul Desmarais en 1972 et la fermeture du

quotidien Le Jour en 1976 (Noël, 2014; Taras, 1990). En Occident, ces changements favoriseront l'émergence du journalisme d'information (Brin, Charron et de Bonville, 2004) ou, selon Érik Neveu (2002), la naissance du journalisme politique

Le journalisme politique désigne un type de pratique spécialisée consacrée essentiellement à la couverture des campagnes électorales, des élections et des fonctions remplies par le gouvernement (Mills-Brown, 2008 : 360). Dans un ouvrage consacré au journalisme politique, Neveu (2002) relève certaines particularités du métier tel qu'il est pratiqué en Occident. Qualifié de « noble », celui-ci est associé aux combats pour la

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liberté de presse. Les relations entre les journalistes parlementaires et leurs sources politiques sont d'une rare intensité. Ceux-ci partagent souvent les mêmes horaires et espaces, créant ainsi une sorte de microcosme (Charron, 1994). De son côté, Albert L. May (2009) attribue trois rôles particuliers aux journalistes politiques : produire de l’information et de l’analyse en vue de la prochaine élection, informer et non persuader, et lutter pour préserver leur autonomie. Cette quête d’indépendance est intimement liée au rôle clé que joue le journalisme politique en démocratie. Comme le résument Rasmus Kleis Nielsen et Raymond Kuhn :

[i]t is a formally independent institution that is part and parcel of representative politics, engaged in criticising those in positions of power, promoting particular political actors, issues, and views, keeping people at least to some extent informed about public affairs and mobilising citizens for political action – all often done in concert with other estates, but never simply as their instrument (Nielsen et Kuhn, 2014: 2).

Sans idéaliser cette pratique, Nielsen et Kuhn rappellent que le journalisme politique a trait à la fois à la réussite professionnelle, à la réalisation sur le plan personnel et à l’argent, mais également à la politique, au pouvoir et à la sauvegarde des libertés publiques (idem). En démocratie, le journalisme politique crée un pont entre les institutions politiques et la société civile. Il permet aux citoyens de prendre connaissance des actions et des prises de position des élus, en donnant notamment une voix à l’opposition. Ce faisant, il fournit aussi l’occasion aux citoyens de se mobiliser et aux groupes d’intérêt d’intervenir dans la joute politique (Sigal, 1973 : 193-194). Ce lien constitue un chaînon fondamental du processus de délibération politique entre citoyens, ainsi qu’entre les citoyens et leurs représentants.

Cependant, les deux dernières décennies ont été marquées par une reconfiguration de l'environnement médiatique (Gurevitch, Coleman et Blumler, 2009). La multiplication des canaux et des plateformes a entraîné une fragmentation de l'auditoire. La frontière entre les domaines public et privé est devenue de plus en plus ambigüe. L'avènement d'internet a permis d'élargir le spectre des sources d'information, notamment dans la

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sphère politique. Parallèlement à la production médiatique professionnelle destinée à un vaste public, les forums de discussion, les blogues et les réseaux socionumériques3 fournissent désormais aux acteurs politiques, médiatiques et citoyens l'occasion d'interagir en ligne, en temps réel (Broersma et Graham, 2012; Chadwick, 2013; Davis, 2009). Or, malgré l’importance de ces changements et du rôle central que revêt le journalisme politique en démocratie, encore peu d’études se sont penchées sur l’évolution de la pratique à l’aune des transformations technologiques récentes.

