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L'activité didactique empêchée, entre contraintes et ingéniosité : étude de cas en éducation physique et sportive en milieu difficile

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Academic year: 2021

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THESE

THESE

En vue de l'obtention du

DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE

DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE

Délivré par l'Université Toulouse III - Paul Sabatier

Discipline ou spécialité : Sciences de l'Education, mention "Didactique des disciplines scientifiques et technologiques"

JURY

ChantaI AMADE-ESCOT, Professeure (70ème Section, Université de Toulouse, Paul Sabatier)

René AMIGUES, Professeur (70ème Section, Université de Provence)

Jean-Yves ROCHEX, Professeur (70ème Section, Université Paris VIII)

Maria Luisa SCHUBAUER-LEONI, Professeure (Sciences de l'Education, Université de Genève) Patrice VENTURINI, Professeur (9ème Section CNECA, ENFA, Université de Toulouse)

Ecole doctorale : Comportement, Langages, Education, Socialisation, Cognition (CLESCO) Unité de recherche : DiDiST-CREFI-T, EA 799

Directeur(s) de Thèse : Chantal AMADE-ESCOT

Rapporteurs : René AMIGUES, Maria Luisa SCHUBAUER-LEONI

Présentée et soutenue par Nathalie MONNIER Le 25 mai 2009

Titre :

L'activité didactique empêchée, entre contraintes et ingéniosité Etude de cas en Education Physique et Sportive en milieu difficile

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Merci à Chantal pour sa disponibilité, son accompagnement patient,

exigeant et toujours plein d'humanité.

Merci aux collègues d'avoir gentiment accepté de jouer le jeu.

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Sommaire

Introduction

……… p.1

Première partie : PROBLEMATISATION INITIALE

ET PRISE DE POSITION THEORIQUE

…...……….... p. 7

Titre 1 : Etayage du questionnement problématique contribuant

à la construction de l’objet de recherche

………..…………... p. 9

CHAPITRE 1 : Etat des lieux sur la question de l’enseignement en milieu difficile…... p. 11 CHAPITRE 2 : De l'intérêt du recours à "la clinique de l'activité" pour

étudier le didactique en milieu difficile……….………. p. 45 CHAPITRE 3 : Inscription théorique dans le champ : la théorie de l'action conjointe

en didactique ……….………..………... p. 71

Titre 2 : Elaboration et mise en œuvre du protocole-test.

Conséquences méthodologiques et présentation du dispositif

de recherche effectif

……….….… p. 85

CHAPITRE 1 : Premiers arbitrages méthodologiques en vue d'élaborer le

protocole-test………...…… p. 89 CHAPITRE 2 : L'enquête initiale ………... p. 119 CHAPITRE 3 : Du protocole-test au dispositif effectif ……… p. 141

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Deuxième Partie : "L'ACTIVITE DIDACTIQUE EMPECHEE" :

QATRE ETUDES DE CAS POUR EN RENDRE COMPTE

……… p. 169

CHAPITRE 1 : Le cas Nadia……….….... p. 171

CHAPITRE 2 : Le cas Hélène……….…… p. 235 CHAPITRE 3 : Le cas Géraud……… p. 291 CHAPITRE 4 : Le cas Florence……….. p. 363

Vers la mise au jour de l'activité didactique empêchée

……….. p. 443

DISCUSSION ET CONCLUSION GENERALE

……….…… p. 445

Bibliographie………...………..……….…... p. 479 Table des schémas, figures et tableaux ………..…. p. 489 Table des annexes (tome des annexes)……… p. 491 Table des matières ………p. 493

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La recherche sur l'enseignement en milieu difficile exposée dans le manuscrit de cette thèse, intitulée "L’activité didactique empêchée, entre contraintes et ingéniosité. Etude de cas en Education Physique et Sportive en milieu difficile", rend compte d'un cheminement professionnel et scientifique. Nous présentons dans cette introduction les étapes marquantes de notre parcours qui, pensons-nous, nous ont conduit à problématiser la question de l'enseignement en milieu difficile à partir d'un regard en didactique tout en recourant à certains apports de la clinique de l'activité.

J'intègre, en septembre 1987, l’Unité de Formation et de Recherche en Science et Technique des Activités Physiques et Sportives (UFRSTAPS) de Toulouse pour devenir professeure d'Education Physique. Mon souhait initial était d'étudier à Montpellier, comme tous les Nîmois, dont l'UFRAPS était dirigé à ce moment là par Alain Hébrard une figure de l'EPS du moment. Ma déception régionaliste est vite consolée par l'ambiance et le creuset de réflexion dans lequel je m'aperçois être arrivée. Avec l'intégration de l'EPS au ministère de l'Education Nationale (1981), la discipline est rentrée dans une nouvelle phase de son histoire, celle de la question de l'orthodoxie scolaire : de nouvelles instructions officielles (1985 et 1986) orientent l'enseignement de l'EPS au secondaire, les didactiques se développent, et les formateurs des futurs enseignants sont portés et porteurs d'une certaine effervescence conceptuelle. L'UFRSTAPS de Toulouse abrite alors quelques formateurs, particulièrement sensibles et à la didactisation de la discipline, et à la place de la recherche en formation initiale des enseignants. Ils créent le Groupe de Réflexion Didactique sur les Activités Physiques et Sportives (GRD APS), au sein duquel ils développent un certains nombre de travaux qui, bien que ne trouvant pas encore de niche institutionnelle scientifique1, percolent cependant en formation.

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L’intérêt et la pertinence des apports de la didactique pour penser le métier de professeur d’EPS me conduisent à m’intéresser et vouloir approfondir mes connaissances dans ce domaine. Après l'obtention du CAPEPS qui coïncide avec l'année de création des IUFM (1991), je profite de l’année de stage (titularisation) pour suivre une formation et valider un diplôme universitaire de recherche (DUR) en "didactique des disciplines expérimentales" au LEMME2. Cette année va marquer durablement ma relation à la didactique et à la recherche. Le DEA des disciplines expérimentales dont je suis les cours m'offre la possibilité de participer aux séminaires de didactique de G. Brouseau à Bordeaux, rencontre forte et marquante tant sur le plan scientifique que professionnel.

1991 est aussi l'année de soutenance en STAPS3de la première thèse, mention didactique des APS, à laquelle j'assiste, novice en recherche, ignorante des arcanes de l'université. Cette thèse dérange au moment où les STAPS, portés par un contexte politique et universitaire qui pose la question institutionnelle des structures de formation des maîtres et par voie de conséquence des contenus de leur formation, souhaitent (notamment à l'URFSTAPS de Toulouse) rompre avec ce que certains universitaires considèrent comme un héritage "secondaire supérieur" à savoir la formation des enseignants (Michon, 1983). Je percute alors, un peu précocement, la complexité de la relation entre les enjeux institutionnels et les enjeux de production du savoir.

Ma première affectation de professeure d'EPS m'amène d'abord en Seine St Denis, dans un lycée en "zone sensible" où j'enseigne cinq ans. A mon retour à Toulouse je suis nommée en lycée professionnel dans un quartier populaire qui sera décimé par l'explosion de l'usine AZF. Je suis confrontée à la difficulté d'exercice du métier, plus encore dans ces milieux, ainsi qu'à l’institution "Ecole" dans toutes ses dimensions (politique, sociale, éducative). Je prends la mesure de la dimension politique de l’école dans une période - les années 90 - qui marquent en

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France une nette accélération de l’impact des politiques libérales dans le domaine de l’éducation. Par ailleurs, en marge de mon activité professionnelle, je reste en contact avec la recherche en collaborant à quelques travaux, en participant à des colloques et des séminaires. Ces deux veines, politique et didactique, ont nourri pendant 10 années mon questionnement problématique sur l’école et la société.

