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Vertiges de l’interdisciplinarité : Présentation

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Vertiges de l’interdisciplinarité : Présentation

Laurent Devisme

To cite this version:

Laurent Devisme. Vertiges de l’interdisciplinarité : Présentation. Lieux Communs - Les Cahiers du

LAUA, LAUA (Langages, Actions Urbaines, Altérités - Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de

Nantes), 2003, Vertiges et prodiges de l’interdisciplinarité, pp.7-17. �hal-03177120�

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l’interdisciplinarité

L

aurent

devisme

Présentati on

I

nterdisciplinarité. Voilà une notion aujourd'hui convenue. Presque toutes les communautés scientifiques la promeuvent, s o it sous les formes déclaratives des lignes éditoriales de revues, soit dans les contrats liant les laboratoires à leurs instances de tutelle. Les vertus qui lui sont associées sont celles d'ouverture d'esprit, de complémentarité non hiérarchique, de collaboration des savoirs, de tolérance e t d 'in te n tio n com binatoire. L'idée « d'université de tous les savoirs » a connu récemment une belle fortune, le contenant étant une vaste chambre d'enregistrement e t de décryptage du monde.

Edgar Morin est L'un des principaux auteurs des sciences sociales (ne devant pas occulter d'autres décisifs contributeurs comme Immanuel Wallerstein) ayant milité pour une connaissance inter-disciplinaire. Dans Le défi du XXIe siècle. Relier les connais­ sances (Seuil, 1999, 476p), i l a pu rappeler le défi de penser la globalité - étayé dans bien des ouvrages précédents - découlant de l'inadéquation grandissante entre un savoir fragmenté en disciplines e t des réalités multidimensionnelles e t transnatio­ nales. Simultanément, l'accroissement exponentiel des savoirs rend problématique selon lui l'organisation des connaissances autour des problèmes cruciaux. L'urgence interdisciplinaire se pare ici d'a ttrib u ts plus existentiels que ceux liés à l'organisa­ tio n pacifique de l'agencement des savoirs dans un cadre rela­ tiviste.

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lieux communs n°7 | 2003 1 Laurent Devisme

De u x m a n iè r e s d ev o ir

(1 ) Pour approfondir, je renvoie à la thèse de sociologie de Béatrice Milard,

L'interdisciplinarité : la construction cognitive et sociale d'une idée (2001, dir.

J.-M. Berthelot, Univ. Toulouse 2). L'approche constructiviste de l'auteur permet de suivre très finement l'aventure discursive de la notion au cours des 40 dernières années.

(2 ) I l est peut-être plus intéressant de rappeler ici que Foucault distingue l'em­ ploi de concepts métaphoriques e t de concepts constituants (opératoires) dans les sciences humaines. À propos de ces derniers, i l a montré comment trois domaines se trouvaient mobilisés : la biologie, l'économie et l'étude du langage. Cf. M. Foucault (1966), Les Mots et les

Choses, Paris, Gallimard - et en particulier

le chapitre X.

(3) Le concept de transversalité est chez Barel une « multidialectique d'approche » et non une métascience de type centra­ lisateur. l i a ainsi critiqué les arrogances du systémisme relevant du second type, to u t en oeuvrant à la fondation de sciences du système (cf. la contribution de J.-L. Lemoigne in Système et para­

doxe. Autour de la pensée d’Yves Barel,

Paris, Seuil 1993).

La notion d'interdisciplinarité date des années 1930 e t s'origine dans le contexte américain ; elle « prolifère » en France dans les années 1960 e t se remarque surtout dans le champ des sciences sociales avec la marque de certaines productions discursives américaines que sont la biologie théorique, la cybernétique e t la science politique \ I l est vrai toutefois que l'idée que recouvre l'interdisciplinarité est bien plus ancienne : Georges Gusdorf dans son article de l'Encyclopédie Universalis (1968) rappelait ses occurrences dans l'histoire entière de la connaissance e t mentionnait ainsi F. Bacon et la Nouvelle Atlantide, la Pansophia comme pédagogie de l'unité de Jean Amos, le projet encyclopédique de Diderot e t D'Alembert... Tradition philosophique de ce côté, alors que le physicien Pierre Delattre développait, pour la commande du même article un peu plus tard (1973), une conception plus formelle liée à l'analyse systémique. I l s'agissait selon lui de développer un langage unique décloisonnant les différents jargons disciplinaires. Ses références aux sciences naturelles et physiques o n t amené Gusdorf à critiq u e r une science de l'homme sans l'homme, une désubjectivation des sciences sociales qui rencontre, à ce point, les analyses généalogiques de Foucault sur la naissance récente des sciences humaines e t l'horizon possible d'une disparition de l'homme 2.

