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L'autre dans les Cahiers des droits de l'homme, 1920-1940 : une sélection universaliste de l'altérité à la Ligue des droits de l'homme et du Citoyen en France

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L'Autre dans les

Cahiers des Droits de l'Homme,

1920-1940. Une

sélection universaliste de l'altérité

à

la Ligue des Droits de l'Homme

et du Citoyen en France.

Cylvie Claveau

Department of History

McGill University, Montréal

September 2000

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research

in partial fultilment of the requirements of the degree of Ph.O.

(4)

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(5)

ÀtOlls celee età toutes celles qui identifient leurs destinéesà celles de ces héros tragiques:

Julie" Sorel (Stendhal) Grégoire Samsa ( Fran:. Kafka) Tchamoïevitclz (MUas TsenlialZski) Chloé (Boris Vian) Jean le Batailleur (Zaclzary Richard)

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Remerciements

Ceci est une thèse. De la même façon que le "Ceci n'est pas une pipe" (René Magritte). est une description honnête et un performatif artistique. "Ceci est une thèse" est une description honnête et un performatif académique. Le "Ceci n'est pas une pipe" (...mais un tableau) a le bénéfice. lui. de rendre compte des conditions de réalisation qui sont incorporées à l'oeuvre de Magritte. Dans le cas de cette thèse. comme les conditions de production ne sont pas incorporées au texte. il est essentiel de les évoquer ici.

D'abord. la production de cette thèse a été grandement facilitée par l'obtention d'une bourse du Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada. CRSH pour l'année 1996-1997. Elle a été aussi possible grâce à une solide direction. Je suis très reconnaissante au Pro Norman Ingram. Concordia University d'avoir accepté de diriger cette thèse. Le Pr. Ingram m'a non seulement proposé ce sujet de recherche. intégré à son équipe de recherche durant pratiquement deux ans et s'est avéré dans l'adversité comme dans l'allégresse un homme stable. un lecteur intègre et un intellectuel rigoureux. mais surtout. il a accepté de me suivre dans mon approche historienne singulière sans mot dire. Bien sûr. le Pro Ingram n'est pas responsable des erreurs ou des errances inhérentes à cette approche. Mon directeur fut audacieux et je le remercie. Je dois remercier également le Pro John W. Hellman et le Pro Pierre H. Boulle de McGill University avec lesquel j'ai préparé mon examen de synthèse. Je suis redevable particulièrement au Pro Boulle, dont l'enseignement m'a fait progresser à l'exposant dix. Le Pro Boulle fut pour moi à la fois un professeur inspirant. un historien enthousiasmant et un modèle de probité.

Avec eux. bon nombre de professeur-es de McGill University. de Concordia University et de l'Université du Québec àMontréal (UQÀM) doivent être mentionnés pour leur contribution indirecte mais néanmoins déterminante à cette réalisation. L'influence intellectuelle, l'amitié et le respect que je porte à leurs travaux ou à leur personne m'obligent les nommer en ordre alphabétique: Pro Marc Angenot, Pro Elizabeth Elboume, Pro Catherine leGrand. Pro Andrée Lévesque (McGill), Pro Sylvie Dépatie, Pr. Nadia Fahmy-Eid, Pro Ellen Jacobs, Pr.Jean-Claude Robert (UQAM), Pro Caroline Fick et Pro John Laffey (Concordia).

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Le confort administratif dontj'ai bénéficié est attribuable I:ntièrement à Mmes Mary MacDaid, Colleen Parish et Georgii Mikula. De surcroît, Mme Mikula m'a obtenu un bureau de travail avec vue imprenable sur le fleuve Saint-Laurent que j'ai eu le plaisir de partager avec un dur travailleur et un brillant historien du Québec. Ralph P. Guentzel. Durant près de deux ans, Ralph et moi avons eu le temps de consacrer nos pauses à des discussions qui ont apporté à cette thèse son relief en matière d'altérité et d'identité. Walter Benjamin affirmait ne pas nounir d'attentes pour l'au-delà, mais soutenait pourtant avoir quelquefois rencontré des anges dans sa vie. Ralph P. Guentzel a été l'un d'eux pour moi. J'ai discuté aussi, sans doute trop longuement, avec Louise Gavard. historienne des femmes. Je la remercie pour le prêt de sa visionneuse et pour son amitié par gros temps. Par gros temps et par temps plus cléments, j'ai trouvé un havre de paix et un lieu de discussion auprès de ma savante collègue et amie Suzanne Langlois. historienne de la Résistance. Enfin. je remercie François Bouchard pour l'excellente révision linguistique de la dernière heure.

Je dois aussi remercier mes anges épistolaires. D'abord. M. André Combes. archi viste du Grand Orient de France et historien de la franc-maçonnerie française qui a répondu très gentiment à mes questions. Je remercie également Nicolas Offenstadt. historien français, qui m'a indiqué où trouver de l'or historique dans mon champ. Enfin. les Pro William D. Irvine, David Schalk. Alice C. Conklin. Vicky Caron et Joël Blau ont contribué à des remises en cause fructueuses plus qu'ils ne l'imaginent par leurs commentaires sur des textes de communications à des Congrès scientifiques. lesquels ont finalement été les ébauches de chapitres. Enfin et naturellement, je remercie Wendy Perry, l'historienne de la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen. qui m'a fourni très généreusement des réponses à mes questions à des moments cruciaux et pour elle et pour moi.

Mais il Y a eu d'autres anges. les miens. dont le cercle s'est singulièrement rétréci ces dernières années. Je m'en tiens aux vivants. question d'honorer la mémoire des disparus. Je remercie mes parents pour l'affection qu'ils m'ont témoigné ces dernières années. Je remercie mon compagnon. Jean-Pierre Robitaille, à qui je dois tout l'as~ct informatique de mon travail des dix dernières années. Cela va exactement de l'élaboration des nombreux fichiers. au traitement des données, à la confection de tableaux, à sa grande maîtrise de la rhétorique du chiffre jusqu'à sa redoutable vigilance logicienne sur les limites de mes interprétations. Enfin. je remercie mon fils~ Guillaume, pour son intransigeance de philosophe et le haut-rendement de bonheur, de confiance et d'espoir qu'il sait produire et atteindre.

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Résumé

Cette thèse pone sur la figure de l'Autre au regard des membres d'une association essentielle dans l'espace public français durant l'entre-deux-guerres: La Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen (LOR). Cette thèse comporte deux parties distinctes: Eux~ les ligueurs et l'Autre~ les colonisés~ les "étrangers", les réfugiés politiques et les réfugiés ethniques. Cette thèse démontre comment, au nom de l'universalisme, toutes ces catégories composant la figure de l'Autre peuvent être égales théoriquement~ bénéficier dans les faits d'un traitement différentiel et se voir hiérarchisées sur une échelle graduée du mépris par la pratique discursi ve des ligueurs français.

Abstract

This doctoral dissertation e;l(amines the position of the Other with regard to the Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen (LOH) in France during the interwar period of the twentieth century. A key institution of French political and intellectual life, the Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen exemplified the confrontation and contradiction between theory, discourse, and reality. The dissertation is divided into two pans: the first part introduces Them, the members of the Ligue: while the second part describes (or identifies) the Other, the colonized migrants, the foreigners. the political and ethnie refugees of the interwar period. This research demonstrates (hat, although in theory these groups were considered equal in the name of universalism, in practice the discourse of the Ligue discriminated against them. The evidence shows that the members of the Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen despised ail foreigners~ and established the level of discrimination according to a hierarchy of contempt.

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Table des matières

Introduction générale 1

Chapitre 1: Problématique. sources et méthodes 7

1.1- Problématique 9

1.1.1-Le système d'économie-monde européen Il

1.1.2- Topographie de l'Autre dans le système

d'économie-monde européen 13

1.1.3- L'idéologie uni versaliste 16

1.2- Sources 21

1.3- Méthodes 28

1.3.1- Du bon usage de l'altérité 29

1.3.2- Les méthodes d'analyse du discours 32

1.3.3- Rhétorique et intentionnalité 38

1.3.4-Ladémarcation ethnocentrique rétroacti ve el le discours

raciste 43

Chapitre 2: Eux. Histoire et structures institutionnelles de la LDH 49 2.1- Histoire sommaire de la Ligue des Droits de l'Homme el du

Citoyen 1898-1940 50

2.1.1- De l'Affaire Dreyfusàl'Union Sacrée 51

2.1.2- De l'Union Sacréeà 1933 61

2.1.3- De 1933 à la Seconde Guerre mondiale 69

2.2- Effectifs, Statuts, infrastructures de rassociation 77

2.2.1- Les Sections de la LDH 81

2.2.2- Les Fédérations de Sections de la LDH 82

2.2.3- Le Comité Central de la LDH 83

2.3- Ligue d'Action Universitaire, Républicaine et Socialiste.

