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De la «parole habitante» au territoire : le cas du quartier Saint-Sauveur à Québec au XXe siècle

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Academic year: 2021

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De la « parole habitante » au territoire

Le cas du quartier Saint-Sauveur à Québec au XX

e

siècle

Mémoire

Frédérick Carrier

Maîtrise en ethnologie et patrimoine

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Dans les années 1990, dans le cadre du projet Vivre sa ville : Québec XXe au siècle, des récits de vie ont été collectés afin de documenter cette période du point de vue des citoyens. En se basant sur ces témoignages, ce mémoire se penche sur le quartier Saint-Sauveur en particulier. Entre représentations et pratiques, la dimension spatiale inhérente à la vie dans un quartier, lieu familier et ancré dans le quotidien, se trouve ici à l’étude. Ces différents trajets, hauts lieux et frontières, deviennent, en plaçant les mots des informateurs à l’avant-plan, les indices d’un lien territorial tissé au fil des ans. En somme, il s’agit d’examiner comment cette « parole habitante », voix de la mémoire d’un espace urbain, révèle un territoire approprié, subjectivé et « vécu ».

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... III

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 - ETHNOLOGIE DE LA MÉMOIRE D’UN QUARTIER ... 5

1.1 La ville comme sujet d’étude ... 5

1.2 Domaine de recherche : bilan des approches en ethnologie urbaine ... 6

1.3 L’imaginaire comme objet d’étude ... 8

1.4 Pratiques culturelles et fonctions urbaines ... 9

1.5 La mémoire d’un espace urbain ... 10

1.5.1 Le territoire : quelques considérations transdisciplinaires ... 10

1.5.2 Pratiques spatiales et représentations territoriales ... 12

1.5.3 Le quartier au quotidien : la circulation, la ruse et les « hauts lieux » ... 12

1.6 Hypothèse de recherche: de la « parole habitante » au territoire ... 14

1.7 Cadre méthodologique ... 14

1.7.1Sources orales utilisées : le corpus du fonds d’archives Ville de Québec ... 14

1.7.2 Le récit de vie : entre biographie individuelle et récit de société ... 15

1.7.3 Traitement des sources : analyse lexicale et analyse thématique ... 18

Conclusion ... 19

CHAPITRE 2 - REVISITER UN CORPUS DE SOURCES ORALES ... 21

2.1 Le projet Vivre sa ville : Québec au XXe siècle comme « reconstitution des mémoires ... 21

2.1.1 Cadres et contextes de la collecte ... 22

2.1.2 Le plan d’enquête ... 23

2.1.3 Le déroulement de l’enquête et la logistique des entretiens ... 25

2.1.4 Localisation et traitement des sources ... 26

2.2 Un corpus dans un corpus : sélection des sources orales extraites du fonds d’archives ... 26

2.2.1 Le quartier Saint-Sauveur comme cadre contextuel ... 27

2.2.2 Les récits de vie retenus : critères de sélection et traitement des données ... 32

2.2.3 Informographie ... 33

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CHAPITRE 3 – GRILLE DE LECTURE : REGROUPEMENT THÉMATIQUE DES

NOYAUX DE SENS ... 37

3.1 La mémoire sensorielle de l’espace ... 37

3.1.1 Espace olfactif ... 37

3.1.2 Espace sonore ... 38

3.1.3 Espace visuel ... 41

Mémoire et architecture ... 41

Les signes des pratiques ... 43

Fenêtres et espace public ... 45

3.2 Les hauts lieux ... 47

3.2.1 Édifices religieux et établissements d’enseignement ... 47

3.2.2 Les coins de rues ... 50

3.2.3 La halle Saint-Pierre ... 52

3.2.4 Les magasins ... 54

3.2.5 Autres (tavernes, cinéma, etc.) ... 56

3.3 Les rythmes du quartier ... 58

3.3.1 Le rythme des manufactures ... 58

3.3.2 Les rythmes journaliers ... 60

3.3.3 Les rythmes hebdomadaires ... 62

3.3.4 Les rythmes annuels ou saisonniers ... 64

Conclusion ... 65

CHAPITRE 4 – LE QUARTIER SAINT-SAUVEUR COMME TERRITOIRE VÉCU : APPROPRIATION ET SUBJECTIVATION DE L’ESPACE ... 67

4.1 Les frontières ... 67

4.1.1 Limites des paroisses ... 68

4.1.2 Territoires des organisations paroissiales ... 69

4.1.3 Autres frontières et territoires ... 70

Le terrain Bédard ... 70

La séparation des sexes ... 71

Frontière socio-économique ... 72

Le bœuf et le lard ... 72

Les enclaves publiques dans les espaces privés ... 73

4.1.4 Le voisinage ... 74

4.2 La circulation : les trajets spécifiques et la ruse ... 78

4.3 Territoire et fonctions urbaines : la sphère de reconnaissance ... 84

4.4 La prise de possession ponctuelle de l’espace ... 86

4.4.1 La visite paroissiale ... 86

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vi

4.5 Espace urbain et imaginaire urbain ... 91

4.5.1 Haute-ville et basse-ville ... 92

4.6 Retour sur la démarche et quelques considérations ... 96

4.6.1 L’utilisation de sources de seconde main ... 96

4.6.2 Temporalité, histoire officielle et récits de vie ... 96

4.6.3 « Le genre de monde qu’on était » : observations sur la relation ethnologique ... 98

Conclusion ... 99

CONCLUSION ... 101

BIBLIOGRAPHIE ... 105

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Remerciements

Je tiens à remercier en premier lieu ma directrice de recherche, Martine Roberge, avec qui il a toujours été agréable et stimulant de travailler. Merci pour tout. Merci à Madame Jocelyne Mathieu de m’avoir donné l’occasion de passer autant de temps aux Archives de folklore et d’ethnologie de l’Université Laval. Merci aux gens que j’ai côtoyés régulièrement à la Division des archives, Marie-Claude, Valérie et Audrey qui ont toujours facilité mes recherches avec professionnalisme, diligence et jovialité. Un merci spécial à Patrick qui a numérisé les bandes magnétiques en se débattant avec les bruits de climatiseur et les autres parasites.

Merci à Christian et Sacha pour les discussions et la chance que j’ai d’être leur ami. Merci à Lise et Michel pour services rendus sans promesse de faire publier.

Merci à mes parents qui ne m’ont jamais lâché.

Merci à Marie-Noëlle qui, en plus de m’aimer, m’encourager, me réviser, me financer, m’endurer, me faire rigoler, m’a permis de rédiger une partie de ce mémoire dans la « grosse bâtisse » de la rue Saint-Vallier qui a longtemps abrité le bureau de poste de Saint-Sauveur.

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ix À Marie-Noëlle, la fille de l’escalier Colbert.

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De la « parole habitante » au territoire :

Le cas du quartier Saint-Sauveur à Québec au XX

e

siècle

La rue est pleine de gens qui racontent leur vie la vie est pleine de rues Jean Coulombe, Urbanikus

INTRODUCTION

Depuis bientôt une dizaine d’années, nous habitons Saint-Sauveur, ce quartier de la basse-ville de Québec. C’était pour nous le dernier d’une suite de déménagements qui nous ont mené, bon an, mal an, sur presque tout le territoire de la ville de Québec. D’emblée, nous avons été frappés par l’atmosphère qui se dégageait de cet ancien quartier ouvrier. Malgré un aspect quelque peu bricolé, sans cohésion apparente par endroits, émanait de cet espace urbain une certaine unité difficile à définir qui a attiré notre attention. En tant que nouveau citoyen de Saint-Sauveur, nous nous sommes alors intéressé de façon informelle à son histoire et à ses gens. Plus tard, lors d’une de nos nombreuses visites aux Archives de folklore et d’ethnologie de l’Université Laval, nous avons pris connaissance de l’existence du fonds où ont été déposés les récits de vie du vaste projet Vivre sa ville : Québec au XXe siècle. Notre sujet de recherche venait de s’imposer. Nous allions nous pencher sur ce quartier et sur la parole de ses habitants, plus précisément sur le lien qui les unit.

