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Le portrait dans l'estampe diffusée au Bas-Canada entre 1825 et 1850 : essai d'analyse stylistique

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FACULTE DES LETTRES

LA.

L

V ^

LE PORTRAIT DANS L'ESTAMPE DIFFUSEE AU BAS-CANADA ENTRE 1825 ET 1850: ESSAI D'ANALYSE STYLISTIQUE.

CLAUDINE VILLENEUVE

Mémoire présenté pour 1'obtention

du grade de maître ês arts (M.A.)

ECOLE DES GRADUES UNIVERSITE LAVAL

DECEMBRE 1989

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Ce mémoire a pour objet le portrait dans l'estampe diffusée au Bas- Canada entre 1825 et 1850. Pour 1'analyser, nous avons examiné les diffé­ rentes méthodologies de la stylistique en histoire de l'art avant de rete­ nir une stylistique descriptive s'appuyant sur une recherche historique. Cette dernière a notamment permis de constater l'existence de relations étroites entre le milieu de 1'estampe et la vie socio-politique durant le deuxième quart du XIXe siècle. Nous avons alors pu constater combien le corpus d'oeuvres étudié était éclaté et dans quelle mesure il nécessite­ rait une mise en perspective élargie prenant en compte les productions étrangères contemporaines de 1'Angleterre, de la France et des Etats-Unis.

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Nous tenons à remercier plus particulièrement notre directeur de re­ cherche, Monsieur John R. Porter, professeur en histoire de l'art à 1 'Uni­ versité Laval, pour l'appui et les judicieux conseils qu'il a su nous don­ ner tout au long de notre mémoire de maîtrise. Nos remerciements s'adres­ sent aussi à Madame Lise Nadeau et à Monsieur Gaétan Chouinard, du Musée du Québec, à Québec; à Madame Hélène Villeneuve, archiviste au Musée du Séminaire de Québec; à Soeur Marcelle Boucher, archiviste du Monastère des Ursulines de Québec; à Madame Mary Allodi, du Royal Ontario Muséum, et à Madame Jeanne Larouche-Vi1leneuve, qui a bien voulu s'occuper de la révision du texte de notre mémoire.

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TABLE DES MATIERES

page

Avant-propos ... i

Table des matières ... ii

Liste des sigles des noms d1 institutions ... i i i Liste des figures ... iv

Introduction ... 1

Chapitre I METHODOLOGIE: 1'analyse stylistique ... 7

1.1 Etat de la question en stylistique ... 7

1.2 Objet de la stylistique ... 11

1.3 Méthodologies en stylistique ...;... 13

1.4 Méthodologie privilégiée pour notre mémoire ... 15

Notes du chapitre I ... 24

Chapitre II HISTORIQUE: 1'estampe au Bas-Canada entre 27 1825 et 1850 ... 2.1 Le marché de 1'estampe au Bas-Canada, 1825-1850 ... 27

2.2 Le processus de création: principales caractéristiques ... 35

2.3 La mise en marché des portraits dans 1 'estampe ... 42

2.4 Fonctions du portrait dans 1'estampe ... 44

Notes du chapitre II ... 53

Chapitre III ANALYSE DU CORPUS ET CONCLUSIONS ... 57

CATALOGUE DES OEUVRES SELECTIONNEES ... 63

ANNEXE I : Figures ... 143

ANNEXE II: Grille d'analyse ... 150

Bibliographie sélective ... 152

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LISTE DES SIGLES DES NOMS D'INSTITUTIONS

ANC: Archives nationales du Canada, Ottawa. ANQ: Archives nationales du Québec, Québec. BNP: Bibliothèque nationale de Paris.

BVMG: Bibliothèque de la Ville de Montréal, salle Gagnon. MQ: Musée du Québec, Québec.

MSQ: Musée du Séminaire de Québec.

MTL: Metropolitan Toronto Library, coll. J.R. Robertson. MUQ: Musée des Ursulines de Québec.

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LISTE DES FIGURES

Page

Fig. 1: "Galerie des illustrations canadiennes" ... 144

Fig. 2: Three chiefs of the Huron Indians ... 145

Fig. 3: The presentation of a newly-elected chief of the Huron Tribe ... 146

Fig. 4: Clé des personnages représentés sur 1'estampe de la fig. 3 147 Fig. 5: Joseph Bouchette Esqr ... 80

Fig. 6: Char les-Auguste-Marie-Joseph,/ Comte de Forbin-Janson ... 100

Fig. 7: Le Marq^5 de Vaudreui 1 ... 148

Fig. 8: Bougainville ... 149

Fig. 9: Franciscus de Laval, Primus Episcopus Quebecensis ... 115

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Dans le domaine des arts anciens du Québec, l'étude de 1'estampe fait figure de parent pauvre à côté des synthèses et monographies consacrées à la peinture, 1'architecture, la sculpture et 1 'orfèvrerie. Voilà pourtant un art qui connut une large diffusion et dont l'histoire comporte de vas­ tes possibilités pour la recherche.

La plupart des parutions sur l'estampe ancienne au Canada se compo­ sent d'inventaires de collections privées ou publiques. En plus de four­ nir une intéressante banque d'oeuvres, ces ouvrages donnent parfois des renseignements supplémentaires sur le sujet représenté ou à propos des ar­ tistes. Très peu de ces publications vont plus loin pour traiter de l'é­ volution de 1 'estampe au Canada.

L'étude de 1 'estampe ancienne est souvent liée à celle de l'évolution de 1 1 imprimerie. Si les quelques ouvrages publiés sur ce sujet pourront éventuellement servir à notre recherche, c'est principalement pour leurs renseignements relatifs à l'histoire de l'évolution de la technique de l'estampe"*.

Parmi les ouvrages portant sur les estampes anciennes, on retrouve fréquemment des études basées soit sur la production d'un artiste ou en­ core sur le sujet représenté. Dans ces deux cas, ce sont souvent des pay­ sages et des vues urbaines qui font l'objet de l'étude. C'est dans cette perspective que furent publiés, par exemple, les volumes de Charles P. De Vol pi, reproduisant des vues de villes du Canada. La fonction documen­ taire des estampes constitue alors la principale préoccupation de telles publications.

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Parmi les premiers travaux approfondis sur l'estampe ancienne, il existe le mémoire de maîtrise de Madame Louise Dusseau!t- Letocha, déposé en 1975, sur les origines de 1'estampe au Québec. L'intérêt de ce mémoire ne pourra qu'être indirectement lié à notre recherche puisque son sujet ne couvre pas le XIXe siècle. Il en est de même pour les articles de Mon­ sieur Yves Chèvrefi 1 s Desbiolles concernant l'estampe de reproduction

du-p o

rant la deuxième moitié du XIX siècle .

Le travail le plus remarquable qui ait été fait sur l'estampe an­ cienne au Canada jusqu'à aujourd'hui date de 1980: Les débuts de l'es- tampe imprimée au Canada (vues et portraits), par Madame Mary Allodi . Ce catalogue d'exposition contenant une centaine d'oeuvres est basé sur l'é­ tude des estampes imprimées au Canada avant 1850. Le corpus se compose principalement de vues et de portraits, et on en a exclu la plupart des estampes publiées dans les livres et les magazines à titre d'illustra­ tions. L'introduction du volume nous donne un très bon aperçu de 1 'évolu­ tion de l'estampe imprimée au pays. Par la suite, les oeuvres du catalo­ gue sont présentées. Chaque estampe est accompagnée d'un texte composé de notes sur les auteurs (dessinateur, peintre, estampier^, imprimeur, édi­ teur, etc.), ainsi que sur 1'estampe et son sujet. Dans son introduction, Madame Allodi mentionne qu’elle n'a pas examiné les collections des institutions de la ville de Québec. Or, nous savons, par les recherches que nous y avons effectuées, que ces institutions recèlent plusieurs estampes dont certaines sont inédites. L1 ouvrage de Madame Allodi contient une foule de renseignements très utiles sur le plan historique.

Afin de procéder à notre analyse stylistique, nous devrons également aller puiser des renseignements aussi bien du côté de la stylistique en histoire de l'art que du côté de 1 'histoire du portrait gravé en général. L'état de la question en stylistique fera l'objet d'une section spéciale dans le chapitre portant sur ce sujet. Quant aux ouvrages traitant du portrait gravé, ils portent principalement sur 1'estampe en France et aux Etats-Unis. Le premier fut publié en 1900 par Monsieur George Duplessis et ne traite malheureusement que du portrait gravé en France jusqu'au XVIIIe siècle. Il nous donne cependant un bonne idée de la situation du portrait gravé en Europe avant le XIXe siècle. Un volume beaucoup plus

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récent et portant sur le portrait gravé ou lithographié aux Etats-Unis nous sera également utile. Il s'agit de American Portrait Prints, publié en 1984 sous la direction de Madame Wendy Wick Reaves. Ce livre est le bilan d'une série de conférences ayant eu lieu à Washington, et dont le thème était le portrait imprimé aux Etats-Unis. Il contient une série d'articles portant sur divers aspects de ce type d'estampes. Ces articles sont principalement d’ordre historique ou biographique.