L.A.U.R.S. Des Jeunesses de la Ligue 87

2.4-La Ligue française et ses Ligues-soeurs dans la Fédération Internationale des Ligues de défense des Droits de l'Homme et

du Citoyen 97

2.5-LaLigue dans la vie politique française.LeGroupe

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Chapitre 3: Eux: profil sociologique et politique 112

3.1- Considérations méthodoiogiques sur la constitution du fichier

"Ligueurs et .gueusesl' " .114

3.2- Résultats de l'analyse du fichier "Ligueurs et ligueuses":

catégories socioprofessionnelles 119

3.3- Résultats de l'analyse du fichier "Ligueurs et ligueuses": postes

électifs et appartenances politiques 135

3.4- Résultats de l'analyse du fichier "Ligueurs et ligueuses":

appartenances politiques 140

3.5-Leportrait-type introuvable? Les figures exemplaires de

l'Étut-major de la LDH 146

3.5.1-Le ligueur exemplaire des présidents de Sections de la

LDH: Louis Blémant 147

3.5.2.-Le ligueur exemplaire des présidents de Fédérations de

Sections de la LOH: Henry Nony 148

3.5.3-Le ligueur exemplaire du Comité central de la LOH:

Théodore Ruyssen 150

3.5.4- Le ligueur exemplaire: Michel Alexandre 154

Chapitre 4: L'Autre colonial 166

4.1- La question coloniale à la LOH: structures et expert-es 170 4.2- Les ligueurs artisans de la politique coloniale de la France

1924-1934 181

4.3-Lapolitique coloniale de la LOH: un simulacre d'affrontement 195 4.4- L'anticolonialisme de Félicien Challaye: un orientalisme? 206

Chapitre 5: L'Autre européen 210

5.1- L'Occident ligueur: une Europe civilisée circonscrite à l'Ouest. 215 5.1.1.- Une cenaine idée de la France et de l'esprit français

comme esprit occidental 220

5.1.2.- Le crépuscule de l'Occident ou le malaise européen 230 5.2-Lejaillissement de "l'asiatisme" aux coutures de l'Europe

centrale et de l'Europe de l'Est 241

5.2.1-"L'asiatisme", contenu d'une notion 243 5.3-Le rejailliss~ment de Itasiatisme en Europe de l'Ouest: le

mouvement communiste 253

5.3.1.- Du Congrès mondial contre la guerre impérialiste.

Amsterdam (1932) au Front populaire français de 1936 258

(11)

Chapitre 6: L'Autre européen errant: les étrangers en France 279

6.1- Les étrangers en France: main-d'oeuvre étrangère et réfugiés

politiques 282

6.1.1- Les expulsions massi ves d'étrangers ou Mozart

assassiné 287

6.1.2-Lacontribution de la LDHàl'élaboration d'un statut juridique des étrangers en France: la Commission des

étrangers 190

6.1- l'Autre italien des années vingt et l'Autre allemand des années

trente. Analyse du traitement différentiel des réfugiés 304

6.2.1- Les réfugiés italiens 305

6.2.2- Les réfugiés allemands .313

6.2.3- Analyse du traitement différentiel réfugiés

italiens/réfugiés allemands 323

Chapitre 7: L'Autre européen errant: la question juive 332

7.2- Lesnumerus claususeuropéens des années 1920 335

7.3- Les pogromes européens 1920-1934 342

7.4- Sionisme et assimilation 350

7.5- L'AntisémitismeàlaWH 364

7.6- Le nazisme allemand des années 1930 376

Conclusions générales 388

Bibliographie 40 1

Annexe 1 1

Annexe 2 60

(12)

Tableaux et figures

Chapitre deux:

• Figure 2.1- Effectifs de la LDH. 1914-1938

• Figure 2.2- Nombre de Sections de la LDH. 1914-1938

Chapitre trois:

• Tableau 3.2.1- Répartition des ligueurs et ligueuses et de la population française selon les grandes catégories professionnelles. 1920-1940.

• Tableau 3.2.2- Répartition des ligueurs et ligueuses dans les professions libérales. selon la profession. 1920-1940.

• Tableau 3.2.3- Répanition des ligueurs et ligueuses professions littéraires et anistiques. selon la profession. 1920-1940.

• Tableau 3.2.4- Répartition des ligueurs et ligueuses employés et cadres. selon la profession. 1920-1940.

• Tableau 3.2.5- Répartition des ligueurs et ligueuses anisans. commerçants et industriels. selon la profession. 1920-1940.

• Tableau 3.3.1- Nombre de postes-personnes. Postes électifs occupés par les ligueurs. 1920-1940.

• Tableau 3.3.2- Nombre de postes-personnes. Postes électifs occupés par les membres et nominés du Comité Central. 1920-1940.

• Tableau 3.4.1- Nombre d'appartenances-personnes aux Partis et associations politiques des ligueurs et ligueuses du Comité Central. 1920-1940.

Chapitre six:

• Figure 6.1- Flux migratoire des étrangers en France 1920-1938

• Tableau 6.2.1- Affaires et démarches de la LDH. 1930-1939

• Tableau 6.2.3- Démarches de la LDH en faveur des réfugiés allemands et de l'ensemble des étrangers de toutes nationalités 1933-1935.

(13)

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Commençons par une histoire. En d'autres temps. nous avons collaboré à une recherche sur les rituels civiques des panis et organisations de gauche sous le Front populaire en France. La perception que nous avions alors de la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen (LOH) se résumait à deux représentations exactement: l'Affaire Dreyfus (1898), l'acte de naissance de la LOH et Victor Basch participant aux grands défilés du Front populaire (1936). Sur les photographies de la presse de gauche on pouvait voir ce vieil homme digne et grave. vêtu d'une lavallière. aux côtés d'un Léon Blum rayonnant et portant. avec élégance, chapeau. gants et guêtres. Ces deux représentations, toutes superficielles qu'elles étaient, représentaient alors et représentent encore aujourd'hui deux des moments les plus glorieux non seulement de l'histoire de la LDH. mais de l'histoire de la Troisième République. de la France et de la démocratie occidentale.

Dès lors, on comprendra l'intérêt que constituait pour nous de nous joindre à une équipe de recherche dont l'objet de recherche était la LOH. Peu après, àl'étape de l'indexation infonnatique des Cahiers des Droits de ['Homme (1920-1940), on nous a proposé d'en faire notre sujet de dissertation. Dans cet immense sujet. nous nous sommes taillé un territoire: l'Autre dans les Cahiers. l'Autre pour les ligueurs. ce que l'on dit de l'Autre. ce que la LOH fait pour l'Autre et comment elle le fait. Disposant d'un sujet, d'un territoire de recherche et d'outils conceptuels suffisants nous avons entrepris ce très long dépouillement toujours avec ces deux incarnations de la Vertu civique en tête. Quel ne fut pas notre désenchantement à la lecture et à l'analyse du discours, des actes, des silences, des impuissances et des statistiques de la LOH! S'agissant de l'Autre. la question des Droits de l'Homme et des libertés indi viduelles ne se posait pas sur le même registre et empiriquement. cela crevait l'écran de notre visionneuse, tous les Autres, femmes. colonisés. "étrangers" chez eux. "étrangers" en France, main-d'oeuvre étrangère et coloniale. réfugiés politiques et réfugiés ethniques n'étaient pas égaux en "nature". C'est àce moment-là que nos outils conceptuels nous sont apparus essentiels et que nous a été confinnée l'idée que toute démarche scientifique commence par le désenchantement.

Pour ces raisons, le premier chapitre de cette étude porte sur nos outils conceptuels. Notre cadre théorique s'inspire et amalgame des études les plus significatives dans le domaine de la sociologie, de l'anthropologie. des études féministes, de la philosophie et de l'histoire portant sur l'exclusion sociale. le racisme et le sexisme. Les dénominateurs communs aux travaux desquels nous nous sommes

(14)

inspirés pour notre cadre théorique restent le lien opéré entre sexe, classe et "race" et, disons-le tout de suite, une conception matérialiste de l'histoire. Aussi les études de sociologues et d'anthropologues comme Immanuel M. Wallerste~ Collette Guillaumin, Edward Saïd, Pierre Bourdieu, des linguistes comme Jean-Pierre Faye et Benito Pelegrin et de philosophes comme Antonio Gramsci, Edmund Husserl et Emmanuel Lévinas nous ont servi de plan, de carte et de boussole pour appréhender les motifs de cette inégalité de traitement constatéel .

