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Alternances et mélanges des langues dans les interactions en classe : le cas de l'école primaire en Guadeloupe

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: dumas-01192939

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01192939

Submitted on 4 Sep 2015

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Alternances et mélanges des langues dans les

interactions en classe : le cas de l’école primaire en

Guadeloupe

Lisa Ponceau

To cite this version:

Lisa Ponceau. Alternances et mélanges des langues dans les interactions en classe : le cas de l’école primaire en Guadeloupe. Education. 2015. �dumas-01192939�

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UNIVERSITE DES ANTILLES ET DE LA GUYANE

ESPE de Guadeloupe

Mémoire de Master

« METIER DE L’ENSEIGNEMENT, DE L’EDUCATION

ET DE LA FORMATION »

Mention « Premier degré »

Présenté en vue de l’obtention du Grade de Master sur le thème :

Alternances et mélanges des langues

dans les interactions en classe :

Le cas de l’école primaire en Guadeloupe

Mémoire présenté par

Lisa PONCEAU

Directeur: Frédéric ANCIAUX

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout particulièrement à remercier mon directeur de mémoire, Monsieur Frédéric Anciaux, pour sa contribution à l’avancée et à l’aboutissement de mon projet de recherche, pour ses précieux conseils et sa grande disponibilité.

Je tiens également à remercier Madame Lylia Crane qui m’a orientée vers des lectures complémentaires en relation avec mon objet d’étude, ainsi que Madame Claudine Renaut-Landry pour sa gentillesse et sa patience lors des prêts des livres.

Mes sincères remerciements vont également aux 25 enseignants qui ont accepté de collaborer à mon enquête et donné de leur temps pour que je mène à bien mes séances d’observation et mes entretiens d’explicitation.

J’exprime enfin toute ma reconnaissance à ma famille, à mes proches et tout particulièrement à mes collègues et amies Sdaidy Brailleur et Fabienne Polynice et mon compagnon Pierre Dupont pour m’avoir soutenue, épaulée et supportée tout au long de cette aventure et de cette expérience fort enrichissante.

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

AC Alternance codique

ATSEM Agent Territorial Spécialisé des Écoles Maternelles

B.O. Bulletin Officiel

CAPES Certificat d’Aptitude à l’Enseignement Secondaire

CP Cours Préparatoire

CE1 Cours Élémentaire Première Année

CE2 Cours Élémentaire Deuxième Année

CECRL Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues

DL Discipline linguistique

DNL Discipline non linguistique

EPS Éducation Physique et Sportive

INSEE Institut National de la Statistique

LVE Langue Vivante Étrangère

LVR Langue Vivante Régionale

MC Mélange codique

MEN Ministère de l’Éducation Nationale

MS Moyenne Section

PEL Portfolio Européen des Langues

PS Petite Section

SCCC Socle Commun de Connaissances et de Compétences

TACD Théorie de l’Action Conjointe en Didactique

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SOMMAIRE

REMERCIEMENTS ... p. 2 LISTE DES ABRÉVIATIONS ... p. 3 INTRODUCTION ... p. 5 PREMIÈRE PARTIE : CONTEXTE DE L’ÉTUDE, ENQUÊTES ANTÉRIEURES ET CADRE THÉORIQUE ... p. 7

I. Les langues en contexte ... p. 7 II. Les langues dans le système éducatif français ... p. 10 III. Du bilinguisme à l’alternance codique ... p. 13 IV. Les langues en classe : rôle didactique ... p. 25

V. Alternance et mélange codiques au cours des interactions didactiques ... p. 27

DEUXIÈME PARTIE : PROBLÉMATIQUE, HYPOTHÈSES ET

MÉTHODOLOGIE ... p. 30

I. Problématique et hypothèses ... p. 30 II. Méthodologie ... p. 31

TROISIÈME PARTIE : PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES

RÉSULTATS ... p. 35

I. Résultats des questionnaires ... p. 35 II. Résultats des séances d’observation ... p. 47 III.Résultats des entretiens d’explicitation ... p. 65

CONCLUSION ... p. 67 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... p. 69 ANNEXES ... p. 73 TABLE DES ANNEXES ... p. 88 TABLES DES FIGURES ... p. 89 TABLE DES TABLEAUX ... p. 90 TABLE DES GRAPHIQUES ... p. 91 TABLE DES MATIÈRES ... p. 93

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INTRODUCTION

« Chaque langue est une fenêtre ouverte sur le monde. »

(Steiner, 2011)

La Guadeloupe est un territoire ancré dans un contexte essentiellement bilingue : le français, langue nationale et officielle, et le créole, langue régionale. La population guadeloupéenne évolue donc dans un contexte où deux langues coexistent. Cependant, les vagues migratoires, ayant marqué l’évolution linguistique et culturelle de la Guadeloupe, laissent supposer que ce contexte tend à être plurilingue car de multiples langues et cultures s’entrecroisent. Cette pluralité linguistique et l’impact qu’elle pourrait avoir sur la construction des savoirs, l’apprentissage d’une langue, la gestion de la classe au sein des enseignements à l’école primaire font l’objet de mon travail.

Lors de mes stages d’observation puis de pratique accompagnée de Master 1, lesquels se sont déroulés entre le 6 janvier et le 21 février 2014 dans une école maternelle et une école élémentaire, j’ai relevé des situations mettant en jeu l’usage d’autres langues que le français au sein de la classe, notamment l’anglais, l’espagnol et le créole, tant chez l’enseignant que chez l’élève. Il est donc ressorti le constat professionnel qu’une langue autre que le français intervient de façon ponctuelle et spontanée quelle que soit la discipline abordée que ce soit chez l’enseignant ou chez l’élève. Ce constat a été le point de départ de mon Dossier d’Études et de Recherche (DER) et a contribué par la suite à donner du sens à mon mémoire.

En analysant les situations de classe de ces stages, des changements de comportement semblent être opérés chez les élèves lorsque l’enseignant intervient dans une autre langue. En effet, ces alternances et mélanges de langues sont principalement apparus à des fins pédagogique et didactique : rappeler à l’ordre, faire respecter les règles de vie en classe, exprimer un sentiment de colère; ou, au contraire, détendre l’atmosphère, faire de l’humour, citer des proverbes, reformuler des consignes. En ce qui concerne les élèves, l’utilisation du créole marquait une volonté de communiquer avec leurs pairs, de se moquer des autres, de gérer des conflits entre camarades ou simplement de rigoler ou demander une aide. Ils employaient également le créole ou l’anglais pour recadrer un camarade lors d’un travail en groupe pendant les séances de langue vivante étrangère (LVE) ou dans toute autre discipline non linguistique comme l'Éducation Physique et Sportive (EPS) par exemple.

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Parallèlement, d’autres situations ont témoigné de la présence exclusive du français dans l’espace-classe. Aucun recours à une autre langue n’a été observé chez certains enseignants. Cette absence de passages d’une langue à une autre peut être liée à une non-maîtrise des langues concernées ou à une pratique personnelle donnant l’exclusivité à la

langue nationale : le français. Or, selon Dorville (non daté)1, le créole par exemple constitue

« […] le déjà-là sans lequel aucun apprentissage n’est possible pour la majorité des élèves [des enseignants]. » Autrement dit, tout enseignant devrait partir des compétences langagières et linguistiques propres aux élèves, tenir compte de leurs acquis antérieurs pour introduire de nouveaux apprentissages et savoirs. Partir du « déjà-là » des élèves suppose alors la prise en compte du contexte dans lequel ils évoluent comme le montrent Anciaux et al. à travers le

concept de « contextualisation didactique »2.

Qu’ai-je tiré comme conclusion de mes observations ? Tout d’abord, j’ai fait le constat que les langues interviennent soit de façon programmée lors des séances de langue vivante étrangère ; ou alors spontanément dans le déroulement de la classe (activités, passation d’une consigne, gestion de la discipline, attention, humour) ; et ce, aussi bien chez l’élève que chez l’enseignant. Par ailleurs, certains enseignants n’ont pas recours à d’autres langues que le français. Il serait alors intéressant d’analyser les interventions d’enseignants et d’élèves dans d’autres langues que le français dans le cadre des interactions en classe, en s’interrogeant sur les effets, les formes et les fonctions du passage d’une langue à une autre au sein de la classe.