Deux contextes concomitants contribuent à l'éclaircissement de mon questionnement. Je participe en 1999 et 2000, à un groupe régional de travail et de réflexion, "EPS et Société"4 qui prend finalement la forme d'un lieu de parole et d’échanges d’enseignants engagés et attachés à leur discipline. Les participants à ce groupe, tous enseignants d'EPS ou formateurs, racontent, expriment, exposent leur expérience professionnelle. Je mesure là, la souffrance ressentie par les collègues, souffrance alimentée par la difficulté à faire la classe, mais aussi par l'inquiétude face à l'évolution institutionnelle de l'Ecole et de l'EPS que le contexte politique ne peut qu'amplifier. Mais je me confronte également à ce moment là, à la difficulté de faire quelque chose de cette souffrance exprimée, de la transformer, de l’analyser. Ce travail se conclut par une présentation rendant compte de "ce qui se dit du métier" au colloque "Quelle activité professionnelle pour la réussite de tous ?" organisé par le principal syndicat des professeurs d'EPS (SNEP) en 2000 à Orsay.

Lors de ce colloque j'assiste à une conférence d'Yves Clot, première rencontre avec la clinique de l'activité qu'il présente, en laquelle j'entrevois des sources de réponses possibles aux questions soulevées par ces deux années d'échanges et de réflexions dans le groupe de travail "EPS et Société".

C'est aussi dans cette période que je suis sollicitée pour intervenir à l'IUFM Midi-Pyrénées en tant que formatrice associée en charge de la direction de mémoires professionnels, mais aussi

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de la préparation à l’écrit 25 du concours du CAPEPS. Cette expérience me permet de percevoir le rapport qu’entretiennent les entrants dans le métier à la didactique. En tant que discipline de formation (et non de recherche) la didactique est perçue comme "une science de la situation d’enseignement idéale", bien peu utile à gérer l’immédiateté et les difficultés concrètes du métier. Dans cette période la thématique galvaudée de "l’action située" séduit les enseignants stagiaires alors qu'elle entretient, selon moi, à partir d'une compréhension réductrice des travaux menés sous la direction de Durand (2001), le leurre de l’efficacité à moindre coût.

Mon engagement dans ce travail de thèse acte la volonté de prendre en charge les questions professionnelles politiquement situées de l’enseignement en milieu difficile dans le champ de la didactique, parce que l'abord triadique de objet d’étude me paraît ne pas éluder toute la complexité de la situation d’enseignement apprentissage d'une part, mais aussi parce qu'appréhender l'éducation en tant que domaine de réalité, en posant la question du savoir, correspond au projet social et politique dont je veux croire l'Ecole, malgré tout, toujours porteuse.

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PREMIERE PARTIE

PROBLEMATISATION INITIALE

ET PRISE DE POSITION THEORIQUE

Cette première partie fonde la faisabilité théorique et empirique de notre recherche.

Elle présente d’abord l’étude de la littérature qui nous a amené à fixer un premier niveau de questionnement problématique, puis l’étude exploratoire que nous avons réalisée grandeur nature, limitée à un cas. L’élaboration de ce pré-test et sa mise en oeuvre ont permis

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TITRE 1

Etayage du questionnement problématique contribuant à

la construction de l’objet de recherche

Le titre 1 présente la confrontation de notre projet de recherche à la littérature. Il permet d’opérer un premier niveau de positionnement théorique et d’élaboration de notre problématique de recherche. Trois chapitres le structurent :

- le premier propose un état des lieux de l'enseignement en milieu difficile,

- le second aborde, dans le contexte social décrit précédemment, la question du travail enseignant et sa problématisation en termes d'activité didactique empêchée, - le troisième traite de l'inscription théorique de la recherche en la situant dans

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CHAPITRE 1 : Etat des lieux sur la question de l’enseignement en

milieu difficile

Ce chapitre initie notre travail d'objectivation du domaine de réalité qui circonscrit le cadre large de notre étude : l'enseignement en milieu difficile. Cette toute première étape nous paraît nécessaire pour nous mettre à bonne distance de ce qui a constitué, pendant presque quinze ans, notre quotidien d'enseignante. Elle consiste aussi à nous faire une idée, à partir des savoirs disponibles en sciences humaines, de l'état de la problématisation de la question de l'enseignement en milieu difficile. La référence ou le recours aux travaux de recherche sur ce thème, développés majoritairement en sociologie de l'éducation, est destinée à nous permettre de porter un regard armé sur la réalité de l'Ecole, point de vue nécessaire à la construction de notre objet d'étude dans le cadre didactique. Nous considérons avec Johsua que la didactique est plongée dans le débat social, politique et philosophique sur l'Ecole, en ce qu'elle repose sur l'analyse des fonctions de l'Ecole (Johsua, 1999). Lahire depuis un point de vue sociologique, formule une position proche de celle de Johsua lorsqu'il pointe que "les savoirs scolaires sont impensables hors des formes de leurs transmission et toute option didactique ou pédagogique est ainsi indissociable d'options politiques" (1997, p. 26). Nous n'allons pas ici procéder à une revue de question exhaustive. Nous souhaitons aboutir, au terme de la documentation effectuée, à la mise en évidence des questions que nous retenons parmi celles soulevées par les recherches en sociologie de l'éducation et aussi celles, plus rares, réalisées en didactique. C'est-à-dire celles qui non seulement alimentent le questionnement sur l'enseignement en milieu difficile mais surtout, celles susceptibles de trouver des prolongements en étant prises en charge et éclairées par un abord didactique.

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1. L’accès à la culture commune pour tous difficile voire menacé

"Puisque l'Ecole est faussement égale pour tous, autant qu'elle soit clairement "différente", "diverse", puisqu'on ne veut pas dire inégale. […] Quel est le cadre qui convient le mieux aux classes dominées : celui qui affirme leur inégalité constitutive, ou celui qui, affirmant leur égalité de principe, ouvre un champ permanent de lutte pour progresser en ce sens ?" (Johsua, 1999, p. 75). Tout est dit ! Il nous incombe néanmoins d'expliciter les raisons et les points d'appuis qui nous amènent à faire nôtres les termes du débat et la nature des enjeux posés par cet auteur en 1999. Nous insistons sur la date à laquelle la pensée de l'auteur est figée par la contrainte de l'écrit, parce que les dix années écoulées depuis, ont malheureusement confirmé, et par là même, validé son analyse du projet (et des effets) des politiques libérales pour l'Ecole publique en France. Rappelons à partir de quelques références non exhaustives les indicateurs de cette inégalité croissante.

1.1. "L'école faussement égale pour tous"

De Jules Ferry à nos jours, l'Ecole n'a cessé d'accueillir un public toujours plus large. De la place faite aux femmes, au moment de rendre l'Ecole obligatoire en 1880, très discutée par les conservateurs de l'époque qui estimaient la femme biologiquement incapable d'apprendre à lire (alors que le véritable enjeu résidait dans le fait que la femme représentait le vecteur majeur de l'influence de l'Eglise), jusqu'à la création du collège unique (1975 : loi Haby), on peut considérer que l'Etat a porté la volonté d'accès du plus grand nombre à l'Ecole de la république. L'Ecole sort ainsi d'une logique ouvertement ségrégative (de 1882 à 1945 avec l'école primaire du peuple / le lycée des notables6) pour pénétrer dans une dynamique d'unification progressive du système éducatif, ce que relève également Terrail en pointant que "le dispositif d'école

6 L'école primaire prolongée par le cours complémentaire conduit 20% de la population en 1910 au certificat

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unique publique mis en place en France entre 1959 et 1975 est l'une des options nationales qui va le plus loin dans l'affirmation du droit d'accès de toutes les catégories sociales à tous les parcours de formation" (2004, p. 22). Une conjonction d'éléments sociologiques, économiques, politiques, idéologiques porte cette accélération donnée à la scolarisation en France à partir des années soixante (Prost, 1985/1990, p. 45-48). Le plus remarquable, de notre point de vue, est la croyance en la relation entre la croissance économique du pays et celle de l'Education Nationale fondée sur le constat de la pénurie de jeunes diplômés en France comparativement aux autres pays.

