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Vers un Livre blanc européen de la sécurité et de la défense : entre "objet non identifié et fenêtre d'opportunité"

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Vers un Livre blanc européen de la sécurité et de la défense :

entre « objet non identifié » et fenêtre d’opportunité.

(Revue internationale et stratégique, IRIS, paris, été 2011)

André Dumoulin

Attaché à l’Ecole royale militaire (ERM), Bruxelles. Enseignant à l’Université de Liège.

Membre du Réseau multidisciplinaire d’études stratégiques (www.rmes.be). Ce document n’engage pas les institutions de rattachement.

La Stratégie européenne de sécurité (SES) mise à jour en 20081 devrait nous interpeller. En

effet, nous pouvions nous attendre à y trouver quelques pistes à propos d’un « dictionnaire », un mode d’emploi réunissant lecture stratégique, concept de sécurité, définition de l’outillage collectif et planifications budgétaires communes. Il y a bien aujourd’hui, à travers la Politique européenne de sécurité et de défense commune (PSDC), des objectifs de capacité, des missions dites de Petersberg, des unités mises à la disposition de l’UE sur appel (Headline goal ; Battlegroups), des déclarations politiques solennelles, des programmes autour de l’Agence européenne de Défense ; mais il n’y a pas encore de modèle de défense partagé. Si le premier cadre a vu le jour par une actualisation de la Stratégie européenne de sécurité, le second champ d’investigation est plus délicat et doit être défriché.

En effet, derrière lui se dissimule la notion de « Livre blanc » européen de la sécurité et de la défense. François Géré définit le « Livre blanc de défense » comme un document officiel, de périodicité variable, dressant un bilan de la situation géostratégique, faisant état des ressources – disponibles et en développement – et indiquant les missions des forces armées, s’accompagnant parfois d’indications sur les axes de développement pour l’avenir, intégrant quelquefois les buts stratégiques, la conception du rôle des forces armées en jouant même parfois le rôle d’un manifeste déclaratoire de la doctrine stratégique. Le livre blanc est bien entendu aussi une construction sociale de la réalité politique. En tant qu’énoncé de sécurité, il est, en effet, un acte de langage émis par les autorités, afin de signaler à l’opinion, les menaces perçues contre ses intérêts vitaux (Ole Waever).

En sorte que le Livre blanc européen devrait avoir pour objet de préciser comment et avec quels moyens la SES doit être mise en œuvre.

En vérité, introduire un Livre blanc européen apporterait bien des avantages, à savoir : - garantir une mise en œuvre satisfaisante de la Stratégie européenne de sécurité ;

1 Cf. Sven Biscop et Jan Joel Anderson, The EU and the European Security Strategy, Routledge, 2007 ; Sven

BISCOP, The European Security Strategy, Ashgate Publishing Limited, 2010 ; André Dumoulin, « La sémantique de la « stratégie » européenne de sécurité. Lignes de forces et lectures idéologiques d’un préconcept », dans Annuaire français de relations internationales 2005, Centre Thucydide, Université de Paris 2, Bruylant, Bruxelles, 2005.

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- aider à la réalisation d’éléments spécifiques : doctrine européenne intégrée, définition politique de la dissuasion, stratégie des moyens, …

- informer l’opinion publique, les assemblées parlementaires et les parlements extérieurs à l’UE, pour leur expliquer les objectifs généraux de la PESD ;

- constituer une source d’inspiration utile pour les États membres qui envisagent de poursuivre l’adaptation de leurs forces armées ;

- interagir avec les programmations militaires pluriannuelles et les programmes R&D et R&T de l’Agence européenne de défense ;

- renforcer les politiques de mutualisation dans le domaine de la défense et des opérations de gestion de crise ;

- aider les industriels à déterminer les lignes de forces en matière d’équipements dans le cadre collectif ;

- accroître la coopération, la cohérence et l’efficience au plan européen par la définition collective de priorités et de visions partagées, la formation des Européens à une culture commune ;

- stimuler le dialogue de coopération avec les États partenaires et surtout avec les alliés nord-américains et le Congrès de Washington.

