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Une norme éthique des touchers physiques dans les interactions entre les enseignants et les élèves

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Academic year: 2021

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Une norme éthique des touchers physiques dans les

interactions entre les enseignants et les élèves

Thèse

Fabrice Constant Kouassi

Doctorat en didactique

Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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Une norme éthique des touchers physiques dans les

interactions entre les enseignants et les élèves

Thèse

Fabrice Constant Kouassi

Sous la direction de :

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Résumé

Les contacts physiques entre les enseignants et les élèves constituent très souvent des situations troublantes qui secouent la vie de l’école. Elles rendent la tâche des enseignants plus complexe dans la mesure où elles font naître un risque de poursuite devant les tribunaux. Au cours des dernières décennies, nombre d’enseignants ont été traduits en justice pour des accusations d’attouchements sexuels et de voies de fait. Des organisations syndicales du milieu éducatif n’hésitent plus à conseiller à leurs membres de s’abstenir de tout contact physique avec leurs élèves pour réduire les risques de poursuites criminelles. Devant cet état de fait, il y a lieu de se demander comment il est possible de contribuer à établir des procédures claires pour les touchers physiques entre élèves et enseignants. Des procédures qui pourraient devenir un cadre de référence pour guider les enseignants qui utilisent régulièrement le toucher physique dans leurs pratiques éducatives. Pour notre part, nous pensons que ce cadre de référence requiert une professionnalisation des contacts physiques. C’est du moins le projet que nous relevons dans cette thèse.

La professionnalisation des contacts physiques entre les enseignants et les élèves nous amène d’abord sur le terrain de l’éthique. Il apparaît prioritaire de construire une norme éthique devant encadrer les contacts physiques entre enseignants et élèves. Quelle pourrait être cette norme éthique ? Quel pourrait être son contenu ? Nous allons consulter plusieurs sources théoriques et pratiques pour construire une norme éthique du toucher physique en enseignement. Étant donné que cette norme renvoie à la juste distance entre deux personnes, nous avons d’abord cherché du côté des travaux des socioanthropologues relatifs aux règles qui président à la civilité et aux interactions sociales. Étant donné que cette norme touche des aspects juridiques et légaux, nous avons également fait appel aux sources légales et jurisprudentielles. Fondamentalement pour retrouver cette norme, nous avons pris en compte les théories qui se rapportent aux touchers physiques, à la distance professionnelle, aux lois et règles canadiennes, aux codes professionnels existants, aux décisions de justice sur les poursuites qui touchent aux touchers physiques entre un enseignant et un élève. Par la suite, nous avons aussi examiné les « bonnes pratiques » du toucher physique dans les professions où les manipulations corporelles sont essentielles.

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L’ensemble de cette recherche nous permettra de construire une norme éthique qui soutient et donne une signification « professionnelle » aux touchers physiques entre les enseignants et les élèves. Cette norme peut être perçue comme un agir opérationnel qui met en contact un corps en autorité et un corps en confiance. En principe, ces deux corps se tiennent en respect dans une distance juste ou professionnelle. Toutefois, lors d’un contact physique, le corps en autorité réalise un objectif éducatif au service des élèves.

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Summary

Physical contact between teachers and students can create a disturbing situation that shakes the life of the school. The task of being a teacher becomes more complex in that they run the risk of prosecution in the courts. Over the last few decades, many teachers have been brought to justice in cases of sexual assault. Union, in the educational community, have become quick to advise their members to refrain from any physical contact with their pupils in order to reduce the risk of criminal prosecution. Given this state of affairs, the question arises as to how is it possible to contribute to establishing clear procedures for the physical contact between pupils and teachers; procedures that could become a frame of reference to guide teachers who regularly use physical touch in their educational practices? For our part, we believe that this framework requires a professionalization of the physical contact, which will be discussed in this thesis.

The professionalization of physical contact between teachers and pupils brings us first to the field of ethics. It should be a priority to build an ethical standard that should govern the physical contact between teachers and pupils. What could this ethical standard be? What could the content be? We will refer to several theoretical and practical sources to construct this ethical standard of the use of physical touch in education. As part of this standard will establish the acceptable distance between two persons, we will first analyze the work of socio-anthropologists concerning rules that govern civility and social interactions. Given that this standard affects both judicial and legal aspects, we have also relied on legal and jurisprudential sources. Essentially, in order to establish this standard, we have taken into account the theories that relate to physical touch, professional distance, Canadian laws and rules, existing occupational codes and prosecution decisions regarding physical touch between a teacher and a student. Subsequently, we also examined the "good practices" of physical touch in occupations where manipulation of the body is essential.

All of this research will allow us to build an ethical standard that supports and gives a "professional" meaning to the physical touch between teachers and students. This norm can be perceived as an operational act that brings a body in a position of authority into contact with a body that holds a level of confidence in the other. In principle, these two bodies show each other respect by maintaining a fair or

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professional distance. However, during physical contact, the body in a position of authority obtains an educational objective that will essentially serve the student.

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Table des matières

Résumé ... iii

Summary ... v

Liste des tableaux ... x

Remerciements ... xii

Introduction ... 1

Chapitre premier ... 6

Problématique de la recherche ... 6

1.1. Le phénomène de la judiciarisation ... 7

1.1.1 La judiciarisation du milieu scolaire ... 8

1.1.2 Le rôle des juges ... 11

1.1.3 Les comités d’éthique issus des ordres professionnels ... 13

1.2 Les abus des touchers physiques ... 13

1.3 Les touchers physiques vus sous l’angle des agressions corporelles ... 15

1.3.1 La justification historique de la punition corporelle ... 16

1.3.2 La réprobation de la punition corporelle ... 19

1.4 Le recours à l’éthique dans les touchers physiques ... 25

Chapitre 2 ... 28

Définir le toucher physique ... 28

2.1 Qu’est-ce qu’un toucher physique ? ... 28

2.1.1 La diversité des touchers physiques ... 29

2.1.2 Les touchers physiques pédagogiques ... 31

2.2 La perspective socioanthropologique du toucher physique ... 34

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2.2.2 Les pratiques culturelles du toucher physique ... 38

2.2.2.1 Les touchers physiques dans la vie quotidienne ... 38

2.2.2.2 Les touchers physiques dans le milieu professionnel ... 40

Chapitre 3 ... 48

Une norme éthique ... 48

3.1 La norme ... 48

3.2 L’éthique ... 52

3.3 La norme éthique ... 56

Chapitre 4 ... 64

Définir la juste distance entre enseignants et élèves ... 64

4.1 L’enjeu de la juste distance ... 64

4.2 La distance entre individus dans les rapports professionnels ... 67

Chapitre 5 ... 78

L’encadrement légal des touchers physiques ... 78

5.1 Les dispositions de droit commun sur le toucher physique ... 78

5.1.1 La loi sur l’instruction publique ... 78

5.1.2 La loi sur la protection de la jeunesse et la Charte des droits et des libertés ... 85

5.1.2.1 La loi sur la protection de la jeunesse ... 85

5.1.2.2 La charte canadienne des droits et des libertés ... 90

5.1.2.3 L’article 43 du Code criminel ou la loi sur la fessée ... 93

5.1.2.4 Voies de fait (articles 264.1 et suivants du Code criminel) ... 97

5.1.2.5 Les attouchements sexuels (article 151 et suivants du Code criminel) ... 104

5.1.3 Les dispositions spécifiques des codes d’éthique ou de bonnes conduites ... 111

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5.1.3.2 Le contenu des codes d’éthique et de bonnes conduites ... 113