Néanmoins, si depuis 40 ans, tous les enfants de France vont à l'Ecole jusqu'à, au moins, seize ans, les statistiques officielles (même partielles) et les études comme celle menée par Prost (1985/1990) sur ce que produit cette fréquentation prolongée du système éducatif par les différentes catégories sociales constituant la société française, montrent que les enfants des couches populaires réussissent moins que ceux des couches sociales favorisées7. L'auteur est ainsi amené à conclure que "manifestement, la démocratisation n'est pas au rendez-vous des réformes" (1990, p. 65).

1.2. De l'Ecole unique à la culture commune

La prolongation du cursus scolaire identique pour tous - le collège unique - destinée par la sphère dirigeante à augmenter sensiblement le nombre de jeunes diplômés afin de porter la croissance et la compétitivité économique du pays8, pose le problème inédit aux acteurs du système éducatif au sein des établissements scolaires (principalement les enseignants) de confronter et de faire accéder des jeunes, nombreux et divers, à ce que l'on peut appeler "une

7 Selon l'étude menée par Prost dans l'agglomération orléanaise en 1980, donnant lieu à une publication (1986)

Les enfants d'ouvriers ne se distribuent pas également dans les différentes filières. Ils forment plus de 48% de la population des BEP et 15% des secondes C.

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culture commune", celle dont les contours sont dessinés par les textes des programmes officiels des différents disciplines.

Dans une perspective humaniste, cette décision politique ouvre un possible historique, celui de "doter tous les jeunes d'outils intellectuels communs" (Johsua, 1999, p. 104) s'appuyant alors forcément sur la croyance en ce même possible (contrairement à une position qui serait similaire à celle des conservateurs du XIX siècle vis-à-vis des femmes). Elle soulève aussi des questions cruciales, dont celle du choix des œuvres définissant la culture commune visée. En suivant Johsua, l'enjeu n'est rien de moins que de permettre d'éviter le relativisme culturel sans tomber dans l'élitisme reproducteur, en faisant en sorte que cette "culture commune" n'écrase pas les cultures non communes ou (moins communes) mais tisse avec elles des liens réciproques.

Cette même décision politique a modifié sensiblement les conditions de travail des enseignants qui sont alors confrontés, surtout au collège, à une importante hétérogénéité des élèves dans les classes, hétérogénéité qui participe au développement du sentiment de difficulté voire de celui d'une impossibilité à enseigner (Sondage Sofres pour la FSU9, 2002, cité par Terrail, 2004, p. 9).

Dans les faits, depuis la création du collège unique, malgré ou à cause de la loi d'orientation de 1989, l'histoire récente du système éducatif et les études macrosociologiques montrent l'abandon progressif de cette visée ambitieuse de l'accès du plus grand nombre à la culture commune définie comme nécessaire au citoyen.

1.3. La territorialisation des politiques éducatives

"Il faut rappeler que la notion même d'échec scolaire émerge dans les années soixante ; que bien des réformes introduites depuis lors l'ont été au nom de la lutte contre cet échec" (Terrail

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2004, p. 25). On peut considérer que la réforme la plus marquante pour lutter contre l'échec scolaire est la mise en place en 1981-82 des Zones d'Education Prioritaires qui s'inspiraient des politiques anglo-saxonnes de discrimination positive. Néanmoins, les travaux dont rend compte la note de synthèse sur les 20 ans de politique ZEP, réalisée par Rochex et Kherroubi (2002, 2004) pointent que les effets de la politique d'éducation prioritaire dans la lutte contre l'échec scolaire sont nuancés10 : "ces travaux tendent les uns et les autres à montrer que les projets et actions mis en œuvre dans le cadre de la politique ZEP n'ont pas nécessairement les vertus et les effets démocratisants que leur présupposent leurs promoteurs" (Rochex & Kherroubi, 2004, p. 134).

Nous abordons dans les sections suivantes les éléments qui nous paraissent utiles à fonder et expliquer l'impact sourd, dans les différentes sphères du système éducatif (des acteurs aux usagers), des choix opérés et annoncés pour lutter contre l'échec scolaire dont la création des ZEP nous paraît être emblématique. Car nous pensons en fait qu'il y a une disjonction entre l'objectif déclaré être poursuivi par les mesures et/ou les réformes proposées (politique ZEP notamment) et le projet politique réellement engagé. Au risque de faire une lecture radicale, nous sommes enclin à considérer avec Chomsky (2006), que les gouvernants présentent aux citoyens les actes politiques qu'ils posent (les réformes) selon "la doctrine des bonnes intentions". Ainsi, loin d'organiser institutionnellement et profondément la lutte contre l'échec scolaire, la mise en place des ZEP aura marqué en France le début du démantèlement de l'Ecole unique permettant l'accès de tous à une culture commune.

Johsua (1999) relève que "la poussée libérale" des années 90, repérable à partir d'un certain nombre de publications et de rapports sur l'enseignement en France et en Europe11, propage l'idée que la mission de l'Ecole est de rendre service au monde économique. Cet élément peut

10 "Enfin la mise en place des ZEP n'a eu aucun effet significatif sur la réussite des élèves, mesurée par

l'obtention d'un diplôme, l'accès en quatrième, en seconde, et l'obtention du baccalauréat" (Bénabou, Kramarz, & Prost, 2004, p. 18)

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ne pas surprendre. Nous avons vu en effet que le même postulat dans les années soixante avait porté la massification de l'éducation en France. Comme le notait Prost en 1985, "c'est d'abord un trait caractéristique de la culture française que la confiance accordée aux études comme facteur de promotion sociale. Ce modèle de promotion par la réussite scolaire est solidaire de nombreux aspects de notre organisation sociale comme l'importance de la fonction publique" (1985/1990, p. 46). Mais, comme le remarque Johsua, la conviction des dirigeants, de l'intérêt pour l'économie du pays d'un niveau élevé de diplôme chez une grande majorité de jeunes, est ébranlée. Beaucoup de pays voisins dont la Suisse ou l'Allemagne ont un taux de diplômés du secondaire nettement inférieur à celui de la France ; "la société marchande d'aujourd'hui n'aurait pas besoin de gens formés en nombre au niveau où ils le sont actuellement" (Johsua, 1999, p. 41). La question n'est plus dès lors de "doter tous les jeunes des mêmes outils intellectuels", la société peut se satisfaire de réussites contrastées et d'acquisitions différentes, l'enjeu pour les sphères dirigeantes est de légitimer l'abandon de l'aspiration de l'accès de tous à une culture commune, et de canaliser, de "pacifier" dit Johsua, les revendications de ceux qui ne se satisferaient pas d'une Ecole qui maintient, voire organise, la pérennisation des conditions sociales moins avantageuses pour les classes populaires. On peut noter avec Le Goff (1998), qu'au delà même de la volonté de réduire le nombre d'élèves qui accéderaient au meilleur niveau de formation dans le secondaire, des modifications profondes sont opérées au sein de la société et de l'Ecole par les orientations libérales. L'idéologie libérale, calquant le canon de fonctionnement et les aspirations du monde de l'entreprise sur l'univers de l'Ecole, oriente via les textes officiels des disciplines scolaires l'appréciation même de la notion de culture : "Appliquée à l'enseignement, la logique des compétences et ses outils d'évaluation érodent les finalités spécifiques de l'école dans un sens étroitement adaptatif et favorisent le développement d'un rapport utilitariste à la culture. Elle est la négation pratique de la culture

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comme élément essentiel de ce qui fait l'humain" (Le Goff, 1998, p. 44). L’idée de la culture est alors doublement menacée.