Ces deux conceptions ne partagent-elles toujours pas deux pôles perm ettant de classer des lignes de pensée ? À titre d'exemple, lorsqu'Alain Caillé recherche les voies d'une discipline a-disciplinaire, on trouve là les échos à ce que fu re n t les prétentions des sciences politiq u e s e t morales. À nouveau se pose la question du lieu de l'unification. Ceux qui cherchent à le construire, à le fonder, ont éventuellement à disposition certaines théories méta-disciplinaires faisant désormais partie de ressources mobilisables (la théorie marxiste, la sémiologie structurale du côté de l'héritage, la pragmatique, le cognitivisme comme tensions en construction). D'autres, laissant ce lieu à l'horizon, comme p o in t de fu ite , endossent plus volontiers des figures de passeurs e t o p te n t systém atiquem ent pour des « épistémologies expérimentales » (F. Dosse). Un penseur comme Yves Barel essayait probablement, dans la transversalité e t en explorant les ressources de « l'obliquité », de te n ir les vertus de ces deux p ô le s 3. Mais l'a c tu a lité de telles figures

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aventureuses n'est pas évidente. Non pas ta n t en raison d'une crise des savoirs (qui au contraire est plutôt propice à de nouvelles propositions) qu'en rapport à un champ académique qui, derrière les apparats évoqués, ne manque pas de voir se former des attaques contre toute forme de maraudage disciplinaire assimilée à un dilettantism e non scientifique.

Cet enjeu est c o g n itif e t i l est vrai que dans nul autre champ d'activité la question « interdisciplinaire » ne se pose. L'interdisciplinarité n'est-elle pas une question épistémologique n'occupant que des savants en quête d'unité de savoir ? Si l'on songe à l'interprofessionnalité ou aux enjeux de connections entre systèmes informatiques différents, par exemple, on v o it la dimension organisationnelle non étrangère aux préoccupations ici évoquées. De surcroît, négliger la sphère discursive propre aux Sciences Humaines e t Sociales (SHS) qui oeuvrent à la construction de représentations toujours meilleures, revient à un anti-intellectualism e dont les marques ne manquent pas, à une époque où l'idéologisation professionnelle menace de paralyser les rôles de défricheurs e t d'expérimentateurs que portent les enseignants-chercheurs. Appuyons-nous sans polémique sur l'un des vecteurs de la thèse précitée : « Les représentations participent donc bien, de par les activités qu'elles engagent au plan langagier, à la construction de la réalité sociale, de manière certes non exclusive, mais au même titre que d'autres activités sociales observables. » (Milard, op. cit. p. 550).

Si t u a t i o n d e s s c ie n c e s d e l'e s p a c e d e ss o c ié t é s

Dans les lieux où l'on enseigne (et où l'on fa it de la recherche sur) l'architecture, l'urbanisme, l'aménagement, le paysage, l'interdisciplinarité se v o it souvent conférée un statut d'axiome, comme le déclinent bien des plaquettes de présentation de programmes ou d 'instituts. Certes, un axiome ne se démontre pas, mais celui-ci est trop mou pour n'être pas suspect. Ne peut-on parler en bien des cas d'interdisciplinarité cosmétique ? L'interdisciplinarité est promue comme évidence, comme injonction. Les historiens des savoirs d'action ne seront certes pas surpris, e t i l s u ffit de pointer l'urbanisme multidisciplinaire du début du XXe siècle comme les récurrents appels à de nouvelles sciences de synthèse (Maurice-François Rouge e t la géonomie.

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lieux communs n°7 | 2003 | Laurent Devisme

l'urbanologie...), pour s'en convaincre. À l'enseignement de l'architecture sont ainsi associés, en France, les enseignements de champs disciplinaires dits connexes : sciences humaines e t sociales, histoire, arts plastiques, savoirs constructifs. I l en va de même dans des in s titu ts d'urbanisme e t d'aménagement associant parfois sciences sociales e t sciences de la nature.