Ballons d’essai anciens

L’idée de Livre blanc européen n’est cependant pas nouvelle2. Lancée en 1994 en France par

Pierre Lellouche, au nom de la délégation de l’Assemblée nationale pour les Communautés européennes dans un rapport sur l’Europe et sa sécurité3, l’idée fut reprise par le Premier

Ministre Edouard Balladur en septembre de la même année en insistant sur la nécessité d’élaborer un Livre blanc sur la sécurité européenne qui puisse définir les lignes directrices de l’Union européenne dans ce domaine, en coopération avec l’UEO et l’OTAN. Nous pourrions y ajouter les différentes déclarations UEO dans les années 1980 et 1990 et, les propositions du Groupe à Haut niveau sur la PESC de la Commission européenne en novembre 1995 mais aussi de la proposition des pays fondateurs4 de la CEE. Certaines personnalités nationales

prirent également le relais avec leurs propres propositions5.

Il faudra attendre le retour d’expérience de la guerre du Kosovo puis les effets des attentats majeurs du 11 septembre pour que la question se pose de savoir si les Européens pouvaient continuer à avancer en matière militaire dans le cadre de l’Union européenne s’ils omettaient de faire reposer cette montée en puissance relative et modeste sur un cadre normatif et descriptif public où chacun peut se situer, s’y référer, s’y identifier. Cela amena d’autres acteurs à mettre en avant l’importance de rédiger ce document (Lamberto Dini ; Institut Clingendael ; séminaire de la FRS ; Catherine Lalumière6 ; Paul Quilès). Gerhard Schröder,

2 Cf. André Dumoulin, « Analyse comparative des Livres blancs nationaux : vers une convergence européenne

des politiques de défense vis-à-vis des Etats-Unis et de l’OTAN ? », in Yves Jeanclos (dir.), La sécurité de l’Europe et les relations transatlantiques au seuil du XXIe siècle, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 259 - 267 ; André Dumoulin, L’identité européenne de sécurité et de défense. Des coopérations militaires croisées au Livre blanc européen, Bruxelles, Presses interuniversitaires européennes/Peter Lang, Bruxelles, 1999, pp. 165-219

3 Pierre Lellouche, L’Europe et sa sécurité, Assemblée nationale, Paris, 31 mai 1994.

4 Avec l’Espagne mais sans les Pays-Bas, présidant à ce moment-là le Conseil de l’Union européenne.

5 A savoir le député allemand SPD Hartmut Soell, le député espagnol José Luis Lopez Henares, le ministre belge

Jean-Pol Poncelet, le parlementaire grec Constantinos Vrettos l’eurodéputé belge Leo Tindemans ; le député belge Armand De Decker.

6 Catherine Lalumière, Rapport sur l’établissement d’une politique européenne commune en matière de sécurité

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en tant que membre du SPD, imagina même un concept global de sécurité prenant en compte les éléments politiques, militaires, économiques, sociaux et écologiques7, alors que l’Institut

d’études de sécurité de l’UEO consacrait, le 2 avril 2001, une réflexion sur ce concept.

C’est dans cet esprit à la fois prudent et pragmatique que s’inscrivirent les initiatives de la présidence belge au Conseil de l’Union au second semestre 2001. Faisant suite à des ballons d’essai lancés lors d’un colloque sous l’ancien ministre de la Défense Jean-Pol Poncelet en novembre 1997, le cabinet du ministère belge de la Défense8 proposait pour la première fois

dans l’histoire du pays directement au Centre d’Etudes de Défense (CED) de l’Institut royal supérieur de défense de lancer une étude sur le concept de Livre blanc. Par prudence, l’objet de la recherche9 fut limité à une « Introduction à l’étude comparative des Livres blancs,

documents officiels et notes de politique générale relatifs à la politique de sécurité et de défense des Quinze Etats membres de l’Union européenne »10.

Cette étude, qui insistait sur les difficultés méthodologiques de ce simple exercice de comparaison de documents uniquement officiels, aboutit à entrevoir certains éléments de convergence sans cohérence globale pouvant aboutir, à terme, à une réflexion ultérieure sur la nécessité de réaliser un « Livre blanc » européen de la sécurité et de la défense.