Lors de 1 'établissement de notre corpus, nous avons cru remarquer qu'il y avait deux types de portraits gravés au Bas-Canada. Le premier correspondait à un style qu'on pourrait qualifier de fermé, c'est-à-dire que le personnage est représenté dans un endroit qui est abondamment dé­ coré, ou encore que ce qui entoure l'image, comme les inscriptions ou le cadrage, a tendance à être très chargé. Le second représentait souvent l'individu pour lui-même, avec peu ou pas de décor, et un cadrage plutôt discret. Nous avons aussi cru remarquer que le style que nous avons qua­ lifié de "fermé" se retrouvait surtout dans les estampes en provenance de 1'Angleterre, tandis que le style "ouvert" existait principalement pour les oeuvres françaises, ou celles des Etats-Unis.

Au cours de nos recherches, nous avons notamment réalisé l'existence de relations étroites entre le milieu de 1'édition de l'estampe et la vie socio-politique de la période 1825-1850. D'où une problématique que nous pourrions résumer comme suit:

Les relations entre le milieu de l'édition d'estampes et la vie socio-politique ont une influence au niveau des styles qui existent dans le portrait estampé de la période 1825-1850 au Bas-Canada.

Nous reconnaissons dés à présent que 1 'exploration d'une telle pro­ blématique constituait un projet très ambitieux. Dans le corps de notre mémoire de maîtrise, nous verrons qu'un large éventail de questions en dé­ coulent.

Les limites chronologiques de notre recherche, 1825-1850, ont été choisies parce qu'elles correspondent à une période assez florissante de 1'estampe au Bas-Canada. Dans 1'histoire de 1'estampe imprimée au pays,

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oeuvres imprimées au pays. Un regard aux portraits gravés en provenance de 1'étranger nous indique sensiblement la même chose. Quant à la période qui suit l'année 1850, elle est caractérisée par 11 avènement de grandes innovations techniques qui vont entraîner une abondante production d'ima­ ges.

Le portrait tient le deuxième rang des estampes imprimées au Canada avant 1850. Le premier revient aux vues urbaines et paysages, mais il ne faut pas oublier que de telles estampes étaient fréquemment publiées en séries de quatre ou de six, ce qui augmentait nécessairement leur propor­ tion si on les considère à l'unité. Dés lors, il convient de ne pas sous- estimer la place du portrait dans 1'estampe au Canada.

Le fait d'avoir préconisé dès le départ une analyse stylistique im­ plique certaines restrictions au niveau de la méthode. Une telle analyse étant basée principalement sur la comparaison, il est très important d'a­ voir un groupe d'oeuvres assez homogène, dont les éléments principaux va­ rient peu. Nous avons ainsi dû choisir, parmi les divers portraits, ceux qui possédaient une relative uniformité visuelle. Ainsi avons-nous dû laisser de côté quelques représentations comportant plusieurs personnages. Les estampes où le personnage était en train d'exécuter une activité quel­ conque furent également éliminées.

Une analyse stylistique doit nécessairement tenir compte de la dyna­ mique des influences. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas choisi uniquement les estampes imprimées au pays, mais aussi deux autres catégories d'oeuvres: les estampes imprimées à 1 'étranger à partir d'une oeuvre produite par un artiste du pays, de même que les estampes exécutées entièrement à 1'étranger, mais destinées à être diffusées au Bas-Canada.

Dans 1'introduction à son catalogue de 1980, Madame Mary Allodi sou­ ligne la faible proportion d'oeuvres imprimées ici par rapport à celle im­ primées à 1'étranger. Elle indique ainsi que "la collection Sigmund Sa­ muel du Royal Ontario Museum comporte environ 2,300 estampes de sujets ca­ nadiens, dont seules 35 sont des gravures ou des lithographies tirées

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sê-5

parement et imprimées au Canada avant 1850." Nous devions constater sen­ siblement la même proportion dans les collections de la ville de Québec. La modestie de cette proportion devait nous amener à inclure dans notre corpus des oeuvres imprimées à l'étranger d'autant que nous savions qu'el­

les firent partie intégrante du marché de 1'estampe au pays. Afin de dé­ terminer dans quelle mesure ces portraits avaient effectivement été diffu­ sés au Bas- Canada, nous nous sommes appuyée sur quantité de références de journaux d'époque indiquant la mise en vente de telles estampes.

Les fonds de collections d'estampes que nous avons consultés se trou­ vent principalement dans les institutions de la ville de Québec. De ma­ nière systématique, nous avons consulté les archives des collections du Musée du Séminaire de Québec, du Musée des Ursulines de Québec et du Musée du Québec. Bien que nous ayions consulté les dossiers des Archives natio­ nales du Québec, à Québec, nous n'avons malheureusement pas eu le loisir de faire nos fiches techniques directement à partir des oeuvres --notam­ ment pour certains des grands formats qui y sont conservés-- en raison de la réorganisation du système en cours au service de 1'iconographie.

Après avoir sélectionné certaines oeuvres dans les deux volumes de Philëas Gagnon, Essai de bibliographie canadienne, nous nous sommes rendue à la Salle Gagnon de la Bibliothèque de la Ville de Montréal pour consul­ ter les oeuvres choisies. Pour les autres collections, nous avons tra­ vaillé à partir de catalogues et autres publications pouvant nous donner des références à partir desquelles nous avons simplement commandé des re­ productions photographiques.

Les dossiers des oeuvres furent montés à partir de sources imprimées, principalement les journaux de 1'époque dont notre directeur de mémoire, Monsieur John R. Porter, possède un dépouillement assez impressionnant sur tout ce qui concerne les arts au Canada.

Après avoir complété nos connaissances générales sur l'estampe au Bas-Canada, nous sommes allé chercher des références sur le portrait gravé de la même période dans les trois principaux pays ayant exporté des es­ tampes au Bas-Canada, soit 1'Angleterre, la France et les Etats-Unis.

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Avant de procéder à l'analyse comme telle de notre corpus, nous avons fait une recherche sur la stylistique dans le domaine de l'histoire de l'art. Cette recherche avait pour but de nous permettre d'établir une mé­ thode pour traiter les oeuvres de notre mémoire. La confrontation de cette méthodologie avec notre corpus nous a incitée à nous poser plusieurs questions, dont certaines devaient demeurer sans réponse.

Etant donné les difficultés que nous avons rencontrées au cours de notre analyse, nous avons opté pour une présentation matérielle de notre mémoire qui reflète aussi bien notre cheminement que les résultats aux­ quels nous sommes parvenue. Ainsi, notre mémoire se compose-t-il de qua­ tre parties.

Dans le premier chapitre, nous présentons une méthodologie "idéale" conforme au type d'analyse stylistique que nous avions projeté de faire. Notre deuxième chapitre brosse un tableau du milieu de l'estampe au Bas- Canada entre 1825 et 1850, à travers différents aspects touchant la pro­ duction et la mise en marché des oeuvres; nous abordons par la suite la fonction du portrait dans 1'estampe, un aspect ayant une grande importance au niveau de la stylistique. Le troisième chapitre expose les particula­ rités de notre corpus, les difficultés que son analyse a présentées, ainsi que nos conclusions. Cette partie est suivie du cataloque qui contient, dans un ordre chronologique, la sélection des oeuvres les plus pertinentes et les mieux documentées de notre corpus.

1. Concernant l'aspect technique, nous aimerions signaler la qualité du volume de Nicole Malenfant, L'estampe, publié en 1979. Cet ouvrage, simple et précis, est certainement 1a meilleure référence portant sur la technique de l'estampe qui existe au Québec.

2. Ces articles portent principalement sur les illustrations de livres et de journaux du graveur sur bois John-Henry Walker (1831-1899).

3. Mary Allodi et al., Les débuts de l'estampe imprimée au Canada. Vues et portraits, Toronto, ROM, 1980, xxviii-244 p.

4. Bien que le terme "estampier" ne soit pas reconnu dans les dictionnai­ res usuels, il est couramment utilisé dans le domaine de l'estampe, autant contemporaine que chez les spécialistes de l'estampe ancienne. 5. Ibid., p. xvii.

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METHODOLOGIE:

1 'analyse stylistique.

Notre premier chapitre présente les divers aspects concernant 1'ap­ proche méthodologique que nous avons privilégiée. Après un exposé sur l'état de la question en stylistique, nous examinerons certains des objec­ tifs de cette méthode, de même que différentes méthodologies élaborées à 1'intérieur de celle-ci. Dans la dernière partie du chapitre, après avoir avancé quelques principes sur la nature du style, nous verrons la méthodo­ logie que nous avons choisie, celle-ci n'étant alors présentée qu'au ni­ veau théorique. Nous la considérons alors comme une méthodologie

"idéale", c'est-à-dire avant toute confrontation pratique avec le corpus des oeuvres de notre mémoire de maîtrise.

