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Compte rendu de : Christian Nicolas: Sic enim appello... Essai sur l’autonymie terminologique gréco-latine chez Cicéron

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Christian Nicolas: Sic enim appello... Essai sur l’autonymie

terminologique gréco-latine chez Cicéron. Louvain/Paris/Dudley, MA: Peeters 2005. XXVIII, 391 S. (Bibliothèque d’Études Classiques. 45.) 67 euros.

À défaut d’avoir été un philosophe original, Cicéron peut s’enorgueillir d’avoir réussi à élaborer un lexique philosophique latin destiné à vulgariser des concepts formulés en grec. Dans cette entreprise de traduction, sa créativité porte sur l’outil linguistique, qu’il doit forger pour rendre en latin une pensée grecque. Dans la comparaison qu’il fait des deux systèmes linguistiques, il oscille entre deux positions. Tantôt il souscrit à l’idée reçue de l’egestas patrii sermonis1, tantôt il se montre

confiant dans les ressources du latin au point d’affirmer que la langue de Rome est supérieure à celle de l’Hellade (Fin., I, 10 ; Nat., I, 7-8). Sa méthode de traduction tente de concilier la rigueur scientifique du spécialiste et les capacités expressives et artistiques de l’écrivain. Il défend donc la nécessité de travailler non comme un interprète (interpres), qui traduit mot pour mot, mais comme un spécialiste de la langue (orator), qui tente de rendre le sens complet de l’énoncé dans toute sa force2. Pour

réaliser cet objectif, il lui fallait un lexique approprié. C’est ce lexique technique qu’il s’est employé à forger non seulement pour la philosophie, mais aussi pour d’autres branches de la connaissance. La volonté de naturalisation ne pouvait se satisfaire du simple emprunt linguistique (xénisme), qui est rare chez Cicéron3. Son travail est plus profond. Il a maintes fois recours au

calque sémantique en hellénisant le contenu d’un mot préexistant en latin4. Il propose un mot latin – ou une expression – dont il

donne l’équivalent grec sous forme autonymique (A, quod dicunt

1 Th. Fögen, Patrii sermonis egestas : Einstellungen lateinischer Autoren zu

ihrer Muttersprache. Ein Beitrag zum Sprachbewußtsein in der römischen Antike, Munich-Leipzig, 2000, p. 77-141.

2 Opt., 14 (si le texte est bien de Cicéron) et Fin., III, 15. On verra L. Cicu, Conuertere ut orator. Cicerone fra traduzione scientifica e traduzione

artistica, dans Studi di filologia classica in onore di G. Monaco , II, Palerme,

1991, p. 849-857 et P. Lamagna, Ut interpretes indiserti solent : per

l’esegesi di De finibus III 15, dans Aevum (Ant), 7 (1994), p. 267-284.

3 P. Oksala, Die griechischen Lehnwörter in den Prosaschriften Ciceros, Helsinki, 1953. On verra Fin., III, 5 (rhetorica, dialectica, grammatica,

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Graeci B) dans un tour où les deux termes, l’un grec, l’autre latin, sont en équation stricte. Ensuite, il n’utilise plus que l’expression latine, chargée par le mot grec d’une nuance qu’elle n’avait pas à l’origine. C’est à ce procédé qu’est consacré cet ouvrage – une thèse d’Habilitation à Diriger des Recherches de Paris-IV (2000). Cette étude linguistique s’attache à dégager la méthode de traduction propre à Cicéron en exploitant toutes les correspondances bilingues qu’il explique dans ses traités. Il ne s’agit pas seulement de dresser un inventaire de la nomenclature, mais de percer le processus cognitif qui préside à l’adaptation d’une terminologie dans une autre langue. On entre ainsi dans le laboratoire de la néologie latine, dont Cicéron est un expert, où l’on perçoit les variantes proposées pour un même mot, mais aussi les hésitations, les récusations, voire les incohérences d’un texte à l’autre. Après un préambule qui délimite le corpus (300 énoncés impliquent de l’autonymie tirés des vingt et un grands traités de Cicéron), définit l’autonymie (l’emploi des termes en mention, en dehors de toute référence extra-linguistique) et rappelle quelques principes sur l’art de la terminologie chez Cicéron, l’étude est divisée en trois parties, qui correspondent chacune aux trois mots de l’expression cicéronienne, sic enim appello (Fin., III, 55), qui sert de titre à l’ouvrage : les aspects formels (phonétique, morphologie et syntaxe), la quête du sens (sémantique) et le baptême terminologique (pragmatique).