Au gré de leurs pratiques quotidiennes, les citoyens articulent réel, vécu et imaginaire en constituant ce vaste champ symbolique qu’est une ville. Autant d’itinéraires que de semelles qui font vibrer les trottoirs. Autant de territoires qui brouillent les frontières intéressées de l’économique et du politique. Autant de villes que d’habitants en somme. Comment approcher ce champ symbolique, mouvant et multiforme ? D’un récit raconté à plusieurs voix serait-il possible de dégager ce qui ressemblerait un tant soit peu à une représentation des lieux? Comment l’histoire d’une vie s’arrime-t-elle aux rues, aux trottoirs et aux façades des maisons pour faire « exister » un espace urbain? À travers une monographie polyphonique, pouvons-nous voir se

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dessiner une ville, un quartier et conséquemment apparaître le territoire tel que vécu par ses habitants?

En croisant les récits de vie de plusieurs informateurs du projet Vivre sa ville : Québec au XXe siècle, nous avons réuni un ensemble d’éléments qui nous ont semblé caractériser le quartier Saint-Sauveur en tant qu’espace de vie. Nous avons donc tenté de voir, dans ces bribes de témoignages, comment les habitants de ce quartier se sont appropriés l’espace, comment ils ont vécu leur territoire au XXe siècle. Au-delà du cas de Saint-Sauveur, notre projet consiste à examiner comment le vécu et l’imaginaire s’enracinent dans l’espace pour devenir un territoire. Bien qu’étant près de certains courants de la géographie sociale, nous pensons qu’une part de l’originalité de notre recherche réside dans la spécificité du corpus de sources utilisé, soit un ensemble de récits de vie et le traitement résolument ethnologique auquel nous l’avons soumis. En outre, notre démarche vise, non pas à établir une liste de faits décrivant un certain espace à une période historique donnée, mais bien un examen du discours en lien avec cet espace. Ainsi, c’est en mettant la « parole habitante »1 à l’avant plan que nous avons abordé cette tentative d’ethnologie géographique de la mémoire du quartier Saint-Sauveur.

Dans le premier des quatre chapitres de notre mémoire, nous plaçons notre démarche dans l’éventail des différents courants scientifiques ayant pour objet l’étude de la ville en tant qu’espace social. Bien entendu, nous nous attardons plus spécifiquement à notre domaine de recherche : l’ethnologie urbaine. Ensuite, après avoir établi le cadre théorique dans lequel nous situons la problématique de notre recherche, nous exposons la méthodologie que nous avons utilisée.

Les sources orales utilisées provenant d’un corpus déjà constitué, une rétrospective des cadres et des contextes de la collecte de ces témoignages s’avère nécessaire. C’est ce qui est entre autres l’objet de notre deuxième chapitre. Nous y exposons comment s’est constitué le fonds d’archives Ville de Québec de même que les différentes méthodes employées lors de la réalisation du projet Vivre sa ville. Ensuite, après avoir dressé un portrait du quartier Saint-Sauveur, le cadre

1 En référence à l’expression de Gérard Althabe (Althabe, 1984 : 4) désignant la parole des habitants d’un espace

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3 contextuel de notre étude, nous présentons la sélection des informateurs que nous avons opérée au sein de ce corpus.

Le chapitre 3 de notre mémoire consiste à établir en quelque sorte le degré zéro des différents rapports à l’espace que nous examinons. En plus de situer certains points représentatifs sur la carte du quartier Saint-Sauveur, ces hauts lieux investis par les habitants, nous exposons également ce qui nous apparaît comme étant la toile de fond sur laquelle une part de l’appropriation et de la subjectivation de cet espace urbain se joue. Toujours en restant le plus près possible des mots des informateurs, différents aspects déterminant les pratiques et les représentations spatiales sont traités dans cette première phase de notre analyse de contenu. Par exemple, nous portons notre attention sur les territoires « sensoriels » du quartier de même que sur les différents rythmes auxquels les habitants étaient soumis lors de la période couverte par les récits de vie, de 1910 à 1980. Ainsi, sont regroupés en différents noyaux de sens les divers éléments extraits du discours des informateurs nous permettant d’aborder ce territoire vécu. La deuxième phase de notre analyse de contenu compose l’essentiel du dernier chapitre de notre étude. Les différents liens spatiaux que les habitants entretiennent avec leur quartier sont examinés grâce à certains indicateurs, révélant ainsi des situations où les mécanismes d’appropriation et de subjectivation sont à l’œuvre. Dans une perspective dynamique, les frontières et les pratiques de circulation nous permettent de relever certaines forces en jeu, sources occasionnelles de tensions entre le territoire administré et le territoire vécu. En outre, concentrées lors d’événements particuliers, des rapports territoriaux spécifiques, des prises de possession ponctuelle de l’espace en l’occurrence, viendront compléter ce tableau du quartier Saint-Sauveur tel que les mots des informateurs nous le font voir. Nous accorderons également une attention précise aux représentations, quelquefois manifestations d’un imaginaire, de deux espaces urbains en relation : la haute-ville et la basse-ville de Québec. Enfin, ce quatrième chapitre se terminera avec un bref retour sur notre démarche de même que quelques considérations sur la relation ethnologique qui s’établit avec les informateurs.

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Chapitre 1 Ŕ Ethnologie de la mémoire d’un quartier

1.1 La ville comme sujet d’étude

Dans une perspective historique, la ville comme sujet d’étude en sciences sociales s’est imposée progressivement comme un terrain de choix et a tout d’abord été l’apanage des sociologues. On pourrait affirmer sans être trop loin de la vérité que la sociologie dite urbaine était au départ principalement une étude des problèmes sociaux que la ville suscite ou dont elle est le lieu d’actualisation. L’École de Chicago par exemple s’est en grande partie consacrée, dans le premier quart du XXe siècle, à l’examen des multiples facteurs influant et régulant la vie sociale dans une perspective plus locale comme celle d’un espace urbain. Les rapports de classes, les ghettos, les tensions raciales ou la marginalisation étaient des sujets de recherche de prédilection. (Stébé et Marchal, 2012) Nous nous risquons à affirmer que cet héritage est toujours relativement d’actualité, la sociologie urbaine demeure essentiellement une sociologie des tensions, des mutations et des adaptations. Bien que certaines de ses perspectives théoriques aient pu s’insérer dans notre cadre conceptuel, nous avons privilégié les champs de l’anthropologie et de l’ethnologie pour étayer notre réflexion.

