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« Half the park is after dark » Les parcs et réserves de ciel étoilé : nouveaux concepts et outils de patrimonialisation de la nature

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HAL Id: hal-01587485

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01587485

Submitted on 14 Sep 2017

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“ Half the park is after dark ” Les parcs et réserves de

ciel étoilé : nouveaux concepts et outils de

patrimonialisation de la nature

Bruno Charlier, Nicolas Bourgeois

To cite this version:

Bruno Charlier, Nicolas Bourgeois. “ Half the park is after dark ” Les parcs et réserves de ciel étoilé : nouveaux concepts et outils de patrimonialisation de la nature. Espace Geographique, Éditions Belin, 2013, 42 (2013/3), p. 200 à 212. �10.3917/eg.423.0200�. �hal-01587485�

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« HALF THE PARK IS AFTER DARK »

Les parcs et réserves de ciel étoilé : nouveaux concepts et outils de patrimonialisation de la nature

Bruno Charlier, Nicolas Bourgeois Belin | « L’Espace géographique »

2013/3 Tome 42 | pages 200 à 212 ISSN 0046-2497

ISBN 9782701180885

Article disponible en ligne à l'adresse :

---http://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2013-3-page-200.htm

---Pour citer cet article :

---Bruno Charlier, Nicolas Bourgeois« Half the park is after dark ». Les parcs et réserves de ciel étoilé : nouveaux concepts et outils de patrimonialisation de la nature, L’Espace géographique 2013/3 (Tome 42), p. 200-212.

DOI 10.3917/eg.423.0200

---Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays.

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EG

2013-3

p. 200-212 @ EG 2013-3 200

Bruno Charlier

Université de Pau et des Pays de l’Adour UMR5603, laboratoire SET

Avenue du Doyen Poplawski 64000 Pau, France bruno.charlier@univ-pau.fr

Nicolas Bourgeois

Université de Pau et des Pays de l’Adour UMR5603, laboratoire SET

Avenue du Doyen Poplawski 64000 Pau, France bourgeois-nicolas1@hotmail.fr

«

H al f t h e p a rk i s a f t e r d a rk » .

Les parcs et réser ves de ciel étoilé : nouveaux

concepts et outils de patrimonialisation de la nature

Ce texte a été rédigé dans le cadre d’un projet de recherche qui bénéficie des soutiens financiers de l’Association nationale de la recherche et de la technologie, de la régie du pic du Midi et du Fonds innovation recherche du Conseil général des Hautes-Pyrénées.

RÉSUMÉ.— Il existe aujourd'hui dans le monde 44 parcs et réserves de ciel étoilé labellisés sous les appellations

anglophones «dark sky park », « dark sky reserve » ou « starlight reserve ».

Très rarement créés ex-nihilo, ces parcs et réserves sont le plus souvent délimités dans le périmètre d'espaces déjà protégés (monument naturel, parc national, réserve de biosphère…) dont ils élargissent la portée des mesures de protection pour y inclure le ciel étoilé et l'environnement nocturne. Leur création illustre l'émergence de nouvelles formes de protection et de mise en valeur du patrimoine naturel dont les concepts se diffusent assez rapidement dans les pays européens. ciel ÉtoilÉ, paRc,

pollUtion lUMineUSe, RÉSeRve,

wilderness

aBStRact.—‘‘Half the park is after dark’’. Dark sky parks and reserves: new concepts and tools to grant nature heritage status.—There currently exists 44 dark sky parks and reserves (also known as ‘‘starlight reserves’’. Rarely created from nothing, they are often founded within already protected spaces (natural monuments, national parks, biosphere reserves...) whose protective measures are thus increased to include starry skies and nocturnal environments. Parks englobe the area in its entirety whereas reserves designate a core protected area within a larger space. Their creation illustrates the emergence of new forms of protection and the development of natural heritage whose concepts are rapidly spreading throughout European countries. daRk Sky, light pollUtion, paRk, ReSeRve, wildeRneSS

Introduction

Le slogan « Half the park is

after dark », qui pourrait se

tra-duire par « la moitié du parc se révèle à la tombée de la nuit », est inscrit sur une série d’affiches réalisées pour le compte des parcs nationaux américains par l’astro-nome, ar tiste et photog raphe Tyler Nordgren (2010). Cette invitation à redécouvrir les pay-sages du Yosemite, du Yellow-stone, de Natural Bridges ou du Grand Canyon sous l’« obscure clar té qui tombe des étoiles » (Corneille, Le Cid (1636, IV, 3, Rodrigue) illustre l’émergence de nouvelles formes de protection et de mise en valeur du patrimoine naturel dont les concepts se diffu-sent assez rapidement dans les pays européens (photo 1).

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Il existe ainsi aujourd’hui dans le monde 44 parcs et réserves de ciel étoilé labellisés sous les appellations anglophones « dark sky park », « dark

sky reser ve » ou « starlight reser ve »1. Près d’une

dizaine sont encore en projet.

