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ARTheque - STEF - ENS Cachan | L'industrie humaine mise en mots pour l'école

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Academic year: 2021

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L’INDUSTRIE HUMAINE MISE EN MOTS POUR L’ÉCOLE

Joël LEBEAUME

UMR Sciences Techniques Éducation Formation ENS Cachan - INRP

MOTS-CLÉS : INDUSTRIE – TECHNIQUES – LEÇONS – HISTOIRE

RÉSUMÉ : Dans l’école de la République, les notions industrielles et les notions sur les choses usuelles s’insèrent parmi les « leçons de choses ». Ces leçons contribuent à la mise en ordre des choses et des mots mais aussi du monde et des occupations, selon les spécificités des techniques et les enjeux sociaux et éducatifs de l’école.

ABSTRACT : Within Jules Ferry’ School, industrial notions and knowledge about usual things are integrated within “objects lessons”. This teaching-learning contribute to tidy up things and words but also world and vocational activities in according to the specificities of technology and the social and educational stakes of school.

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1. QUELQUES REMARQUES EN PROLONGEMENT

Mon intervention poursuit et prolonge les approches précédentes sur les ambiguïtés et les tensions des leçons de choses. L’exemple des « Leçons de choses religieuses » les révèle d’une façon nette selon deux points. Le premier concerne la généralisation d’un procédé d’enseignement qui perd simultanément son essence fondatrice et son positionnement par rapport à ce que l’on a désigné par « la foi laïque ». La seconde concerne le procédé lui-même dont les dérives ont souvent été la réduction à l’apprentissage d’énoncés ou de nomenclatures correspondant à des leçons de mots. L’ouvrage (Bouvet, 1934) collectionne ainsi un ensemble d’énoncés descriptifs des choses de l’église illustrées, par exemple :

Le goupillon. – Autrefois c’était une simple queue de renard bien poilue et bien souple (renard se disait « goupil » en vieux français). Aujourd’hui c’est une sorte de pinceau ou d’éponge fixée à un petit bâton de métal.

La deuxième remarque renvoie à la distinction précédemment exprimée à propos des contenus différenciés pour les garçons et les filles, qui porte en elle-même la tension entre un enseignement « pratique » et un enseignement lié à l’éducation intellectuelle, ce qui n’est pas indépendant des rôles sociaux valorisés par l’enseignement. Il est important de rappeler que dans leur définition originelle, les leçons de choses sont définies comme un enseignement intuitif, caractère particulièrement questionné par Kahn (2002). Cet enseignement intuitif, dès sa généralisation dans l’école de la République, est aussi qualifié par « expérimental ». Delon (1882) précise cependant que ce qualificatif n’est pas tout à fait juste faute de l’existence de l’adjectif « observatif » qui permettrait de caractériser avec précision cet enseignement pour lequel l’observation est centrale.

Je crois également essentiel de rappeler que cet enseignement est à la fois intuitif et oral. L’école doit avant tout faire apprendre le français, la langue nationale, à une époque où la pratique des dialectes régionaux ou des patois locaux s’oppose à l’unité nationale. À cet égard, il est alors précisé que ces leçons de choses permettent d’apprendre « la langue de tout le monde » en opposition « aux termes spécialisés ». Or cette tension dans le choix des mots et du registre de langue représente aussi fondamentalement la tension précédente entre un enseignement pratique et intellectuel, en d’autres termes entre la formation des travailleurs ou des hommes pensants. Or cette tension est celle qui oppose un enseignement utilitaire et un enseignement désintéressé ce qui précisément distingue l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire. Pendant la genèse de ces leçons de choses,

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cette tension est en filigrane des options pédagogiques, les unes fondées sur le maintien d’un ordre social immuable, les autres souhaitant l’accès du peuple aux classes secondaires. Ces tensions sont discutées dès 1892 lors d’une part de la création des écoles pratiques du commerce et de l’industrie et d’autre part de la renaissance des écoles primaires supérieures. Elles sont également présentes dans les discussions lors des conférences pédagogiques qui précèdent l’élaboration des textes réglementaires de 1923 qui installent les leçons de choses en classe et en promenade.

Il existe donc un rapport très étroit entre les choses, les mots et les leçons scolaires qui mettent l’accent sur l’oral, sur les familles de mots, sur les rédactions de sciences, sur les verbalisations… L’équilibre entre les mots et les choses est toutefois particulièrement fragile comme en témoignent les nombreuses prises de position qui dénoncent régulièrement les excès, tantôt liés aux choses sans mots tantôt aux mots sans choses.