En France, c’est depuis les années 1980 que les ethnologues et anthropologues ont investi progressivement l’espace urbain et il semble que la façon de se positionner face à ce nouveau terrain fasse l’objet de certaines divergences :

La qualification d’« anthropologie urbaine », en France, appliquée à une pratique très localisée de l’ethnographie a pu entretenir une certaine confusion entre anthropologie dans la ville et anthropologie de la ville, anthropologie urbaine stricto sensu, qui s’attache à repérer la spécificité du fait urbain et rejoint ainsi dans sa visée les analyses des sociologues et historiens qui s’interrogent sur le caractère original, la genèse et les métamorphoses des cités. (Barbichon, 2009 : 248)

Pour l’anthropologue Michèle de La Pradelle, le courant d’ethnologie de la ville a pour objet de « […] rendre compte de ce système particulier de relations sociales représentatif du monde urbain, de ce qu’on pourrait appeler la culture urbaine ». (De La Pradelle, 1997 : 153) Selon elle, cette approche globalisante, cristallisée principalement par les travaux de Ulf Hannerz(Hannerz : 1983) et inspirée de la micro-sociologie de l’École de Chicago, tend à établir une constante générale qui serait l’urbanité et qui se réduirait somme toute aux « […] « relations de trafic », ces relations minimales qu’ont les gens qui se croisent dans la rue ». (De La Pradelle, 1997 :

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154) Elle ajoute que l’on ne peut conclure à l’existence d’une « société urbaine » et c’est ce qui est, d’après elle, la faiblesse des approches d’ethnologie de la ville. Elle propose plutôt de centrer l’analyse sur les rapports sociaux et de :

[…] faire de l’anthropologie sociale « dans la ville », dans la mesure où on ne peut pas parler d’une anthropologie urbaine mais de l’application à des situations urbaines d’une démarche plus générale qui se propose de comprendre la manière dont fonctionnent des espaces micro-sociaux, de saisir la logique selon laquelle les acteurs s’y comportent. (De La Pradelle, 1997 : 157)

Cette approche semble donc considérer la ville comme n’importe quel autre milieu avec les forces structurantes qui lui sont propres. Nous ferons remarquer que Colette Pétonnet et Michelle Perrot exposaient également, au début des années 1980, une certaine difficulté quant à la circonscription de l’objet de recherche dans l’appréhension d’un phénomène urbain. De par la tradition épistémologique propre à sa discipline, l’ethnologue « […] est dérouté par l’immensité, la mouvance urbaines. Il lui faut y découper des sous-ensembles, des micro-milieux, territoires ou groupes, pour pouvoir les appréhender. Et, ce faisant, la spécificité urbaine ne risque-t-elle pas, justement, de lui échapper? ». (Pétonnet et Perrot, 1982 : 115)

Comme Martine Segalen l’a remarqué dans son bilan des travaux des ethnologues français portant sur la France, « Ni très grande, ni très petite, la question de l’unité d’observation se situe aujourd’hui dans un entre-deux que chaque thème essaye d’accorder à son projet ». (Segalen, 1997 : 110) Selon elle, faire l’ethnologie du présent amène l’ethnologue à se retrouver devant des informateurs isolés : « […] ce qui caractérise la modernité, ce semblerait être une relative disparition du lien territorialisé, qu’il s’agisse de la communauté rurale ou urbaine, du quartier : l’unité de lieu et de temps s’envole et l’ethnologue se trouve parmi des individus. Il est alors amené à suivre des réseaux, mais dans un face à face singulier ». (Segalen, 1997 : 110)

1.2 Domaine de recherche : bilan des approches en ethnologie urbaine

Historiquement, la ville et ses citoyens furent pour ainsi dire boudés par les ethnologues qui centraient principalement leur attention sur les milieux ruraux. « Les folkloristes ont longtemps considéré la ville comme une sorte d’espace interdit où ils ne s’aventuraient que dans la mesure où ils pouvaient y trouver des traces de la vie rurale ». (Du Berger, Roberge et Dubois, 1994 : 119) Les enquêtes et recherches entreprises étaient alors effectuées dans une optique d’ethnologie de l’urgence où l’heure était à la collecte d’un folklore amené à disparaître dans un

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7 avenir se faisant de plus en plus rapproché. On présupposait qu’il n’y avait qu’à la campagne où l’on pouvait avoir accès à une tradition exempte des impuretés provenant des multiples influences destructrices agissant en milieux urbains2. Au Québec, les premières études ethnologiques portant spécifiquement sur la ville ne datent que d’environ vingt ans. « Même si l’ethnologie urbaine fait partie des intérêts des chercheurs américains depuis les années 1950, il faut attendre le début des années 1990, avec la création du Laboratoire d’ethnologie urbaine, pour que ce domaine se développe ». (Roberge, 2004 : 166)

Aux États-Unis, les premières études des ethnologues (ou folkloristes) s’effectuant en milieux urbains étaient axées sur les sujets suivants : les ouvriers et leurs lieux de travail, les communautés d’immigrants, les pratiques langagières (urban jokes, légendes urbaines, surnoms, proverbes, énigmes et devinettes), la chanson et les liens entre ce qu’on désignait comme la tradition folk et la culture populaire. (Du Berger, Roberge et Dubois, 1994 : 120-123) Trois décennies plus tard, en 1983, Gerald Warshaver pose certains « principes » qui, selon lui, sont nécessaires à l’appréhension du folklore urbain. Nous nous attarderons particulièrement à un de ces principes qui est directement en lien avec l’objet de nos recherches. Il y est établi que « Les habitants de la ville construisent une image mentale de la ville à partir de leur situation dans la mosaïque sociale. Il y a autant de « cartes » de la ville, donc autant de représentations de la ville, qu’il y a de groupes dans la ville ». (Du Berger, Roberge et Dubois, 1994 : 127) Warshaver3 émet l’hypothèse que les ethnologues (folkloristes), avec leurs outils méthodologiques, peuvent tenter d’avoir accès à ces représentations: « Armed with sketch maps and interviews, researchers might find that as the tellers name the street lived on, the neighborhoods lived in, the paths and the direction taken to work, they externalyses the process by wich mental maps of the city were formed ». (Warshaver, 1983 : 170) Il pose également l’ethnologie urbaine (urban folklore) comme un champ d’étude autonome au sein de la discipline. On remarque progressivement qu’une sorte de déplacement du regard ethnologique s’est opéré, passant d’une perspective plus littéraire à une perspective plus élargie où le contexte et les rapports sociaux deviennent des variables de plus en plus importantes dans la collecte et l’analyse des faits de folklore.

2 La ville « […] apparaît le plus souvent comme la dégradation, voire la négation de la sociabilité de village […] ;

c’est le lieu de relations fugaces et superficielles au sein desquelles chacun préserve son identité personnelle tout au long d’une série de négociations indépendantes les unes des autres». (De la Pradelle, 1997 : 154)

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L’influence des autres sciences sociales (la sociologie entre autres) commence à se faire sentir d’une façon plus marquée.

1.3 L’imaginaire comme objet d’étude

Dans le domaine de l’ethnologie urbaine, nous situons la présente étude dans le troisième axe de recherche qui prévalait dans les années 1980 lorsque les ethnologues ont consacré la ville comme terrain. Cette approche qui refusait le déterminisme mécanique d’un espace planifié, conçu et administré, proposait plutôt un recours à « la parole habitante » et au « mythe » pour « […] appréhender le travail de l'imaginaire (recomposition de la ville, notion d'appropriation, d'usage) produisant la ville pour ceux qui l'habitent ». (Althabe, 1984 : 3-4) Il apparaît ainsi deux notions clés dans le trajet menant à une tentative de compréhension de la réalité urbaine : le discours et l’imaginaire. Ainsi cette « parole habitante » donne accès à un imaginaire qui est l’expression d’une ville vécue : « Comprendre la ville commence par comprendre l’image que les citoyens s’en font ». (Delorme, 2005 : 22) Cet imaginaire est non pas accessoire mais bien inhérent à la vie urbaine : « […] les acteurs manipulent dans la production de leurs rapports quotidiens une certaine image de la ville qui doit être prise en compte ». (De la Pradelle, 1997 : 159) Cette perspective générale était celle qui prévalait lors de l’élaboration et la mise en œuvre du projet Vivre sa ville : Québec au XXe siècle qui voulait « […] montrer comment les gens de Québec, en s’appropriant le territoire et en s’adaptant aux changements de la ville dans le temps, ont élaboré un imaginaire qui a créé un champ urbain symbolique ». (Du Berger, 1994 : 10)

Affirmer le rôle déterminant des représentations dans toute tentative d’analyse du milieu urbain semble aller dans la même direction qu’une certaine tendance actuelle au sein des sciences sociales. Dans son bilan des différentes approches utilisées dans l’étude de la vie urbaine, le politicologue Pierre Delorme affirme : « À l’instar de quelques autres chercheurs, de plus en plus nombreux, je crois que la ville se comprend en fonction de la notion centrale d’imaginaire ». (Delorme, 2005 : 22) Ainsi, l’auteur prend ses distances face aux différentes avenues empruntées jusqu’alors par la sociologie urbaine (l’écologie urbaine de l’École de Chicago, l’analyse marxisante de tradition française, etc.) dans l’analyse de la ville. Toujours selon Delorme, le milieu urbain, de par sa nature complexe, appelle également à un certain décloisonnement entre

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9 les différentes sciences sociales: « [...] l’étude de la ville constitue, pour les analystes, un modèle exemplaire de multidisciplinarité, voire de transdisciplinarité ». (Du Berger, 1994 : 9) Notre étude, en tentant de croiser une « parole habitante » et une « géographie », s’inscrit donc dans cette voie.