En vérité, la thématique de Livre blanc fut inscrite dans le programme de la présidence belge dans son volet « sécurité et défense »11. L’objectif est dès lors de lancer une dynamique qui

pourrait conduire, à terme, à la rédaction d’un véritable « Livre blanc européen sur la Défense » (ou un autre nom à définir à Quinze).

Au final, un mandat fut donné à l’IES pour réaliser un modèle de Livre blanc européen. L’« European Defence. A proposal for a White Paper » de l’IESUE sorti en mai 2004 avait à la fois assimilé la première stratégie de sécurité de l’UE (décembre 2003), pris en compte les tensions géopolitiques (Irak, Afghanistan) et transatlantiques, posé les jalons de l’assimilation du concept de sécurité intérieure et associé cinq scénarios et besoins capacitaires, y compris les lacunes à combler et les propositions de différents moyens pour y parvenir.

En effet, outil d’interrogation sur l’adaptation nécessaire des capacités militaires, le document de 136 pages rédigé en anglais – dont 67 pages de scénarios de missions et de recommandations – fut, à l’époque, bien reçu par les ministères de la Défense européens mais sans que cela ne soit officiellement endossé.

Aussi, un futur « Livre blanc » européen de la sécurité et de la défense devra pouvoir tenir compte des enseignements du passé, d’une relecture des conditions d’affirmation de cet outil particulier en rebondissant sur l’essai, le « numéro zéro »12 édité par l’IESUE en 2004.

7 Bulletin quotidien Europe n°7961, Agence Europe, Bruxelles, 10 mai 2001, p. 3.

8 Le suivi fut réalisé en partie par le général Vankeirsbilck qui fut chef de cabinet militaire dans les cabinets

Poncelet et Flahaut, par le colonel Aviateur Jo Coelmont et par Jean-Arthur Régibeau, conseiller du ministre Flahaut.

9 Elle fut réalisée par André Dumoulin (Université de Liège), Raphaël Mathieu (Centre d’études de défense

CED) et Vincent Metten (CED) entre le 1 janvier et le 31 mars 2001.

10 André Dumoulin, « Analyse comparative des Livres blancs nationaux : vers une convergence européenne des

politiques de défense vis-à-vis des Etats-Unis et de l’OTAN ? », dans La sécurité de l’Europe et les relations transatlantiques au seuil du XXIe siècle, Bruylant, Bruxelles, 2003.

11 André Flahaut, « La présidence belge de l’UE : les priorités en matière de sécurité et de défense », Revue de

Défense nationale, Paris, juillet 2001, p. 24.

12 Le travail fut organisé autour de débats et échanges lors des 9 réunions de la task force mise en place par

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Difficultés et enjeux

Quel qu’en soit le prix, l’exercice est souhaitable et même pressant afin de donner une assise opératoire, doctrinale et militaro-technologique à la Stratégie européenne de sécurité. Le Livre blanc devra servir également à engager une refonte des appareils de défense par harmonisation des calendriers et rapprochement des politiques nationales de défense, ceci afin de libérer davantage d’effectifs pour les missions extérieures de gestion de crise autant que pour lancer une réflexion doctrinale sur l’« homeland security » à conjuguer dans un esprit et un tempo « européens ».

Certes, plusieurs écueils sont déjà apparents. Le premier écueil repose sur la question du consensus préalable au lancement d’un nouvel exercice « Livre blanc » fragilisé par les enseignements tirés de la méthodologie de contournement engagée par les académiques pour rédiger le premier modèle, mais aussi et surtout par la crise « existentielle » actuelle de l’UE au travers de la crise économique en général et de la crise autour de l’Euro en particulier. Le deuxième obstacle est structurel. Rédiger un « Livre blanc » est plus complexe que s’en tenir à des secteurs spécifiques comme la coopération technico-militaire (via l’Agence de défense), la coopération académique (via l’Erasmus militaire autour du Collège européen de sécurité et de défense-CESD), la coopération opérationnelle (via les Battlegroups) ou la planification générique (headline goal 2010, objectif civil 2010). Non pas que ces différentes composantes recèlent moins de pièges, de rivalités et de limites souverainistes, mais elles forment des ensembles suffisamment cohérents pour se solidifier à la carte, avec leur propre logique, avec une certaine « autonomie ». Par contre, un « Livre blanc » suppose l’harmonisation de ces différents chapitres constitutifs, le document étant situé conceptuellement juste en-dessous de la « Stratégie européenne de sécurité » de l’Union. A cet égard, la méthode utilisée à l’époque par Javier Solana, les capitales et l’IESUE pour aider à la rédaction de ladite Stratégie pourrait être réutilisée pour asseoir la légitimité et l’assise d’un futur exercice « Livre blanc » avec ses différents aller-retour et évaluations croisées, les capitales ayant en définitive toujours le dernier mot, intergouvernementalisme oblige. Relevons que l’apport de l’IESUE sur la « Vision à long terme » (à 25 ans) est resté cantonné aux domaines civils ou dual (démographie, économie, énergie, environnement et science&technologie)13, laissant le soin aux capitales et au Comité militaire de l’UE d’aborder