5.1.3.3 La critique des codes d’éthique et de bonnes conduites ... 121

Chapitre 6 ... 125

Les touchers physiques issus des poursuites pour attouchements sexuels... 125

6.1 La collecte des données obtenues ... 125

6.2 L’autorité, la confiance et le statut des enseignants ... 133

6.3 Analyse et critique des règles issues de la cause Audet ... 153

6.4 Les touchers physiques et la distance professionnelle ... 165

Chapitre 7 ... 178

Les touchers physiques issus des poursuites pour voies de fait ... 178

7.1 Les données collectées ... 178

7.2 La raisonnabilité depuis l’arrêt Brisson c. Lafontaine ... 181

7.3 La discipline et le rapprochement entre enseignants et élèves ... 189

7.4 Des sentiments inadmissibles lors des contacts physiques ... 196

Chapitre 8 : ... 202

Synthèse de la recherche ... 202

8.1. Les fondements de la norme éthique ... 202

8.2. L’étendue de la norme éthique ... 211

Conclusion générale ... 217

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Lois interdisant la punition corporelle dans les provinces canadiennes ... 22

Tableau 2 : Typologie du toucher physique dans les interactions entre enseignants et élèves ... 46

Tableau 3 : Récapitulatif des poursuites pour attouchements sexuels ... 131

Tableau 4 : Condamnations vs relaxes pour attouchements sexuels ... 132

Tableau 5 : Récapitulatif des poursuites pour voies de fait ... 179

Tableau 6 : Condamnations vs relaxes pour voies de fait ... 180

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Umuntu ngumuntu nqabantu1

Au contact des autres s’apprend l’humanité

Chinua Achebe

1 Expression de philosophie Igbo du Nigeria tirée de l’ouvrage The education of a British-Protected child. La

traduction française est celle faite de l’expression anglaise suivante : A human is a human because of other

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Remerciements

À mon Directeur de recherche, Monsieur Denis Jeffrey, Professeur titulaire à l’Université Laval.

Merci infiniment, pour ce savoir que vous m’avez permis d’expérimenter.

À Madame Liliane Portelance, Professeure titulaire à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Merci encore une fois pour tout le soutien que vous m’avez apporté tout le long de mon parcours.

À mes parents (Kouassi Monto et Ahoussi Abah)

Je vous remercie de votre soutien indéfectible dans la réalisation de ce travail.

À mon épouse et mon fils (N’Dia Chyleuh et Kouassi Monto)

Vous êtes pour moi un soutien et une source d’inspiration.

À mes frères et sœurs,

Loin des yeux, près du cœur, je vous remercie pour votre attention sans faille.

À mes amis et frères du Québec et du Canada

Ensemble, nous nous sommes promis de relever les plus grands défis, merci pour vos mots de soutien et d’encouragement.

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Introduction

Les rôles et les responsabilités des enseignants et des élèves ont évolué tout le long de l’histoire de l’éducation. On se souvient de l’époque où l’élève était perçu comme un «  enfant sauvage  ». Cette image contraste bien avec celle de «  l’enfant roi  », dont il faut aujourd’hui sacrifier aux caprices. Dans le cadre scolaire, l’autorité des enseignants s’est progressivement amenuisée tandis que les libertés des élèves ont augmenté. Le XXe siècle, qualifié de «  siècle de l’enfant  », lui a reconnu à cet effet, dans un

document conventionnel des Nations-unies du 20 novembre 1989, un ensemble de droits, dont celui d’une éducation de qualité2. Nombre de nations du monde entier entendent donc consacrer ces droits de

l’enfant au sein d’une éducation construite pour eux. En conséquence, il appartient à l’enseignant, l’ancien maître, de devoir justifier, sur le plan professionnel, le bien-fondé de ses actes dans toutes les interactions avec ses élèves. Nous entrons ainsi peu à peu dans l’ère de la professionnalisation des rapports entre les enseignants et les élèves en sortant du cycle de l’informel.

Devant cette réalité où l’enfant est survalorisé, il faut noter une inquiétude grandissante des enseignants lors des différents contacts physiques avec eux. Les enseignants se questionnent de plus en plus sur la façon d’interagir physiquement, d’une manière efficace, avec leurs élèves sans être taxé de leur manquer de respect ou de porter atteinte à la sacralité de leur personne. La tâche des enseignants devient complexe lors des contacts physiques avec leurs élèves en raison des accusations qui sont portées à leur endroit pour voies de fait ou même pour attouchements sexuels. Les touchers physiques au sein des rapports entre enseignants et élèves relèvent de plus en plus de la transgression de la sacralité de la personne de l’enfant, plus spécifiquement de la sacralité de leur corps. Plusieurs organisations syndicales du secteur de l’enseignement interdisent d’ailleurs aux enseignants d’entrer en contact physique avec les élèves pour contourner tous ces problèmes. Pour notre part, nous pensons que la professionnalisation des contacts physiques serait une solution envisageable pour la régulation des contacts physiques entre enseignants et élèves. Nous allons essayer de montrer, dans notre thèse, la pertinence de cette professionnalisation des pratiques physiques.

D’emblée, on doit savoir que l’enjeu de la professionnalisation des contacts physiques entre les

2 Convention relative aux de droits de l’enfant, New York 20 novembre 1989,

https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-11&chapter=4&lang=fr, consulté le 10 juillet 2016.

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enseignants et les élèves se trouve dans l’élaboration ou la définition d’une norme éthique qui encadre leurs pratiques. Cette norme doit bénéficier d’un fort consensus au sein des enseignants et des spécialistes du monde de l’éducation. Elle doit devenir une caractéristique consacrée de la profession. Par conséquent, la professionnalisation des pratiques se traduit en norme professionnelle ou en norme de la profession enseignante. Elle doit être en phase avec les valeurs contemporaines qui sont à la base du système d’éducation.

La norme qui encadre le toucher professionnel pourrait faire partie d’une éthique professionnelle spécifique pour les enseignants. L’éthique professionnelle est déjà un sujet qui occupe les chercheurs qui s’intéressent aux pratiques enseignantes. La fédération des syndicats de l’enseignement au Québec admet que «  La déclaration de la profession enseignante  » (2004) jette les bases d’un code d’éthique qui est censé orienter les enseignants dans l’idée qu’ils doivent avoir de leur responsabilité, voire de leur rapport avec tous les partenaires du milieu de l’éducation (FSE-CSQ, 2011 : 20). Les sujets qui sont abordés dans cette déclaration touchent à l’épanouissement des élèves, aux interactions interprofessionnelles, aux relations avec les parents, à la compétence professionnelle et à la mission sociale de l’enseignement (FSE-CSQ, 2011 : 20). La complexité de ces sujets éthiques donne du sens à la nécessité de devoir les compartimenter ou les segmenter pour mieux les comprendre. Par exemple, les questions éthiques relatives aux interactions interprofessionnelles seront différentes de celles touchant à l’épanouissement des élèves ou encore à la compétence professionnelle en classe, à la mission sociale de l’enseignement, etc. Cette complexité explique, dans une certaine mesure, pourquoi en dépit de cette déclaration, les difficultés éthiques demeurent toujours un problème actuel pour le milieu enseignant. Notre intérêt, dans cette thèse, est de toucher un aspect de la fonction enseignante dans lequel l’éthique a une valeur importante. Nous allons donc, fondamentalement, nous intéresser aux interactions physiques entre les enseignants et les élèves. En nous concentrant sur une seule dimension de la profession, nous nous donnons les chances de mieux saisir l’ensemble de ses spécificités.

Dans notre recherche doctorale, nous avons choisi de nous intéresser aux contacts physiques entre les enseignants et les élèves afin de déceler où sont les lacunes et de les prévenir. L’objectif de ce choix est de pouvoir déceler les bases pour établir une norme éthique pour les interactions physiques entre les enseignants et les élèves. Nous avons mené un travail de recherche et de réflexion sur l’ensemble des normes sociales, éthiques et juridiques qui encadrent les touchers physiques entre enseignants et élèves.