1.4 Pratiques culturelles et fonctions urbaines

La réalisation du projet Vivre sa ville a reposé en grande partie sur les concepts de pratiques culturelles et de fonctions urbaines et ce cadre théorique se retrouve bien entendu au cœur de notre démarche. Après s’être inspiré du modèle de Charles W. Joyner qui tente de situer la performance folklorique dans le contexte dans lequel elle s’exerce, Jean Du Berger4 a élargi l’application de cette approche contextuelle et performantielle : « Le concept de performance, si fécond dans l’interprétation dynamique des formes expressives du folklore, peut être également utilisé dans l’analyse des autres pratiques culturelles ». (Du Berger, 1994 : 25) Ces dernières, correspondant globalement à la tradition du modèle de Joyner, englobent trois champs distincts : le champ coutumier, le champ pragmatique et le champ symbolique et expressif5. La performance d’un acteur social s’actualise au point de rencontre entre les pratiques culturelles et les fonctions urbaines : « Pour l’acteur social et son groupe, les pratiques culturelles remplissent la fonction d’un paradigme qui leur permet d’agir dans le champ des fonctions urbaines ». (Du Berger, 1994 : 11) Ces fonctions sont : maison, éducation, production, circulation, consommation, association, récréation, protection, communication, administration, projection et transgression.

C’est dans ce système dynamique que l’espace urbain acquiert forme et existence: « […] la ville est en somme produite par les pratiques culturelles des hommes et des femmes qui l’habitent et qui sont à la fois acteurs et témoins, informateurs et spectateurs ». (Roberge, 1997 : 163) Nous ajouterons également, en reprenant les mots des chercheurs du projet Vivre sa ville, que « Ce qui nous intéresse ici n’est pas tant la pratique en elle-même que la pratique exprimée dans un

4 « Sa réflexion est principalement tournée vers les travaux des folkloristes américains qui portent sur la ville et les

nouveaux contextes et sur des notions de sociologie américaine comme les réseaux d’appartenance (petits groupes, groupes folk) et l’enveloppement des appareils (institutions) (Roberge, 2004 : 157) ».

5 « L’ensemble des pratiques culturelles d’un groupe forme un paradigme qui, à proprement parler, constitue la

compétence ou la tradition de ce groupe ; dans l’axe syntagmatique, la performance est une mise en œuvre d’éléments de l’axe paradigmatique (Du Berger, 1994 : 25) ».

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discours, bref, cet intangible qui traduit et illustre un système de relations entre les pratiques, les fonctions et les représentations de la ville ». (Roberge, 1997 : 165) Dans notre optique de recherche, ce système est envisagé comme si il était ancré et supporté par le quotidien et le cadre contextuel6 dans lequel il s’effectue.

1.5 La mémoire d’un espace urbain

1.5.1 Le territoire : quelques considérations transdisciplinaires

Au sein des sciences sociales, le terme territoire est entouré d’une certaine confusion conceptuelle et se retrouve employé dans les contextes les plus variés. Dans son bilan des théories visant à définir le concept en géographie, Philippe Tizon circonscrit toutefois les différentes approches à deux conceptions fondamentales : une, plus politique, axée sur la façon dont le pouvoir s’exerce sur un espace et l’autre, beaucoup plus élargie.

Sous le même mot territorialité, la vision des géographes contemporains oscille donc entre celle d’une géographie de la territorialité très large, englobant tout l’être et tous ses univers [...] et celle d’une correspondance entre le territoire administratif (celui des juristes), les populations qui l’occupent et les pouvoirs qui l’organisent. (Tizon, 1996 : 27)

Nous avons plutôt tendance à pencher vers l’approche d’une « territorialité très large » en raison des objectifs de notre recherche portant sur les représentations vécues de l’espace dans l’imaginaire urbain. Bien qu’il soit admis que le pouvoir structure la subjectivité, notre objectif n’est pas de tenter de déceler les traces des effets de cette mécanique structurante. Nous prendrons donc principalement en compte la nature sociale du territoire et le fait que les représentations sont issues d’une relation entre un individu et son environnement.

L’investissement identitaire d’un espace n’est pas en soi un processus continu et permanent. L’affirmation d’un « nous » face à un « eux » s’exerce de façon plus marquée lorsque la revendication territoriale semble menacée ou carrément contestée :

Pas plus qu’un groupe d’envergure n’a besoin, quotidiennement, de rappeler le sens communautaire qui soude ses membres, individus et groupes restreints n’éprouvent pas la nécessité de manifester explicitement, en situation « normale », leur attachement, leur prise de possession, leur acceptation ou leur rejet des dispositifs spatiaux qu’ils utilisent. (Tizon, 1996 : 25)

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11 Toutefois, au-delà d’une position territoriale explicite, les pratiques quotidiennes des acteurs sont à plusieurs niveaux conditionnées par le cadre spatial dans lesquelles elles s’exercent. Par exemple, les différentes fonctions urbaines situent l’acteur dans son groupe en traçant en quelque sorte la frontière de ses possibles à la fois dans l’espace physique et à la fois dans l’espace social. Le territoire d’un acteur est ainsi l’ensemble des lieux vécus et représentés où il exerce les pratiques culturelles déterminées principalement par ses fonctions urbaines : « ...l’action territoriale des individus se manifeste par leurs rôles sociaux ». (Tizon, 1996 : 27) Nous retiendrons que le territoire est avant tout social et symbolique, se dessinant et se redessinant aux différents points de rencontre toujours changeants entre l’acteur social et la collectivité.

Un quartier est un bon exemple de cadre contextuel où les « actions territoriales » impliquent des enjeux sociaux, symboliques et identitaires à petite échelle. Il est un lieu de relations micro-sociales, une zone tampon où l’espace privé déborde de la sphère domestique et déploie, par des pratiques quotidiennes répétitives, ses racines dans l’espace public. Le quartier est d’une certaine manière un hall d’entrée où l’on enfile son manteau de convenances pour sortir « consommer » l’espace social. Le quartier est le lieu de ce « […] compromis par lequel chacun, renonçant à l’anarchie des pulsions individuelles, donne des acomptes à la vie collective, dans le but d’en retirer des bénéfices symboliques nécessairement différés dans le temps ». (De Certeau, 1994 : 17) Dans le système du don appelant irrésistiblement un contre-don, ces « bénéfices symboliques » nous sont redistribués progressivement grâce à cette mécanique aléatoire et circonstancielle de l’échange généralisé où l’on reçoit par l’intermédiaire de l’un ce que l’on a donné à l’autre. Globalement, c’est de cette façon que nous envisagerons le quartier : cadre social contextuel bien sûr mais surtout bassin de représentations territoriales formant un champ symbolique.