(4 ) Les propos de J. Lévy e t M. Lussault sur la géographie valent, i l me semble, pour bien des savoirs de transformation spatiale : « Autoproclamée discipline- carrefour, la géographie a vécu longtemps sous un régime de pluridisciplinarité paresseuse, décorative, qui en a fa it une auberge espagnole où les emprunts aux sciences de la nature se mêlaient dans le désordre à ceux des sciences sociales, où régnait l'im p lic ite e t l'absence de réflexivité ». (Lévy, Lussault, « L'espace pris aux mots, introduction » in

Dictionnaire de la géographie, Paris,

Belin, 2003, p. 17). Au niveau de l'emploi du temps des enseignements, la succession d'un cours de sociologie urbaine e t d'un T.D. « d'ensoleillement » ou bien encore d'un T.D. d'arts plastiques et d'une séance de méthodologie de la construction d'objets de recherche en sciences sociales, donne l'idée d'un fourre-tout peu pensé...

(5 ) C0RB0Z A. (2001), « U recherche : trois apologues » in Le Territoire comme

palimpseste, Paris, L'Imprimeur, p. 27.

Ce caractère a lléchant - qui draine aussi certains profils d'étudiants - est cependant problématique : comment s'organise la complémentarité des savoirs mobilisés ? Est-elle le fa it d'un co lle ctif ? Peut-elle être réalisée par un même enseignant ? Quelles importations - exportations sont nécessaires pour garantir une recherche e t un enseignement qui ne soient ni parcellaires, ni scolastiques e t qui soient en prise sur des problèmes à résoudre, sur des questions spatiales à saisir à bras le corps ? À un effet d'annonce toujours vertueux correspondent des pratiques de croisement disciplinaire bien fragiles, bricolées, ta n tô t paresseuses - la nécessaire politesse entre savoirs 4- , ta n tô t aventureuses. Et les aventures peuvent suivre différentes voies comme l'a très bien imagé André Corboz : « Pour expliciter les divers modèles de l'inter, de la multi ou de la transdisciplinarité disponibles sur le marché des idées, on pourrait recourir à des métaphores sportives : ou bien l'objet scientifique se constitue par le travail successif de divers chercheurs - e t l'on peut parler de course de relais ; ou bien i l est élaboré simultanément par des chercheurs de formations diverses - e t nous avons affaire à une espèce de marche de peloton ; ou encore, i l résulte d'opérations relevant de disciplines différentes, mais toutes exécutées par un même chercheur - e t le cas de figure se nomme polyathlon. Cette dernière catégorie est la plus proche de ce qui nous intéresse ici, puisqu'un seul et unique chercheur intervient to u r à to u r dans des champs disciplinaires distincts ; elle souffre cependant d'un défaut rédhibitoire : le transfert conceptuel y est im possible. Même si le chercheur peut se comparer, disons à une espèce de parachutiste qui pratiquerait également le slalom et le saut en longueur, il n'en résulte pas que le cross country se gagne avec les techniques du t ir ni que la natation se pratique avec l'équipement de l'escrime. Bref, ce qui se passe, c'est une interaction de diverses disciplines à l'intérieur du chercheur lui-même : le chercheur va en quelque sorte se spécialiser de cas en cas e t ne pas avoir peur de le faire : s'il procède par problèmes, i l y est quasiment contraint » 5.

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Ép r e u v e s de f r o t t e m e n t s p l u t ô t q u e q u ê t e (m é t a) d i s c i p l i n a i r e

I l est un fond de plan qu 'il serait problématique de négliger. Depuis plusieurs années, l'architecture v o it bien des porte- paroles clamer e t appuyer sa « disciplinarité ». Les enjeux relèvent d'une reconnaissance universitaire, d'une s ta b ilis a tio n des références, voire des « fondamentaux ». Ce numéro ne cherche pas à asseoir un te l p o in t de vue (même si l'on ne v o it pas bien pourquoi « l'urbanisme » et « l'aménagement » seraient reconnus comme d iscip lin e , comme la « com m unication », alors que l'architecture ne parviendrait pas à ce seuil d'épistémologisation). I l ne s'agit donc pas ici de repérer l'état des visées disciplinaires qui se donnent à vo ir en quelques lieux. Les réflexions qui fo n t suite com plètent cependant utilem ent les travaux récents, comme ceux consignés dans le premier numéro des Cahiers th é ­ matiques de l'Ecole d'architecture de Lille 6.