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Les données qui vont nous servir à construire la norme éthique des contacts physiques émanent essentiellement de quatre sources : 1. Les théories sur le toucher physique ; 2. Les touchers physiques en enseignement et dans d’autres professions ; 3. Les lois et règles canadiennes, les codes professionnels existants ; 4. Les décisions de justice sur les poursuites qui touchent aux touchers physiques entre un enseignant et un élève.

Dans le premier chapitre de la thèse, nous cadrons dans l’espace judiciaire le problème de l’analyse des contacts physiques entre les enseignants et les élèves. De plus en plus, les contacts physiques entre eux sont judiciarisés, car les enseignants sont très souvent convoqués devant les juges pour justifier le sens donné à un contact physique avec un élève. C’est un phénomène social qui se généralise et qui est au cœur des interactions entre enseignants et élèves.

Dans le chapitre deux, nous étudions en profondeur le concept de toucher physique. Nous insistons sur le caractère consubstantiel du toucher physique aux interactions habituelles de la vie en société. La signification culturelle des touchers physiques prend aussi une place importante. Le toucher physique a également une valeur socioprofessionnelle, en fait, selon les communautés professionnelles. Chez les médecins, les infirmiers et les masseurs notamment, les touchers physiques sont multiples, mais ils sont bien balisés. Nous sommes parvenus à scinder les touchers physiques en deux grandes catégories selon qu’ils sont admis ou non dans le milieu professionnel. Nous avons ainsi distingué les touchers professionnels ou éthiques des touchers criminels.

Au chapitre trois, nous analysons le concept de norme éthique. Nous avons insisté sur le rapport intrinsèque entre normes et valeurs. Les normes ont nécessairement une dimension axiologique qui fait qu’elles sont perçues de la même façon que les valeurs. Elles partagent les mêmes enjeux. Les normes éthiques sont évolutives au regard des situations du moment et de l’esprit des personnes en présence. Ces valeurs peuvent être formalisées dans des codes pour guider les acteurs professionnels. Nous nous sommes intéressés ici aux travaux du théoricien de l’éducation Prairat relativement au sens des normes éthiques. Nous avons aussi recherché à l’aide de travaux de recherches les préoccupations qui fondent les normes éthiques chez les enseignants.

Le chapitre quatre nous a amenés à évaluer le rôle de la distance professionnelle dans la quête de la norme éthique des touchers physiques entre enseignants et élèves. La quête de la juste distance a été

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perçue comme un enjeu qui conduit inexorablement vers l’établissement de la norme éthique des contacts physiques. Les travaux des socioanthropologues Erving Goffman et Edward T. Hall sur la distance interpersonnelle dans les espaces publics nous ont guidés sur cette question. Nous avons aussi examiné les travaux de Norbert Élias sur le sens des interactions sociales à travers les rites de civilités. Par la suite, au chapitre cinq, nous avons cherché la norme éthique pour les interactions physiques entre les enseignants et les élèves dans les lois et les codes d’éthiques qui existent déjà dans la profession enseignante. Étant donné que les codes d’éthique renvoient à la dimension législative, nous avons colligé et analysé les lois et les règles canadiennes qui concernent les touchers physiques entre un enseignant et un élève. Dans un but de comparaison, nous avons consulté ce qui se faisait dans d’autres pays où la profession enseignante est régie par des codes qui l’encadrent et qui se rapportent aussi aux interactions entre les enseignants et les élèves. Ces documents aident à connaître le sens et la portée donnés à ces interactions au plan professionnel. Ils permettent de voir ce que l’enseignant peut faire en tant que transmetteur de valeurs.

Le chapitre six concerne des accusations pour attouchements sexuels afin de déterminer la norme éthique qui encadre l’agir de l’enseignant lors d’un contact physique. Nous avons consulté plusieurs banques de données afin de recenser les causes retenues, dont celles de l’Institut canadien d’information juridique (Canlii); de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ); de Quicklaw, d’Azimut. Ces banques sont accessibles depuis le site web de la bibliothèque de l’Université Laval. Elles ont l’avantage de rendre publiques toutes les décisions ayant trait aux touchers physiques et impliquant un enseignant. Ces banques de données, au nombre de quatre, sont libres d’accès pour certaines et payantes pour d’autres. Nous avons analysé le regard des juges sur l’autorité et la confiance inhérents au rôle de l’enseignant. Nous avons relevé les principes fondamentaux que ces éléments entravent en ce qui concerne la présomption d’innocence et la vie privée des enseignants. À ce niveau du raisonnement, des arrêts importants ont guidé les analyses, notamment les arrêts Audet (25 janvier 1996) et Fournier (29 octobre 2009). Ils constituent des jurisprudences importantes en ce qui concerne les attouchements sexuels entre les enseignants et les élèves. Nous les avons accompagnés d’autres décisions au regard des analyses qui ont été menées et pour nous aider dans la recherche de la norme éthique des contacts physiques entre les enseignants et les élèves du fait de leur force argumentative. Le chapitre sept nous a amenés à exploiter les mêmes banques de données pour mener la recherche sur

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les accusations des enseignants pour voies de fait. Nous avons porté des analyses qui ont permis de constater que plusieurs valeurs légitiment l’ensemble des actions des enseignants. Ici, c’est une décision du 2 mars 1864, Brisson c. Lafontaine qui a servi de point d’appui aux analyses. Cette décision a jeté les bases des restrictions autour de l’intervention physique des enseignants. Elle a permis d’observer les valeurs préservées qui donnent des indications importantes dans la construction de la norme éthique des contacts physiques dans les interactions entre les enseignants et les élèves. Des décisions plus contemporaines dont les arrêts Guimont (13 octobre 2009) et Thérien (10 juin 2008) ont aussi permis d’envisager la raisonnabilité de la force employée lors du contact qui pourrait le légitimer ou le condamner. Certains sentiments ont aussi été observés comme constituant un frein à la légitimité d’un toucher physique à travers différents arrêts de justice, dont Joseph Dube (24 décembre 2012); Burtis (6 février 2012); JP c R (17 décembre 2007) Huard (20 novembre 2008). De façon générale, ces arrêts sont identifiés pour leur force argumentative.

Le chapitre huit de la thèse nous permet de revenir sur les fondements de la norme éthique recherchée. Nous rappelons l’importance des contacts physiques dans la vie sociale et professionnelle des êtres vivants en communauté, dont les personnes. Nous rappelons aussi le caractère délicat des contacts physiques dans la vie scolaire qui méritent que ceux-ci soient encadrés par une norme éthique afin de réduire les poursuites contre les enseignants. La norme éthique est finalement élaborée. Elle place le respect des acteurs en présence au cœur de sa construction. Elle préserve l’intégrité et la confiance des jeunes apprenants. Elle met finalement en avant un ensemble de valeurs auxquelles l’enseignant doit se familiariser dans son parcours professionnel et qui constituent sa conscience éthique.

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Chapitre premier

Problématique de la recherche

Ce travail de recherche vise à professionnaliser les touchers physiques par la construction d’une norme éthique susceptible d’établir ce que pourrait être un toucher physique professionnel dans les interactions entre les enseignants et les élèves. Nous utilisons ici les concepts de «  professionnaliser  » et «  professionnalisation  » en lien avec la norme éthique recherchée. Il s’agit d’un principe de base qui viendrait guider les décisions que va prendre l’enseignant confronté à une difficulté qui l’amène à intervenir physiquement ou qui sent que le contact physique peut être utile pour réaliser un objectif éducatif. La justification de son intervention sur cette base éthique va fonder des pratiques exemplaires. La communauté professionnelle d’enseignants pourra ainsi s’en inspirer pour légitimer des actes du même genre.

