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4 2 Alternance et mélange codiques dans une séance d’Education Physique et Sportive

Résultats des questionnaires

ET DISCUSSION DES RÉSULTATS

II. 4 2 Alternance et mélange codiques dans une séance d’Education Physique et Sportive

a) Alternances spontanées de l’enseignant à visée pédagogique

Extrait 32 :

1. Ens.: Lentement, on ne parle pas. Je veux voir aussi les jambes travailler. Certains font travailler les jambes, d’autres non. Oui çà c’est bien. Pὸkὸ, pὸkὸ, pὸkὸ, asé fè dézὸd ! (traduction : Ne commencez pas ! Arrêtez de faire du bruit.)

Lors de la mise en route de la séance, l’enseignant indique en français les consignes au fur et à mesure des déplacements des élèves. Les élèves s’exécutant dans le bruit, il les recadre et tente de rétablir l’ordre en alternant avec le créole.

Extraits 33 et 34:

1. Ens. : Je tape dans les mains, on continue à travailler. Je tape dans les mains, on accélère un tout petit peu le mouvement. Un tout petit peu j’ai dit. Ola ou k’ay ? (traduction : Où vas-tu ?) Tu fais quoi ? Regarde ton corps !

2. Ens.: Je tape dans les mains encore, un petit peu plus vite. J’ai pas dit qu’on courait. Ola ou k’ay ? (traduction : Où vas-tu ?)

Lors de cette même activité, un élève s’éloigne de la consigne de départ. Dans les extraits 33 et 34, l’enseignant alterne alors le français pour les consignes; et le créole («Ola ou

k’ay ?») pour permettre à l’élève concerné de se recentrer sur l’activité demandée et de

réguler l’amplitude de ses mouvements.

Extrait 35 :

1. El. 1 : Pendant qu’on faisait des gestes très lents, j’ai remarqué quelque chose : on était en apesanteur.

2. Ens. : T’étais en apesanteur ? 3. El. 2 : En apesanteur ? C’est quoi çà ?

4. Ens. : {A l’élève 2} Mais qu’est-ce que c’est çà ? Atann i ké di-w sa. I ké di-w poukisa i té an apesanteur. Vini-w la, Jean-Philippe, vini-w la. (traduction : Attends, elle va te le dire. Elle va te dire pourquoi elle était en apesanteur. Viens ici Jean-Philippe, viens ici.)

Pendant un moment d’échanges entre les activités, une élève souhaite faire partager son ressenti sur les gestes à effectuer et évoque l’apesanteur (ligne 1). L’enseignant réagit d’abord en français puis rebondit sur l’interrogation d’un élève agité (ligne 3) pour l’interpeller soudainement en créole, capter son attention et susciter en lui l’envie de connaître la réponse (ligne 4). Cette stratégie employée par l’enseignant a permis à l’élève de se calmer pour écouter la réponse donnée par sa camarade de classe.

b)Alternances spontanées de l’enseignant à visée didactique et pédagogique

Extrait 36 :

1. Ens. : Qu’est-ce que ça veut dire accélérer ? Ça veut dire quoi accélérer ? 2. El. 1 : On marche plus vite

3. Ens. : On marche plus vite ! Si on marchait lentement, si on marchait à 2km/h, on va marcher à combien ?

4. El. 2 : 3 km/m.

5. Ens. : 3 ! Mè zὸt za ka pasé dè 2 km/h a 20 km {Rires} (traduction : 3 ! Pourtant vous passez de 2 à

20 km/h.)

Dans cet extrait, l’enseignant lie la pédagogie à la didactique. Il entame un questionnement en français sur la signification du terme « accélérer » (ligne 1). Après une explication plausible : « passer de 2 à 3 km/h », il donne un exemple en créole pour expliquer aux élèves la vitesse excessive de leurs déplacements lors des activités dédiées à l’échauffement (ligne 5). Cette explication, apportée avec humour, a produit une évocation d’images chez les élèves qui ont pu ainsi mieux accéder à la compréhension du terme et réajuster la fréquence de leurs mouvements.

