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Regards croisés. Anti-tsiganisme et possibilité du 'vivre ensemble', Roms et gadjés, en Italie

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HAL Id: hal-01767050

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To cite this version:

Tommaso Vitale, Enrico Claps, Paola Arrigoni. Regards croisés. Anti-tsiganisme et possibilité du ’vivre ensemble’, Roms et gadjés, en Italie. Etudes Tsiganes, Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage, 2009, pp.80 - 103. �hal-01767050�

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80E T U D E S T S I G A N E S

Dans cet article, nous nous proposons de décrire le très haut niveau d’hostilité envers les groupes tsiganes, ainsi que les caractéristiqu de ceux qui pensent que la vie ensemble est possible. En confrontant, entre autre, les opinions et les préjugés des uns à l’égard des autres, nous montrerons à quel point les Roms et les gadje1 ont deux

conceptions différentes de la légalité. Contrairement à ce que l’on pense, les Roms et les Sinti ne se moquent pas de la légalité et ne s’y opposent pas : la définition qu’ils en donnent, identique à celle des gadje, consiste dans le respect des règles dans un Etat de droit. Tou-tefois, ils décrivent des conditions qui rendent possible le respect de cette légalité en des termes très différents de la majorité des gadje. L’exploration de leur point de vue réserve de nombreuses surprises et révèle une complexité de raisonnement qui mérite d’être considé-rée avec sérieux et évaluée avec attention. Pour l’apprécier pleine-ment, il est tout d’abord nécessaire de confronter les différents points de vue afin de comprendre la force des préjugés qui peu à peu se sont ancrés dans les esprits2.

1. Une «galaxie» inconnue

Les populations roms constituent une « galaxie » de minorités qui n’ont pas la même histoire et qui partagent encore moins une cultu-re homogène ou une cultu-religion unique3. Nous sommes donc en

pré-sence d’une mosaïque de fragments ethniques qui ne constitue pas une minorité « territoriale », mais une « minorité diffuse »,

disper-sée et transnationale. Sur une échelle nationale, les Roms et les

Sinti acquièrent des droits exclusivement en tant qu’individus quand on les reconnaît comme citoyens d’un Etat (et ils sont alors « territo-rialisés », au moins sur ce plan-là). Les Roms n’ont pas de patrie commune, et encore moins une terre promise où retourner. Ils sont victimes de la conception de l’Etat- nation moderne qui consiste à assimiler lieu et culture, enfermant ainsi les personnes et les institu-tions dans des schémas territoriaux qui ne permettent pas de rendre

*

* Maitre de conférence en Sociologie à l’Univer-sité de Milan Bicocca où il coordonne le Groupe d’étude sur les poli-tiques locales pour les groupes tsiganes en Europe. Il est membre du comité de rédaction de la Revue acadé-mique « Partecipazione e conflitto » et associé au Groupe de Sociolo-gie Politique et Morale (EHESS-CNRS). ** Doctorant en Etudes Comparées (Urbeur) à l’Université de Milan Bicocca. *** Chercheur à l’Istituto per gli Studi sulla Pub-blica Opinione (Institut d’études sur l’opinion publique) - ISPO.

REGARDS CROISÉS.

ANTI-TSIGANISME ET POSSIBILITÉ DE « VIVRE ENSEMBLE »,

ROMS ET GADJE, EN ITALIE.

Tommaso Vitale *, Enrico Claps **, Paola Arrigoni ***

{

Article traduit de l’ita-lien par Thérèse Quéré-Pistilli, Association AGIR abcd

1 La plupart des groupes tsiganes in Italie quali-fient ceux qui n’appar-tiennent pas à un de leurs différents groupes de gadjés. C’est une

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appella-81

ment « non Rom ». 2 Les données élaborées pour cet article ont été recueillies dans le cadre de la recherche «Cosa sanno e cosa pensano gli italiani di rom e sinti?» (Qu’est-ce que les Italiens savent sur les Roms et les Sintés et qu’est-ce qu’ils pensent d’eux ?), commandée par le Ministè-re de l’Intérieur et effectuée en juin 2007 par l’Institut d’études sur l’opinion publique (ISPO), ainsi que de la recherche complé-mentaire «Voci zingare: l’ignota galassia si presenta» (Paroles tsiganes : la galaxie inconnue se présente), effectuée par l’ISPO en octobre 2007. Les auteurs souhaitent remercier vive-ment les autres participants au groupe de recherche et, en particulier, Renato Mannheimer, Emanuela Carimati, Graziella Civenti, Deanna Dadusc et Stefano Arcagni. Una prima elabo-razione dei dati di questa ricerca e parte delle rifles-sioni qui sviluppate è stata pubblicata in Italia: Arrigoni P., Vitale T., « Quale lega-lità? Rom e gagi a confronto », in Aggiornamenti sociali, n. 3/08, 182- 94. 3 Cf. Dell’Agnese E. – Vita-le T., « Rom e sinti: una galassia di minoranze » (Roms et Sintés : une galaxie de minorités), in Amitti G. – Rosina A. (ed.), Tra identità ed integrazione: passato e presente delle minoranze nell’Europa mediterranea (Entre identi-té et inidenti-tégration : passé et présent des minorités dans l’Europe méditerranéenne), FrancoAngeli, Milan 2007, 123-145.

4 Le sondage d’opinion au niveau national a été réalisé au moyen d’interviews enre-gistrées sur ordinateur au domicile des personnes interrogées entre le 22 et le 25 juin 2007. Il a porté sur un échantillon de 2.171 individus. La marge d’erreur compte de toutes les situations. En Italie, les Roms et les Sinti ne

sont pas nombreux : on estime qu’ils sont entre 150 et 200 000. Ils constituent toutefois la minorité la plus importante même si, avec les 0,25% (ou 0,33% au maximum) qu’ils représentent, leur pour-centage est le plus bas de toute l’Europe méditerranéenne. Il est net-tement inférieur aux 0,6% de la France, aux 1,8% de l’Espagne et aux 2% environ de la Grèce. La moitié d’entre eux – environ 80 - 90 000 personnes qui sont arrivées dans notre pays entre le XVe siècle et les années 1950 – a la nationalité italienne, alors que les autres ou sont des extra -communautaires (qui proviennent surtout de l’ex-Yougoslavie, la plupart sans citoyenneté ou alors apatrides) ou sont des citoyens de pays de la Communauté européenne venant de Rou-manie et, dans une mesure nettement moindre, de France.

L’écrasante majorité des Roms et des Sinti qui vivent en Ita-lie est sédentaire ; ils sont très nombreux à n’avoir aucune

expé-rience du nomadisme derrière eux. Seulement 8% (mais c’est un

chiffre surévalué) pratiquent encore une forme qui s’apparente au nomadisme, ne consistant toutefois jamais en un vagabondage sans but, mais représentant plutôt des déplacements cycliques qui sont effectués pour des raisons de travail ou de commerce à l’intérieur d’espaces bien définis.

Confrontés à cette hétérogénéité complexe, nous avons interrogé un échantillon représentatif de gadje sur les Roms et les Sinti : il a été constitué, proportionnellement à la répartition de la population italienne des plus de 17 ans, en fonction du sexe, de l’âge, du diplôme, de la catégorie professionnelle, de la situation géogra-phique et de la taille du lieu de résidence4. Les questions portaient

en particulier sur l’importance numérique des minorités en ques-tion, sur le fait qu’elles possèdent ou non la nationalité italienne, sur leur nomadisme et sur leurs caractéristiques en termes de culture, religion, langue et provenance.

56% des personnes interviewées déclarent ne pas avoir la moindre idée sur le nombre de Roms qui vivent en Italie.

C’est surtout vrai parmi les femmes au foyer (dont 66% avouent leur ignorance en la matière), les retraités (62%), les habitants du sud ou des îles (63%) et les personnes qui politiquement se situent à droite (69%). 3% de l’échantillon pris dans son ensemble sous-éva-luent l’importance numérique de ces groupes, alors que 35% la sur-évaluent (15% considèrent même qu’ils sont deux millions ou plus en Italie). Seulement 6% fournissent un chiffre à peu près correct, même s’il est légèrement surestimé.

La moitié des interviewés (49%) pensent qu’il n’y a pas d’Italiens parmi les Tsiganes ou que, au maximum, ils ne représentent pas plus

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fondissement des don-nées statistiques peut être demandé aux auteurs.

de 10% du total (c’est une réponse fréquente parmi les jeunes et les titulaires d’un master). Seulement 24% de l’échantillon savent

que la moitié des Roms, ou à peine plus, sont de nationalité italienne : il s’agit surtout de personnes faiblement instruites, de

travailleurs salariés très peu qualifiés.