1.1 Etat de la question en stylistique

L'analyse stylistique est une méthode fréquemment utilisée dans le domaine des sciences humaines où l'on travaille avec des objets. L'ar­ chéologie, l'anthropologie, l'ethnologie, l'histoire de l'art de même que l'histoire en général, sont autant de domaines pour lesquels la stylisti­ que comporte un intérêt comme champ d'interprétation. Plus particulière­ ment, en histoire de l'art, 1'exercice de la stylistique s'exécute, la plupart du temps, à 1 'intérieur d'une recherche globale sur un mouvement

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ou sur un artiste. Il est très rare de trouver des ouvrages où 1'essen­ tiel de la recherche est fondé sur une analyse stylistique. D'autre part, les résultats sont souvent basés sur 1'intuition et sur 1'expérience du chercheur. Pratiquée de manière scientifique, cette méthode d'analyse est relativement jeune.

Pour les historiens de l'art qui dirigent leur recherche essentielle­ ment vers une analyse stylistique, les ressources documentai res sont hélas bien peu nombreuses. Si les écrits méthodologiques produits durant les trente dernières années présentent un très grand intérêt, il faut avouer que la stylistique n'est pas encore arrivée à une élaboration achevée. A l'évidence, 1'analyse stylistique en histoire de l'art est encore une ap­ proche en devenir.

La stylistique est une méthode d'analyse qui, à l'intérieur des sciences humaines, a néanmoins fait ses preuves. A l'article "Stylisti­ que" dans 1'Encyclopaedia Universalis^, George Mounin démontre que le style est une notion très vaste qui peut englober des objets autant qu'une manière de vivre. Plus loin, il explique: "Jusqu'à présent, cependant,

la stylistique comme étude scientifique d'un style n'a vraiment commencé à 2

se constituer que dans le domaine littéraire". C'est donc principalement à l'intérieur du champ de la linguistique que s'est développé cette mé­ thode et qu'on peut espérer y trouver l'application scientifique la plus ëlaborée.

Nous savons qu'il est actuellement très à la mode de considérer les oeuvres picturales comme un texte ou comme un système codifié. Ainsi, on applique à 1‘analyse des tableaux les notions élaborées par la linguisti­ que et la sémiologie. Nous n'avons rien contre de tels procédés, au con­ traire, mais nous croyons qu'un emprunt à un champ aussi particulier que celui des langues demande des connaissances plus spécialisées que celles que nous possédons actuellement. Aussi avons-nous très peu orienté notre recherche méthodologique de ce côté. Les quelques sources que nous avons consultées sont choisies surtout parce qu'elles nous fournissent un schéma théorique intéressant. D'autre part, la stylistique empruntée à la lin­ guistique ne donne pas de méthodologie pratique applicable à un art

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pictu-rai. De plus, la stylistique, même en linguistique, est "la branche la plus tardive et la moins développée de toute linguistique qui se veuille scientifique"

Dans la préface de son volume Style in art history^, Madame Margaret Finch fait état de la situation de la stylistique dans le domaine de 1'histoire de l'art. Elle y souligne que les théories concernant les principes de la classification dans les arts vivent un regain d'intérêt

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après avoir subi un demi siècle de relative négligence . Il ne devrait donc pas être absolument nécessaire d'emprunter à la linguistique pour établir les bases d'une recherche en stylistique.

Le volume de Margaret Finch est probablement la publication la plus à jour dans le domaine de la stylistique en histoire de l'art. C'est un ou­ vrage relativement récent puisqu'il date de 1974. Sa principale fonction étant didactique (il est principalement destiné aux étudiants en histoire de l'art), la structure en est simple et le discours concis. Un regard sur sa bibliographie nous indique qu'elle semble n'avoir rien négligé parmi les théoriciens. Citons tout d'abord les classiques: Wolfflin, Pa- nofsky, Foci lion, Frank!; et, bien sûr, les contemporains: Gombrich, Tho­ mas Munro, et Meyer Schapiro. Nous aurons à maintes reprises à revenir sur des notions élaborées dans son ouvrage, surtout parce qu'elles y sont élaborées avec une grande clarté et dans une présentation très structurée.

Dans un article publié en 1953 par la revue Anthropology Today^, Me­ yer Schapiro expose d'une manière fort complète les principes généraux,

les propriétés et les caractéristiques de la stylistique. Il ne donne ce­ pendant aucun indice pour 1'analyse comme telle. Comme chez plusieurs au­ teurs, les exemples d'applications pratiques de 1'analyse stylistique doi­ vent être dénichés dans d'autres articles ou d'autres livres^. De plus, ces analyses portent sur des sujets qui ne sont pas du même type que le nôtre, c'est-à-dire qu'elles analysent la production d'un seul artiste, voire d'une seule oeuvre, ou bien d'un mouvement en particulier. L'arti­ cle de Meyer Schapiro représente cependant un tournant dans 1'évolution de

la stylistique, faisant le point sur les idées véhiculées jusqu'alors. De plus, 1'auteur semblait alors conscient qu'il ne proposait qu'une ébauche

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Au sujet du style dont il a finalement assez peu parlé, Erwin Panof-sky explique que 1'historien de l'art "ne doit décrire les particularités stylistiques ni comme des données mesurables ou déterminables par quelque procédé scientifique, ni comme des stimuli pour ses réactions subjectives,

g

mais en tant qu'elles témoignent d'"intentions" artistiques." L'inten­ tion de l'artiste, présentée comme objet de la recherche, est liée à une définition du style considéré principalement en terme d'un choix fait 1 ors de la mise en forme de l'oeuvre, choix pouvant, d'autre part, être cons­ cient ou non. Panofsky considère ce choix comme une solution significa­ tive à un problème donné, solution significative puisqu'elle provient de 1'intention de 1'artiste. Il donne donc au style une valeur de significa­ tion; le style est alors porteur de sens au même titre que 1 'iconogra­ phie. Voilà 1'intérêt principal qu'apporte la conception de Panofsky: le lien qu'il établit indubitablement entre le style et le sens de l'oeuvre.

Cette attitude , cependant, comporte certains dangers. Elle reflète une considération de l'intérêt du style uniquement lorsqu'il représente un choix, une préférence, une déviation, autrement dit un écart avec la norme. Or, le style défini de la sorte ne recouvre qu'une partie de ce que la notion de style peut représenter. Avec une telle définition, on court le risque d'être tenté de se servir de la notion de style comme d'un critère pour porter un jugement de valeur, considérant comme "a-stylis­ ti ques" les oeuvres n'ayant aucune marque particulière. De plus, parler du choix de 1'artiste en terme de quelque chose de significatif nous amène à parler de la liberté de 1'artiste.

Il ne faut pas s'étonner outre mesure de cette vision des choses chez Panofsky. En effet, lorsqu'il parle du style, son attitude est celle d'un iconologue, c'est-à-dire d'un chercheur qui s'attache à découvrir le pour­ quoi d'une oeuvre, son sens, sa signification globale. En outre, il ne faut pas oublier que la méthodologie de Panofsky fut construite en fonc­ tion d'une conception humaniste. En effet, le style, lié à la significa­ tion, est surtout considéré en tant que porteur d'un message qui donne au

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style une valeur plus élevée. Nous pouvons peut-être tenter d'imaginer comment un iconologue comme Erwin Panofsky aurait pris en considération des estampes comme celles de notre corpus: n1 auraient-elles été que des oeuvres ne possédant aucun intérêt pour une analyse stylistique?

Dans le domaine de 1'histoire de l'art, puisque la méthodologie en stylistique n'est pas encore arrivée à une élaboration très complète, nous n'avons finalement trouvé que bien peu de réponses, parmi les ouvrages consultés, aux problèmes méthodologiques qui ont surgi au fur et à mesure de l'élaboration de notre recherche particulière.

1.2 Objet de la stylistique

Devant une oeuvre d'art, que ce soit en voyant une peinture ou une sculpture, en regardant un monument d'architecture, ou encore en écoutant une pièce de musique, il nous, arrive fréquemment de pouvoir attribuer cette oeuvre soit à une époque précise ou encore à un artiste en particu­ lier. Cette reconnaissance est possible par la présence de certains élé­ ments dans 1'oeuvre. Ces éléments forment une partie de ce que nous appe­

lons le style.

La fonction de la stylistique diffère selon les domaines où elle est utilisée. A un premier degré, le style se manifeste dans un motif, un dessin ou une qualité de 1 'oeuvre, et sert comme instrument de diagnostic pour localiser l'origine d'une oeuvre ou pour la dater. Ce sont principa­ lement les archéologues qui utilisent le style de cette façon. Dans le domaine de 1‘estampe, il existe cependant des éléments plus efficaces que le style pour dater une oeuvre. Parmi les éléments propres à l'oeuvre, nous retrouvons évidemment les inscriptions qui nous fournissent des ren­ seignements sur la date de production elle-même. Les inscriptions concer­ nant les dessinateurs, estampiers, imprimeurs et autres, de même que l'i­ dentité du personnage représenté, servent souvent d'indice pour dater 1'oeuvre.