Très rarement créés ex nihilo, ces parcs et réserves sont le plus souvent délimités dans tout (dark sky park) ou partie (dark sky reserve) du péri-mètre d’espaces déjà protégés (monument naturel, parc national, réserve de biosphère…) dont ils élargissent la portée des mesures de protection pour y inclure le ciel étoilé et l’environnement nocturne. Depuis la fin des années 2000, l’Organi-sation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et l’Union interna-tionale pour la conservation de la nature (UICN)

suivent et soutiennent la création de ces « dark sky

places », justifiant ainsi l’intérêt que nous devons

porter à ces initiatives et, comme nous le verrons, aux processus de patrimonialisation qu’elles sous-tendent. En effet, dès le lancement des programmes de labellisation des « dark sky park » et « dark sky

reser ve » au milieu des années 2000 et dans le

contexte d’une « inflation tous azimuts » (Heinich, 2009), la possibilité d’inscrire le ciel étoilé au patrimoine de l’humanité est apparue comme une quasi-évidence. Même si, comme nous le montrerons, l’approche qui posait ce statut a

priori a finalement peu résisté au recadrage de

l’UNESCO.

S’appuyant sur des travaux que nous menons depuis 2009 dans le cadre du projet de la réserve internationale de ciel étoilé du pic du Midi et du

Dark Skies Advisory Group (DSAG)2de l’UICN, cet article a pour objectif de proposer

un état des lieux inédit de la création des parcs et réserves de ciel étoilé dans le monde. Nous présenterons tout d’abord le contexte d’émergence et la généalogie de ces nou-velles mesures de protection, en montrant comment elles tendent progressivement à s’autonomiser des problématiques de l’astronomie scientifique qui les ont fait naître. Nous nous intéresserons ensuite au processus de patrimonialisation du ciel étoilé dans ses « itinéraires » et « trajectoires » (Reynard et al., 2011). Dans une dernière partie nous présenterons deux exemples d’interaction entre le patrimoine naturel et le ciel étoilé.

L’évolution récente des concepts de protection du ciel étoilé

À l’échelle internationale, les parcs et réserves de ciel étoilé s’intègrent dans un ensemble de dispositifs de protection du ciel et de l’environnement nocturnes qui tendent à s’étoffer et se généraliser. Classiquement, selon les critères de typologie de

1. Nous traduisons à dessein l’expression « dark sky » par « ciel étoilé ». C’est d’ailleurs l’appellation francophone retenue au Québec pour nommer la réserve internationale de ciel étoilé du mont Mégantic créée sous le label d’International Dark-Sky Reserve.

2. Groupe consultatif sur les espaces de ciel étoilé.

Photo

1/

See the Milky Way

Pour aider à la promotion des programmes de protection du ciel étoilé dans les parcs nationaux américains, Tyler Nordgren a créé une série d’affiches dans le style des posters de la Work Projects Administration (WPA) instituée dans les années 1930 dans le cadre du New Deal. Poster reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

(5)

Samuel Depraz (2008), ces dispositifs se déclinent en mesures de protection de portée ex et in situ, avec des buts spécifiques (protéger un observatoire astronomique de la pollution lumineuse) et, depuis peu, de plus en plus génériques (associer à la protection du ciel étoilé celle de l’environnement nocturne à proximité ou non d’un observatoire).

En 1958, aux États-Unis, Flagstaff (Arizona) a été la première ville au monde à s’être dotée d’une législation visant à réduire de façon drastique la pollution lumineuse. En 1973, une législation est adoptée pour l’ensemble de l’État d’Arizona. Ainsi, entre 1958 et 1990, suivant les exemples de Flagstaff ou de Tucson, 33 villes et 11 comtés arizoniens ont pris des mesures de limitation du halo lumineux dû aux éclairages publics. Depuis, des réglementations similaires ont été élaborées en Californie, dans le comté de San Diego (1985), ou à Hawaii, mais aussi en Australie, en Nouvelle-Galles du Sud (Murdin, 1992). Les mesures de protection sont toujours établies aux abords d’observatoires astronomiques : observatoire Lowell pour Flagstaff, observa-toire Kitt Peak pour Tucson, observaobserva-toire du mont Palomar pour San Diego, Mauna Kea à Hawaii.

Aujourd’hui, certains pays comme, en Europe, la Slovénie, l’Italie ou l’Espagne, ont mis en place des mesures graduées de limitation de la pollution lumineuse sur tout ou partie de leur territoire. Par comparaison, ce n’est que depuis peu que la France a lancé des démarches similaires avec les lois Grenelle 1 et 2. Le décret no2011-831

relatif à la prévention et à la limitation des nuisances lumineuses, paru en juillet 2011, en précise les objectifs en introduisant le principe de mesures plus restrictives dans les espaces naturels classés ou protégés et dans le périmètre des sites d’observation astro-nomique (article R 583-4). Ces derniers peuvent être scientifiques ou amateurs, mais dans les deux cas emblématiques des activités qui y sont pratiquées.

Des zones de protection des observatoires astronomiques…

En tant que dispositifs de protection in situ, les parcs et réserves de ciel étoilé sont héritiers des zones de protection des observatoires astronomiques. En effet, la protection du ciel étoilé, et par conséquent la lutte contre la pollution lumineuse, a pendant longtemps été la préoccupation exclusive des astronomes professionnels, constituant un véritable enjeu de préservation de leurs activités scientifiques d’obser-vation. Historiquement implantés au cœur des villes (Toulouse, Paris, Berlin, Londres, Rome…), les observatoires astronomiques ont très tôt souffert de la pollution lumi-neuse liée au développement des éclairages publics et privés. Au cours du XXesiècle,

nombre d’entre eux ont dû déménager de leur site d’implantation pour la périphérie des zones habitées, où très rapidement ils ont été confrontés aux mêmes problèmes du fait de la croissance urbaine. Ainsi, pour échapper à la pollution lumineuse due à l’extension de la Ville éternelle, l’observatoire astronomique du Vatican, installé au cœur de la cité papale depuis la seconde moitié du XVIe siècle, a dû être déplacé une première fois, dans les années 1930, à Castelgandolfo, à 35 km au sud de Rome, puis au mont Graham, en Arizona, au début des années 19803.