Dans un premier temps, il conviendra de cibler les contextes régissant mon sujet, avant de définir les concepts clés, d’aborder les résultats des enquêtes antérieures et de mettre l’accent sur les approches théoriques permettant d’éclairer mon objet d’étude. La synthèse de mes lectures permettra ensuite d’exposer la problématique générale, les questions de recherche guidant ma réflexion et d’émettre deux hypothèses de recherche pour lesquelles j’exposerai la méthodologie mise en œuvre en vue de leur vérification ou infirmation. Enfin, une dernière partie sera consacrée à la présentation et à la discussion des résultats recueillis.

1 Cf. DORVILLE, A. (Non daté). Si le créole pouvait parler… Repéré à

http://www.potomitan.info/ki_nov/pouvaitparler.html . Consulté le 07/06/2014.

2 « C’est un processus de sélection et de prise en compte d’éléments pertinents du contexte didactique en vue

d’assurer l’efficacité du processus d’enseignement-apprentissage. » (Anciaux et al., 2013). Notons que l’alternance codique (que nous développerons dans les définitions) fait partie de ces éléments.

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PREMIÈRE PARTIE :

CONTEXTE DE L’ÉTUDE, ENQUÊTES ANTÉRIEURES ET CADRE THÉORIQUE

I.

Les langues en contexte

S’intéresser à l’alternance et au mélange des langues à l’école primaire en Guadeloupe revient à considérer la présence d’une pluralité de langues non seulement sur le territoire guadeloupéen mais également dans les pratiques langagières des différents acteurs du sytème éducatif. D’où viennent ces langues ? C’est à cette question que je tenterai de répondre à travers ce premier chapitre enrichi de la synthèse de mes lectures sur les langues en contexte.

I. 1. Contexte des Antilles

La Guadeloupe3 est un département et une région d’Outre-mer français et une région

ultrapériphérique de l’Union Européenne. Cet archipel, situé dans les Petites Antilles, est constitué de deux régions séparées par la Rivière Salée : la Basse-Terre et la Grande-Terre ; et d’autres îles telles que Marie-Galante, Les Saintes ou encore La Désirade. Géographiquement, elle baigne dans le bassin caribéen et est bordée par la Mer des Caraïbes.

Figure 1 : Carte de la Guadeloupe dans la Caraïbe (Atlas Caraïbe)

3

(10)

Cet « archipel de contacts de langues »4 se présente dans un contexte bilingue, où deux langues coexistent : le français, langue officielle et nationale, et le créole guadeloupéen, langue vernaculaire. De plus, elle est entourée d’un ensemble d’îles et de territoires où les langues officielles varient : l’espagnol, l’anglais, le français, le créole. L’essor de la musique, du tourisme et des échanges culturels et artistiques entre ces territoires entraîne un contact inévitable entre des populations multiculturelles aux pratiques langagières divergentes.

Le bilinguisme français/créole, la proximité géographique de la Guadeloupe avec des territoires aux langues variées et le dialogue entre des cultures diversifiées témoignent de l’émergence et de la cohabitation de plusieurs langues sur le territoire guadeloupéen.

I. 2. Contexte d’immigration

Si la Guadeloupe est un territoire où une pluralité de langues est présente de par sa position géographique stratégique et son bilinguisme, la situation migratoire n’en est pas moins significative. En effet, la Guadeloupe connaît des vagues d’immigration permanente depuis de nombreuses années : immigrants provenant essentiellement d’îles de la Caraïbe.

Selon l’Atlas5 des populations immigrées en Guadeloupe de l’Institut National de la

Statistique et des Etudes Economiques6 (2006), les immigrés représentent 6,5 % de la

population guadeloupéenne en 2005, soit 28 900 personnes. Les immigrés natifs d’Haïti représentent la moitié des immigrés de la Guadeloupe ; tandis que les immigrés originaires de la Dominique représentent un immigré sur cinq. On compte de plus en plus d’immigrés natifs d’Amérique du Sud, de la Caraïbe et du continent africain. Facthum-Sainton, Gaydu et Chéry (2010) rejoignent ces propos et mettent en évidence les langues parlées par ces ressortissants:

[…] on trouve le créole haïtien, langue maternelle de plusieurs dizaines de milliers de Haïtiens en Guadeloupe, le créole dominiquais, variété proche du guadeloupéen et langue vernaculaire de 8000 ressortissants dominiquais en Guadeloupe, la variété caribéenne de l’anglais parlée par les mêmes Dominiquais, l’espagnol parlé par les quelques milliers de ressortissants de la République Dominicaine, des langues asiatiques de personnes émigrées de Chine. (Facthum-Sainton, Gaydu et Chéry, 2010)

4

Facthum-Sainton, J., Gaydu, A. J. et Chéry, C. (2010). « Adaptation de la didactique du français aux situations de créolophonie », Guide du maître : La Guadeloupe, in : A. Maiga (éd.) Direction de l’éducation et de la formation. Programme d’apprentissage dufrançais en contexte multilingue. Paris : OIF.

5 Cf. Atlas des populations immigrées en Guadeloupe (en ligne) 6

(11)

Au niveau de la scolarisation, il apparaît que la majorité des jeunes issus de l’immigration intègre l’école pendant la scolarité obligatoire. La période de scolarisation concernant mon étude va de trois à six ans pour la scolarité non obligatoire et de six à 11 ans pour la scolarité obligatoire. L’INSEE (2006 : 23) précise leur taux de scolarisation :

Environ 2 900 immigrés de moins de 25 ans étaient scolarisés en Guadeloupe en 1999. Leur taux de scolarisation, de près de 62 %, est inférieur de 12 points au taux régional. Cet écart est de 10 points pour les Haïtiens, et culmine à 20 points pour les Dominiquais. Toutefois, quelle que soit leur origine, les jeunes immigrés sont très largement scolarisés pendant la scolarité obligatoire (6 à 16 ans) : 93 % le sont contre 98 % de l’ensemble des jeunes de cet âge.

Ces statistiques placent la Guadeloupe dans un contexte où l’immigration contribue au développement du plurilinguisme grâce à l’apport de langues diverses sur le territoire dont l’anglais, l’espagnol ou encore des variétés de créole. La scolarisation des jeunes immigrants expliquerait également la présence d’autres langues que le français dans le cadre scolaire.

I. 3. Contexte familial

« Il est presque impossible d’éliminer totalement une langue de son répertoire bilingue, surtout la langue dominante dans l’environnement dans lequel on vit. »

(Hélot, 1988)

Cette citation de Hélot nous amène à nous interroger sur la ou les langue(s) parlée(s) dans le cadre familial. Si l’école est chargée de l’apprentissage et de la maîtrise de la langue française, la famille est indispensable pour favoriser l’apprentissage des autres langues présentes sur le territoire telles que le créole, l’anglais ou encore l’espagnol. Plusieurs travaux sociolinguistiques se sont attachés à étudier les pratiques langagières familiales.

Dans sa thèse, Anciaux (2003 : 36) souligne le rôle du foyer familial dans la construction de « modèles langagiers et valeurs attribuées à la pratique des langues et à leurs variétés » chez l’enfant. Ainsi, chaque individu arrive à l’école avec un répertoire langagier propre à son environnement familial. Par ailleurs, il apparaît clairement qu’au sein de la famille, au moins deux langues peuvent être en contact. En effet, Hickel (2008 : 11) nous révèle que « la communication dans les familles est essentiellement bilingue et met en jeu à la fois le français et une ou plusieurs autres langues ».