Extrait 37:

1. Ens. : Allez, on va essayer ce qu’elle a dit. On va se mettre en apesanteur. On va se donner la sensation de flotter. Non ! On va se donner la sensation de flotter ! Nou k’ay pé, fèmé bouch

an nou pou éséyé floté ! Olyé nou palé initilman la ! (traduction : Nous allons nous taire,

fermer nos bouches pour essayer de flotter au lieu de parler sans raison.)

Dans l’extrait 37, l’enseignant exploite la représentation d’une élève sur les échauffements pour la suite. Il demande donc aux élèves en français de se mettre en condition pour ne faire qu’un avec l’espace qui les entoure. Les élèves sont en effervescence et l’enseignant alterne son discours en créole pour ramener le silence et reformuler la consigne.

Extrait 38 : 1. El. : Il y a…

2. Ens. : A pa ban mwen ou ka palé {Ton agacé}. (traduction : Ce n’est pas à moi que tu parles.) Ce que tu dis là ne m’intéresse pas, tu parles pour tes camarades.

Un élève veut répondre à une question (ligne 1). L’enseignant, ayant le souci de faire régner les interactions entre élèves, lui rétorque en créole que ses propos ne doivent pas lui être adressés (ligne 2), avant de reprendre en français et de lui indiquer qui sont ces principaux interlocuteurs: ses camarades.

c) Alternance prévue entre deux élèves

Extrait 39 :

1. El. 1 : An bizwen palé ba-w. (traduction : J’ai besoin de te parler.)

2. El. 2 : Pouki biten ? (traduction : Pourquoi ?)

3. El. 1 : Papa-w, sa ka fè kèk tan i la ! (traduction : Ton père, çà fait quelque temps qu’il est là.)

4. El. 2 : Ek i ka jenné-w ankὸ ? (traduction : Il te gène toujours ?)

5. El. 1 : An pa ka rivé fè sa i fo. (traduction : Je n’arrive pas à faire ce qu’il faut.)

6. El. 2 : Pourquoi ? Pouki biten ? (traduction : Pourquoi ?)

7. El. 1 : I two vyé pou rèsté abὸ kaz-la. (traduction : Il est trop vieux pour rester à la maison.)

8. El. 2 : E ka ou pé fè ? (traduction : Qu’est-ce que tu peux faire ?)

9. El. 1 : Je… {Hésitation}. Swa sé mwen ki ka rèsté an kaz-la, swa sé papa-w ki ka pati! (traduction : Soit c’est moi qui reste à la maison, soit c’est ton père qui part.)

10. El. 2 : Bon, nou k’ay réglé sa. (traduction : Bon, nous allons régler çà.)

Dans cet extrait d’une séance d’arts dramatiques, deux élèves jouent un tableau en créole (Fables de la Fontaine adaptées en créole) à l’occasion d’une répétition générale avant l’entrée dans une nouvelle activité. Ces élèves hésitent brièvement en français (« Pourquoi ? » ; « Je… ») avant de reprendre en créole.

II. 5. Discussion

L’objectif de cette seconde enquête était de vérifier les pratiques d’alternance et de mélange codiques déclarées par les enseignants en allant sur le terrain. Quatre séances d’observation, dont une de plus qu’initialement prévue, ont donc été entreprises dans les trois cycles dans le but de corroborer ou au contraire disconvenir d’un éventuel lien entre les pratiques déclarées et les pratiques observées au sein de la classe.

Tableau 12: Langues et disciplines observées selon les séances

Langues observées Disciplines

linguistiques Disciplines non linguistiques Séance n°1 Cycle 1 Français, créole guadeloupéen, anglais et espagnol

Devenir élève, S’approprier le langage, Découvrir l’écrit, Agir et s’exprimer avec son corps Séance n°2 Cycle 2 Français, créole guadeloupéen Sciences Expérimentales et Technologie, Education Physique et Sportive Séance n°3 Cycle 3 Français, créole guadeloupéen, anglais Langue Vivante Etrangère (anglais) Histoire Séance n°4 Cycle 3 (bis) Français, créole guadeloupéen Mathématiques, Education Physique et Sportive

L’analyse de ces séances confirme indubitablement les dires des enseignants interrogés sur leurs pratiques langagières ainsi que mes hypothèses puisque jusqu’à trois autres langues autres que le français ont pu être observées dans les interactions didactiques en classe : le créole guadeloupéen, l’anglais et l’espagnol. Pendant la séance n°3, le recours à l’anglais a été programmé et exclusivement utilisé au cours d’une discipline linguistique (anglais), mais des occurences naturelles en créole sont intervenues pour exprimer une idée et communiquer avec les pairs. Les autres séances d’observation voient cette même langue, l’espagnol et le créole intervenir lors de disciplines non linguistiques telles que Découvrir l’écrit, l’EPS, l’histoire ou encore les mathématiques.