Si la plupart des grands observatoires sont aujourd’hui implantés dans des zones désertiques (désert d’Atacama au Chili), en haute montagne (Mauna Kea, pic du Midi de Bigorre), ou dans des espaces très faiblement peuplés, certains de ceux qui sont restés au voisinage des aires urbaines sont entourés de zones de protection de, parfois, plusieurs kilomètres de rayon. Une dizaine d’observatoires dans le monde en sont dotés. Les zones les plus étendues sont celles des observatoires nord-américains

© L’Espace géographique 202

3. Source :

http://www.vaticanobserv atory.org (dernière consultation 11/2011)

(6)

(McDonald, Kitt Peaks, mont Palomar, mont Hopkins), elles couvrent des superficies de plusieurs centaines de kilomètres carrés pour un rayon allant de 40 km à plus de 90 km.

…aux réserves « Starlight »

Depuis le début des années 1990, et surtout à partir des années 2000, de nou-veaux concepts de protection du ciel étoilé ont vu le jour. Il ne s’agit plus seulement de préserver un accès visuel et instrumental à la voûte céleste, à des fins uniquement scientifiques, mais de considérer « la lumière des étoiles » comme une véritable amé-nité environnementale dont la protection et la mise en valeur peuvent permettre le développement local de différentes formes de tourisme qui se veulent aussi durables.

Ce sont deux associations nord-américaines, la Royal Astronomical Society of Canada (RASC)4 et surtout l’International Dark-Sky Association (IDA)5 aux

États-Unis, qui ont créé les labels de parcs et réserves de ciel étoilé aujourd’hui partiellement repris dans le programme de la Fondation Starlight (Starlight Foundation, 2009a) lancé en 2007 avec le soutien de l’UNESCOet de l’Union astronomique internationale

(UAI). Les programmes de labellisation de ces trois organismes visent à reconnaître les engagements locaux en matière de lutte contre la pollution lumineuse, à identifier et à préserver des sites caractérisés par la qualité de leur ciel étoilé. Il s’agit donc à la fois de protéger le ciel mais aussi l’environnement nocturnes, et de promouvoir les valeurs qui peuvent y être associées, qu’elles soient scientifiques (astronomie), écologiques (impact de la pollution lumineuse sur la biodiversité), paysagères (révélation des paysages célestes nocturnes) ou culturelles (liens séculaires multiformes entre les sociétés et le ciel étoilé).

Avec des portées géographiques différentes, chaque programme se complète en offrant une déclinaison des labels adaptée à différents types de sites. L’International Dark-Sky Association a ainsi défini trois catégories d’espaces de protection et de valori-sation du ciel étoilé dont celles de « parc » et de « réserve internationale » ; la Royal

4. Société royale d’astronomie du Canada. 5. Association

internationale pour la protection du ciel étoilé.

Tabl.

1/

Portées géographiques et déclinaisons des principaux labels des parcs et réserves de ciel étoilé

Organisme Portée géographique des labels

Déclinaisons du label Nombre d’attributions en septembre 2013

Royal Astronomical Society of Canada (RASC)

Nationale (Canada) Dark Sky Reserve, Dark Sky Preserve Urban Star Park

14 1 International Dark-Sky

Association (IDA)

Internationale International Dark Sky Park International Dark Sky Reserve International Dark Sky Community

11 5 4 Fondation Starlight Internationale Sites patrimoniaux Starlight

Sites astronomiques Starlight Sites naturels Starlight Paysages Starlight

Oasis (Havre) Starlight – habitats humains Sites mixtes Starlight

4

Source : Dark Skies Advisory Group de l’Union internationale pour la conservation de la nature (2013), données du 1erseptembre 2013.

(7)

Astronomical Society of Canada trois catégories dont celle de « parc astronomique urbain », et la Fondation Starlight, six catégories, dont celles de « site patrimonial Starlight » et de « paysage Starlight » (tabl. 1). Ainsi, les sites susceptibles de devenir des parcs et réserves de ciel étoilé ne sont plus forcément et uniquement localisés à proximité d’observatoires en activité. Il peut s’agir d’espaces naturels déjà protégés, de paysages emblématiques, de parcs urbains, mais aussi d’anciens établissements scientifiques ayant joué un rôle important dans l’histoire de l’astronomie moderne, voire de sites archéologiques associés à une conception ancienne du firmament, comme en est dressé l’inventaire dans un récent rapport du Conseil international des monuments et des sites (Ruggles, Cotte, 2010).

