CULTURE DE GROUPEMENT, EXPÉRIENCE COLLECTIVE
ET CONTEXTES SPÉCIFIQUES D’ACTIVITÉ
Alain FERNANDEZ
LIREST, École Normale Supérieure de Cachan/UFRSTAPS, Université d’Orléans
MOTSCLÉS : COORDINATION ÉQUIPE GROUPEMENT RÉFÉRENTIEL PARTAGÉ SPORTS - FOOTBALL - SPÉLÉOLOGIE - PLANCHE À VOILE EN VAGUE
RÉSUMÉ : Nous cherchons à éprouver dans d’autres activités les modèles élaborés grâce à l’analyse stratégique du football. Les situations d’étude privilégiées que nous nous sommes données font partie de notre expérience personnelle. La préoccupation a été de questionner l’utilisation d’approches phénoménologiques, structurales et en première personne pour la prémodélisation des cognitions de groupe.
ABSTRACT : Soccer strategical modeling could be tested in similar activities. The « privileged situations study » we kept are part of our own experience. The purpose of the communication was to question the use of phenomenological, structural approach and a first-person methodology for the groups cognitive premodeling.
1. INTRODUCTION
La recherche par analogie des structures de sens que construisent les acteurs peut se réaliser au moyen de rapprochements et de contrastes entre les conditions de pratique sportive. Nous parlerons de coordination sans opposant pour la spéléologie et pour la modalité de planche à voile que nous étudierons parce que les pratiquants ne sont pas affrontés à d’autres joueurs comme le fondement du football l’institue. Le navigateur en vague produit des évolutions acrobatiques dans des conditions de forte mer où la houle construit des tremplins fuyants pour des sauts et des figures (dont les surfs). Comme au sein d’une même équipe des contradictions peuvent apparaître, des formes d’opposition peuvent être décrites dans le cadre d’une dialectique interne à tout groupement de joueurs. L’affrontement aux milieux non humains de la caverne et du spot de vague ne se fait seul que dans un « solo » à la logique particulière et révélatrice. Présents ou éloignés de cette pratique, les autres et leur conscience sont motifs au développement de stratégies nécessaires à l’engagement du sportif et de ses pairs dans ces milieux complexes. Ce projet de recherche prolonge une problématique de thèse dont la méthode a consisté en une analyse de discours descriptifs. À partir de modélisations des cognitions dans l’équipe de football, nous déplacerons la réflexion vers deux autres pratiques où notre vécu permet des constructions analogiques. Après une citation du « solo » comme complément logique, nous nous interrogerons sur les possibilités méthodologiques de l’accompagnement des récits d’expérience dans les collectifs.
2. UNE PROPOSITION DE RECHERCHE PAR TRANSPOSITION MÉTHODOLOGIQUE (réinvestissement de modélisation et validation)
Dans l’approche des coordinations, la difficulté réside dans l’objectivation d’un intersubjectif et dans la formalisation des modalités d’interaction. En football (FERNANDEZ, 2002), un travail sur notre histoire de vécus particuliers dans cette activité a précédé une description phénoménologique. L’analyse à distance des verbalisations initiales a permis une réflexion sur le langage employé en tant que modélisation de l’organisation collective. Le problème de cette recherche sera comment rendre dicible par les sujets eux-mêmes l’acte d’engagement d’une équipe dans l’action, afin de permettre l’évolution de leurs coordinations. La structuration des langages possibles et l’étude de la production en groupe de systèmes d’informations, d’indices ou de repères sous les différentes contraintes du jeu sont nos principaux axes didactiques. Les décisions prises sur le champ de l’affrontement footballistique montrent que des cognitions particulières et spécifiques aux sports d’équipe sont construites en groupe dans et autour de l’acte. Des objets référents dans les
échanges entre joueurs sont fondés comme entités à partir d’un objet attaqué dans l’initiative offensive d’une des équipes [A0]. Cette matérialité de l’attaque se conçoit dans la résistance ou dans l’assimilation de l’offense.
