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ARTheque - STEF - ENS Cachan | De la réglementation à l'esprit de prévention dans la formation aux risques professionnels

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Academic year: 2021

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DE LA RÉGLEMENTATION À L’ESPRIT DE PRÉVENTION

DANS LA FORMATION AUX RISQUES PROFESSIONNELS

Michel SONNTAG

École Nationale Supérieure des Arts et Industries de Strasbourg

MOTSCLÉS : PRÉVENTION FORMATION À LA SÉCURITÉ NORMES

DÉMARCHES DE FORMATION - REPRÉSENTATION DU RISQUE

RÉSUMÉ : L’enseignement de la sécurité fait partie de la prévention des risques. Mais il a

tendance à se centrer essentiellement sur la réglementation et les normes sous l’effet de conséquences juridiques en cas d’accident et de la logique économique. Il y perd sa véritablement finalité. La prévention exige une formation globale au risque et une articulation entre apprentissages individuels et apprentissage organisationnel.

SUMMARY : The teaching of Security course should be a part of the prevention of the risk. In

fact, it tends to be centered primarily on the regulation and the standards. It loses its truly finality. The prevention requires a total formation of the risk and an articulation between individual training and organization learning.

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1. INTRODUCTION

L’enseignement de la sécurité fait partie de la prévention. Celle-ci a singulièrement évolué depuis les années 50, grâce à une meilleure connaissance des causes et à une modification de la représentation du risque. La présente communication porte, d’une part, sur cette évolution et, d’autre part, sur des limites et des décalages que nous avons pu constater entre l’esprit de prévention et la mise en œuvre des formations à la prévention. Elle prolonge l’étude menée au G.E.I.S.T. (Groupe Interuniversitaire des Sciences du Travail) sur la formation à la prévention des risques professionnels (Meyer, 1995) en s’appuyant sur nos recherches en cours sur la formation en situation de travail et sur l’organisation apprenante.

2. L’ÉVOLUTION DE LA CONCEPTION DU RISQUE

Blachier (I.N.R.S.) distingue plusieurs étapes dans l'approche des risques professionnels et la formation à la prévention. On peut résumer son travail de la façon suivante :

2.1 Vers les années 50

L’enseignement est axé sur la réglementation et sur les mesures techniques prises en application. Les facteurs humains et techniques sont considérés comme les principaux facteurs de risques. En réponse, il faut apprendre à respecter à la lettre les consignes de sécurité élaborées par des experts qui sont supposés savoir comment s’y prendre.

2.2 Vers les années 60

Une conception multicausale de l'accident succède à la conception bicausale précédente. On admet que l'accident peut traduire un dysfonctionnement du système de production, qu'il peut être lié de façon générale à l'organisation et aux conditions de travail. En réponse se met en place l'analyse multicritère ou l'arbre des causes (a priori, a posteriori) des accidents.

2.3 Vers les années 70

L’accent est mis sur la santé au travail. Découverte et prise en compte des accidents résultant d'une exposition prolongée à une nuisance industrielle. On reconnaît des accidents professionnels où les causes sont insidieuses et vont au-delà des perceptions immédiates.

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2.4 Vers les années 80

C'est l'exploration du champ de l'hygiène industrielle et la réflexion sur la notion de sécurité intégrée dans les outils techniques dès la phase de la conception.

2.5 Vers les années 90

On voit apparaître les conceptions systémiques de l'accident de travail et de l'atteinte à la santé en milieu professionnel. On en déduit que le système de production est un lieu de risques virtuels générés par le fait de son fonctionnement et qu'on doit en assurer la maîtrise.

2.6 Actuellement

Les questions de sécurité sont prolongées par l’exploration du sens même du travail et des conditions psychologiques qui le sous-tendent. La question de la souffrance au travail est clairement posée par les recherches menées au C.N.A.M. par l’équipe de Christophe Déjours. Le travail salarié, pris dans la logique de compétition économique et de déréglementation se développe dans des conditions qui épuisent l’individu en le privant du temps personnel nécessaire à son équilibre. On assiste à des situations et des conditions de travail qui épuisent l’individu jusqu’à l’insupportable tout en l’amenant à contribuer à cet épuisement. Ce risque professionnel se nourrit des paradoxes de la performance et de la compétition économique qui promettent la fortune aux plus forts.