Même si les labels RASC et IDA ont aussi pour finalité la mise en tourisme des parcs et réserves de ciel étoilé (IDA, 2007) en promouvant des formes originales de pratique de l’astronomie (comme la « wilderness astronomy »), c’est dans le cadre du programme de la Fondation Starlight que les objectifs et la durabilité de cette mise en tourisme sont les plus explicitement et précisément développés. Ainsi, en 2009, sous l’égide de l’Organisation mondiale du tourisme, la fondation Starlight a mis en place un système de certification « to ensure the quality of tourism experiences

involving the nightscapes, the view of stars and the cosmos and the related scientific, cultural and environmental knowledge » (Starlight Foundation, 2009b). Ce

pro-cessus de valorisation, tel que le définit Stéphane Héritier (2006), s’appa-rente aussi à l’émergence d’une vér itable « ressource ter r itor iale » (Gumuchian, Pecqueur, 2007) pour le développement d’une offre touristique nouvelle : le tourisme astronomique. Comme il n’existe ni appellation ni défi-nition officielles, nous en proposerons la défidéfi-nition suivante : le tourisme astronomique ou « astro-tourisme » (Hänel, 2010) ou « tourisme scientifique en lien avec l’astronomie » (Bumat, 2009, 2010) est une forme de tourisme dont le motif de déplacement est la visite d’établissements scientifiques, la pratique de l’astronomie dans des lieux équipés à cette fin et/ou préservés de la pollution lumineuse, le spectacle d’événements astronomiques (éclipse lunaire et solaire, aurore boréale, pluie d’étoiles filantes), la découverte contemplative des paysages célestes nocturnes et de sites témoignant d’une conception ancienne du firmament. Les astro-touristes sont donc soit des astronomes amateurs (plus ou moins chevronnés), soit des touristes à la recherche de nouvelles expériences sensorielles et cognitives en lien avec les pratiques de pleine nature. Ainsi, selon les lieux et les pratiques auxquels il est associé, le tourisme astronomique peut être considéré comme la décli-naison de différentes formes de tourisme à la croisée desquelles il se situe : tourisme scientifique, tourisme de nature, tourisme culturel.

Les parcs et réserves de ciel étoilé dans le monde

Les données présentées dans cette partie résultent du suivi régulier des programmes de labellisation de la RASC, de l’IDA et de la Fondation Starlight. Elles croisent et complètent celles échangées avec David Welch, responsable du Dark Skies Advisory Group (DSAG) de l’UICN. Selon la dernière mise à jour effectuée en mai 2013, les 44 parcs et réserves de ciel étoilé recensés dans le monde sont répartis dans dix pays (tabl. 2).

© L’Espace géographique 204

Tabl.

2/

Répartition des parcs et réserves de ciel étoilé dans le monde

Pays Parcs et réserves de ciel étoilé déjà créés Canada 16 États-Unis 11 Espagne 4 Royaume-Uni 3 Hongrie 2 Tchéquie 2 Pologne 2 Slovaquie 2 Nouvelle-Zélande 1 Namibie 1 Total 44

Source : Dark Skies Advisory Group de l’UICN(2013), données du 1erseptembre 2013.

(8)

Comparé à l’histoire des espaces naturels protégés et à celle des mesures de pro-tection du patrimoine culturel et naturel, le modèle des parcs et réserves de ciel étoilé est relativement récent. Il a été inauguré aux États-Unis en 1993 avec la création de la réserve de ciel étoilé du lac Hudson aux États-Unis (État du Michigan). Un deuxième parc a été créée en 1999 au Canada à Torrance Barrens. Il faut ensuite attendre la fin des années 2000 pour que la majorité des parcs et réserves répertoriés dans la base de données du Dark Skies Advisory Group de l’UICNsoient créés. Le suivi du rythme de leur création montre l’accélération observée en fin de période et notamment l’impact de l’organisation de l’Année mondiale de l’Astronomie 2009 sur le nombre de labelli-sations (11) et l’apparition des premiers projets sur le vieux continent. Avec neuf labellisations, l’année 2011 confirme la tendance mondiale et européenne. Le concept se diffuse avec succès, quel que soit le label.

Si la majorité des parcs et réserves de ciel étoilé déjà créés sont encore situés en Amérique du Nord (27 sur 44), les quatre plus récents (2013) sont européens. Parmi ceux labellisés depuis 2011 figurent : les parcs nationaux et réserves de biosphère de Montfragüe, La Rioja, Fuerteventura et La Palma en Espagne et les réserves internationales de ciel étoilé de Brecon Beacons et d’Exmoor au Royaume-Uni. La réserve d’Exmoor est la première en Europe et la deuxième au monde créée sous ce statut. Sa labellisation a été annoncée le 9 octobre 2011. Contrairement à la réserve internationale de ciel étoilé du parc national du Mont-Mégantic (Québec) délimitée autour d’un observatoire, le parc national d’Exmoor n’abrite aucun équipe-ment astronomique professionnel ou amateur. Le communiqué de presse publié par les autorités du parc national d’Exmoor traduit bien les objectifs touristiques visés par l’obtention de cette distinction internationale aujourd’hui de plus en plus convoitée.