Enfin, je voudrais attirer l’attention sur le mythe que représentent aujourd’hui les leçons de choses dont le passé n’est sans doute pas aussi poétique que les images contemporaines souhaitent leur donner. En effet, les leçons de choses ont engendré une production de mots particulièrement importante. La foultitude des manuels, des recommandations dans la Revue Pédagogique… représentent des millions de mots pour désigner une chose dont l’existence semble particulièrement délicate tant ces mots, ces lignes et ces textes proposent systématiquement de les corriger, de les faire exister dans les classes, pour les élèves. De nombreux textes signalent en ce sens que les leçons de choses existent davantage dans les programmes que dans les classes. Les rapports d’inspection de Pauline Kergomard ou de Melle Matrat, comme ceux des inspecteurs primaires regrettent ces leçons souvent confondues avec un bavardage inconsistant ou un labyrinthe de mots qui égare les enfants.

2. MISE EN LEÇONS

C’est dans ces tensions et ces ambiguïtés que je souhaite examiner la mise en leçons des activités de l’industrie humaine. Pour rappel, les promoteurs des leçons de choses comme les pédagogues, bien avant l’inscription officielle de cet enseignement dans l’école, précisaient que les leçons de choses ouvraient trois vastes domaines : l’histoire naturelle, les sciences physiques et l’industrie ou la technologie (au sens des termes de l’époque). Pendant toute la période de définition de ces leçons de choses qui précédaient initialement un enseignement de sciences, il était aussi souligné que ces leçons n’étaient qu’à tendance scientifique, c’est-à-dire que ces domaines n’étaient vraiment identifiés qu’à l’école primaire supérieure ou plus récemment au collège. Cette visée lointaine et cette

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compartimentation progressive contribuent alors à la mise en ordre du monde, avec l’ambition éducative et instructive d’organiser progressivement le chaos initial et indifférencié du monde et de l’élève.

2.1. Série naturelle et série industrielle

L’organisation pédagogique des leçons de choses ne s’est pas imposée ex nihilo. De nombreux essais d’ajustement des contenus peuvent être repérés dans les discours des auteurs des manuels, d’articles de recommandations pédagogiques, d’ouvrages pédagogiques. Quelques principes de construction sont également mentionnés, comme la progressivité du monde sensible au monde rationnel (Bain, 1908), ou à propos des sujets d’étude (Delon, 1882). La question du choix des sujets d’étude et de leur inscription en séries appelle un questionnement à l’échelle de la scolarité primaire. Concernant ces sujets, la distinction majeure s’est effectuée entre la « série naturelle » également qualifiée de « scientifique » et la « série industrielle » qui touche au travail humain. La première série tient à l’ordre naturel et s’inscrit dans l’ordre déterminé des faits, l’ordre des sciences comme la botanique, la minéralogie et la zoologie pour l’histoire naturelle. Les sujets sont ainsi susceptibles de s’enchaîner selon cet ordre rationnel de la science auquel ces sujets initient. L’ordre de l’enseignement est ainsi fixé ; l’ordre des choses se plie à l’ordre des mots.

Dans la deuxième série, « la série industrielle », il est retenu l’industrie agricole considérée comme l’industrie nourricière par excellence et comme l’occupation du plus grand nombre de bras. En outre, cette industrie proche de la nature permet l’étude des instruments, des opérations et des produits. Cette industrie dont la présentation à l’école est déclarée utile pour les enfants des villes, s’oppose cependant aux industries manufacturières : Ces labeurs s’accomplissent sous le ciel, au grand air, non pas comme ceux de l’ouvrier des manufactures dans un atelier sombre, bruyant, échauffé, encombré, au fracas des machines, dans l’odeur concentrée des matières ouvrées.

Ce commentaire qui valorise l’industrie humaine présentable à l’école porte la sélection des contenus pour l’éducation des petits Français dans le contexte politique de la troisième république. Ce commentaire s’inscrit alors dans l’ensemble des discours de promotion de l’enseignement scientifique agricole dont l’ambition de formation de « paysans riches » est rappelée avec insistance. Il s’agit en effet de la construction de la République rurale de Jules Ferry dont l’enjeu est aussi d’éviter les concentrations d’ouvriers dans les villes, susceptibles d’engendrer des insurrections comme le mouvement antérieur de la commune. Ces ambitions de la politique éducative justifient alors l’approche des industries manufacturières essentiellement dans les plus grandes classes à la façon des notions industrielles des ouvrages de technologie ou de lectures graduées. Ces industries

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sont présentées dans leurs principes car les procédés multiples, les outils nombreux et rapidement obsolètes, les machines compliquées qui se substituent au travail des mains, sont souvent des « sujets trop secs », des « sujets techniques ». En ce sens, pour l’école élémentaire, ce sont les formes domestiques du travail ou de l’industrie qui sont retenues, car les approches scolaires sont considérées à la fois comme des modalités contribuant à la réforme des gestes qu’opère l’école et à l’intériorisation des rôles sociaux et de leurs occupations dédiés, mais également comme un moyen pour enseigner les principes élémentaires des procédés manuels, généralement développés dans les procédés industriels. Le principe du filage à partir de l’essai de l’opération qui combine les gestes tirer et tordre offre ainsi le moyen de saisir les façons de faire avec une quenouille, un rouet ou un dispositif mécanique continu.

