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Analyse exploratoire de quatre Centres de la petite enfance au Nunavik

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Academic year: 2021

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Analyse exploratoire de quatre Centres de la petite

enfance au Nunavik

Mémoire

Jennifer Trudeau-Malo

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts(M.A.)

Québec, Canada

© Jennifer Trudeau-Malo, 2016

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Analyse exploratoire de quatre Centres de la petite

enfance au Nunavik

Mémoire

Jennifer Trudeau-Malo

Sous la direction de :

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iii RÉSUMÉ

Cette étude exploratoire décrit le processus d'instauration de plusieurs Centres de la petite enfance (CPE) en lien avec le contexte socioéconomique de quatre villages au Nunavik en 2011. L'objet de ce mémoire est d'analyser les conditions communautaires, telles que l'emploi, la santé, les services de garde à l'enfance et l'éducation, qui ont engendré la demande des services de CPE, ainsi que d'examiner l'influence qu'ont ces services sur la vie communautaire. Le développement de ces services dérive d'une collaboration entre l'Administration régionale Kativik (ARK) et les membres des communautés nordiques. Ainsi, nous examinons la part de l'ARK dans son soutien des services de garde à l'enfance dans le Nord. À ce jour, il existe peu de recherches scientifiques effectuées sur ces services au Nunavik et nous avons travaillé en partenariat avec l'ARK afin de réaliser ce projet.

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SUMMARY

This exploratory research, conducted in 2011, describes the implementation of several childcare centres within a socioeconomic context in four communities in Nunavik. The main objectives of this project are to analyze community conditions such as

employement possibilities, health issues, childcare services and education, that engendered a demand for childcare centres, as well as to examine the impact of such services on

community life. The development of childcare centres derives from a collaboration between the Kativik Regional Government (KRG) and Northern community members. Hence, we also explore the role KRG played in the developement and maintance of such services in the North. To this day, there exists few scientific studies dealing with childcare centres in Nunavik and so, we worked in collaboration with KRG to conduct this project.

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v TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... III SUMMARY ... IV TABLE DES MATIÈRES ... V TABLES DES FIGURES ... VII LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES ... VIII DÉDICACE ... IX REMERCIEMENTS ... X CARTE DU NUNAVIK ... XI MISE EN CONTEXTE ... XII

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1: L'ÉVOLUTION DE L'ÉDUCATION DES JEUNES ENFANTS ... 4

L'éducation traditionnelle des jeunes enfants ... 4

L'éducation institutionnelle ... 6

Changements sociaux dans les communautés... 11

L'Administration régionale Kativik ... 14

Les services de garde ... 15

Les services de garde au Nunavik ... 16

CHAPITRE 2: MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE ... 23

Cadre théorique ... 23

Anthropologie de l'éducation ... 23

Autres cadres théoriques ... 27

Méthodologie ... 28

L’approche participative comme horizon et le choix d’une recherche qualitative ... 28

Techniques d’enquête et collecte de données ... 29

Le déroulement du terrain ... 29

La collecte de données ... 30

Les facilitatrices ... 33

Échantillonnage ... 33

Limites de l'étude ... 34

Durée des séjours ... 34

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Disponibilités des facilitatrices ... 37

Taux de participation ... 38

Rôles de la chercheuse ... 39

CHAPITRE 3: PORTRAIT GLOBAL DE L'INSTAURATION DES CPE DANS LES VILLAGES DU NUNAVIK ... 42

Kuujjuaraapik : Centre de la petite enfance Saqliavik ... 43

Umiujaq : Centre de la petite enfance Amautik ... 50

Inukjuak : Centre de la petite enfance Tasiurvik inc. ... 55

Puvirnituq : Centre de la petite enfance Saliatauvik ... 63

Retour sur les questions de recherche et synthèse ... 71

Les conditions sociales qui ont contribué à l'instauration des CPE dans la région ... 71

L'influence des services de CPE dans la vie socioéconomique des communautés nordiques ... 73

CONCLUSION ... 76

BIBLIOGRAPHIE ... 83

ANNEXE 1: ANNONCE PUBLICITAIRE RADIO ... 91

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vii TABLES DES FIGURES

Figure 1. Carte du Nunavik indiquant les communautés visitées lors de ce projet. ... xi

Figure 2. CPE Saqliavik ... 43

Figure 3. Logo du CPE Saqliavik ... 43

Figure 4. La maison blanche ... 44

Figure 5. Corridor de Saqliavik ... 46

Figure 6. Symboles inuit ... 47

Figure 7. CPE Amautik ... 50

Figure 8. Images qui reflètent des activités traditionnelles ... 53

Figure 9. Salle des jeunes âgé de 3 à 4 ans ... 54

Figure 10. CPE Tasiurvik ... 55

Figure 11. Kamik, inuktitut et photos prises dans la communauté ... 60

Figure 12. Les chiffres en inuktitut et avec des éléments pertinents à la culture inuit ... 60

Figure 13. Animaux présents dans le Grand Nord ... 61

Figure 14. CPE Saliatauvik, 2011 ... 63

Figure 15. Cours de récréation, Saliatauvik... 66

Figure 16. Chambres de bébés, Saliatauvik ... 67

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viii LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES

ARK : Administration Régionale Kativik CSK : Commission scolaire Kativik CPE : Centre de la petite enfance ECE : Early childhood education GRC : Gendarmerie royale du Canada

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ix DÉDICACE

Je dédie ce mémoire à ceux et celles qui ont participé à ce projet. Merci d'avoir partagé vos histoires avec moi.

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier en premier lieu mon directeur de recherche, Frédéric B. Laugrand, pour sa patience, ses conseils avisés et surtout sa confiance en moi. Le parcours de ce projet n'a pas été facile, mais Dr. Laugrand n'a pas perdu espoir et m'a souvent encouragé à poursuivre mes études. Je suis reconnaissante d'avoir eu l'opportunité de travailler avec lui.

Je remercie tout particulièrement Rosemarie Brodeur et Joanie Lemieux pour avoir accepté de faire la révision et correction de mon mémoire, pour leurs critiques pertinentes, et aussi tout simplement pour ce qu'elles sont. Merci pour votre encouragement.

Concernant le terrain de recherche, je tiens à remercier l'ARK pour le financement du projet et aussi pour m'avoir permis d'accéder à la documentation des plus pertinentes. Un merci spécial aux personnes qui m'ont accordé leur temps et leurs connaissances. Annie Nulukie et Lisa Epoo merci de m'avoir acceptée.

Je désire également remercier mes ami(e)s qui ont été présents pour moi durant mon cheminement à la maîtrise. À Mark Prentice et Carl Trudel qui ont pris le temps de me motiver le long de la rédaction. Merci pour vos petits mots lors de mon séjour en terrain et durant la rédaction.

Enfin, mes pensées se tournent vers ma famille, Guy et Marguerite, Alisa, et ma tante, Réjeanne, qui ont été pour moi des points de repère lors des moments d'incertitude. Sans eux, je n'aurais pas eu la force de persévérer. Merci pour votre amour et vos encouragements. Je vous aime.

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xi CARTE DU NUNAVIK

Figure 1. Carte du Nunavik indiquant les communautés visitées lors de ce projet.1 Carte venant de la Société Makivik

http://www.makivik.org/media-centre/nunavik-maps/

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xii MISE EN CONTEXTE

Cette maîtrise s’inscrit dans le cadre d'un travail plus large mené par l'Administration Régionale Kativik (ARK), portant sur l'historique des Centres de la petite enfance (CPE) au Nunavik. Il y a cinq ans déjà, Dr. Thierry a été en contact avec la directrice du département responsable des services de CPE dans les villages nordiques, Margaret Gauvin. Celle-ci a alors signalé son désir de réaliser une recherche qui documenterait l'installation et le développement des CPE dans le Grand Nord du Québec. Intéressée par cette question, nous avons été embauchée par l'ARK au titre de consultante, avec pour mandat de démarrer le projet. Afin de répondre aux contraintes des études de deuxième cycle, nous avons proposé à l'ARK de visiter quelques villages au Nunavik en concentrant nos efforts sur des pistes précises. Nous nous sommes notamment penchée sur des questions de santé, d'économie, de société et d'éducation. Cette recherche met en valeur les conditions communautaires qui ont engendré la demande pour le service de CPE, mais aussi les conséquences qui ont découlé de l'instauration de ces centres.