Rochex et Kherroubi (2002, 2004) font un constat analogue à celui de Johsua. Ils indiquent que si le projet initial, porté par le Ministre Savary au début des années 80 est de faire des établissements en ZEP des lieux d'innovation pédagogique pour lutter contre l'échec scolaire, au terme des années 90, l'idée selon laquelle les ZEP sont des lieux de recherche pédagogique est à relativiser. Selon ces auteurs le début des années 90 marquent "l'imbrication du social et du scolaire avec l'apparition d'un marché scolaire ou du moins de phénomènes de concurrence entre établissements" (Rochex & Kherroubi, 2004, p. 119). Cela se traduit, du point de vue de l'évolution des politiques éducatives, par "un couplage systématique de la politique ZEP et de la politique urbaine" (Rochex & Kherroubi, 2002, p. 105). Il nous semble, qu'il y a là de quoi repérer la traduction en acte de la volonté de "pacification" évoquée par Johsua. Mais, dans le même temps, symboliquement, est ainsi fortement scellée l'assimilation des conditions sociales des enfants aux niveaux de réussite scolaire des élèves.

C'est dans ce contexte politique - que nous considérons en partie explicatif de l'évolution de la scolarisation en France mais aussi de l'évolution des idées et des discours sur l'Ecole - que se développent relativement aux ZEP trois veines de recherche sociologiques (Rochex & Kherroubi, 2004) : celle, dans la lignée des travaux plus anciens de Bourdieu et Passeron (1970), qui pointe l'école de la banlieue comme l'école des sous-prolétaires, celle dont l'angle d'approche est la transformation des relations entre familles populaires et Ecole (Thin, 1998), ou encore celle dans l'optique de van Zanten (2001) dont l'objet est la ségrégation scolaire. Nous choisissons de nous attarder sur les travaux de cette auteure dont les observations mettent en lumière la réalité de l'enseignement en milieu difficile au sein des établissements.

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1.4. Territorialisation et difficultés d'enseignement

Avec la notion "d'Ecole de la périphérie", van Zanten met l'accent sur le rôle central des contextes locaux dans la structuration de l'action éducative. Ce point de vue nous paraît pertinent pour prendre la mesure des effets d'une politique éducative ramenée à l'initiative de l'échelon local, l'établissement, telle que la porte le projet libéral pour l'école publique qui ne serait plus une Ecole unique. Les travaux de van Zanten, menés dans une perspective ethnographique, pendant sept ans, à partir de trois études successives au sein d'une même ville de région parisienne, explorent l'ensemble de la communauté éducative. Nous focalisons notre attention sur ce qui a trait au constat de "resocialisation professionnelle" des enseignants travaillant en établissements difficiles. La resocialisation professionnelle est "un processus puissant de transformation de la personnalité, le développement d'une carrière morale qui n'implique pas seulement la mise en place de stratégies de survie, mais la construction d'une maîtrise pratique de l'activité et d'une éthique professionnelle" (van Zanten, 2001, p. 212). Parmi l'ensemble des usages professionnels procédant de la resocialisation décrite par l'auteure, observée également par Périer12 (2003) et d’un autre point de vue par les travaux de Butlen, Peltier-Barbier et Pezard13 (2002), nous retenons deux constats qui corroborent l'analyse selon laquelle l'action des enseignants au sein d'un système éducatif ainsi territorialisé ne concourt plus à la transmission d'une culture commune à l'ensemble des jeunes scolarisés :

- Le premier, rend compte à la fois de la réduction des objets enseignés en regard des programmes officiels, mais aussi de la "contextualisation des pratiques didactiques et pédagogiques" qui conduit à la simplification des contenus enseignés consistant à privilégier "l'oral et l'image", ainsi que des "stratégies pédagogiques utilisant le jeu et la théâtralisation"

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Cet auteur étudie les formes de "négociations des rapports pédagogiques" de professeurs stagiaires en milieu difficile, c'est-à-dire de professeurs dont la professionnalité enseignante n'est pas encore forgée. Il identifie 4 "registres d'action pédagogiques à la marge" : le registre de la force physique, le registre de l'affection, le registre de la connivence culturelle et le registre du renoncement.

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pour rendre l'apprentissage moins pénible selon les dires des enseignants (van Zanten, 2001, p. 227-228). Notons que Butlen, Peltier-Barbier et Pézard (2002) ont également pointé que les enseignants de milieux difficiles, convaincus de leur isolement et de leur situation particulière, s’estiment libres de modifier les programmes officiels sur le plan des contenus.

- Le deuxième constat met en avant la répercussion de la réduction des attentes des enseignants à l'égard de leurs élèves en matière d'évaluation. Les enseignants sont amenés à sur-noter leurs élèves ou à diminuer la difficulté des questions et des exercices posés pour les devoirs en classe mais aussi à la maison (van Zanten, 2001, p. 228).

Ces constats établis à partir d'observations et d'entretiens avec les enseignants, interrogent les didacticiens. Nous verrons comment cette question a été prise en charge en didactique et quelles sont les interrogations qui persistent.

On peut ainsi dire, avec Rochex et Kherroubi (2002, 2004) et à la lumière des travaux de van Zanten (2001), que la politique de discrimination positive se traduit dans les établissements par une grande diversité de moyens alloués à chacun d'eux, et que "dans son principe, le mouvement de territorialisation conduit à inviter chacune de ces unités à proposer une traduction spécifique des objectifs nationaux, associée à une demande de moyens" (Rochex & Kherroubi, 2004, p. 123). Comme le note Bautier (2002), l'ambiguïté de la politique ZEP du fait de l'évolution et de la diversité des objectifs qu'elle poursuit (de la lutte contre l'échec scolaire à la socialisation des élèves et au-delà, même de leur famille) a largement contribué à brouiller les limites entre "faire l'école autrement, faire une autre école, et enseigner autrement des contenus nationaux". Mais comment ne pas souligner que l'analyse réalisée par les auteurs de la note de synthèse sur le bilan de 20 ans de politique ZEP, peut, en 2009, s'appliquer à la réforme engagée pour l'ensemble du système éducatif, qui prône "l'autonomie" des établissements et la subordination des moyens qui leur sont affectés aux projets qu'ils

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élaborent, autorisant à partir de la définition "d'un socle commun" réduit de disciplines obligatoires, une mise en œuvre contextualisée des programmes officiels (abandonnant par là- même l'idée, plus ambitieuse, de culture commune).

Néanmoins, au terme d'un colloque14, réunissant des dizaines d'acteurs de l'Ecole (enseignants, chercheurs, syndicalistes), "l'unanimité des participants n'a pas pu se faire autour de solutions communes. Signe que l'analyse des coordonnées de la crise scolaire fait sans doute elle-même encore problème" (Johsua, 1999, p.12). Nous partageons le souci de prudence auquel invite la remarque de l'auteur en ce qu'elle permet d'éviter une analyse trop partielle (voire partiale !) du problème. Néanmoins les travaux développés depuis, ainsi que la poursuite des réformes engagées par l'Etat, nous permettent de fixer, le temps de mener nos propres travaux, un niveau de compréhension du problème, afin de l'investiguer du point de vue spécifique aux enjeux de savoirs.

Nous présentons donc, dans les sections suivantes de ce chapitre, quelques éléments qui tiennent à la fois du constat, et de l'explication des raisons et des effets de ce que nous considérons être une réalité : le non accès, institutionnellement encadré, de tous les jeunes d'une classe d'âge à une culture commune ambitieuse, contrairement à ce que pouvait laisser espérer la réforme initiale du collège unique en France.

2. Le passage de l’élève au sujet social

Nous l'avons évoqué dans la section précédente, deux étapes paraissent faire globalement consensus : les années 60 marquent la massification du système éducatif et, dans le même temps, l'apparition de la notion d'échec scolaire (Johsua, 1999 ; Talbot 2005 ; Terrail, 2004 ; van Zanten, 2001) ; les années 90 marquent, quant à elles, un tournant dans la politique éducative en France avec l'accélération de la mise en œuvre d'orientations libérales (Le Goff,

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1999 ; Johsua, 1999 ; Rochex & Kherroubi, 2004). Il n'est pas anodin de pointer que c'est au cours des années 90 que les recherches et les débats sur la violence prennent le pas sur ceux relatifs à la lutte contre l'échec scolaire, comme en témoigne un numéro de la Revue Française de Pédagogie (Debarbieux, 1998) ou encore l'intervention de Luc Ferry (ministre de l'Education Nationale) sur France Inter déclarant que "la violence est le problème numéro un à régler" (janvier 2002).