2.2. Sujets mixtes et leçons détachées

Mais l’approche de l’industrie humaine ne s’inscrit pas vraiment dans un ordre rationnel. En effet, les classements de technologie présentent généralement des ensembles qui correspondent à des regroupements des occupations, des activités, des filières techniques. Sont ainsi généralement distinguées les industries d’extraction, les industries métallurgiques, les industries du bois ou les industries de l’habillement. Mais cette mise en ordre conduit à un ensemble d’industries diverses pour lesquelles les manuels présentent par exemple le papier, la gomme, la plume, le livre, les outils de l’écolier…

Entre la série naturelle et la série industrielle, s’insère ainsi une troisième série, celles des objets usuels ce que les causeries sur les choses usuelles faisaient découvrir aux élèves les plus jeunes en en questionnant l’origine, la provenance, la fabrication et l’usage. Ce sont alors ce que l’on désigne en tant que « sujets mixtes », car examinant la matière première, les qualités, les formes et les couleurs du point de vue « naturel » et l’usage et la fabrication du point de vue « industriel ». Mais ces leçons mixtes sont exclusivement des leçons détachées, ces leçons des petites classes dont de tout temps il est dit qu’aucun ordre n’est nécessaire et que le lien peut être un thème. Ces leçons mixtes et détachées s’enchaînent alors généralement au fil des saisons. Elles s’inscrivent davantage parmi les leçons « adventives » que parmi les leçons réglementaires.

3. MISE EN ORDRE DES CHOSES ET DES MOTS

L’examen de la mise en mots et en discours scolaires de l’industrie humaine permet de souligner deux remarques importantes :

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- la première concerne la signification politique et idéologique de ces discours qui valorisent certaines techniques et donc en écartent d’autres ; il est alors important de questionner ces discours sur les enjeux qu’ils recouvrent afin de mieux comprendre pourquoi à l’époque de la révolution industrielle en France, les industries manufacturières sont réservées pour l’enseignement primaire supérieur ou pourquoi les textes réglementaires de 1923 dont les enjeux sont surtout la relève de la France valorisent l’enseignement des sciences sous la forme des exercices d’observation et accordent une importance mineure aux activités manuelles ;

- la seconde porte sur l’intégration de l’industrie ou des techniques dans la forme scolaire (Vincent, 1998). En effet, la mise en ordre du monde est délicate car les industries sont des domaines particuliers et particularisés dont la diversité prévaut sur l’unité. La mise en ordre scolaire est également délicate pour un enseignement régulier et gradué car les techniques et les industries font prévaloir une juxtaposition de domaines décrits et spécialisés. Enfin, les leçons détachées et mixtes fixent leur convenance dans les petites classes mais aussi leur exclusion dès le cours moyen. Apparemment sans raison, les techniques et les industries ne s’inscrivent pas vraiment dans un ordre rationnel spécifique, excepté celui des applications domestiques ou industrielles des principes scientifiques. L’ordre rationnel des mots dicte l’ordre des choses mais aussi l’ordre social.

Les mots de ou sur les techniques, les mots pour ou contre l’industrie ne sont jamais des mots anodins du seul registre pédagogique. Qui parle ? Pour quoi faire ? Quels mots ? Pour quelles choses ? et Pour quelle chose ?

BIBLIOGRAPHIE

BAIN A. (1908). La science de l’éducation. Paris : Alcan.

DELON C. (1882). La leçon de choses, théorie et pratique. Paris : Hachette. BOUVET M. (1934). Leçons de choses religieuses. Paris : J. de Gigord.

KAHN P. (2002). La leçon de choses. Naissance de l’enseignement des sciences à l’école primaire. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion.

LEBEAUME J. (à paraître). Des leçons de choses aux sciences expérimentales et technologie à l’école.

VINCENT G. (dir..) (1998). L’école est-elle prisonnière de la forme scolaire ? Lyon : Presses Universitaires de Lyon.

Références

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