Peu importe le cycle, les fonctions principales des alternances observées au cours des séances sont les mêmes. Lors des disciplines non linguistiques, on observe une fonction pédagogique liée à la régulation, l’humour, la relation, la communication, l’intérêt des élèves; et une fonction didactique ciblant la reformulation des consignes, la passation des consignes, la compréhension d’une activité et l’introduction de notions. Lors des disciplines linguistiques, les alternances remplissent essentiellement une fonction didactique liée à l’apprentissage d’une langue étrangère et à l’acquisition de compétences linguistiques mais aussi une fonction pédagogique visant l’expression orale des élèves et la gestion de la classe.

Extrait d’une séance de Mathématiques en Cycle 3 :

1. Ens. : On vous pose la question pourquoi 14 + 14. E la nou andifikilté. (traduction : A présent, nous sommes en difficulté.)

2. El. : Quel est le nombre de cartes en main ?

3. Ens. : {A l’élève} Non misyé an mwen, sé té avan pou zὸt té fè sa. Pa alè la. (traduction : Non jeune homme, il fallait y penser avant. Pas maintenant.)

Dans cette alternance pédagogique de type communicatif entre un enseignant et un élève, les élèves tentent de résoudre un problème de partage (ligne 1). Un élève apporte une réponse au hasard à la question de son camarade (ligne 2). L’enseignant introduit donc spontanément le créole pour rappeler la fin du temps de préparation de l’activité et ainsi inviter l’élève à mieux mettre à profit le temps qui lui est accordé (ligne 3). Les propos de l’enseignant ont eu un effet immédiat sur le comportement et l’investissement de l’interlocuteur dans l’activité proposée.

« Les moyens d’enseignement sont plus variés grâce à la présence de deux langues dans l’espace classe. » (Causa, 1996)

Ces quatre séances d’observation, riches en alternances et mélanges codiques, englobent bien les propos de Causa. En effet, elles témoignent de la coexistence de deux à quatre langues dans l’espace-classe, de leur intervention dans les disciplines linguistiques et non linguistiques et enfin de leur capacité à favoriser l’apprentissage d’une langue, l’acquisition de savoirs et à instaurer une relation de confiance et de proximité entre l’enseignant et ses élèves.

Elles ont également fait émerger deux nouveaux acteurs: l’ATSEM et l’intervenant extérieur en langues, qui interagissent avec les principaux interlocuteurs de la classe (enseignant et élève) et participent à l’apport d’autres langues au sein de la classe : l’anglais et le créole dans ce cas. En effet, si l’enseignant et l’élève sont des acteurs autour desquels se concentrent de nombreuses études sur les alternances et mélanges codiques dans le système

éducatif, de nouveaux travaux40 s’intéressent de plus près aux ATSEM notamment. Les

prendre en compte ne peut que renforcer et consolider les recherches antérieures.

L’exploitation de ces séances d’observations a été profitable aux résultats des questionnaires et aux hypothèses puisqu’elles corroborent le lien entre les pratiques déclarées par les enseignants interrogés et leurs pratiques en conditions réelles de classe. Néanmoins, les effets et les fonctions l’alternance et le mélange codiques sont à explorer davantage afin de mieux prendre en compte la pluralité des langues en présence sur le territoire guadeloupéen et de les exploiter à des fins pédagogiques et didactiques dans le contexte scolaire. Pour aller plus loin dans mon enquête, j’ai entrepris des entretiens d’explicitation auprès d’enseignants « convaincus » afin de mieux cerner leurs pratiques et d’expliciter de façon plus approfondie les fonctions des alternances et mélanges codiques dans les interactions didactiques en classe.