La première partie, assez brève, rassemble des données qui concernent les marques prosodiques et la graphie, la nature des mots concernés par l’autonymie bilingue (presque tous des substantifs ou des adjectifs substantivés) et la typologie des structures autonomysantes (un petit nombre de tours stéréotypés mettant en relation le terme latin et le terme grec : simple

coordination, anaphore métalinguistique, locutions

autononysantes) et la délimitation du segment autonymique. La translittération en alphabet grec ne s’impose que pour les emprunts ressentis comme étrangers ou pour les mots grecs

4 Chr. Nicolas, Utraque lingua. Le calque sémantique : domaine gréco-latin, Paris-Louvain, 1996.

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marqués comme tels dans le contexte5. L’examen syntaxique porte

sur l’ancrage de la mention dans l’usage6, la recherche

systématique du nominatif ou de l’accusatif pour le mot en mention, le comportement du pronom relatif dans les énoncés autonymiques et celui des propositions relatives elles-mêmes. Puriste, Cicéron préfère les tours « intégrationnistes » donnant à tous les mots (y compris aux verbes autonymes) une marque casuelle (ainsi on trouve ex prouidendo, non un infinitif agrammatical après la préposition). Exploitant les parallélismes gréco-latins, il privilégie l’insertion de nominatifs et d’accusatifs grecs et évite les énoncés bilingues à l’ablatif, cas qui n’existe pas en grec.

La deuxième partie, qui est le cœur de l’étude, nous conduit dans l’atelier même du néologiste. Il s’agit d’une étude morpho-sémantique destinée à répondre à la question : comment Cicéron forme-t-il des néologismes de forme ou de sens à partir d’un modèle grec explicite ? On commence par les équivalences univerbales, qui concernent un mot et un seul. Dans le binôme gréco-latin, le terme-souche n’a de correspondant que dans le terme-cible, lequel ne sert pas à traduire un autre modèle. Le rapport au modèle grec peut varier. Il peut être clairement exprimé. C’est le cas dans les tours nombreux du type X, quod dicunt Y : le terme latin et le terme grec sont en équation stricte. Mais, le plus souvent, la relation au mot technique grec reste implicite, à des degrés divers : semi-explicite univoque (un seul tour explicite X, quod dicunt Y suffit à désigner une fois pour toutes le terme latin X comme équivalent de la notion Y en grec dans l’ensemble du traité ou dans un développement cohérent),

semi-5 En ce qui concerne la graphie des termes grecs en latin, je souscris tout à fait aux critères définis par D. Vottero (La grafia dei termini d’origine

greca nelle opere di Seneca dans AAT 108, 1974, p. 311-339) pour les

œuvres de Sénèque : le contexte, la cohérence interne et la diffusion du mot grec dans la langue latine ainsi que l'époque de son importation en latin.

6 O. Wenskus, Triggering und Einschaltung griechischer Formen in

lateinischer Prosa, dans IF, 100 (1995), p. 172-192 et Markieren der Basissprache in lateinischen Texten mit griechischen Einschaltungen und Entlehnungen, dans IF, 101 (1996), p. 233-257. La syntaxe du grec dans

les letters a été étudiée par J.F. McCall, The Syntax of Cicero’s Greek in his

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explicite équivoque (le tour explicite bilingue X, quod dicunt Y génère l’équation bilingue X=Y, mais Cicéron emploie des équivalences synonymiques unilingues X=X’=X’’, d’où une équation X’=Y et X’’=Y), implicite strict (le mot grec doit être retrouvé dans d’autres sources que Cicéron ou par déduction). Les binômes techniques sont souvent présentés par l’expression uerbum ex uerbo, que l’Arpinate emploie dans des contextes de recherche d’équivalences terminologiques bilingues. Outre le sens banal de « mot », uerbum signifie aussi, dans cette expression technique, « morphème » d’un terme composé ou dérivé. L’expression désigne le procédé de calque par univerbation.