Si nous examinons les opinions exprimées au sujet des caractéris-tiques attribuées aux Roms et aux Sinti (nomadisme et homogénéi-té/hétérogénéité de culture et de provenance), les connaissances dans leur ensemble ne s’avèrent pas meilleures, bien au contraire. 84% de

notre échantillon considèrent que ces groupes sont essentielle-ment nomades. C’est une conviction qui traverse toutes les classes

sociales. Seulement 4% sont sûrs – à juste titre – qu’ils ne sont pas iti-nérants de façon prédominante ; nous pouvons leur ajouter les 12% de ceux qui en sont presque sûrs. En outre, 63% de l’échantillon considèrent que les Roms et les Sinti constituent un peuple homogène et non pas une galaxie de minorités dont l’unique trait commun est représenté par la stigmatisation négative dont elles sont l’objet de la part de ceux qui ne se considèrent pas comme des « Tsiganes ». Globalement, le tableau n’est pas rassurant : 0,1% est le très faible

pourcentage de l’échantillon qui a une connaissance complète des Roms et des Sinti. Seulement 6% sont en mesure d’évaluer

approximativement le nombre des membres de ces minorités en Ita-lie ; 24% savent qu’environ la moitié des Roms sont itaIta-liens ; 16% savent que la grande majorité des Roms ne sont pas itinérants ; un pourcentage plus élevé, 37%, est conscient du fait qu’ils ne sont pas un peuple homogène. En d’autres termes, peu de personnes en Ita-lie possèdent un bagage de connaissances justes et complètes sur le monde des Roms et des Sinti. 20% des interviewés possèdent des informations partielles (c’est-à-dire connaissent au moins deux des quatre aspects sur lesquels nous les avons interrogés) : il s’agit essen-tiellement des personnes qui ont un niveau d’instruction faible (24%) et qui, géographiquement, se situent au nord-ouest de l’Italie (24%). 38% est le pourcentage de ceux qui apparaissent comme étant peu informés (ils ne connaissent qu’une seule caractéristique), et il s’agit, dans leur cas, de titulaires d’un master (43%), de per-sonnes qui habitent dans des grandes villes (44%), et de perper-sonnes qui se situent politiquement à gauche (48%). Il convient de souli-gner le fait que 42% de l’échantillon ne possèdent aucune informa-tion, ne savent rien sur les Roms et les Sinti : il s’agit surtout d’indivi-dus qui ont entre 18 et 29 ans (46%), qui habitent au sud de l’Italie ou dans les îles (49%) et dans des communes de petite taille (46%) ; politiquement ils se situent pour la plupart à droite (45%).

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2. L’anti-tsiganisme en Italie

La méconnaissance dont nous venons de parler se double de com-portements qui traduisent une grande hostilité à l’égard des Roms et des Sinti. Nous ne pouvons pas développer ici l’histoire et la phéno-ménologie de l’anti-tsiganisme5en Italie. Selon nous, la chose la plus

importante à préciser est que la présence des groupes tsiganes

en Italie, ne s’est pas toujours caractérisée par une continuelle persécution.6De nombreuses périodes furent caractérisées par de

bons rapports entre ces groupes et les sociétés urbaines et rurales dans lesquelles ils s’inséraient avec des hauts niveaux de complé-mentarité économique. Les persécutions des Roms se sont ampli-fiées progressivement à partir du mouvement de l’Illuminisme, avec le désarmement des troupes de mercenaires liées à l’affaiblissement des Cours de province7. Elles sont devenues particulièrement

intenses avec le durcissement des frontières entre les Etats natio-naux et ont culminé pendant l’âge d’or de l’eugénisme, période au cours de laquelle les Roms et les Sinti, de même que d’autres ethnies et groupes sociaux jugés « indignes », ont été systématiquement internés et tués dans les camps de concentration8. Toutefois, même

dans ces moments les plus tragiques, la persécution en Italie est apparue sous la forme d’une « peau de léopard », très dépendante de facteurs contextuels et avec des modalités assez différentes selon la Région considérée. Il apparaît utile de rappeler qu’en Italie, jamais ne fut élaborée une réflexion sérieuse sur la nécessité de lutter

au niveau institutionnel contre les discriminations envers ces populations, même si dans les dernières années commencent à

émerger quelques demandes des organisations représentatives des groupes tsiganes.

Au niveau local, quand on examine les politiques sociales mises en œuvre dans différentes villes, on repère facilement des

formes assez évidentes de traitement inégalitaire et discrimi-natoire à l’égard des Roms et des Sinti. Encore une fois, les

situa-tions sont très hétérogènes. Il y a des contextes où les pouvoirs locaux semblent incapables de considérer qu’il s’agit de personnes comme les autres, qui possèdent de nombreuses aptitudes et sont dotées d’une culture et d’une expérience politiques, et avec qui on peut raisonner, négocier et construire9. Ils utilisent un répertoire

d’instruments de l’action publique très limité, réductible au binôme « camps nomades et bidonville ». Sur le plan politique, ils obtiennent le consensus sous une forme démagogique, gouvernant par la crimi-nalisation des groupes tsiganes. Les deux villes les plus embléma-tiques sont Milan et Rome, actuellement conduites toutes les deux par le Centre – droit même si Rome avait déjà ce style de

gouvernan-5 L’antitsiganisme désigne les préjugés et la haine envers les «Tsiganes». 6 Cf. Vitale T., « Da sempre perseguitati? Effetti di irre-versibilità della credenza nella continuità storica dell’antiziganismo », in Zapruder. Rivista di storia della conflittualità sociale, n. 19/2009.

7 Cf. Asséo H., « Le "mes-tier de Bohémienne". La mobilité des Bohémiens dans la France moderne », in Etudes tsiganes, n. 33-34, pp. 120-39 (2008). 8 Cf. Bravi L., Altre tracce sul sentiero per Auschwitz (D’autres pas sur le chemin d’ Auschwitz), CISU, Flo-rence 2002 ; Vitale T., « Un popolo senza requisiti. La condizione dei rom e dei sinti nell’Italia di oggi » (Un peuple sans identité. La condition des Roms et des Sintés dans l’Italie d’aujour-d’hui), in Scarpelli F. – Ros-si E. (ed.), Il Porrajmos dimenticato. Le persecuzio-ni dei rom e dei sinti in Europa (Le Porajmos oublié. Les persécutions des Roms et des Sintés en Europe), Editions Opera Nomadi, Milan 2004, 90-101. Le phénomène de la persécution des Roms (le Porajmos) a concerné égale-ment l’Italie fasciste, sur-tout au lendemain de l’adoption des lois raciales (1938) ; les Roms furent internés dans les camps de concentration d’Agnone (dans le couvent de Saint-Bernardin), de Berra, Boja-no, BolzaBoja-no, Ferramonti, Tossicìa, Vinchiaturo, Per-dasdefogu et dans les îles Tremiti. Il s’agissait de Roms italiens, mais aussi d’autres nationalités. Un grand nombre était en parti-culier constitué de Roms slaves qui s’étaient réfugiés dans la Péninsule pour fuir les persécutions dans leur patrie.

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ce quand elle était conduite par le Centre – gauche10. Dans le même

temps, nous observons des contextes différents où sont mises en

œuvre des politiques sociales intégrées, qui utilisent une

multipli-cité d’instruments de l’action publique, favorisant une pluralité de formules d’habitat. Elles construisent le consensus de manière pro-gressive et reconnaissent la subjectivité politique des groupes tsi-ganes comme interlocuteurs dans la programmation des interven-tions qui les concernent11.