Les auteurs qui émanent ici exclusivement des SHS - malgré un appel à contributions ouvrant sur les sciences et arts du p ro je t sur les « théories e t pratiques de la conception architecturale » - abordent principalem ent les manières dont ils o n t éprouvé les frottem ents disciplinaires entre leurs disciplines (connexes mais reconnues) e t l'univers du projet spatial (architectural, paysager ou urbanistique - central mais à la reconnaissance disciplinaire toujours aux abois). Récits d'expériences, de manières de faire principalem ent ou bien échos dans le champ de la pratique (de l'interdisciplinarité à l'interprofessionnalité), leur optique n'est pas majoritairement épistémologique (sauf pour les textes de Marc Dumont e t Daniel Pinson). Tous partagent en revanche la nécessité de décloisonnement du savoir (pouvant sûrement reprendre à leur compte cette expression de Christian Grataloup selon laquelle, « si la discipline fa it la force des armées, elle ne fa it pas forcément la force des sciences ») e t ne travaillent pas à de nouveaux partages institutionnels qui permettraient la délim itation de domaines de production e t de reproduction 7. Cela d it ils fo n t part d'expériences ou de réflexions peu confortables e t o n t pu éprouver les difficultés d'un non-repérage ou bien d'une instrumentalisation ou encore d'un emplacement marginal par rapport à d'autres « collègues ».

B. Lepetit in c ita it à une pratique restreinte de l'interdisciplinarité et plusieurs auteurs de ce numéro se retrouvent dans ce p ro je t8. I l implique pour ma part (disons deux mots des conceptions du

(6 ) Cahiers thématiques, architecture,

histoire, conception n ° l « Disdpline,

visée disciplinaire », E.A. Lille, 2001, 301 p.

(7 ) Le récent Dictionnaire de la géogra­

phie e t de l'espace des sociétés propose à

la discipline la d éfin itio n générique suivante : « Découpage institutionnel d'un ensemble de connaissances qui délimite un domaine où se réalisent la production du savoir académique et la reproduction du corps professionnel des "savants" ».

(8 ) LEPETIT B. (1999), « Propositions pour une pratique restreinte de l'inter­ disciplinarité » in Carnet de croquis. Sur

ta connaissance historique, Paris, Albin

Michel. Plaidant pour « un processus maîtrisé d'emprunts réciproques », Lepetit espère au fin a l que Ton puisse imaginer « les maçons de Babel heureux ».

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lieux communs n07 | 2003 | Laurent Oevisme

responsable du numéro pour qui la question est loin d'être strictement universitaire) une fréquentation à parts égales des sciences de l'espace social avec la conviction que sociologie, géographie, anthropologie, sciences politiques, philosophie forment un même ensemble aux frontières passables. La focalisation thém atique permet d'éviter la dispersion de l'énergie : ainsi de la question urbaine ou de la dimension spatiale comme p oint de convergence.

« Vertiges et prodiges de l'interdisciplinarité ». Le titre de l'appel à articles évoquait directement un p e tit ouvrage de J. Bouveresse dans lequel le philosophe p o in ta it l'abus d'usage des belles- lettres dans la pensée 9. I l c ritiq u a it plus précisément les emphases analogiques de certains auteurs et, dans la lignée des Impostures intellectuelles dénoncées par Sokal e t Bricmont, cherchait à rappeler une rationalité des sciences sociales qui n'a pas besoin des concepts des autres sciences pour fonder sa scientificité. Le clin d'œ il à cet ouvrage signalait l'é ta t de fatigue d'un contexte « scientifically correct » amenant au consensus sur l'interdisciplinarité alors même que ses pratiques sont assez rares e t dans l'ensemble peu soutenues.