Les processus de patrimonialisation du ciel étoilé

En 2009, pour commémorer le 500e anniversaire des découvertes de Galilée,

l’organisation de l’Année mondiale de l’Astronomie (AMA09) a été l’occasion d’une célébration mondiale de l’astronomie et de ses contributions à la société et à la culture. Outre la sensibilisation aux travaux scientifiques et à la discipline en général, l’un des objectifs de l’AMA09 était de « faciliter la conservation et la protection du patrimoine culturel et naturel mondial, en particulier la qualité du ciel nocturne […] dans les endroits tels que les emplacements urbains, les parcs nationaux et les sites astrono-miques »6. Soudainement, le ciel étoilé, objet intemporel, dont la nature même le

détache de toute mise en danger par l’homme et les sociétés, accède au rang d’un patrimoine à conserver et à protéger. Se révèle alors, une dynamique jusque-là dis-crète mais intrinsèquement liée à l’émergence de nouveaux concepts de protection du ciel étoilé. Comme nous l’avons vu précédemment, cette dynamique, lancée dans les années 1990 mais surtout 2000 par un réseau international d’associations, a engagé un véritable processus de patrimonialisation. Bien qu’acquis en apparence, le statut patrimonial du ciel étoilé suscite toujours de nombreuses difficultés d’appro-ches et de définitions, d’où la nécessité de le décrypter afin d’en saisir les subtilités, mais également les ambiguïtés.

6. Source :

http://www.astronomy200 9.fr

(9)

L’invention du statut patrimonial du ciel étoilé

Les particularités et difficultés de la patrimonialisation du ciel étoilé sont inhé-rentes à la nature même de l’objet visé. Le ciel étoilé ne peut se définir par une seule entrée. Il se situe au croisement de plusieurs types d’interactions avec les sociétés. Cette identité multidimensionnelle peut être ainsi déterminée par une posture de l’homme, percevant le ciel étoilé par « trajection » (Berque, 1990) : une double percep-tion du milieu, à la fois physique et phénoménale comprenant trois « volumes » à saisir conjointement (Antoine et al., 2002) :

• « une réalité déterminée par les conditions naturelles (dimension biophysique) » (ibidem) : quand elles ne sont pas masquées par les halos des éclairages urbains, les lumières naturelles du ciel nous transmettent l’image des étoiles et des autres objets célestes visibles à l’œil nu ou par des instruments (nébuleuses et galaxies, la Voie lactée, la lune, etc.) ;

• « un lieu de mémoire collective (dimension culturelle) » : les médiations séculaires entre les sociétés et la voûte céleste ont produit un héritage culturel fort, une « artialisation » (Roger, 1997), perceptible via des croyances religieuses, des peintures rupestres comme les Navajo Star Ceilings, des ensembles mégalithiques comme Stonehenge, ou des monuments architecturaux comme le Jantar Mantar de Jaipur7;

• enfin, « une perception phénoménale (dimension subjective) » : chaque individu compose sa vision du ciel étoilé en fonction de sa propre subjectivité.

Cette définition ne doit toutefois pas négliger la différence fondamentale entre le ciel étoilé et le paysage terrestre : son immuabilité et son altérité sans bornes. Depuis le sol, c’est par « trajection » que se transforme la vision que nous avons du ciel étoilé. Mais cette interaction lui donnant une présence et redimensionnant la posture de l’homme sur terre, s’est considérablement dégradée, victime de la modernité. L’arti-ficialisation croissante du rapport homme-environnement et l’augmentation expo-nentielle de la pollution lumineuse ont transformé le ciel étoilé en un objet exotique, abstrait, un ailleurs virtuel, apanage de quelques lieux reculés en marge de l’écoumène où se sont réfugiés les plus grands observatoires.

D’après Pierre-Antoine Landel (2007), la patrimonialisation s’échelonne en deux grandes étapes. Tout d’abord, l’invention ou la sélection des objets à assimiler à un héritage, générant chez eux une multiplicité de valeurs « esthétique, artistique, historique, économique, sociale » (Greffe, 1990). Mais il ne suffit pas d’inventer ou de sélectionner un patrimoine pour que ce dernier en acquière immédiatement le statut. Il s’agit ensuite pour les acteurs de lui conférer une véritable identité voire de l’institutionnaliser par l’intermédiaire d’une expertise et d’une classification rigou-reuse. Le ciel étoilé se situerait actellement dans l’entre-deux de ce processus.

Depuis le début des années 1990, l’International Dark-Sky Association (IDA) tente d’élever cet objet au statut de patrimoine, lui associant et affirmant des valeurs naturelles et culturelles au travers de sa confrontation au phénomène de la pollution lumineuse. Avec une stratégie de communication et de sensibilisation particulière-ment efficaces (publications, événeparticulière-ments, développeparticulière-ment d’un réseau d’acteurs à tra-vers le monde, création de labels), l’IDA a imaginé et concrétisé une véritable invention du statut patrimonial du ciel étoilé, à la frontière entre nature et culture. Toutefois, l’IDA a dû faire face à deux écueils interdépendants, ne permettant pas à notre objet d’accéder à une réelle identification en tant que patrimoine. Le premier est la focalisation du processus sur le ciel étoilé en tant que tel et non sur sa médiation

© L’Espace géographique 206

7. Pour les détails et un inventaire complet, se référer à Clive Ruggles, Michel Cotte (2010).

(10)

avec les sociétés, ce qui entraîne inévitablement le deuxième biais : l’impossibilité de patrimonialiser concrètement un objet hors de toute atteinte. Par conséquent, la voûte céleste nocturne en tant que patrimoine bénéficie d’une reconnaissance tacite entourée d’une relative vacuité.