Comme dans le cas de la démarche historique, pour ce qui concerne la lecture de la situation actuelle, nous sommes face à des contextes fort divers, avec des lignes politiques qui vont dans des directions contradictoires, dans une complète fragmentation qui ne rencontre aucune recomposition dans des lignes directrices nationales. Même les preuves les plus dures de discrimination anti-tsigane manifestées par le gouvernement national en mai 2008 ne furent aucunement des lignes politiques valables pour l’ensemble du territoire. Les décrets d’urgence pris sur la base de la loi sur la protection civile prirent le pas sur « ces catastrophes » qui attribuèrent des pouvoirs extraordi-naires aux seuls trois préfets des trois plus grandes villes d’Italie (Rome, Milan, Naples), mais sans stipuler de politique nationale12.

a) Les Roms et les Sinti dans l’imaginaire collectif

« Comment parviens-tu à savoir que ton voisin est Rom ?” : voilà la question que l’Eurostat a posé, il y a un an, de février à mars, à 26 746 citoyens des 27 pays de l’Union européenne dont 1 046 en Italie. C’est un cas typique d’étude sur les représentations et la xénophobie. Une question qui demande de réfléchir à partir de soi, de faire le point avec ses propres sensations, pour mesurer le comfort – comme disent les anglais – dans la rencontre d’un groupe spécifique. Il en résulte un indice qui permet de hiérarchiser les pays sur une échelle graduée de 1 à 10 pour laquelle les pointages les plus hauts sont ceux des Etats pour lesquels la majorité des citoyens se sent bien avec les groupes tsiganes. La Pologne, la Suisse et la France sont aux pre-mières positions, l’Italie et la République tchèque aux dernières. Dans le paysage italien, seulement 14% se sentent pleinement tranquilles avec l’idée d’avoir un voisin tsigane, et seulement 5% déclare avoir une relation personnelle avec au moins un Rom ou un Sinto.

C’est l’énième fait qui confirme ce qui était amplement compilé dans la littérature scientifique sur la dynamique de l’opinion publique et le racisme. Nous savons que les représentations anti-tsi-ganes sont diffuses dans toute l’Europe et qu’elles sont devenues plus fortes en Italie comparativement aux autres pays européens à partir des années ’90. Par-dessus tout, dans les dix dernières années, 9 Cf. Vitale T., «

Etno-grafia degli sgomberi di un insediamento rom a Milano. L’ipotesi di una politica locale eugeneti-ca », (Ethnographie des évacuations d’un cam-pement rom à Milan. L’hypothèse d’une poli-tique locale eugénique), in Mondi migranti. Rivista di studi e ricerche sulle migrazio-ni internazionali (Mondes migrants. Revue d’études et de recherches sur les migrations internatio-nales), 1, pp. 59-74 (2008).

10 Cf. Vitale T., « Comuni (in)differenti: i “nomadi” come “pro-blema pubblico” nelle città italiane », in Cher-chi R., Loy G. (ed.), Rom e sinti. Storia e cronaca di ordinaria discriminazione, SEI, Rome, 2009. 11 Cf. Vitale T. (ed.), Politiche possibili. Abi-tare le città con i rom e i sinti, Carocci, Rome 2009.

12 Cf. Vitale T., « Governare mediante gli sgomberi e la segrega-zione dei gruppi zigani », in Conflitti globali, special issue on « Raz-zismo democratico. La persecuzione degli stra-nieri in Europa », n. 1/2009.

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13 Cf. Allport G., La natu-ra del pregiudizio, La nuo-va Italia, Firenze 1973, p. 105.

le taux d’hostilité envers les Tsiganes s’est accru de manière plus rapide et plus intense que dans les autres nations. Certes, dans les toutes dernières années les enquêtes d’opinion indiquent que le sen-timent d’hostilité s’est accru à l’égard de tous les « étrangers », indé-pendamment de leurs lieux de provenance.

Les opinions communément répandues à l’égard des Roms et des Sinti sont extrêmement négatives et c’est effectivement le peuple

que les Italiens apprécient le moins : 81% de l’échantillon les

jugent peu ou pas du tout sympathiques alors que seulement 39% expriment un jugement de la même dureté sur l’ensemble des immi-grés. De plus, rappelons que de nombreux groupes roms et sinti ne sont pas des groupes d’immigrés, mais sont de citoyenneté italienne, présents dans la vie sociale de notre pays depuis des centaines d’an-nées. Si l’on ne tient pas compte de tous ceux qui avouent ne pas savoir quoi répondre, seulement 6,7% les trouvent sympathiques. S’il est vrai que, de façon générale, la sympathie à l’égard de toutes les populations considérées comme étrangères a diminué au cours de ces dernières années, il est par ailleurs vrai qu’aucun groupe eth-nique ne donne lieu en Italie à une appréciation aussi négative. Si nous comparons aux Philippins, qui à l’inverse obtiennent la sympa-thie de 64,9% de la population (même si ce pourcentage était beau-coup plus haut en 1999 avec 77 ,7%), nous nous accordons sur le fait que l’indicateur d’hostilité a propulser les Roms dans une zone d’hostilité sociale qui donne le vertige.

Ce tout petit groupe de gadje qui manifeste de la sympathie à l’égard des Tsiganes présente quelques caractéristiques qui peuvent être soulignées. Nous savons en effet, depuis les travaux d’Allport que « le préjudice ne peut pas être expliqué entièrement en partant de la structure et des dynamiques de la personnalité. Les facteurs géogra-phiques, historiques, culturels sont aussi importants. »13. Avec le

pourcentage très modeste de personnes dotées d’un sentiment de sympathie en Italie, nous pouvons, de plus, observer les catégories dans lesquels ce sentiment positif est un peu plus diffus : ce sont les plus jeunes et les quinquagénaires, ceux qui ont un diplôme d’études supérieures mais certainement pas les bac+5 : la sympathie augmen-te jusqu’au diplôme supérieur, puis décline drastiquement. Alors que plus le niveau d’études est élevé et plus la sympathie à l’égard des peuples étrangers est grande, dans le cas des Roumains, et surtout des Roms et des Sinti, c’est bien le contraire qui se produit.

Ce sont les étudiants et les professions libérales de la bourgeoisie, mais aussi les femmes au foyer, les groupes qui manifestent les pour-centages de sympathie les plus élevés, et puis cela diminue en rela-tion avec la structure occuparela-tionnelle : les pensionnés et les

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chô-meurs ont les pourcentages les plus bas. La fréquentation des offices religieux est significative parce que les deux extrêmes se retrouvent aux bas pourcentages de sympathie (ceux qui ne participent jamais aux offices et ceux qui s’y rendent chaque semaine). A l’inverse, nous trouvons un pic de sympathie chez ceux qui vont à la messe pour les fêtes les plus importantes). Par rapport à l’auto positionne-ment politique, le sentipositionne-ment d’antipathie est plus élevé aux extrêmes, chez ceux qui disent se situer à gauche ou à droite de l’échiquier politique. Le sentiment d’antipathie est légèrement inférieur chez ceux qui se situent au centre et encore plus bas s’ils se positionnent au centre-gauche. L’intérêt pour la politique se présente sous la for-me d’un « U » : chez ceux qui manifestent un fort intérêt ou aucun, il semble y avoir moins de représentations négatives, alors que chez les autres, il est assez rare de rencontrer une inclinaison favorable. La zone géographique d’appartenance compte, dans les îles, nous trouvons les niveaux de sympathie les plus bas, alors que le Nord-Ouest apparaît comme le territoire avec la concentration la plus bas-se de citoyens anti-tsiganes. La taille de la ville compte aussi, car les habitants des communes situées entre 5 000 et 20 000 habitants se montrent plus accueillants.

les camps roms de Milan Photo de Tommaso Vitale

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Tableau 1. Table de contingence (crosstabs). Variables socio - démo-graphiques, caractères des valeurs et des options politiques sur la sympathie envers les groupes tsiganes ou sur le sentiment de sympa-thie, sur l’opinion relative au « vivre ensemble » et sur les politiques publiques à privilégier.