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Par ailleurs, le style est un moyen servant à faire des regroupements d'objets, c'est-à-dire à classer. Il est alors considéré de deux maniè­ res: soit en tant que style individuel (le style représente alors ce qui est caractéristique ou particulier à un artiste), soit en tant que style collectif. Le style individuel est souvent vu en tant que critère de ju­ gement de l'oeuvre, d'où 1 'habitude d'associer le style à une valeur ar­ tistique propre à une oeuvre ou à un artiste. Cette application du style pris dans un sens normatif existe surtout chez les artistes et les criti­ ques d'art. Le style collectif, quant à lui, "désigne un système: le système des moyens et des règles (on dit aujourd'hui des codes), prescrits ou inventés, mis en jeu dans la production d'une oeuvre.Le style col­ lectif est souvent associé à l'idée d'école ou de mouvement artistique.

En ce qui concerne notre sujet de mémoire, nous n'avons évidemment pas élaboré notre problématique en fonction de la dualité style individuel / style collectif. En effet, 1'estampe présente certaines particularités au niveau des auteurs des oeuvres. Le processus de création est parfois même tellement complexe qu'il s'avère pratiquement impossible de savoir qui a fait quoi. Comment alors pourrions-nous considérer les oeuvres en fonction du style individuel lorsque celles-ci sont le fruit du travail de deux ou même de trois créateurs. L'on sait en effet que durant la pre­ mière moitié du XIXe siècle, les estampiers pouvaient se permettre des ajouts ou des modifications au dessin original, contrairement à aujour­ d'hui où l'estampier doit reproduire le plus fidèlement possible 11 oeuvre de 1'artiste. Pour les oeuvres du XIXe siècle, à qui pourrait-on attribuer

le style: au dessinateur ou à 1'estampier?

D'autres particularités de notre corpus posent des difficultés pour une problématique établie par rapport au style collectif. Par exemple, comment devrions-nous considérer les estampes imprimées à 1‘étranger à partir d'une oeuvre d'un artiste du pays? Bref, le domaine de l'estampe rend très complexe une analyse qui serait basée sur la paternité des élé­ ments de 1'oeuvre.

Finalement, le style peut aussi être vu en tant qu'élément intimement lié à la période qui l'a vu naître. Selon Meyer Schapiro, les historiens

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de 1 1 art, faisant du style l'objet principal de leur recherche, examinent sa formation et son évolution et en analysent les réseaux d'influences. Pour eux, le style est un système de formes qui signifie ou exprime un fait relevant soit du niveau psychologique, soit du niveau social. A un degré plus élevé, "le style reflète ou projette la "forme intérieure" de la pensée et du sentiment collectifs.On considère alors et surtout le style collectif dans ce qu'il a de plus général et englobant. Le postulat de base pour ces applications, est qu'il existe un lien entre un style et l'époque où il a été produit.

1.3 Méthodologies en stylistique

Si, en histoire de l'art, les questions sur la fonction de la stylis­ tique sont relativement bien élaborées, nous ne pouvons malheureusement pas en dire autant de la méthodologie. Un regard aux auteurs ayant pro­ cédé à une analyse stylistique nous indique qu'ils semblent avoir préco­ nisé principalement une méthode intuitive, celle-ci étant souvent considé­ rée comme principalement basée sur l'observation. Dans les faits cette méthode repose essentiellement sur le bagage de connaissances du cher­ cheur. Si l'observation demeure un acte d'interprétation justifiable pour l'analyse stylistique, c'est en grande partie dû à l'expérience de l'ob­ servateur qui confronte ses observations avec ses connaissances. Ainsi, l'observation et l'analyse des oeuvres ne sont pas purement objectives. Pour arriver à une plus grande objectivité dans ce domaine, il faudrait rendre l'observation et l'analyse plus scientifiques.

Comme nous l'avons déjà dit, c'est en linguistique que la stylistique a connu son essor le plus significatif en tant que méthodologie

scientifi-1 ?

que. A l'article "Stylistique" dans 1'Encyclopaedia Universalis , George Mounin présente les différents types d'analyse stylistique. Bien qu'ap­ pliquées à la littérature, ces stylistiques sont susceptibles d'intéres­ ser, par transposition, l'historien de l'art, compte tenu de son objet de recherche.

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sty-décrire d'abord en quoi consiste le style, avant d'en chercher les expli-13

cations de tous ordres." La stylistique signalétique, quant à elle, se situe très près de la stylistique descriptive. A l'aide des statistiques, elle permet "de déterminer la totalité des traits caractéristiques formels d'une oeuvre,..."14 Ainsi, en linguistique, fera-t-on la comptabilité des mots utilisés, dans un texte pour en examiner la nature, la fréquence ou l'emplacement. Il est évidemment très délicat de transposer ce type d'a­ nalyse dans le domaine des arts picturaux. Troisièmement, mentionnons les stylistiques esthétiques où les chercheurs tentent d'aller plus loin en prenant en considération les "effets (psychologiques, idéologiques ou lit­ téraires) des moyens stylistiques qu'ils découvrent dans une oeuvre,[...]. Cette stylistique des effets [est] centrée sur le récepteur au lieu de

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l'être sur l'émetteur ..." De manière scientifique, ce type d'analyse s'effectue à l'aide d'une base de données obtenues grâce à la confronta­ tion des oeuvres avec un ou plusieurs spectateurs.

Parmi les différentes stylistiques de la linguistique, il en est une qui semble avoir été privilégiée dans le domaine de l'histoire de l'art, c'est la stylistique génétique. Celle-ci est évidemment plutôt "centrée sur l'émetteur" et elle cherche à répondre à la question: d'où vient que l'auteur ait ce style? La méthodologie qui en découle est essentiellement basée sur la genèse de la production d'une oeuvre. Elle consiste à faire l'étude des sources qui ont servi à l'artiste, à examiner les états prépa­ ratoires de son oeuvre (projets, esquisses, ...), à rechercher les in­ fluences possibles qu'il aurait reçues, à examiner sa formation et les rè­ gles, académiques ou autres, faisant partie de son art. De plus, par les écrits de l'artiste, s'ils existent, on tentera de découvrir ses motiva­ tions personnelles, psychologiques ou autres.

Dans l'énumération de cette méthodologie, on se rend vite compte des problèmes particuliers qui surviendront dans le domaine de l'estampe, et plus particulièment pour une recherche comme la nôtre. En effet, l'étude des sources ayant servi à l'artiste s'avère parfois très complexe lors­ qu'il s'agit d'oeuvres gravées. Les références directes telles que les écrits d'artistes, de même que l'examen des états préparatoires de ses

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oeuvres, sont denrées plutôt rares. De plus, notre recherche portant sur un corpus d'oeuvres de provenances diverses, un type d1 analyse comme la stylistique génétique prend, pour un mémoire de maîtrise, des proportions démesurées. Dans la mesure de nos possibilités et du temps qui nous était alloué pour cette recherche, nous avons néanmoins considéré certains aspects de cette stylistique génétique dans notre chapitre historique.

La stylistique génétique, plus que tout autre domaine de 1'histoire de l'art portant sur la genèse d'une oeuvre, comporte plusieurs pièges au niveau de la dialectique entre la genèse de l'oeuvre et l'oeuvre elle- même, entre la théorie et le résultat. Georges Mounin, quant à lui, con­ sidère que, "du point de vue linguistique, le péril majeur de ce type d'investigation jusqu'ici, ç'a été 1 'introspection de l'auteur.""*® Il faut donc être très prudent et surtout très critique dans 1'application de cette stylistique.

L'objet de cette recherche vise surtout à retracer l'intention de l'artiste. En expliquant le style uniquement par rapport à l'intention de l'artiste, on fait fausse route. C'est comme si l'oeuvre "ne tenait qu'à

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sa genèse empirique et n'avait pas de statut autonome et spécifique." A travers le style, l'objet de la recherche est plutôt 1 'artiste. Le ques­ tionnement de 1'oeuvre en tant que telle revêt un caractère presque secon­ daire pour ce type de recherche. Or, c'est justement vers l'oeuvre que notre intérêt s'est porté au départ.

1.4 Méthodologie privilégiée pour notre mémoire

Le sujet de notre mémoire de maîtrise couvre la période de 1825 à 1850. A 1'intérieur d'un laps de temps de vingt-cinq ans, une problémati­ que associée au style pose évidemment des questions particulières. Les problématiques, en stylistique, s'articulent fréquemment en terme d'évolu­ tion; et la recherche doit se faire à partir d'un sujet qui couvre une période de temps assez longue pour 'permettre d'établir des comparaisons entre les divers moments stylistiques. Ces comparaisons aident à définir plus précisément chacun de ces instants. A 1 'intérieur d'une trop courte

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période, on ne peut s'attendre à trouver des différences évidentes et ma­ jeures nous donnant la possibilité d'établir les caractéristiques de deux ou trois moments forts. C'est la raison pour laquelle notre problématique s'est articulée autour des différences entre deux types de portraits (fer­ mé et ouvert), correspondant à des provenances bien distinctes (Angleterre et France / Etats-Unis).