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Le choix des langues utilisées varie selon les échanges entre les parents et les enfants, et les échanges qui se font autour de la famille, c'est-à-dire la rue ; mais également en fonction du sexe, des sujets de conversation, de l’âge des enfants (Hickel, 2008). Dans le cas des Guadeloupéens, la langue créole est donc utilisée en premier lieu avec la famille et les amis. Son utilisation se fait spontanément : c’est la langue de l’environnement. Le créole ne sera utilisé qu’à l’oral et constitue un réel moyen de communication. Dans le cas des immigrants, les langues utilisées dans le cadre familial peuvent varier, essentiellement en fonction de la nationalité des parents (un parent étranger, un parent guadeloupéen, les deux parents étrangers), du désir d’intégration, des situations sociales et communicationnelles.

Le cadre familial nous éclaire sur le répertoire langagier des élèves et constitue un facteur clé expliquant la présence de plusieurs langues à l’école en Guadeloupe. Ce premier chapitre soulève la question de l’enseignement du français par rapport au contexte antillais car celui-ci semble conduire à l’usage spontané d’autres langues que le français dans les pratiques en classe. Porter un regard sur les contextes géographique, migratoire et familial m’a permis de situer mon étude et d’aborder des notions telles que le bilinguisme ou le plurilinguisme que je définirai dans le chapitre trois. Je m’attacherai d’abord à explorer la place et l’importance des langues étrangères et régionales dans le système éducatif français.

II.

Les langues dans le système éducatif français

«S’intéresser à la pluralité linguistique et culturelle à l’école, c’est se confronter à la pluralité des langues en présence mais aussi à la pluralité polysémique des termes clefs l’appréhendant.»

(Bellondo, 2010)

En Guadeloupe, la langue de scolarisation est le français, langue nationale. « La maîtrise de la langue française » est d’ailleurs la première compétence du Socle Commun de Connaissances et de Compétences (SCCC) et est considérée par le Ministère de l’Éducation

Nationale (MEN) comme un « chantier prioritaire tout au long de la scolarité »7. Cependant,

le système éducatif français tend à ouvrir l’école vers d’autres langues étrangères et livre les conditions de leur pratique en classe dans les programmes et instructions officiels.

7

(13)

II. 1. Les langues vivantes étrangères à l’école

La nécessité de la pratique et de l’apprentissage des langues vivantes étrangères est officiellement inscrite dans les programmes de l’école primaire, le cadre européen commun de

référence pour les langues (CECRL)8 et le socle commun. Le Bulletin Officiel (B.O.) n°3 du

19 Juin 2008 préconise l'usage et l'apprentissage des LVE à l'école dès le CE19. Une première

sensibilisation à une langue vivante est conduite dès le CP10, mais certains enseignants

l’entreprennent dès l'école maternelle. Les langues et leurs principales spécificités sont mises en avant à travers la compétence 2 du socle commun, « La pratique d’une langue vivante étrangère ». Leur apprentissage ouvre les élèves à d'autres cultures et au monde :

La communication en langue étrangère suppose la capacité de comprendre, de s'exprimer et d'interpréter des pensées, des sentiments et des faits, à l'oral comme à l'écrit, dans diverses situations.

Elle implique également la connaissance et la compréhension des cultures dont la langue est le vecteur: elle permet de dépasser la vision que véhiculent les stéréotypes. (SCCC, 2006 : 8)

Rappelons que huit langues sont citées dans le B.O. hors-série n° 8 du 30 août 2007 : l’allemand, l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, l’italien, le portugais et le russe. L’intervention de ces langues en classe sous-entend les notions de « plurilinguisme » et de « diversité culturelle » , très importantes pour le développement et l’épanouissement des élèves. Le préambule commun du B.O. n°6 du 25 août 2005 explicite entre autres les apports bénéfiques que l’apprentissage de ces langues peut avoir sur la construction des élèves :

[…] l’apprentissage des langues vivantes joue un rôle crucial dans l’enrichissement intellectuel et humain de l’élève en l’ouvrant à la diversité des langues mais aussi à la complémentarité des points de vue pour l’amener à la construction de valeurs universellement reconnues. (2005 : 4)

Pour concevoir les programmes, le CECRL, base commune européenne pour l’enseignement des langues vivantes étrangères, a été mis en place en 2001 (Eduscol, 2015). C’est un document de référence européen répondant à un désir de mieux construire le plurilinguisme à l’école. Il décrit les compétences en langues étrangères en six niveaux : le niveau A1 étant celui que les élèves doivent avoir atteint à l’issue de l’école primaire.

8 Pour aller plus loin, consultez le CECRL sur: http://www.coe.int/T/DG4/Linguistic/Source/Framework_FR.pdf 9 CE1 = Cours élémentaire première année

10

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Figure 2: Niveaux communs de compétences en langue

Le cadre européen commun de référence pour les langues est accompagné d’un

Portfolio Européen des Langues (PEL)11, rédigé par le Conseil de l’Europe12 en 1997. Le PEL

vise principalement à aider et motiver les apprenants vis-à-vis de leurs résultats et dans le respect de la diversité linguistique et culturelle. C’est un outil d’auto-évaluation des compétences en langues étrangères à acquérir. Outre le portfolio standard pour lycéens et adultes, deux versions ont été adaptées à l’enseignement à l’école primaire: « Mon premier

Portfolio européen des langues » pour les enfants de six à dix ans ; et «Mon premier portfolio » pour les enfants de huit à 11 ans. Ces deux versions ont été conçues avec les trois

parties communes à tout portfolio : passeport, biographie langagière et dossier.

Les langues, en tant que discipline, sont bien présentes dans le système éducatif français. Leur inscription dans les instructions officielles explique leur caractère programmé. Toutefois, leur apprentissage constitue un outil propice à la construction du plurilinguisme.

II. 2. Les langues vivantes régionales à l’école

« Pendant trois bons siècles, la langue française a mené une guerre sans merci contre la langue créole qu’elle s’acharnât à désigner sous les vocables péjoratifs de « jargon des Nègres », de « patois », de « baragouin » et plus récemment de « petit-nègre ».

(Confiant, 1993)

Confiant illustre le contexte initial dans lequel se trouvaient la langue nationale et la langue vernaculaire : situation d’opposition et non de coexistence comme aujourd’hui. En effet, la langue créole a longtemps été interdite et dévalorisée à l’école. Cependant, le statut du créole s’est vu rétabli avec la création du Certificat d’Aptitude à l’Enseignement

Secondaire « créole» en 2001. Le B.O. n°9 du 27 septembre 2007 permettra plus tard

11 Pour plus d’informations sur le PEL: http://www.coe.int/t/dg4/education/elp/default_fr.asp 12

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l’enseignement des langues régionales à l’école primaire. Alors que la langue officielle du système éducatif est le français; le créole, langue régionale, peut aujourd’hui être utilisé à

l’école. Eduscol(2015)13 expose les modalités d’organisation des langues régionales à l’école:

• inclus dans le cadre général des horaires de l'école, le plus répandu ;

• dans des classes bilingues français-langue régionale.

Dans les classes bilingues, l'enseignement commence souvent à l'école maternelle. Il repose sur la parité horaire en français et en langue régionale, l'horaire de français étant maintenu intégralement à l'école élémentaire. La langue régionale est aussi une langue d'enseignement dans plusieurs domaines d'apprentissage. […] Le breton, le basque, le catalan, le corse, le créole, le gallo, l'occitan - langue d'oc, les langues régionales d'Alsace, les langues régionales des pays mosellans, le tahitien, les langues mélanésiennes (ajïé, drehu, nengone, paici) font partie du dispositif.

Considérer la langue régionale comme une « langue d'enseignement » met en évidence l’importance et le degré d’intégration accordées à cette dernière. Elle peut désormais être dispensée au même titre que le français, dans un souci de « parité ». En outre, selon le B.O. n°33 du 13 septembre 2001, la prise en compte des langues régionales à l’école « favorise la continuité entre l’environnement familial et social et le système éducatif, contribuant à

l’intégration de chacun dans le tissu social de proximité »14.