3. LES MODES DE FORMATION RÉPERTORIÉS

Les formations à la prévention du risque s’organisent autour des axes suivants : informer, persuader, acquérir les bons gestes et la capacité à analyser les situations, reconstruire les représentations mentales du danger. Il est sous-entendu que l’accident vient d'un manque de connaissance, d'un jugement insuffisamment éclairé, de gestes mal adaptés, de situations mal appréhendées dans leur complexité.

3.1 Les formations « transmission de connaissances»

Il s’agit des connaissances scientifiques et des normes à respecter établies par les organismes de référence. On veut substituer aux approches empiriques des produits et des techniques une approche éclairée par les connaissances scientifiques. Ce sont aussi les connaissances de la réglementation.

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Certaines formations cherchent à frapper l’imagination plus qu’à transmettre des connaissances, s’adressant à l'affectif et à l'imagination plus qu'à la raison. L'I.N.R.S. possède une série d'affiches dans cette logique. Les dangers sont illustrés, dramatisés ou présentés de façon plaisante, accompagnés de slogans faciles à mémoriser : Vos gueules les décibels ! Gare au pot de colle ! …

3.3 Les formations aux « procédures » et aux gestes

Elles visent l'acquisition de gestes et de postures conformes à la sécurité. Ainsi chaque année, par l'intermédiaire de la C.R.A.M., plus de 100 000 personnes suivent des formations de cet ordre. On répète les procédures d’intervention pour assurer leur maîtrise (cf. les répétitions des évacuations des lieux en cas d’incendie). On vise à renforcer les « bons » automatismes dans les comportements.

3.4 Les formations à la «méthodologie et aux outils d’analyse des accidents»

C’est la formation à l'analyse des causes d'accident à partir des arbres de causes, outil mis au point conjointement par l'I.N.R.S. et le Laboratoire de Psychologie du Travail du C.N.A.M. L’établissement de l’arbre des causes ou d'événements, complété par celui de l’arbre des défaillances pour les systèmes techniques (A.M.D.E.C. : Arbre des Modes de Défaillance, de leurs Effets et de leur Criticité) constitue un véritablement entraînement mental, il vise à substituer à la pensée empirique, marquée par les opinions, la rigueur de la pensée scientifique.

3 5 L'exploration des représentations

Enfin, certaines approches pédagogiques articulent ces diverses formations à l'exploration préalable des représentations qu'ont les salariés de l'évaluation des risques. Dans cette démarche, on travaille avec les individus et les groupes à la prise de conscience des situations et à l'explicitation de la représentation du risque. En élucidant la représentation, on peut la faire évoluer et déterminer les programmes de formation qui prennent sens auprès des individus et évitent les conflits cognitifs qui conduisent au rejet des nouvelles connaissances.

4. DÉCALAGE ET DÉRIVE ENTRE FORMATION À LA PRÉVENTION ET SÉCURITÉ EFFECTIVE

Que la formation contribue à la diminution des accidents ne fait pas de doute. Mais elle n’est pas la solution à tous les problèmes, et certaines formations développent des comportements qui sont contraires à l’esprit de prévention.

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Non seulement la formation des acteurs n’est pas la solution à tous les problèmes de prévention, mais elle peut occulter la nécessité de mettre en place d’autres dispositifs de lutte contre les accidents, plus difficiles à mettre en œuvre ou plus onéreux pour les entreprises, comme la mise en conformité des machines ou la révision des conditions de travail. Une intéressante étude de Didier Kimmel [1993] nous a conforté dans ce jugement. Il avait analysé les mesures de prévention à partir de 50 accidents : 158 facteurs d’accidents ont été identifiés, 81 mesures de prévention ont été prises, 51 mesures ont été exécutées. Parmi les mesures de prévention, celles qui concernaient l’individu (formation, conseil, examen médical) ont été toutes exécutées, c’est loin d’être le cas pour les propositions concernant le matériel (27 propositions et 14 exécutées), pour les propositions concernant l’organisation du travail (23 propositions et 8 exécutées) ou le milieu (4 propositions et 2 exécutées). La formation peut avoir bon dos et être invoquée pour soutenir des jugements du type « pourtant, il devait savoir ». Indirectement elle devient frein aux changements organisationnels, en permettant de déplacer les problèmes.