Nous relevons quelques événements marquants qui jalonnent l'évolution ainsi esquissée :  1966 : grève à Gennevilliers. L'une des revendications des enseignants grévistes est la

demande de recherches pédagogiques.

 Fin des années 70 début des années 80 : apparition de la notion d'échec scolaire.  1981 : Création des ZEP, développement de dizaines de recherches de type

recherche-action sur des pratiques innovantes au cours des années 80.  1983 : Colloque sur l'échec scolaire à Bordeaux.

 Fin des années 80 : Couplage de la politique ZEP et de la politique de la ville. La notion d'élève en difficulté remplace progressivement celle d'élève en échec.

 Au cours des années 90 : les recherches sur la violence en milieu scolaire viennent au devant de la scène scientifique.

Ces points de repères illustrent l'évolution relevée par Rochex et Kherroubi (2004) ou encore par Monfroy (2002), dans le vocable utilisé, tant au niveau institutionnel qu'au niveau des enseignants eux-mêmes, pour qualifier les élèves en échec à l'Ecole. On est ainsi passé, entre 1960 et 1980, de la prise en compte d'élève en "échec scolaire" à la notion "d'élève en difficulté", difficulté au singulier accentuant l'idée qu'il s'agit là d'un état avec lequel faire, état de difficulté sociale, personnelle, caricaturé au point d'être assimilé aux comportements des jeunes des banlieues lors des violences urbaines à la fin des années 90, au début des années 2000 ou encore en 2005. Or comme le pointe Davisse (1998), "toutes les études récentes

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démentent l'idée d'une soi-disant omniprésence de violence à l'Ecole dans les banlieues". Terrail (2004), critique lui aussi l'utilisation qui est faîte de ces événements dans le décryptage de la problématique scolaire : "Les formes de rejet de l'école les plus ostensibles - incivilités et violences ouvertes - sont volontiers mises en exergue par les médias, dégradent l'atmosphère de nombreux établissements et contribuent de façon particulièrement significative à la pénibilité du métier enseignant" (2004, p. 58).

Nous considérons que l'évolution du vocabulaire en usage (de "l'élève en échec" à "l'élève en difficulté") témoigne d'une vision sociopolitique, soutenue socialement, et à l'origine d'une transformation en profondeur des idées sur l'Ecole.

Nous entendons la mise en garde de Johsua (1999) contre une lecture qui réduirait l'appréhension du problème de l'Ecole aux seuls effets de la poussée libérale. Néanmoins, nous retenons que sous la pression moderniste d'idéologie libérale "c'est en fait toute une conception des missions de l'école, de l'enseignement et de la culture qui est mise en cause" (Le Goff, 1998, p. 53).

Rappelons avec Rochex et Kherroubi (2002, 2004) et Terrail (2004) que les premières études portant un regard sur le système éducatif français consistaient en des recherches macrosociologiques, étudiant davantage les flux de la scolarisation selon les classes sociales que les raisons pouvant réellement expliquer le phénomène observé. Les travaux de Bourdieu et Passeron (1970), dès le début de la massification de la scolarisation, ont permis la diffusion de l'analyse critique selon laquelle le système éducatif est un outil de "reproduction" des inégalités sociales. Par la suite la thèse du handicap socioculturel porteuse d'ambiguïté selon qu'on le considère comme le constat d'une réalité ou comme une explication de la différence de réussite des élèves selon leur classe sociale d'origine, vient sur le devant de la scène. Ainsi, l'idée de don (ou d'intelligence innée) devenant obsolète, il est permis d'envisager l'apprentissage de tous. Cependant de nombreux auteurs soulignent que la thèse du handicap

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socioculturel court le risque de "raccourcis stériles" (Davisse, 1998 ; Rochex, 1998 ; Rochex & Kherroubi 2002 ; Terrail 2004). En mettant en avant l'idée de handicap cette thèse laisse penser qu'il "manque quelque chose" aux élèves issus des milieux défavorisés pour réussir. Terrail, qui pointe le retentissement de la thèse du handicap socioculturel dans la pensée de sens commun, conteste par ailleurs à partir des travaux de Bernstein, la lecture qui en a été faite ainsi que sa pertinence à expliquer l'incapacité du système éducatif à permettre la réussite de tous15. Devons-nous considérer, questionne alors Terrail, qu'il y ait autant d'enfants en difficulté que d'élèves en échec ?

Aux malentendus véhiculés par la thèse du handicap socioculturel s'ajoute la connexion des politiques territoriales et des politiques éducatives conduisant à la détermination des établissements labellisés (ZEP, Zone Sensible, ou plus récemment "Réseau Ambition Réussite") en liaison avec des critères de prise en charge des problèmes identifiés en termes de violences urbaines (en banlieue notamment). Ces politiques ne sont pas sans lien avec les objectifs de "pacification" selon Johsua (1999) ou de "socialisation" selon Bautier (2002). Selon ces auteurs, l'association "politique éducative/politique de la ville", œuvre significativement dans l'évolution du discours et des représentations sur les élèves en échec à l'Ecole, en créant un lien entre les difficultés personnelles rencontrées par les jeunes des classes sociales défavorisées et les difficultés scolaires des élèves. Nous pensons que cette nouvelle orientation de la politique ZEP, essentiellement sous-tendue par des arrière-plans politiques libéraux, se voit autorisée, voire facilitée par une lecture hâtive, instrumentalisée, de la thèse du handicap socioculturel pris comme cause et non comme constat d'une réalité critiquée par les sociologues se situant dans la lignée des travaux de Bernstein (1975). Cette thèse aurait pu générer une autre prise en main, par les décideurs de l'Ecole, de la réalité scolaire ainsi décrite. Celle, par exemple, proposée par Johsua (1999) d'investiguer les raisons de ce constat afin de

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tenter de mettre au jour les conditions qui permettraient l'accès de tous, sans distinction d'origine sociale, aux acquisitions visées par l'Ecole. Mais cette option politique suppose selon l'auteur, une discussion sur la nature des acquisitions. Une telle posture suppose que l'Ecole refuse de capituler sur les objectifs qu'elle s'était assignée. De fait, nous considérons à la suite des différents travaux cités, que les actions politiques aux différents niveaux du système éducatif (évolution de la politique ZEP, réformes du secondaire, réforme de la formation des maîtres) semblent orientées par la volonté de mettre à mal l'Ecole unique publique. En effet, cette évolution, perceptible par la substitution dans les discours officiels et professionnels, de "l'échec scolaire" par "la difficulté", situe hors de l'Ecole les responsabilités de cet échec. Les raisons invoquées pour expliquer l'échec des jeunes à l'Ecole quittent ainsi la sphère strictement scolaire, pour pénétrer la sphère sociale. Ce discours trouve un écho d'autant plus important chez les enseignants que leurs difficultés et leur sentiment d'impuissance deviennent croissants, en lien avec un contexte de travail indéniablement ardu. Car en même temps que se diffuse l'idée que les "mauvais" élèves sont ceux qui ont des problèmes sociaux et personnels importants, sur lesquels les enseignants ne pourraient rien, les législateurs organisent le maintien de tous les élèves dans les classes le plus longtemps possible (de la réforme Berthoin à la loi d'orientation de 1989) générant ainsi une augmentation importante de l'hétérogénéité des classes, surtout en collège et dans les établissements des quartiers populaires. L'hétérogénéité croissante des publics scolaires pose une difficulté objective aux enseignants. Le ressenti d'impuissance qui est le leur (Davisse & Rochex, 1998 ; Terrail, 2004 ; van Zanten, 2001), légitimé par les discours ambiants, autorise d'une certaine manière, le corps enseignant à "faire une autre Ecole" comme le pointe Bautier (2002), ou l'observe van Zanten (2001) à la fois dans la réduction et la simplification des contenus d'enseignement (Cf. supra) mais aussi dans le développement de ce qui est appelé "une éthique professionnelle contextualisée" (van Zanten, 2001, p. 231). Cette auteure met en évidence les processus qui conduisent les

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enseignants à procéder à des réorganisations subjectives permettant que les satisfactions puissent l'emporter sur les frustrations dans l'exercice quotidien du métier (2001, p. 220). A titre d'exemple, elle montre que les objets de satisfaction professionnelle ne sont plus trouvés dans les apprentissages réalisés par les élèves, mais dans la qualité de la relation que les enseignants tissent avec eux. Une autre stratégie de survie (Wood, 1990) consiste selon van Zanten à élaborer une image positive des élèves qui se rapproche de celle du "bon sauvage" en mettant en avant les qualités relationnelles de la personne plutôt que les capacités intellectuelles de l'apprenant.