Après de nombreuses années de rejet, l’école accorde de plus en plus d’importance au créole, langue régionale, le considérant comme une langue à part entière, utile pour construire des savoirs et essentielle pour conserver l’identité culturelle des élèves en Guadeloupe.

III.

Du bilinguisme à l’alternance codique

Après un tour d’horizon des contextes d’émergence des langues en Guadeloupe et de la place des langues dans le système éducatif français, ce troisième chapitre sera consacré aux définitions des mots-clés et concepts théoriques sur lesquels s’appuyera mon objet d’étude.

III. 1. Bilinguisme et diglossie

Le contexte des Antilles, abordé dans le premier chapitre, a permis d’introduire la notion de « bilinguisme ». Celle-ci est souvent confrontée à la notion de « diglossie ». Le bilinguisme est le fait, pour un individu, de parler deux langues: la langue maternelle et une

13 Cf. http://eduscol.education.fr/cid45718/enseigner-les-langues-ecole.html 14

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langue étrangère. Alors que la diglossie désigne le fait que, dans un pays, deux langues, le plus souvent deux systèmes linguistiques, coexistent : une langue à usage officielle et une langue à usage personnelle. Lüdi et Py (2003 : 15) expliquent les conditions pour prétendre à une situation de diglossie dans la société par « […] l'existence d'un réseau communicatif dans lequel deux langues assument des fonctions et des rôles sociaux distincts ».

Ces deux notions, malgré des études controversées, semblent liées à une situation de cause à effet. Dans les Antilles françaises, le français est la langue officielle de l’école, et le créole, la langue vernaculaire, parlée au sein de la communauté antillaise (Alin, 2010). Ce contexte entraîne une situation de « diglossie » traduite par un usage courant de deux codes linguistiques aux statuts différents et un bilinguisme dans la population.

Rappelons qu'en Guadeloupe, nous évoluons dans un environnement où deux langues sont naturellement en contact : le français et le créole. Qu’en est-il du bilinguisme des enfants présents dans nos classes à l’école primaire ? Anciaux (2003 : 39) nous montre que le bilinguisme développé par l’enfant dépendra de la ou des cultures auxquelles il sera confronté : « […] l’enfant construit un bilinguisme coordonné s’il est confronté aux deux cultures et un bilinguisme composé s’il est en contact avec deux langues mais une seule culture. » Par ailleurs, Dalgalian (2000) précise que ce sont principalement les interactions orales qui régissent le caractère bilingue du répertoire langagier d’un enfant :

Le bilingue n’est donc pas un locuteur parfait. Si ce n’est les fondements de l’oral, parfaitement maitrisés dans deux codes. C’est en somme l’oral, celui de la vie quotidienne, qui, sous réserve d’un environnement favorable, fait d’un enfant un vrai bilingue. (Dalgalian, 2000 : 19)

Un point global ayant été fait sur les notions de bilinguisme et de diglossie, nous tenterons à présent d’éclaicir la notion de « plurilinguisme » pour étayer notre réflexion sur l’intervention de plusieurs langues au sein des écoles primaires de la Guadeloupe.

III. 2. Plurilinguisme

Des contextes abordés dans la première partie découle la notion de « plurilinguisme ». On parle aussi de « compétence plurilingue » et d' « éducation plurilingue ». Le plurilinguisme fait l’objet de nombreuses études depuis des décennies qui ont contribué à lui attribuer une meilleure reconnaissance notamment à l’école.

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Selon le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde (2003 : 195), le plurilinguisme est la « capacité d’un individu d’employer à bon escient plusieurs variétés linguistiques ». Par cette définition, comprenons que le plurilinguisme est le fait, pour un individu, de comprendre et parler plusieurs langues de façon appropriée. Comme le souligne Anciaux (2013 : 61), il « concerne l’individu et se définit comme le répertoire des langues parlées et de leurs variétés par un locuteur ». Le plurilinguisme reflète donc la capacité d'un individu à communiquer dans d'autres langues que sa langue maternelle «et ceci indépendamment des modalités d’acquisition, du niveau de compétence acquis et de la distance entre les langues. » (Lüdi, 2011 : 54).

La question du plurilinguisme face à la multiplicité des langues et des cultures est bien présente dans notre société et en particulier à l’école. En ce sens, le Conseil de l'Europe définit le plurilinguisme comme une « compétence plurilingue et pluriculturelle » :

[…] la compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement d’un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l’expérience de plusieurs cultures. On considérera qu’il n’y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d’une compétence complexe, voire composite, dans laquelle l’utilisateur peut puiser. (Conseil de l’Europe, 2001 : 129)

Le plurilinguisme est également connu sous le nom d’ « éducation plurilingue ». Beacco (2008) donne une définition de cette expression et explicite le rôle de l'école comme un lieu d’ouverture à d’autres langues, d’enrichissement du répertoire langagier de chaque individu et d’amener tout un chacun à apprécier et apprendre de nouvelles langues :

L'éducation plurilingue repose sur le principe que chacun est capable de s'approprier les langues dont il a besoin pour sa vie personnelle, professionnelle ou esthétique / culturelle, au moment où il le souhaite. Le rôle de l'École consiste à développer le potentiel langagier dont chacun dispose, comme elle s'emploie à développer les capacités cognitives, créatives ou physiques. Son rôle est de faire aimer les langues, toutes les langues, pour que les individus cherchent à en apprendre tout au cours de leur vie (Beacco, 2008).

La notion de plurilinguisme est de plus en plus reconnue. Trois dimensions clés pour notre sujet lui sont rattachées par Verdelhan-Bourgade (2007) : linguistique, sociolinguistique et psycholinguistique, renvoyant respectivement aux contacts des langues, à l’alternance codique et aux émotions, à l’affectivité. Cette définition et l'importance du plurilinguisme à l'école placent cette notion au cœur de notre sujet. Il est indéniable que le plurilinguisme constitue l’avenir de l’éducation, l’ouverture sur le monde et la diversité culturelle.

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III. 3. Alternances et mélanges codiques

III. 3. 1. Formes d’alternances et mélanges codiques

a) Alternance codique (ou code-switching)

«L’alternance codique, c’est-à-dire les passages dynamiques d’une langue à l’autre,

est l’une des manifestations les plus significatives du parler bilingue. »

(Causa, 2007).

« Passages dynamiques d’une langue à une autre », l’alternance des langues est dite « alternance codique », « parler bilingue » ou encore « code-switching ». Au départ, l'alternance codique (AC) est définie par Gumperz (1989) comme « la juxtaposition à l'intérieur d'un même échange verbal de passages où le discours appartient à deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux différents ». Autrement dit, l'AC est le passage d'une langue à une autre à l'intérieur d'un même discours.

Hamers et Blanc (1983) et Lüdi et Py (2003) rejoignent cette idée et qualifient ce passage d'une langue à une autre comme une « stratégie de communication » dite bilingue à l'intérieur d'un même échange verbal. Causa (2007) précisera même qu’il ne faut pas considérer l'alternance codique comme une mauvaise maîtrise de l’une des langues concernées ; sinon comme une « compétence bilingue » : « celle-ci entendue comme une compétence originale, spécifique et complexe et non comme l’addition de deux compétences linguistiques séparées. » L'AC définie ci-dessus peut intervenir sous différentes formes distinguées par Anciaux (2010 : 1, 2) :

On différencie l’ « alternance intralocuteur », lorsqu’un individu passe d’une langue à l’autre en parlant, de l’ « alternance interlocuteur », lorsqu’un individu parle dans une langue et qu’un autre lui répond dans une autre langue. Ensuite, on distingue l’ « alternance intraphrase », aussi appelé « mélange codique » ou « code mixing », quand deux langues sont présentes à l’intérieur d’une même phrase. Cette alternance prend la forme d’un emprunt linguistique en insérant des éléments linguistiques d’une langue dans le système phonologique, lexical, morphosyntaxique et/ou sémantique d’une autre langue. Quant à l’ « alternance interphrase », elle se caractérise par la succession des langues d’une phrase à l’autre en respectant les spécificités de chaque système linguistique. Enfin, on discrimine l’ « alternance traductive », quand une phrase est produite dans une langue puis dans une autre en utilisant des équivalents sémantiques et syntaxiques, de l’«alternance continue », qui se caractérise par le passage d’une langue à l’autre sans couper le fil de la conversation ou l’avancée du discours.

