• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | L'enseignement de la démarche expérimentale comme le résultat d'une transposition mal contrôlée

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | L'enseignement de la démarche expérimentale comme le résultat d'une transposition mal contrôlée"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

L'ENSEIGNEMENT DE LA DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE

COMME LE RÉSULTAT D'UNE TRANSPOSITION

MAL CONTRÔLÉE

Patricia SCHNEEBERGER

IUFM Bordeaux, DAEST (Université Bordeaux 2)

MOTS-CLÉS : DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE - TRANSPOSITION - PRATIQUE SOCIALE

RÉSUMÉ : L'enseignement de la démarche expérimentale relève le plus souvent d'une sorte d'imprégnation où l'application d'une méthode stéréotypée est privilégiée. Les didacticiens des sciences expérimentales ont dénoncé ce type de pédagogie basée sur une mauvaise compréhension des écrits de C. Bernard. Quels seraient alors les aspects de la démarche scientifique à mettre en œuvre pour réduire le décalage avec la pratique des scientifiques ? Quelles conditions de l'activité scientifique mériteraient d'être prises en compte dans l'organisation des activités expérimentales ?

SUMMARY : The teaching of experimental sciences in general, and of biology in particular, is based of an application of a stereotyped method suggested by some texts of C. Bernard's book. As a matter of fact, this way of teaching experimental sciences uses a misunderstanding of scientific work. Our purpose is to explain this choise and to describe others models proposed by didacticians which are nearer to a research approach.

(2)

1. INTRODUCTION

La lecture des différents textes émanant de l’Inspection permet de constater l’importance accordée à la démarche expérimentale dont l’apprentissage constitue une des principales finalités de l’enseignement des Sciences de la Vie et de la Terre. Cette démarche expérimentale est définie ainsi : « formulation de

problèmes, élaboration d’hypothèses et de modèles, confrontation avec de nouvelles données, conception et réalisation de dispositifs expérimentaux, exploitation des résultats des expériences et critique de leur mise en œuvre. »1 Cette définition semble ainsi considérer l'existence d'une méthode

unique qui, par ailleurs, aurait pour légitimité de correspondre au travail des scientifiques.

2. CONSÉQUENCES D'UN MALENTENDU

2.1 Le choix des références

Le schéma expérimental qui sert de référence, dans l'enseignement, est calqué sur celui que Claude Bernard a présenté dans "Introduction à l'étude de la médecine expérimentale" : il est décrit comme une succession d'étapes selon un schéma linéaire ou plutôt circulaire puisque les résultats obtenus à l'issue de l'expérimentation sont comparés aux résultats attendus, déduits des hypothèses.

Ce schéma est utilisé par Claude Bernard pour analyser, dans un texte rédigé a posteriori, le déroulement d'une découverte : comment les lapins soumis à un jeûne deviennent carnivores. Cet exemple est souvent considéré comme le texte fondateur de la méthode expérimentale désignée par l'acronyme OHERIC. Le même schéma est repris à propos de la fonction glycogénique du foie, dont la découverte est souvent reprise dans les manuels pour illustrer la méthode de Claude Bernard.

2.2 Le gommage des ambiguïtés

Des historiens comme Canguilhem ou M. Grmek ont attiré l'attention sur les ambiguïtés de l'œuvre de Claude Bernard. En effet, si celui-ci accorde une grande importance aux faits, selon une attitude positiviste qu'il n'a pas déniée, il affirme à plusieurs reprises la primauté des idées sur les faits :

"Un fait n'est rien par lui-même, il ne vaut que par l'idée qui s'y rattache ou la preuve qu'il fournit.

Nous avons dit ailleurs que, quand on qualifie un fait nouveau de découverte, ce n'est pas le fait lui-même qui constitue la découverte, mais bien l'idée nouvelle qui en dérive "

"Toute l'initiative expérimentale est dans l'idée, car c'est elle qui provoque l'expérience. La raison ou

le raisonnement ne servent qu'à déduire des conséquences de cette idée et à les soumettre à l'expérience".

Ces textes sont peu connus des enseignants alors qu'ils figurent dans le même ouvrage, considéré par certains comme une sorte de bible.

2.3 Un décalage entre deux logiques

À partir de l'analyse des cahiers de laboratoire de C. Bernard, M. Grmek a montré la complexité du processus réel de découverte, son aspect buissonnant, difficile à percevoir et à décrire. Il l'oppose au

1

Programmes de Sciences de la Vie et de la Terre, 5e et 4e

(3)

modèle simplificateur du modèle de démarche proposé par C. Bernard dans l'Introduction et met en évidence plusieurs différences :

- inversion chronologique de certains faits ou de certaines pensées - présentation logique dont l'ordre finit par s'imposer au créateur. Grmek cherche à expliquer cet écart en l'attribuant à plusieurs origines : - la présentation d'un raisonnement se situe hors du temps,

- la nécessité de convaincre conduit à utiliser des preuves différentes.