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1.5.2 Pratiques spatiales et représentations territoriales

Nous entendons conduire notre analyse en tenant compte de deux variables principales : les pratiques spatiales7 et les représentations territoriales. Notre idée générale est de les considérer un peu à la manière d’une banque que différents indicateurs viendront remplir. Il va sans dire que ces deux variables sont connectées l’une à l’autre dans un mouvement réciproque d’influences. Les pratiques spatiales, mouvantes et bien entendu différentes d’un individu à l’autre, sont inhérentes à toute appropriation territoriale de par leur nature quotidienne et répétitive. Nous aurions pu utiliser les pratiques spatiales comme indicateurs, faits observables nous donnant accès aux représentations territoriales. Cependant, nous avons délibérément choisi de les considérer comme des variables étant donné qu’elles peuvent être décomposées en unités d’analyse plus petites comme nos trois indicateurs principaux décrits dans la section qui suit. Quant aux représentations territoriales, elles seront extraites du discours des informateurs et constitueront l’essentiel de notre analyse des chapitres 3 et 4.

1.5.3 Le quartier au quotidien : la circulation, la ruse et les hauts lieux La circulation

Parmi les fonctions urbaines, c’est celle de « circulation » sur laquelle nous porterons une attention particulière. Cette fonction ne doit pas être envisagée comme étant « […] seulement constituée par la circulation des biens et des personnes à l’intérieur de l’espace urbain. Une ville est aussi un centre de transbordement de biens et de passage de personnes, un lieu d’échange ». (Du Berger, 1994 : 32) Quant aux façons de se déplacer, nous les aborderons de façon générale à la manière de Jean-François Augoyard. (Augoyard, 1979 ) Ce dernier traite les déplacements en ville d’une façon tout à fait originale : il considère le « cheminement quotidien » en regard de sa qualité expressive où les suites de pas pourraient être envisagées comme des figures de styles. Au-delà de la chorégraphie, il s’agirait d’une sorte de linguistique des déplacements nourrissant le « fond imaginaire de l’expression habitante ». Ainsi, en considérant la circulation comme un indicateur, nous examinerons tout ce qui a trait principalement aux déplacements dans l’espace.

7Dans la catégorie générale des pratiques spatiales est compris tout ce qui a trait aux trajets, déplacements,

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13 La ruse

Beaucoup d’études ont été faites en considérant l’espace urbain avant tout dans sa dimension sociopolitique où les lieux sont vus comme étant façonnés de telle sorte que le « pouvoir » peut surveiller, encadrer, isoler et contenir afin d’asseoir sa domination. Il serait bien évidemment inutile de nier qu’une telle mécanique soit à l’œuvre mais nous ne ferons allusion à la dimension politique du territoire que pour se concentrer sur les ruses quotidiennes qui sont pratiquées envers le cadre physique par lequel ce système de domination s’opère. Ce concept de ruse, proposé initialement par Michel de Certeau, fournit une très intéressante perspective sur la relation à l’espace et au territoire, entre autres lorsqu’il s’agit des déplacements. « Relier des lieux dans l’espace, se déplacer revient pour le marcheur ou pour l’automobiliste à opérer des choix, à faire preuve de ruse avec le système spatial ou urbanistique et les programmations que celui-ci s’efforce d’imposer aux pratiques ». (Di Méo, 1999 : 89) Dans le cadre de notre projet, nous porterons donc une attention particulière à tout ce qui, dans le discours des informateurs, peut ressembler à ces petites ruses ordinaires.

Les hauts lieux

Il s’agit ici de prendre en compte certains lieux dans leur nature de carrefour symbolique où l’imaginaire conflue pour lui donner valeur et pouvoir. Michel Maffesoli nous montre que ces lieux peuvent également se retrouver dans le quotidien ordinaire et ne sont pas que des monuments célèbres ou des endroits à lourde charge historique :

Que ce soit au travers des grands « hauts lieux » emblématiques, ou petits « hauts lieux » quotidiens, nous traversons, intentionnellement ou pas, une série de sites, une série de situations, qui dessinent une géographie imaginaire, qui me permettent de m’accommoder (au sens optique) à l’environnement physique qui m’est donné et qu’en même temps je construis symboliquement. (Maffesoli, 2005 : 36-37)

Ces « hauts lieux », repérables dans les récits de vie de par la nature répétitive de leur ancrage dans le quotidien, nous serviront à baliser la carte du territoire, soit en tant que frontières ou soit comme bornes reliées entre elles par une frontière.

Certaines composantes physiques d’un environnement urbain, bien qu’ayant disparu physiquement ou ayant changé d’usage, demeurent également investies comme « hauts lieux ». Ces fantômes, ces balises invisibles d’une géographie passée, continuent toutefois à exercer une

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14

force structurante sur la carte imaginaire des citoyens. Le paysage se trouve en quelque sorte remodelé par la mémoire grâce à

[…] l’existence d’un phénomène de rémanence d’éléments matériellement disparus sous la forme d’une persistance mentale comme résistance à l’érosion. Ces invariances urbaines participent à la pensée de la ville ou de l’espace urbain au présent et ont une fonction de repère physique et/ou symbolique. (Verguet, 2007 : 210)

Ainsi, notre carte territoriale du quartier Saint-Sauveur se dessinera en prenant également en compte les absents.

1.6 Hypothèse de recherche: de la « parole habitante » au territoire

Nous émettons donc l’hypothèse qu’à partir d’un ensemble de récits de vie, il est possible d’extraire un schéma de pratiques et de représentations spatiales qui sont les indices du rapport des habitants à leur quartier en tant que territoire vécu, approprié et subjectivé.

1.7 Cadre méthodologique

1.7.1 Sources orales utilisées : le corpus du fonds d’archives Ville de Québec

Le projet Vivre sa ville : Québec au XXe siècle, instauré conjointement par la Ville de Québec et l’Université Laval, fut à l’origine de la création du Laboratoire d’ethnologie urbaine (LEU) au début des années 1990. Ce laboratoire réunissait les chercheurs Jean Du Berger, Jacques Mathieu, Martine Roberge et Simonne Dubois de même qu’un certain nombre d’étudiants au baccalauréat et à la maîtrise en ethnologie. Le projet Vivre sa ville était initialement articulé en trois phases : la création d’un fonds documentaire, « le traitement, l’analyse et l’interprétation » et finalement « la mise en valeur et la diffusion 8». (Roberge, 1994 : 44) Comme l’ethnologie urbaine était un domaine de recherche relativement récent, c’est dans la double optique d’un terrain nouveau nécessitant de nouvelles méthodes de recherche que la ville était envisagée

8Des publications ont fait suite aux travaux du Laboratoire d’ethnologie urbaine : deux ouvrages, quatre mémoires de maîtrise et plusieurs articles scientifiques regroupés pour la plupart dans un numéro spécial de la revue Canadian

Folklore Canadien. L’ensemble de ces publications fut réalisé par les chercheurs, professeurs et étudiants

directement impliqués dans le projet Ville de Québec. Le premier de ces ouvrages est consacré aux ouvrières de la compagnie Dominion Corset, employeur important du centre-ville de Québec de 1886 à 1988 et le second porte sur la radio.

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15 comme objet d’étude. Se basant principalement sur les balises théoriques établies par Gérard Althabe posant l’imaginaire urbain comme un troisième axe de recherche en complément à l’ethnologie de la ville ou à l’ethnologie dans la ville, le LEU s’était donné comme objectif général d’examiner la ville de Québec en prenant en compte la part symbolique des représentations de ses habitants.