Dans le but de mieux saisir l'évolution des services de soins et d'éducation destinés aux jeunes enfants dans les communautés nordiques, nous avons commencé par étudier le concept d'éducation traditionnelle. Dans ce cadre, nous avons noté l'importance des enfants dans les communautés inuit ainsi que les rôles et responsabilités des membres de la communauté dans l'éducation des jeunes.

Ensuite, nous avons examiné les impacts de l'arrivée des écoles résidentielles et des pensionnats sur la vie communautaire. Plus précisément, nous avons exploré la transmission des valeurs culturelles et du savoir des Inuit et des Occidentaux. Nous avons aussi noté les effets négatifs des écoles résidentielles et des pensionnats pour démontrer la désunion entre l'éducation traditionnelle et l'éducation institutionnelle introduite par les Occidentaux. Ceci est intéressant pour notre projet puisque le concept de CPE provient de la culture occidentale.

Finalement, nous avons consulté des ouvrages en lien avec les services de CPE dans d'autres communautés autochtones, dont ceux de Jane George, journaliste, portant sur les CPE au Nunavik. Notre étude fait preuve d’originalité puisqu'il n’existe pas de travaux

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scientifiques publiés à ce jour sur les origines et le développement des CPE dans la région du Nunavik. Il est important de préciser qu’il existe des rapports soulignant l’aide financière apportée aux villages pour la construction des bâtiments des CPE, ainsi que différents reportages s’intéressant aux conditions de travail dans les centres, à leur fréquentation par les jeunes, ou présentant l’opinion de certains membres de l'ARK sur les CPE. Toutefois, les conditions qui ont occasionné la demande pour ces centres, l’origine de ces services au Nunavik, ainsi que les effets qu'ont eus ces centres dans la vie communautaire inuit demeurent grandement méconnus. Cette étude se veut donc une analyse exploratoire des CPE de quatre communautés au Nunavik.

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1 INTRODUCTION

Il a été suggéré que le destin d’une culture repose sur sa capacité à maîtriser son éducation et, plus précisément, la transmission de ses savoirs culturels (Ball & Simpkins, 2004: 480; Belisimbi, 2008: 1; Commission Scolaire Kativik (CSK), 1992; Gilliard & Moore, 2006: 1). L'éducation des jeunes enfants est importante car, dès leur plus jeune âge, ils commencent à apprendre les valeurs culturelles, les modes de vie, ainsi que les rôles et responsabilités qu’ils auront à adopter à l'âge adulte. Tout cela est évidemment aussi vrai pour les enfants inuit (Belisimbi, 2008: 1; Briggs, 2000; CSK, 1992; Spindler, 1987; Therrien, 2012: 72).

Il a été mentionné à maintes reprises que les enfants sont considérés comme une véritable source de joie dans la culture inuit (Briggs, 1968, 1974, 2000; Bruemmer, 1979; CSK, 1992), voire que « l’amour de la nature de l’Eskimo est centré sur l’enfant » (Bruemmer, 1979 : 50; voir aussi Green, 2000). Avant l'arrivée des missionnaires et l'instauration des écoles résidentielles, les enfants des cultures inuit étaient considérés comme étant sous la responsabilité de la communauté et l’éducation de ces jeunes était alors partagée entre les membres de la famille nucléaire et de la communauté élargie (Briggs, 1968: 15, 2000; Bruemmer, 1979; Conseil national du bien-être social, 2007:19; Therrien, 2012: 193). La famille nucléaire était rare et la proximité des membres de la famille élargie contribuait à créer une vie familiale intime (Green, 2000; Therrien, 2012: 71-77, 193). La cohabitation de plusieurs générations facilitait aussi le partage des savoirs, ainsi que la transmission des valeurs inuit, telles que la réciprocité et l'entraide (Therrien, 2012: 72, 76, 193). Les jeunes enfants passaient beaucoup de temps avec leur famille. Par conséquent, ils apprenaient les modes de vie traditionnels en observant et en imitant les gestes de leurs proches (Green, 2000: 58; Oosten in Briggs 2000).

L'arrivée des missionnaires, des marchands et des explorateurs a provoqué plusieurs changements culturels importants chez les Inuit du Nunavik, mais les changements les plus radicaux sont arrivés après, avec l’entrée en scène des gouvernements et des bureaucrates. Entre autres, la question de l'éducation des enfants est devenue une préoccupation fondamentale (Green, 2000: 58), un moyen d’assimilation et d’intégration. Cette éducation a également subi d’autres changements considérables, en particulier avec l’apparition des

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écoles résidentielles et des pensionnats. Les enfants se sont trouvés ainsi éduqués à la fois par des membres de leur famille et par des éducateurs spécialisés. Ce fait est à l’origine du problème de la discontinuité culturelle ressenti par les individus qui ont fréquenté les établissements scolaires, car les valeurs transmises par ces institutions n'ont pas toujours reflété les valeurs communautaires (Bonesteel, 2006: 94; Therrien, 2012: 198; voir aussi la thèse de Ann Douglas 1998 et Douglas 2009).

Établis plus de 60 ans après l'apparition des écoles et des pensionnats, les Centres de la petite enfance (CPE) sont un autre service qui a également influencé l'éducation des jeunes. Les services de CPE aussi sont un phénomène étranger dans la vie des Nunnavimmiut. Ces services, encadrés et financés par les gouvernements, dans les années 1980 à Kuujjuaq et, depuis ce temps, les bâtiments, ainsi que les services et les ressources, se sont développés rapidement dans les villages nordiques. Avec pour but une meilleure compréhension de cette croissance, nous avons décidé de prendre en considération le contexte historique de l'éducation des jeunes enfants inuit, de même que les conditions communautaires entourant le développement de ces services dans les villages nordiques. Plus spécifiquement, nous nous sommes posée la question suivante :

Quelles sont les conditions sociales qui ont contribué à l'instauration des Centres de la petite enfance (CPE) dans la région du Nunavik?

De plus, nous avons examiné l'impact de ces services dans les communautés visitées. Aussi avons-nous formulé une deuxième question exploratoire :

Quelle est l'influence des services de CPE dans la vie socioéconomique des communautés nordiques?

Dans l’espoir de répondre à ces questions, nous avons centré notre recherche sur les transitions qui ont marqué le système d’éducation du peuple inuit. Nous avons d'abord analysé l'éducation offerte à la maison par les membres de la communauté et, par la suite, nous l'avons comparée à l'éducation offerte par les écoles occidentales. Les effets de cette transition entre le premier système et le second ont été notés et utilisés afin d'évaluer le contexte ayant généré le besoin pour des services de CPE. De plus, nous avons exploré le

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rôle de l'Administration Régionale Kativik (ARK), le responsable de ces services dans le Grand Nord, dans l'instauration des CPE et le rôle joué par les membres des communautés visitées. Enfin, nous avons constaté les effets positifs et parfois négatifs que ces centres ont eus sur la vie des Inuit au Nunavik.

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CHAPITRE 1: L'ÉVOLUTION DE L'ÉDUCATION DES JEUNES ENFANTS

L'éducation traditionnelle des jeunes enfants

Jadis, l’éducation « traditionnelle »2 était assurée par l'ensemble des membres de la

communauté, et la famille était considérée comme le noyau de la culture inuit, puisqu’elle transmettait les savoirs et les valeurs du groupe. Dans un domicile, on pouvait retrouver plusieurs membres d’une famille élargie, tels que des parents, des grands-parents, des tantes, des oncles, des cousin(e)s; la composition de la maisonnée variant selon les saisons et le temps de l’année (Bonesteel, 2006, 93; Briggs, 1968: 9; Conseil national du bien-être social, 2007: 19; Therrien, 2012: 71; Tompkins, 1998: 68). Le fait de partager un espace commun avec des générations différentes a facilité la transmission des coutumes, des normes et des modes de vie. Les enfants apprenaient en observant et en imitant les actions de leurs proches (Briggs, 1979, 1998, 2000; Green 2000: 52). De plus, les enfants pouvaient prendre part aux activités habituelles de leurs parents, telles que la chasse, la pêche et, plus tard, la construction des igloos (Bruemmer, 1979; Green, 2000: 20). Ces connaissances ont contribué à développer chez eux une grande fierté d’être Inuit (Briggs, 1968, 1974, 1979; CSK, 1992; Gilliard & Moore, 2006: 1; voir aussi Ball & Simpkins, 2004: 481-482). Chaque personne avait la possibilité de décider pour elle-même des activités qu’elle comptait entreprendre pour la journée et cela était encore plus vrai pour les enfants qui, eux, avaient la liberté de décider dans quelle mesure ils voulaient ou non participer aux activités des adultes (Briggs, 1968: 11).