Dans le champ de la communication politique, de nombreux chercheurs se sont penchés sur les continuités et les ruptures à l'œuvre, à la lumière de ces transformations technologiques. Plusieurs travaux ont tenté de circonscrire la contribution des technologies de l'information et de la communication à la participation politique et la mobilisation citoyenne (Cantijoch, Cutts et Gibson, 2011; Bennett et Segerberg, 2012). D'autres ont aussi traité de l'utilisation des technologies numériques par les partis politiques ou les élus (Giasson et al., 2013; Kreiss, 2012; Nielsen, 2012; Verville, 2012). Dans le champ des études sur le journalisme, des études ethnographiques ou d’observation ont été menées pour comprendre comment les journalistes dans les rédactions s’adaptaient aux transformations liées à l’avènement d’internet et à la convergence dans les organisations médiatiques (Domingo, 2008; Francoeur, 2012; Klinenberg, 2005). Des chercheurs ont également analysé le degré de participation du public sur les sites de nouvelles en ligne (Hermida, 2011). Toutefois, encore peu d'études portent sur l'utilisation que font les journalistes de l’internet et plus précisément des réseaux socionumériques dans la construction de l'actualité politique, tout particulièrement à l’extérieur des États-Unis et hors du contexte particulier des campagnes électorales. Cette carence dans la littérature scientifique marque le point de départ de notre thèse.

3 L’expression réseau socionumérique est généralement utilisée dans la littérature scientifique francophone pour désigner les dispositifs ou les plateformes numériques mieux connues sous le nom de « médias sociaux » ou de « réseaux sociaux ». Cette notion sera définie plus amplement à la section 2.5.

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1.1 La construction de l’actualité politique

Dans les champs de la communication politique et de la sociologie du journalisme, un vaste pan de la littérature caractérise la nouvelle non pas comme un reflet de la réalité, mais plutôt comme une « construction symbolique à laquelle participent des acteurs dont les intérêts sont partiellement opposés et partiellement convergents » (Charron, 1994 : 10). L'actualité politique serait donc l’objet d’une négociation entre les sources et les journalistes, chacun poursuivant un objectif qui lui est propre (Ericson, Baranek et Chan 1989 : 37). Plusieurs auteurs soulignent aussi la prépondérance des sources proches du pouvoir dans le discours journalistique. Bennett utilise le terme

indexing pour désigner la tendance des organisations médiatiques à ajuster le spectre des

discours rapportés dans une nouvelle en fonction des points de vue dominants des acteurs influents au sein des institutions politiques (2012 : 15)4. Gans (1979 : 80) compare pour

sa part la relation entre la source et le journaliste à un tango, le plus souvent dirigé par la source. Schlesinger et ses collègues (1992 : 93) soulignent quant à eux le phénomène de professionnalisation des sources qui font appel à une rationalité stratégique pour élaborer leur message, dans l'anticipation de sa diffusion médiatique.

Ce jeu de négociation stratégique entre les sources et les journalistes est décrit de façon très fine par Charron (1994), qui étudie la relation entre les membres de la presse parlementaire et les élus de même que leurs attachés de presse. Son modèle conçoit cette relation comme une négociation permanente entre acteurs interdépendants qui tentent d'acquérir ou de conserver le contrôle de la production de l'actualité, selon des objectifs différents : « on peut dire, sommairement, que le journaliste essaie d'exercer une fonction d'information alors que le politicien essaie d'exercer une fonction de persuasion » (Charron, 1994 : 28). Ce modèle stipule que les sources politiques tenteront de maintenir les journalistes dans un état de dépendance, en augmentant la valeur de l'information fournie et en limitant la capacité des journalistes à recourir à des sources concurrentes.

4 « I have termed this reporting pattern indexing, which refers to the tendency of mainstream news organizations to index or adjust the range of viewpoints in a story to the dominant viewpoints of those in the political institutions who are perceived to have enough power to affect the outcome of the situation » (Bennett, 2012 : 15).

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Les journalistes, en raison des normes qui définissent leur pratique (la responsabilité sociale, la liberté de la presse, le droit du public à l'information, l'objectivité et l'autonomie professionnelle) (idem), essayeront pour leur part de limiter l’emprise des sources politiques officielles, notamment en élargissant leur réseau d'influence, en diversifiant les sources possibles d'information et en établissant des stratégies de collaboration avec leurs pairs. Ainsi, « les orientations stratégiques des deux coalitions devraient être asymétriques et complémentaires, et tendre à l’équilibre. Autrement dit, si un acteur cherche principalement à maintenir l’autre dans un état de dépendance, celui-ci cherchera principalement à élargir sa marge de manoeuvre — et vice-versa » (Charron, 1994 : 360). En somme, la construction de la nouvelle politique est conçue comme le fruit d’une négociation au sein d'un groupe restreint d’acteurs interdépendants principalement composé des journalistes, des politiciens et de leurs attachés de presse.