Sympathie envers les groupes tsiganes

“Vivre ensemble” avec les groupes tsiganes

est possible

Les politiques sociales d’intégration sont à privilégier Ages 18-29 ans 7,40 32,60 19,80 30-39 ans 4,70 27,80 14,00 40-49 ans 6,00 27,00 14,90 50-59 ans 8,70 34,70 23,00 60 et plus 4,20 29,30 10,10 Total 5,80 30,00 15,30 Niveau d’étude Master (Bac+5) 4,40 34,60 25,40 Licence 7,40 32,20 19,00 Baccalauréat 5,60 26,00 13,30 Sans diplôme ou niveau élémentaire 5,00 31,30 11,10 Total 5,80 30,00 15,40 Catégorie socioprofessionelle Commerçants, chefs d’entreprise 8,40 35,10 21,90 Professions libérales, cadres supérieurs 7,20 25,40 18,80

Employés, artisans, prof.

intérmédiaires 5,90 29,60 15,90 Ouvriers 5,80 27,60 16,30 Chômeurs 2,30 27,80 17,30 Etudiants 9,30 39,40 18,60 Au foyer 7,00 24,60 16,30 Pensionnés 3,20 33,30 7,60 Total 5,90 30,00 15,30

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Pourcentages en ligne. Fond : ISPO 2007. N= 2.171. Notre recherche. Fréquentation de

l’office religieux

Jamais 4,50 29,90 15,30

1 ou 2 fois l’an 9,00 29,00 13,40

Plus souvent dans l’année 6,80 29,70 12,20

1\3 fois par mois 6,20 25,60 15,00

Chaque semaine 5,50 34,60 16,10 Total 6,50 30,20 14,50 Autopositionnement politique Gauche 5,50 29,80 15,90 Centre-gauche 8,90 39,80 18,30 Centre 7,20 25,70 12,50 Centre-droit 6,00 25,90 13,40 Droite 5,10 24,50 15,20 Total 6,90 29,70 14,90

Intérêt pour la politique

Fort 9,30 48,80 20,90 Assez fort 3,30 29,80 21,10 Peu 3,90 26,50 12,60 Pas du tout 9,00 27,00 13,70 Ne sais pas 8,70 34,60 4,80 Total 6,20 28,80 14,30 Aire géographique Nord ouest 7,70 27,90 13,30 Nord est 5,00 31,40 12,00 Centre 5,10 27,00 14,00 Sud 6,20 37,10 19,40 Ile 3,80 26,70 21,00 Total 5,80 30,00 15,30 Dimension urbaine Moins de 5 000 habitants 5,50 38,40 13,20 entre 5 001 et 20 000 7,20 31,50 12,40 entre 20 001 et 50 000 7,00 27,20 21,60 entre 50 001 et 100 000 4,40 26,10 15,30 Plus de 100 000 4,60 27,20 16,10 Total 5,90 30,00 15,30

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La colonne “Sympathie envers les groupes tsiganes” est un indice qui regroupe les réponses « beaucoup » et « assez » à la question « Tous ne sont pas sympathiques de la même manière. Nous deman-dons alors de préciser son niveau de sympathie pour quelques groupes ». La colonne “Le « vivre ensemble » avec les groupes tsi-ganes est possible.” Est un indice qui regroupe les réponses « sûre-ment que oui » et « probablesûre-ment oui » à la question « Les Roms, les Tsiganes, peuvent-ils vivrent avec nous ? ». La colonne “Il faut privi-légier des politiques sociales d’intégration” est un indice qui regrou-pent ceux qui ont donné comme première réponse des trois pos-sibles « Ils pourraient vivre dans des conditions d’habitat plus salubres et dignes », ou « Leurs offrir de meilleures opportunités d’orientation vers un travail régulier », ou encore « Leurs enfants fré-quentaient l’école obligatoire » à la question “Les conditions des Tsi-ganes en Italie pourraient s’améliorer si … », ceci fait, il devenait possible de privilégier les modalités reportées dans le graphique 1. Les représentations qui ont émergé ne sont presque jamais positives et, dans les premières réponses fournies, elles sont immédiatement en relation, d’une part, avec des images et des sentiments d’aversion (pour 47%) et, d’autre part, avec une idée de vie en marge de la société et de pauvreté (pour 35%). L’image du « Tsigane » tend à se confondre avec celle du voleur (pour 92% de notre échantillon), qui vit au sein d’un groupe fermé sur lui-même (87%), qui habite « en raison de son propre choix » dans des campements à la périphérie des villes (83%) et qui, dans de nombreux cas, exploite les enfants (92%). En même temps, il y a également certaines opinions plus positives qui apparaissent. 65% de l’échantillon admettent – et le fait de l’admettre est important – qu’il s’agit d’un peuple mis à l’écart et victime d’une forte discrimination, qui subit sa propre condition et n’a pas fait ce choix de vie. Environ 73% ont tendance à considérer que les Roms et les Sinti possèdent un grand sens de la liberté (reprenant un peu en cela le stéréotype cinématographique des « fils du vent ») et font preuve d’une grande solidarité à l’intérieur de leurs communautés (85%). Ils ont également, dans leur imaginaire, des représentations en grande partie « positives », mais qui, toutefois, coexistent avec des opinions négatives surtout pour ce qui est des retraités (73%), des habitants du nord-est de l’Italie (74%) et des personnes qui se situent à gauche (71%). Les positions qui manifes-tent la plus grande hostilité et ne ménagent aucune ouverture sont dominantes parmi les individus les plus désinformés.

D’autres recherches sur les préjugés, de nature plus qualitative, ont également mis en lumière que, en Italie, les gadje considèrent que les

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Roms et les Sinti sont « voleurs par nature », et même voleurs d’en-fants, qu’ils sont sales et atteints de maladies contagieuses, qu’ils menacent l’enfance de leurs propres enfants ; mais aussi qu’ils sont attirants et excentriques, « naturellement » nomades, étrangers par nature et heureux dans les « campements ». Lorsque nous avons étu-dié les réactions émotives des gadje par rapport aux Roms, nous avons trouvé de la peur et de la colère et constaté un certain relâche-ment du système de contrôle des émotions ; aversion et dégoût, accusation d’impureté et refus du contact ; déception et frustration dues à l’incapacité supposée au changement ; et, enfin, mépris et même haine en liaison avec la croyance en une différence et en une infériorité biologique et socioculturelle.

3. Visions parallèles

Après avoir élaboré les données que nous venons de présen-ter, nous avons demandé à quelques leaders d’opinion roms et sinti de s’exprimer à la fois sur les images stéréotypées que les autres ont d’eux et sur les principaux préjugés que, selon eux, les Roms et les Sinti cultivent à l’égard des gadje14. Cela a permis une comparaison

précise et aiguë qui a mis en lumière, au-delà des différences, une vision en miroir des préjugés.

14 Entre juillet et sep-tembre 2007, nous avons interviewé 12 personnes (8 hommes et 4 femmes) majori-tairement de national-ité italienne (9 sur 12). Elles exercent ou ont exercé des fonctions de médiateur social, politique, culturel, sanitaire et sont presque toutes actives dans des organisa-tions engagées dans la défense des droits des Roms et des Sintés. Dans le texte, nous faisons figurer entre guillemets les pas-sages extraits des interviews.

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a) Les Roms et les Sinti face aux préjugés des gadje

Les Roms et les Sinti que nous avons interviewés regroupent les préjugés sur leurs communautés en trois champs (cf. le tableau qui figure ci-devant) : 1) les préjugés qu’ils considèrent comme n’ayant aucun fondement par rapport à la réalité : « ils enlèvent les enfants, ils sont nomades, ils n’ont pas envie de travailler, ils sont sales » ; 2) les préjugés qui peuvent être mis en relation avec des responsabilités d’individus mais pas avec des comportements collectifs répandus : « ils exploitent les enfants, ils commettent des délits » ; 3) les préjugés alimentés par des comportements plus ou moins répandus : « ils n’en-voient pas leurs enfants à l’école, ils font des larcins, ils mendient ».

Considérons le premier champ de préjugés.

- « Ils enlèvent les enfants » : bien que différentes recherches démontrent en fait que cette pratique dont on les accuse ne corres-pond à aucun élément véridique, dans les interviews, la crainte des Tsiganes voleuses d’enfants ressort comme le préjugé qui pèse le plus sur la vie quotidienne des interviewés. Cela représente une véri-table marque d’infamie, entretenue continuellement par les médias. C’est ce qu’a rappelé un des interviewés en se référant à l’épisode, survenu en juillet dernier sur la plage de l’Ile des Femmes (province de Palerme), qui avait eu un écho retentissant dans les journaux de toute la Péninsule : « Après qu’ils aient arrêté la femme qui était accusée d’avoir « volé un enfant », les témoins ont admis qu’ils n’étaient pas sûrs de la chose et qu’en fait ils sont terrorisés par les Roms. Cela s’est révélé être une hallucination collective »15. La

fem-me en question avait été accusée de façon totalefem-ment injuste. « Ils sont nomades » : pour les interviewés, il s’agit là d’un préjugé avec des conséquences très importantes car il peut amener à défendre et justifier l’idée du « campement de nomades » en tant que politique appropriée et désirée par les destinataires eux-mêmes. – « Ils sont sales » : dans les interviews, ce préjugé est dénoncé avec force car il correspond à une façon peu sérieuse, par des déductions non pertinentes, de juger des situations en reliant à une culture ce qui au contraire est à lier aux conditions de vie dans certains campe-ments nomades et bidonvilles. Si les Roms et les Sinti sont obsédés par quelque chose, c’est bien par la propreté et, même dans les cam-pements les plus effroyables, l’ordre et la propreté sont maintenus avec grand soin.