Notre intérêt pour cette recherche provient, au plan social, des conséquences malheureuses qu’ont vécu des enseignants accusés pour voies de fait ou attouchements sexuels alors qu’ils croyaient effectuer un banal toucher physique sur un élève. Il nous est apparu que les enseignants ne connaissaient pas les procédures pédagogiques, éthiques et professionnelles du toucher physique. Au plan scientifique, nombre de travaux de recherches que nous avons consultés montrent des bienfaits associés aux touchers physiques sans identifier comment garantir des contacts éthiques. Notre travail viendrait compléter qualitativement ces travaux en mettant en place la norme devant justifier des touchers utiles à la réalisation des besoins des élèves. Nous nous proposons de déterminer les meilleures pratiques professionnelles, en nous appuyant sur des considérations pédagogiques, éthiques, sociologiques et juridiques pour les touchers physiques entre enseignants et élèves. Le tout sera rassemblé dans une régulation qui constituera la norme éthique des contacts physiques de l’enseignant.

Nous nous sommes rendu compte que la judiciarisation croissante du milieu de l’enseignement permet d’avoir à l’étude des situations réelles de touchers physiques. La recherche de valeurs soutenant ces touchers peut servir à leur professionnalisation. En effet, plusieurs enseignants sont poursuivis devant les tribunaux afin de donner un sens professionnel à un geste d’intervention physique. La légitimation de ces gestes nous donne une ressource importante pour analyser, d’un point de vue éthique, la norme qui doit encadrer les touchers physiques des enseignants. Nous évoquerons cette réalité judiciaire, car

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elle est une source importante dans la quête de la norme éthique des touchers physiques.

Plusieurs travaux (Andrzejewski et Davis, 2008; Curby, Rimm-Kaufman, et Ponitz, 2009; Justice, Cottone, Mashburn, et Rimm-kaufman, 2008; Koles, O’Connor, et McCartney, 2009; Spilt, Koomen, et Mantzicopoulos, 2010; Thijs et Koomen, 2009; Wentzel, 2012) ont aussi mis de l’avant les bienfaits associés aux touchers physiques pour l’équilibre des jeunes apprenants. Toutefois, il n’y a pas seulement que des avantages liés aux touchers physiques dans les interactions entre les enseignants et les élèves. Plusieurs abus ont pu être commis par le truchement du toucher physique et nous le montrerons.

Au regard de cette réalité, il est essentiel de réguler ces touchers physiques afin de mieux identifier ceux qui comportent des avantages et dont peut prendre en compte la professionnalisation des enseignants. Dans cette action une perspective éthique aide à assoir les touchers qui sont perçus comme professionnels.

1.1. Le phénomène de la judiciarisation

Le terme de «  judiciarisation  » est de plus en plus utilisé pour désigner, et le plus souvent critiquer, la place croissante qu’occupe l’institution judiciaire dans la vie quotidienne des Canadiens, mais encore plus dans le système de protection de l’enfance (Serre, 2001 : 70). Cette judiciarisation renvoie, de manière générale, au processus au cours duquel «  un traitement juridique ou judiciaire se substitue à un autre mode de régulation sociale  » (Kaluszynski, 2005 : 3). L’on attribue cette judiciarisation du social à l’évolution des sociétés et au pluralisme des valeurs (Kaluszynski, 2005 : 7).

La judiciarisation se distingue de termes qui lui sont proches comme la juridicisation et la juridictionnalisation. Le premier désigne la multiplicité des règles juridiques et le second part du fait que la juridictionnalisation traduit mieux l’idée attribuée à la judiciarisation et devrait lui être substituée. Partant de la racine «  juridiction  » (dire le droit en public) la juridictionnalisation serait, pour certains, mieux à même de décrire le processus d’émergence d’acteurs sociaux qui prennent la décision de soumettre aux tribunaux, la légitimité de la définition de leur demande (Rojo, 2004 : 131). Il est donc question, ici, de l’intervention accrue des juges, soit qu’ils se prononcent dans les matières relevant traditionnellement de l’arbitrage des élus et des administrations publiques, soit qu’ils contrôlent davantage que par le passé, le comportement des responsables politiques; c’est finalement

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une arme discursive pour célébrer le rôle des juges dans l’accomplissement de l’État de droit (Roussel, 2003 : 14; 15).

Les conséquences de la judiciarisation font l’enjeu de débats. Pour les plus optimistes, sous le nom de la juridictionnalisation, ce phénomène oblige les tribunaux à prendre des décisions par rapport à des conflits qui, en demeurant l’objet de disputes politiques, pourraient rester sans solutions à défaut de dispositions légales qui contraignent l’État à se prononcer (Rojo, 2004 : 131; 132). De plus, les nouvelles interventions des juges dans des matières qui pouvaient ne pas leur être soumises proviennent, souvent, d’une tendance à déléguer le traitement d’une question aux acteurs judiciaires, plus que d’initiatives de ces derniers pour développer leur domaine de compétence (Roussel, 2003 : 17). Cela leur rendrait la tâche plus aisée dans la mesure où la décision fait écho et est revêtue de l’autorité de la chose jugée qui la rend obligatoirement applicable. Malgré cela, l’on convient que la juridictionnalisation d’un conflit est une façon de le désocialiser; elle place les acteurs sociaux dans une situation de citoyens atomisés (Rojo, 2004 : 132). Au Canada, cette tendance de plus en plus importante à la judiciarisation a été aussi comprise comme la conséquence directe de l’américanisation de la culture, à l’origine, plus communautaire; les Canadiens seraient devenus de plus en plus individualistes.

Quel est l’état de la situation dans le milieu scolaire ?

1.1.1 La judiciarisation du milieu scolaire

Toucher physiquement le corps d’autrui est en soi problématique. Goffman rapporte ces propos de jeunes filles apprenantes à l’égard de leur moniteur de Karaté de sexe masculin :

Lorsque le maître passe en revue ses élèves pour tester leurs abdominaux, il ne nous examine pas. Au bout de trois mois, il finit par oser toucher les petites de quinze ans, mais continue d’éviter les autres comme la peste. Il est clair que le maître, qui a vingt-cinq ans, ne peut nous considérer autrement que comme des femmes. Il ne saurait nous toucher que dans un but et dans ce but seulement (Goffman, 1991 : 45).

Plusieurs élèves et parents d’élèves recourent aux tribunaux pour trancher les conflits portant sur les cas de touchers physiques à l’école. Des enseignants, au Québec et au Canada, ont été poursuivis devant les tribunaux après avoir touché physiquement un élève. Ils devaient alors démontrer que leurs touchers ne constituaient ni une voie de fait ni un attouchement sexuel. Pour se prémunir des poursuites, les syndicats d’enseignants les invitent à éviter de toucher physiquement aux élèves. Or, ce

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n’est certes pas une réponse responsable, et les enseignants, surtout au primaire, vont tout de même continuer de toucher des élèves dans diverses situations éducatives et pour diverses raisons pédagogiques. Pour approfondir cette question, il convient d’étudier ces poursuites et d’en faire état à travers des cas concrets. À côté des règlements en cours, la présence d’institutions du type des ordres professionnels aide aussi à trouver une solution aux conflits des touchers physiques. C’est le cas avec la province de l’Ontario au Canada. L’ordre des enseignants de l’Ontario intervient aussi dans la recherche d’une solution dans le cas des problèmes liés aux touchers physiques.