L'essentiel de cette éducation était, chez les Inuit, fondé sur l’amour, les conseils, la patience et sur énormément de liberté. Les enfants étaient fortement encouragés à explorer et à découvrir leur environnement tout en assimilant des leçons de vie. Ils apprenaient à se connaître, tout en identifiant des objectifs personnels et les outils pour les atteindre. Les premières années étaient considérées comme les meilleures pour les enfants puisqu'ils passaient beaucoup de temps à jouer. Il existait de nombreux jeux qui consistaient à imiter les adultes et ces jeux les préparaient pour leurs futurs rôles sociaux (Ager, 1976; Briggs,

2 Dans le contexte de ce projet, l'éducation traditionnelle réfère à l'éducation apportée aux enfants par les membres de la communauté dans un environnement non encadré et ce avant l'arrivée des écoles occidentales.

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1968, 1979, 1990, 2000; Bruemmer, 1979; Green 2000; Petit, 2011). De plus, le ridicule et l’humour, de même que les injonctions paradoxales (« ne donne pas de la nourriture à ton frère! ») ont été des dispositifs très efficaces pour éduquer les enfants (voir Jessen-Williamson & Kirmayer, 2010). Par la cajolerie et l’encouragement, les parents parvenaient à modifier les comportements de leurs enfants (Briggs, 1968: 43; Bruemmer, 1979). Pour évaluer l’apprentissage de chacun de leurs enfants, les parents se fiaient aux capacités intellectuelles et physiques de chacun d'entre eux et non aux standards introduits par les institutions scolaires des Occidentaux (CSK, 1992; Spindler, 1987; Therrien, 2012: 197).

Anciennement, des chercheurs, ainsi que d’autres Qallunaat3 qui ont fréquenté des groupes d’Inuit, pouvaient avoir la fausse impression que certains groupes gâtaient leurs enfants ou bien qu’ils ne prenaient pas bien soin d’eux (Briggs, 1968 : 15). En analysant de plus près l’éducation traditionnelle chez les Utkuhikhalingmiut, Briggs (1968) a vu cette idéologie se déconstruire. L’autonomie est une caractéristique valorisée dans la culture inuit et l’intervention des parents se fait lorsque ces derniers le croient nécessaire pour le bien-être de leurs enfants (Briggs, 1968: 40, 1990: 273; voir aussi Green, 2000 et Therrien, 2012). Ses recherches sur les émotions ont démontré que, d’une part, l'attachement entre les membres de la famille nucléaire sont très forts et, d’autre part, que les parents et leurs enfants veulent toujours être proches l’un de l’autre (sentiment de unga ou nakli) (Briggs, 1968: 14, 2000). Par conséquent, les parents sont toujours présents pour surveiller leurs enfants et leur développement4 (Briggs, 1968: 29).

Durant son séjour, Briggs (1968: 15) a noté que les enfants de moins de quatre ans reçoivent davantage de marques de tendresse et d’amour que les jeunes âgés de six ans et plus. Après l’âge de six ans, les parents inuit témoignent visiblement moins d'affection à leurs enfants et leur montrent leur amour d’une autre manière. Dans ce cas, les parents ne prêtent plus d’attention aux gestes de leurs enfants et partagent plutôt de l’information sur la chasse et la pêche (Briggs, 1968: 15). Briggs (1968) avance que la raison pour laquelle les Utkuhikhalingmiut démontrent beaucoup d’affection et d’attention envers les enfants de moins de six ans relève de la croyance qui établit que ces derniers n’ont pas encore acquis

3 Un terme inuit qui désigne les Blancs.

4 Pour plus d’information sur les relations entre les parents et les enfants, voir les travaux de Crago (1988) et Lantis (1960).

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l’ihuma (la raison). Dans cette optique, les enfants sont perçus comme des êtres sans raison, et les discipliner ne serait pas efficace puisqu’ils n’ont pas la capacité de retenir ou de comprendre l’information qui leur est fournie. Lorsqu’une personne acquiert l’ihuma (la raison), elle agit comme un adulte et alors les comportements et les dispositifs éducatifs changent (Briggs, 1968:15-16, 1998: 267)5. Les enfants font l’acquisition de l’ihuma

graduellement et sans l’intervention des adultes (Briggs, 1968: 40). Selon les Utkuhikhalingmiut, l’enfant obtient l'ihuma lorsqu’il est conscient de son environnement, qu’il est capable de reconnaître des gens de son entourage, qu'il est capable de maîtriser ses émotions et, surtout, lorsqu’il est prêt à aider avec les tâches quotidiennes et qu'il est en mesure de comprendre les conseils des aînés (Briggs, 1968: 40, 1990: 267-268).

Autrefois, l’éducation des jeunes enfants était perçue comme une responsabilité incombant à toute la communauté environnante de l’enfant6. Les enfants d’une

communauté jouaient souvent ensemble, et ce, sous l’œil bienveillant des membres de cette communauté (Briggs, 1968; Conseil national du bien-être social, 2007: 19). L'éducation se concrétisait à partir de la curiosité de l'enfant et c'est l'enfant même qui faisait son propre cheminement. Toutefois, cette façon traditionnelle d'éduquer les enfants a été transformée par l'introduction des pensionnats et l'arrivée de l'éducation institutionnelle dans les communautés du Nord.

L'éducation institutionnelle

Avant les années 1940, l’éducation institutionnelle n’existait pas dans les communautés inuit7. Il n’y avait pas de curriculum imposé et aucun apprentissage précis. Il

n'y avait pas, par exemple, de seuil de réussite ou de matière obligatoire. C’était l’encouragement et l’amour des parents et de la communauté qui nourrissaient le développement de leur progéniture.

5 Inversement, les Qallunaat sont parfois associés à des enfants parce qu’en plus d’être impatients, ils se mettent facilement en colère et ne savent pas se retenir.

6 Pour plus d’information sur l’éducation traditionnelle chez les Inuit, voir Condon (1987), McGregor (2008), et les livres de Briggs (1970, 1983, 1998); pour une analyse comparative, veuillez consulter le travail de Winkler-Sprott (2002) qui porte sur l’éducation des enfants Iñupiak.

7 Dans son œuvre de 1984, Clemens traite du colonialisme canadien et l’éducation institutionnelle dans les communautés inuit qui précédent l’année 1975.

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Le contact avec les Qallunaat durant les années 1940 et 1950 a eu d’importantes répercussions sur l’éducation des enfants autochtones (Tompkins, 1998 : 3). Dans un premier temps, leur éducation a été prise en charge par des missionnaires moraves, catholiques et anglicans qui ont construit des écoles de jour et des pensionnats afin d'alphabétiser et de convertir les Inuit (Bonesteel, 2006 : 94). Ces groupes s'intéressaient généralement à la culture inuit et, dans ce contexte, les Inuit menaient une vie semi-nomade. L'éducation n'était donc pas régulière. Dans un deuxième temps, durant les années 1950, le gouvernement fédéral s'est intéressé à l'éducation des autochtones et certains enfants inuit ont été fortement encouragés8 à fréquenter des écoles provinciales et des

pensionnats9. Ces enfants ont été installés dans ces écoles, où ils ont dû s’adapter à

l’apprentissage structuré d’institutions qui ne valorisaient pas les traditions inuit10

(Bruemmer, 1979; Conseil national du bien-être social, 2007: 54; De Canck cité dans Beaulieu et Hervé, 2008 : 40; Tompkins, 1998: 3). Loin de leur maison, ils n’avaient plus cette proximité avec leur communauté et leur sentiment d'appartenance à leur culture s'est atténué.