– « Ils n’ont pas envie de travailler » : pour les Roms et les Sinti, il s’agit là d’une affirmation impossible à démontrer étant donné qu’il est extrêmement difficile pour eux de pouvoir trouver du travail. Par ailleurs, le fait qu’ils n’attribuent pas au travail la priorité qui est accordée à ce dernier par la société majoritaire ne signifie en aucune

15 Pour une analyse approfondie de ce cas, cf. Mannoia M., « Come si costruisce il pregiudizio: la leggenda delle “Zingare rapitrici” » (Comment on fabrique des préjugés : la légende des “Tsiganes voleuses d’enfants”), in Pirrone M. (ed.), Crocevia e trincea. La Sicilia come frontiera mediterranea (Carrefour et tranchée. La Sicile comme fron-tière méditerranéenne), XL Editions, Rome 2008, 111-128; voir aussi Tosi Cambini S., La zin-gara rapitrice. Racconti, denunce, sentenze, CISU, Rome 2008.

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façon « qu’ils n’ont pas envie de travailler ». Bien au contraire, ils racontent de très nombreux cas où il a fallu fournir beaucoup d’ef-forts et dépenser une grande énergie à la seule fin de pouvoir réussir à travailler.

Par rapport au deuxième champ, à savoir le préjugé sur «

l’exploita-tion des enfants par des associal’exploita-tions de malfaiteurs », nos

interviewés considèrent que le délit en question ne concerne pas la majorité des communautés. Il s’agit plutôt de formes de criminalité organisée qu’on ne peut pas généraliser. Pour expliquer ce point de vue, la plupart des interviewés établissent un parallèle avec des lieux communs très répandus comme, par exemple, « tous les Italiens sont des mafieux ».

Le troisième champ renvoie à des préjugés qui trouvent des fonde-ments dans la réalité.

– « Ils n’envoient pas les enfants à l’école » : sur ce point, nos inter-viewés établissent une distinction entre ceux qui voient l’école comme une institution pour les gadje, dans laquelle les enfants roms ne se trouvent pas bien et éprouvent un sentiment d’infériorité et ceux – la majorité – qui comprennent et valorisent toutes les possibilités qu’offre l’éducation, mais pour qui l’accès se heurte à des barrières insurmontables comme : les coûts impossibles à supporter, la distance trop importante entre les écoles et les lieux où ils vivent, les compor-tements discriminatoires de la part des institutions, les expulsions qui les contraignent à se déplacer en permanence. « Il n’y a qu’à penser aux Roms qui proviennent des Pays de l’Est, qui sont scolarisés depuis 40 ans et qui voudraient bien envoyer leurs enfants à l’école ! ». – « Ils volent » : pour nos interviewés, c’est un préjugé qui corres-pond à la réalité, mais qui ne peut pas être généralisé à toute la popu-lation : « Qu’ils volent, c’est vrai, eh oui, on sait que c’est comme ça et on ne peut pas cacher que c’est la réalité : mais certains volent, pas tous, et parce qu’ils y sont vraiment obligés ». Selon les interviewés, il s’agit du problème qui suscite le débat le plus vif. Il nécessiterait que des politiques, pas seulement répressives, mais ciblées et à long terme, soient menées afin de rendre possibles des choix différents et de contribuer ainsi à faire sortir de la marginalité ces communautés et à mettre fin à leur ségrégation.

b) Ce que disent les Roms sur les gadje

Les préjugés n’ont pas de frontières et, par conséquent, on n’est pas surpris d’apprendre que « un passe-temps des Roms et des Sinti consiste à regarder le journal télévisé, à observer ce que vous fabri-quez et à se consoler en disant : “Nous, on n’est pas comme ça” ».

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Et, d’ailleurs, la symétrie que, dans de nombreux cas, l’on

retrouve entre les préjugés respectifs se révèle intéressante. Par

exemple, si les gadje pensent que les Roms volent leurs enfants, les Roms, eux, sont certains de la chose : les gadje leur volent leurs enfants, soit illégalement dans le cadre de la criminalité organisée, soit légalement par le biais des services sociaux. Si les Roms sont sales, les gadje le sont également. Il semblerait que la « saleté », dans le cas des gadje, puisse être rattachée au non respect de traditions et de rituels que la culture traditionnelle rom associe à la pureté. Si les Roms commettent des délits, les gadje mènent des guerres et tuent leurs semblables pour s’approprier la terre et le pétrole. Les Roms exploitent leurs enfants, les gadje traitent mal les leurs et les négli-gent. Les Roms mendient et n’ont pas envie de travailler, les gadje ont un cœur de pierre et pensent seulement au travail.

4. Que faire ?

a) Les gadje qui croient à la cohabitation

La connaissance très limitée du monde des Roms et les représenta-tions négatives qui provoquent l’antipathie à leur égard, conduisent les gadje à percevoir la cohabitation comme un problème particuliè-rement difficile à régler. Par rapport au thème de la cohabitation, nous pouvons définir trois tendances dans l’opinion publique : 1) une première, qui correspond à 30% des interviewés et qui traduit une plus grande ouverture, selon laquelle les gadje sont eux aussi responsables de la situation actuelle ; 2) une seconde, qui représente 36% et qui manifeste une plus grande inquiétude, selon laquelle les deux cultures sont difficiles à concilier, mais qui n’impute pas des responsabilités spécifiques aux Roms et aux Sinti ; 3) une troisième, qui correspond à 34%, d’après laquelle la cohabitation n’est pas pos-sible et qui en attribue la faute aux « Tsiganes ».

Pour mieux comprendre qui sont ces 30% qui ont déclaré possible

le « vivre ensemble » avec les groupes tsiganes, nous avons tracé

leur profil valoriel et sociodémographique à travers quelques tables de contingence (crosstabs) (tab.1), en contrôlant ensuite les relations possibles par une régression logistique (tab.2). Concentrons notre attention seulement sur les variables qui apparaissent évidentes dans le modèle. La première chose évidente est la cohorte des quinquagé-naires (50 -59 ans), toujours en activité, nombreux parmi eux ont eu une expérience de migration interne, ils ont vécu la période de pro-testation ouvrière et étudiante des années ’68 – ’77 et, par dessus tout, ils conservent la mémoire d’un temps où les relations locales avec les groupes tsiganes étaient positives et faites d’échanges et de complémentarité économique. Se rendre à l’office religieux a un fort

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impact, ou s’y rendre peu, pour preuve le fait que les lieux de ras-semblements paroissiaux sont des contextes dans lesquels, comme nous l’avons vu, même si aucun sentiment de sympathie envers les Tsiganes n’est promu, toutefois il s’y observe un climat propice à parier sur la possibilité d’une bonne convivialité urbaine avec tous les groupes sociaux, même les plus stigmatisés (tab. 1). L’orientation politique vers le centre-gauche se confirme significativement, indé-pendamment des autres variables, avec un fort effet : il est intéres-sant de réfléchir sur le fait que l’odds (ndlr. Terme de statistique. Rapport des chances) de ceux qui se déclarent de centre – gauche est quasiment le double de ceux qui se positionnent à gauche (tradition-nellement hostiles aux groupes perçus comme improductifs et sous prolétaires). Vivre dans un petit village a un impact positif compara-tivement à vivre dans une petite ville, alors que vivre dans une ville moyenne a un effet négatif. Pour ceux qui vivent dans le Mezzogior-no, le pourcentage de ceux qui pensent que le « vivre ensemble » est possible, est absolument plus haut que dans toutes les autres régions (tab. 1), cela confirme le fait que les Roms du Sud de l’Italie sont mieux enracinés dans les réalités urbaines et rurales16; ainsi, nous

observons que vivre dans le Nord-Ouest, dans le Centre et dans les Iles a un effet négatif sur le niveau de sympathie.

Tableau 2. Régression logistique. Variables socio démographiques, aspects valoriels et politiques sur l’opinion au regard de la possibili-tés d’une cohabitation avec les groupes tsiganes.

16 Cf. Pontrandolfo S., I rom di Melfi, CISU, Rome 2002; Cammarota A., Petronio A., Tarsia T., Marino A., I rom e l'abitare intercultur-ale, Franco Angeli, Milan 2009.