Mais la dérive la plus significative que nous ayons rencontré tient à la nature même des formations à la prévention des risques dispensées communément dans les formations à la sécurité des techniciens et des ingénieurs. L’enseignement est très centré sur les normes, les procédures et la réglementation juridique. Une telle formation est conforme aux attentes des entreprises, mais l’instrumentalisation de la prévention sur laquelle elle repose produit des effets pervers qui éloignent de l’esprit de prévention que l’on souhaite atteindre.

Elles sont essentiellement centrées sur la connaissance de la dangerosité des produits et des techniques, des normes à respecter et de la responsabilité juridique en cas de non-respect de ces normes. Ce dernier aspect devient sous l’effet de la logique économique une préoccupation majeure en entreprise. L’accident devient l’enjeu de procès cherchant à montrer la responsabilité ou la non-responsabilité de l’entreprise et des dirigeants. Et cette non-responsabilité se joue autour de la question du respect des normes. Le message est clairement posé : la situation à risque zéro n’existe pas, mais si les normes sont respectées, la responsabilité de l’ingénieur ou des dirigeants est dégagée. À la limite, un accident grave survenant malgré le respect des normes est une situation préférable à un accident léger survenant en situation de non-respect de normes. On rencontre ainsi des ingénieurs de la sécurité, préoccupés davantage par les normes que par les accidents.

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5. CONCLUSION

Ces dérives ne représentent que quelques-unes des difficultés de la formation à la prévention. Faut-il ajouter que la sécurité repose sur l’esprit de prudence qui s’oppose au mythe du héros qui affronte les dangers et prend des risques et qu’elle se base sur le respect des règles alors que la transgression se présente sous le sentiment de liberté même si elle est illusoire ?

Les deux dérives présentées nous conduisent à préciser deux aspects relatifs à la formation.

Tout d’abord pour la sécurité dans les collectifs de travail, les apprentissages individuels doivent êtres relayés par l’apprentissage organisationnel. En effet, l’organisation du travail et les conditions de travail énoncent sous forme de prescriptions et de dispositifs une certaine conception officielle du risque, du statut de la sécurité qui doivent évoluer en même temps que bougent les conceptions et comportements individuels, c’est le point de vue soutenu par la théorie de l’apprentissage organisationnel. Cette approche articule de façon nouvelle formation et changement organisationnel (Sonntag, 1996).

En second lieu, comment minimiser, voire éviter, l’obsession des normes ? Une compréhension globale des comportements professionnels peut nous aider. Elle met en lumière que le comportement professionnel intègre plusieurs niveaux de rationalité dont les décalages expliquent les dérives. On distingue :

- un registre praxéologique : rationalité construite à travers de multiples expériences et reposant sur un ensemble de représentations, de réflexes mentaux, plus ou moins fondés sur la force de l’habitude,

- un registre épistémique : rationalité acquise à travers l'expérience du travail et la formation professionnelle pour former un savoir scientifique et technique relativement stable et formant système,

- un registre axiologique : rationalité construite dans le rapport de l'individu au collectif, aux cultures professionnelles et à la société.

La dérive formaliste repérée substitue à la finalité humaniste de la formation à la sécurité celle du rationalisme juridique ; elle oblitère le registre axiologique au profit du registre épistémique. Cette seconde dérive communément repérable en entreprise est emblématique de l’évolution des pratiques professionnelles marquée par l’absence du registre axiologique ou l’indigence des réflexions sur les finalités. Or ces dernières n’appartiennent pas à l’ordre de la démonstration par preuve mais à celui de l’engagement dans une conception du monde souhaitable. À défaut, la logique dominante, en l’occurrence celle de la rationalité économique dans le cas présent, impose sa légitimité.

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BIBLIOGRAPHIE

Collectif, sous la direction de MEYER F., L’évaluation des risques professionnels, P.U.S., 1995. DEJOURS C., L'histoire immédiate, Paris : Le Seuil, 1998.

NAVARRO C., Une analyse cognitive de l’interaction dans les activités de travail, Le travail

humain, 1991, 54(2).

SONNTAG M., Mécanismes cognitifs de coordination des activités et conception de la formation,

Revue Internationale de Systémique, 1996, 10(1).

VAN EECKHOUT H., L’avenir difficile en maîtrise des risques, Revue de préventique, 1994, 10. Programme d’enseignement Cycle Sécurité C.R.A.M.-E.N.S.A.I.S.,

Documentation E.D.F. sur les programmes de formation à la prévention des risques du personnel travaillant sur les sites nucléaires.

Références

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