C’est principalement pour parer à ce statut illusoire qu’a eu lieu, en 2007, la conférence Starlight de La Palma intitulée « Pour la protection et le droit à la lumière des étoiles ». Son objectif était de reconnaître les différentes valeurs du ciel étoilé, de les protéger et de les valoriser par l’intermédiaire de réserves, puis d’adresser une demande à l’UNESCO afin d’inscrire la voûte céleste nocturne sur la liste du Patrimoine mondial. En réponse à cette sollicitation, l’UNESCO déclarait,

en 2007, qu’il n’existe aucun critère permettant de prendre en considération le ciel étoilé et les objets célestes au titre de la convention du Patrimoine mondial de 1972, cette dernière ayant pour but de reconnaître l’interaction entre l’être humain et la nature et le besoin fondamental de préserver l’équilibre entre les deux. Pour dépasser ces difficultés de définition, les 10 et 11 mars 2009 eut lieu l’« Atelier international et la réunion d’experts sur les réserves de ciel nocturne et le patrimoine mondial – valeurs scientifiques, culturelles, environnementales » à Fuerteventura dans l’archipel des Canaries. Cette recherche de compromis a abouti à une recon-naissance des exigences et des orientations des réserves Starlight en tant que « valeurs additionnelles » des futurs sites astronomiques susceptibles d’être inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le ciel étoilé en tant que dimension consubstantielle du patrimoine culturel et naturel

En 2008, indépendamment de l’initiative Starlight, l’UNESCO et l’UAI lançaient

un programme de patrimonialisation des sites astronomiques intitulé « Astronomie et Patrimoine mondial ». C’est le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) qui est alors chargé d’identifier et d’inventorier les sites pouvant être inscrits sur la liste du Patrimoine mondial (Ruggle, Clotte, 2010). Ces futurs patri-moines identifiés représentent une belle occasion pour la Fondation Starlight. Le ciel étoilé, intrinsèquement lié à ces sites, apparaît comme une dimension lacunaire du processus de patrimonialisation engagé par l’UNESCO. En effet négliger les dimensions et valeurs du ciel dans l’approche de cet héritage culturel et matériel revient à ne valoriser que partiellement l’interaction homme-nature qui est aux fon-dements des pratiques anciennes et modernes, vernaculaires et scientifiques de l’astronomie.

Afin de dépasser ces tensions et difficultés de définition, l’UNESCOet la Fondation

Starlight actent un compromis, en reconnaissant le ciel comme une « ressource humaine et naturelle inestimable » dans un contexte où son observation par l’homme est de plus en plus menacée par les pollutions lumineuses et atmosphériques. Quant aux réserves Starlight, elles viendraient renforcer le futur patrimoine astronomique en tant que support touristique porteur de valeurs scientifiques, culturelles et envi-ronnementales.

C’est finalement dans son association avec des patrimoines existants que le ciel étoilé acquiert un statut. Autrement dit, il est un support, une ressource additionnelle interagissant avec les patrimoines naturels et culturels. Ainsi, nous aurions affaire à un véritable redimensionnement mutuel, créant une fusion des statuts. Cette logique s’exprime clairement dans deux associations :

(11)

• l’association du ciel étoilé avec le patrimoine culturel : le ciel étoilé n’est pas un patri-moine culturel, cependant il peut être associé au patripatri-moine astronomique des ères moderne et pré-télescopique car il en est l’origine consubstantielle ;

• l’association du ciel étoilé avec la nature et le patrimoine éponyme : le ciel étoilé n’est nullement menacé, cependant la détérioration de son image renvoie à une dégradation de l’environnement nocturne, de la nature en général, et devient un symbole supplémentaire d’une rupture du rapport homme-nature.

Deux exemples d’interactions entre le ciel étoilé et le patrimoine naturel

L’entrée du ciel étoilé dans le champ du patrimoine naturel marque certainement plus qu’une simple extension catégorielle. Il s’agit à proprement parler plus d’une « noc-turnisation » pleine et entière qui fait écho à la « diurnisation » désormais quasi totale des nuits urbaines telle que la décrit le géographe Luc Gwiazdzinski (2005). Déjà en 2002, dans un numéro de Territoires 2020, la revue scientifique de la DATARconsacrée aux

terri-toires et à la prospective, l’auteur imaginait la création de réserves et parcs de nuit, zones d’obscurité et de silence dans lesquelles les citadins pourraient venir se ressourcer et méditer loin de toute pollution lumineuse et sonore. Comme nous l’avons montré, à peine dix ans plus tard, ce que Luc Gwiazdzinski énonçait comme une utopie est bel et bien devenu une réalité. En fait, cette évolution ne doit pas surprendre car elle a une logique. Depuis le XIXe siècle, l’histoire des espaces naturels protégés a souvent été

marquée par des réponses protectionnistes apportées sur des espaces spatialement et temporellement éloignés de la ville et faisant figures d’un « ailleurs compensatoire » (Piolle, 1993). À la recherche de l’air pur, de la vraie nature, du sauvage, viendrait aujourd’hui s’ajouter celle de l’obscurité et de la lumière des étoiles.

Les paysages célestes nocturnes… « see the milky way in… »

Le ciel étoilé et même la Voie lactée étaient certainement encore visibles dans le ciel des villes dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les gravures illustrant les ouvrages

d’astronomie de l’époque (Guillemin, 1877) ou certains tableaux de Van Gogh en témoignent (Van Heugten et al., 2008). Aujourd’hui, plus des deux tiers de la popu-lation des États-Unis, la moitié de celle de l’Union européenne et un cinquième de la population mondiale ont totalement perdu la visibilité à l’œil nu de l’environnement céleste dans lequel nous vivons (Cinzano et al., 2001). En ce début du XXIesiècle, la vision du ciel étoilé dans la diversité de ses formes stellaires est donc devenue une rareté éminemment « patrimogène » (Di Méo, 2007) et incontestablement génératrice de ce que Nathalie Heinich (2009) appelle une « émotion patrimonialisante ».