B Sig. Exp (B)

50-59 ans 0,623 0,013** 1,864

Jamais à la messe -0,535 0,049** 0,586

La messe plus souvent

qu’une ou deux fois l’an -0,51 0,037** 0,6

Centre-gauche 0,661 0,017** 1,936 Population du centre-urbain <5 000 habitants 0,497 0,026** 1,643 Population du centre-urbain entre 50 001 et 100 000 habitants -1,644 0** 0,193 Nord Ouest -0,723 0,005** 0,485 Centre -0,943 0,001** 0,389 Ile -0,887 0,002** 0,412 Constante -0,312 0,537 0,732

Fond : ISPO 2007. Notre recherche ** Sig. ≥ 0,05 ; N = 1.025 ; R² de Nagelkerke 0,168 ; Log. Véracité 1.028,541

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La variable dépendante dichotomique est obtenue en regroupant les réponses « sûrement que oui » et « probablement oui » versus « sûre-ment pas » et « probablesûre-ment non » à la question « Les Roms, les Tsiganes, peuvent-ils vivre avec nous ? ». Dans le tableau, sont reportés uniquement les variables significatives, mais dans le modèle nous incluions d’autres variables relatives au genre, aux cohortes d’âges (catégorie de références : 40 – 49 ans), au niveau d’étude, à la catégorie socioprofessionnelle, la fréquentation de la messe (catégo-rie de référence : toutes les semaines), l’auto positionnement poli-tique (catégorie de référence : gauche), l’intérêt pour la polipoli-tique, le peuplement de la commune d’appartenance (catégorie de référence : entre 5001 et 20 000 habitants), le territoire géographique (catégorie de référence : le Nord-Est).

b) « Vivre ensemble » et politiques sociales

En réponse à notre demande de faire des propositions en vue d’améliorer la situation des Roms et des Sinti en Italie aujourd’hui (cf. Graphique 1), plus de la moitié des interviewés (56%) indique en premier soit le respect des lois de la part des Roms (32%) soit l’abandon de leur attitude, qui consiste à quémander l’assistance, en faveur d’un comportement plus volontaire et actif (24%). En d’autres termes, il s’agit de propositions qui tendent à désigner les Roms et les Sinti eux-mêmes comme cause principale de leur condi-tion d’exclus. Cette posicondi-tion revient à réduire la victime et le bour-reau à une seule et même personne et à considérer que les « Tsi-ganes » sont responsables de leur propre malheur : « S’ils respectaient les règles et se montraient actifs, ils s’en sortiraient ». En conséquence, tous les interviewés qui font cette analyse se pré-sentent comme des « dominateurs », puisque la domination se défi-nit précisément par rapport au mécanisme qui consiste à rendre res-ponsables des fautes les victimes elles-mêmes17.

Toutefois, si on n’analyse pas seulement la première réponse, mais l’ensemble des réponses fournies, on découvre des propositions plus élaborées et constructives, qui posent la nécessité de mener

des actions en responsabilité publique et des politiques en faveur de l’intégration à l’école et au travail. Trois positions

diffé-rentes, en particulier, se dessinent par rapport à ce qu’il convient de faire. 32% des gadje avancent, comme solutions les meilleures, aussi bien le respect des lois de la part des Roms que le « ils n’ont qu’à fai-re quelque chose, eux » (ce qui corfai-respond à l’attitude la plus fer-mée). A l’opposé, 30% des interviewés privilégient des politiques d’intégration et des actions de responsabilité publique (en général, il

17 Cf. Boltanski L., Rendre la réalité inac-ceptable, Demopolis, Paris 2008.

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s’agit de ceux qui ont également une attitude plus ouverte). Enfin, 38% se situent entre ces deux positions et proposent des solutions mixtes, à savoir le respect des lois de la part des Roms et également des politiques plus structurelles de la part des institutions italiennes. Nous avons construit un indice relatif pour ceux qui estiment important de privilégierpar-dessustout les politiques publiques

pour favoriser le « vivre ensemble », en d’autres termes des poli-tiques actives pour l’emploi, ou des polipoli-tiques d’insertion scolaire ou d’amélioration des conditions d’habitat. Ils sont près de 15% de la population, donc le triple en comparaison au cercle restreint qui montre un sentiment de sympathie, mais seulement la moitié de ceux qui pensent que la cohabitation est possible. Ce groupe présen-te des caractères intéressants (cf. tab.1). La distribution par âges a le même développement que celle du groupe avec de la sympathie pour les Roms (niveaux les plus hauts chez les plus jeunes et chez les quinquagénaires), alors que pour le niveau d’étude, nous rencon-trons un profil différent qui suit une claire progression linéaire de signe positif : avec l’augmentation du niveau d’étude, augmente l’ad-* Sur le graphique figure le premier des trois facteurs indiqués par l’interviewé, par ordre d’importance.

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hésion pour des politiques sociales d’intégration (le groupe des titu-laires d’un bac+5 présentent 14% de plus que le groupe de ceux qui disposent d’une instruction élémentaire) ; évidemment, la relation est en partie possible par des données et des effets connus d’âge. La même progression linéaire se rencontre pour la stratification sociale et l’intérêt pour la politique. Au Sud et dans les Iles, nonobstant des niveaux d’intolérance plus élevés, nous rencontrons malgré tout des taux de soutien aux politiques sociales supérieurs aux autres régions, ceci est probablement du à une habitude plus grande d’y solliciter le rôle actif de l’Etat pour la fourniture de services publics. De la même manière, le fait d’habiter une ville moyenne entre 20 000 et 50 000 habitants, dans laquelle les autorités locales sont responsabilisées et capables d’adopter des logiques opérationnelles pour affronter les problèmes18, augmente le pourcentage de personnes qui demandent

de miser sur les politiques sociales pour favoriser l’intégration. c) Les voies de la cohabitation selon les gadje

Si nous analysons globalement l’attitude des gadje par rapport à la question d’une bonne cohabitation avec les Roms et les Sinti, nous pouvons dégager quatre typologies comportementales19.

- Les xénophobes (37%) : ils éprouvent une profonde antipathie à l’égard des Roms et des Sinti, ils ont d’eux une image négative (« voleurs », « fermés »), mais pas trop stéréotypée (« libres mais pas nomades »). Malgré cela, ils rendent les Roms responsables du choix du campement comme lieu pour habiter et du fait de ne pas vouloir renoncer à des conditions de vie marginales. Ils voient la cohabita-tion comme impossible et en attribuent la cause à des différences culturelles insurmontables. En général, ils ne sont pas informés sur le monde des Roms, et cela est encore plus vrai pour les habitants des grandes villes, les chômeurs et les personnes qui se situent à l’ex-trême gauche ou à l’exl’ex-trême droite.

- Les individus qui ne supportent pas le nomadisme (25%) : ils n’éprouvent aucune sympathie pour les Roms qui, pour eux, sont essentiellement des nomades. Ils ont tendance à réduire le problè-me à la profonde gêne que leur procurent les « campeproblè-ments » tels qu’ils sont. Par ailleurs, ils ne croient même pas que les Roms veuillent y vivre. La cohabitation leur apparaît comme très difficile, au moins tant que les campements nomades continueront à exister. Il s’agit essentiellement de personnes qui ont une sensibilité de centre-droit et qui ne sont pas pratiquantes. Parmi elles, se détachent les quadragénaires, les femmes au foyer, les habitants de l’Italie du centre ou de villes de moyenne importance (entre 50 et 100 000

18 Cf. Vitale T., « Con-testualizzare l’azione pubblica: ricerca del consenso e varietà di strumenti nelle politiche locali per i rom e i sinti », in Bezzecchi G., Pagani M., Vitale T. (ed.), I rom e l’azione pubbli-ca, Teti, Milan 2008, 7-42.

19 La typologie a été établie au moyen d’une cluster analysis, c’est-à-dire en constituant des groupes qui sont homogènes à l’in-térieur de chacun d’eux, mais le plus pos-sible différenciés entre eux. La cluster a été réalisée sur la base d’une analyse facto-rielle qui a permis d’i-dentifier deux facteurs qui rendent compte de 53% de la variance (VARIMAX con-verged in 3 iterations. VARIMAX rotation 1 for extraction, 1 in analysis, 1 - Kaiser Normalization). Le premier facteur met en évidence des représen-tations très négatives, une attitude d’an-tipathie à l’égard des Roms et une position de fermeture envers les politiques d’intégra-tion. Le second facteur n’impute pas aux Roms le choix - d’au-toségrégation - de vivre dans des « campements » à la périphérie des villes et intègre quelques stéréotypes positifs.

