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Adultes : plus tard ou jamais ?

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Academic year: 2021

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Adultes : plus tard ? jamais ?

Claire Gavray

Docteur en sociologie, enseignante et chercheuse ULg

Voici maintenant quelques décennies que les constats concordent : l’adolescence s’allonge et les transitions vers l’âge adulte (fin des études, premier emploi, décohabitation du domicile parental, mise en couple, parentalité) sont retardées dans la trajectoire de vie (Galland, 1997)1.

De plus, elles ne suivent plus un ordre chronologique préétabli et ne présentent plus un événement unique et définitif. Le phénomène d’allongement de la cohabitation au domicile parental se confirme par exemple (Gavray, 2004)2. Néanmoins, il reste difficile à définir et à

chiffrer dans la mesure où il convient de distinguer entre départ et absence comme de prendre en compte la réversibilité des situations. Par ailleurs, cette tendance peut cacher des situations contrastées. Différents facteurs explicatifs sont évoqués, des facteurs objectifs tout d’abord : allongement des études et de la période d’insertion professionnelle, précarisation du marché du travail, prix du logement en ville. Au-delà, on en appelle à distinguer les situations selon le caractère forcé ou choisi du prolongement de la dépendance par rapport aux parents. Ainsi, Tanguy est présenté comme le prototype du jeune de classe moyenne qui squatte délibérément ses parents pour profiter de la vie et multiplier les expériences. Sa situation est sans nul doute à distinguer de celle du jeune de classe populaire qui n’arrive pas à asseoir une indépendance économique et résidentielle et qui se retrouve privé pour une large part de perspectives d’avenir attrayantes. Ce dernier n’a souvent d’autre choix que de s’attarder chez un parent ou d’adopter des stratégies de débrouille au risque de se marginaliser. Néanmoins, cette distinction entre situation choisie ou subie n’est elle-même pas si simple à opérer dans la mesure où les jeunes, quel que soit leur milieu social d’origine, sont désormais confrontés à des difficultés d’insertion professionnelle ou peuvent rester vivre au domicile parental alors qu’ils ont un emploi stable. En fait, tous sont exposés aux évolutions culturelles récentes qui ont caractérisé notre société sur la dernière période dont la valorisation de la jeunesse, du plaisir, du bonheur et de l’affirmation de soi. S’ajoute la peur de l’engagement et l’attirance pour une culture ‘régressive’ caractérisée par une peur de grandir assortie d’une nostalgie de la jeunesse. Ce phénomène ne se superpose pas nécessairement à celui du retard du départ du domicile parental. Ainsi, les activités ‘adulescentes’ 3 (comme des guindailles et baptêmes

étudiants par exemple) peuvent attirer de jeunes parents insérés professionnellement à haut niveau mais qui évoquent le besoin de décompresser pour vaincre la pression au travail et compenser un manque d’attirance pour les soirées TV et organisées par les services clubs traditionnels comme pour les causes et engagements politiques traditionnels. Des trentenaires utilisent leurs revenus dans les derniers jeux vidéos, voyages last-minutes, B.D. ou soirées en ‘tribu’4 ou en l’honneur des héros de leur enfance plutôt que d’épargner pour une maison ; ils

préfèrent par ailleurs investir leur temps dans des cyber-relations que dans une relation de couple ‘classique’. L’ouverture des jeunes sur le monde et leurs expériences de plus en plus nombreuses de séjour à l’étranger peuvent encore renforcer leur difficulté à renoncer à une culture nomade, baroudeuse. Mais, plus largement, la liberté de l’individu post-moderne n’est pas si facile à assumer. En fait, aucun de nous ne peut échapper totalement ni à la société de consommation qui régit nos désirs et nos besoins ni aux incertitudes face à l’avenir ni à l’injonction qui nous est faite désormais de construire notre propre conception du monde,

1 Galland Olivier, Sociologie de la jeunesse (1997), Armand Collin, Collection U-Sociologie, 248 p.

2 Gavray, C. (2004). Tanguy, de la fiction à la réalité. L’Observatoire, dossier « Adolescence, repères et visibilité

», 42, mai-juin, 56-65.