La "montée du puérocentrisme" observée par Terrail (2004) dont le point d'orgue, selon cet auteur, culmine avec la loi d'orientation de 1989 qui, en invitant les enseignants "à placer l'élève au centre du système éducatif" a représenté une véritable révolution dans les conceptions (et peut-être les pratiques) et a eu pour conséquence le passage au premier plan, dans les préoccupations des enseignants, de la personne à éduquer au détriment des savoirs à transmettre. Le dogme puérocentriste a constitué une étape facilitant le passage "de l'élève au sujet social" dans l'analyse des causes de l'échec scolaire. Il constitue, de notre point de vue, un élément d'enracinement dans le corps enseignant "de la conviction […] du caractère normal et inévitable de l'échec scolaire" remarquée par Terrail (2004, p. 132). Nous pensons, à décharge des enseignants, que la diffusion de "cette conviction" dans le tissu social satisfait essentiellement les hommes politiques pressés de constater l'obsolescence d'un système qu'il s'agit radicalement de réformer16. Pour autant il convient de prendre la mesure de ce qui est devenu une réalité du système éducatif actuel, en ce qu'elle oriente, comme le laissent entrevoir les études citées, le quotidien et l'action des enseignants dans leurs classes.

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3. De l'oubli des savoirs et de la promotion des savoirs être

Dans le cadre du mouvement méthodologique et épistémologique plus large des sciences humaines et sociales dans les années 80 (notamment avec la diffusion de l'interactionnisme social et de l'éthnométhodologie, Rochex & Kherroubi 2002, p. 113), des recherches en sociologie, en sciences de l'éducation et d'autres moins nombreuses, en didactique, se sont intéressées à la question de cette réussite socialement fléchée. Ces travaux ont étudié le fonctionnement des établissements jusqu'à l'échelon de la classe (établissement, effet-classe, effet-maître). Ils ont questionné l'inflexion d'une partie des acteurs de l'Ecole à abandonner la conviction que tous les enfants capables d'apprendre à parler sont potentiellement capables de poursuivre une scolarité les menant au baccalauréat général (Terrail 2004), au point de faire vaciller les missions de l'Ecole et de différencier (plus ou moins sciemment selon les places occupées dans le système scolaire), les acquisitions escomptées selon les contextes d'enseignement.

Nous présentons les apports de ces travaux en instruisant trois questions : celle de l'autorité et de la discipline, celle de la socialisation, et enfin celle des pratiques enseignantes en milieu difficile.

3.1. La question de l'autorité et de la discipline

Les constats et les ressentis des enseignants travaillant en milieu difficile, recueillis tant par Davisse et Rochex (1998) auprès de professeurs stagiaires exerçant en région parisienne que ceux établis par van Zanten (2001) auprès d'enseignants "chevronnés", rendent compte des difficultés rencontrées pour parvenir à faire la classe. Les "problèmes de discipline" : obtenir le silence et l'écoute, éviter les dérapages entre élèves, mais aussi à l'encontre de l'enseignant apparaissent saillants. De l'emploi de la force physique à la mise en œuvre d'une relation de type "grand frère", en passant par la complicité affective, selon l'âge et le sexe des enseignants,

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van Zanten (2001) remarque que le "maintien de l'ordre" représente une quête primordiale pour les enseignants et constitue un problème qui ne cesse "d'interférer avec la transmission des connaissances" (van Zanten, 2001, p. 224). Les difficultés qu’éprouvent les enseignants à "faire la classe", ramenées aux "problèmes de discipline" ne font, en tant que telles, pas débat. En revanche, les discours et les théories pour en rendre compte et tenter de les expliquer, sont variés et dépendent du point de vue adopté pour les analyser. Ces analyses sont à soumettre au débat, ou du moins à un regard critique.

Divers facteurs sont repérés, trouvant leurs origines dans des évolutions sociologiques telles que les usages familiaux (nivellement des hiérarchies familiales), les difficultés sociales (chômage, précarité, famille monoparentales, divorces et peut-être même origine culturelle voire religieuse !). Le puérocentrisme de la société, la part croissante accordée au sujet qui dans une culture ambiante ultralibérale confine à l'individualisme débridé, la dévalorisation des valeurs comme l'effort et la persévérance, pourtant requises dans l'apprentissage, au bénéfice de la satisfaction immédiate et du jeu, concourent, avec une acuité ou une pertinence variée, à l'établissement d'une situation dans laquelle l'enseignant n'est plus, d'emblée, en présence d'élèves dociles lorsqu'il pénètre dans la classe. La difficile question des liens entre autorité et discipline nous amène à convoquer le regard du philosophe.

En recourant modestement à Arendt, nous nous proposons d’enrichir notre point de vue sur la question en le sortant du cadre strict des sciences de l’éducation et des sciences sociales. Cette auteure discutant "la crise de la culture" dans la société moderne souligne la crise manifeste de l'autorité depuis le début du siècle dernier.

"Le symptôme le plus significatif est qu'elle [la crise] a gagné des sphères prépolitiques, comme l'éducation et l'instruction des enfants, où l'autorité, au sens le plus large, a toujours été acceptée comme une nécessité naturelle, manifestement requise autant par des besoins naturels, la dépendance de l'enfant, que par une nécessité politique : la continuité d'une civilisation constituée, qui ne peut être assurée que si les nouveaux venus par naissance sont introduits dans un monde préétabli où ils naissent en étrangers" (Arendt, 1972, p.122).

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Cette analyse, pointe que l’autorité, considérée dans son sens plein, c'est-à-dire comme une obéissance consentie par celui qui obéit, reconnaissant juste et légitime la hiérarchie établie17 a, posé problème dans le monde politique qui suppose la direction d’adultes par d’autres adultes18. Alors que dans la situation d’éducation ou d’instruction, reliant l’adulte à l’enfant ou le maître à l’élève, l'autorité est selon le point de vue de l'auteure, non seulement "naturelle", mais nécessaire et a priori incontestable. Sans trop nous avancer dans un domaine de pensée que nous maîtrisons mal, mais dont on voudrait pouvoir saisir la pertinence pour notre étude, il nous semble que selon Arendt, un des piliers légitimant l’autorité dans l’éducation - la tradition19 - est lui aussi particulièrement en crise. Nous la citons :

"Dans le cas de l'éducation, la responsabilité du monde prend la forme de l'autorité. L'autorité de l'éducateur et les compétences du professeur ne sont pas la même chose. Quoi qu'il n'y ait pas d'autorité sans une certaine compétence, celle-ci, si élevée soit-elle, ne saurait jamais engendrer d'elle-même l'autorité. La compétence du professeur consiste à connaître le monde et à pouvoir transmettre cette connaissance aux autres, mais son autorité se fonde sur son rôle de responsable du monde" (Arendt, 1972, p. 243).