(19)

Si l'AC désigne la juxtaposition de deux langues à l'intérieur d'un même échange verbal (Gumperz, 1989), il ne faut cependant pas la confondre avec le mélange codique.

b) Mélange codique (ou code-mixing)

A la différence de l'alternance codique, le mélange codique (MC), « code-mixing » ou « parler mixte » désigne « tout type d’interaction entre deux ou plusieurs codes linguistiques différents dans une situation de contact de langues » (Blanc, 1997 : 207). Les locuteurs mélangent donc des éléments d’une langue et d’une autre dans une même phrase. Anciaux (2013 : 34) explique :

Le mélange des langues constitue des productions verbales où les deux langues ne se succèdent pas, mais où des locuteurs mêlent les éléments et les règles de deux ou de plusieurs langues dans une même phrase, un même énoncé ou une conversation. Parfois, on peut repérer à quel niveau se situe le mélange permettant l’attribution de tels aspects d’un élément à une langue et de tels autres à une autre langue, d’autres fois la distinction entre les langues est impossible.

Le mélange codique se distingue donc de l'alternance codique dans la mesure où les passages d'une langue à une autre ne sont plus clairement identifiables mais superposés, indissociables; tandis que les codes linguistiques sont repérables lors de l’alternance codique puisque les locuteurs s’expriment dans une langue ou dans l’autre:

Ainsi, à la différence de l’alternance codique où les deux systèmes linguistiques sont repérables en des points distincts de l’énoncé, le mélange codique se caractérise par la superposition de certains aspects de deux systèmes linguistiques dans le même temps (syntaxe, lexique, phonologie, prosodie). (Anciaux, 2013:35)

Si l’alternance codique renvoie au passage identifié d'une langue à une autre dans un discours bilingue, le mélange codique, quant à lui, ne permet plus de distinguer les deux langues du fait de la superposition de certains de leurs aspects grammaticaux.

c) Interlecte et fusion de langues

Si l'on parle d'alternance et de mélange codiques, il existe aussi d’autres phénomènes dans l’acte de parole des locuteurs. Anciaux (2013 : 34) émet donc l’existence de « productions verbales bilingues ou plurilingues qui ne peuvent être assignables à aucune langue en particulier ou au contraire aux deux langues, où les limites entre chaque langue sont difficilement perceptibles, voire impossibles. » Autrement dit, les propos du locuteur semblent correspondre à un système linguistique intermédiaire difficilement identifiable et ne

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renvoyant pas à une langue connue : deux langues pouvant être employées en même temps. Il

s'agit de l' « interlecte »15 défini par Prudent (1981 : 31) comme :

[...] l’ensemble des paroles qui ne peuvent être prédites par une grammaire de l’acrolecte ou du basilecte. Soit parce que les deux systèmes sont cumulatifs en un point de l’énoncé (code-switching, emprunt non intégré à la morphologie du système emprunteur), soit parce que ni l’un ni l’autre ne répondent à la nouvelle forme.

D'autre part, Auer (1999) essaye de caractériser les alternances et dégage trois types discursifs: l'alternance des langues (ou code switching), le mélange des langues (ou language

mixing) et la fusion des langues (ou fused lects). L'alternance des langues désigne l'utilisation

de plusieurs langues perçues et significatives pour les locuteurs. Dans le mélange des codes, la signification n'est plus locale pour les locuteurs. Quant à la fusion des langues, elle correspond aux variétés qui se sont stabilisées.

L'alternance codique, le mélange codique, l'interlecte et la fusion des langues dans leur ensemble semblent s'associer à la notion de plurilinguisme ou plutôt relever d'une « forme de bi-plurilinguisme naissant, une compétence langagière spécifique et complexe relevant d’un macro-système » (Anciaux, 2013 : 36).

III. 3. 2. Fonctions des alternances et mélanges codiques

Si les alternances et les mélanges codiques apparaissent sous différentes formes, il reste à déterminer les fonctions qu'ils remplissent. Coste, Moore et Zarate (2009 : 19) en dressent une liste non-exhaustive. Ainsi, ils pourraient permettre :

- de résoudre une difficulté d'accès au lexique ;

- de sélectionner un destinataire au sein d'un groupe d'auditeurs, d'exclure un participant ; - de porter un commentaire sur ce que l'on vient de dire, de prendre de la distance ; - de citer le discours de l'autre dans la langue utilisée (ou de s'auto-citer) ;

- de changer de thème de discussion, de passer d'une information à une évaluation, etc.; - de tirer parti du potentiel connotatif de certains mots ;

- de marquer emblématiquement son appartenance à une communauté bilingue, etc.

15 Pour en savoir plus sur l’interlecte, vous pouvez consulter l’ouvrage suivant:

Souprayen-Cavery L., L'interlecte réunionnais: approche sociolinguistique des pratiques et des représentations, 2010, L'Harmattan, Paris

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Si l'on s'en tient aux propositions déclinées par Coste, Moore et Zarate (2009), les fonctions de l’alternance et du mélange codiques découleraient d'un manque de vocabulaire, d'une appartenance à un groupe ou encore d'une situation sociale ou conversationnelle particulière. Anciaux (2013) rejoint cette idée et rajoute que ces fonctions répondent à un souci de structurer leur discours, à un manque de maîtrise de la langue concernée. Il établit finalement qu'elles dépendent des locuteurs et des normes qu'ils tentent de respecter:

[...] l’alternance et le mélange codiques remplissent des fonctions (1) compensatoires, (2) identitaires et (3) pragmatiques selon les locuteurs répondant plus ou moins (4) aux normes sociolinguistiques et communicationnelles des situations d’échanges verbaux de populations bi-plurilingues en dehors du système scolaire (Anciaux, 2013 : 43).

En ce qui concerne l'alternance conversationnelle, Gumperz (1989) désigne six fonctions des passages d'une langue à une autre: la fonction de citation, la fonction de désignations d'un interlocuteur, la fonction d'interjection, la fonction de réitération, la fonction de modalisation d'un passage et la fonction de personnification/objectivation. Ces fonctions renvoient à une « stratégie communicative » et aux interactions quotidiennes (Anciaux, 2013).

Hors du cadre scolaire, les alternances et mélanges codiques contribuent à marquer une appartenance à une communauté, à pallier un manque de vocabulaire, à enrichir le lexique ou à structurer un discours face à d'autres locuteurs. Dans la partie qui suit, nous aborderons les fonctions plus spécifiques au cadre scolaire.

III. 4. L’alternance codique à l’école

III. 4. 1. Fonctions de l'alternance et du mélange codiques dans le cadre scolaire

A l'école, l'alternance et le mélange des langues peuvent avoir une connotation négative et sont souvent considérés comme une « impureté », un « mélange impur », une «forme d'incapacité ou d'incompétence langagière », « comme une non-maîtrise, voire comme une trahison des langues du terroir ou comme l’inaptitude à parler la langue officielle. » (Castellotti, 2001; Causa, 2002; Queffelec, 2010). Cependant, mon travail vise à montrer qu’alternances et mélanges codiques sont une « richesse » et une stratégie dans le cadre scolaire, « une compétence à développer, une manifestation possible au langage, une ressource à mobiliser dans l’interaction à des fins d’apprentissage et de communication » et

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ce, tant dans les disciplines linguistiques (langue vivante étrangère, langue vivante régionale) que dans les disciplines non linguistiques comme l'histoire, la géographie, les sciences et autres (Castellotti, 2001; Causa 2002).