La judiciarisation touche à un grand nombre d’activités enseignantes, principalement en éducation physique. Ici, plusieurs pratiques pédagogiques sont remises en cause. Pour atténuer les problèmes issus des contacts physiques, les syndicats québécois plaident pour l’évitement des touchers physiques entre élèves et enseignants. Nous avons l’exemple d’enseignants d’éducation physique qui ont d’ailleurs eu à s’expliquer devant les tribunaux concernant des touchers physiques qui ont été à la source d’une accusation. C’est le cas notamment de l’enseignant Henry Fournier, 51 ans, qui après 31 ans d’expérience a essuyé en 2009 plus de 38 chefs d’accusation pour agressions et contacts sexuels commis à l’endroit de 19 élèves filles âgées de 8 à 11 ans. Cet enseignant d’éducation physique enseignait à des élèves depuis la maternelle jusqu’en sixième année du primaire. Il était proche de ses élèves qu’il connaissait depuis la première année. Aussi répondait-il à leurs câlins, se souciait de leur procurer de la chaleur, d’être attentionné, de répondre à leur sourire, de créer avec elles des liens socioaffectifs, etc. Ce qui l’a amené à poser divers types de gestes impliquant des touchers physiques sur ces élèves. Il s’agissait, par exemple, des accolades, des câlins, des gestes d’épaules contre épaules, à autoriser ses élèves à s’assoir sur lui, à les chatouiller, à leur tapoter le ventre, à leur flatter le dos, à leur donner des petites tapes d’encouragement et à accepter leurs caresses. Ces gestes lui ont valu d’être poursuivi par les parents d’un groupe de 17 élèves qui l’ont accusé d’attouchements sexuels. Il sera finalement acquitté. Le cas de l’enseignant Fournier n’est pas unique et les enseignants d’éducation physique ne sont pas les seuls à être poursuivis. Cette situation concerne tous les enseignants. Nous y reviendrons.

Âgée de 55 ans, Madame Hélène Guimont, enseignante de français sans aucun antécédent judiciaire, est accusée de voies de fait sur l’un de ses élèves. Durant une journée de prise de photos, les élèves reçoivent la consigne de descendre calmement sans perturber les autres classes en cours. Un élève X, qui est en première secondaire n’obéit pas à la consigne. Il taquine ses camarades et reçoit à deux

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reprises une mise en garde de son enseignante. Il est finalement conduit en retenue en guise de mesure disciplinaire. À son retour en classe, l’élève X rencontre dans les couloirs son enseignante et se met à maugréer à son endroit. Elle ne sait pas exactement ce qu’il dit, mais peut se rendre compte qu’il s’agit de paroles haineuses. Elle ne peut l’accepter et le juge inadmissible. L’enseignante admet donc lui avoir mis les mains sur l’épaule et lui avoir dit «  ça suffit  ». Elle justifie son geste par l’impolitesse de l’élève X. À la question de savoir si l’enseignante a commis des voies de fait à l’encontre de son élève, la réponse a été affirmative. Sur ce point la jurisprudence est claire : «  tout attouchement non souhaité, quelque minime que soit la force employée est criminel  ». Cependant, la cause Canadian Foundation de 2004 a beaucoup atténué cette rigueur en posant aussi que : «  l’emploi d’une certaine force contre autrui n’indique pas toujours une voie de fait au sens du droit criminel.  »

Les juges ont aussi admis que la loi doit empêcher la punition de certains comportements qui ne méritent pas qu’on les punisse en raison de leur caractère minimal3. Le geste de l’enseignante Guimont

a donc été admis comme s’étant produit dans le contexte scolaire pour marquer avec plus de fermeté que ne l’aurait fait la parole. Cette voie de fait minimale n’a pas été sanctionnée, car elle a été jugée comme destinée, pour l’enseignante, à se faire respecter et à faire respecter les consignes, soit que le retour en classe devait se faire calmement sans contrarier son enseignant.

Ces cas, parmi d’autres, montrent comment dans divers contextes, les enseignants peuvent être poursuivis pour avoir touché physiquement leurs élèves. Dans des cas de poursuites contre les enseignants, les juges font valoir un ensemble de normes juridiques, mais aussi éthiques et sociales qui constituent certainement une orientation pour la professionnalisation des pratiques enseignantes. Ils donnent bien l’image qu’ils voudraient avoir de l’enseignant professionnel.

Cependant, il faut mentionner que le recours constant, voire intempestif aux tribunaux est, en lui-même, un problème qui affecte la stabilité du système éducatif. La judiciarisation en milieu scolaire vise à substituer à toute résolution scolaire des différends, une résolution judiciaire (Jeffrey et al., 2009). Le milieu de l’éducation est aujourd’hui confronté à ce problème qui témoigne d’un ensemble de difficultés endémiques, car les motivations à la base des poursuites sont bien souvent insignifiantes, voire banales.

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Le phénomène de la judiciarisation du monde éducatif donne naissance à une forme d’insécurité morale chez les enseignants même s’ils sont à priori présumés innocents. La judiciarisation a nécessairement un coût pour les enseignants. Outre les pressions psychologiques, c’est bien souvent qu’en raison des démêlés avec la justice, leur solde est suspendu. Certaines fois, ils n’ont plus le moral nécessaire pour revenir dans la même profession et décident de changer de carrière. Cet état de fait conduit des enseignants à se mettre à l’abri des surprises judiciaires en se couvrant d’une sorte d’assurance responsabilité. On comprend donc que dans un climat de judiciarisation intempestif, le rôle des juges est important.

1.1.2 Le rôle des juges

Le juge est sensible, lorsque l’on a recours à lui, à plusieurs aspects qui touchent au statut de l’enseignant, dont la confiance de fait dont jouit un enseignant. Il lui apparaît que l’enseignant ne saurait trahir la confiance que son établissement, les parents d’élèves, les élèves eux-mêmes lui vouent. L’analyse de cette confiance est influencée par plusieurs variables qui méritent d’être connues. La connaissance des facteurs susceptibles de conduire à un manque de confiance devrait aider nécessairement au développement des compétences de l’enseignant.

La réputation de l’enseignant est aussi une autre valeur considérée par le juge. Elle pourrait être vue comme celle de l’institution qu’incarne l’enseignant. En effet, l’enseignant doit par ses attitudes et ses actions parvenir à maintenir une réputation qui n’entrave pas l’idée ou l’opinion que l’on ait du «  bon enseignant  » à l’image du classicisme «  bon père de famille  » ou de nos jours du «  bon citoyen  ». Cependant, cette réputation ne devrait pas être, non plus, exaltée pour mettre à la charge de l’enseignant des obligations impossibles à réaliser, c’est-à-dire des comportements que plus personne n’adopte de nos jours dans la société. La réputation de l’enseignant est, dans une certaine mesure, rattachée à la confiance qu’on lui voue. La lecture que le juge va faire des actions de l’enseignant en lien avec sa réputation peut orienter le corps enseignant quant à des compétences utiles à la réalisation des missions de sa profession. Cela permettra ainsi de se faire une idée claire du bon enseignant quand il est question des touchers physiques.

L’autorité de l’enseignant est aussi un sujet d’analyse de la part des juges. En effet, dans le cadre de sa profession, l’enseignant est le récipiendaire d’une autorité morale et intellectuelle : en fait d’une autorité professionnelle. La préservation de cette autorité est fondamentale pour la réalisation de sa

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mission. Une connaissance des décisions des juges sur l’autorité professionnelle nous fournira des éléments pour établir une norme éthique pour la réguler. Le respect des élèves est aussi un sujet de grande importance dans la réalisation de la mission de l’enseignant.

La responsabilité de l’enseignant fait partie des valeurs que le juge met à l’épreuve dès lors qu’il est saisi dans une cause. Plusieurs facteurs d’ordre textuels ou factuels influencent également son action. Une bonne compréhension par les enseignants des décisions judiciaires pourrait éventuellement contribuer à renforcer leur développement professionnel. La responsabilité de l’enseignant sur ce point est prioritairement perçue sous une responsabilité éducative. Il doit être à même de pouvoir mieux évaluer cette responsabilité avec la réalité matérielle que peut induire sa profession.