La ville étant un terrain nouveau pour les ethnologues, le projet se devait d’avoir recours à une « méthodologie adaptée au milieu urbain » (Roberge, 1997 : 162) ; ainsi le récit de vie, outil d’enquête qui commençait à s’imposer au sein de la discipline, a été retenu pour constituer le cœur des travaux du LEU9. Nous reviendrons de façon plus approfondie sur les différentes implications de l’utilisation de cette méthode d’enquête. Nous nous contenterons pour l’instant de dire que c’est à travers leur récit de vie que les informateurs et informatrices nous montrent les différentes trajectoires de leurs « expériences urbaines » et conséquemment nous donnent accès à l’imaginaire urbain de la ville de Québec. (Du Berger, 1994 : 21)

1.7.2 Le récit de vie : entre biographie individuelle et récit de société

Dans l’histoire de la discipline, l’utilisation du récit de vie comme outil d’enquête est relativement récente. « Il importe de souligner ici que la méthode biographique ou autobiographique préexistait dans certaines études sociologiques, mais n’avait pas encore été appliquée et adaptée de façon régulière aux recherches à caractère ethnologique ». (Roberge, 2004 : 166) Bien que certains en aient fait une utilisation sporadique10, ce n’est que dans les années 1990 que cette technique d’enquête commence à être utilisée plus fréquemment. À partir de ce moment, le récit de vie Ŕ et de façon corollaire le récit d’épisode et le récit de pratiques Ŕ s’impose comme un des principaux outils en ethnologie.

9 « Comme nous nous intéressons à la vie en ville, il nous a semblé que la technique du récit de vie portant sur les événements marquants de la vie du témoin combinée au récit de pratiques portant sur des aspects plus précis de la vie urbaine devait nous permettre d’atteindre de façon satisfaisante nos objectifs scientifiques (Roberge 1997 : 170) ».

10 Par exemple Marie Letellier, On n’est pas des trous-de-cul, Montréal, Parti-Pris, 1971, 221 p. ; Gabrielle

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Après une certaine confusion conceptuelle avec l’histoire de vie11, le terme récit de vie est celui qui est dorénavant accepté pour désigner la méthode ayant servi à la composition de notre corpus de sources. Voici une définition générale qu’en propose Alex Mucchielli :

La méthode des récits de vie est alors une méthode de recueil et de traitement de récits obtenus auprès de personnes rapportant leur vécu quotidien passé ou présent. L’entretien se fait à partir d’une trame orientant les récits obtenus sur des thèmes […] Les objectifs atteints par la méthode peuvent être variés (état morphologique de la société, mode de vie, valeurs, normes et mentalités, représentations, motivations, attitudes, système des relations entretenues. (Mucchielli 2002 : 199)

Un des principaux avantages de cet outil d’enquête est que l’individu, en se racontant, se pose constamment en relation avec la sphère sociale dans laquelle il évolue et nous permet d’ « […]

appréhender les modèles de groupe à travers le témoignage circonstancié de l’un de ses membres, en cernant les diverses composantes de la personnalité de celui-ci ». (Poirier et Clapier-Valladon, 1980 : 354) Le récit de vie, et plus spécifiquement l’ethnobiographie que nous verrons plus loin, nous fournit des éléments d’information concernant trois dimensions du sujet: le je « le personnage des récits de vie classique », le tu « auto-interrogation du sujet qui se met en situation, en cause et en question » et, enfin, le il « l’image du sujet telle qu’elle est perçue par le groupe ». (Poirier et Clapier-Valladon, 1980 : 354) Le récit de vie est donc à la fois récit biographique réflexif et récit de la société dans laquelle le sujet évolue.

Le concept d’ethnobiographie est souvent employé pour décrire l’utilisation du récit de vie et également la production issue de cet outil de recherche. « L’ethnobiographie est méthode et résultat » (Mucchielli 2002 : 63) et elle peut être singulière ou plurielle. Dans le cas du projet Vivre sa ville, il est évidemment question d’ethnobiographie plurielle car les récits de vie ont été croisés. Cette technique implique le recours à des contre-biographies, recoupements Ŕ indispensables pour certains auteurs Ŕ permettant de « […] vérifier la fiabilité de l’informateur qui peut être conduit consciemment ou inconsciemment à déformer la réalité, soit que sa mémoire est défaillante, soit qu’il réinterprète les événements avec trop de liberté, soit qu’il les falsifie délibérément ». (Poirier et Clapier-Valladon, 1980 : 354) On parle aussi de la loi de

11 L’histoire de vie, de façon consensuelle, désigne pour les chercheurs « […] toute l’information qu’ils avaient pu

obtenir sur une personne, que ce soit directement de la personne elle-même ou de son entourage (Dubois, 1994 : 57). Le récit de vie se trouve donc à faire partie de l’histoire de vie.

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17 saturation : « moment où plus rien de nouveau apparaît », « d’un informateur à l’autre, d’un récit de vie à l’autre ». (Dubois, 1994 : 58)

Étant donné les caractéristiques inhérentes au récit de vie12 comme outil d’enquête et celles entrainées par la méthodologie propre au LEU, le corpus du projet Ville de Québec est de nature multiforme. Chaque entrevue doit être abordée en tenant compte du fait qu’elle comporte plusieurs niveaux. Ce « […] témoignage qui découle de la combinaison du récit de vie et du récit de pratiques nous conduit à une sorte d’hybride qui se présente autant comme une construction de l’informateur que du chercheur et qui livre autant des faits que des perceptions ». (Roberge, 1997 : 170) Ainsi, nous voyons ici les deux éléments centraux qui sont contenus dans notre corpus de sources et qui sont le matériel sur quoi nous allons travailler : les faits et les perceptions de ces faits.

Les récits de vie, parce qu’ils sont racontés par les acteurs eux-mêmes, comportent une part de distorsion subjective. Que ce soit par des embellies13 ou, pour reprendre l’expression de Poirier et Clapier-Valladon, par une « demi-occultation du réel », les récits de vie sont des sources « partielles et partiales ». (Dubois, 1994 : 69) Malgré tout, ces outils d’enquête permettent de récolter à la fois des faits et des perceptions tout en laissant une place au contexte :

En effet, les récits de vie prennent en compte la structure existentielle de la vie sans oublier le référentiel social. Ils font de la subjectivité leur objet d’étude ; une subjectivité redécouverte, réhabilitée et insérée dans un contexte social sur lequel elle porte un témoignage en même temps que ce dernier lui donne validité.(Mucchielli, 2002 : 66)

Cette subjectiviténous en apprend parfois beaucoup pluslong qu’un simple catalogue de faits en nous indiquant par exemple ce qui a de la valeur aux yeux d’un informateur. Il faut également garder en tête que nous sommes dans une reconstruction de la réalité car « […] le récit d’un fait passé ne sera jamais le vécu de ce fait. Il s’agit bien d’une reconstruction qui livre, la plupart du temps, une vision nostalgique, une interprétation de sa vie qui prend parfois des accents d’apologie ». (Roberge, 1994 : 48)

12

Nous ajoutons cette précision : « … le récit de vie se rapporte soit à une vie dans son ensemble, dans sa globalité, soit à des tranches de vie. Dans ce dernier cas, il s’agit de récits thématiques à des moments vécus ou de récits se rapportant à des pratiques individuelles, souvent professionnelles 12». (Mucchielli 2002 : 64).