Une fois le cadre théorique posé, nous divisons notre étude en deux parties: Eux et l'Autre. Deux chapitres, les chapitres deux et trois, ponent sur Eux.

Le

premier consiste en une analyse historique et institutionnelle de la LOR, tandis que le second fait un portrait socio-politique des membres de la LOR, les ligueurs. Cette première panie nous permettra de comprendre le lieu d'énonciation du discours et les énonciateurs du discours sur l'Autre. La deuxième partie de cette étude porte sur l'Autre. Elle compone quatre chapitres. Seront abordés dans l'ordre: l'Autre colonial au chapitre quatre, L'Autre européen au chapitre cinq, L'Autre européen errant au chapitre six et l'Autre européen errant: la question juive au chapitre sept. L'hypothèse de cette étude vise à expliquer cet ordonnancement de l'Autre sur l'échelle graduée du mépris des ligueurs français autrement que par l'ignorance ou la proximité physique avec l'Autre.

Née de l'Affaire Dreyfus en France, la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen s'est donné pour mandat, la protection de la République, des principes "universels" des Déclarations de 1789 et de 1793 et, sunout, la défense des victimes de l'injustice et de l'arbitraire, quelles que soient leur nationalité, leurs convictions religieuses et leur appartenance politique et sociale.LaLDR, durant tout l'entre-deux-guerres, déploie une activité considérable au secours de ces victimes dont l'Autre est la principale composante. Mais cette activité est mesurée. Ce qui détermine le secours apporté par la LOH est le degré d'altérité2 de l'Autre, victime de l'injustice et de l'arbitraire, et ce degré est fonction de l'estimation que se font les ligueurs du niveau de développement de la Civilisation dont l'AutTe est issu.

Or, ce degré de développement a peu à voir avec la distance géographique et culturelle avec l'Autre, mais tout à voir avec l'ordre de préséance des Nations et des

1 Tous et toutes seront cités abondammentdans le premier chapitre et des références précises seront fournies alon. Nous déclinons cette liste iciafinde situer le lecteur et la lectrice sur l'orientation delathèse.

2 Nous proposons icit pour le moment, une défmition simple: l'altérité peut se définir à la fois

comme la nature du rapport que l'on entretient avec l'Autre, l'étranger. le différent, l'anormal...ct la désignation du caractère d'étrangeté constaté.

(15)

groupes sociaux dans le système d'économie-monde européen de l'entre-deux-guerres. En fait. ce degré de développement de la Civilisation de l'Autre est tributaire de la position périphérique ou semi-périphérique des États-Nations au développement inégal à l'ère des impérialismes et c'est cela qui est détenninant en dernière instance. Racisme, sexisme et exclusion sociale n'y tiennent que la fonction d'adjuvant et permettent de hiérarchiser les Autres sur une échelle graduée du mépris à l'intérieur des États-Nations d'abord. puis du Centre. (Europe de l'Ouest) vers la semi-périphérie, (Europe de l'Est, Europe centrale et Balkans) et enfin. vers la périphérie (les colonies). Ainsi le regard que portent les ligueurs français sur l'Autre est conditionné par la position relative de la France dans le système d'économie-monde européen de l'entre-deux-guerres lequel. dans les années 1930, entre dans une crise profonde et se reconfigure.

La deuxième partie de cette étude s'organise en sens inverse, de la périphérie vers le centre, c'est-à-dire de l'Autre colonial vers ceux qui afflueront en France et demanderont du secours à la LDH. dans les années 1930: les réfugiés ethniques et politiques des fascismes européens. Nous avons opté pour cet ordre d'exposé afin de rendre compte de cette crise au cours de laquelle l'ordre de préséance des Nations et des groupes sociaux dans ce système se modi fie et génère. dans les sphères du politique et de l'idéologique. des revirements spectaculaires. Dans ces revirements spectaculaires. la LDH représente la pierre de touche. le collimateur et la gardienne stable d'une des idéologies cautionnant la hiérarchisation des Autres sur une échelle graduée du mépris: l'universalisme. Une fois les Droits de l'Homme. les libertés individuelles et l'idéal méritocratique proclamés universels. il devient impossible d'expliquer la défaite des perdants et leur statut de victimes autrement que par leur "nature".

n

ne reste alors qu'à étayer ce manque. cette absence et cette insuffisance de l'Autre par la classe, le sexe ou la "race". Ce travail requiert l'intervention du langage, du discours amarré à une idéologie ancrée et diffusée par un groupe dominant. Et. nous le verrons dans cette étude. les ligueurs sont un groupe dominant dans la société française de l'enue-deux-guerres. La construction de l'altérité a été un travail argumentatif et classificatoire d'envergure auquel les ligueurs ont pris part dans l'espace public français de l'entre-deux-guerres. Nous verrons ici que la contribution des distingués membres de la LDH à la construction de l'altérité et à la sélection universaliste de plusieurs catégories de victimes de l'injustice et de l'arbitraire aussi modeste et aussi subtile qu'elle ait été. fut pour quelques-unes de ces catégories altérisées aussi préjudiciable que les discours tonitruants des idéologues des "ligues factieuses" .

(16)

Passons enfin aux travaux des historiens et des historiennes portant sur notre sujet. TI n'existe pas d'études portant sur l'Autre à la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen. L'altérité est encore un domaine en friche chez les historien-nes. Toutefois depuis l'étude pionnière d'Edward Saïd3 l'historiographie de l'altérité s'est

considérablement enrichie d' études novatrices sur l'Autre en Europe"'. Mais pour autant "'ce que l'on dit de..." l'Autre en général et comment se vit l'altérité en France durant l'entre-deux-guerres a été très peu abordé.

Par contre, s'agissant d'Eux, les ligueurs de la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen, l'historiographie est beaucoup plus riche et se présente en deux. cercles concentriques: le premier cercle comprend l'histoire de la LDH comme telle et le s~cond, l'histoire des intellectuels. Pour l'histoire de la LDH. ilexiste depuis peu une thèseS. Wendy Perry. l'auteure de cette thèse de près de mille pages, fait une histoire institutionnelle de la LDH et une prosopographie des ligueurs. C'est une thèse référentielle et incontournable pour comprendre l' histoire foisonnante de la LnH et des ligueurs. A cette thèse s'ajoutent quelques articles de revues scientifiques portant sur des aspects particuliers et très circonscrits de l'histoire de la

LDH6.

Mais là aussi

il faut envisager un territoire plus vaste d'étude que l'histoire de la LDH proprement dite. C'est le cas des travaux de Norman Ingram, par exemple, qui couvrent un aspect

3 Edward W. Saïd. L'orientalisnre. L'Orient c:-éé par l'Occident. nouvelle édition augmentée. traduit de l'américain par Catherine Malamoud. préface de Tzvetan Todorov. postface de l'auteur traduite par Claude Wauthier. Paris. Éditions du Seuil. 1997. 423 pages.

" Benrand Badie et Marc Sadoun.L'Autre. Études réunies pour Alfred Grosser. Paris. Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques. 1996. 318 pages. Thierry Hentsch. L'Oriem inraginaire. La vision politique de l'Est nréditerranéen. Paris. Éditions de Minuit. 1988. 290 pages. coll. "Arguments".;. Tzvetan Todorov. Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine.Paris. cd. du Seuil. 1989.453 pages. coll. "Lacouleur des idées".

S Wendy Perry. "Remembering Dreyfus: The Ligue des Droits de l'Homme and the Making of Modem French Human Rights Movement". PhD. dissenalion. University of Nonh Carolina al Chapel Hill. 1998. 949 pages et XXXVI.; Pour la période postérieureà 1945. Eric Agrikoliansky. Le Comité Central de la Ligue des Droits de l'Homme de 1945 à /986. Paris. mémoire de l'Institut d'Études Politiques (IEP). 1990 ainsi qu'un article. "Biographies d'institution et mise en scène de l'intellectuel.