Pour étayer ces propos, intéressons-nous à la « tri-focalisation16 de l’alternance et du

mélange codiques au cours des interactions didactiques en contexte multilingue » exposée par Anciaux (2013 : 264) :

L’usage d’alternances et de mélanges codiques par les différents acteurs du système éducatif est susceptible de répondre à trois objectifs de manière séparée ou coordonnée :

- Premièrement, les passages d’une langue à une autre peuvent servir l’acquisition de connaissances et de compétences disciplinaires (liées aux disciplines non linguistiques).

- Deuxièmement, les changements linguistiques sont susceptibles de viser plus spécifiquement l’acquisition de connaissances et de compétences linguistiques (liées aux disciplines linguistiques). - Troisièmement, l’alternance et le mélange codiques pourraient servir plus particulièrement la communication et la relation pédagogique sans forcément viser l’acquisition de savoirs scolaires. Ils seraient utiles à l’organisation matérielle et humaine de la classe, à la mobilisation de processus attentionnels et motivationnels, à la gestion de l’affectivité ou encore de la sécurité, et ce quels que soient la discipline, le niveau scolaire, et la nature du contexte sociolinguistique considéré.

Cette tri-focalisation met en avant trois objectifs clés des alternances et mélanges codiques dans l'enseignement liés à des aspects disciplinaires, linguistiques et pédagogiques. Elle semble confirmer les observations et constats que j'ai pu faire lors de mes observations et qui ont conduit à l'intérêt que je porte à mon objet d'étude. Ainsi, les fonctions des alternances et mélanges codiques à l'école portent principalement sur la construction des savoirs, le développement des compétences linguistiques et la gestion de la classe.

a) Alternances et mélanges codiques dans les disciplines linguistiques

Dans les disciplines linguistiques, la présence d'autres langues que le français répond aux instructions officielles. En effet, comme nous l'avons expliqué dans les chapitres précédents, l'enseignement des langues vivantes étrangères occupe une place importante à l'école de par son inscription dans les programmes, dans le socle commun et sa contribution au développement culturel et linguistique de l'élève.

16 Le concept de tri-focalisation de Anciaux (2013) vient compléter la bifocalisation de Bange (1992) qui

considère que : « […] la communication exolingue a lieu dans les conditions d’une bifocalisation : focalisation centrale de l’attention sur l’objet thématique de la communication ; focalisation périphérique sur l’éventuelle apparition de problèmes dans la réalisation de la coordination des activités de communication». Pour enrichir votre réflexion sur la bifocalisation de Bange, vous pouvez consulter l’ouvrage Analyse conversationnelle et théorie de l’action en ligne : http://aile.revues.org/pdf/4875

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Chez les enseignants, les fonctions de l'alternance codique au cours des disciplines linguistiques sont essentiellement didactique et communicative ; tandis que chez les élèves, les passages d'une langue à une autre soulignent leur capacité à s'exprimer dans la langue concernée, à échanger avec leurs pairs et leur aptitude à demander de l'aide (Anciaux, 2013). De l'enseignant à l'élève, ces fonctions ne divergent pas car elles renvoient toutes deux à des situations de communication et d'apprentissage.

Tableau 1: Etudes sur les fonctions des alternances au niveau des apprentissages et de la communication17

Moore (1996) Causa (2009) Anciaux (2013)

Apprentissages Alternances-tremplin Stratégie contrastive Fonction didactique

Communication Alternances-relais Stratégie d'appui Fonction pédagogique

Les fonctions de l’AC constituent un point de départ à la compréhension du rôle de l’alternance codique dans l’enseignement et plus spécifiquement dans les interactions en classe. Du point de vue de l'enseignant comme de l'élève, l'AC remplit donc une fonction didactique et une fonction pédagogique dans les interactions en cours de langues :

[...] (1) une fonction didactique liée à l’apprentissage de la langue, au développement des compétences linguistiques, communicatives et métalinguistiques chez les élèves (fonction constitutive, pédagogique, d’apprentissage, discursive, tremplin, stratégie de réduction, d’amplification, de contraste), et (2) une fonction pédagogique liée à la communication et aux autres savoirs de type méthodologique, civique, relationnel et social (fonction régulative, auxiliaire, ludique, relationnelle, relais, stratégie d’appui, communicative). (Anciaux, 2013: 46)

L'alternance codique permet donc le bon déroulement des apprentissages, l'amélioration des compétences linguistiques, une meilleure gestion de la classe et un degré de communication et d'affectivité plus efficaces entre l’enseignant et ses élèves.

b) Alternances et mélanges codiques dans les disciplines non linguistiques

Si les fonctions des alternances et mélanges codiques dans l'enseignement des

disciplines linguistiques restent liées à un «contrat didactique»18 répondant à des attentes

réciproques de la part de l'enseignant et de l'élève (Anciaux, 2013), il demeure intéressant de cibler le rôle de ces passages d'une langue à une autre lors des disciplines non linguistiques (DNL). Car, comme le mettent en évidence Coste, Moore et Zarate (2009), ces disciplines

17 Le tableau 1 croise trois études sur les fonctions mettant en avant des alternances au service des apprentissages

et de la communication.

18 Le contrat didactique désigne « l’ensemble des comportements de l’enseignant qui sont attendus de l’élève, et

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dites non-linguistiques (l'histoire, la géographie, les sciences, l'EPS et autres) « ne sauraient être tenues à part d’un projet de développement de compétence plurilingue et pluriculturelle. »

L'intervention des langues dans l'enseignement des DNL constitue alors un moyen de construire des savoirs linguistiques, de consolider des apprentissages et de s'ouvrir à d'autres cultures. Les travaux menés par Anciaux sur le sujet accordent de l'importance à l'alternance codique dans l'enseignement des DNL et leur attribuent des fonctions :

[...] régulative et présupposant une forte contextualisation, un rapport concret et étroit entre langues et objets d’enseignement, favorisant l’apprentissage (par exemple, en éducation physique et sportive), mais également une fonction auxiliaire dans le sens où elle [l'alternance codique] facilite l’accès au langage spécialisé (par exemple, en mathématiques) (Anciaux, 2013:47).

Au cours de ces disciplines non linguistiques, l'alternance et le mélange codique contribuent donc à « faciliter l’expression, assurer la compréhension, l’évocation d’images et la mémorisation des consignes ainsi que l’attention, la motivation et la valorisation des

élèves» (Anciaux, 2008). De plus, il est établi que par la richesse et l'abondance des

connaissances, documents, concepts et outils qu'elles impliquent, ces disciplines participent à la construction de savoirs, d'attitudes, identitaire et améliorent le regard porté aux cultures étrangères (Coste, Moore, Zarate, 2009). Tant dans les disciplines linguistiques que dans les disciplines non linguistiques, l’alternance codique renvoie à des aspects et fonctions qui restent liés les uns aux autres (Anciaux, 2013).

III. 4. 2. Rôle des enseignants dans les alternances et mélanges codiques a) Alternance codique: spontanée ou programmée?

Lorsque nous observons une séance de langue vivante étrangère ou régionale, force est de constater que l'intervention du créole, de l'anglais ou encore de l'espagnol est principalement programmée, prévue. Cependant, tous les passages d'une langue à une autre le sont-ils au sein des interactions en classe ? Dans cette optique, Duverger (2007) distingue trois types d’alternance codique au sein de la classe :

- la macro-alternance (prévue) ;

- la micro-alternance (spontanée) ;

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La macro-alternance est « programmée, prévue à l’avance, c’est le fait de choisir, dans un enseignement bilingue, les sujets, les thèmes qui vont être majoritairement traités en langue 1, ou bien en langue 2… » (Duverger, 2007 : 26). Elle est donc le résultat d'un cours pensé et structuré en amont par l’enseignant dans un souci de structuration des apprentissages.