13 « Quand un informateur raconte sa vie, il raconte ce dont il se souvient et il ne se souviendra peut-être que des bons moments en embellissant ceux qui l’étaient moins ». (Dubois, 1994 : 69)

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18

1.7.3 Traitement des sources : analyse lexicale et analyse thématique

L’ensemble des sources que nous avons utilisé représente une durée totale d’environ 70 heures d’enregistrement. De façon plus pratique, nous avons effectué un survol de repérage qui nous a été facilité par le fait que ces sources ont été partiellement traitées : elles comportent toutes un guide d’écoute détaillé avec minutage. Ensuite, après une écoute générale des récits de vie, nous avons sélectionné les portions que nous avons jugé les plus utiles, au regard de nos variables et indicateurs, et nous avons transcrit celles-ci sous forme de verbatim (transcription intégrale). Une fois notre corpus de transcriptions complété, nous avons effectué l’analyse de contenu en deux temps. En premier lieu, nous avons regroupé les propos des informateurs selon leurs différents rapports à l’espace et ce premier classement a servi d’assise à notre analyse. « Cette analyse lexicale consiste en une re-lecture qui permet d’entrer dans l’univers du discours des narrateurs, de ne pas trop dénaturer leur récit oral et d’ouvrir la problématique ». (Mucchielli, 2002 : 66) Ensuite, nous nous proposons d’effectuer une analyse thématique des récits. Cette étape de notre analyse de contenu, que certains auteurs présentent comme une sorte de ré-écriture du contenu, « […] consiste à repérer des noyaux de sens qui composent la communication et dont la présence ou la fréquence d’apparition pourront signifier quelque chose pour l’objectif choisi ». (Bardin, 1977 : 105 cité dans Mucchielli, 2002 : 66) Ces différents noyaux de sens se retrouvent exposés et définis au chapitre 3.

C’est après avoir soumis notre corpus de sources à cette analyse thématique que nous avons pu enclencher la phase interprétative de notre projet. Cette phase de notre travail s’est également faite en deux temps. Tout d’abord, ces « noyaux de sens » ou thèmes seront mis en relations avec certains éléments du plan d’enquête afin de constituer une sorte de grille de lecture « […] permettant de substituer au flux spontané et répétitif des récits, une structure respectant les structures mentales du groupe étudié et facilitant l’étude comparée ». (Mucchielli, 2002 : 66) Par exemple, dans la section du plan d’enquête14 consacrée à la fonction urbaine de circulation, se trouvent les thèmes suivant : rue, entretien, éclairage, pavage, ruelle, cour intérieure, trottoir, etc. Ensuite, débute le processus de croisements, de cumuls des récits, de recoupements entre cette grille de lecture et les différentes variables et indicateurs que nous avons retenus lors de

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19 l’élaboration de notre problématique. Nous envisageons cette étape comme une double triangulation : triangulation des données15 et triangulation théorique16. En effet, tout comme les témoignages recueillis lors du projet Ville de Québec, notre cadre théorique est de nature hybride puisqu’il s’articule sur plusieurs niveaux. Nos variables, les pratiques spatiales et territoriales, renvoient à la fois bien évidemment aux pratiques en tant que telles mais aussi à l’espace, au territoire, à l’imaginaire, aux réseaux sociaux, au quotidien, etc. Il en est de même pour nos indicateurs : la fonction urbaine de circulation, les hauts lieux investis symboliquement ainsi que les petites ruses du quotidien.

Conclusion

Notre démarche s’insère donc clairement dans le champ de l’ethnologie urbaine, tant par le regard posé sur l’objet de recherche que les méthodes employées. Toutefois, étant donné le caractère hybride et polymorphe que peuvent prendre les rapports à l’espace, d’autres indicateurs se trouvent à être définis et relevés en cours du processus. Bien que ces derniers soient d’une utilité non-négligeable pour l’exercice de notre analyse, nous avons délibérément opté pour les exposer en contexte au lieu de les inclure dans cette section consacrée à notre cadre conceptuel. Dans le chapitre qui suit, nous présenterons le corpus que nous avons utilisé de même que les cadres et contextes ayant présidé à la réalisation du projet Vivre sa ville. Il sera également question de poser les critères de notre propre sélection de témoignages et de dresser un portait global du quartier Saint-Sauveur.

15 « […] triangulation par combinaison de niveaux. Celle-ci utilise plus d’un niveau d’analyse : le niveau individuel,

le niveau interactif, le niveau collectif (Mucchielli 2002 : 262) ».

16Technique de triangulation où « […] l’interprétation des données se fera à partir de plusieurs cadres théoriques. Leur superposition forcera le chercheur à considérer plus d’un angle d’interprétation (Mucchielli 2002 : 262) ».

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21

Chapitre 2 - Revisiter un corpus de sources orales

Utiliser des sources de seconde main implique plusieurs considérations d’ordre méthodologique17. N’ayant pas effectué les entrevues, une grande partie des signes de l’ordre du paralangage nous échappe. Bien que silences, soupirs et hésitations se retrouvent sur les enregistrements, les gestes n’y figurent pas de toute évidence. Ces enveloppes, grâce auxquelles le sens d’un discours se communique parfois de façon plus explicite qu’avec les mots, ne nous seront accessibles que partiellement. De même, les précisions ou les sujets tabous que les informateurs se donnent la liberté de partager, une fois le magnétophone éteint, ne pourront évidemment pas compléter notre documentation. Le retour sur un thème abordé lors d’une rencontre précédente et le recoupement circulaire sont eux-aussi exclus de notre démarche. Ceci étant dit, en ayant été attentif à ces contingences, notre façon d’aborder le corpus a bénéficié, d’une certaine façon, de quelques avantages. En effet, comme nous n’avons pu être « marqué » par la relation qui s’instaure lors des entretiens, nous avons pu aborder chacun des récits avec un regard frais au demeurant détaché. Finalement, nous avons pu considérer notre corpus comme un ensemble de récits finis et non comme étant en construction suivant la succession des entretiens.

2.1 Le projet Vivre sa ville : Québec au XXe siècle comme « reconstitution des mémoires »

Au Québec, comme nous l’avons mentionné, c’est à partir des travaux du Laboratoire d’ethnologie urbaine que ce domaine a commencé à s’affirmer. Les recherches du laboratoire dans le cadre du projet Vivre sa ville avaient comme objectif, par les récits de vie des informateurs et informatrices, de faire ressortir les différentes trajectoires de leurs « expériences urbaines »18. Contrairement à ce qui se faisait beaucoup ailleurs, les informateurs ne provenaient pas systématiquement de groupes sociaux isolés19 mais étaient plutôt choisis en fonction de leur âge et leur capacité à témoigner de leur histoire dans la ville. C’est donc cette somme de faits, d’expériences, d’impressions et d’images, cette reconstitution de la mémoire vivante de la ville de Québec dont nous rappellerons ici le contexte d’élaboration.

17 Nous reviendrons sur ces questions lors d’une section critique incluse au chapitre 4.

18 Jean Du Berger, « Pratiques culturelles et fonctions urbaines », Canadian Folklore Canadien, volume 16, numéro

1, 1994, p. 21.

19 « Pendant un temps, l’ethnologie urbaine fut celle des groupes sociaux les plus marginaux, migrants ou familles

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22

2.1.1 Cadres et contextes de la collecte

La sélection des informateurs s’est effectuée à l’aide de quatre balises « flottantes »20 : le cadre temporel, le contexte spatial, le cadre social et le contexte associatif. Ces quatre marqueurs, servant de cadre général afin de contextualiser la collecte et les travaux d’interprétation qui s’en sont suivis, n’ont pas été appliqués de façon rigide afin de permettre une adaptation souple aux différents contextes représentatifs de la vie urbaine. Ils ne constituent donc pas des indicateurs pouvant être « mesurés » tels ceux utilisés habituellement lors de la constitution d’un échantillonnage représentatif en recherche quantitative ou qualitative21 :

Ce découpage nous permet d’effectuer, dans un langage commun, une sorte de coupe ethnologique qui ne repose pas sur des catégories prédéfinies et fixées, comme par exemple l’âge, le sexe ou la catégorie socioprofessionnelle. Elle s’appuie plutôt sur des variables, certes flottantes, mais qui tiennent compte de façon plus significative de la personnalité de l’individu intégré dans un système complexe comme la ville. (Roberge, 1994 : 45)

Le cadre temporel, établi afin de baliser le XXe siècle, couvrait la période de 1910 à 1980. Pour avoir accès à une « mémoire vivante» de la ville remontant jusqu’à 1910, le choix des informateurs était effectué dans une perspective d’ethnologie de l’urgence. Dans ce contexte, les perceptions des informateurs devenaient d’autant plus importantes pour un projet comme celui du LEU en raison d’une certaine rupture dans la transmission intergénérationnelle du savoir et des pratiques. Toutefois, il serait peut-être plus juste de parler de mutation que de rupture car, comme le souligne Simonne Dubois : « Les personnes âgées ne se racontent probablement plus pour montrer comment on fait, mais pour montrer comment elles ont fait, comment elles ont fait les choses et surtout comment elles les ont vécues ». (Dubois, 1994 : 56)

Le cadre temporel du XXe siècle Ŕ tout comme n’importe quel cadre temporel Ŕ comporte également certains indicateurs plus personnels et donc plus fluctuants, liés à l’importance qui leur est accordée par les informateurs suivant leurs trajectoires individuelles. On parle ici de

20 « Les quatre contextes sont utilisés comme des indicateurs et non comme des facteurs absolus d’interprétation

(Roberge, 1994, p. 45) ».