Lescandidats au Comité Central de la LDH". PoUtu.no. 27. troisième trimestre 1994. pp. 94-110. On apprend dans ce remarquable article que l'auteur a soutenu une thèse en 1997. "LaLigue des droits de l'homme, 1947-1990. Pérennisation et transformation d'une entreprise de défense des droits de l'homme". Institut d'études politiques de Paris.;

6 Monica et Jean Charlot. "Un rassemblement d'intellectuels. La Ligue des Droits de l'Homme"

Revue Nationale de la Fondatioll des Sciences Politiques, 1959. pp. 995-1025. Emmanuel Naquet~

"Aux origines de la Ligue des droits de l'homme: l'Affaire Dreyfus el les intellectuels". Bulletin du CenlTe d'Histoire de la France conremporaine.no.l1. 1990. pp. 62-81. William D. Irvine. "Politics of Human Rights: A Dilemma for the Ligue des Droits de IHomme". Historical Reflectiolls/Réflexions Historiques. vol. 20. no. 1. Winter 1994. pp. 5-28. Norman Ingram. "Defending the Rights ofM~n:

The Ligue des droits de l'homme and the Problem of Peace". chapitre 8 dans Peter Brock et Thomas Paul Socknat. Challenge to Mars: pacifismfrom 19/8 to 1945. Toronto. University of Toronto Press.

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tout à fait inconnu des histoires officielles de la LDR et largement méconnu par l'historiographie française au moment de la publication de sa thèse: le pacifisme français7 •

n y

a enfin les histoires officielles de la LDH8. Écrites le plus souvent par des ligueurs et des ligueuses et bien souvent destinéesàcommémorer les fondateurs et les fondatrices, leurs combats et les grands événements ponctuant la vie de l'association. ces histoires restent délicates à utiliser. Par contre, les deux numéros spéciaux des deux organes officiels de la LDH publiés récemment à l'occasion du centenaire sont éclairants sur l'orientation des recherches àce sujet en France bien que ces articles soient très couns et quelquefois a-critiques. À cet égard. le numéro spécial de centenaire du Mouvement social est plus intéressant9 . Néanmoins les histoires officielles et les numéros spéciaux de centenaires rendent compte d'un état d'esprit et de la culture associative qui prévaut à la LDH de 1898 à nos jours. Aussi pour notre propos cette production commémorative représente un intérêt cenain: elle nous pennet de comprendre ses membres les plus en vue qui nous sont invariablement présentés comme des intellectuels. D'où la nécessité de prendre en compte le second cercle de l'historiographie: les études sur l'histoire des intellectuels.

L'histoire des intellectuels a pris un essor considérable depuis la parution des thèses de Jean-François Sirinelli10, Christophe ProchassonIl et de Christophe

7En fait. il est question des ligueurs dans tous les travaux de l'auteur ponant sur le pacifisme français du fait que les membres les plus éminents des associalions pacifistes en France sont égalemem des ligueurs actifs au CC de la LDH. Parmi ceux-ci: Norman Ingram. "Ni droite. ni gauchc'!...or Padfism Versus Antifascism in Late Interwar France". Proceedings of flle Ammal Meeting of the Western Society for French History. vol. 17. 1990. pp. 472-480. Norman Ingram. Tire PoUtics of Dissent: Pacifism in France 1919·1939. Oxford. Clarendon Press. N.Y.• Oxford University Press. 1991. 366 pages.

8 Joseph Reinach. Histoire de l'affaire Dreyfus. Paris. Éditions de la Renie Blanche: 1901· 1908.6 volumes.; Mathias Morhardt. L·oeuvre de la Ligue des Droits de l'homme1898-/9/0.Editions de la LnH. 1911. 234 pages; Henri Sée. Histoire de la Ligue des Droits de tHomme (/893-1926).

Paris. LDH. 1927.;Le livre d'or de la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen. Éditions de la LDH. 1927.; Charensol.Histoire de l'Affaire Dreyfus.Paris. Kra. 1931.; brochures de la Ligue dont un grand nombre tirées d'articles des Cahiers (1899-1936). [s.a.l. "Nos brochures". Cahiers. no. 27. 1936. p. 656. Bernard Deljanie. Bernard Wallon et al. La Ligue des Droits de l'Homme. VII combat dans le siècle.Paris. Études et Documentation Internationales. 1988. 150 pages et deux numéros spéciaux des deux organes officiels de la LDH produits pour le centennaire: les nos97/98 de Hommes & Libenés.

1998 et les no. 403-404. deAprès-demain.avril-mai 1998.

9 Numéro spécial dirigé par Madeleine Rebérioux consacré à la Ligue pour son centenaire:Le Mouvement social.avril-juin 1998. no. 183.

10 Jean-François Sirinelli. Génération intellectuelle. Normaliens et Khâgneux dans l'entre-deux-guerres. Paris. Fayard. 1988. 721 pages.

Il Christophe Prochasson.Les intellectuels. le socialisme et la guerre. 1900-1938.Paris. Seuil. 1993.354 pages. coll. "L'univers historique".

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Charle12•Cet essor nous semble avoir été provoqué par les travaux de Tony Judt13, de Zeev Stemhell14 et par les études de sociologie de Pierre Bourdieu sur la Noblesse

d'État15•Ces trois auteurs ont contribué chacun à leur façon à affaiblir le paradigme gauche-droite qui dominait l'historiographie jusqu'alors. L'essor de l'histoire des intellectuels a été la réponse des historiens français à la crise de ce paradigme et s'est traduit par un colossal investissement du côté de l'élaboration d'instruments de travail16et d'histoire des intellectuels et des grandes écoles dont ils sont issus17.Grâce

àces travaux, ces études et surtout ces instruments de travail, les historiens disposent maintenant d'une bonne connaissance biographique des intellectuels en France mais aussi d'une appréhension méticuleuse des réseaux institutionnels, académiques et socio-politiques dans lesquels ils se meuvent et se promeuvent mutuellement.

En somme l'historiographie de la LDH n'est pas encore à l'image de son histoire foisonnante. fi existe quelques thèses, des études pionnières et une longue tradition d'histoire domestique. Celle des ligueurs, quant à elle, se trouve incluse dans l'historiographie des intellectuels ou des "élites" en France. Nous prenons appui sur l'ensemble de ces travaux mais notre approche dont il sera question aux deux chapitres suivants s'en distingue nettement et nous dirions même absolument.

12 Christophe Charle,Les Élites de la République 1880-1900,Paris, Fayar~ 1987, 556 pages, coll. "L'Espace du politique".

13 Tony Judt,Le marxisme et la gauche française, trad. par P.E. Dauzat, Paris Hachette, 1987, 353 pages, coll."Laforce des idées".

14 Zeev StemheU,Maurice Barrès et le nationalisme français, le éd. 1972, Bruxelles, Éditions Complexe, 1985, 398 pages, coll. UHistoriques'\ no 26. Zeev Stemhell, La droite Révolutionnaire. 1885-/914. Les origines françaises du fascisme, Paris, Seuil, 1978, 442 pages et "Paul Déroulède and the Origins of Modem French Nationalism",Journal ofContemporary History.vol. 6, no. 4, 1971, pp. 46-70.

15 Pierre Bourdieu,Lanoblesse d'Etat. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Les Editions de Minuit, 1989, 569 pages, coll.IOlesens commun'·.

16 Christophe Charle, Dictionnaire biographique des universitaires aux XlXe et XXe siècles: 1809-1908. Les professeurs de la Faculté des lettrs de Paris, dictionnaire biographique 1909-/939,

Paris, Institut National de Recherches Pédagogiques, Editions du CNRS, 1985-1986, 2 vol., coll. "Histoire biographique de l'enseignement" et Les professeurs du Collège de France. Dictionnaire biographique 1901-/939.Paris, Institut National de Recherche pédagogique, Editions du CNRS, 1988, 246 pages, coll. "Histoire biographique de l'enseignement" et Les professeurs de la Faculté des sciences de Paris. Dictionnaire biographique 190/-1939. Paris, Institut National de Recherche Pédagogiques, Editions du CNRS, 1989, 270 pages, coll. 6'Histoire biographique de l'enst>ignemcnt" et enfm La République des universitaires: 1870-1940. Paris, Editions du Seuil, 1994, SOS pages, coll. "L'univers historique". Plus récemment il y a eu également Michel Winock et Jacques Julliar~

Dictionnaire des intellectuels,Paris, Éditions du Seua 1997.