En 1963, le gouvernement du Québec a mis en place la loi 60 qui avait pour but de moderniser le système éducatif au Québec. De cette manière, le gouvernement souhaitait prendre le contrôle des affaires éducatives puisqu'il les voyait comme un outil pour intégrer les Inuit à la culture nord-américaine. Ils étaient maintenant considérés comme étant sous la responsabilité de l’État. Ainsi, le gouvernement embauchait des Qallunaat qui, eux, démontraient peu d'intérêt pour la langue et les traditions inuit11. La majorité de ces

intervenants croyaient d’ailleurs que pour aider les Inuit à s'intégrer au XXe siècle, il fallait

les assimiler à la culture dominante12, c'est-à-dire la culture occidentale (Conseil national

du bien-être social; 2007; De Canck cité dans Beaulieu et Hervé, 2008 : 41; Targé, 2005: 14; Tompkins, 1998: 16). Les étudiants ont dû se conformer aux standards occidentaux, car

8 Voir le travail de Morantz (2010) qui touche en partie aux conditions d'admissibilités pour les prestations d'aide sociale.

9 Pour plus d’information sur l’éducation institutionnelle, voir Vick-Westgate (2002); pour un récit de vie qui porte sur la vie d’une Inuit dans la présence des Blancs, voir Freeman (1978).

10 McGregor (2008) aborde davantage l’école comme un outil d’assimilation.

11 Laugrand et Oosten (2009) rappellent que les missionnaires oblats, par exemple, ont rapidement critiqué la politique éducative du Gouvernement fédéral, indiquant la nécessité selon eux de ne pas faire des Inuit de simples « copies » des Occidentaux.

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l’individualité n’était plus valorisée13. Séparés de leurs parents, les jeunes n’avaient plus de

contact avec la culture qu’ils connaissaient si bien et ils n’approfondissaient plus leurs connaissances culturelles ou linguistiques.

En 1968, sous la nouvelle administration de la Commission scolaire du Nouveau-Québec (CSNQ), les Inuit ont pu jouer un rôle plus important dans les services éducatifs. Cette commission a notamment permis d'offrir aux Inuit la reconnaissance de leur aptitudes à enseigner à leurs enfants par leurs propre moyens et elle a mené au développement de programmes universitaires consacrés à transmettre des habiletés inuit traditionnelles (Callaghan, 1992). Par exemple, cette commission a permis aux jeunes Inuit de suivre leur trois premières années à l'école en inuktitut. Elle s'est aussi engagée à embaucher des Inuit pour enseigner des cours de culture et pour faire des sorties en plein air ayant pour but de faire apprendre des techniques de survie (Callaghan, 1992). Ce fait est intéressant car, selon plusieurs auteurs, l’implantation du système scolaire occidental dans des sociétés ou des communautés moins occidentalisées a pu créer une sorte de discontinuité culturelle (De Canck cité dans Beaulieu et Hervé, 2008 : 39; Spindler, 1987; Targé, 2005; Wulf, 1999; voir aussi Douglas, 1998, 2009, et Vick-Westgate, 2002). Targé (2005) stipule que les enfants sont « coupés de leurs repères culturels » (ibid : 15) et que des contradictions entre les conceptions éducatives inuit et celles du milieu scolaire ont toujours existé14 (Bastien

cité dans Beaulieu et Hervé, 2008 : 6; Conseil national du bien-être social, 2007: 54; Targé, 2005 : 9).

Pour ceux et celles ayant fréquentés les pensionnats et les écoles résidentielles15, dès

leur retour à la maison, ils constataient qu’ils n’étaient plus familiers avec les pratiques culturelles et ils n’arrivaient plus à établir des liens avec leur parenté comme auparavant (Bruemmer, 1979; Conseil national du bien-être social, 2007: 93). Par conséquent, cela a créé des tensions entre les générations.

Targé note aussi que l’éducation des jeunes inuit, en l’occurrence des Arviarmiut (des Inuit du village de Arviat, au Nunavut), reste une priorité, mais que, en général, les

13 Larose, Bourque, Terrise et Kurtness (2001) traitent de la résilience scolaire des autochtones. 14 Pour une analyse des contradictions entre le système scolaire et la culture inuit, voir Douglas (1998).

15 Il est important de souligner qu'une minorité d'Inuit ont été envoyés dans les écoles résidentielles éloignées de leur communauté. Pour plus de détails, voir le travail de Lévesque et al., 2016.

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programmes scolaires des écoles ignorent les modèles conçus par les Inuit (ibid, 2005 : 9). Dans ce cas, les enfants arviarmiut reçoivent une double éducation : une qui se fait à l’école et l’autre, plus traditionnelle, qui se fait à la maison (ibid : 9; voir aussi Douglas 1998). Le fait que l’établissement du système scolaire se soit effectué sans prendre en considération les valeurs et savoirs culturels des Arviarmiut16 n’a cependant pas empêché ces Inuit

d’adapter les programmes à leur culture pour y inclure les connaissances et valeurs de ce groupe17 (Targé, 2005: 9; Tompkins, 1998). De plus, au Nunavut, les aînés participent

activement à l’éducation des jeunes en créant des ateliers qui contribuent à la transmission des savoirs oraux18 (Targé, 2005: 10).

De même, Gilliard et Moore (2006) soulignent que la majorité des enseignants dans les institutions scolaires qui ciblent la population autochtone ont été, et sont encore aujourd'hui, d’origine européenne (Gilliard et Moore: 1). Ces auteurs stipulent que l'origine des professeurs peut nuire à leur capacité de comprendre l’identité culturelle de leurs élèves autochtones, identité pourtant directement liée à l'acquisition de comportements et à la réussite de ces derniers. L'étude met en évidence l’importance de la famille et de la communauté, ainsi que l’influence de celles-ci dans le développement du curriculum scolaire dans les Réserves indiennes aux États-Unis (Gilliard & Moore, 2006: 1; voir aussi Ball & Simpkins, 2004: 481). Selon Gilliard et Moore (2006: 2), l’école et la maison doivent promouvoir les mêmes valeurs et savoirs culturels pour renforcer l’apprentissage des jeunes enfants. Les enseignants occidentaux qui travaillent dans les réserves n’ont pas obligatoirement été instruits par rapport à la culture autochtone et donc ne sont pas nécessairement bien préparés à travailler avec ce peuple. Néanmoins, dans plusieurs cas, ces enseignants ont démontré de l’intérêt pour la culture autochtone et ils ont travaillé avec les jeunes et leur famille pour fournir à la communauté une éducation représentative de leur culture (Gilliard & Moore, 2006: 2). Même si les enseignants n’étaient pas d’origine autochtone, lorsqu’ils démontraient du respect envers ce peuple et de l’ouverture envers leurs rituels et croyances, les divers membres de la réserve pouvaient profiter de ces liens.

16 Voir aussi le Conseil national du bien-être social, 2007, De Canck, 2008 et Spindler, 1987 pour des cas similaires. 17 Voir le travail de Battiste (une micmac) et Henderson (2000) pour en savoir davantage sur comment préserver la culture autochtone dans le milieu scolaire.

18 Annahatak (1994), Shaimajuk (2000) et Petit (2003) donnent plus d’information sur la transmission de la culture inuit au sein de l’éducation. Ce thème a également fait l’objet d’un numéro de la revue Études/Inuit/Studies, vol. 33(1-2), 2009. Voir en particulier les articles de A. Douglas, M. Lynn Aylward, F. Laugrand et J. Oosten.

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En fait, il a été suggéré que l’implication des parents dans la planification du curriculum scolaire pouvait aider les jeunes à renforcer leur fierté d’être membre d'un groupe autochtone (Ball & Simpkins, 2004: 483).

L’identité culturelle et linguistique sont deux facteurs qui peuvent également influencer le succès académique d’un individu. Ceci est intéressant à observer dans le cas des personnes appartenant à des minorités ethniques (Fuzessy, 2003 : 196). Selon Cummins (1996, cité dans Fuzessy, 2003), l’éducation doit être un processus interactif entre les enfants et les enseignants. Dans ces circonstances, les enseignants doivent être conscients de leur autorité et de leurs préjugés et doivent reconnaître une possible tendance à vouloir promouvoir la culture dominante, c'est-à-dire la culture occidentale (Fuzessy, 2003: 196; Ball & Simpkins, 2004: 486). Fuzessy (2003) encourage le lecteur à considérer la différence entre le rôle des éducateurs et celui des structures éducatives. L'auteur cite des recherches entreprises par Kleinfeld (1979) et Barnhardt (1990) (ibid : 198) auprès du peuple Yup’ik en Alaska. Ces études ont mis en lumière la satisfaction de la communauté par rapport à l’éducation fournie par l’école St-Mary, qui a promu une éducation biculturelle. L’école a fusionné l’éducation institutionnelle avec le système des valeurs Yup’ik en encourageant les parents et la communauté à participer aux développements des objectifs et du curriculum de l’école. Afin de pouvoir éduquer les jeunes d'une manière pertinente, l'implication de la communauté a été essentielle (Fuzessy, 2003: 198).