La mise en place de ces deux types de portraits implique certains ac­ tes posés avant 1'analyse comme telle: le classement et la comparaison. Ces deux actes en impliquent directement un autre, celui de la descrip­ tion. Nous revoyons ici le principe de la stylistique descriptive qui formera une partie de notre propre analyse. Afin d'effectuer une descrip­ tion qui soit conforme à notre problématique, il s'avère important d'exa­ miner quels sont les éléments de 1'oeuvre associés au style pouvant servir à cette description.

La définition du style la plus claire que nous ayons rencontrée se trouve dans le livre de Margaret Finch mentionné plus haut. Elle le dé­ finit comme les caractéristiques distinctives qui permettent à 1'observa­ teur de relier une oeuvre d'art avec d'autres oeuvres.^ "Par style, ex­ plique Meyer Schapiro, on entend la forme constante -- et parfois les élé­ ments, les qualités et 1 'expression constants -- dans l'art d'un individu

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ou d'un groupe d'individus." Ces deux définitions nous indiquent que le style correspond dans l'oeuvre à quelque chose appelé "caractéristique", "élément", "qualité", et qui est qualifié de constant ou distinctif. Ces qualificatifs donnés aux caractéristiques sous-entendent que le style doit être vu de deux manières: il désigne tout d'abord ce qui rend une oeuvre unique ou particulière; puis, dans une perspective plus large, il permet de relier ou regrouper une oeuvre avec d'autres oeuvres.

Dans 1'oeuvre, ces caractéristiques distinctives font référence aussi bien aux notions de forme, de sujet ou de sens, c'est-à-dire à l'une ou l'autre des trois composantes majeures de l'oeuvre. Nul besoin d'expli­ quer comment la forme peut définir le style. Le sujet s'avère parfois un élément caractéristique dans certains styles. Il existe en effet des sty­ les pour lesquels certains sujets sont spécifiques et dominants. Le sens,

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quant à lui, est parfois lié au style lorsqu'il révèle une partie de 1'in­ tention ou de l'idée de l'artiste. Si la forme est l'élément de 1 'oeuvre traditionnellement associé avec le style, c'est tout simplement parce que ce dernier est souvent associé à 1‘identification d'une oeuvre, et que celle-ci s'effectue grâce à une reconnaissance visuelle.

Il s'avère très intéressant d'examiner 1‘importance du sujet en re­ gard du style. Bien entendu, un sujet implique une forme. Dans un pay­ sage, par exemple, le fait de représenter des conifères plutôt que des feuillus aura des répercussions sur l'aspect formel des arbres. L'effet résultant sera donc différent selon le sujet représenté. Nous voyons ainsi qu'un sujet particulier peut être associé à une qualité particu­ lière. Cette qualité peut à son tour être associée à un style en parti- cul ier.

De la même manière que le sujet exerce une influence sur la forme, nous pouvons affirmer que "le travail de composition est souvent tout

in-20

diqué par le sujet" . Ainsi, dans un portrait s'attend-on à voir habi­ tuellement la tête au-dessus des épaules et non le contraire. Bien sûr,

il existe des cas où l'influence du sujet se fait sentir de manière plus subtile. Comparons par exemple deux portraits d'individus dont l'un est représenté à 1 'extérieur, dans un paysage et l'autre assis à un secré­ taire. Visiblement, celui dans le paysage a plus de chance que l'autre de produire un effet aéré . Cet effet devient légitime si l'on constate que les deux portraits représentent respectivement Jacques Cartier et Louis- Joseph Papineau. Cet exemple compare en fait deux oeuvres de types diffé­ rents: le portrait d'un explorateur et celui d'un homme politique.

Parfois aussi, le sujet implique une expression; ainsi pouvons-nous dire qu'un portrait de roi aura un effet noble. Cependant, nous pouvons aussi supposer qu'il existe des portraits de roi pour lesquels l'effet de noblesse est totalement absent. Dans ce cas, il faut signaler que ce n'est probablement pas l'effet de noblesse qui caractérise vraiment le style des portraits de rois. Ainsi, pour le même sujet aurons-nous sou­ vent deux styles très différents. Il faut donc faire la part des choses quant à 1'importance du sujet sur le style. En effet, le style, même s'il

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lui est soumis.

Remarquons aussi que dans les exemples que nous venons de mentionner, 11 impact du sujet sur le style se fait sentir à travers des aspects for­ mels (forme, composition et expression). La forme et le sujet, quoique distincts par définition, entretiennent des rapports tellement étroits qu'il est parfois très difficile de les distinguer parfaitement. L'examen des rapports entre le sujet et la forme éclaire les influences qu'exerce le sujet sur le style. Nous pouvons ainsi mieux voir comment le sujet n'est pas 1'élément idéal pour baser une analyse stylistique.

D'autre part, si nous basons notre analyse sur le sujet, cela appor­ tera plusieurs problèmes. Le principal danger consiste à établir une ty­ pologie en fonction du sujet, par exemple: personnages politiques, per­ sonnages religieux, voyageurs, personnages historiques, etc. Ce genre d'erreur aboutit inévitablement à des conclusions du genre de celle remar­ quée dans un ouvrage de Madame Sara Stevenson: "Portraits of politicians are, compared to portraits of, say soldiers, singularly lacking in

exci-21

tement and movement." Une remarque comme celle-là semble tellement al­ ler de soi qu'elle parait superflue. C'est donc lors de l'établissement des critères de la description qu'on doit se montrer prudent, en sélec­ tionnant des aspects principalement formels comme le cadrage ou la pers­ pective.

Dans Style in Art History, Madame Margaret Finch explique les raisons pour lesquelles il convient de considérer la forme comme 1'élément le plus efficace pour définir un style:

"Style is any factor pertaining to form, subject, or mea­ ning which is sufficiently constant in a group of art works to establish a relationship among the works. Subject matter and meaning sometimes contain traits that are distinctive enough to be reliable indicators of style. By themselves, however, sub­ ject matter and meaning are usually inadequate gauges. By far the most significant factors in identifying the artist of a work or in locating a work as to date and place involve how the sub­ ject is handled and how the meaning is conveyed. Form is the most reliable clue to the artist's or the group's identity. Form usually betrays identifying characteristics -- style -- no

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matter what the subject or meaning may be. Because of the con­ nection be:./een form and style, the assumption that the two are virtually synonymous is common. Seeking balance, this volume tries to show how subject and mearôpg may also contribute in some degree to the style of a work."

L'alternative que nous allons privilégier pour notre analyse stylis­ tique sera donc essentiellement basée sur une analyse formelle. C'est en quelque sorte la stylistique descriptive qui formera la base de notre ana­ lyse. Toute description qui se veut scientifique doit s'effectuer à par­ tir d'une grille, souvent appelée grille d'analyse. Les critères sélec­ tionnés pour faire partie de cette grille doivent être établis en fonction du type d'analyse à faire; dans notre cas, ils seront d'ordre formel.

Suivant les auteurs que nous avons consultés, les éléments de 1 'oeu­ vre qui correspondent au style sont décrits de façons variables. La con­ ception de Meyer Schapiro est basée sur une observation des éléments qui sont mis de 1 'avant pour la description des styles. Cette description "fait en général référence à trois aspects de l'art: les éléments formels ou motifs, les relations formelles et les qualités (y compris une qualité

OO

d'ensemble que l'on peut appeler 1'"expression")."

On retrouve une conception semblable dans un mémoire de maîtrise

pré-OA

sentë à l'Université Laval par un de nos confrères, Marc Grignon . Il exprime tout d'abord sa méthodologie en fonction de deux types de classe­ ment : la typologie et 1'analyse stylistique. La typologie classe les oeuvres selon des critères basés sur ce qu'il nomme des "traits substan­ tiels", c'est-à-dire, pour 1 'architecture, différents profils de toits, plans, et autres. "L'analyse stylistique, quant à elle, isole des traits à l'aide de critères tels que le linéaire ou le "pittoresque", la composi­ tion fermée ou ouverte et la clarté relative ou absolue. Ces critères traitent des relations entre les différentes composantes; nous sommes par

p C

conséquent en présence d'une analyse formelle." Cette conception réduit les éléments du style dans l'oeuvre à deux catégories: les traits subs­ tantiels et les relations entre composantes. Nous retrouvons là, en quel­ que sorte, les mêmes critères que ceux présentés par Meyer Schapiro.