Ce numéro in itie pour le LAUA la formule de l'appel à co n tri­ butions pour les Lieux communs. I l marque bien, justem ent, l'envie d'en so rtir (des lieux communs), avec le lancement d'un « hameçon » dont i l ne reste plus qu'à attendre de savoir ce qu'il capte des courants qui composent les sciences. Ce décentrement par rapport au laboratoire n'est pas forcément évident à organiser pratiquement : quelle est la cohérence au final du dossier réalisé ? Comment la synthèse de l'hétérogène a-t-elle pris ? Au lecteur d'en juger. Mais à l'introducteur d'aiguiller.

(9) BOUVERESSE J. (1999), Prodiges et

vertiges de l'analogie. De l'abus des belles-lettres dans la pensée, Paris,

Raisons d'agir, 1999, 158 p.

(1 0) Cette conviction est aussi liée à la manière dont l'in terdisciplinarité s'éprouve dans notre laboratoire. Je me permets de renvoyer à ma contribution pour le laboratoire dans les Cahiers de la

recherche architecturale et urbaine n°12

(Janvier 2003), pp. 70-71.

Le c t e u r s, s'i l f a l l a i t v o u s g u id e r. . .

En l'occurrence, i l ne s'agit pas d'aiguiller depuis une « to u r de contrôle » mais depuis un point d'organisation ne cherchant pas le coup de force pour faire entrer dans le lit de Procuste ce qui ne manquerait pas d'en sortir une fois le numéro refermé10. Le dossier est encadré par le récit de deux expériences, é vitant précisément une discussion qui ne concernerait que l'épistémologie ou la pédagogie. L'une, révolue, est l'aventure d'une création urbaine

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qui a pris le nom du Vaudreuil et qui a incarné une certaine interdisciplinarité en pratique. L'autre, relatée dans un texte court, est celle que vivent trois sociologues d'un bureau d'études évoquant les interprofessionnalités e t leurs déclinaisons depuis v in g t ans.

Les enjeux systémiques d'une interdisciplinarité placée sous le signe d'un idéal organique sont bien nommés par Claire Brossaud qui démontre en quoi l'association des disciplines fu t un mode majeur d'adm inistration e t de gestion de projet au Vaudreuil. Cette bannière vaut à la fois pour les coopérations professionnelles e t pour le plan lui-même dont L'organisation en tre illis (e t non en arborescence... A c ity is not a tree !) est une matrice, un embryon, non moins complexe qu'une ville mûre. La conception anthropo-écologique qui a été déployée par l'atelier de Montrouge fu t inspirée par les travaux du bio­ logiste Henri Laborit. Le programme anti-nuisances piloté par une direction inter-m inistérielle (la D.G.R.S.T.), s'il é ta it lui aussi marqué par la nécessaire pluri-disciplinarité, a vu changer ses dominances disciplinaires e t la psychosociologie y a fa it son entrée sous l'influence américaine. Claire Brossaud montre bien comment la localité est vite devenue un quasi sujet de besoins, « résultat de l'agrégation artificielle d'une m ultiplicité de forces sociales e t d'une pseudo-unité douée de conscience e t de volonté ». Le local précipite ainsi comme un système d'action autonome. L'auteure met aussi en évidence en quoi la pluridisciplinarité é ta it un corollaire de la planification à grande échelle (ne négligeant pas au passage la filia tio n coloniale décisive pour comprendre les villes nouvelles françaises - cf. les textes de Michel Marié). Claire Brossaud conclut son texte en po in ta n t le parallèle entre action politique e t expertise : « Ici, l'association disciplinaire est à la science ce que la contractua­ lisation est au politique. »

Le texte de Thomas Watkin, par le prisme analytique des débats autour de l'urban design aux États-Unis (depuis son apparition dans les années 1960 jusqu'à aujourd'hui) revient à un questionnement sur les liens entre enseignements disciplinaires e t pratiques professionnelles. Dans l'entre-deux de l'architecture e t du territoire, dans la nécessaire liaison entre les échelles spatiales et actorielles, le lecteur croise les aléas d'une visée disciplinaire et ses interactions avec le contexte aussi bien politique (les mouvements urbains

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des années 1960, 1970) que spatial (urban growth puis urban sprawl) e t doctrinaire (du modernisme au post-modernisme). Le récit montre un é ta t éclaté et mouvant de l'urban design. L'exemple du « new urbanism » permet peut-être de comprendre cette situation : il s'agit avant to u t d'un mouvement dont l'auteur rappelle rapidement la genèse. Ce n'est pas une discipline ni une pratique codifiée dans une politique avec des instruments spécifiques d'intervention. I l s'agit davantage d'un mouvement de pression en lien avec des marchés d'intervention spatiale (cf. pour une perspective critique les travaux de Rosemary Wakeman). Ce texte n'est pas d'ordre épistémologique mais dresse un é ta t des lieux de pratiques infra-disciplinaires.