21 « Dans cette optique, la notion de représentativité n’est pas la même que si elle reposait sur des critères fixes : elle

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23 souvenirs d’événements (La Grande Guerre, par exemple) ou d’avènements (la télévision, par exemple) (Roberge, 1994 : 45) qui peuvent s’inscrire aussi bien dans l’Histoire que dans la petite histoire de la ville, d’un quartier, d’une rue, d’une famille ou d’un individu.

Le contexte spatial quant à lui correspond généralement aux secteurs ou quartiers de la ville de Québec mais également à « tout lieu physique aménagé » servant de « point d’ancrage pour la mémoire » (Roberge, 1994 : 44) laissant ainsi place aux lieux du quotidien investis symboliquement et de manière affective. Le cadre social nous renvoie principalement aux fonctions urbaines d’une manière plus globale et, finalement, le contexte associatif permet d’appréhender plus spécifiquement certains aspects de la vie communautaire dans la mesure où il « […] révèle une facette de l’identité et de la personnalité des témoins ». (Roberge, 1994 : 45) En somme, le choix des informateurs s’est effectué d’une manière moins rigide que celle qui prévaut habituellement lors de la sélection d’un échantillonnage parmi une population. Pour reprendre les mots d’une des chercheuses qui résume l’ensemble de cette étape de la démarche d’enquête:

Dans cette perspective, la cueillette des témoignages devenait plus sélective que systématique. De manière plus concrète, nous avons procédé à un repérage des éléments signifiants dans un quartier donné, auxquels nous avons combiné les dimensions temporelle, sociale, culturelle et thématique. (Roberge, 1994 : 47)

2.1.2 Le plan d’enquête

Le plan d’enquête du projet Vivre sa ville s’est donc élaboré autour des concepts de pratiques culturelles et de fonctions urbaines et « […] devait servir à faire en sorte que l’ensemble des témoignages ne néglige aucun aspect de la vie urbaine, tout en servant de guide ou d’aide-mémoire aux enquêteurs au cours de la préparation de la suite des entrevues ou durant celles-ci ». (Roberge, 1994 : 49) Construit de façon telle que les entretiens semi-dirigés soient en quelque sorte adaptés aux informateurs, le plan d’enquête principal utilisé par le LEU 22 était complété dans certains cas par un questionnaire portant spécifiquement sur les pratiques. Toutefois, dans le but de recueillir des impressions et des représentations, les entretiens

22 Le plan d’enquête complet est inclus dans ROBERGE, Martine, Enquête orale : trousse du chercheur,

Laboratoire d’ethnologie urbaine, Québec, Célat, Université Laval, 1995, 85 p. 51-60 et le questionnaire portant sur les pratiques dans le même document aux pages 61-63. On trouvera ce plan d’enquête en annexe.

(34)

24

dirigés, basés sur un plan d’enquête malléable se sont avérés beaucoup efficaces que l’utilisation stricte d’un questionnaire rigide. « En somme, le plan d’enquête est à la fois chronologique (cycle de vie individuelle) et thématique (fonctions et pratiques urbaines) ». (Roberge, 1994 : 50) Bien qu’il puisse sembler difficile de prime abord de rassembler ce double aspect en un tout relativement cohérent, il apparaît que ces deux niveaux (chronologie personnelle et thématique) sont constamment inter-reliés dans les propos que l’informateur tient sur sa vie. En outre, la logique inhérente au fait de se raconter a pour effet de centrer l’ensemble du discours autour de la personne:

L’enchaînement des contextes et des pratiques urbaines se fait de façon thématique, mais passe toujours par l’informateur et sa famille. Ce schéma donne à la personne toute son importance : les pratiques n’ont de sens qu’en fonction de l’individu. (Roberge, 1994 : 49)

Ce plan d’enquête de 11 pages, divisé en sections basées sur les différentes fonctions urbaines comporte 13 parties principales. En voici un résumé schématique :

1. Ego : ce qui entoure l’acteur social (informateur) et sa famille. Cette partie du plan d’enquête, généralement nommée informographie, vise à obtenir de l’information sur le lieu de naissance, l’occupation des parents, le nombre de frères et sœurs, etc. En somme, il s’agit ici de situer l’acteur comme pivot autour duquel s’articule l’exercice des différentes fonctions urbaines et pratiques culturelles. (Du Berger, 1994 : 35)

2. Maison : en plus de servir à documenter l’histoire et le fonctionnement de l’univers domestique de l’enfance de l’informateur, la maison est également située dans les différentes unités géographiques de la ville (quartier, paroisse, etc.). Les déplacements et la vie de quartier sont aussi l’objet de cette section. 3. Éducation : le lieu d’étude, le cheminement scolaire, la vie à l’école, la relation

de l’informateur avec ses études, etc.

4. Consommation : les pratiques d’approvisionnement, les espaces marchands, les commerçants itinérants, etc.

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25 6. Production : le travail et tout ce qui l’entoure.

7. Maison 2 : la vie familiale adulte, les pratiques coutumières du cycle annuel et les souvenirs personnels marquants de même que ceux concernant les événements historiques, politiques, etc.

8. Circulation : tout ce qui a trait aux déplacements dans la ville comme les rues, les moyens de transport, l’hiver, etc.

9. Récréation : les divertissements culturels, sportifs, etc.

10. Protection : la santé (hôpitaux, soins, pharmacies, médicaments, etc.) et la sécurité civile (police et pompiers).

11. Consommation : cette section comprend les magasins, les rues commerciales, l’alimentation domestique, etc.

12. Appropriation du territoire : le but de cette section du plan d’enquête visait à documenter plus spécifiquement le rapport à trois types de lieux (publics, touristiques et privés) et tenter d’amener l’informateur à s’exprimer sur ce qu’est « habiter Québec ».

13. Communication : radio, journaux, télévision, courrier, téléphone, etc.

Quant au questionnaire spécifique qui accompagnait dans certains cas le plan d’enquête, nous n’en tiendrons pas compte ici car il est orienté sur les pratiques du travail et n’a pas été nécessaire à la réalisation de notre étude.

2.1.3 Le déroulement de l’enquête et la logistique des entretiens

Le rythme d’entretiens d’une ou de deux rencontres par semaine était jugé idéal par l’équipe de chercheurs car il est apparu que « Trois séances d’une heure valent mieux qu’une seule séance de trois heures ». (Dubois, 1994 : 66) Comme les récits recueillis étaient de deux types Ŕ récits de vie et récits de pratiques Ŕ le nombre de rencontres nécessaires pouvait varier : une pour les pratiques et plusieurs pour « atteindre les perceptions » des informateurs. Dubois nous mentionne que « L’expérience du laboratoire d’ethnologie urbaine nous fait croire que quatre ou

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