En réalité, lorsque l'on travaille sur une oeuvre picturale, c^s-eog^

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cepts deviennent moins précis, c'est-à-dire que la frontière entre eux n'est pas aussi clairement dessinée qu'on pourrait le croire. Il existe plusieurs critères dont il est difficile de dire si ce sont des traits substantiels ou des relations entre éléments. Nous pensons par exemple au dégradé, ou encore, à la limite, à la perspective ou au cadrage. Ainsi, dans notre grille d'analyse, avons-nous tout simplement cherché à faire ressortir des éléments formels en allant du plus simple vers le plus com­ plexe.

L'objectif de la description est de procéder à un premier classement des oeuvres du corpus, soit la typologie. Par typologie, nous entendons une manière de classer des objets selon des critères qui, dans notre re­ cherche, ne correspondent pas nécessairement à notre classement stylisti­ que. De plus, la typologie est nécessaire afin de "faciliter 1 'analyse stylistique ou formelle en la situant dans une substance qui varie peu: le type" . Cette assertion sous-entend l'idée selon laquelle 1 'analyse stylistique s'effectue plus facilement à 1‘intérieur d'un corpus d‘oeuvres qui présentent une certaine homogénéité dans les traits. Nous avons déjà abordé ce sujet dans notre introduction pour expliquer les raisons qui nous ont poussée à choisir le portrait comme sujet de recherche.

Cependant, même à l'intérieur d'un corpus composé uniquement de por­ traits, il faut classer les oeuvres suivant une typologie qui regroupe celles qui contiennent le plus de traits communs. Dans la grille d'ana­ lyse, le classement typologique correspond à certains éléments, comme le cadrage ou la pose du personnage. Soulignons finalement que nous voyons la typologie, non pas comme un but en soi, mais comme un moyen, un outil de travail, permettant d'effectuer ce qui est le propre de 1'analyse sty­

listique: la comparaison.

Nous expliquerons maintenant certains points de notre grille d'ana­ lyse. Un exemple de celle-ci se trouve à 1'annexe II. Le modèle princi­ pal dont nous nous sommes servi pour cette grille est le Thesaurus icono-27 ---graphique , publié à Paris par François Garnier en 1984. Ce "[système descriptif des représentations] sert à traiter une partie essentielle des informations nécessaires à la constitution de bases de données créées par

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éléments iconographiques, mais, vu son caractère très complet, nous nous en sommes beaucoup inspirée.

Le point "1.0 Genre de la représentation", sert tout simplement à in­ diquer que nous sommes en présence de portraits. Les autres genres icono­ graphiques du portrait (autoportrait, portrait charge, etc.) ont été ex­ clus dès le départ de notre recherche, mais nous les avons laissés dans notre grille à titre de référence.

Le déterminant d'exécution (point 2.0) est le seul élément de la grille qui ne soit pas formel, faisant plutôt partie de la fiche technique de l'oeuvre. Nous l'avons inclus à cause de 1'importance de cet aspect pour notre recherche. En effet, le déterminant d’exécution correspond à une partie de la genèse de l'oeuvre.

Les déterminants de la manière et de la représentation sont les prin­ cipaux éléments de notre grille d‘analyse. Nous avons tenté de les rendre les plus précis et les plus exhaustifs possible. Nous aimerions surtout nous attarder au point 3.1, celui des éléments substantiels de la repré­ sentation, que Meyer Schapiro appelle "les éléments non mimétiques de 1'i-

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mage" . Ils représentent ce que l'on pourrait appeler le premier degré de la technique, c'est-à-dire: la ligne, le pointillé, le grain, la ligne granulée, etc. Ceux-ci servent la plupart du temps à identifier la

tech-30 nique, mais nous les voyons plutôt en tant que "substance imageante" , ce qui fait d'eux la base de 1'analyse formelle.

La technique (terme général pouvant inclure le matériau, le procédé, de même que les règles de l'art) peut être considérée comme un élément apte à définir le style. Si l'on définit la technique comme une manière de produire une oeuvre, le lien avec le style devient tout à fait évident. Lorsque l'on parle de style collectif par exemple, les règles et conven­ tions mises en pratique lors de la production d'une oeuvre prennent alors beaucoup d'importance. Cependant, elles ne suffisent pas à déterminer le style, même collectif.

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définitions; mais en général, ces éléments sont moins propres à l'art d'une certaine période que les traits formels ou qualita­ tifs.'^1

Nous pouvons ainsi dire que la technique doit servir d'élément pour le style, mais seulement à un premier degré, celui des éléments non mimé­ tiques de l'image. C'est pourquoi la technique (burin, lithographie, ou autre) ne fait pas partie de notre grille d'analyse. Nous ne ferions évi­ demment pas l'erreur de classer les oeuvres par la technique, ce qui se­ rait comme les classer par le sujet. En ce qui concerne notre analyse, puisque notre corpus ne comporte que des estampes, le danger consiste sur­ tout à donner une définition du style en fonction de la spécificité du mé­ dium. Il faut dire cependant que les estampes analysées ne relèvent pas toutes d'une seule technique. Cela devrait donc minimiser les risques de mettre de 1'avant des éléments de la technique qui n'auraient en fait rien

à voir avec le style.

Partir des éléments substantiels de la représentation constitue par ailleurs un excellent exercice pour le regard. Il ne faut surtout jamais oublier que ce que nous voyons sur le papier est une représentation qui ne fonctionne pas grâce aux mêmes règles et principes que la vision de la réalité. C'est à force de développer une autre manière de regarder les formes que l'on peut mieux analyser ce qui s'y passe, et c'est en partant des éléments non mimétiques de l'image et en considérant graduellement les relations de formes que l'on risque le moins de commettre des erreurs d'interprétation. Ainsi en vient-on à considérer les composantes du style en tant que résultant de ces éléments de base de l'image, à comprendre et à rationaliser le style, car ce que l'on définit en termes de qualité ou d'expression de l'oeuvre trouve souvent son origine dans les qualités de la ligne ou du point. "Ces qualités de la substance imageante, comme le sait tout artiste, ne sont pas totalement séparées des qualités des objets représentés. Un contour plus épais rend la figure plus massive; une 1

i-32 gne fine peut lui ajouter grâce et délicatesse; ..."

Notre analyse stylistique, rappelons-le, ne se base pas uniquement sur la description des oeuvres, mais prend aussi en considération certains

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aspects de la genèse de celles-ci. Ainsi, avant de procéder à 11 analyse de notre corpus d'oeuvre, s'avère-t-il primordial de présenter les résul­ tats de nos recherches concernant le milieu de 1'estampe au Bas-Canada en­ tre 1825 et 1850. Ces données composent le chapitre suivant, c'est-à-dire la partie historique de notre mémoire de maîtrise.

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1. Georges Mounin, "Stylistique", dans Encyclopaedia Universalis, Paris, 1985, Corpus 17, pp. 307-309.

2. Ibid., p. 307.

3. Georges Mounin, "La Stylistique", dans Clefs pour la linguistique, Paris, Seghers, 1979, p. 149.

4. Margaret Finch, Style in Art History. An Introduction to Theories of Style and Sequence, Metuchen(N.J.), Scarecrow Press, 1974,

viii-170 p.

5. "Theories about classifications for art are again coming into favor after a half century of relative neglect." Idem, p. v

6. Meyer Schapiro, "Style", dans Anthropology Today, University of Chi­ cago Press, 1953, pp. 287-312. Cet article est traduit en français par Daniel Arasse dans: Meyer Schapiro, Style, artiste et société, Paris, Gallimard, 1982, pp. 35 à 85.

7. Par exemple, dans les chapitres suivant celui sur le style du livre de Meyer Schapiro, Style, artiste et société, ci-dessus mentionné. 8. "The turning point was perhaps in 1953 when Schapiro reviewed past

ideas in an article called "Style" and concluded that there was a need for a modern theory of style." Finch, op. cit., p. v.

9. Erwin Panofsky, L'oeuvre d'art et ses significations. Essais sur les arts visuels, Paris, Gallimard (col 1. Bibliothèque des sciences hu­ maines, NRF), 1982, p. 47.

10. Mikel Dufrenne, "Style", dans Encyclopaedia Universalis, Paris, 1985, Corpus 17, p. 297.

11. Schapiro, op. cit., p. 36.

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13. Ibid., p. 308. 14. Ibid.

15. Ibid.

16. Mounin, "La Stylistique", dans Clefs pour la linguistique, p. 153. 17. Marc Grignon, Analyse de 1'architecture religieuse de Louis Caron

père, Louis Caron fils et Jules Caron, thèse présentée à l'Ecole des gradués de 11 Université Laval pour l'obtention du grade de Maître ës Arts (M.A.), août 1983, p. 8.

18. "Style may be defined as those distinctive characteristics that ena­ ble the observer to link an art work with other works." Finch, op. cit., p. 1.

19. Schapiro, op. cit., p. 35.

20. Louis Juglar, Le style dans les arts et sa signification historique, Paris, Hachette, 1901, p. 43.

21. Sara Stevenson, A face for any occasion. Some aspects of portrait engraving, Ecosse, Scottish National Portrait Gallery, 1976, p. 87. 22. Finch, op. cit., p. 4.