A0 D donne A D entité entité A1
Figure 1 : Réponses à une initiative qui crée l’Attaquant, le Défenseur et ses réponses.
La riposte de l’équipe attaquée sur une dimension de sa constitution peut être : - une contre-attaque fondant une nouvelle entité signifiante [A1],
- la réduction de cette attaque sur l’objet que créent les deux actions amenant résistance et/ou rupture (flèche du haut),
- la défense sur l’entité mise en danger [D].
Figure 2 : A D ballon homme zone voisin court-long direct-indirect risqué-prudent entité entité attente feinte contre-attaque réduction
La figure 2 montre la variété des relations d’attaque/défense, leurs latences et la possibilité d’offensive totale. Quelques modalités sont matérialisées à gauche de la figure 2 comme contenu des possibles. Nous pouvons représenter cette dialectique comme découlant de l’opposition contradictoire de deux opérations d’équipe qui produit l’une des entités :
organisation groupement système possession initiative but ballon joueur entités conceptuel matériel zones dans SUBSTRAT sur … ATTAQUE révèle répond crée défenseur domaine
Figure 3 : Exemple d’entités résultant d’une réponse à une attaque.
Le processus est en boucle entre plusieurs niveaux d’initiatives et d’offenses dont l’emboîtement temporel est une fonction d’équilibres dont le plus général est celui du jeu. Chaque effet opératif relance un nouveau questionnement sur l’initiative qui le concerne.
JEu possession attaque défense initiative ÉQUILIBRE d’une entité effets JEu ReJeuX défensifs offensifs
Figure 4 : Boucle des opérations d’une initiative au re-jeu selon les effets obtenus.
Dans ce cadre d'élaboration de sens dans le jeu, nous avons isolé des niveaux d’objets conçus comme contenu des entités fondées. La matérialité du « ballon » renvoie à d’autres relations physiques, alors que l’humain débute dans « l’autre ». Cette construction culturelle locale et située prend la forme de structures humaines dans les différents « groupements » possibles dans l’action, formes qui seront au service des aspects stratégiques.
stratégiques
ASPECTS matériels collectifs
syncrétisme ballon l’autre groupement offensive initiative
STADESFigure 5 : Modélisation des actes de jeu en niveaux stratégiques.
Le cadre culturel que nous proposons se constitue donc d’une histoire de couplages entre acteurs concevant leur langage d’action au moyen de leur expérience de réponse autant sur le champ de l’opposition qu’à son alentour. Nous nous demanderons l’intérêt de ces modèles pour l’étude d’activités collectives se développant dans des contextes différents.
3. CULTURES DES COLLECTIFS ET CONDITIONS DE PRATIQUE
Les structures d’interaction et le sens des associations d’acteurs semblent au premier abord aller decrescendo depuis le collectif apparemment obligé du football, à la somme d’individus isolés dans les vagues, par les efforts et combats de chacun dans la grotte. Pourtant, des objets particuliers sont construits dans les échanges lors de chaque situation. De là, des figures originales prennent sens spécifiquement à l’activité vécue. Les modes de communication et les couplages historiques font émerger des coordinations fines pour l’appréciation du danger ou du moral, ainsi que des accords sur les prises de risques.
4. CULTURES DES COLLECTIFS ET VÉCUS EN SPÉLÉOLOGIE ET EN VAGUES
Les témoignages recueillis avant, pendant et après une sortie spéléologique (réseau de La Couze en Corrèze, 2002) et leur analyse montrent qu’un objet référent s’est créé durant la pratique : lors des passages difficiles, une préoccupation sur l’ordre de cheminement et d’engagement des membres.