Daniel Pinson revient pour sa part sur l'histoire mouvementée des « bords » de l'urbanisme e t in scrit son propre parcours dans une telle histoire qui a vu les savoirs académiques toujours fustiger l'interdisciplinarité. L'urbanisme a refait surface, rappelle l'auteur, suite à la crise du mouvement moderne : c'est une revanche face aux prétendues sciences exactes, dès lors, d it-il, que le savoir est moins subordonné au comprendre q u 'il n'est jugé au faire. Ce qui, ajouterais-je, fa it de l'urbanisme une formation discursive à l'épistémologie bien problématique. Ce texte s'inscrit dans une série finalement assez rare de travaux sur l'épistémologie de l'urbanisme. Sous les auspices de citations de Monod e t de Prigogine, la contribution de Daniel Pinson peut être vue comme la recherche de stabilisation d'une « discipline pluridisciplinaire », moins complexée qu'à une époque, hybridée avec au moins chaque fois une autre science sociale. La métaphore de la greffe est ici mobilisée pour le ressourcement permanent d'un savoir d'action.

Les quatre textes à la suite traversent les mêmes préoccupations pédagogiques réflexives. Ecrits par des sociologues principalement (aux parcours eux-mêmes très hybrides), ils tém oignent de l'aventure de l'intervention des sciences sociales en des lieux d'enseignement du projet urbain, architectural ou de paysage. Ils rebondissent sur les identités des enseignants-chercheurs impliqués qui se trouvent alors spécifiés, assez éloignés sûrement des transmissions académiques des disciplines installées. Jérôme Boissonade revient sur son parcours e t propose, via la « traduction », de considérer la dynamique positive des discussions et du tra va il incessant du langage pour un ajustement des acteurs en présence, ce aussi bien dans les univers de projet

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que de recherche. La figure du « débatteur public » est ainsi défendue contribuant à la « densification du réel par sa montée en problématisation ». L'auteur est favorable à une pratique apaisée, pragmatique de la transdisciplinarité. L'apaisement vient du fa it que les enjeux sont des problèmes à faire émerger plus que des disciplines à pratiquer, des méthodes à construire plus que des filia tio n s à revendiquer.

Brigitte Guigou e t Marie-Pierre Lefeuvre parlent d'une expérience pédagogique menée en ta n t que sociologues dans une école du paysage. Elles pointent les difficultés de l'enseignement analytique dans un contexte projectuel (si elles connaissent l'univers de la programmation, i l ne recouvre pas complètement celui du projet). Les vertus de leurs apports consistent notamment dans un décalage des étudiants qui ne d o it cependant pas les laisser dans la perplexité e t dans l'incapacité d'agir. I l s'agit de dégriser les apprentis projeteurs même si les auteures m aintiennent le registre de la conception dans une boîte noire qui serait difficile à élucider. Résumant leurs apports à propos des usages et représentations, des perceptions, des jeux d'acteurs (la rationalité pluricausale), elles poin te n t l'importance du développement de « compétences de tactique relationnelle » chez les étudiants.

Agnès Deboulet revient elle aussi sur ses expériences d'ensei­ gnement en école d'architecture. Sur le mode du bilan, elle pointe, par le prisme des « outils » que sont le relevé habité et l'entretien, comment peut concrètement s'éprouver la coopération disciplinaire, comment ces outils e t méthodes sont des moyens d'augmenter les connaissances e t de dépasser les situations d'altérité éprouvées dans des contextes culturels déplaçant enseignants e t étudiants. Le parcours üant sociologie de l'habitat e t sociologie urbaine est aussi un parcours des problématiques impliquées par les métiers de l'architecture : appropriations des logements, programmation urbaine, critique architecturale et une réflexion sur les types de savoirs émanant des SHS et importés dans les écoles d'architecture. Pointons à cet égard l'importance de l'analyse de la formulation des jugements d'acteurs impliqués dans des situations. Certes la sociologie s'en sort à bon compte mais le contexte explique aussi la nécessité de tels états des lieux dont l'in té rê t est, au-moins, de permettre de cumuler les expériences e t de destituer les mythes démiurgiques de la transformation spatiale.