Plusieurs actions peuvent compromettre ces valeurs. Les juges ont un regard, une perception de ces valeurs qui doivent être connus des enseignants. Une connaissance de ces analyses faciliterait le développement de comportements professionnels exemplaires pour les contacts physiques. En conséquence, l’enseignant pourrait mieux réussir son rôle et sa mission. De façon générale, on pourrait entrevoir un aperçu des valeurs protégées dans les motivations des juges et se situant à la base de leurs décisions. Plusieurs valeurs pourront ainsi émerger de l’étude des décisions que nous allons ici analyser. Les résultats de nos analyses peuvent contribuer à redéfinir les liens séculaires entre enseignants et élèves pouvant être perçus comme fautifs. Le retranchement des enseignants dans une distance défensive est souvent la marque d’une «  panique morale  » qui caractérise toute la peur qui entoure aujourd’hui les touchers physiques dans la relation enseignant et élève. Cette observation aurait même amené à penser que, finalement, c’est cette «  panique morale  » qui définit et éconduit notre compréhension des enfants et la façon dont nous interagissons et nous nous rattachons à eux (Heather, Taylor, et Garratt, 2012 : 334).

La complexité des sources normatives de référence amène à mettre en évidence la question suivante : comment toucher physiquement un élève ? C’est pourquoi le travail que nous réalisons a une portée pratique, puisqu’il vise à insister sur des pratiques exemplaires pour toutes interactions entre enseignants et élèves où il y a contacts physiques. La question de la professionnalisation ou la normalisation des touchers physiques prend ici tout son sens.

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1.1.3 Les comités d’éthique issus des ordres professionnels

La question d’un ordre professionnel dans le milieu enseignant alimente énormément les antagonismes entre les acteurs de ce domaine (Tardif et Gauthier, 1999). Cette question n’est pas exclusive au Québec. En 2013, le journal Le Monde rapporte qu’en Hongrie, des syndicats ont initié des marches contre l’instauration d’un ordre professionnel dans le cadre d’une réforme du secteur de l’éducation. Les comités d’éthique tels qu’ils sont envisagés par la même réforme avaient un rôle précis. Selon des auteurs du milieu scolaire, il s’agissait entre autres de punir tous les enseignants qui ne se conformeraient pas aux règles organisant la profession (Congiu, 2013).

Au Québec, aucun cadre, à l’heure actuelle, en dehors de la loi sur l’instruction publique, ne régit la profession enseignante. Toutefois, plusieurs auteurs reconnaissent que dans nombre de pays anglo-saxons, l’enseignement est une profession en bonne et due forme (Jutras et Gohier, 2009). On la distingue par un ensemble de caractéristiques qui lui confère sa professionnalité. Il s’agit notamment de la spécificité de ses actes, de sa nature altruiste, de sa forme impliquant une activité intellectuelle, de la formation universitaire qu’il requiert, de l’autonomie et la responsabilité dans l’exercice de la profession et dans la prise de décision.

La particularité des ordres professionnels est de mettre en place un comité d’éthique pour le règlement des conflits comme il est donné de voir en Ontario. Dans le cas qui nous concerne, nous n’avons pas insisté sur les décisions rendues par ces comités et avons fait le choix des arrêts pris par les tribunaux ordinaires. La raison de ce choix est de ne pas limiter seulement aux enseignants appartenant à cet ordre la portée ou les effets des décisions qui seront observées. Les décisions des tribunaux ont vocation à toucher l’ensemble des enseignants.

1.2 Les abus des touchers physiques

Plusieurs problèmes émanent des abus des touchers physiques. On peut nommer les cas de violence ou voies de fait et d’abus sexuels à titre d’exemple. Nombre de situations impliquant des touchers physiques ont ainsi pu être identifiées comme des infractions auxquelles s’attaque la société. Les codes criminels se font l’écho de l’ensemble de ces situations et préviennent les individus contre leur accomplissement. Certains us et coutumes, valeurs sociales jouent aussi le garde-fou contre des actes relatifs aux abus des touchers physiques.

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Dans le Code criminel du Canada, on retrouve plusieurs infractions qui se rattachent à un toucher physique. L’un des objectifs des dispositions de ce document est d’ailleurs de préserver l’intégrité physique des individus contre toutes les formes possibles d’abus. Les choix de réprobation du Code pénal sont bien souvent validés par un principe moral sous-jacent (Tarde, 1988). Ce document se sert du consentement de la personne touchée pour valider ou invalider le bien-fondé d’un contact physique. Dans certaines situations particulières, ce consentement ne suffit plus. C’est le cas lorsque l’on est face à des mineurs. La loi détermine les touchers corporels admis ou non sur les mineurs. La préservation de l’intégrité physique des personnes amène le législateur à limiter la liberté des uns et des autres dans leur rapport au corps d’autrui. C’est aussi le cas des coups et blessures, de la violence conjugale, des voies de faits, des attouchements sexuels, de tous les actes attentatoires à l’intégrité physique et pouvant causer des dommages physiques et même conduire à la mort.

Des lois encadrent les touchers physiques dans diverses professions. Prenons le cas des soins infirmiers. La littérature scientifique nous instruit que le toucher physique est une réalité au cœur de cette pratique. St Pierre et Vinit (2006) dans une revue scientifique sur la question ont montré différentes perceptions qui caractérisent les touchers chez les infirmiers. Ainsi nous avons l’exemple des touchers de sollicitude; des touchers reliés à la tâche, et des touchers de protection (opposés aux touchers de sollicitude) avec Estabrooks (1989) et Estabrooks et Morse (1992), cités par St Pierre et Vinit, (2006). L’exemple de Chang (2001) est aussi rapporté dans cette étude avec les touchers de promotion du confort physique; touchers de promotion du confort émotionnel; touchers de promotion du confort corps esprit; touchers de partage spirituel et touchers reliés à l’exercice d’un rôle social, (St Pierre et Vinit, 2006). Les exemples sont légion dans des disciplines qui ont pour objet le corps ou l’interaction des personnes, notamment la danse, la massothérapie, la médecine, la sécurité, l’enseignement, etc. L’attention dont bénéficie l’intégrité physique des personnes porte à croire en la sacralité du corps humain. Le principe sacré qui entoure le corps humain empêche qu’une personne puisse même disposer de son corps selon son bon vouloir. D’ailleurs, tous, nous avons un pouvoir limité sur notre propre corps. C’est le cas, par exemple, du suicide qui n’est pas accepté. La société se bat pour le décourager.

La complexité des contacts physiques dans la vie professionnelle pose des cas de conscience qui amènent certains professionnels à se fixer des principes à ne pas outrepasser. Dans le cas des soins de fin de vie, par exemple, un médecin peut valablement refuser d’appliquer les gestes physiques

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conduisant au décès du patient par principe personnel. Tout sera alors mis en œuvre pour trouver un professionnel qui accepterait de bien vouloir accomplir le soin litigieux selon les termes de l’article 31 de la loi québécoise. Pour renforcer le dilemme de ce choix, Ottawa a déjà recommandé aux médecins de respecter scrupuleusement les dispositions du Code criminel (Marin, 2014).

Les us et coutumes, les valeurs sociales ont aussi une influence sur la gestion du corps humain dans la société. Certains types de gestion du corps humain seront moins acceptés que d’autres. Au Québec, par exemple, bien que non illégale, la prostitution est perçue comme une violence faite aux personnes, et surtout aux femmes et aux enfants. Par conséquent, plusieurs actions sont entreprises pour aider tous ceux qui voudraient s’en sortir. Les pouvoirs publics prennent aussi plusieurs mesures pour en limiter le développement. En réalité, les actes contribuant au développement de la prostitution sont considérés comme contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Les touchers physiques issus de ces pratiques ne semblent pas admis aisément dans les différentes communautés humaines.