Comment expliquer que l'enseignement scientifique ait retenu une des logiques (celle du récit) aux dépends de l'autre (celle de la pratique) ? Est-ce le résultat d'un choix délibéré ou d'une méprise due à la culture dominante des enseignants dans ce domaine ?

3. LES ENJEUX DE LA PRATIQUE EXPÉRIMENTALE EN CLASSE

3.1 L'adhésion à la logique des compétences

Dans les programmes et les documents officiels, la notion de compétence tient une place importante et passe pour une évidence. On peut replacer la notion de compétence dans le contexte de la "pédagogie par objectifs", qui a influencé fortement les concepteurs de programmes. La notion de compétence, conçue en termes de comportements, a donné lieu à la construction de multiples grilles de référence (ou "référentiels") définissant ce qu'il s'agit d'atteindre. Joshua (1999) recherche les modalités du succès de l'entrée par les compétences dans les programmes scolaires et les pratiques. Il associe cet engouement à un retournement des exigences des systèmes éducatifs qui passent d'une logique de la transmission à une logique de la compréhension. Cependant, il décrit ces listes de capacités, comme un leurre : les enseignants croient y gagner en précision mais les compétences sont décrites en termes généraux, sans référence aux savoirs disciplinaires. Il en résulte que la question de l'apprentissage de ces compétences est laissée dans l'ombre.

3.2 Changement méthodologique versus changement conceptuel

Le modèle du changement conceptuel, dont l'efficacité est attestée par de nombreuses recherches, met l'accent sur les modifications du contenu des conceptions des élèves. Certains auteurs (Gil-Perez, 1993) ont cependant montré les limites de ces stratégies en regrettant que celles-ci sous-estiment le changement méthodologique qui va de pair avec un changement conceptuel. Il convient, d'après eux, de s'intéresser aux "formes de raisonnement associées aux représentations des élèves". Joshua et Dupin (1993), reprenant les critiques de ces auteurs, soulignent : "Il ne s'agit pas seulement d'ailleurs d'une

remise en cause de formes de raisonnement particuliers, mais bien d'un changement de point de vue sur la manière profonde dont les scientifiques produisent leurs connaissances et contrôlent leur validité". Ils proposent donc de prendre comme référence la construction des connaissances dans la

société savante et de conduire une réflexion sur le processus de transposition à mettre en œuvre, en s'intéressant à la fois aux contenus et aux méthodes.

(4)

4. DES REPÈRES POUR REPENSER LA TRANSPOSITION DIDACTIQUE

4.1 Un changement de priorité

Différentes études consacrées à la pratique expérimentale dans la classe ont révélé certaines tendances dans l'enseignement des SVT, en particulier :

- une forte influence d'une tradition naturaliste qui donne la primauté à l'observation selon un parti pris empiriste ;

- la prégnance du postulat de l'existence d'une méthode générale à laquelle il conviendrait d'entraîner les élèves.

Cela se traduit par des pratiques stéréotypées centrées sur l'application d'une méthode unique selon une succession définie d'étapes (à la manière du schéma OHERIC en ajoutant parfois une étape de problématisation). Les enseignants considèrent majoritairement que l'apprentissage de cette méthode peut se faire de façon indépendante du contexte de sorte que les activités expérimentales ne sont pas articulées avec la construction de concepts. Dans ces conditions, l'élève est maintenu dans des tâches de bas niveau cognitif où il doit simplement appliquer un concept présenté par l'enseignant ou bien s'entraîner à appliquer une méthode.

4.2 Diversifier les activités expérimentales

Les activités expérimentales peuvent correspondre à des fonctions variées, par exemple :

- enrichir le registre empirique des élèves en les familiarisant avec des objets et des phénomènes, - faire acquérir des savoir-faire pratiques,

- initier les élèves à des raisonnements scientifiques en construisant des explications scientifiques, - faire acquérir des concepts scientifiques,

- permettre aux élèves de problématiser.

Dans la plupart des dispositifs pédagogiques, ces différents apprentissages (conceptuels, méthodologiques) sont séparés ce qui s'oppose à la réalisation de véritables activités scientifiques en classe. En effet, toute investigation empirique fait intervenir un ensemble de connaissances de différentes natures et s'appuie sur leur mise en relation, tâche difficile que les élèves ne peuvent effectuer sans l'aide de l'enseignant. Il convient donc non seulement de déterminer les savoirs conceptuels et pratiques en jeu dans les activités d'investigation mais également de rechercher quel type d'articulation doit être favorisé entre eux.