L'arrivée des écoles de jours et des pensionnats a occasionné un changement dans les responsabilités des parents envers l'éducation des jeunes enfants. Ces jeunes se trouvaient à fréquenter des établissements durant la journée et, en conséquence, les parents étaient libérés de certaines de leurs responsabilités parentales. Ces changements dans l’éducation ne sont que quelques exemples des nombreuses transformations qui ont affecté la communauté inuit pendant la deuxième moitié du XXe siècle. La transition du

nomadisme au sédentarisme et l'établissement d'un système d’économie monétaire sont d’autres exemples de bouleversements qui ont eu des répercussions sur la vie communautaire et sur l’éducation des jeunes enfants.

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Changements sociaux dans les communautés

Autrefois, les Inuit menaient un mode de vie plutôt nomade et autosuffisant, s’exposant à l’occasion à des famines. La chasse et la pêche, ainsi que la fabrication de vêtements et la préparation de la nourriture, étaient considérées comme des activités de valeur égale et un système monétaire comme on le connait aujourd'hui n'existait pas. C'était plutôt l'entraide et la réciprocité qui étaient à la base de l'économie inuit. Toutefois, ces pratiques ont connu des transformations lors de l'arrivée19 des explorateurs et des

marchands.

En effet, en 1754, les rencontres entre les Inuit, les marchands et les explorateurs sont devenues plus fréquentes. Chacun de ces groupes avaient leurs propres attentes et leurs propres aspirations pour le territoire et le peuple nordique. Les échanges entre les Inuit et, entre autres, des explorateurs, des baleiniers et des chasseurs ont éventuellement entraîné des conflits. Ces derniers étaient principalement liés à l'accès aux territoires nordiques et à leurs ressources, dont le renard blanc et les baleines (Morantz, 2010; Bonesteel, 2006: 2).

Dans les années 1760, les Inuit ont signé un traité de paix qui a aidé à apaiser la situation conflictuelle. Par contre, le contact continu entre ces groupes et les Inuit a eu comme conséquence qu'il est devenu de plus en plus difficile aux Inuit de se passer des biens européens (Bonesteel, 2006: 3). De plus, l'exploitation des ressources animalières a eu des impacts importants sur leur vie, telle que l'exposition à des famines (Bonesteel, 2006: 3; Morantz, 2010 ).

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) est un autre groupe dont la présence aura eu un impact notoire sur le peuple Inuit. Tôt dans le XXe siècle, la GRC est venue assurer

une présence importante dans le Grand Nord afin de signaler aux pays étrangers l'appartenance de cette région au Canada. Cette présence continuelle a engendré un transition entre le nomadisme et la sédentarisation.

La sédentarisation des peuples autochtones a eu des impacts significatifs sur leur vie sociale. D'abord, la majorité des groupes autochtones ont dû se relocaliser lors des

19 Morantz (2010) propose que les changements sont apparus lors de la sédentarisation et non lors du contact entre l'homme blanc et les Inuit.

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demandes et des pressions gouvernementales. Certains groupes se sont établis dans des réserves, tandis que d'autres ont dû vivre une série de relocalisations dans le haut Arctique, comme cela a été le cas des Inuit de la région d’Inukjuak (voir aussi le cas des Ahiarmiut dans Laugrand & Oosten, 2010). Le gouvernement leur a fourni des maisons qui, souvent, ne répondaient pas à leurs besoins. Les infrastructures n'ont pas été construites en fonction de la réalité culturelle des Inuit et de la réalité géologique et climatique du Nord. Les familles étaient à l'étroit dans ces maisons et le bien-être de ces individus et de la communauté en a souffert.

De plus, le peuple inuit a connu une croissance démographique importante, ce qui a entraîné un surpeuplement dans les résidences. Cette surpopulation a été liée aux problèmes de santé généraux, tels que les problèmes respiratoires, l'insalubrité et la violence familiale (Conseil national du bien-être social, 2007: 84). Tel que mentionné, les Inuit vivaient auprès de leur famille étendue et, lorsque possible, dans le même domicile. Les nouvelles résidences ont nui à cette pratique et les familles ont dû se diviser. La famille étendue s'est vue remplacée par la famille nucléaire. Il a également été noté que le nombre de familles monoparentales a augmenté. De façon générale, les familles monoparentales appartiennent aux tranches de revenus les plus faibles d'une population; surtout dans le cas des familles monoparentales menées par des femmes (Conseil national du bien-être social, 2007: 19, 23-25).

En raison de la transformation des domiciles, laquelle a entraîné des bouleversements dans la structure familiale, les adultes ont peu à peu réduit le temps accordé aux activités économiques traditionnelles, telles que la chasse et la pêche, pour aller travailler pour des compagnies locales ou bien dans des entreprises étrangères (Tompkins, 1998 : 16). De surcroît, les femmes ont pu obtenir des emplois à l’extérieur de leur domicile et, subséquemment, elles ont eu moins de temps pour s’occuper de leurs enfants, par ailleurs de plus en plus nombreux (Conseil national du bien-être social, 2007). Selon White (2001), lorsqu'il existe de bons services de soins pour les enfants, incluant la garde de ces derniers, les femmes sont plus enclines à s’engager sur le marché du travail. Elles contribuent ainsi à augmenter le revenu familial. De plus, les services de garde peuvent faciliter la recherche d'un emploi de longue durée, stable et à temps plein. Cela est

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particulièrement important pour les familles monoparentales, surtout pour les familles comportant des enfants d’âge préscolaire.

Une recherche entreprise par Fuller-Thomson (2005: 331) a démontré qu’environ un tiers des grands-parents d'origine de Premières Nations s'occupent des jeunes enfants de leur communauté malgré les taux élevés de pauvreté et d'infirmité. Les aînés jouent un rôle important dans l’éducation des enfants, car ils sont perçus comme les véhicules de la culture, des savoirs et de la sagesse de la communauté (Fuller-Thomson, 2005 : 332). Dans certains cas, les aînés se portent volontaires pour garder les enfants afin de conserver et de promouvoir la culture autochtone, car selon eux, il est fondamental que les enfants connaissent les traditions de leur culture (Fuller-Thomson, 2005 : 333). De plus, certains grands-parents prennent soin des jeunes en raison des abus de narcotiques et d'alcool de leurs parents ou de l'emprisonnement de ces derniers (Fuller-Thomson, 2005 : 333). La réalité des autochtones inclut aussi un taux élevé de mortalité, de pauvreté, de grossesses chez les adolescentes et de domiciles surchargés. Même si de nombreux grands-parents sont heureux de prendre soin de leurs petits-enfants puisque cela permet un rapprochement, ces responsabilités s'ajoutent à une réalité déjà difficile, marquée par un taux de pauvreté plus élevé, une satisfaction de vie inférieure à celle des autres membres de la communauté et davantage de symptômes de dépression (Fuller-Thomson, 2005 : 334).

Afin de pallier ces difficultés, la garde des enfants a été partagée entre divers membres de la communauté : les grands-parents, les autres membres de la famille, les amis, les maisons offrant un service de garde et, éventuellement, les services de CPE.

Grâce à l’implantation et au développement de ces services, les parents au Nunavik ont maintenant la possibilité de recourir aux services de CPE qui tiennent compte des valeurs et de la culture inuit, avant d'envoyer leurs enfants à l'école primaire. Ces centres ont également permis à plusieurs membres de la communauté d'obtenir des emplois, de poursuivre leurs études et de participer à leurs activités quotidiennes (Breton, 2012; Champagne, 2014). L'Administration Régionale Kativik (ARK) s'est assurée que les services de CPE répondent aux besoins des utilisateurs et que ces centres reflètent la réalité inuit.