17 Jean-François Sirinelli et Pascal Ory, Histoire des intellectuels français depuis l'Affaire

Dreyfus, Paris, A. Colin. 1986. Jean-François Sirinelli, "Le hasard ou la nécessité? Une histoire en ch4Jltier: l'histoire des intellectuels", Vingtième siècle, no. 9 Janvier-Mars. 1986. et École normale supérieure. Le livre du bicentelUJire, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, 456 pages. Jean-Noël Luc et Alain Barbé, Des normaliens. Histoire de l'Éco!e normale supérieure de Saint-Cloud,

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CHAPITRE

1:

PROBLÉMATIQUE, SOURCES ET MÉTHODES

L'Autre dans les Cahiers des Droits de !'Homnze, 1920-1940. Une sélection universaliste de l'altéritéà la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen en France. Dans ce titre sont indiqués le sujet, l'angle d'approche. les sources. le lieu, la périodisation et l'hypothèse principale de cette étude. Le titre sous-entend également que l'étude intégrera, de façon subsidiaire. un questionnement sur l'identité" donc sur Eux. et qu'elle sera une analyse de la représentation de l'Autre. telle qu"elle se dégage des Cahiers. Mais ce titre ne dévoile rien des considérants théoriques préalables et des méthodes que nous éprouverons ici. Ce chapitre placé en avant-plan des deux panies constitutives de cette étude. Eux et l'Autre. remplit cet office. Il doit donc être considéré comme un préliminaire méthodologique. Il précise le sujet de l'étude. rend compte des objectifs généraux, de notre approche méthodologique. du traitement des sources et vise sunout à expliciter le cadre théorique. les concepts et les notions à l'aide desquels cette étude sera menée.

La première panie présente la problématique d"ensemble. Seront évoquées ici les circonstances dans lesquelles nous avons circonscrit l'Autre à travers le discours des ligueurs français. membres d'une association dont l'Une des missions principales est la défense des victimes de l'injustice et de l'arbitraire: femmes. colonisés. étrangers. etc. L'Autre. ainsi compris, ce sont ces victimes pour lesquelles la WH entreprend des démarches juridiques et politiques auprès des pouvoirs publics français et à propos desquels les ligueurs s'expriment. Mais ces démarches sont effectuées selon une logique de hiérarchisation ethnique. sexuelle et sociale perceptible dans le discours ligueur. Voilà ce que cette étude tente de démontrer" de comprendre et d'expliquer.

Pour ce faire. nous avons eu recours aux études théoriques provenant des disciplines voisines de l'histoire: la sociologie, l'anthropologie. la philosophie, la linguistique et les études féministes. Nous avons emprunté à ces disciplines les outils méthodologiques et théoriques nous permettant de mener à bien cette étude. L'historiographie et sunout les méthodes historiennes relativement à l'altérité étant pratiquement inexistantes, nous avons opté pour l'interdisciplinarité. Avec tous les risques d"errance et d'arrogance que ces emprunts component, ce chapitre vise doncà

baliser ["utilisation des outils conceptuels éprouvés ailleurs qu'en histoire où, chacun en conviendra. on s'intéresse davantage à ["identité qu'à l'altérité.

Aussi ce chapitre précisera d'abord en quoi le cadre explicatif du système d'économie-monde peut nous être utile pour comprendre d'une pan. l'inégalité de fait

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entre les catégories altérisées sur une échelle graduée du mépris par les ligueurs français et d'autre part. l'égalité proclamée par l'idéologie universaliste dont la LDH est l'un des plus prestigieux pone-parole en France. Nous montrerons comment dans le discours ligueur se déploie cette échelle graduée du mépris dans le système d'économie-monde européen de l'entre-deux-guerres et en quoi consiste l'universalisme des ligueurs tel qu'il est diffusé dans lesCahiers.

Dans un deuxième temps. il sera donc question des sources utilisées pour cette étude. D'abord nous ferons une analyse critique des sources primaires, les Cahiers et les publications des ligueurs et ensuite. des sources secondaires. l'historiographie. Dans un troisième temps. il sera question du traitement de ces sources. Les méthodes retenues sont ici fonction de notre objet: l'altérité. Réalité construite par le langage dans la rencontre du Même et de l'Autre, l'altérité est le produit du discours. Le

discours construit l'altérité et lui donne un sens. L'analyse du discours s'avère donc centrale à la poursuite de notre entreprise. Ce que disent les ligueurs des Autres, comment ils le disent et ce qu'ils font pour eux, tels sont les trois aspects sur lesquels doit porter l'analyse de premier niveau. Au second niveau sera considérée l'efficacité de l'entreprise de persuasion des ligueurs à propos des Autres. Pour ce. l'analyse rhétorique constitue un outil tout à fait approprié du fait que les ligueurs sont des rhéteurs hors pair nourris aux sources des traditions rhétoriques européennes pluri-séculaires. Ainsi. ils peuvent tout à la fois briller pour briller par l'éloquence et séduire pour réduire l'interlocuteur sans égards aux moyens d'y parvenir. Nous verrons que l'éloquence représente le visage de la rhétorique des ligueurs. mais que leur an de persuader par tous les moyens ne fait nullement l'économie d'une intentionnalité.

Enfin. la dernière section de ce chapitre portera sur l'analyse du mécanisme par lequel les Autres sont inégaux et racisés au nom de l'égalité dans le discours ligueur: la démarcation ethnocentrique rétroactive. Nous verrons comment concrètement ces pratiques et l'intentionnalité les animant sont repérables dans le discours ligueur. Même si l'aspect terriblement technique de cette présentation des moyens pour mettre

à jour le fonctionnement de la démarcation ethnocentrique rétroactive semble laborieux. il est un passage obligé. Cela. parce qu'il s'agit d'une pratique apparemment inconsciente. fréquente et effectuée avec une désannante désinvolture par nos acteurs sociaux. Du reste. en ce qui concerne le corpus étudié ici, cela constitue toute la beauté de la chose.

En effet. de prime abord, l'analyse en est d'autant facilitée que la rectitude politique. telle qu'on la conçoit de nos jours. en est pratiquement absente. Mais pour

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autant~ comme nous le verrons. des réflexes sociaux codifiés de censure et d'auto-censure existent chez les ligueurs. Seulement. comme les limites de l'inacceptable se situent ailleurs et sont relatives aux normes sociales de la France de l'entre-deux-guerres. le niveau d'inconscience des comportements et du discours racistes envers et à propos de l'Autre semble plus élevé que de nos jours et surtout se révèle d'emblée à quiconque l'analyse. Or~ il y là une méprise dont nous gardera la mise à jour du processus de démarcation entre Eux et les Autres, dans le discours ligueur. Le

discours ligueur est un discours nonné et informé par des pratiques inconscientes d'hostilité et de mises àdistances effectuées dans le discours social contemporain. Mais il est avant tout un discours normatif informant consciemment, à son tour, des pratiques et un discours social qui, durant l'entre-deux-guerres. passent de la xénophobie au racisme.

Ainsi notre démarche analytique de la pratique discursive hiérarchisante des ligueurs français de l'entre-deux-guerres procède du conscient vers l'inconscient. Nous passerons d'une analyse de contenu classique. ce qu'ils disent et ce qu'ils font. à une analyse rhétorique. comment ils le disent. le font et emportent la conviction. qui dévoilera leur intentionnalité. Enfin. nous verrons comment fonctionne apparemment tout seul le mécanisme de démarcation entre Eux et les Autres et dans quelle mesure. conditionné par l'intentionnalité des acteurs sociaux. il infonne. à son tour, les comportements et le discours social.

1.1-PROBLÉMATIQUE

D'entrée de jeu. relatons brièvement les circonstances de notre rencontre de l'Autre. En procédantà l'indexation informatique des Cahiers des Droits de l'Homme. organe officiel de la Ligue française des Droits de l'Homme et du Citoyen (LDH), nous avons constaté. empiriquement et à coune vue, que le traitement des questions de politique coloniale et de politique étrangère. loin d'être homogène. présentait néanmoins un dénominateur commun tout l'entre-deux-guerres: une désignation hiérarchisée de l'altérité. Une altérité plurielle représentée le long d'une échelle de civilisations dont le sorr.met était occupé par la civilisation française. plus exactement par la France républicaine du XXe siècle.