Une méthode empirique d’étalonnage de la ‘uerbumexverbalité’ (VV) – néologisme forgé par l’auteur - est proposée pour classer les équivalences univerbales en établissant le degré d’ ‘iconicité’ de chacune d’elles (c’est-à-dire leur capacité à rendre formellement et sémantiquement les termes qu’elles rendent). Ce mode de calcul est fondé sur l’attribution de points de bonus et de malus en divisant le tout par le nombre de morphèmes présents dans le mot. On pourrait objecter à ce mode de calcul ingénieux qu’il ne tient pas compte de tous les paramètres, comme la conservation du genre des mots grecs ou celle de la forme du suffixe grec (comme ποιότης / qualitas). Quoi qu’il en soit, on obtient des coefficients compris entre 0 pour les calques purement sémantiques (τέλος/finis) à 1,67 pour les endo-calques purs (ἐτυμολογία/ueriloquium).

Viennent ensuite les équivalences pluri-verbales : lexies ou synapsies (fonctionnant comme des termes univerbaux sans être univerbales), définitions du terme grec plutôt que de stricts équivalents, explications du terme grec. À côté de la biunivocité, on peut en effet voir un même terme latin servir de correspondant à plusieurs termes grecs7 ou, plus souvent, un terme grec unique

rendu en latin de plusieurs manières différentes. Il arrive que deux termes latins légèrement différents rendent un seul terme grec (παράδοξα rend à la fois mirabilia [Ac., 2, 136] et admirabilia [Fin., IV, 74]). Le plus souvent, les équivalences multiples latines n’appartiennent pas à la même famille lexicale (ἀξίωμα est rendu par effatum [Ac., 2, 95], enuntiatio [Fat., 1 et 20] ou pronuntiatum [Tusc., I, 14])8. En plus des 151 termes latins univerbaux, on

dénombre 89 lexies latines, donc un total de 240 équivalences terminologiques bilingues explicites. On peut donc en conclure que

7 P. ex. comprehensio rend tantôt κατάληψις (Ac., 2, 17), tantôt περίοδος (Or., 204) ; species vaut pour εἴδη (Top., 30) et ἰδέα (Tusc., I, 58).

8 C. Johanson-D. Londey, Cicero on propositions: Academica II 95, dans

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« Cicéron cherche en priorité à donner à chaque terme grec un équivalent tout aussi univerbé que lui », la lexie n’intervenant qu’à défaut. Le chapitre III, qui sert de conclusion à la deuxième partie, tente une évaluation des correspondances bilingues sur le plan du signifié. La méthode de Cicéron apparaît comme parfaitement raisonnée et méditée.

La troisième partie recherche ce que ces énoncés révèlent sur l’énonciation elle-même, comme actes de langage : les emplois de dico, dont le statut est ambigu, de nominare, de uocare et de appellare, verbes essentiellement inauguratifs (‘j’appelle ceci X’) à forte valeur performative. Ces quatre verbes, qui sont pratiquement interchangeables, ont une particularité de construction qui les distingue de tous les autres verbes de construction analogue (avec un COD et un attribut du COD) : le premier accusatif est employé en usage, le second en mention. Cette partie se termine par une comparaison avec un autre producteur d’énoncés autonymiques de type terminologique, Pline l’Ancien, dont deux livres de l’Histoire Naturelle (18 et 22) ont été dépouillés. La manière plinienne est tout à fait conforme à la pratique de Cicéron. Ils sont tous les deux intégrationnistes et utilisent les mêmes stéréotypes morpho-syntaxiques.