23. Schapiro, op. cit., p. 39.

24. Dans 1'introduction de son mémoire de maîtrise mentionné ci-dessus, Marc Grignon donne un bref exposé de son approche méthodologique. Nous y avons trouvé un modèle très intéressant au niveau de 1'analyse pratique. Malheureusement, comme son approche est celle d'un histo­ rien en architecture, elle ne pouvait nous donner tous les éléments dont nous avions besoin, ne serait-ce que du simple fait qu'il y man­ quait la notion de sujet. Or, en architecture, ce qui peut s'appa­ renter à l'idée de sujet ne se situe pas vraiment au niveau de la re­ présentation. Autrement dit, une colonne est bel et bien une colonne et a le droit d'être ainsi nommée. Il en est autrement lorsque cette colonne est peinte ou imprimée. Le niveau d'interprétation se com­ plexifie. Malgré cette restriction, nous avons trouvé dans 1'intro­ duction du mémoire de Marc Grignon la plupart des principes concer­ nant la classification applicable à l'histoire de l'art.

25. Grignon, op. cit., p. 4. 26. Ibid., p. 6.

27. François Garnier, Thesaurus iconographique. Système descriptif des représentations, Paris, Le Léopard d'Or, 1984, 239 p.

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28. Ibid., p. 11.

29. Schapiro, op. cit., p. 28.

30. Ibid., p. 31.

31. Ibid., p. 39.

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HISTORIQUE:

1'estampe au Bas-Canada entre 1825 et 1850

2.1 Le marché de l'estampe au Bas-Canada, 1825-1850

La caractéristique générale de l'estampe, qui est de reproduire une image dans une plus ou moins grande quantité, en fait un moyen de diffu­ sion privilégié. En cette première moitié du XIXe siècle, la photographie n'en est qu'à ses premières manifestations, et elle n'a pas encore, sur l'édition, l'impact qu'elle aura dans la deuxième moitié de ce même siè­ cle. De plus, le développement de la lithographie à partir des années 1820, et le perfectionnement de certaines autres techniques de gravure, dont l'aquatinte, vont rendre 1'estampe de plus en plus attrayante. Pour le milieu de l'édition et aussi pour celui des artistes, l'estampe appa­ raît vite comme un moyen idéal de diffusion autant que comme un processus créateur important. C'est ainsi que plusieurs artistes prendront l'ini­ tiative de faire imprimer eux-mêmes leurs oeuvres, sans passer par l'in­ termédiaire d'un éditeur.

En 1827, John James, peintre d'origine américaine domicilié à Québec depuis 1815% fait part au grand public de son intention de "tirer le por­ trait" de Louis-Joseph Papineau et de le faire graver "dans le plus haut

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style" . Probablement à cause du peu d'encouragement de la part du pu­ blic, John James ne terminera son tableau que quatre ans plus tard. Quant

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à son projet d'estampe, il semblerait qu'il ne soit jamais parvenu à y donner suite, pour des raisons de concurrence que nous verrons plus loin. Cette annonce où John James projette en même temps 1'exécution d'un ta­ bleau et d'une estampe indique que ce procédé représentait bien pour les artistes un moyen de diffusion exceptionnel.

Quant aux éditeurs de livres et de journaux, ils espèrent que la belle estampe leur attirera de plus nombreux lecteurs. C'est ainsi que, tout au long du XIXe siècle, nous voyons de plus en plus fréquemment l'u­ tilisation de portraits, de paysages ou de scènes de genre, en planches hors-texte, pour illustrer des volumes, de même que des illustrations en tête de pièces de musique. Dans le même ordre d'idées, des éditeurs de journaux offrent à leur clientèle des estampes en feuilles, de plus ou moins grand format, représentant souvent des personnages de la vie pu- blique.

Même si 1'estampe représente un moyen de diffusion privilégié, le marché de celles qui sont imprimées au Bas-Canada vit des hauts et des bas. Avant 1800, Québec est la ville où la situation du marché des estam- pes imprimées au pays est la plus florissante . Puis, de 1815 à 1822, c'est en Nouvelle-Ecosse que se situe le principal centre de production d'estampes. Avec 1 'apparition des premières firmes lithographiques au Bas-Canada en 1831, Montréal et Québec connaissent alors un nouvel essor. Entre 1830 et 1850, de plus en plus d'oeuvres sont exécutées au pays^ ou commandées à 1 'étranger. La récession économique de la fin des années 1840 diminue le nombre d'oeuvres produites au pays, mais plusieurs pro­ viennent néanmoins de commandes à 1 'étranger.

On pourrait objecter que 1'apparition de la photographie a eu un im­ pact sur cette diminution de la production du pays. Nous croyons cepen­ dant qu'il serait plus juste de dire que la photographie a concurrencé principalement les portraits exécutés au crayon, les miniatures, et au­ tres. En ce qui concerne 1'estampe, il faut plutôt considérer que la pho­ tographie a servi d'outil de travail plus que de médium concurrentiel. En effet, dès le milieu du XIXe siècle, de plus en plus de portraits sont exécutés à partir de daguerréotypes. Notre catalogue en montre deux beaux

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exemples, ceux de Sir Louls-Hippol ite Lafontaine (n° 18 du catalogue) et de Barthélémi Joliette (n° 22 du catalogue). Les deux estampes furent exécutées à partir de daguerréotypes de "M. Desnoyers".

Dans le domaine de l'estampe en ce début du XIXe siècle se sont créés des liens tout naturels entre les créateurs et le milieu de l'édition. Ainsi, la plupart des portraits gravés sont exécutés en collaboration. Il est même plutôt rare, au Bas-Canada, de voir un artiste indépendant s'a­ donner à l'estampe et posséder sa propre presse^. D'autres artistes s'in­ téressent à la gravure et désirent produire des estampes à partir de leurs oeuvres. Ils préfèrent alors avoir recours aux ateliers existant au pays ou à l'étranger. C'est le cas pour John James et pour Théophile Hamel qui font tous deux affaire avec des firmes de 1'extérieur du pays.

Théophile Hamel représente un exemple très intéressant puisqu'il pro­ duira une quantité non négligeable de portraits. Il fera affaire tout d'abord avec des lithographes français, pour le portrait de l'abbé McMahon (n° 16 du catalogue), puis avec un estampier résidant aux Etats-Unis, Francis Davignon^, lithographe de New York, avec lequel il produira plu­ sieurs portraits, dont trois que nous reproduisons dans notre catalogue (nos 17, 19 et 21). Cependant, Théophile Hamel représente un cas assez tardif dans la période qui nous préoccupe. En ce sens, on pourrait dire qu'il préfigure la période suivante, qui sera particulièrement plus pro­ lifique dans le domaine de l'estampe. L'exemple de John James est plus représentatif de l'état des relations entre l'estampe et l'édition durant la période de 1825 à 1850.

C'est en 1825 que John James, alors peintre de Québec, exécute un portrait de l'évêque de cette même ville, Mgr Plessis. Ce portrait avait été commandé par les paroissiens du quartier Saint-Roch de Québec, à l'oc­ casion du 24ième anniversaire de la consécration de Mgr Plessis^. La gra­ vure en fut exécutée vers 1826 par un artiste américain, Asher Brown Du­ rand, et vendue à la population (n° 3 du catalogue). La réussite de cette oeuvre inspira probablement à John James, en 1827, le projet d'un portrait de Louis-Joseph Papineau, portrait qu'il voulait faire graver par la

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n'entend plus parler de ce portrait avant 1832, année où il reprend son idée d'un portrait et d'une estampe. Il rencontre alors vraisemblablement quelques difficultés. Les coûts de production pour faire graver une es­ tampe semblent visiblement assez élevés puisqu'il est mentionné que: "M. James avait déjà obtenu dans le principe environ 400 souscripteurs. Il lui en faut encore pour le mettre en état de le faire graver par un des

Û

plus habiles artistes." Malgré le fait qu'il utilise le système de la 1 0

souscription , John James a de la difficulté à s'en tenir au prix de cinq chelins annoncé pour son estampe. Il tente en vain d1 intéresser les gens

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au fait que sa gravure représente Papineau en pied et non en buste . Au­ cune annonce de mise en vente ne semble avoir été publiée pour cette gra­ vure et aucun exemplaire pouvant concorder avec la description qui en est faite n'a été retracé.