Cette dimension est particulièrement prégnante dans l’émergence et la médiation de deux nouveaux concepts paysagers : celui de « paysage céleste nocturne » (nocturnal

skyscape) et celui de « paysage de lumière naturelle » (natural lightscape). Le premier a

été développé dans le cadre du programme de la Fondation Starlight. Il fait l’objet de l’une des six déclinaisons du label « Réserve Starlight » (tabl. 1). Le second est utilisé par la Night Sky Team du National Park Service (NPS), l’agence fédérale en charge de la gestion des parcs nationaux états-uniens. Si ces deux concepts paysagers sont associés à la reconnaissance des dimensions écologiques et culturelles du ciel étoilé, ils sont aussi pleinement associés à l’expérience de la nature proposée aux visiteurs des espaces protégés. La vision du ciel étoilé est vectrice de l’expérience de l’altérité spa-tiale et temporelle de la nuit et du chronos (temps naturel) par rapport au jour qui

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reste plus fortement imprégné par les rythmes du tempus c’est-à-dire du « temps anthropisé » comme le définissent Claude et Georges Bertrand (2002).

Dans le processus de patrimonialisation du ciel étoilé étudié ici, cette approche paysagère constitue la forme la plus aboutie de couverture des différents maillons de la « chaîne patrimoniale » (Rautenberg, 2003 ; Heinich, 2009), et ce, notamment, si l’on observe les dispostifs actuellement à l’œuvre dans les parcs et réserves de ciel étoilé nord-américains8.

Les maillons de la « connaissance » de la « restauration et valorisation » et de la « médiation » sont y désormais totalement développés et pleinement intégrés dans la gestion des espaces protégés déjà labellisés (Natural Bridges, Death Valley, Jasper, Cypress Hill...) ou qui projettent de l’être (Lava Beds, Great Basin…).

Dans les parcs de l’ouest états-unien, la Night Sky Team est chargée de la métro-logie et de la surveillance de la qualité du ciel étoilé. Des « dark rangers » assurent l’ani-mation des soirées astronomiques et le développement des activités d’interprétation. Ces actions s’accompagnent de la production de plusieurs types de supports icono-graphiques qui, par le dessin ou la photographie, participent à la révélation du « dark

side » (Parcs Canada, 2011) des parcs nationaux. Quelle que soit la destination des

images (logo, affiche), la construction des paysages célestes nocturnes passe inévita-blement par ces « médiateurs exogènes » (Héritier, 2006), en reprenant souvent les formes paysagères diurnes et les géosymboles déjà identifiés en tant que tels : les arches de pierre de Natural Bridges, les cheminées de fées de Bryce Canyon, les dunes de sable de la Death Valley, les yuccas du parc de Joshua Tree ou le décor de Pyramid Island dans le parc national de Jasper, pour ne citer que quelques exemples.

Abondamment illustré, l’ouvrage de Tyler Nordgren (2010), sous-titré « A guide

to astronomy in the national parks », s’inscrit au cœur de cette démarche. Cette

artialisa-tion in situ et in visu pour reprendre les distincartialisa-tions d’Alain Roger (1997) est somme toute à la fois classique et, dans le cas présent, indispensable. Il y aura toujours un décalage entre la perception visuelle immédiate des paysages célestes et leur rendu photographique qui nécessite de plus ou moins longues poses pour capter les couleurs de la Voie lactée ou saisir les filés d’étoiles. Cette artialisation se traduit également par la mise en place de parcours et le repérage de sites recommandés pour l’observation du ciel étoilé (« dark sky viewing sites » ou « stargazing sites » selon les appellations). Encore embryonnaires, ces initiatives ont cependant déjà été développées dans le parc national de Yosemite aux États-Unis, celui de Jasper au Canada ou, en Europe, dans les parcs nationaux de Galloway Forest (Écosse) et Exmoor (Angleterre).

La vision du ciel étoilé : une nouvelle forme d’expérience de la wilderness

Fabienne Joliet et Peter Jacobs (2009) ont décrit le processus itératif de construc-tion du sentiment de wilderness qui associe la naturalité d’un espace et l’expérience cognitive qui en résulte. De son côté, Stéphane Héritier (2006) a montré le rôle que joue la « wilderness experience » dans les pratiques des visiteurs des parcs nationaux de l’Ouest canadien dont celui de Jasper (province de l’Alberta). Ce parc national a été labellisé Dark Sky Reserve en 2011. Du fait de sa superficie (10 878 km², soit l’équi-valent de la superficie du département de la Gironde), il constitue aujourd’hui la plus grande réserve de ce type au monde. À l’appui d’une politique de labellisation forte-ment soutenue par la Royal Astronomical Society of Canada (RASC), depuis peu, Parcs Canada fait la promotion d’une nouvelle forme de pratique de l’astronomie en

8. Certains de ces programmes de découverte du ciel étoilé sont relativement anciens et antérieurs à la période étudiée ici. Par exemple, nous pouvons citer celui du parc national de Bryce Canyon (Utah) qui a été lancé à la fin des années 1960. L’historique, raconté dans « A Canyon Alight With Stars », est consultable sur le site du National Park Service.