3 Les anglophones parlent de ‘kidults’ quand ils évoquent ce phénomène

4 Michel Maffesoli parle à travers ce terme d’une espèce de pulsion contemporaine qui fait que l’on a envie d’

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notre propre vie, nos propres valeurs et notre morale. Les jeunes ne peuvent à ce niveau pas être tenus responsables des évolutions en cours. Elles les ont devancés. Selon Testenoire (2003)5, l’incertitude s’inscrit comme une nouvelle réalité qui transforme l’ensemble du

système culturel, éthique et social. En cela les jeunes apparaissent plutôt comme révélateurs des évolutions des sociétés. Kaufmann J.C. (2001)6 affirme de son côté que les jeunes sont à

la fois les sujets et les instruments de transformation de la culture et de la promotion de l’individuation des trajectoires. Le caractère discontinu et éphémère des emplois offerts est souvent présenté comme répondant à un désir des jeunes mais c’est pour mieux cacher le mouvement de précarisation qui les caractérise et qui entraîne notamment une prise de distance significative en matière d’engagement inconditionnel pour un employeur volatile et peu fiable. Cet engagement n’est plus nécessairement considéré ni comme une obligation sociale ni comme la seule source d’épanouissement.

Par ailleurs, un même mouvement de précarisation caractérise désormais la sphère familiale et amoureuse et cela à toutes les étapes de la trajectoire de vie. Nombreux sont les jeunes qui ont connu la séparation de leurs parents. Ce vécu peut parfois contrer la tendance générale de prolongement de la cohabitation au domicile parental. Tandis que certains jeunes arrivent difficilement à quitter un parent isolé en souffrance, d’autres doivent prématurément, notamment lors de la remise en couple de leur père ou mère, faire le deuil de parents se comportant clairement comme des ‘adultes’ ou même d’une vie de famille tout court. Un certain nombre d’adolescents se retrouvent ainsi obligés à s’assumer dans un logement indépendant. Certains jeunes peuvent chercher à exorciser leur souffrance et se montrer soucieux ne pas reproduire comme tels les échecs dont ils ont été les témoins, voire les otages. Les stratégies sont variées et vont du survinvestissement précoce dans un couple stable au ‘papillonnage’ assumé et revendiqué.

Il y a presque vingt ans, Godard (1992)7 montrait déjà combien les familles européennes8

considéraient leur enfant, leur jeune comme un investissement affectif et social important, et combien le soutien affectif et matériel se combinaient à destination du jeune. Dans ce contexte, les parents qui peuvent offrir ce soutien tirent également un bénéfice de la transaction et peuvent devenir un frein à l’autonomie de leurs jeunes. Ils se révèlent donc à leur tour des acteurs du phénomène de retardement des engagements adultes. Mais les capacités financières de solidarité avec la jeune génération, même si en augmentation durant quelques décennies fastes, se réduisent et se révèlent inégalement réparties entre les groupes sociaux. Dans les ménages précarisés, certains jeunes sont tentés, autant que priés, de quitter la maison et de dépendre de l’aide sociale. A ce niveau, Villeneuve-Gokalp (2000)9 a bien

montré que l’absence de conflits importants est essentielle à la prolongation de la cohabitation, même quand les parents biologiques vivent encore ensemble ou quand ils ont des revenus confortables.

5 Testenoire A., 2003, En quoi les jeunes apparaissent-ils comme révélateurs des évolutions des sociétés ?,

Communication présentée aux« premières rencontres ‘Jeunes et Sociétés en Europe et autour de la méditerranée’, Marseille, 22-24 octobre

6 Kaufmann J.C., 2001, Ego, pour une sociologie de l’individu, Paris, Nathan

7 Godard F., 1992, La famille, une histoire de générations, Paris, Presses Universitaires de France

8 Selon cet auteur, les enfants américains seraient pour leur part plus considérés comme un coût et un risque

économique, ce qui pousserait à les responsabiliser et autonomiser plus vite qu’en Europe.