L'autorité et sa reconnaissance par les "nouveaux venus" sont une construction collective historique qui ne relève pas de la compétence stricto sensu du professeur. Il incombe à la société de les lui conférer. La compétence du professeur est "d’enseigner le monde" ! Pour ce qui nous concerne - dans la tradition de l'abord didactique - nous considérons que le contenu de l'enseignement est constitué par une sélection d’œuvres humaines20 retenues pour leur potentialité à inscrire les hommes dans la société (Chevallard, 1996, 1997a et b). Nous nous retrouvons dans l'affirmation selon laquelle "[…], il faudrait bien comprendre que le rôle de l'école est d'apprendre aux enfants ce qu'est le monde, et non pas leur inculquer l'art de vivre" (Arendt, 1972, p. 250). Au-delà de notre adossement à la science didactique, nous trouvons

17 En ce sens l’autorité n’a rien à voir avec la coercition ou la persuasion.

18 La problématique est antique et a abouti à toutes les formes d’exercice du pouvoir, sans qu’aucune n’ait pu

mettre en place un réel pouvoir autoritaire

19 C'est-à-dire selon Arendt : "Notre attitude envers tout ce qui touche au passé", dont l’adulte est le témoin pour

les jeunes générations.

20 Pour Chevallard, l'Ecole est un opérateur d'entrée dans le système des œuvres de la société. Les savoirs et les

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dans cette pensée des appuis convaincants pour soutenir notre attachement à la place essentielle des savoirs dans l’Ecole.

L'idée que l’Ecole est une institution particulière qui n’a pas vocation à reproduire les formes d'organisation, de socialisation, ni de la famille ni de la société politique (des citoyens) conduit à considérer que sa spécificité doit être pensée et affirmée en d’autres termes que le simulacre. Cette position permet d'asseoir la critique d'une Ecole réduite à une réplique en minuscule de la société, justifiant ainsi qu’elle soit traversée par les mêmes débats, posés dans les mêmes termes. Nous retenons des propos d’Arendt le rôle restreint que peut jouer l’Ecole en tant qu’institution pour œuvrer isolément à la "restauration" de l’autorité en son sein. Ce point de vue rend alors en partie caduque les analyses qui pensent pouvoir proférer quelques recommandations à la limite de l’incantation à l’intention des enseignants pouvant et devant toujours mieux et plus faire.

D’autre part, le recours aux sources de l’autorité, dans ses développements philosophiques, nous outille pour établir la nécessaire non-assimilation de ce qui est visible ou observable, à ce qui est. Nous nous expliquons. Si l’autorité requiert l’obéissance, toutes les formes d’obéissance ne sont pas pour autant des marques d’autorité. En d’autres termes, il ne suffit pas que les élèves obéissent au professeur pour avérer que la relation d’enseignement selon des bases "naturelles" de l’autorité soit instaurée.

Que devons-nous penser alors du souci de "maintien de l’ordre" exprimé par les enseignants ? (Cf. les travaux cités dans la section précédente). Il devient possible de mettre en question cette dimension du métier en milieu difficile, d'examiner les formes qu’elle y prend, afin de distinguer si le professeur impose de "faire"ce qu’il a demandé ou si les élèves consentent à se "mettre en action". S'agit-il d’autorité (au sens d'Arendt) ou de coercition (même si le mot paraît fort dans un emploi courant) ? Cette distinction trouve un prolongement dans la discussion sur les rapports entre pédagogie et didactique développés par Marchive (2005,

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2007). Elle est selon nous heuristique pour instruire, depuis la didactique, les questions soulevées par le constat posé par van Zanten (2001) de l’interférence du maintien de l’ordre sur la transmission des connaissances. En quoi et comment, le fait de devoir "maintenir l'ordre" contraint, interfère (au delà de l'évidente perturbation) avec ce que la didactique a déjà pu comprendre de ce qui se passe lors de la "transmission des connaissances" ? De quelle nature sont les interférences produites sur "la transmission des connaissances" ? Sont-elles en relation - et comment - avec les moyens employés par les enseignants leur permettant de "maintenir l'ordre" ?

Marchive spécifie, en référence aux travaux d’Arendt sur l’autorité, mais hors du cadre philosophique, la nature de la hiérarchie inhérente à la relation d’enseignement qui instaure " la supériorité du maître dans l'ordre des savoirs " (Marchive, 2005, p. 181). Reprenant à son compte la définition didactique il rappelle que "la relation d'enseignement […] est structurellement asymétrique : elle met en présence quelqu'un qui sait - ou qui est prétendu savoir - et quelqu'un qui ne sait pas - ou qui est prétendu ne pas savoir" (Ibid, p. 183). Il s’appuie sur la nécessaire acceptation de cette asymétrie par l’élève pour caractériser ce qu'est "l'autorité didactique" : "l’engagement effectif des élèves sans user de la coercition ou de la persuasion qui n’implique ni la soumission de l’élève face au pouvoir de l’enseignant, ni la négation de l’élève par la démission de l’enseignant " (Ibid, p. 183). C'est dans cet intervalle qu’il considère résumer toute la difficulté de l’enseignement. Il propose en référence à Brousseau (1998) une lecture du contrat didactique prenant en compte et intégrant la notion d’autorité telle qu’il la retient. Nous ne ferons pas le même emploi de la convocation d’Arendt que cet auteur, car pour notre part, nous en retenons essentiellement que l’instauration de l’autorité ne dépend pas de la seule action du professeur en classe en raison de l’affaiblissement profond, dans la société et dans l’Ecole, de l’autorité pourtant indispensable à l’enseignement. C’est pourquoi nous pensons plus pertinent pour comprendre les ressorts de

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l'enseignement en milieu difficile d'observer les effets de "l’ingéniosité" des enseignants lorsqu'ils tentent d'établir l’ordre, sur les possibilité de dévolution aux élèves des situations, pour reprendre les termes Broussaldiens employés par Marchive (2005). Ce point nous parait essentiel en ce qu'il permet d'interpréter à partir des concepts didactiques l’engagement effectif consenti par l’élève sous l’autorité du professeur. Nous pensons ainsi instruire d'un point de vue didactique ce qui constitue la difficulté à faire la classe en milieu difficile, en problématisant la dérive constatée autant que crainte par Davisse (1998) qui consiste à considérer que le "maintien de l'ordre" est un objectif à atteindre pour lui-même, ce qui engage les enseignants dans une quête "épuisante de pacification préalable " (Ibid., 1998, p. 19).

3.2. Socialisation ou socialisation scolaire ?

Nous nous référons ici encore à Arendt, et considérons son point de vue sur l’enseignement et la fonction de l’Ecole en tant qu’arrière-plan aux constats et aux questions émanant des travaux des sciences de l’éducation et de la sociologie.

Deux affirmations permettant de saisir les termes de la réflexion de l’auteure sur la crise de l’éducation retiennent notre attention. Nous avons déjà cité la première dans la section précédente : "[…], il faudrait bien comprendre que le rôle de l'école est d'apprendre aux enfants ce qu'est le monde, et non pas leur inculquer l'art de vivre" (Arendt, 1972, p. 250). La seconde affirmation que nous retenons est la suivante : "On peut éduquer sans en même temps enseigner ; et l’éducation sans enseignement est vide et dégénère donc aisément en une rhétorique émotionnelle et morale" (Ibid, p. 251).