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L'Administration régionale Kativik

Créée en 1978, à la suite de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, l'Administration régionale Kativik (ARK) est composée de dix départements et offre des services publics, tels que le développement économique local et régional, le développement d'infrastructures municipales et les services de garde à l'enfance au peuple inuit du Nunavik. Dans le cadre de ce mémoire, nous prêtons davantage intérêt au département du Service de l'emploi durable, qui était dirigé par Margaret Gauvin, car c'est cette division qui s'occupe non seulement du développement économique et social des villages nordiques, mais également des services de garde à l'enfance20. Dans le cadre de ses fonctions, l'ARK

assume la responsabilité du financements auprès des CPE, du soutien technique aux conseils d'administration (formés par les parents et les employés)21, de la formation du

personnel, de la gestion des bâtiments, des activités d'apprentissage, de l'attribution des permis, des inspections, de l'encadrement éducatif et, surtout, il se charge de l'administration des lois et des règlements provinciaux liés aux CPE.

Après la Convention de la Baie James et du Nord québécois, les Inuit ont pu obtenir des droits et des responsabilités en ce qui concerne l’éducation de leurs enfants22.

L’éducation se fait maintenant dans des institutions où un cadre dans lequel des politiques23

sont en vigueur pour préserver et promouvoir les traditions culturelles24, ainsi que la langue

inuit25. De plus, un plus grand nombre d'Inuit réussissent à obtenir des postes d’éducateurs

dans ces établissements. Comme il a été mentionné, l’implication des Inuit dans le système d’éducation est déterminante pour contribuer au renforcement des savoirs culturels (CSK, 1992; Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), 2004; Tompkins, 1998).

L'Administration Régionale Kativik (ARK) reconnaît que la préservation de la culture inuit est très importante et elle s'implique énormément afin d'aider ce peuple à

20 Dans le cadre de ce mémoire, le terme services de garde fait aussi référence aux CPE.

21 Le masculin a été utilisé afin d'alléger le texte et d'en faciliter la lecture. Toutefois, il est important de souligner le fait que ce sont surtout des femmes qui composent le corps des services de CPE.

22 Colbourne (1987) et Watt-Cloutier (2000) traitent de l’implication dévouée des autochtones dans les processus qui touche le développement des programmes scolaires et l’enseignement; voir aussi ITK (2004).

23 Pour plus d’information sur les politiques de l’éducation des Inuit, voir Forgues (1987). 24 Voir Callaghan, 1992.

25 Sur l’importance de la langue inuit à l’école, voir Arnatsiaq (2002) qui aborde la situation à Igloolik; de plus, pour mieux comprendre l’importance de l’utilisation de l’inuktitut durant la formation des enseignants inuit, consulter les travaux de Maheux et al. (2004) et Maheux (2008).

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conserver leurs traditions26. L'ARK investit beaucoup de ressources financières pour établir

et maintenir les CPE dans les communautés, dans le but de répondre aux besoins de la population27. Aussi, elle s’engage à s’assurer que les CPE reflètent bien les valeurs et les

pratiques communautaires en embauchant majoritairement des Inuit de la communauté. Pour que les jeunes apprennent davantage sur leur culture, il faut disposer d’institutions qui font la promotion des valeurs et des traditions des Inuit, notamment la langue inuit et l’oralité28. Étant donné que les CPE sont les premiers établissements que certains enfants

fréquentent avant l’école primaire, il est important de comprendre et d’évaluer les mécanismes derrière ces institutions.

Les services de garde

Il est important de noter que l’éducation des enfants ne se limite pas au milieu scolaire, mais qu'elle s’étend pour inclure la transmission des valeurs et des traditions communautaires. Selon des membres de l'ARK (Gauvin, entretien personnel, 2010; Turber, entretien personnel, 2011), les Centres de la petite enfance (CPE) se sont développés dans les communautés inuit afin de faciliter la vie des personnes de plus en plus touchées par le mode de vie des Occidentaux29.

Les mécanismes derrière les services de garde du Grand Nord sont méconnus et il existe peu de documents scientifiques publiés qui portent sur le développement des CPE dans cette région. Une exception est l’étude faite à propos d’un CPE à Nain, au Labrador, par Canning, en 2010. Canning s’est intéressée aux motivations des Inuit qui ont mené à la construction d'un CPE dans leur région et à l’implication de la communauté dans son développement. Il a été observé à plusieurs reprises que l’établissement du CPE provient d’une demande de la communauté (Canning, 2010; voir aussi George, 2000 et Lalonde-Graton, 2002). Une raison qui revenait souvent dans les propos des Inuit était la participation des parents, et surtout des femmes, au marché du travail (Canning, 2010;

26 Flinn (1992) et McApline et Crago (1992) ont entrepris des recherches traitant de la transmission des valeurs traditionnelles dans des contextes modernes.

27 Pour des recherches sur comment impliquer une communauté dans l’éducation des enfants et l’importance de cette démarche, voir le travail de Tompkins (1998) entrepris dans le Nord canadien et les recherches de Ashton-Warner (1963) et Tapine et Waiti (1997) sur la population Mᾶori.

28 Voir Battiste et Henderson, 2000.

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Conseil national du bien-être social, 2007: 26; Lalonde-Graton, 2002). Dans le cas du centre Paivitsiak à Nain, ce sont des femmes actives dans la vie communautaire qui ont en effet insisté pour obtenir ce service.

Souvenons-nous que jadis, avant l’installation des pensionnats, l’éducation et l’apprentissage des jeunes se faisaient à la maison, et ce, sous l'œil de la communauté. Dans ce cadre, les jeunes exploraient et découvraient leur environnement tout en consolidant leur fierté d’être Inuit. Aujourd’hui, les parents ont l’option d’envoyer leurs enfants dans les CPE. Dans ce contexte, que ce soit pour ceux du Québec, du Nunavik, ou d’autres populations, les CPE doivent être bien adaptés aux besoins de leur clientèle (Ashton-Warner, 1963; Canning, 2010; CSK, 1992; George, 2006; Tapine et Waiti, 1997); ça a été d’ailleurs le cas pour le centre de Nain et pour ceux du Nunavik.

Au Québec, les CPE ont connu beaucoup de succès sur le plan de la fréquentation des jeunes, mais le soutien financier de ces établissements par le gouvernement et la communauté a parfois fait défaut, de sorte que plusieurs centres ont dû fermer. Il faut noter ici que les différents paliers de gouvernement ont mis en vigueur des politiques qui encouragent le gouvernement fédéral à fournir du financement pour le développement des services auprès des enfants, incluant le financement pour le roulement des CPE et celui pour la création de nouvelles places dans ces centres (White, 2001 : 385).

En 2001, le Québec a investi environ 900 millions de dollars dans les services de garde pour les enfants, dont huit millions au Nunavik. Au même moment, le gouvernement provincial, responsable des services de garde à l’enfance, a délégué l'administration des CPE du Nunavik à l'ARK (George, 2001).

Les services de garde au Nunavik

Selon les récits de certains membres de l'ARK, il y a eu deux phases de développement dans le projet des CPE nordiques (entretiens personnels, 2010 et 2011). La première concernait le financement et la mise en place de programmes d'aide scolaire, alors que la seconde portait sur la sélection des communautés destinées à recevoir ces premiers CPE et le programme de formation qui devrait être suivie par les intervenants.

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C'est en 1981 qu'il y a eu une première demande pour créer un CPE à Kuujjuaq. Employée de L'Office de service de garde de l'enfance (OSGE)30, Madame Gauvin est

devenue la personne contact entre l'OSGE et les gens impliqués dans l'instauration du centre à Kuujjuaq. Selon Madame Gauvin (entretien personnel, 2010), le financement pour le projet était minime et les personnes chargées de l'instauration du centre ne connaissaient pas ou ne comprenaient pas les règlements et les lois concernant les services de garde. Son rôle consistait à trouver du financement supplémentaire pour le projet et à aider les gens à mieux comprendre les politiques entourant le développement des services.