Outre la prostitution, on peut considérer que c’est aussi plusieurs actes impliquant un toucher physique dont, les arrestations policières, la punition corporelle, les scarifications, les tatouages, etc. qui sont souvent critiqués ou stigmatisés par le sens commun dans une société ou une autre. Il n’en demeure pas moins que dans un cadre professionnel, face aux abus, c’est l’éthique qui contribuera à garantir les bonnes pratiques inhérentes aux touchers physiques. Elle sert de gage à une professionnalisation des touchers devant être appliqués par l’agent en exercice.

En matière d’éducation au Québec et au Canada, l’un des problèmes que suscite l’intervention physique est lié à la punition corporelle raisonnable. Les opinions sont divergentes quant au fait de maintenir ou d’annuler l’article 43 du Code criminel qui légitime la fessée raisonnable dans l’éducation des enfants.

1.3 Les touchers physiques vus sous l’angle des agressions corporelles

Vu sous l’angle de la punition, le toucher physique est une réalité qui a marqué l’histoire de l’éducation. Prairat a écrit à ce sujet que l’acte de punir est contemporain à celui d’éduquer comme si l’un et l’autre s’étaient pensés dans une intime complémentarité (1994 : 7). Cependant, l’opinion publique contemporaine est divisée sur la punition corporelle en éducation. Elle a pu bénéficier de

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soutiens positifs pendant de nombreuses années alors que plusieurs esprits se sont élevés contre cette forme d’éducation au regard de ses dérives.

1.3.1 La justification historique de la punition corporelle

Dès la naissance des écoles et jusqu’au début de notre siècle, le fouet a été inséparable de la discipline dans la plupart des écoles d’Angleterre. Au XVIe siècle, on remettait un fouet au professeur le jour de son installation (Prairat, 1994 : 15). Certains penseurs tels que Locke ou encore Brinsley s’étaient même ouvertement prononcés en faveur de la flagellation (Scott, 2005 : 96). Prairat rapporte, à cet égard, cette phrase du célèbre pédagogue Heinrich Pestalozzi (1746 – 1827) lorsqu’ayant en charge l’éducation d’une centaine d’orphelins il s’exprime déjà à propos de l’utilisation du châtiment corporel : «  Mes gifles n’ont (…) pu faire aucune mauvaise impression sur mes enfants, parce que j’étais toute la journée au milieu d’eux avec toute la pureté de mon affection, et que je me dévouais entièrement à eux  » (2003 : 28).

L’histoire de la punition est ainsi marquée par une préférence pour le fouet par rapport à d’autres moyens, dont l’usage de la main pour frapper un élève. Le contact direct ne semblait pas le plus admis. En effet, jusqu’à la fin du XVIe siècle, la grande majorité des règlements mentionne le fouet et le fait

apparaître au milieu d’un ensemble d’instruments disciplinaires (Prairat, 1994 : 15). Le règlement des écoles de charité de Moulins stipulait par exemple que pour châtier les enfants, on ne les frapperait jamais de la main encore moins du pied, mais on se servira uniquement d’un fouet de parchemin (Prairat, 1994 : 15). On réfutait ainsi la main en faveur de la férule. Certaines pratiques n’étaient donc pas cautionnées quand bien même elles constituaient une punition corporelle. Elles étaient considérées comme barbares et inciviles. Il était ainsi de principe qu’on ne doive jamais frapper les écoliers de la main, du pied, ni de la baguette, et il est même tout à fait contre la bienséance de tirer le nez, les oreilles ou les cheveux et encore plus de pousser rudement un élève ou de le tirer par le bras (Prairat, 1994 : 56). Ainsi, même permise, la punition corporelle semblait bénéficier d’un certain encadrement déjà à cette époque.

Les sources justificatrices des châtiments corporels étaient dans la bible, mais aussi dans les traditions féodales ancrées dans le patriarcat. Il s’agit, en l’occurrence, du droit du régent, hérité du pouvoir paternel, de réprimer les élans de l’enfance et de l’efficacité didactique des coups pour accélérer l’apprentissage (Prairat, 1994 : 17). Des raisons de discipline, de comportement antisocial

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(intimidation, mensonges, manque de remords, etc.) sont ainsi bien souvent associées au recours à la punition corporelle (Durrant, 2005 : 70). À ce sujet, par exemple, des études en Afrique du Sud ont révélé qu’avant la période de l’indépendance en 1994, la discipline était maintenue dans les écoles grâce à la punition corporelle (Maphosa, 2011 : 78). Dans plusieurs pays, encore aujourd’hui, sans la discipline corporelle, les enseignants pensent que leur autorité ne serait pas reconnue.

À travers ses différents travaux, Prairat (1994 : 57) a pu distinguer diverses formes de punition dans lesquelles il a évalué la place qu’ont pu prendre les touchers physiques. Il a identifié quatre grandes formes de punition dans l’histoire de l’éducation. Il s’agit, en l’occurrence, de la punition-expiation, de la punition-signe, de la punition-exercice et de la punition-bannissement (Prairat, 1994 : 277). Ces quatre formes de punitions sont en lien avec le toucher physique dans la mesure où elle place le corps au centre des enjeux d’apprentissage. La punition-expiation ou corps châtié vise le corps en tant que chair. C’est un châtiment corporel qui fait expier la faute par la douleur (Prairat, 1994 : 65). La punition-signe : elle consiste dans l’abaissement par humiliation de l’élève qui, en portant le bonnet d’âne ou un autre accessoire ridicule, montre qu’il a commis une faute. Le corps est le lieu d’inscription du délit ou du manquement (Prairat, 1994). La punition exercice ou corps vise à corriger une anomalie par la répétition du geste voulue. La punition-bannissement signifie qu’à défaut de pouvoir vaincre un esprit, on évince un corps (Prairat, 1994 : 76). C’est le lieu du renvoi de la classe ou de l’exclusion d’une activité.

Certaines théories interventionnistes ont favorablement accueilli la punition corporelle dans l’esprit de mieux éduquer le jeune apprenant. Pour ce courant de pensée, la punition corporelle est fondamentale pour dresser les jeunes enfants. Mais, dès que l’enfant a atteint l’adolescence, elle deviendrait inefficace et serait même perçue comme une humiliation (C. H. Wolfgang et Glickman, 1986 : 174). De plus, pour légitimer la punition, l’enseignant devait distinguer entre le comportement intentionnel et non intentionnel. Ce qui signifie que l’enfant qui viole une règle ne doit être puni uniquement que si la faute est prouvée. En fait, c’est seulement lorsque l’on lui demande d’y mettre fin et qu’il persiste qu’il s’expose à une correction. La correction pourrait être plus importante lorsque l’enfant défie l’autorité du maître (C. Wolfgang et Solving, 1986 : 174). Pour recouvrer la discipline ainsi menacée dans le giron de la classe, l’enseignant se doit d’agir non dans un esprit de vengeance, mais dans un esprit de justice. Suivant ce mode de pensée, lorsque l’enseignant se rend compte que l’enfant confronte ouvertement son autorité, il se doit d’agir en trois étapes :

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1. Mettre l’enfant hors de la vue des autres élèves; 2. Dire à l’enfant pourquoi il sera puni;

3. Lui donner une correction sur la partie appropriée des fesses (une fessée).

Pour marquer le caractère assez particulier de la fessée, Dobson a même élaboré une alternative à la fessée, à savoir, le fait de serrer le muscle de l’épaule (C. H. Wolfgang et Glickman, 1986 : 175). Juste à la suite de cette étape, il faut consoler, conforter et donner de l’affection à l’enfant. Engelsmann soutenait la punition physique, car selon lui, il faut forcer les apprenants à avoir une attitude adéquate (C. H. Wolfgang et Glickman, 1986). Il s’agit donc en tout état de la question, d’un système rationnel d’apprentissage. C’est pourquoi la discipline et l’affection ne sont pas antinomiques. L’un devrait normalement être fonction de l’autre (Dobson, 1970 : 29). Suivant ce principe de pensée également, la meilleure opportunité pour communiquer intervient après la punition. Il faut traiter, à ce moment, l’enfant avec respect et dignité et exiger la même chose de lui en retour.