On comprend ici ce qu’Arendt considère devoir être la mission ou le "sens" de l’Ecole, face à ce qu’elle estime être un point problématique dans les sociétés modernes, à savoir, selon les mots de l'auteure, la minoration de l’attention portée à "la matière à enseigner" au bénéfice de "l’enseignement en général". Dans le contexte plus large des sociétés en difficulté ("en crise")

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dans leur rapport au passé et à la tradition, cette minoration oriente l’Ecole, et par voie de conséquence le travail de l’enseignant, en direction d'une éducation des "nouveaux venus" selon "l’art de vivre" plutôt que selon "leur instruction du monde" (que nous traduisons en termes de savoirs liés aux œuvres). Une telle éducation vidée de tout enseignement, dans la perspective de la philosophe, dégénère "en une rhétorique émotionnelle et morale". La thèse défendue par Arendt nous permet de comprendre la position critique de Johsua à l’égard de l’option très répandue dans les débats pédagogiques depuis 20 ans, selon laquelle le sens de l’Ecole "doit être recherché dans la manière de vivre ensemble, de « faire société » dans les communauté éducatives" (Johsua, 1999, p. 77). La survalorisation du rôle "socialisateur" de l’Ecole, sans que ne soit réellement questionnée la notion de "socialisation" est stérile. On peut avancer, si l’on suit Arendt (1972), que cette position est fondée sur une réflexion hâtive (ou idéologiquement orientée) des problèmes rencontrés par la société et l’école. Autre chose est de réfléchir les processus et les dimensions d'une socialisation scolaire, c'est-à-dire celle d'une rencontre avec des œuvres humaines à travers l'étude des savoirs (Johsua, 1999). En contre-point avec cette position, il convient de souligner combien l’évolution des textes officiels et des discours pédagogiques est révélatrice de la forme de prise en charge par l’institution des problèmes que répercutent en son sein les crises (de l'éducation, de la culture, de l'autorité) évoquées précédemment. Ainsi le développement de la formulation (et par là-même de la conception) des objectifs et des contenus des disciplines scolaires selon des catégorisations distinguant "capacité, compétence, attitude" ou encore "les savoirs, les savoir-faire, les savoir- être" nous paraît favorisé par l’influence croissante de doctrines pédagogiques concrétisant en quelque sorte l’enseignement envisagé pour apprendre aux élèves à "faire société".

Afin d’être en mesure d’appréhender les pratiques enseignantes, il apparaît donc nécessaire de questionner la notion de "socialisation", telle que valorisée à la fois par l’intermédiaire des injonctions officielles et par la vulgate pédagogique. En effet, sa portée est renforcée par la

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réalité de la difficulté à faire la classe, qui conduit à penser, comme le déplore Davisse (1998), que l’enjeu premier (pour l’institution et les enseignants) devient d’apprendre aux élèves à se tenir tranquilles avant de pouvoir commencer véritablement à enseigner21. Le "savoir-être" d’abord, le "savoir" ensuite ! La critique, engagée, de Johsua (1999) à propos d’une Ecole dont la mission se réduirait à apprendre à " faire société" dénonce la dérive du primat du "savoir-être sur le savoir".

Terrail (2004) interprète l’évolution des modes de socialisation mis en œuvre dans l’Ecole à partir de deux phénomènes sociaux relativement récents :

- L’évolution du mode de recrutement des instituteurs (professeurs des écoles désormais, recrutés après la licence) qui génère une modification profonde des catégories sociales accédant à ce métier dans le sens d’une diminution sensible de la représentativité des classes populaires, contrairement à l’époque de la IIIe république en France. La conséquence de cette réalité serait dommageable aux élèves issus des classes populaires dont les modes de socialisation sont de moins en moins représentés dans le système éducatif.

- La féminisation du corps enseignant en général, de l’école primaire au secondaire, qui supporterait le développement "d’un rapport maternant" des professeurs à l’égard des élèves. Nous considérons pour notre part, que ces deux phénomènes endogènes à l'Ecole, associés à la faiblesse de la construction théorique et politique de la spécificité scolaire (l’école, revendiquée par Arendt comme devant être étanche aux formes et aux problèmes de la société politique mais nécessairement en lien avec elle) contribuent à renforcer l’affaiblissement de l’analyse (en théorie comme en pratique) de ce qui constitue la spécificité de la socialisation scolaire. Contrairement à l’opinion largement répandue, les élèves des milieux défavorisés et/ou populaires ne manquent pas de socialisation, mais sont socialisés selon des canons de plus en

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plus éloignés de ceux mis en œuvre à l’école (celle-ci incorporant essentiellement des enseignants dont l’origine sociale relève des classes moyennes et supérieures), comme l'ont montré Terrail (2004) et Johsua (1999).

L’écho de cette différence sociale entre élèves et enseignants sur la situation d’enseignement est donc d’autant plus important, que la spécificité de la socialisation scolaire n’est pas suffisamment ou ambitieusement construite. Si l’on suit l’analyse d’Arendt (1972), la socialisation scolaire est alors à penser, comme le proposent Lahire (1997), Johsua (1999) ou Terrail (2004), comme étant indissociablement combinée à la transmission de savoirs et de techniques. L'idée de socialisation scolaire permet de rompre, au moins dans l'analyse, avec une conception de la socialisation qui relèverait de la socialisation familiale proche de "la bonne éducation" et coupe ainsi l'herbe sous le pied aux faux débats opposant "éducation" et "instruction". Elle impose alors corrélativement la mise en question du choix des savoirs enseignés à l'Ecole puisqu'ils œuvrent dans la fonction socialisatrice de cette dernière. Il devient possible de penser, que "la recherche du « sens » par la négociation locale des contenus [constitue] une évidence qui convainc aisément l'observateur inattentif (souligné par nous)" (Johsua, 1999, p. 79). Le rapprochement ou l'assimilation des objets d'enseignement aux traits saillants (pour ne pas dire caricaturaux) des cultures des élèves des milieux difficiles et populaires comme moyen de susciter leur motivation (par le sens subitement trouvé à l'apprentissage proposé) et par là même, leur engagement dans le travail scolaire opère comme un leurre, évacuant dans le même temps les problèmes moins lisibles, sous-jacents à l'échec scolaire des milieux populaires.

Il semble néanmoins que l’Ecole de masse ne peut espérer devenir démocratique qu’à cette condition, dont nous mesurons la grande complexité, complexité transformée en difficulté pour les enseignants qui, en l'absence de volonté politique marquée, ont à charge de relever ce défi dans leurs classes, alors que dans le même temps les législateurs et certains théoriciens,

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prônent une nécessaire, voire salutaire, "socialisation première" (l'instauration de la note de vie scolaire au collège comptant dans la moyenne trimestrielle de l'élève en est un exemple institutionnel récent !).

Le point de vue des didacticiens, exprimé par Johsua notamment, pour lequel "la raison d'être des activités est une conquête à renouveler à chaque étape des actes didactiques" (Johsua, 1999, p. 84) n'est pas à prendre comme une injonction faite aux enseignants, mais plutôt comme une critique adressée à l'institution. Nous voulons préciser ici, la posture que nous pensons devoir adopter. Nous avons à prendre en compte la réalité de l'arrière-plan théorico-politique qui contraint et oriente l'action quotidienne des enseignants dans l'ordinaire des classes et des établissements. Nous disons cela en affirmant notre souci d'observer et d'analyser l'enseignant au travail, convaincu du fait, à la lumière de ce qui précède, qu’il ne peut pas être tenu pour responsable de tout ce qui se passe en classe. Nous revendiquons, dans cette perspective le caractère essentiel de ce que certains ergonomes qualifient la "fiction didactique" (Felix & Saujat, 2008 ; Roger, Roger, & Yvon, 2001), que nous convoquons pour notre part, en tant que modélisation de l’action du professeur dans le cadre théorique de l'action conjointe tel qu'élaboré en didactique.

3.3. La question des pratiques enseignantes en milieu difficile

Dans ce dernier point nous resserrons la focale sur les analyses et les études qui traitent de la question des pratiques enseignantes en milieux difficiles.

Rochex et Kherroubi (2002, 2004), dans la note de synthèse qu’ils réalisent à partir des recherches menées à propos des ZEP, font un état détaillé de leurs apports sur l’appréhension et la compréhension de l’enseignement et de l’apprentissage en milieu difficile. Nous prendrons donc appui sur leurs analyses et leurs lectures, que nous compléterons de nouvelles références, permettant d'éclairer la réalité des pratiques enseignantes en milieux difficiles.

Figure

Tableau 1 : Arbitrages méthodologiques
Tableau 2 : Chronologie du protocole-test
Tableau 3 : protocole-test, traces disponibles
Tableau 5 : Transcription de l'entretien-sosie,  extrait du dialogue
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