Ce prix de cinq chelins que James essaie de conserver pour sa gravure correspond à celui qui était demandé pour une autre estampe représentant Louis-Joseph Papineau (n° 6 du catalogue). Celle-ci est publiée par la firme de Charles-Joseph Hullmandel de Londres et éditée chez Adolphus Bourne. Graveur de Montréal, Bourne s 'associe avec Edouard-Raymond Fabre (1799-1854) qui est libraire. Ce dernier collabore financièrement au

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journal La Minerve et est propriétaire du Vindicator . Seul, John James peut difficilement vaincre la concurrence, alors que Edouard-Raymond Fabre et Adolphus Bourne sont déjà bien ancrés dans le domaine de 1 'édition. Ainsi, à moins de travailler en association avec un éditeur, le seul moyen pour un artiste d'arriver à ses fins est d'avoir sa propre imprimerie, ce qui demande un investissement important. Peu d'arcistes opteront pour ce choix et, durant la première moitié du XIXe siècle, on fera souvent appel aux graveurs et lithographes oeuvrant à 1'étranger. Les estampes impri­ mées au pays le seront donc de concert avec le milieu de l'édition qui, plus stable, peut se permettre de financer une telle opération.

Le fait que certains estampiers émigrent aux Etats-Unis est un autre indice de l'état précaire dans lequel se trouvait le marché de l'estampe imprimée au Bas-Canada. Il existe à notre connaissance deux cas d'émigra­ tion aux Etats-Unis, ce qui peut sembler minime, mais ils sont importants puisque les estampiers en question devinrent assez célèbres et prolifiques

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chez nos voisins du sud.

James et William Cumming Smillie sont deux frères d'origine écos­ saise. C'est en 1821 qu'ils s'installent à Québec avec leur père, un or­ fèvre qui ouvre alors une bijouterie. James a appris la gravure dans sa ville natale, Edimbourg, et il s'adonne à son métier dans la ville de Quë-

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bec . Après avoir illustré quelques ouvrages dont le bien connu The Pic­ ture of Quebec^, James Smillie part en 1829 s'installer à New-York. L'année suivante, son frère William C. le suivra^. C'est lors du départ de ee dernier qu'un chroniqueur du Quebec Mercury relate la conjoncture des événements ainsi que les motifs de ce départ:

"Mr. Smillie, Jun. of whose progress in the art of engra­ ving we have already had several occasions to speak in terms of unmixed approbation, is about to leave this Province for the United States, and proposes to settle at New York, not having found in Canada sufficient employment in the higher branches of his art to induce him to stay amongst us. We should express our regret at his departure, but that we are certain he is following that course which will ensure his success as an artist and pro­ mote his advancement in life, and it would be unreasonable to expect that a young man should sacrifice those talents, with which he is endowed, by remaining in a country where they can scarce have an oportunity of being known and appreciated as they deserve. [...]"!6

Le cas de Napoléon Sarony (1821-1896) n'est pas aussi révélateur de la situation au Bas-Canada, puisqu'il quitte Québec pour se rendre à New- York vers 1836, c'est-à-dire à l'âge d'environ 15 ans. Comme il étudie le dessin dans cette ville^, il y a tout lieu de croire que sa carrière n'é­ tait pas encore commencée lors de son départ. Cependant, Napoléon a un frère cadet, Hector Sarony (1828-1856). Ce dernier "fit une partie de ses études classiques au séminaire de Nicolet (1842 à 1845). En laissant Ni -colet, il se livra à l'étude du dessin. Il revint à son Alma Mater comme

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séminariste en 1851." Ses études en dessin, il semblerait que Hector Sarony les ait faites à New York. De plus, comme il est supposé avoir

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posé à l'American Institute en 1848 et 1849 en tant que lithographe, tout nous laisse croire qu'il avait aussi été initié à la lithographie à New-York. Revenu au Québec en 1851, Hector Sarony sera professeur d'an­ glais et de dessin au séminaire de Nicolet jusqu'à ce que la maladie

l'o-?Q blige, en 1855, à quitter le séminaire .

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Lorsqu'en 1854 Hector Sarony exécutera une vue du séminaire de Nico- let, c'est à New-York, chez son frère Napoléon, que le dessin sera litho­ graphié. Même si Hector Sarony était lithographe, le séminaire de Ni col et ne devait pas être équipé pour exécuter cette oeuvre. Cette vue du sémi­ naire n'est pas la seule oeuvre à sujet canadien exécutée par Napoléon Sa­ rony. Nous devons au crayon lithographique de cet artiste quelques belles estampes, imprimées aux Etats-Unis mais destinées au marché du Bas-Canada. Signalons surtout le portrait de Louis-Joseph Papineau (n° 8 du catalo­ gue), qui serait une de ses toutes premières oeuvres et, de toute évi­ dence, sa première oeuvre à sujet canadien .

Les raisons qui font que certains estampiers émigrent aux Etats-Unis sont évidentes. L'imprimerie en Nouvelle-Angleterre commence environ cent ans avant la nôtre. Le marché y est donc plus avancé, les structures plus évoluées et surtout, il y existe des ateliers qui offrent une plus grande sécurité pour les artistes. Il est ainsi normal que ce voisin attire chez lui quelques-uns de nos estampiers, parmi les meilleurs.

Les Etats-Unis ne font pas qu'attirer parmi leurs rangs des estam­ piers du Canada. Nous avons déjà mentionné quelques exemples d'oeuvres imprimées au Etats-Unis. En effet, l'industrie florissante de 1'estampe en Nouvelle-Angleterre attire aussi 1'impression d'oeuvres destinées à une diffusion au Canada. Des artistes comme Théophile Hamel et aussi des da- guerrëotypistes comme M. Desnoyers font imprimer leurs portraits à New- York. Le même phénomène existe dans les provinces maritimes où, après

pi 1830, seulement deux lithographies exécutées au pays ont été retracées .

L'estampe est un médium qui intéresse nécessairement les artistes et créateurs. Nous avons déjà abordé quelques-uns des facteurs qui rendent difficiles la publication d'une estampe. Signalons toutefois qu'on remar­ que chez les créateurs un désir réel de favoriser l'essor de 1'estampe au Bas-Canada. Dans un article publié en 1844, où Gerome Fassio annonce la prochaine parution d'un portrait lithographié de Louis-Joseph Papineau, il

Op

mentionne que son but n'est pas de faire de la spéculation . Ainsi, même si les avantages politiques de 1 'opération sont évidents, il appert que si certains artistes sont prêts à faire des concessions pour arriver à pu­

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b1 ier leurs oeuvres, c'est" aussi pour encourager 1'avancement de 1'estampe imprimée au Bas-Canada. Et Napoléon Aubin, imprimeur pour cette lithogra­ phie, n'est pas avare de projets à ce chapitre. Ainsi, en mai 1844, fait- il courir une souscription pour un projet intitulé: "Galerie des Illus­ trations Canadiennes" (fig. 1). Publiée de façon périodique, cette série d'estampes "d'un format commode à encadrer ou à conserver en cahier" au­ rait consisté en des "portraits lithographiés des hommes dont la réputa- tion honore le pays ou dont le nom se rattache à son histoire" . Même si quelques portraits furent publiés, ce projet ne semble pas avoir acquis la popularité escomptée.

Les oeuvres imprimées à 1 'étranger proviennent non seulement des Etats-Unis, mais aussi de l'Europe, principalement de 1'Angleterre et de la France. Un regard sur la situation du portrait gravé dans ces pays nous permettra de mettre en lumière certains aspects du marché du portrait gravé au Bas-Canada.

L'estampe des XVIIe et XVIIIe siècles en Europe est fortement représentée par le portrait gravé. C'est en effet durant cette période que l'on voit plusieurs bons spécialistes du portrait gravé, tels les Ro­ bert Nanteui1 (1623-1678), Augustin de Saint-Aubin (1736-1807) et Richard Earlom (1743-1822). On remarque cependant, dès le XVIIIe siècle, une di­ minution notoire dans la production de l'Italie, de l'Allemagne et même de

la Hollande où le portrait gravé avait connu ses heures de gloire au XVIIe siècle. Reste la France, mais aussi 1 'Angleterre; ce pays connaît d'ailleurs une renommée grandissante dans la production de portraits

gra-OA p

vés . Le début du XIX siècle demeurera sur cette lancée, ce qui ex­ plique que les commandes de portraits gravés du Bas-Canada soient passées principalement en France et en Angleterre. Cette branche du domaine de 1'estampe connaît néanmoins une baisse en France durant la première moitié du XIXe siècle, notamment au profit de sujets tels que la caricature, le portrait charge, les sujets politiques et les scènes de genre.

Si la situation du portrait dans 1 'estampe en Angleterre, en France et aux Etats-Unis est un facteur important à considérer, les relations que le Bas-Canada entretien avec ces pays sont tout autant révélatrices.

Figure

Fig. 5: JOSEPH BOUCHETTE ESQ^/ SURVEYOR GENERAL OF LOWER .CANADA/ AND/
Fig. 6: CHARLES-AUGUSTE-MARIE-JOSEPH,/ COMTE DE F0RBIN-JANS0N,/ Evêque de Nancy  et de Toul, Primat de Lorraine./ Né à Paris, le 3 Novembre 1785
Fig. Franciscus de Laval, Primus Episcopus Quebecensis. Gravé par Claude Du-  Flo's, 1708
Fig. 11: JACQUES CARTIER,/ THE DISCOVERER OF CANADA.1 534-35.  D'après un dessin de Th
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