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habitants). A l’intérieur de ce groupe, nous observons un mécanis-me cognitif de « recherche de cohérence » pour reprendre l’expres-sion de Tajdel, c'est-à-dire l’attribution de causalités qui permettent d’expliquer une contradiction en conservant son image de soi20.

- Les démocrates qui ont une vision stéréotypée (22%) : pour eux, les Roms et les Sinti ne sont ni sympathiques ni antipathiques, mais ils jugent qu’ils sont discriminés. Ils en ont en même temps une vision stéréotypée et romantique : ils les voient comme étant libres, solidaires entre eux et voleurs, comme ayant une culture et une prove-nance homogènes, et considèrent le « campement » comme un choix de vie fait par eux. Ils jugent que la cohabitation est de toute manière possible et ils pensent que des politiques d’intégration ou de respon-sabilité publique sont en ce sens plus utiles que le seul fait d’exiger le respect des lois de la part des Roms. Cette attitude est courante chez les catholiques pratiquants et chez les individus qui ont une sensibilité de centre-gauche et s’intéressent un peu à la politique : le plus sou-vent, ils ont la trentaine et vivent au sud de l’Italie et dans les îles. - Les démocrates ouverts et pour une intégration effective (environ 16% de l’échantillon) : ils manifestent une certaine sympa-thie envers les Roms. Ils ont une vision assez positive, pas trop sté-réotypée et plutôt encline à des attitudes bienveillantes. Ils pensent que la cohabitation est possible et que, si elle ne se fait pas, c’est que la responsabilité n’en revient pas seulement aux Roms, mais aussi, si ce n’est surtout, aux gadje. Cette attitude est celle des interviewés qui sont les mieux informés sur les Roms et qui s’intéressent le plus à la politique. C’est parmi les personnes qui se situent au centre-gauche, parmi celles qui ont la cinquantaine, ainsi que parmi les étu-diants et les habitants des communes de petite taille qu’elle est le plus répandue.

d) Les voies de la cohabitation selon les Roms

Les Roms et les Sinti mettent en évidence plusieurs questions, étroi-tement liées entre elles, qui sont en jeu et ils explorent également quelques issues possibles pour faciliter la cohabitation.

- Le logement : ils considèrent les « campements nomades » com-me l’expression concrète de la discrimination. Ce sont des lieux dégradés où les Roms et les Sinti n’aiment pas vivre : « Les gadje peuvent difficilement imaginer dans quelle situation se retrouvent les Roms : j’aimerais faire vivre un gadje dans un campement, ne serait-ce qu’une semaine, pour qu’il comprenne mieux la réalité ; pour les gadje, c’est pendant deux mois « L’île des gens célèbres » 20 Cf. Tajfel H.,

Gruppi umani e cat-egorie sociali, il Mulino, Bologne 1984, pp. 118-20.

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alors que les Roms vivent toute leur vie dans les mêmes conditions et ne se plaignent jamais ». Et toujours à propos des campements : « C’est une invention administrative » ; en effet, « les Roms n’ont pas été associés, on ne les a pas consultés, on a fait en sorte de concen-trer le phénomène pour avoir un meilleur contrôle social sur la ques-tion des nomades ». Tous, bien entendu, considèrent que ce sont des lieux qui créent et alimentent la marginalisation et l’exclusion : « Ce sont des cercles vicieux de la misère. Que peut apporter un campe-ment nomade ? ». « Chercher un travail n’est pas facile parce que, même si tu as la peau claire, sur tes papiers on voit que tu habites dans un campement ». La question du logement étant étroitement liée à celle de l’anti-tsiganisme et de l’exclusion, ils sont très nom-breux à considérer la suppression des campements comme la ques-tion prioritaire qui doit être réglée grâce à des politiques de logement spécifiques : elles doivent prendre en compte l’hétérogénéité des dif-férents groupes roms et sinti et proposer des solutions qui aillent des aires à dimensions très réduites aux habitations à loyer modéré. - Le travail : à court et moyen terme, on peut promouvoir de véri-tables politiques de formation professionnelle, qui ne se contentent pas de s’appuyer sur les savoir-faire traditionnels, en impliquant les Roms dans les projets et en dépassant la politique d’assistance : « par exemple, la fonction d’agent commercial irait comme un gant à un Rom car, même s’il dépend d’une société et travaille pour un patron, l’agent commercial a un travail qui comporte la liberté de déplace-ment, les relations avec les autres et la transaction commerciale et qui colle parfaitement à la mentalité « tsigane » ». Ils posent très clai-rement que : « La politique d’assistance n’est pas acceptable et on ne peut pas voir le Rom comme un individu qui est seulement en mesu-re de faimesu-re un travail artisanal et qui n’est pas capable d’aspimesu-rer à une véritable profession... comme, pourquoi pas, celle de médecin. A l’étranger, c’est tout à fait normal ». Beaucoup réclament également « des postes réservés dans les administrations, alors que, au contrai-re, les administrations rejettent systématiquement nos demandes ». - Les études : la scolarisation constitue pour l’ensemble des inter-viewés la clé de la future émancipation des nouvelles générations de Roms et de Sinti. Aujourd’hui « seulement 30% des enfants roms et sinti sont inscrits à l’école primaire en Italie ». Les éléments qui contribuent à éloigner de l’école les enfants qui appartiennent à des groupes scolarisés depuis des décennies (comme, par exemple, les Roms qui proviennent des Pays de l’Est) sont les coûts des livres et des transports ainsi que les attitudes discriminatoires des institutions scolaires : « il y a certaines écoles à Rome qui n’acceptent pas les enfants roms et qui se vantent de ne pas en avoir et d’autres qui ne les

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font pas entrer par la même porte que les enfants gadje ». Le recours à des médiateurs sociaux est considéré comme une aide précieuse. - La participation : un élément qui a été souligné avec insistance par tous les leaders d’opinion consiste dans le fait que ce ne doit pas être les gadje à parler au nom des Roms, mais que les Roms et les Sinti doivent s’exprimer eux-mêmes : « Sans notre participation acti-ve à la vie sociale, culturelle et politique, il n’y aura jamais d’intégra-tion culturelle ». Ils développent une réflexion qui s’appuie sur les raisons de la faiblesse historique de la capacité d’action des Roms qui ont eu une certaine tendance à la déléguer à des associations qui ont agi en leur nom, avec bien sûr des retombées positives, mais aujourd’hui ces dernières doivent les soutenir et ne plus se substi-tuer à eux : « Le moment est maintenant venu de soutenir, au sein de tous les différents groupes, la capacité de participation »21.

- La nationalité : il faut traiter sur le plan législatif et politique national les situations urgentes, à commencer par les cas tragiques d’apatridie : ceux de personnes qui vivent en Italie depuis des années, qui ont des enfants et des petits-enfants ici, mais qui n’exis-tent pas administrativement (comme n’exisn’exis-tent pas leurs enfants et petits-enfants), « en ce sens qu’ils n’ont pas été reconnus dans les pays d’origine, qu’ils parlent seulement italien et romanès et sont sans papiers ». Il faut également retoucher dans le Code civil la partie qui concerne l’attribution de la résidence : il y a des personnes qui sont nées dans des campements et qui n’ont pas obtenu la résidence : « parce que vivre dans un campement, même municipal et même officiel, ne donnait pas droit à la résidence ». Les campements offi-ciels, en effet, ne sont pas des habitations, mais des aires de station-nement qui ne permettent pas d’établir la résidence principale d’une personne. Pour finir, « nous sommes la seule minorité en Italie à ne pas être reconnue par la loi sur les minorités ».

- La confrontation : pour inverser la tendance à la discrimination, ils pensent que sont nécessaires des contacts plus importants et une connaissance réciproque, qui nécessitent de créer des occasions de rencontre, de faire de l’information et de la formation dans les écoles, de mener des campagnes contre la discrimination sur le modèle de l’opération de sensibilisation « Dosta ! » (Assez, ça suf-fit !) promue par l’Union européenne « pour que la culture rom apparaisse au grand jour et soit par conséquent connue, et afin de mettre fin à la “vision” culturelle dominante et aux formes qu’elle retient (la misère, la marginalité) et de remplacer cette vision erronée car partielle en encourageant des événements consacrés à l’art tsiga-ne (musique, peinture, sculpture, spectacle), mais aussi des ren-contres sociales, culturelles et gastronomiques ». Ils demandent éga-lement un recours plus important aux outils législatifs qui existent 21 Sur ce thème, avec

une analyse plus générale, cf. Vitale T., In nome di chi? Parte-cipazione e rappre-sentanza nelle mobili-tazioni locali (Au nom de qui ? Participation et représentation dans les mobilisations locales), FrancoAn-geli, Milan 2007.