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Evelyne Volpe ne cache pas les difficultés de la persistance de son projet de « description des lieux » face aux disciplines toujours connexes. Sa critique du rôle des catégories, de l'in s titu tio n , l'amène à une résistance dans une certaine marginalité. Elle défend les enjeux de l'observation et de son écriture dans les lieux d'enseignement du projet e t son texte permet de revenir sur les liens entre description e t projet. Libre au lecteur de prolonger la réflexion sur l'urbanisme descriptif.

Les deux derniers articles du dossier sortent de la préoccupation pédagogique. Marc Dumont, dans un te x te th é o riq u e e t exploratoire, s'intéresse à l'interdisciplinarité dans la recherche urbaine en partant d'une interrogation sur ses mots-mana et sur l'e ffe t des récurrences langagières dans un univers à la fois scientifique e t normatif.

I l opte finalem ent pour un situationnisme méthodologique se frayant entre sociologie des sciences e t généalogie de champs sémantiques : « L'interdisciplinarité passe alors d'un s ta tu t de cadre absolu a priori d'interrogation vers celui de langage de restitution d'activités singulières ». Les disciplines en situation d'épreuve de savoir, d'épreuve de savoir apporter des preuves, comme le sont particulièrement les sciences de l'urbain, sont loin de sortir indemnes de leur inscription sociale. Ce n'est pas une raison de les destituer mais au contraire d'y voir un formidable terrain pour les sciences de l'action. Si le lecteur peut regretter le manque d'un f i l directeur d'enquête, d'un champ d'étude illu stra n t ces propos, i l le trouve sous une autre plum e...

En effet, un article plus court possède un statut particulier dans ce numéro. Ecrit par des professionnels d'un bureau d'études sociologiques nantais travaillant sur les questions urbaines, i l fa it retour sur vingt ans de réponse à des commandes institutionnelles. Les auteurs poin te n t une double évolution concomitante : le passage de l'objet au processus e t celui du résolutoire au réflexif. Cette dynamique plutôt souriante des modifications de la commande publique renouvelle le champ de pertinence des sciences sociales dans le monde professionnel avec un rôle visiblem ent de plus en plus reconnu à ceux qui décalent les questionnements initiaux et élargissent les problématiques. L'ajustement des cultures professionnelles ne peut cependant se faire que dans un contexte de confiance avec des relations horizontales entre champs professionnels. Cette condition est loin d'être généralisée, ce

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que poin te n t les auteurs à propos des mandataires des études pluridisciplinaires (en l'occurrence, on songe alors souvent à l'architecte « chef d'orchestre »). L'ajustement des cultures professionnelles n'est productif que si des disciplines pré-existent bien et ne cherchent pas la (con)fusion des rôles. I l n'est durable que si les études engagées ne sont ni des faire-valoir, ni des productions symboliques mais des désirs de savoir pour agir.

Ce long dossier est clos par un entretien avec Michel Lussault. S'il éclaire l'évolution récente de la recherche urbaine avec ce prisme interdisciplinaire, i l donne également, ponctué des termes de déconstruction, d'inquiétude et d'intranquillité, l'envie d'être pleinement interdisciplinaire : expérimental, sérieux, sans esprit de sérieux. Michel Lussault rappelle plusieurs types d 'u tilité à la transdisciplinarité : ce peut être la déconstruction mais aussi une coopération positive à des fins instrumentales. Très clairement acteur du premier type, i l confie dans l'entretien, à l'inverse du mouvement de désubjectivation positiviste critiqué par Gurvitch, qu'entre les disciplines, les chercheurs ne fo n t que dessiner la leur, qui leur est propre e t dont la livraison publique permet les échanges contradictoires e t la dynamique scientifique. La singularité transdisciplinaire du chercheur ne devient productive qu'à partir du moment où elle s'inscrit dans un cadre dans lequel se tissent des histoires cognitives partagées.

La u r e n t De v is m e,

m aître-assistant (S.H.S.) à l'École d'architecture de Nantes, membre du LAUA.

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