La micro-alternance, quant à elle, désigne « le fait que durant le cours dispensé et structuré majoritairement en l’une des deux langues, on aura recours, ponctuellement et de manière non programmée, à l’usage de l’autre langue » (Duverger, 2007 : 29). Elle est donc spontanée, naturelle et désigne des « passages ponctuels et non programmés d’une langue à l’autre pendant les cours et leçons » (Causa, 2007).

Et enfin, la meso-alternance ou alternance séquentielle laisse déjà entrevoir de par le terme « séquentielle » qu'il s'agit de passages d'une langue à une autre prévus et programmés par l'enseignant en séquences d'apprentissage. Cette alternance est donc « raisonnée, réfléchie, volontaire » et est pensée dans le but de favoriser des processus d'apprentissage chez les élèves (Duverger, 2007).

Il résulte de cette étude que l'alternance et le mélange codiques peuvent être prévus à l'avance comme c'est le cas dans l’enseignement bilingue et l’enseignement des langues vivantes étrangères et régionales ; ou spontanés lors de toute autre situation d’apprentissage.

b) Profil d'enseignants vis-à-vis de l'utilisation des langues en classe

Les travaux, évoquant les fonctions du passage d’une langue à une autre, témoignent de l’utilité et de l’efficacité de l’alternance codique sur les apprentissages, le développement des compétences linguistiques et la construction des savoirs. Néanmoins, tous les enseignants sont-ils en accord avec l’alternance des langues ? Les preuves sociolinguistiques suffisent-elles à convaincre les enseignants de l’impact positif des langues sur les apprentissages ?

C’est à ces questions que Prudent, Tupin et Wharton (2005 : 72) ont tenté de répondre lors d'une étude à la Réunion en dressant trois profils d’enseignants selon leur utilisation de la langue créole : le « sceptique », le « pragmatique » et le « convaincu ». D'une part, le « sceptique » est celui qui estime que l’apprentissage du créole n’est pas nécessaire et y est « rétif ». Cependant, il ne se refuse pas à une « utilisation didactique » du créole, tant qu’elle sert l’apprentissage du français. D'autre part, le « convaincu » est celui qui est persuadé que

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d’avoir recours au créole est très important et que celui-ci est « un véritable outil didactique » ; même s’il est réticent face à « l’expérimentation d’un enseignement bilingue ». Et enfin, le « pragmatique » est celui qui utilise le créole de manière efficace. Il considère le créole comme une langue régionale ou à proprement parler ; et n’est pas réticent à aborder cette langue régionale à l’école. À l’issue de leur étude, il s’avère que, dans la majorité des cas, les enseignants utilisent le créole spontanément dans l’action. Ces enseignants correspondent donc à la micro-alternance définie par Duverger (2007) comme un usage spontané et ponctuel des langues lors des séances d'apprentissage.

Une seconde étude a tenté d'identifier une typologie des profils des enseignants dans les cours de langues lors des interactions avec les élèves. Trois profils sont donc établis par Ehrhart (2002) : le « puriste », le « modéré » et l' « utilisateur actif ». Selon le modèle (cf. figure 3), le « puriste » refuse l'utilisation de la L1 chez l'élève, le « modéré » tolère la L1 chez l'élève avec ou sans intégration dans la conversation et l' « utilisateur actif » met à profit la L1 lors des interactions avec l'élève.

Figure 3 : Ehrhart, S. (2002). L'alternance codique dans le cours de langue: le rôle de l'enseignant dans l'interaction avec l'élève. Synthèse à partir d'énoncés recueillis dans les écoles primaires De la Sarre.

Au regard de ces deux études, un lien logique se dessine entre les trois profils dressés par Ehrhart (2002) et Prudent, Tupin et Wharton (2005) :

Tableau 2: Correspondances entre les profils d'enseignants dressés par Ehrhart et Prudent, Tupin et Wharton19

Prudent, Tupin et Wharton Ehrhart

Le convaincu L'utilisateur actif

Le pragmatique Le modéré

Le sceptique Le puriste

19 Ce tableau a été réalisé pour mettre en évidence les concordances que j’ai relevées entre les profils

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Ces deux études nous indiquent que l'alternance codique n'est pas perçue de la même façon par tous les enseignants. En effet, certains y verront un facteur clé dans l'apprentissage d'une langue ou l'introduction d'une notion; d'autres y seront plus réticents et ne l'intégreront pas forcément à leur méthode; les derniers y trouveront une utilité dans une certaine mesure. De ce fait, mon travail vise à sensibiliser plus d'enseignants à la nécessité d'une prise en compte plus effective des langues dans leurs pratiques, que ce soit dans les disciplines linguistiques ou dans les disciplines non linguistiques.

IV.

Les langues en classe : rôle didactique

Les travaux sociolinguistiques menés dans la Caraïbe considèrent la langue créole comme un moteur essentiel de la « relation éducative », et ayant un impact sur « la compréhension, la discipline, la motivation ou l’attention, l’expression des émotions ou l’évocation d’images » (Alin, 2010). Dans ce quatrième chapitre, j'insisterai sur le rôle didactique que peuvent jouer l'alternance et le mélange codiques en classe.

Afin de mieux comprendre le rôle didactique des langues en classe, penchons-nous tout d'abord sur les travaux menés par Anciaux en 2010. De ses travaux sur l'approche de la

« didactique intégrée des langues »20 (Cavalli, 2005), il ressort que cette dernière est un

croisement de la didactique des langues et des didactiques disciplinaires (Anciaux, 2010). Cette approche repose sur l’idée que « tout apprentissage, qu’il soit linguistique ou non, se trouve favorisé quand les interactions en classe s’effectuent par le biais de deux ou plusieurs langues au lieu d’une seule dans un contexte et auprès d’un public bi/plurilingues». (Anciaux, 2010 : 3). Autrement dit, l'intervention de deux ou plusieurs langues dans les interactions en classe contribuent à la construction des savoirs et à une meilleure appropriation des processus d'apprentissage par rapport au contexte et au public visés : ici bi-plurilingues.

Si comme nous l'avons montré dans le chapitre précédent, l'alternance codique est souvent dénigrée, jugée négative et comme une barrière, Anciaux (2010 : 3) indique au contraire que « l’alternance codique peut permettre de dépasser ces barrières linguistiques [liées à la langue] en favorisant la communication et les acquisitions visées ». Il n'en demeure pas moins qu'elle permet donc de favoriser des situations d'apprentissage, la construction de

20

(28)

savoirs, la communication et le développement des compétences linguistiques. De nombreuses études qui s'étendent sur des décennies viennent appuyer cette stratégie didactique. Castellotti et Moore (1999 : 15) soutiennent que « […] les alternances interviennent non seulement comme véhicules mais apparaissent aussi comme constitutives de la construction des savoirs et des savoir-faire, à différents niveaux ». Causa (2002) met en avant le fait que « cette pratique langagière ne va pas non plus à l'encontre des processus d'apprentissage : elle constitue au contraire un procédé de facilitation parmi d'autres. » Ces deux études nous montrent déjà que l'alternance codique n'est plus à considérer comme une barrière mais comme un levier et un outil favorables aux apprentissages. Coste (2003 : 14) rejoint cette idée lorsqu'il établit que:

[…] l’alternance des langues (sous des formes diverses tenant à la différenciation des disciplines, à la multiplicité des combinaisons entre langues et à la variété des options didactiques) est non pas un aspect subalterne, encore moins un phénomène parasite, mais bien une dimension constitutive d’un enseignement bi- / plurilingue orienté tant vers la mise en place de connaissances disciplinaires que vers l’approfondissement des connaissances langagières.

L’alternance codique intervient également dans le domaine linguistique : quand on veut apprendre les langues, on peut avoir recours à d’autres langues pour faciliter leur apprentissage et les mettre en contact. Ainsi, Causa (2007) rajoute que :

[...] l’alternance des codes joue un rôle important dans l’apprentissage et dans la construction des savoirs en langue étrangère ; employer les deux langues qui circulent dans la classe (la langue maternelle et la langue étrangère) n’est donc plus considéré comme défavorable à l’apprentissage d’une langue. L’emploi des deux langues peut au contraire servir de « levier » à l’apprentissage de nouveaux savoirs linguistiques.