les questions stratégiques et militaires. Le tempérament « relations internationales » plutôt que « défense » du nouveau directeur de l’IESUE renforcerait subtilement et « involontairement » cette séparation.

l’objectif du groupe fut de réaliser un document descriptif pour les parties historiques, mais surtout prospectif et pragmatique, avec la définition d’options, de scénarios, d’hypothèses et de recommandations. La task force était composée de Rob De Wijk (Académie de défense, Pays-Bas) ; Jan Foghelin (Analyste de défense, Suède) ; Julian Lindley-French (chercheur IES) qui sera remplacé, pour cause de fin de mandat, à l’automne 2002, par Jean-Yves Haine (chercheur IES) qui sera le rapporteur final du rapport ; Nicole Gnesotto (Directeur IES) ; William Hopkinson (RUSI, Royaume-Uni) ; Tomas Ries (Finlande, IES) ; Lothar Rühl (ancien secrétaire à la défense, Allemagne) ; Stefano Silvestri (IAI, Rome) ; André Dumoulin (ERM, Belgique) ; François Heisbourg (FRS, France). Ils seront rejoints parfois par Marc Otte (représentant de Solana), Hans Bernhardt Weisserth (Secrétariat général du Conseil). L’Espagnol Raphaël Bardaji, de l’IEEI, ne sera seulement présent qu’aux deux premières réunions. Relevons la réunion plénière spéciale du 24 juin 2002 réunissant la task force et des représentants des Etats membres afin d’assimiler les points sensibles nationaux

13 Nicole Gnesotto et Giovanni Grevi (dir.), The New Global Puzzle. What World for the EU in 2025? IESUE,

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La troisième difficulté tient évidemment à la permanence d’un différentiel de culture militaire et stratégique qui s’exprime justement à travers les Livres blancs nationaux. Sauf à imaginer une addition surréaliste de Livres blancs rédigés par chaque Etat, créant de fait « le » Livre blanc européen, les capitales ne pourront faire l’économie d’une introspection à propos des critères de rapprochement dans le champ sécuritaire européen. C’est pour cette raison que certains auteurs suggèrent d’intégrer dans le « Livre blanc » le récit fondateur de l’UE pour « fixer » les représentations et entretenir la mémoire, avant d’aborder les différents aspects de la sécurité intérieure et extérieure, la hiérarchisation des intérêts, la sécurité des frontières de l’UE, le capacitaire, la mutualisation, etc.

Si les difficultés abondent et que l’environnement politique européen actuel ne prédispose pas à une large marge de manœuvre et à l’optimisme des engagements et des audaces, reste que plusieurs jalons ont déjà été posés pour que la relance du « Livre blanc européen de la sécurité et de la défense » ne soit pas considérée comme une utopie, un gadget, un texte théorique de plus dont les Européens, paraît-il, sont si friands.

Vers une relance du concept

Les petites phrases ont recommencé à resurgir il y a quelques années ; qu’il s’agisse de déclarations informelles dans les cercles franco-allemands, d’une étude du centre militaire italien d’étude stratégique (CMISS), des rapports pilotés par Patrice Cardot dans le cadre du Conseil général de l’armement français (CGARM, 2006 et 2008)14, des travaux du groupe de

Venusberg (2004), du Livre blanc français de la défense (2008) qui s’est prononcé explicitement en faveur d’un Livre blanc européen de la défense et de la sécurité, des travaux du général Perruche (CR) qui a travaillé sur une méthodologie de rédaction d’un Livre blanc européen15 ou de ce que révèle la déclaration de l’Association des industries aéronautiques et

de défense du 31 octobre 2008, à l’issue de la Conférence à haut niveau sur les capacités européennes de défense (Marseille), qui soutint les initiatives de la présidence française de l’Union européenne visant notamment à harmoniser les besoins opérationnels des Etats membres.