Par l’approche qu’en ont les différents pratiquants de planche à voile de fun en vague (sur le spot), des logiques de groupement historiquement articulées comprennent l’appréciation des conditions de vent et de vagues, le choix du matériel… puis des échanges sur la plage quant à la qualité de navigation… des surveillances tacites quant aux zones de déjection sous le vent… jusqu'aux entraides spontanées en cas de casse. Sous terre ou dans les vagues, le sens du collectif articule ses références autour d’objets individués au groupement qui les crée, et dont l’origine peut se trouver dans les premières articulations individuel/collectif.
5. SOLOS, EXPÉRIENCES DU RÉCIT ET LES AUTRES
Antithèse apparente des groupements et possibilité des récits monographiques, le « solo » contient le collectif dans l’appel à narration qu’il invoque. Dire son trajet de randonnée ouvre la solitude vers la possibilité de secours et lie le soloïste avec ce contrat de chemin qui code en mot et schémas son acte et le communique en projet dans une logique relationnelle similaire aux intentions individuelles dans le groupe. Deuxième activité lors d’une explication, le dire sur l’acte est constitutif de la pensée d’équipe. Pendant l’action, le discours est producteur d’expérience, mémoires et référents. Hors de celle-ci, parler est préparatoire ou analytique.
6. CONCLUSION : DES MÉTHODES D’APPROCHE
Peut-on valider l’analyse de l’expérience personnelle et sa modélisation dans des activités où d’une part l’individu disparaît dans le collectif, mais où le regard extérieur est nécessairement trop distant et artefactuel ? Nous avons expérimenté des implications en acte et en différé (« l’impérience », (FERNANDEZ, 2001). Les entretiens ou les autoconfrontations (THEUREAU, 1992, 2002) supposent la possibilité d’un retour évocatif sur l’expérience dans un mouvement de pensée proche du « sous-venir » qui déplace la réflexion sous l’acte à représenter. Nous proposons l’utilisation de prémodélisations, non pas en termes d’écarts invocateurs ou prescriptifs, mais
illustratifs ou de relance, comme « modèles creux » de l’activité à étudier (FERNANDEZ, 2002). Les phénomènes de leadership se comprennent avec la dynamique de l’émotion et des coordinations. La possibilité de mettre ne mot ces dernières dimensions du collectif nécessite la typicalisation d’une culture d’équipe voire de rencontre. Préciser le stade des échanges entre joueurs en termes de niveaux stratégiques pourrait permettre de situer une posture individuelle en termes de points de vue à partir du collectif, une direction social/individuel de la caractérisation qui répond à une lecture de l’activité individuelle/sociale. Mais la construction en acte du sens par le joueur reste un espace d’entière liberté d’orientation ou de création. L’articulation du système dans le groupe va du convenu au reconstructible par l’agi. La culture de l’individuel et du collectif se déplace alors du dit au redit par des non dit.
BIBLIOGRAPHIE
FERNANDEZ A., L'expérience de l'acte peut-elle permettre une rationalisation de l'action collective ?, in GIORDAN A., MARTINAND J.-L. et RAICHVARG D. (Éds), XXIIIes journées de
Chamonix sur la communication, l'éducation et la culture scientifiques et industrielles, Chamonix,
2001.
FERNANDEZ A., Modélisation du jeu sportif collectif en phase dynamique, l’action motrice en
équipe dans l’opposition en football, thèse en cours au LIREST, École Normale Supérieure de
Cachan, 2002.
FERNANDEZ A., La préréflexion du collectif est-elle représentable dans l’autoconfrontation ? proposition de communication aux Journées d'Act'ing, Nouan le Fuzellier : 2002.
THEUREAU J., Le cours d'action : analyse sémiologique, Berne : Peter Lang, 1992.
THEUREAU J., La description du cours d'action en termes de signes hexadiques et ses options
philosophiques, Communication au collège international de philosophie, le 24/01/2002, Paris.
VERMERSCH P., Définition, nécessité, intérêt, limite du point de vue en première personne comme méthode de recherche, Expliciter, http://www.grex.net, 2000, 35, 19-35.