Selon une étude menée par Lüdi (1993)21, la classe est perçue comme un « espace

d’interlocution potentiellement bilingue ». Cela signifie que l'espace-classe est malgré lui propice à l'alternance et au mélange codiques. De plus, deux domaines sont conjointement et étroitement liés au domaine didactique: les domaines pédagogique et linguistique. Outre ses effets sur l’autorité, l’attention, le relationnel, la communication, la gestion de la classe, l'affectivité, le rôle didactique des langues en classe influe sur l’apprentissage d’une langue, la compréhension, la construction des savoirs et les processus d'apprentissage.

21

(29)

V.

Alternance et mélange codiques au cours des interactions didactiques

Dans le chapitre précédent, il était question du rôle didactique des langues en classe. Pour que la classe soit un espace dynamique, communicatif, propice aux apprentissages et à la construction des savoirs, il doit nécessairement y avoir des échanges entre les différents acteurs présents au sein de cet espace : principalement l'enseignant et les élèves. Ce dernier chapitre sera l’occasion de présenter des approches théoriques permettant de définir et expliquer les interactions didactiques qui peuvent intervenir au sein de l'espace-classe.

V. 1. Interaction didactique

Avant d'aborder les interactions didactiques, il convient tout d'abord de comprendre la notion d' « interaction ». Appuyons-nous sur les définitions données par Altet (1994) et Cuq (2003). Altet (1994 : 125) définit l’interaction comme « un processus interactif interpersonnel et intentionnel qui utilise les interactions verbales et non verbales pour atteindre un objectif d’apprentissage ». Quant à Cuq (2003), il nous confie que « dans les travaux les plus récents en sciences du langage, l’interaction est vue comme un lieu ouvert de co-construction et de transformation permanente des identités et des microsystèmes sociaux ». Autrement dit, l'interaction serait un outil se servant des interactions langagières pour transmettre des savoirs et construire conjointement l'identité des individus.

L'idée même de co-construction et d'objectif d'apprentissage nous amène à l'interaction didactique car celle-ci se construit autour des interactions entre l'enseignant et les élèves relatives à un savoir :

Elle peut être définie comme l’ensemble des processus verbaux et non-verbaux entre les différents acteurs [...] du système éducatif dans un cadre d’enseignement/apprentissage, ces processus étant de nature soit didactique, dans la mesure où l’objet des interactions enseignants/élèves est le savoir, soit pédagogique, quand l’interaction concerne l’organisation spatio-temporelle des activités scolaires, ou la gestion du comportement des élèves (attention, motivation, discipline, humour, etc.). C’est un processus de coordination et d’ajustement conjoint autour d’un objet commun d’enseignement. Elle constitue l’ensemble des événements langagiers et communicatifs entre enseignants et élèves mis en œuvre précisément en vue de l’enseignement et de l’apprentissage de savoirs disciplinaires, de concepts. (Anciaux, 2013: 54-55).

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L'interaction didactique correspond donc à la construction de savoirs, à la transmission et à une meilleure appropriation de processus d'apprentissage, au développement de compétences et de connaissances; rendus possibles grâce aux interactions langagières entre les différents acteurs.

Dans le cas particulier de l’interaction didactique, le processus d’ajustement mutuel doit produire des effets formatifs chez une partie des sujets, les apprenants, par l’augmentation de leurs connaissances ou compétences de divers ordre et de leurs capacités cognitives et consiste pour l’enseignant essentiellement à favoriser les conditions propices à ces effets formatifs. (Rivière, 2010 : 2)

Les interactions didactiques renvoient donc au triangle didactique22 liant l'élève,

l'enseignant et le savoir puisque les relations évoluent et se développent entre enseignant et élève autour d'un savoir à acquérir par l'ensemble du groupe-classe (Amade-Escot, 1997).

V. 2. Approches théoriques des interactions didactiques

Trois théories viennent éclaircir, décrire et analyser les interactions didactiques : la théorie de la transposition didactique de Chevallard (1985, 1991), la théorie des situations didactiques de Brousseau (1998) et la théorie de l’action conjointe en didactique (TACD) (Sensevy et Mercier, 2007; Mercier, 2008; Schubauer-Leoni, 2008).

Les contenus de savoir à enseigner passent par une étape de transformations nécessaires pour une bonne adaptation dans l'espace-classe :

Un contenu de savoir ayant été désigné comme savoir à enseigner subit dès lors un ensemble de transformations adaptatives qui vont le rendre apte à prendre sa place parmi les objets d’enseignement. Le «travail » qui d’un objet de savoir à enseigner fait un objet d’enseignement est appelé la transposition didactique. (Chevallard, 1991 : 39).

La théorie de l’action conjointe en didactique découle des théories de Chevallard (1991) et de Brousseau (1998). Selon cette théorie, les interactions enseignant/élèves résultent d’une intention conjointe et commune à un savoir (Sensevy et Mercier, 2007). Elle met donc en avant une collaboration entre les acteurs de la classe sur le savoir en jeu. De plus, pour Schubauer-Leoni et al. (2007 : 56), l’action conjointe est «  plus qu’un partage de buts communs, c’est plutôt une interdépendance entre des buts distincts dont il s’agit » ; distincts

22

(31)

pour l’enseignant et pour l’élève. D'autre part, la TACD met également en évidence un triplet de l’agir conjoint qui peut exister entre l’enseignant et l’élève (Chevallard, 2001) :

- la chronogenèse, renvoyant à l’évolution du savoir par rapport au temps didactique ;

- la topogénèse, abordant la distribution des rôles entre les acteurs de la classe ;

- la mésogénèse, liée au milieu et aux stratégies d’introduction d’objets au service du

savoir.

D'après Chevallard (1991), l'enseignant, dont l’action est structurée autour de quatre

actions23 : définir, réguler, dévoluer et institutionnaliser, est le moteur de la chronogénèse :

Dans la relation didactique (qui unit enseignant, enseignés et « savoirs »), l'enseignant est le servant de la machine didactique dont le moteur est la contradiction de l'ancien et du nouveau: il en nourrit le fonctionnement en y introduisant ces objets transactionnels que sont les objets du savoir convenablement apprêtés en objets d'enseignement. (Chevallard (1985, 1991 : 71)

Dans ce cas, l'enseignant est considéré comme détenteur du savoir, responsable de son avancement au sein de la classe et est dit « chronomaitre » (Chevallard, 1985, 1991; Sensevy, 1998). Il ne faut cependant pas exclure la participation des élèves dans l'avancement de ce savoir au cours des interactions didactiques : ces élèves sont appelés « élèves chronogènes » (Sensevy, 1998; Boivin, 2007). En ce qui concerne la mésogénèse, Sensevy (2007 : 16) inscrit la pratique de l'enseignant dans « un jeu entre milieu et contrat ». De plus, Brousseau (2008) dégage deux types d'interactions en classe : entre l'élève et son milieu, entre l'élève et l'enseignant par rapport à son milieu.

Ces différentes approches sur les interactions didactiques en classe permettent de mieux appréhender le rôle de l'alternance et du mélange codiques dans le cadre scolaire dans la mesure où l'acquisition de savoirs, de connaissances et de compétences passe par les interactions et une collaboration à visée didactique entre l'enseignant et l'élève.

23 Ces quatre actions sont définies dans l’ouvrage: Sensevy, G. et Mercier, A. (dir.). (2007). Agir ensemble.

Figure

Figure 1 : Carte de la Guadeloupe dans la Caraïbe (Atlas Caraïbe)
Figure 2: Niveaux communs de compétences en langue
Tableau 1: Etudes sur les fonctions des alternances au niveau des apprentissages et de la communication 17
Figure 3 : Ehrhart, S. (2002). L'alternance codique dans le cours de langue: le rôle de l'enseignant dans  l'interaction avec l'élève
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