Conscients de l'arrivée de ce nouveau service, les aînés de la région avaient demandé à Avataq de contacter l'OSGE afin de lui signaler leur désir de développer les CPE. Selon Madame Gauvin (2011), le rôle joué par les aînés dans l'instauration des services était primordial car, selon elle, il est rare qu'une demande impliquant un changement dans leur culture provienne de ces personnes. Des délégués de plusieurs communautés, tel que Puvirnituq, Tasiuaq et Quaqtaq, ont aussi signalé leur appui pour le projet de CPE.

Par la suite, entre les années 1985 et 1995, le développement de ces services a pris de l'expansion (Gauvin, entretien personnel, 2010). Deux décisions provenant des gouvernements provincial et fédéral ont contribué à cette croissance. Premièrement, le tarif du service a été établit à 5$ par jour, ce qui a permis à un grand nombre de famille de l'utiliser. Deuxièmement, deux programmes ont été mis en place pour faciliter l'employabilité stable et de longue durée31. De son côté, l'ARK avait fait une demande pour

implanter des services de garde familiale dans les différentes communautés attendant l'arrivée des CPE. Une personne a été embauchée pour débuter et coordonner ces services pendant que d'autres ont été embauchées à titre de consultantes avec pour but de visiter les communautés et de connaître l'opinion des habitants et leurs besoins pour ces services.

Ces consultations ont démontrés qu'il y avait un besoin pour ces services en raison du nombre croissant de femmes qui entraient sur le marché du travail et en raison du désir de soulager les aînés de leurs responsabilités de gardiennage. En 1996, un document détaillant,

30 Un organisme mis en place par le gouvernement provinciale.

31 C'est deux programmes sont l'Initiative de services de garde pour les Premières nation et les Inuit et le programme d'aide préscolaire aux autochtones.

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entre autre, le développement, la construction, le fonctionnement, le programme d'éducation et l'acquisition du personnel des CPE a été déposé, accompagné de certaines demandes. Une des demandes était que l'ARK soit en charge du financement des CPE et qu'elle soit responsable de trouver la formation que devraient suivre ceux désirant travailler dans les centres. Les Inuit étaient d'accord avec les règlements concernant le comité de parents dans les CPE, mais la formation pour travailler dans ces centres nécessitait une révision.

Une fois la phase de mise en place des programmes d'aide scolaire complété et lorsque l'ARK s'est engagée a offrir les services de garde, des décisions concernant le lieu de l'implantation des centres ont dû être prises. Les communautés de Kuujjuaq et d'Inukjuak ont été sélectionnées puisqu'elles présentaient le besoin le plus urgent pour ces services. (Gauvin, entretien personnel, 2010; Turber, entretien personnel, 2011). Une fois ces communautés choisies, il a aussi fallu trouver des personnes qualifiées pour y travailler et se pencher sur la question de la formation des éducateurs.

À cette époque, le Collège Vanier offrait une formation de Early Childhood

Education (ECE) à Montréal pour les Inuit. Selon des membres de la CSK (entretiens

personnel, 2011), la formation offerte par Vanier était bien adaptée aux Inuit. D'abord, la formation était construite de façon modulaire, ce qui permettait à un grand nombre de personne de suivre les cours en fonction de leur situation familiale32. Ensuite, ce sont des

Inuit qui étaient chargés de donner les cours. Un enseignant blanc était présent seulement pour aider les instructeurs Inuit et pour répondre aux questions techniques concernant les CPE. La formation était aussi construite de manière à revisiter les façons traditionnelles d'éduquer les enfants, c'est-à-dire par l'imitation, l'observation, les histoires et le jeu. Selon Bédard et Allard (entretien personnel, 2011), l'implication des membres Inuit dans le programme a grandement contribué au succès de cette formation.

Parallèlement, le Collège Saint-Félicien, en partenariat avec le gouvernement provincial, a quant à lui développé une formation par compétence menant à une attestation d'étude collégiale (AEC) pour les étudiants des Premières nations. Cette formation

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permettait aux étudiants de se procurer une AEC plus rapidement que celle proposée par Vanier, un élément qui a attiré l'intérêt de l'ARK. L'ARK était à ce moment en négociations avec le gouvernement provincial pour obtenir le financement du projet des services de garde et une formation plus courte leur aurait permis d'obtenir des éducateurs spécialisés plus rapidement. Après avoir tenu des sessions de consultation avec le Cégep, ARK a décidé de faire recours à la formation offerte par Saint-Félicien (Gauvin, entretien personnel, 2010; Turber, entretien personnel, 2011).

Des conflits entre l'ARK et la CSK ont commencé à surgir lors de l'interruption de la formation. Des membres de la CSK avaient exprimé leurs inquiétudes face aux conséquences de placer des jeunes enfants dans des institutions, tandis que l'ARK soutenait qu'il y avait un besoin pressant de CPE et de personnes aptes à y travailler. De plus, la CSK soulignait le fait que le formation à Vanier a été conçue pour les Inuit, mais l'ARK jugeait la formation de Saint-Félicien adéquate pour ces gens. Malheureusement, certaines des personnes impliquées dans la coordination des services de garde familiale et dans la formation ECE se sont senties trahies par cette décision et elles ont fini par quitter leurs fonctions (entretiens personnels, 2011). Selon Madame Gauvin (entretien personnel, 2010), les conflits ont depuis été réglés entre l'ARK et la CSK et les deux organismes collaborent désormais pour offrir des formations aux gens désirant travailler dans le domaine des services de gardes.

En plus des récits de Madame Gauvin, Jane George, une journaliste du Grand Nord, a aussi documenté la création et le développement des CPE au cours des années. Son travail permet de reconstruire vaguement l’historique des CPE de la région, ainsi que leur impact sur la communauté.

En 1981, Kuujjuaq était la seule communauté à avoir un CPE, mais trente-cinq ans plus tard, toutes les communautés au Nunavik ont eu le leur. Cette évolution a été possible grâce aux ressources financières octroyées majoritairement par le gouvernement provincial. Avec ces ressources, l'ARK a pu fournir les permis, les droits de construction, les droits d'inspection, ainsi que les moyens pour développer des cours de cuisine et des cours de

Early childhood education (ECE) pour toutes les personnes désirant travailler dans les

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Au total, ces centres ont pu accommoder 850 enfants, et environ 150 Inuit ont été recrutés pour y travailler à titre de directeurs, d’éducateurs, de cuisiniers et de concierges (George, 2002; 2006). Lisa Epoo, alors directrice du centre à Kuujjuaq, a mentionné qu’elle n’avait aucun problème à recruter des enfants ou des employés. Selon elle, les CPE représentaient un franc succès (George, 2002).

En 2005, George avait noté que les CPE au Nunavik étaient remplis à 85 %. Kuujjuaq avait même obtenu un deuxième centre et trois autres communautés étaient également en attente d'un deuxième centre. Cependant, contrairement à ce qui a été publié en 2002 concernant l’état de l’emploi, les directeurs des CPE ont constaté qu’ils avaient maintenant de la difficulté à recruter et à former du personnel pour ces centres. Les raisons de ces difficultés n’ont pas été précisées. De plus, malgré leur construction récente, les directeurs ont remarqué des problèmes liés aux bâtiments. Par exemple, les coûts de réparation équivalaient au coût original de la construction (George, 2005; pour plus d'information sur les bâtiments, voir Rogers, 2015).

Dans un reportage de George, en 2007, sur les conditions de travail dans les centres, il a été rapporté que, une fois par semaine, les CPE de Kuujjuaq devaient fermer leurs portes en raison d’un manque de main-d'œuvre33. Selon George (2007), les personnes

éduquées qui travaillent aux centres ne se préoccupent pas d’être congédiées parce qu’il y a d’autres emplois disponibles dans leur communauté, comportant parfois des bénéfices plus avantageux. Les employés se permettent alors de manquer des journées de travail notamment. Préoccupée par ces événements, Lisa Epoo a suggéré une solution, soit la fermeture d’un centre pour concentrer les bons travailleurs à un seul endroit. Cette option n’a cependant pas suscité l'enthousiasme des parents, car les femmes craignaient de devoir laisser leur emploi afin de retourner à la maison pour prendre soin de leurs enfants.

Malgré ces obstacles, l'ARK ainsi que les directeurs des CPE peuvent être fiers de leurs programmes, car l'éducation et les soins apportés aux enfants incorporent la culture inuit et l’utilisation de l’inuktitut (George, 2006; Breton, 2012; Champagne, 2014). L'ARK s’est donnée le mandat de s’assurer que les CPE répondent aux besoins culturels de la

33 Pour plus d'information sur l'impact de l'absentéisme et donc la fermeture des CPE, consulter Breton, 2012 et Rogers, 2015.