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milieu sauvage : la « Wilderness astronomy » (Parcs Canada, 2011). Cette pratique s’affranchit de l’équipement classique, lourd et encombrant, de l’astronome amateur, peu adapté à l’itinérance, pour privilégier la pratique « naked eye » (à l’œil nu) ou légère-ment instrulégère-mentée. La « wilderness astronomy » est présentée comme « une nouvelle façon de voir les espaces sauvages du Canada » (ibid.). Elle allie la découverte des pay-sages célestes nocturnes à la découverte des connaissances astronomiques des peuples premiers. Tout en participant au renforcement de l’attactivité des espaces protégés par « la mise en exergue de l’originalité des expériences disponibles pour les visiteurs » (Héritier, 2006), cette pratique s’inscrit de fait dans les représentations de la wilderness. En effet, les caractéristiques et les valeurs spécifiques qui apparaissent dans les critères d’élection des paysages célestes nocturnes sont de deux natures. Elles peuvent être pure-ment esthétiques dans leur association entre le ciel étoilé et les paysages terrestres – nous avons déjà cité à ce propos l’ouvrage de Tyler Nordgren paru en 2010 ; mais elles peu-vent aussi être considérées comme un indicateur de la naturalité des paysages célestes nocturnes et, par extension, des espaces qui les composent. C’est ce que montrent les travaux de Dan Duriscoe (2001) de la Night Sky Team du National Park Service.

En effet, de l’horizon au zénith, la densité d’étoilement du ciel est un indicateur visuel de l’absence de pollution lumineuse (photo 2). A contrario, l’augmentation de la brillance artificielle du fond du ciel conduit à une diminution proportionnelle des contrastes permettant de distinguer des objets célestes diffus comme la Voie lactée, voire de faible luminosité comme la lumière zodiacale9.

Or c’est la vision de ces objets célestes diffus qui donne au ciel étoilé ces attributs de qualité et de pureté. Donc, dans des conditions de très forte obscurité, comme dans les zones cœur des parcs et réserves de ciel étoilé dont la délimitation exclut la présence de sources d’éclairage permanent, nous pouvons considérer que les lumières artificielles diffusées par les halos des espaces éclairés (zones urbanisées) ont le même impact sur le patrimoine naturel que d’autres processus de dégradation d’origine anthropique pou-vant affecter la faune, la flore ou les paysages diurnes. Elles altèrent le sentiment de nature vierge et sauvage que la pratique de ces espaces procure. Les modes de diffusion atmosphérique de la lumière font que dans des conditions d’air très limpide, les halos créés par les éclairages artificiels peuvent être vus à plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres (Cinzano et

al., 2001). De ce fait, visuellement parlant, la trace

des lumières artificielles qui marque aussi d’une certaine façon les limites de l’écoumène repousse celles des espaces potentiellement éclairés par les seules lumières naturelles. Compte tenu du taux d’urbanisation des pays de l’hémisphère nord, il demeure donc peu de zones d’obscurité intrin-sèque sur cette partie de la planète. Dans l’aire principale de la répartition actuelle des parcs et réserves de ciel étoilé, elles se cantonnent à l’Ouest amér icain (Grandes Plaines, montagnes Rocheuses, Grand Bassin) et aux espaces septen-trionaux nord-américains et européens.

© L’Espace géographique 210

9. La lumière zodiacale est « le résultat de la diffusion de la lumière du soleil par les poussières présentes à l’intérieur du système solaire. À cause de sa faible brillance, bien inférieure à celle de la voie lactée, la lumière zodiacale n’est perceptible que sous un ciel sans lune, dénué de toute pollution lumineuse et très pur » (Beaudoin, 2011).

Photo

2/

La Voie lactée

La Voie lactée au-dessus du pic du Vignemale au cœur du parc national des Pyrénées dans la future réserve internationale de ciel étoilé du pic du Midi. Cliché de Nicolas Bourgeois, 2011.

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Conclusion

Les années 2000 ont été marquées par l’apparition d’une nouvelle catégorie d’espaces protégés : les parcs et réserves de ciel étoilé. Il en existe aujourd’hui 44 dans le monde et tout semble indiquer que cet effectif va continuer à progresser dans les années à venir, notamment en France. Notre propos était ici d’examiner la création de ces parcs et réserves de ciel étoilé à l’aune des concepts et outils de patrimonialisation de la nature qu’ils semblent pouvoir renouveler. Champs d’exten-sion tout récent du patrimoine naturel et culturel, le ciel étoilé et l’environnement nocturne en proposent certainement plus qu’une simple extension catégorielle. En effet, bien que fonctionnant à contresens d’une artificialisation croissante, nous obser-vons dans les espaces naturels devenus des « dark sky places » la même dynamique spatio-temporelle de « front pionnier » que celle étudiée par Luc Gwiazdzinski (2005) dans la conquête des nuits urbaines. Ainsi, en paraphrasant cet auteur, ne pourrions-nous pas dire que la nuit est en passe de devenir « un formidable enjeu » pour les espaces naturels, « une dernière frontière, un territoire à défricher », mais aussi, au sens de Luc Bureau (1997), un espace-temps dans lequel notre « civilisation éclairée » pourrait tenter d’explorer son envers ?

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