Contrairement à la thèse de R. Poncelet9, qui voyait en Cicéron un

traducteur qui ne respecte pas le grec et dont la méthode est floue et irraisonnée, cette étude met en exergue la précision, la logique, la cohérence et les scrupules de Cicéron, dont l’entreprise terminologique fut une réussite. Les créations de Cicéron ont eu une influence durable, dont les traces sont très sensibles chez des auteurs postérieurs comme Sénèque10 ou Apulée11. On peut

regretter qu’il n’y ait pas de chapitre sur les néologismes spécifiquement cicéroniens et leur postérité. On mesurerait ainsi mieux encore l’étendue de sa création lexicale. L’étude linguistique, qui concerne plus l’autonyme que la terminologie bilingue12, risque peut-être de donner de Cicéron traducteur une

image un peu trop déconnectée de la réalité philosophique et rhétorique de son temps. En se concentrant sur l’analyse linguistique des méthodes mises en œuvre par Cicéron pour créer des vocabulaire spéciaux, elle laisse un peu dans l’ombre les rapports de Cicéron avec la tradition philosophique et rhétorique à laquelle se rattache l’Arpinate. Certains de ses textes relatifs à la traduction ont un ancrage dans l’actualité et une dimension polémique très claire. Ainsi en est-9 Cicéron traducteur de Platon : l’expression de la pensée complexe en

latin classique, Paris, 1953.

10 A. Setaioli, I principii della traduzione dal greco in Seneca, dans GIF, 15 (1984), p. 3-38.

11 Br. Rochette, Die Übersetzung von Fachbegriffen bei Apuleius, dans Th. Fögen (éd.), Antike Fachtexte, Berlin-New York, 2005, p. 289-317.

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il du passage du De finibus (III, 15) où il évoque sa méthode et fait référence à des interpretes indiserti, qui ne se soucient pas de rechercher uerbum quod

idem declaret magis usitatum. Cicéron attire l’attention plusieurs fois dans les

deux premiers chapitres du De finibus sur l’importance de la consuetudo et sur le rapport entre elle et la création linguistique13. Lorsqu’il existe un terme déjà

entré dans l’usage, le traducteur disertus doit l’utiliser. Or, il existe des

interpretes indiserti qui ne le font pas. Dans le prologue des Tusculanes, Cicéron

émet des objections sur les compétences linguistiques de certains traducteurs et le niveau stylistique de leurs traductions, auxquelles il reproche de ne pas être accessibles à un public plus vaste14. Or, un autre passage des Tusculanes

(II, 7-8) montre que cette polémique est dirigée contres des traducteurs épicuriens, dont les productions uerbum e uerbo ne sortent pas du cercle fermé de leur école.

Outre les précieux tableaux, l’ouvrage est doté de trois annexes (corpus des occurrences, index alphabétique des notions latines, index alphabétique des notions grecques) et de sept index (occurrences, noms, notions, index cicéronien, auteurs anciens hormis Cicéron, auteurs modernes, mots grecs, mots latins, notions). La bibliographie ne distingue pas les travaux spécifiquement consacrés à Cicéron15 et les études plus générales.

Il s’agit d’une étude riche et très variée, au style clair et vivant, sans jargon inutile, qui comporte un énorme travail d’analyse précise et rigoureuse. Bref, un outil précieux qui rendra de grands services aux linguistes et aux spécialistes du bilinguisme gréco-latin.

Liège-Luxembourg Bruno

Rochette

13 Cicéron le dit clairement dans un passage (Tusc., III, 7) où il est question de la traduction de πάθη : ego poteram ‘morbos’, et id uerbum esset e

uerbo, sed in consuetudinem nostram non caderet.

14 G. Milanese, Romani antichi e antichi filosofi. Note sul valore filosofico

della traduzione romana in Cicerone, dans Aevum (Ant), 2 (1989), p.

129-144.

15 Sur Cicéron traducteur, on ne compte que cinq titres. Quelques noms importants manquent, dont Cl. Moreschini, Osservazioni sul lessico

filosofico di Cicerone, dans ASNP, IX/1 (1979), p. 99-158, qui est une mine

de renseignements, et M. Puelma, Cicero als Plato-Übersetzer, dans

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