Dans les sociétés africaines, les recherches montrent que l’usage du fouet a longtemps fait le quotidien des élèves de la part de leurs enseignants. Comi Toulabor a donné une description des punitions corporelles en vogue dans les établissements scolaires togolais. Parmi celles-ci, il y a la «  fessée  » (egbime popo) (Bayart, 2008 : 124). Selon nombre de témoignages, cette punition corporelle était parfois l’exigence des parents et rendait les enseignants africains souvent plus sévères que leurs collègues européens (Bayart, 2008 : 138). Dans les écoles coraniques, «  les moments étaient nombreux où, poussé dans une colère frénétique par la paresse ou les bévues d’un disciple, il [le maître] se laissait aller à des violences d’une brutalité inouïe  » (Kane, 2007).

Dans cette emblématique relation éducative africaine entre Samba Diallo et son maître Thierno Bokar4, le maître pouvait, par exemple, donner une «  pince du pouce et de l’index, longuement sur le gras de la cuisse de l’élève  » (Ndoye, 1991).

4 Samba Diallo est l’héroïne de l’ouvrage à la fois romanesque et philosophique de Cheick Hamidou Khane,

L’aventure Ambigüe. Dans ce classique d’Afrique noire francophone, la relation éducative entre Samba Diallo et

son maître, Thierno Bokhar reste perçue comme un exemple des punitions corporelles dont les jeunes apprenants pouvaient faire l’objet dans les apprentissages pour la vie d’adulte.

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1.3.2 La réprobation de la punition corporelle

La grande majorité des penseurs contemporains excluent la punition corporelle de toute forme d’éducation efficace. Toutefois, dans la population, la punition corporelle semble encore aujourd’hui recevoir une certaine légitimité. Selon Durrant et Ensom, la punition corporelle fait référence à des actions de violence à l’encontre des enfants. En témoigne les verbes d’action suivants qui expriment cette punition : fesser, gifler, frapper, forcer à s’agenouiller sur des objets durs, déposer des substances infectes dans la bouche (2004 : 1). Il est devenu interdit «  de lui apprendre une leçon par la force physique et la douleur  » (2004 : 1). Il y a une vingtaine d’années auparavant, ces formes d’éducation étaient encore admises (Durrant et Ensom, 2012 : 1373).

Dans une étude sur les indicateurs des attitudes des adultes en faveur de la punition corporelle, Gagné, Tourigny, Joly et al soutiennent que sur 1000 répondants du Québec, la majorité est en faveur de la punition corporelle (2007). Ils révèlent qu’ils emploient cette méthode malgré le risque potentiel de dommages que cela pourrait avoir sur l’enfant. Les travaux de Durrant et ses collaborateurs ont aussi recueilli des résultats similaires. Ils ont relevé l’ambiguïté de l’interprétation du caractère raisonnable de l’intervention physique dans l’éducation de l’enfant (Durrant, Trocmé, Fallon, Milne, et Black, 2009 : 65). Alors que plusieurs lois ou règlements provinciaux interdisent formellement la punition corporelle5, le Code criminel autorise sous certaines conditions, l’emploi de cette intervention dans le contexte de l’éducation (Durrant et al., 2009 : 65). Toutefois, le flou autour du concept du caractère raisonnable de l’action devrait militer en faveur de l’interdiction de cette punition.

Selon les travaux de Peter Newell, en Europe, c’est au XVIIIe siècle, en 1783, que la Pologne initie le cycle d’interdiction des punitions corporelles dans les écoles (Newell, 2005 : 42). Elle fut suivie en cela dès le XXe siècle par la Russie. Aujourd’hui, la plupart des pays de ce continent ont voté des lois pour interdire purement et simplement cette pratique à la suite de la Suède en 1979. Soulignons à cet effet que des lois anti fessées ont été votées : en 1983 pour la Finlande, en 1987 pour la Norvège, en 1989 pour l’Autriche, en 1994 pour Chypre, en 1997 pour le Danemark, en 1998 pour la Lettonie, en 1999

5 Dans une étude de l’UNESCO, Peter Newell rapporte que la punition corporelle a été prohibée dans les écoles

publiques de diverses provinces du Canada dont la Colombie Britannique, le Québec, la Nouvelle Écosse, le Nouveau Brunswick, le Yukon, Terre Neuve, L’île du Prince Edward, Les Territoires du Nord Est et Le Nunavut (Newell, 2005: 41).

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pour la Croatie, en 2000 pour l’Allemagne, en 2000 pour la Bulgarie, en 2003 pour l’Islande, en 2004 pour l’Ukraine, la Roumanie et le Portugal, en 2005 pour la Hollande, et la Hongrie, en 2006 pour la Grèce, en 2007 pour l’ Espagne, en 2009 pour la Moldavie et le Luxembourg, en 2010 pour la Pologne6. Ce n’est pas le cas aux États-Unis avec certains États comme la Floride.

Aux États-Unis, alors qu’en 2005 près de 28 États avaient aboli la punition corporelle (Durrant, 2005 : 55), en Floride, le Sample policy on ethical conduct of instructional personnel and school

administrators, document d’orientation de l’édiction des règles au sein des établissements scolaires ne

la renie point :

Pursuant to section 1002.20 (4) (c), Florida Statutes, corporal punishment of a public school student may only be administered by a teacher or school principal within guidelines of the school principal and according to district school board policy. If corporal punishment is used, it must be administered in accordance with section 1003. 32 (1) (k), Florida Statutes.

Ainsi, la punition corporelle, bien que non interdite selon le principe de l’autorité de l’enseignant, est tout de même rigoureusement encadrée. Elle est prévue à priori dans les établissements publics. Cet encadrement de la punition corporelle répond aux obligations suivantes selon la section 32 de la 2011 Florida statutes : l’enseignant devrait donc :

(k) use corporal punishment according to school board policy and at least the following procedures, if a teacher feels that corporal punishment is necessary:

1. The use of corporal punishment shall be approved in principle by the principal before it is used, but approval is not necessary for each specific instance in which it is used. The principal shall prepare guidelines for administering such punishment, which identify the types of punishable offenses, the conditions under which the punishment shall be administered, and the specific personnel on the school staff authorized to administer the punishment.

2. A teacher or principal may administer corporal punishment only in the presence of another adult who is informed beforehand, and in the student’s presence, of the reason for the punishment.

3. A teacher or principal who has administered punishment shall, upon request, provide the student’s parent with a written explanation of the reason for the punishment and the name of the other adult who was present.

Figure

Tableau 1 : Lois interdisant la punition corporelle dans les provinces canadiennes
Tableau 2 : Typologie des touchers physiques dans les interactions entre enseignants et élèves  Types de  touchers  physiques  But  Contexte  Touchers  criminels
Tableau 3 : Récapitulatif des poursuites pour attouchements sexuels
Tableau 4 : Condamnations vs relaxes pour attouchements sexuels   Années  Condamnations  Relaxes
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