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population locale. Ainsi, l'inuktitut est la langue parlée lors de l'apprentissage, et la participation de la communauté est encouragée lors du développement du curriculum. Il a également été constaté que de plus en plus de matériel portant sur des thèmes inuit est disponible pour les jeunes qui fréquentent les CPE nordiques (Breton, 2012; Champagne, 2014). De plus, dans la mesure du possible, l'ARK embauche des Inuit pour travailler dans les CPE, ce qui aide à tisser un lien entre la maison et l’école (ITK, 2004). Bien que l'ARK doit appliquer les lois provinciales dans les centres, chaque CPE a le droit et le devoir de planifier la structure des programmes qu’il offre, de même que le plan pour l’architecture du bâtiment, pour qu’il reflète la culture inuit (George, 2006). Ces démarches ont été entreprises pour aider les jeunes à développer un sens de fierté et un sens d’appartenance à leur culture.

Dans l'ensemble, nous avons vu que l'éducation des jeunes enfants au Nunavik a subi des transformations importantes. D'abord, avant l'arrivée des écoles résidentielles, la communauté se chargeait de l'éducation des jeunes. Entourés d'adultes engagés dans des activités traditionnelles, les enfants apprenaient en observant et en imitant les gestes de leurs proches. De plus, la cohabitation entre plusieurs générations facilitait la transmission des valeurs et coutumes inuit.

Ensuite, lors de l'arrivée des marchands et la GRC, certains enfants ont été enlevés de leur famille pour être placés dans des écoles pensionnaires. Loin de leurs repères culturels, l'identité culturelle et la fierté de ces jeunes d'être Inuit se sont atténuées. L'éducation était à ce moment prise en charge par l'État et un curriculum Occidental leur a été imposé.

Par ailleurs, l'arrivée des étrangers a aussi bouleversé certaines pratiques de vie des Inuit. Par exemple, la vie de nomade a fait place à la vie sédentaire, et l'économie basée sur l'entraide et la réciprocité a été remplacée par un emploi rémunéré. Dans ce contexte, les gens responsables des soins aux enfants avaient moins de temps pour s'occuper d'eux et cela a engendré un besoin pour des services de garde. L'ARK a donc travaillé en collaboration avec le peule inuit et le gouvernement provincial afin d'établir les services de CPE au Nunavik.

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Afin de situer les CPE dans la vie des Inuit au Nunavik, nous avons ancré notre recherche dans l'anthropologie de l'éducation. Le chapitre 2 relate du choix de ce cadre théorique et discute de la méthodologie employée pour collecter les données utilisées dans ce travail.

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23 CHAPITRE 2: MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

Cadre théorique

Cette étude constitue principalement une démarche en anthropologie de l'éducation. Ce cadre a été retenu initialement puisqu'il nous semblait approprié pour traiter de notre deuxième question de recherche, à savoir : « Quelle est l'influence des services de CPE dans la vie socioéconomique des communautés nordiques? » Nous nous sommes donc surtout concentrée sur le sujet de l'éducation des jeunes enfants dans la région.

Les informations scientifiques disponibles portant sur les CPE au Nunavik sont plutôt rares. Afin de tenter d'en générer et de faire un premier travail exploratoire sur le sujet, nous avions également prévu utiliser le fonctionnalisme comme point de départ. Nous étions d'avis qu'il aurait pu nous permettre d'aborder notre première question portant sur les conditions sociales entourant l'instauration des CPE dans la région. Toutefois, cette approche aura finalement été rejetée, jugeant qu'elle était possiblement trop datée et dépassée par le sujet qui s'est révélé à nous au cours de notre étude.

Anthropologie de l'éducation

L’anthropologie de l’éducation va au-delà d’une simple analyse des techniques pédagogiques privilégiées par les institutions et s'étend pour inclure d'autres apprentissages acquis hors de l'école, dont font partie les connaissances culturelles (Nicholson, 1968; Sindell, 1969; Spindler, 1987; Wulf, 1999). Certains auteurs proposent que dès son jeune âge, un enfant doit apprendre et connaître les normes de sa culture, c’est-à-dire des comportements qui ne sont pas biologiquement déterminés (Nicholson, 1968 : 21; Spindler, 1987 : 9). L’enfant doit être stimulé mentalement et cela peut être fait, d’une part, par intervention directe, si, par exemple, on lui ordonne « fait ça », ou, d’autre part, par intervention indirecte, si, par exemple, son entourage valorise l’acquisition de certains comportements grâce au renforcement positif (Nicholson, 1968 : 58). La transmission culturelle inclut les savoirs, les valeurs, les normes et les coutumes, et contribue à une consolidation identitaire (Kucera, 2001 : 22). Les savoirs culturels sont uniques, « relatifs, fractals, provisoires et limités » (Wulf, 1999 : 5 voir aussi Nicholson, 1968 : 22 et Sindell, 1969). Chaque culture évolue selon son propre contexte historique, et ce contexte ne peut

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être négligé puisqu’il peut éclairer la transmission du savoir dans une telle communauté (Nicholson, 1968 : 29; Wulf, 1999 : 8).

Dans son ouvrage L’anthropologie de l’éducation, Wulf (1999) cite plusieurs philosophes qui ont influencé la façon d’analyser la notion d’éducation. Pour Coménius, par exemple, l’éducation « n’est pas seulement l’acquisition d’un savoir, elle vise aussi à enseigner les bonnes mœurs et donc à transmettre de bonnes valeurs » (Wulf: 25). Nous pouvons établir ici un lien entre cette proposition et l’éducation chez les Inuit, qui apprennent non seulement les savoirs traditionnels, mais aussi la bonne façon de se comporter, par le contrôle des émotions et les jeux (Briggs, 1968; 1979; Spindler, 1987: 2; voir aussi les travaux de Bourdieu et Passeron, 1983). De plus, Wulf cite Rousseau qui stipule que l’éducation doit être centrée sur l’enfant (ibid : 29). Selon lui, l’enfant doit être évalué selon ses propres accomplissements et non par rapport à ceux de ses pairs. N'oublions pas qu’autrefois, les parents inuit évaluaient le développement de leurs enfants selon leurs propres réalisations et non selon des standards préétablis, comme le font les

Qallunaat dans les institutions éducatives (Spindler, 1987).

Rousseau (cité dans Wulf, 1999 : 30) mentionne que « l’amour que l’on porte à l’enfant devient le principe de l’éducation » et que le jeu peut être placé au centre de l’éducation; une idéologie qui se prête bien à la culture inuit. Un autre philosophe propose que la mimesis, c'est-à-dire l’imitation, est l’éducation (Platon cité dans Wulf, 1999 : 80; voir aussi Nicholson, 1968 : 44 et Spindler, 1987 : 37). C’est en imitant les gestes des autres que l’enfant devient plus conscient de lui-même et de l’autre. Imiter des gestes et des sons le conscientise sur les relations qui existent entre lui et son entourage, et de même sur l’influence qu’il peut avoir sur ses relations et son environnement (ibid : 85-89). Dans le développement de son identité, « [r]essembler et devenir semblable à quelque chose sont des moments cruciaux de l’évolution de l’enfant, au cours desquels l’enfant définit petit à petit son rapport au monde, au langage et à lui-même » (Wulf, 1999 : 93). Notons qu'il est question ici d'une évolution relative de l'enfant par rapport à lui-même plutôt que d'une évolution par rapport aux autres ou à des standards établis. Cette manière de concevoir le développement d'un individu s'apparente à celle des Inuit, mais tranchait de l'approche des occidentaux et de leurs institutions scolaires.

Figure

Figure 1. Carte du Nunavik indiquant les communautés visitées lors de ce projet. 1
Figure 3. Logo du CPE Saqliavik  Saqliavik, Kuujjuaraapik, 2011  Photo prise par Jennifer Trudeau-Malo
Figure 4. La maison blanche  Kuujjuaraapik, 2011
Figure 5. Corridor de Saqliavik   Saqliavik, Kuujjuaraapik, 2011  Photo prise par Jennifer Trudeau-Malo
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