Nous avons par la suite noté que ce traitement différentiel s'exerçait également. bien que sur un autre registre~à l'égard des groupes ethniques nationaux~de la classe ouvrière française et des femmes tant nationales que coloniales. Enfin. il nous est

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apparu qu'au tournant des années vingt, la hiérarchie se reconfigurait. Nous atteignîmes ici les limites de l'empirisme. L'Autre ainsi compris englobait pratiquement tout le monde sauf les auteurs des Cahiers et le groupe social qu'il représentait par procuration, les dominants. Nous avions affaire ici à un racisme sans races, c'est-à-dire à une discrimination qui s'exerçait aussi bien à l'endroit des étrangers, des femmes que des classes sociales dangereuses. les dominés désormais racisés. C'étaitàpeu de choses près la définition sociologique du racisme ordinaire de Colette Guillaumin1.

Cette définition, avec laquelle nous sommes en parfait accord sur le fond, nous apparut très vite limitative pour l'appréhension de notre objet d'étude paniculier. Premièrement, parce qu'elle n'arrivait pas à rendre compte de la logique déterminant le regroupement et la mise en hiérarchie des catégories altérisées dans le temps autrement que dans un rappon d'oppression. Mais quelles sont les sources de l'oppression? Deuxièmement, le diptyque dominants/dominés, censé rendre compte chez Guillaumin du rapport à l'Autre, ne parvenait pas à expliquer en venu de quel principe, parmi toutes les victimes de l'injustice et de l'arbitraire, théoriquement égales pour les ligueurs, cenaines furent en pratique. pour paraphraser Georges Orwell, plus égales que les autres. Troisièmement, ce diptyque s'avérait insuffisant pour appréhender le virage observé entre la fin des années vingt et les années trente. dans le discours des ligueurs à propos des Autres2• Concrètement, comment s'était constituée la communauté d'exclusion des différents groupes sociaux et ethniques? À

panir de quels critères historiquement datés? Sous l'influence de quels systèmes d'idées, de quelles traditions politiques nationales ou de quelles nécessités politico-économiques internationales les auteurs des Cahiers hiérarchisaient les Autres, eux, membres d'une association dont la mission est la défense des Droits de l'Homme indistinctement? Enfin, pourquoi au début des années 1930 dominants et dominés ne sont plus ce qu'ils étaient auparavant?

n

semble exister un paradoxe entre la profession d'universalisme des Droits de l'Homme et le type de secours apponé aux victimes de l'injustice de l'arbitraire par la LDU selon une logique de hiérarchisation sociale, ethnique et sexuelle. D'où la nécessité de recourir à un cadre théorique qui permette d'abord d'analyser cette apparente contradiction entre l'uni versalisme invoqué tel un dogme par les ligueurs et

1 Colette Guillaumin. Lïdéologie raciste. Genèse et langage actuel.Paris. Mouton. 1972, 247 pages. Guillaumin dans cette étude pionnière analyse le "racisme ordinaire". si je puis dire. celui qui s'affirme de façon quasi-inconsciente dans les grands quotidiens français entre 1945 et 1960.

2 Virage d'ailleurs observé par Guillaumin qui considère qu'on ne peut parler de racisme avant les années 1930.

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la pratique de ségrégation des Autres, classés hiérarchiquement hors du corps politique, ensuite, d'en comprendre la dynamique sur toute la période de l'entre-deux-guerres et enfin d'expliquer le virage idéologique suivi d'une reclassification des Autres entre la fin des années vingt et le début des années trente. Le système d'économie-monde d'Immanuel Wallerstein nous semble l'option appropriée pour mener ce type d'analyse3 •Dans les sections suivantes, nous exposerons brièvement en quoi consiste le système d'économie-monde, comment concrètement il se transpose au système d'économie-monde européen des années 1930 et comment se répanissent les Autres des ligueurs français sur leur échelle graduée du mépris. Enfin. la dernière section se penchera sur l'idéologie universaliste des ligueurs.

1.1.1- LESYSTÈME D'ÉCONOMIE-MONDE EUROPÉEN

Bien que les travaux d'Immanuel Wallerstein aient été l'objet de multiples critiques historiennes depuis plus de vingt ans et qu'ils soient marqués au fer rouge par l'historiographie libérale dominante, nous utilisons néanmoins son cadre d'analyse pour les raisons suivanteso$ Premièrement, parce que seule cette approche évite

l'explication tautologique voulant que le componement de hiérarchisation des dominés sur une échelle graduée du mépris s'explique p,rr le racisme et la discrimination sociale et sexuelle des dOlninants. Selon cette logique. le racisme, le sexisme et la discrimination sociale seraient attribuables à un phénomène mentalitaire ou pire encore, à "l'air du temps". Autrement dit. on explique le racisme par la mentalité raciste des acteurs sociaux de l'époque. Mais qu'est-ce qui est à l'origine de

3 Immanuel Maurice Wailerstein.Tire Modem World S.\!stem. N.Y. N.Y. Acadr.:mic Press. vol. 1. 1975. vol. 2. 1980. et The capitalist World Economy. Cambridge. Cambridge University Press. 1979; Immanuel Maurice Wallerstein et Étienne Balibar. Race. Nation. Classes. Les idemités ambiguës, Paris. ed. de la Découvene. 1988.310 pages. coll. "Les Cahiers Libres"; J. Smith el al..

Racism. Sexism and the World Economy. N.Y .. 1988 et sunout lmmanuel MaUrice \Vallerstein.

/mpenser la science sociale: pour sonir du X/Xe siècle. trad. de l'américain par Anne-Emmanuelle Demartini et Xavier Papais. Paris. Presses Universitaires de France. 1995. 318 pages. coll. "Pratiques théoriques".

4 C'est tout à fait le contraire chez les anthropologues et sociologues desquels nous nous

sommes inspirés: Tore Bjorgo et Rob Witte. Racisl Violence in Europe. N.Y .. Saant-Manin Press. 1993.261 pages.; R.D. Grillo.Social Anthropology and tire Polilics of Language. London. Routledge. 1989. 249 pages. coll. "Sociological Review Monograph". no 36.; Michael Herzfeld. Antlrropology Trough the Looking-Glass. Crilical Erhnography in the Margins of E'lrope. Cambridge. Cambridge University Press. 1987. 260 pages.; John Wrench et John Solomos. Radsm and Migration in Western Europe, Oxford and Washington. Berg Publishers. 1995. 294 pages.; Pierre-André Taguieff.La force du préjugé: essai sur le racisme et ses doubles. Paris. Gallimard. 1990.64~ pages. coll. "TEL". no. 162;. Tzvetan Todorov.Nous el les autres. La réflexion frallçaise sur la dÙ'ersiré humaine. Paris. ed. du Seuil. 1989. 453 pages.; Denis Blondin. Les deux espèces humaines. Autopsie d'un racisme ordinaire.Paris. l'Harmattan, 1995. 268 pages. coll. "Espaces interculturels".

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l'air du temps et de la mentalité? Deuxièmement, l'armature conceptuelle de Wallerstein évite l'un des écueils du sens commun consistant à considérer que le racisme se développe du fait de la proximité physique avec l'Autres. Troisièmement, ce modèle évacue le postulat romantique selon lequel le racisme serait le fruit de l'ignorance et que conséquemment, il puisse être enrayé par l'éducation. Mais plus fondamentalement, le cadre explicatif de Wallerstein nous est utile par son envergure spatio-temporelle. par la prise en compte du lien classe-sexe-race et surtout pour le rôle qu'il attribueàl'idéologie uni versaliste.