Rappelons-nous également les déclarations de Pierre Lellouche au Cercle de Brienne en 2010, les analyses de Jean-Pierre Maulny16 ou celles de Sven Biscop et de Joe Coelmont17 sur les

liens entre la grande stratégie, les missions et opérations de la PESD/PSDC et la nécessité de disposer d’un « EU White Book ».

14 « Eléments de réflexion sur la sécurité comme moteur de l’intégration politique », dans Europe Documents,

Bulletin quotidien Europe n°2473/2474, Bruxelles, 20 décembre 2007 ; « Du réexamen de la stratégie européenne de sécurité », dans Défense n°134, IHEDN, juillet-août 2008.

15 Par exemple, que chaque Etat rédige un double document : un document de politique nationale et un document

sur la politique européenne.

16 Jean-Pierre Maulny, « l’UE et le défi de la réduction des budgets de défense », Papers, septembre 2010, pp.

8-9.

17 Sven Biscop et Joe Coelmont, A Strategy for CSDP Europ’s Ambitions as a Global Security Provider, Egmont

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Quant aux parlementaires européens18, ceux de l’Assemblée de l’UEO19 et ceux du SPD

allemand20, ils insistent sur l’importance de lancer cet exercice21 qui doit aborder les

différentes facettes de la sécurité-défense. Et d’estimer « que ce Livre blanc devrait constituer la base d'un large débat mené en public principalement parce que la SES définit les valeurs et objectifs fondamentaux de l'Union et illustre ce pourquoi elle est conçue; souligne que l'évaluation future de la SES doit être menée en privilégiant une responsabilité démocratique accrue et, partant, doit s'effectuer en coopération étroite avec toutes les institutions de l'UE, notamment le Parlement européen et les parlements nationaux »22.

Rôle et opportunité de l’AED

Pour ce faire, et d’un point de vue opératoire, c’est probablement l’Agence européenne de défense qui pourrait lancer la dynamique, en liaison avec les capitales et avec certains apports de l’IESUE. L’Agence est en effet la mieux placée pour travailler ce concept dans la mesure où les politiques de défense sont d’abord l’addition de moyens, de capacités, de programmations et de planifications en équipements et en budgets. Elle est d’autant mieux outillée que sa mission est bien de tenter de surmonter les déficiences, à savoir les divisions et le manque de cohérence entre États et au sein de différentes communautés (planificateurs de capacités, experts en R&T, experts en armement, industrie) pour finalement aboutir à une vision globale. En travaillant sur l’association entre planification militaire, industrie de défense et recherche (harmonisation des besoins, standardisation, rationalisation, mutualisation, niches), elle opère directement sur l’anticipation des besoins capacitaires. Le fait que l’Agence reste sous contrôle des États dans son fonctionnement permet de maintenir les garde-fous nationaux qu’aucune capitale ne veut lever aujourd’hui, mais peut aussi – dans les limites imposées par ces contraintes et précautions – favoriser paradoxalement les avancées à petits pas. Bref, la méthode qui fonde les progressions de l’Union dans les dossiers les plus délicats. Aussi, la « récupération » par l’AED de l’évaluation du concept de Coopération structurée permanente (CSP) introduite dans le Traité de Lisbonne pourrait faciliter la rédaction de ce « Livre », comme semble nous le suggérer l’article 2-b du protocole n°1023.

Dans le rapport du député français Yves Fromion remis au premier ministre français (2010) et qui concernait la CSP, il est dit que la politique européenne des capacités et de l’armement prévue par le Traité de Lisbonne et qui reste à définir, doit l’être en corrélation avec l’élaboration d’un « Livre blanc européen », prélude à une « loi de programmation militaire

18 Herlmut Kuhne, « La mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité et la Politique européenne de

sécurité et de défense », adopté en mai 2008.