Or, avec l'avènement des chaînes d'information en continu puis d'internet, le temps imparti à la collecte et au traitement de l'information s'est considérablement réduit (Bennett, 2012). Une variété d'acteurs citoyens a désormais l'opportunité d'intégrer le processus de mise à l'ordre du jour médiatique, traditionnellement réservé à une élite (Dimitrova, 2007). Peu à peu, des internautes prennent l'habitude de partager leurs connaissances, de diffuser les récits et les images des événements dont ils sont témoins (Hermida, 2012a; Loosen et Schmidt, 2012). Aussi, les sources d'information utilisées par les journalistes professionnels qui couvrent la politique se diversifient, intégrant des éléments d'information des médias en ligne, des réseaux socionumériques et des blogues.

Lors d'une enquête réalisée auprès de journalistes politiques américains, Richard Davis (2009) relève que plus de la moitié des répondants ont affirmé lire des blogues politiques chaque semaine ; plus du tiers ont rapporté en lire quotidiennement. La majeure partie des journalistes interrogés (70%) affirment n’avoir jamais ou avoir rarement utilisé les blogues pour dénicher une source d’information ; toutefois, près de 30% disent utiliser les blogues pour trouver des sources d’information ou des idées de reportage. De manière générale, le contenu de certains blogues serait repris dans les

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médias de masse, principalement lorsque les journalistes arrivent à recouper l'information auprès d'autres sources (Davis, 2009 : 142).

Plus récemment, dans une étude qui s'appuie sur une série d'entrevues menées auprès de journalistes politiques américains, John Parmelee (2013a) explique que les

tweets des leaders politiques contribuent à la construction de l'agenda médiatique en

influant sur la nature et le caractère des sujets qui seront médiatisés. L'auteur souligne aussi que les journalistes tendent à valoriser les tweets des blogueurs politiques, des think

tanks et des groupes d'intérêt. Pour les journalistes, ces différentes sources

contribueraient à générer des idées de reportage, à les avertir d'événements à couvrir, à dénicher des citations ou des données de sondage, à prendre connaissance d'une plus grande diversité de points de vue, à contre-vérifier une information ou à enrichir leurs connaissances sur un enjeu donné.

Dans la lignée des travaux sur l'intermedia agenda-setting5, des études ont aussi comparé l'ordre du jour des médias traditionnels avec celui des médias en ligne ou celui des blogues. Broersma et Graham (2012) se sont penchés sur l'utilisation du site de microblogage Twitter par les journalistes de l'écrit, durant les campagnes électorales britannique et néerlandaise de 2010. Leur travail montre que les tweets constituent une source d'information pour les journalistes, mais que l’usage que les journalistes en font diffère selon les contextes, les journaux néerlandais reprenant principalement les tweets des politiciens, alors que les journaux britanniques citaient fréquemment les tweets de citoyens sous forme de vox pops. De leur côté, Messner et DiStaso (2008) ont recensé une croissance continue du nombre d'articles publiés dans le New York Times et le

Washington Post mentionnant un blogue, entre 2000 et 20056. Les auteurs ont également

noté qu'une large proportion de blogues utilisaient d'autres médias comme source d'information. Selon les auteurs, « [t]he findings of this study indicate the possible existence of a continuous or repeating source cycle between the traditional media and weblogs, especially in the political realm » (Messner et DiStaso, 2008 : 459). Ce

5 Le concept d'« intermedia agenda setting » réfère au processus qui s'opère lorsqu'un média façonne l'ordre du jour d'un autre média (Sweester, Golan et Wanta, 2008 : 199).

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métissage entre « médias traditionnels » et « nouveaux médias » amène le politologue britannique Andrew Chadwick (2013) à repenser la conception des interactions – à la fois technologiques et humaines – qui déterminent la construction de l'actualité politique.