9 Villeneuve-Gokalp C., 1997, Faux départs et soutien familial, in Ménages, familles, parentèles et solidarités

dans les populations méditerranéennes, Séminaire International d’ Aranjuez (27-30 septembre 1994), Paris, AIDELF-PUF : 495-505

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Les jeunes gens et les jeunes filles nous semblent a priori confrontés de manière comparable aux évolutions en cours, développer des attitudes, comportements et attentes comparables. En fait, certains enjeux genrés restent cachés et s’articulent aux enjeux de classe. Des réalités spécifiques persistent dans les deux groupes, indépendamment de la conscience que nous avons de ce phénomène. Ainsi, les normes qui continuent à être véhiculées et intériorisées en termes de rôle et de statut genrés continuent à jouer différemment selon le sexe des sujets. D’un côté, l’existence d’opportunités professionnelles et de revenus personnels peu favorables va handicaper le départ et la prise de responsabilités adultes des jeunes hommes, ce qui peut provoquer chez certains un réel sentiment de déclassement et une marginalisation par rapport aux engagements classiques. A l’inverse, ce déficit d’opportunités comme la surveillance supérieure dont les jeunes filles concernées font l’objet dans leur famille d’origine continue à les précipiter vers le mariage et la maternité, entravant leur capacité d’autonomie dans la durée. On peut penser qu’une qualification élevée et rentabilisée favorablement autorise un alignement des comportements des deux groupes sexués. Ce n’est pas nécessairement le cas. Au masculin, ce profil se concrétise davantage par un désir de prolonger les plaisirs adolescents et de reporter les engagements familiaux, cela parfois clairement avec une certaine « complicité » des parents (aide en matière d’intendance sans compensation…). De leur côté, les jeunes femmes fort qualifiées misent fortement sur un projet professionnel qu’elles perçoivent comme la clé de leur liberté et autonomie mais elles perçoivent que la réussite peut être au prix d’une prise de distance par rapport à des engagements et temporalités traditionnels. Pour réussir dans un modèle de carrière largement pensé au masculin, elles ne sont pas rares à reporter leur projet de maternité voire à y renoncer. Les études montrent que ces jeunes femmes ont également moins d’intérêt à rester chez leurs parents car elles ne peuvent, dans l’ensemble, pas compter sur le même soutien familial que les jeunes hommes tandis que les pressions et exigences traditionnelles qui pèsent sur elles restent fortes. Au total, le marché matrimonial se trouve restreint pour ce groupe dont les membres se plaignent du manque de volonté d’engagement des partenaires potentiels. « Les

(hommes) célibataires (japonais) parasites font les délices de Dior… mais le malheur des

japonaises10…Ils représentent une nouvelle aristocratie avec ses serviteurs aimant beaucoup

le beau et l’inutile puisque l’utile et l’indispensable sont assumés par ailleurs et par d’autres (surtout les parents), développant des goûts raffinés, de luxe, à la mesure de son pouvoir d’achat…pouvoir d’achat remis aujourd’hui en cause par le simple fait de se marier…Il

n’est pas rare que les jeunes femmes qui continuent de manière significative à aspirer à une relation stable et à rêver au Prince Charmant, comme l’a bien décrit Jean-Claude Kaufmann, se résolvent à rejoindre des groupes amicaux féminins ou mixtes et à embrasser à leur tour une culture adulescente. Ce phénomène est bien mis en lumière dans le film ‘Bridget Jones’. Les études montrent néanmoins que les jeunes femmes, une fois mères, renoncent toujours plus que leur partenaire à des loisirs personnels et utilisent une bonne part de leur temps libre à entretenir la solidarité et les réseaux intergénérationnels. Néanmoins, la situation pourrait évoluer là aussi.

En conclusion, on peut dire que le passage à l’âge adulte n’est pas simplement caractérisé par un report de transitions démographiques et d’engagements. Les jeunes contemporains

expriment une envie de s’amuser couplée à un besoin d’être rassuré et de rester fortement reliés aux autres tout en cherchant à s’en distinguer. En mélangeant les modes de vie, ils tentent de brouiller les pistes pour échapper à toute classification sociologique. Néanmoins, on peut dire que la décohabitation comme la nouvelle culture jeune reste à comprendre dans la durée et dans l’intersection entre contraintes, opportunités et stratégies individuelles. Les

10 Voir l’article : Société : les nouveaux « Tanguy » sur http://www.lejapon.org/info/modules.php?

file=article&name=News&sid=488 Source : Le nouvel Observateur

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enjeux sont variés et concernent toujours les rapports entre les groupes sexués, les générations et les groupes sociaux.

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