19 Voir la partie « Livre blanc européen » dans le rapport de Daniel Ducarme sur « La révision de la Stratégie

européenne de sécurité ».

20 « Vers une armée européenne », Friedrich-Ebert-Stiftung, 31 janvier 2008.

21 Il y préconise l’élaboration d’un Livre blanc européen qui devra porter sur les progrès de la SES depuis sa

mise en œuvre en 2003 ; la relation entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, la protection des frontières, la sécurité de l’approvisionnement énergétique, les conséquences du changement climatique et des catastrophes naturelles pour la protection des populations ; le concept de sécurité humaine...

22 A propos des questions d’opinions publiques, voir. André Dumoulin et Philippe Manigart, Opinions publiques

et politique européenne de sécurité et de défense commune : acteurs, positions, évolutions, Bruylant, Bruxelles, 2010.

23 Cet article mentionne en effet que : « À rapprocher, dans la mesure du possible, leurs outils de défense,

notamment en harmonisant l’identification des besoins militaires, en mettant en commun, le cas échéant, en spécialisant leur moyens et capacités de défense, ainsi qu’en encourageant la coopération dans les domaines de la formation et de la logistique ».

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européenne ». Il se rattache aux interventions insistantes de Karl Von Wogau (Parlement européen) pour donner au futur Livre blanc un cadre davantage capacitaire qu’institutionnel, symbolique et politique. Il poursuit ici les idées qu’il avait déjà émises dans son dernier rapport sur la stratégie européenne24 et lors de son workshop du 6 mars 2008 au Parlement

européen25, mais cette fois à travers sa nouvelle Fondation pour la sécurité européenne qui se

lance actuellement et de manière non institutionnelle dans une tentative de rédaction d’un modèle de Livre blanc. Mieux, les propositions franco-germano-polonaises de fin 2010 pour une nouvelle impulsion pour la PSDC sont telles qu’elles ne peuvent qu’imposer la rédaction concomitante d’un Livre blanc européen qui sera probablement soutenue par la lettre germano-suédoise26 et par les travaux de l’AED qui seront lancés cette année sur

l’identification des domaines pouvant donner lieu à la mutualisation et au partage des moyens27.

Contexte et fenêtre d’opportunité

Reste que malgré ces multiples sollicitations et ballons d’essai, le concept achoppe encore et toujours autour des divergences entre États sur l’opportunité de s’y risquer. Il y a ceux qui y croient, ceux qui le veulent mais n’y croient pas en réalité et enfin ceux pour qui il faut se lancer mais pas tout de suite.

Pourtant, l’environnement international et la situation économique l’imposent. Nous subodorons que la profondeur de la crise va imposer aux décideurs politiques, militaires et économiques de rechercher de nouvelles synergies sous peine de voir s’effilocher ce qui a été construit depuis plus de dix ans dans le champ européen à travers la PESD. Les problèmes budgétaires peuvent donc être « une chance », peut-être la dernière. Cela doit inciter à lancer de nouvelles synergies, mutualisations, coopérations renforcées de manière dynamique et audacieuse dans le champ de la sécurité-défense.

Certes, cela impose une convergence des besoins, mais déjà nous pouvons constater que les lacunes et objectifs capacitaires sont du même ordre à l’UE et à l’OTAN. L’urgence est là au vu des contraintes budgétaires. Rappelons-nous que les convergences monétaires (soutien à l’euro et politique économique commune) et militaires (mutualisation) au niveau européen participent du même processus de construction de tout État moderne. L’un ne va pas sans l’autre. Toute mesure de protection de la monnaie européenne « impose » en quelque sorte une maturation collective en matière de sécurité.

Et c’est ici que le Livre blanc européen pourrait voir surgir sa fenêtre d’opportunité.

24 Karl Von Wogau, Rapport sur la stratégie européenne de sécurité et la PESD, document A6-0032/2009,

Commission des affaires étrangères, Parlement européen, Bruxelles, 28 janvier 2009.

25 Policy Department External Policies, The Future of the European Security Strategy : towards a White Book on

European Defence held on thursday 6 march 2008, Directorate General External Policies of the Union, European Parliament, Brussels, March 2008.

26 EDD n°370, Agence Europe, Bruxelles, 30 novembre 2010.

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