4.3 Des contraintes inévitables

Pour mettre en application les recommandations institutionnelles, l'enseignant doit faire en sorte que l’élève participe à la construction des explications élaborées en classe : "au cours des séances de

travaux pratiques, l’élève construit activement son savoir, acquiert des méthodologies et des techniques en élaborant et en conduisant, seul, en équipe ou collectivement, une démarche d’investigation explicative des phénomènes étudiés".2 Des observations de conduites de classe

réalisées par différents chercheurs ont montré que les procédures d'enseignement les plus fréquentes

2

(5)

ne répondent pas à ce modèle de fonctionnement pédagogique. Ce dysfonctionnement (relevé dans un rapport de l'Inspection Générale) serait le résultat d'une gestion économique des savoirs et de la classe conditionnée par les conditions d'enseignement des sciences expérimentales. Les contraintes liées au contexte pédagogique peuvent parfois s'ériger en obstacles si on ne prend pas en compte ces paramètres dans les propositions de transposition didactique de la démarche scientifique afin d'éviter certaines dérives. Les pratiques innovantes que les formateurs voudraient développer, en s'appuyant sur les produits de la recherche en didactique, ne sont possibles qu'au prix d'un changement radical dans la façon d'enseigner qui lui-même implique de gérer autrement le savoir à transmettre et les apprentissages des élèves.

5. CONCLUSION

Dans l'enseignement, la référence à la démarche de la recherche scientifique est très présente (et quelquefois annoncée aux élèves) mais elle est limitée au domaine des savoir-faire et des méthodes ce qui conduit à donner aux élèves une image fausse du travail des scientifiques. Pour éviter ce décalage, il serait nécessaire de renverser les priorités et de faire construire des concepts à partir des activités expérimentales. Pour organiser un enseignement basé sur des activités proches des pratiques des scientifiques tout en étant conscient du décalage inhérent à la situation didactique, il est nécessaire de diversifier ses pratiques en acceptant à certains moments de laisser les élèves se confronter à des problèmes complexes, au lieu de toujours proposer des situations épurées, qui sont cependant nécessaires, à d'autres moments. Cependant les travaux conduits par plusieurs équipes de recherche montrent la difficulté à organiser des activités d'investigation reposant sur d'autres choix didactiques : l'enseignant manque de repères objectifs pour l'aider à situer le travail des élèves et fixer des priorités. Différents outils, issus de la recherche en didactique, sont susceptibles de jouer ce rôle ; ils devraient aider les enseignants à réfléchir aux enjeux des activités expérimentales qu'ils proposent aux élèves et à accepter de s'aventurer dans de nouvelles modalités.

BIBLIOGRAPHIE

BERNARD C., Introduction à la médecine expérimentale, Paris : Flammarion, 1984.

BOMCHIL S., DARLEY B., L'enseignement des sciences expérimentales est-il vraiment inductiviste ?,

Aster, 1998, 26, 85-108.

CANGUILHEM G., Études d'histoire et de philosophie des sciences, Paris : Vrin, 1968. GIL-PEREZ D., Apprendre les sciences par une démarche scientifique, Aster, 1993, 17, 41-64.

JOSHUA S., DUPIN J.-J., Introduction à la didactique des sciences et des mathématiques, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.

JOSHUA S., La popularité de la notion de "compétence" peut-elle se comprendre comme une réponse inadaptée à une difficulté didactique majeure ?, Raisons éducatives, 1999, 2, 115-127.

(6)

GRMEK M., Claude Bernard et la méthode expérimentale, Paris : Éditions Payot, 1991.

ORLANDI E., Conceptions des enseignants sur la démarche expérimentale, Aster, 1993, 13, 111-132. SCHNEEBERGER P., RODRIGUEZ R., Les lycéens face à une investigation à caractère expérimental : un exemple en classe de Première S, Aster, 1999, 28, 79-106.

Références

Documents relatifs

2017 Analyse génomique chez le triticale (8x) et leurs géniteurs (blé et seigle) par les techniques C-banding, N-banding et Hybridation in situ : Identification de

2) Pourquoi un des scientifiques avait donné le nom d’atomes aux plus petites particules qui, pour lui, constituaient la matière ? Pour répondre à cette question,

Ce principe actif, insoluble dans la solution gastrique (pH=2) sous sa forme acide AH, est lentement assimilé par la muqueuse gastrique, ce qui a un effet corrosif pour

ont développé tout un programme de préparation (Programme « ADVANCE ») pour les parents et les enfants en donnant un rôle central et actif aux parents, permettant ainsi

Les termes « usages » et « usagers » connaissent depuis un temps un succès certain (Jacques GUYOT, in André VITALIS (sous la dir), 1994, 75) et sont constamment employés dans

Si l’interprétation du monopole de fait réside bien dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la qualification de service public national a posé, dans le

D’autre part, les exemples du vélo, de l’aviation et des autoroutes aux USA permettent de mettre en avant que les processus d’élaboration des objectifs et les processus

[r]