Le système d'économie-monde, tel que le conçoit Wallerstein. fut fondé au XVIe siècle par les acteurs de l'économie européenne. marchands et artisans. sur la volonté d'accumuler du capital et de transformer en marchandise tout ce qui existait: produits. services, rapports sociaux. Les marchandises produites dans ce marché mondial devant s'écouler sans entraves. tous les particularismes apparurent très vite comme incompatibles avec le bon fonctionnement du système. Aussi. dans le fonctionnement historique du système d'économie-monde capitaliste. il exista une polarisation entre les États dominants. qui furent le centre de l'économie-monde capitaliste où s'exercèrent les échanges commerciaux. et les États dominés. se situant quant à eux à la semi-périphérie ou à la périphérie. La caractéristique principale des États se situant à la périphérie est qu'ils furent associés à la production de matières premières. La semi-périphérie, quant à elle, fut composée dtex-États dominants en perte de vitesse ou d'États en voie de domination. Selon Wallerstein. le centre de l'économie-monde entretenait un rapport d'hégémonie avec la semi-périphérie et la périphérie. lequel conditionna la division internationale du travail et entraîna un échange inégal entre les États. C'est sur cette base inégalitaire que se structura la force de travail internationale, selon la localisation géographique des peuples, la position de classe et de sexe dans les États. et selon les besoins hiérarchisés de l'économie-monde capitaliste. Pour Wallerstein, racisme et sexisme tinrent le rôle d'adjuvant dans la genèse et le fonctionnement du système d'économie-monde capitaliste, dans le sens où ils permirent d'une pan. de structurer les forces de travail des dominés et. d'autre

S Celte explication est si fréquente chez les historiens et les historiennes qu'il serait impossible de tous les citer ici.Un exemple suffira. Dans une étude. excellente au demeurant. l'auteur analyse la composition sociale et politique des troupes de Déroulède et essaie d'expliquer leur antisémitisme ainsi:

"It is significant that the quaniers of Paris where the membership of the League des Patriotes was highest also contained the highest proponional concentration of eastem European jews. who tended to enter. ortryto enter. lower middle-dass trades. and whose relative success and competitive strivings were insuumental in arousing popular anti-semitism". Peter Rutkoff. "The Ligue des Patriotes: the Nature of the Radical Right and the Dreyfus Affair" in French Historical Studies. vol. 3. no.4. FaU 1974, pp. 585-603.

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pan, decontribuer au maintien du système en utilisant ces forces de travail dévaluées du fait de leur mise en hiérarchie. Comme les études de Wallerstein l'ont montré, l'ordre de préséance dans le système inter-étatique a varié historiquement du XVIe siècle à nos jours. mais le principe hiérarchique. lui. est demeuré stable.

1.1.2-TOPOGRAPHIE DE L'AUTRE DANS LE SYSTÈME D'ÉCONOMIE-MONDE EUROPÉEN

Nous sommes en mesure d'esquisser une topographie de l'Autre dans les années vingt. pour les ligueurs de la LDH correspondant au modèle théorique de Wallerstein. Au Centre, au plan national. l'Autre est incarné dans la classe ouvrière. les étrangers. les aliénés. les criminels et les femmes. L'attitude de la LDH à l'égard de la classe ouvrière. comme de l'ensemble de ces catégories. se résume en un mot: paternalisme. Libéraux. radicaux. radicaux-socialistes. solidaristes et socialistes de la LDH sont tous engagés. de près ou de loin. dans l'entreprise de réforme sociale. Ils se perçoivent eux-mêmes comme des ingénieurs de la société. Us oeuvrent tous à la résolution de la "question sociale". Les solutions avancées sont diverses. mais ressortissent toutes d'une même idéologie réformiste6 : Assurances sociales. habitations à bon marché. coopératives ouvrières. participation aux bénéfices. éducation des adultes. Universités populaires. En ce qui concerne les femmes et les aliénés. ce sont les médecins à la Ligue qui monopolisent le discours à propos de ces catégories. De grands débats s'étalent dans les Cahiers sur t'eugénisme. l'allaitement maternel. sur l'enseignement de l'hygiène. sur la vaccination. sur la prostitution réglementée. sur le contrôle des naissances, sur la prophylaxie des maladies vénériennes. sur l'enseignement de la puériculture et sur la réforme asilaire.

Enfin, au Centre. l'Autre est incarné surtout par les étrangers en France. Mais à la différence de l'Autre domestique. il ne jouit pas des attributs de la souveraineté. Par conséquent. la situation juridique de l'Autre européen errant en France est précaire.Le

type d'interventions que mène la Ligue pour cet Autre européen errant en France varie selon l'origine ethnique des immigrants, le degré ou le potentiel d'assimilation des individus et selon leur statut; réfugié politique ou main-d'oeuvre étrangère. À cet égard, les années 1930 imposent une reconfiguration de la hiérarchie des réfugiés politiques arrivant en France. De l'arrivée massive des réfugiés de la dictature

6 Cene idéologie et le groupe qui en est porteur. dont un grand nombre sont des ligueurs. ont été étudiés par Sanford Elwitt. The Third Republic Defended. Bourgeois Refoml in France. 1880-/9/4. Bâton Rouge. Louisiana State University Press. 1986. 304 pages.

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italienne des années 1920 à celle des réfugiés des dictatures allemande. autrichienne et espagnole des années 1930. cette hiérarchie est remise à jour et se pose à nouveau le problème de ce qu'on appelle alors la "question juive". Cette question est éminemment peninente en regard du problème de l'altérité. Les Juifs non-assimilés originaires de proche ou de loin de l'Europe de l'Est constituent la quintessence de l'altérité pour les ligueurs français aussi bien dans le discours que dans la pratique d'aide aux victimes du nazisme. Cette perception conditionne en retour une réaffirmation de la distinction entre Eux et les Autres. Ainsi, le Centre perceptible dans les Cahiers circonscrit à l'Europe dans les années vingt se rétrécit dans les années trente. Les frontières entre semi-périphérie et Centre ne sont pas très nettes. Dans le discours ligueur, elles sont mouvantes et certains Européens se voient octroyer un statut comparable à celui des colonisés sur l'échelle graduée du mépris des ligueurs français durant l'entre-deux-guerres. Bien que géographiquement Européens et ethniquement Blancs, certains Européens sont néanmoins repoussés du Centre et de la semi-périphérie à la périphérie. Aux colonisés s'ajoutent des minorités nationales et des peuples entiers habitant l'Europe. Comment expliquer cela?

D'abord. les ligueurs français construisent volontiers une représentation de l'Europe correspondant aux choix de la politique extérieure de la France dont bon nombre d'entre eux sont les principaux artisans entre 1924 et 1938 etàla position que la France occupe dans le système d'économie-monde européen de l'entre-deux-guerres. Par conséquent, les dimensions de l'Europe géographique se trouvent fort réduites dans la représentation des ligueurs. Dans l'Atlas mental des ligueurs. l'Europe ne se rend pas à l'Oural russe mais, à l'Est, aux frontières de la Pologne. De la même façon. leur Atlas mental exclut une bonne partie de l'Europe centrale et des Balkans. Ces frontières mentales sont pour les ligueurs français les limites de J'Occident civilisé au-delà duquel, l'Homme occidental se bute à ces lointains descendants des Peuples cavaliers, partis d'Eurasie septentrionale au début de l'ère chrétienne et freinés, dans leurs conquêtes dé-civilisatrices, par les Gennains au Ve siècle au coeur de l'Occident. L'Autre européen trouve ici une première description, il n'est pas civilisé.

Or, àcette absence correspond une présence, l'Orient. L'Autre européen. c'est l'Européen oriental. Comme ses ancêtres. L'Autre oriental de l'entre-deux-guerres menace la Civilisation occidentale de déciin, cfoù l'impérieuse nécessité de le contenir aux limites de l'Occident "civilisé". Deux événements durant l'entre-deux-guerres nous permettent de situer géographiquement ces limites en Europe de J'Est et en Europe centrale: la Révolution bolchevique en URSS (1917) et la crise de Munich

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(1938). Ces événements agissent comme des révélateurs à l'égard de la hantise du déclin de l'Occident chez les ligueurs français. Par l'URSS. à l'Est et par la Tchécoslovaquie. au centre de l'Europe. l'Autre européen nous est ici totalement dévoilé. Des hordes de brutes sanguinaires. couteaux entre les dents. se tiennent tapies aux limites de l'Occident. n'attendant que l'occasion d'en précipiter le déclin par leur venue dé-civilisatrice. Cette action dé-civilisatrice, les ligueurs la désignent sous le nom d"'asiatisme".

Pour les ligueurs, l'asiatisme est un compol1ement atavique propre aux Slaves, se caractérisant par un degré très élevé de brutalité. de bestialité et d'hypocrisie. L'asiatisme est fondamentalement un anti-occidentalisme qui s'incarne toutàfait dans le mode de gouvernement despotique des chefs de la Révolution bolchevique et dans le tempérament du Peuple soviétique se caractérisant par une propension à l'apathie. au mysticisme et à l'auto-avilissement. L'asiatisme ainsi décrit semble donc une notion ethnique qu'il s'agisse des Slaves. des Bolcheviques. des chefs de la Révolution d'Octobre ou du Peuple soviétique. Mais l'asiatisme n'est pas seulement une notion ethnique permettant de désigner l'Autre européen. C'est un outil opératoire présentant plusieurs applications. L'asiatisme, dans la pratique discursi ve des ligueurs. racise en retour tous ceux qui sont associés aux Bolcheviques par la voie du mouvement communiste international et marque leur doctrine et leur mode d'action politique au sceau d'une altérité radicale. À cet égard. l'Autre tchèque est marqué au sceau d'une altérité moins radicale du fait de sa fréquentation historique. depuis au moins Henri IV. avec l'avant-garde de la civilisation occidentale, la France. Ils ne sont porteurs qu'à demi de cet asiatisme. En somme. l'Autre européen des ligueurs français c'est l'ensemble des Slaves européens tous porteurs à des degrés divers d'un atavisme honni: l'asiatisme.