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déjà, en particulier en matière de discrimination ethnique et raciale. Comme requête, pas la moindre, ils invoquent la nécessité, pour les médias, de faire preuve d’une plus grande déontologie afin de diffu-ser une information plus correcte à leur égard.

5. La légalité : une condition préalable ou un résultat ?

Les différences entre l’opinion des gadje et celle des Roms et des Sinti mises en évidence dans cet article pourraient être biaisées en raison de la différence entre les outils d’investigation qui ont été retenus : dans le cas des gadje, un sondage d’opinion à partir d’un échantillon représentatif de la population ; dans le cas des Roms et des Sinti, une enquête qualitative portant sur un nombre restreint de leaders d’opinion qui appartiennent à ces communautés et qui ont un niveau de formation élevé. Même si nous leur avons demandé de ne pas nous présenter leur propre point de vue, mais de façon plus générale celui des communautés auxquelles ils appartiennent, nous sommes bien conscients du fait que cette démarche pose des pro-blèmes du point de vue méthodologique. Malgré cela, et confortés par d’autres recherches dont nous avons fait état et qui ont été menées en termes plus qualitatifs, il nous semble possible de pou-voir soutenir que, chez les gadje, d’une part, et chez les Roms et les Sinti, d’autre part, ce sont - avec les différences inévitables qu’on trouve à l’intérieur de chacun des deux ensembles - des définitions communes mais des perspectives distinctes qui émergent pour ce qui concerne le respect de la légalité. Les deux parties considèrent comme étant d’une importance capitale le thème du respect des lois et, de manière plus générale, celui de la protection et de la sécurité des personnes ainsi que celui des appareils de répression. Toutefois, le thème de la légalité est perçu et expliqué de manières différentes.

Pour la majorité des gadje, et plus précisément pour ceux que

nous avons définis comme « étant xénophobes » et « comme ne sup-portant pas le nomadisme » (mais la même position se retrouve éga-lement parmi de nombreux « démocrates qui ont une vision stéréo-typée »), la légalité est une condition préalable nécessaire pour des parcours réussis d’intégration sociale. Pour les gadje, le respect des lois de la part des Roms et des Sinti revêt une priorité absolue car c’est de lui que découlerait directement et automatiquement une meilleure reconnaissance de la part de la population majoritaire et, par voie de conséquence, la résolution des problèmes du logement, du chômage et de la faible scolarisation et, en définitive, le dépasse-ment des préjugés et la pleine participation démocratique.

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Bien différente est la conception des leaders d’opinion roms et sinti pour lesquels il est fondamental d’affirmer, avant toute chose, qu’il faut arrêter de criminaliser un peuple tout entier. Une plus grande « légalité » peut être obtenue, à moyen terme, en mettant en œuvre des politiques d’intégration, « en offrant la possibilité de respecter les règles ». Il serait juste d’intervenir en faveur du peuple rom parce que, ainsi, la criminalité également diminuerait ; mais la réalité des faits montre que l’on ne veut pas vraiment trouver des alternatives valables pour intégrer dans la société les familles roms. On agit seulement pour réprimer et punir ; on ne tient pas compte des difficultés réelles auxquelles les Roms sont confrontés ». Il ne s’agit pas de déresponsa-biliser les individus et d’excuser leurs comportements, bien au contraire. Pour les Roms et les Sinti, qui prennent aussi en compte ce qu’ils savent sur les politiques menées dans d’autres pays européens et en Amérique latine, le respect de la légalité est un phénomène qui émerge là où interviennent à la fois : 1) la lutte contre la discrimination et le racisme ; 2) des politiques sociales en faveur du logement, du tra-vail et de la scolarisation ; 3) une reconnaissance des droits politiques, des espaces de participation et des possibilités de représentation.

6. De la dynamique de l’opinion à l’action publique et retour

L’Italie s’est faite rappeler à l’ordre à plusieurs reprises par les insti-tutions internationales (Union Européenne, Conseil de l’Europe, OCDE, ONU) pour ses traitements discriminatoires envers la minorité tsigane. Les initiatives racistes à l’égard de ces groupes se rencontrent à tous les niveaux, des mobilisations locales jusqu’au plus hauts sommets de l’Etat. Le préjudice que nous avons décrit et pour lequel nous avons cherché à percer la distribution géogra-phique et sociale, ne suffit pas en soi à expliquer les formes de

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discri-minations institutionnelles22. Le sentiment d’hostilité est un «

patri-moine » qui peut être mobilisé dans le but d’obtenir un consensus. Pour conclure notre raisonnement, il est nécessaire de rendre compte des principaux mécanismes politiques qui soutiennent les dynamiques de criminalisation et de mobilisations contre les « Tsiganes » ces der-nières années. Le premier est un mécanisme de diffusion des mobilisa-tions anti-tsigane : dans les années ’90, elles restaient limitées aux seuls territoires contingents aux logiques politiques instrumentales de la droite ; dans ces dernières années, au contraire, les mobilisations à caractères racistes et les vues marquées d’eugénisme se sont répandues rapidement avec un effet d’émulation et de plus, une certaine capacité de coordination assurée par les partis de droite (La Ligue du Nord en tête mais pas seule : les droites dans leur ensemble sont apparues équi-valentes dans la campagne anti-tsigane). Un second mécanisme, plus récent, a opéré dans les deux dernières années. Nous pourrions le nommer la certification23de la part du gouvernement national qui,

avec le paquet sécurité d’Amato (Centre–droit) en premier lieu, puis, les décrets Maroni (Droite) après qu’il eut assuré de sa disposition à reconnaître et soutenir les revendications locales des acteurs politiques anti-tsiganes.

Ces deux mécanismes, combinés, ont produit des effets de grande ampleur, c'est-à-dire un accroissement du nombre des acteurs impli-qués et de la portée géographique des actions perpétrées à l’en-contre des Roms et des Sinti ; en d’autres termes, un changement d’échelle qui a conféré aux événements, une dimension nationale et européenne. Et qui a fait se diffuser et dédouaner ultérieurement des formes de gestion au moyen de bidonvilles et de ségrégation spatiale des groupes tsiganes. Les analyses que nous avons détaillées, conduites ailleurs, montrent que l’usage démagogique du sentiment anti-tsigane n’est pas coextensif de l’ensemble des politiques locales engagées en Italie : des villes ont adopté des politiques bien diffé-rentes24. Toutefois, ces différences, n’occultent pas le fait que dans

les dix dernières années, la dynamique politique dominante a ali-menté la perte de mémoire de l’inscription des groupes tsiganes dans l’histoire des sociétés urbaines et rurales italiennes.

Dé - historicisation et réification ethnique ont offert un terrain pour les entreprises politiques et les morales démagogiques qui ont mobi-lisé le sentiment anti-tsigane pour obtenir un consensus. Le senti-ment d’hostilité n’est jamais la conséquence automatique de la ren-contre entre des groupes socialement et culturellement différents, comme l’a bien en lumière Tajfel, mais toujours, le fruit d’une construction politique et morale25. Utiliser les pires sentiments de

l’opinion publique a contribué à les renforcer, à les légitimer et à les défendre dans une mauvaise spirale dont nous avons voulu rendre

22 Cf. Alietti A., Padovan D., Sociologia del razzismo, Carocci, Milan 2000, p. 122. 23 Par certification, nous entendons un mécan-isme à travers lequel une autorité externe indique sa propre disposition à reconnaitre, légitimer et appuyer l’existence et les revendications d’un acteur politique ; cf. Tar-row S. e Tilly C., La poli-tique du conflit, Presses de Sciences Po, Paris 2008.

22 Cf. Vitale T., « Con i rom e i sinti. Costruire consenso attraverso la varietà di strumenti del-l’azione pubblica », in E.R.E. - Emilia-Romagna-Europa, n. 2, 2009.

Figure

Tableau 1. Table de contingence (crosstabs). Variables socio - démo- démo-graphiques, caractères des valeurs et des options politiques sur la sympathie envers les groupes tsiganes ou sur le sentiment de  sympa-thie, sur l’opinion relative au « vivre ensemb
Tableau 2. Régression logistique. Variables socio démographiques, aspects valoriels et politiques sur l’opinion au regard de la  possibili-tés d’une cohabitation avec les groupes tsiganes.

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