1.2 Le système médiatique hybride et le cycle de l’information politique

Dans The Hybrid Media System, Chadwick (2013) constate que de nombreuses études récentes dans le champ de la communication politique sont construites autour de dichotomies – les médias numériques versus les médias traditionnels, la mobilisation citoyenne sur le terrain versus l’activisme en ligne, la presse écrite versus les blogues – des dichotomies qu’il juge rigides et peu fécondes. Il souligne l’importance de comprendre la manière dont les nouvelles pratiques médiatiques incorporent des logiques traditionnelles, tout comme la manière dont les pratiques médiatiques traditionnelles intègrent des logiques émergentes. En ce sens, il plaide pour une approche analytique qui appréhende les processus de communication politique comme une hybridation entre des technologies, des genres, des pratiques et des normes anciennes et émergentes, qui cohabitent et interagissent au sein de systèmes médiatique et politique fluides et polycentriques.

Hybridity offers a powerful way of thinking about politics and society, a means of seeing the world that highlights complexity, interdependence, and transition. It captures heterogeneity and those things that are irreducible to simple unified essences. It eschews simple dichotomies and it alerts us to the unusual things that often happen when new has continuities with the old (Chadwick, 2013 : 8).

Cette approche théorique oriente notre attention sur le caractère évolutif du système médiatique, qui permettrait le passage d’un ensemble de normes (institutionnelles et culturelles) à un autre. Il nous amène également à saisir la complexité des logiques à l’œuvre. Selon Chadwick, le système médiatique contemporain n’est pas simplement plus fragmenté ou diversifié; il est également caractérisé par une interdépendance entre une grande variété d’acteurs – médiatiques, politiques et citoyens – et de logiques qui se

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côtoient sur des plateformes médiatiques favorisant les communications horizontales et la négociation de l’information politique en ligne, en public et ce, souvent en temps réel :

[…] the patterns of sense making among political staff, journalists, and activists suggests that in this hybrid system older media logics increasingly operate in relations of interdependence with newer media logics: professional news organizations increasingly capitalize on newer media as a resource, tapping into the viral circulation of online content and weaving it into their news genres and production techniques, while also regularly engaging and interacting with newer media actors (Chadwick, 2013 : 48-49).

Cette dynamique amène le chercheur à remettre en question la pertinence du concept traditionnel de cycle de la nouvelle qu'il suggère de remplacer par celui de

political information cycle (Chadwick, 2013). Traditionnellement, le concept de cycle de

la nouvelle servait à désigner ce processus quotidien et prévisible de collecte, de vérification, de sélection, de mise en forme et de diffusion de l’information. La littérature autour de ce concept mettait aussi en relief les aspects stratégiques de la gestion du temps de production organisée autour d’heures de tombée régulières (Schlesinger, 1977). Or, avec le développement des satellites, des chaînes d’information en continu, puis d’internet, le cycle a été compressé, cessant d’être axé exclusivement autour d’échéanciers réguliers. La construction de l’actualité politique se réalise à travers l’interaction de différentes plateformes médiatiques – radio, télévision, blogues, réseaux socionumériques, courriels, sites web. Chadwick estime que ce nouvel environnement crée une plus grande ouverture à la participation des citoyens, désormais susceptibles d’intervenir dans la négociation de l’actualité politique de manière plus directe et en temps opportun.

This serves to loosen the grip of journalistic and political elites through the creation of fluid opportunity structures with greater scope for timely intervention by online citizen activists. Some of these timely online interventions are at the individual-to-individual level and have often fallen beneath the radar of news studies in both older and newer media environments (Chadwick, 2013 : 64).

En ce sens, le concept de cycle de l’information politique (political information

Figure

Tableau 3.1 Les plateformes numériques 33  utilisées dans le cadre de la pratique  professionnelle des journalistes de la Tribune de la presse
Figure 3.1 Les sources d’information jugées utiles par les journalistes de la Tribune  de la presse sur Twitter (n=23)
Tableau 3.3 Profil des journalistes parlementaires sur Twitter (collecte 2)  Minimum  Maximum  Moyenne  Médiane
Tableau 4.1 Plateformes associées à la diffusion de l’information le plus rapidement  possible  Plateformes  Nombre de  références  Nombre  d’entretiens  Twitter  74  20
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