Ainsi. entre les Européens orientaux. et les Européens occidentaux au centre de l'Europe. il ya une césure qui correspondà la frontière semi-périphérie/périphérie. Le critère ultime qui semble déterminer où cette frontière passera est très nettement celui de Civilisation et l'étalon des valeurs. la Civilisation européenne de l'Ouest. Ainsi. les Autres de la périphérie sont les peuples colonisés non-Européens dont le degré de développement des civilisations est estimé très bas par les ligueurs français qui sont par ailleurs des chauds panisans de la colonisation et du maintien de la présence française aux colonies. Le racisme ici tient toujours sa fonction d'adjuvant. Il renforce le système d'économie-monde européen. Mais dans le cas de la frontière entre semi-périphérie et semi-périphérie la justification qu'ont les acteurs sociaux de raciser ces populations d'Europe centrale et d'Europe de l'Est n'est pas évidente. Pour la

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comprendre. il est nécessaire de passer par une analyse de l'idéologie justificatrice à cet état de fait: l'idéologie universaliste.

1.1.3-L'IDÉOLOGIE UNIVERSALISTE

U.R.: Au micro ce matin. Jean-Paul Thomas, directeur de la Revue Raison présente et Alain Perrot, membre du Comité de rédaction de la même revue. Nous parlerons du numéro 122 de Raison présente "Avons-nous tort d'être universalistes?" [...lJ.P.T: Nous avons donné ce titre: "Avons-nous tort d'être universalistes?" à notre dernière parution parce qu'il se trouve que l'universalisme est aujourd'hui mis en question. [... ] A.P.: En ce qui concerne cette idée centrale de l'Interculturalisme [anti-universalisme]. la reconnaissance des identités, je crains que ce soit une impasse, qu'il y ait là un risque d'engendrement de nouveaux stéréotypes et que. en conséquence. nous n'ayons à gérer l'identité de quiconque. L'important est de transmettre ce qui nous paraît constituer effecti vement notre vraie culture. les choses auxquelles on tient, dans le domaine de la connaissance et des valeurs7 •

Nous ne tenterons pas ici de définir l'universalisme sur le plan doctrinal de l'humanisme chrétien à nos jours, ni d'analyser les divers courants s'y rapportant: cosmopolitisme. humanisme, naturalisme, essentialisme.

n

ne saurait être question non plus de discuter de la valeur intrinsèque de cette idéologie pour en déplorer l'apparente défaiteS, ni de prendre position sur le caractère unique et/ou uni versel de la Civilisation occidentale de l'Quest9 . Bien que ce soit, comme en témoigne Alain Perrot en tête de cette section, une des questions d'actualité les plus chaudement

7 Alain Perrot et lean-Paul Thomas. "Avons-nous Ion d'être universalistes? les CaJriers rationalistes. juillet-août 1997. no. 517. pp. 20-30. Nous signalons que L'Union rationaliste et son organe officielles Cahiers rarionalistes furent fondés par un ligueur. le physicien Paul Langevin. en 1930. Les objectifs alors proclamés par le fondateur ct figurant toujours en première page de la publication sont les suivants: "L'Union rationaliste ne repose sur aucun dogmatisme doctrinal ou moral. Elle est ouvene à tous les esprits indépendants qui ne se satisfont pas des idées toutes faites ou des croyances incontrôlées. Elle lune pour que l'État demeure laïque. assume véritablement sa fonction de protection des jeunes contre toute forme d'endoctrinement. ct donneàl'école publique indépendance et prestige. Elle lutte contre toutes les formes de l'irrationnel. ancien ou moderne. Elle lutte avant tout pour la liberté. dans le respect de la loi de la République".

8 Alain Finkielkraut. La défaire de la pensée.Paris. Gallimard. 1987. 186 pages. coll "Folio Essais". no. 117. Cel ouvrage polémique ne peut être considéré dans une étude sérieuse de l'universalisme. Toutefois. il est révélateur de l'état de délabrement dans lequel se meut la pensée universaliste aujourd'hui. Plus sérieux est le travail de Peter Coulmas.Les citoyens du monde. Histoire du cosmopolitisme.traduit de l'allemand par Jeanne Etoré. Paris. Albin Michel. 1995. 332 pages. coll. "BAMidécs".

9 Ce débat se tient sunout aux États-Unis et semble être déterminant dans l'orientation des politiques extérieure et d'immigration américaines. En histoire. comme les questions surgissent toujours du présent. on ne doit pas méjuger de ('imponance de ce débat. À ce sujet voir Samuel P. Hungtington. "The West: Unique. Not Universal" Foreign Affairs.vol. 75. no. 6. nov.-déc. 1996. pp. 28-46.

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débattues dans ''l'intellectualitude'' française. nous prononcer sur ces questions serait faire de la prospective ou de la politique. Mais signaler l'existence d'un débat est déjà révélateur de l'actualité et de l'envergure du problème. lesquelles confèrent à la question de l'universalisme un intérêt certain.

Notre travail consiste d'abord à dégager. par une analyse de contenu de l'universalisme des ligueurs. ses deux figures constitutives: l'ethnocentrisme et le scientisme10. Ensuite, il consiste à mettre à jour les mécanismes déterminant

l'efficacité du discours universaliste et enfin àrendre compte de l'alternance des deux figures de l'universalisme entre les années vingt et trente dans la pratique discursive des ligueurs.

L'ethnocentrisme consiste. en pratique. àériger. de manière indue. en valeurs universelles les valeurs propres à la société àlaquelle on appanient. Les idéaux de la Révolution française de 1789. le contenu des Déclarations de 1789 et de 1793, le principe d'autodétermination des peuples. l'universalisation du genre masculin et la mission d'éducation des colonisés impartie aux Occidentaux sont des valeurs propres aux ligueurs français. Plus que des thèmes ou des mots d'ordre utilisés en vue de la mobilisation. plus que des objectifs à atteindre dans la lutte pour les Droits de l'Homme. ces éléments constituent une sorte d'idéal-type transcendant. lequel. établit les valeurs de ce groupe en valeurs absolues et indiscutables.

La LDH. dès sa constitution, en 1898. et de par les statuts qu'elle s'est donnés. constitue l'incarnation parfaite de l'ethnocentrisme. En effet, elle se réclame des Déclarations de 1789 et de 1793àpanée universelle, et sur cette base elle se présente comme l'avocat de toutes les victimes de l'injustice et de J'arbitraire. quelles que soient leurs convictions religieuses et leurs origines sociales ou ethniques. De plus. à la défense du principe du droit des peuples à l'autodétennination et se plaçant au-dessus de la mêlée. elle se prétend aussi au-au-dessus des groupements politiques et de la politique nationale et internationale. La Ligue se présente à la fois comme une sorte de conscience uni verselle et comme une instance d'intercession unique auprès des États nationaux et des organisations internationales.

10 Noue analyse doit aux études de Thierry HenlSch. L'Orient imaginaire. La \'Isio" politique de l'Est méditerranéen. Paris. Éditions de Minuit. 1988.290 pages. coll. "Arguments".: John Laffey.

Civilization and ilS Disconrenred.MonuéallCheektowaga. Black Rose Books. 1993. 174 pages. Pierre-André Taguieff. La force du préjugé: essai sur le racisme et ses doubles. Paris. Gallimard. 1990. 644 pages. coll. "TEL". no. 162;. Tzvetan Todorov. Nous et les autres. La réjle.tion française sur la

diversité humaine.Paris. ed. du Seuil. 1989.453 pages. coll. "Lacouleur des idées" et se démarquant de l'ensemble des études de cette doctrine et qu'il appelle l'individualisme. Louis Dumont. Essais sur

l'individualisme. Une perspective anthropologique sur l'idéologie moderne. Paris. Seuil. 1983. 271 pages.

Figure

Figure 2.1.- EtTectifs de la LDU, 1914-1938 99
Figure 2.2- Nombre de Sections de la LDH, 1914-1938

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