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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Un aperçu des vingt dernières années à l’INRP – I- Les recherches sur les enseignements technologiques et professionnels

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I

LES RECHERCHES SUR LES ENSEIGNEMENTS

TECHNOLOGIQUES ET PROFESSIONNELS

Pierre Vérillon

1. ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS DE RECHERCHE : 1983-2003

Lorsque l’on examine les activités de recherche sur les enseignements technologiques et professionnels à l’INRP, on peut distinguer deux périodes. La première correspond à l’existence de la direction de programme Études et Recherches sur les Enseignements Technologiques (ERET) qui a existé jusqu’en 1990 et qui a été dirigée successivement par Yves Deforge et Jean Chabal. La seconde période, qui s’achèvera avec la restructuration en cours de l’INRP1, s’ouvre avec la suppression de cette

direction de programme, relayée par la création de deux unités, l’une au sein du département Didactiques des disciplines, l’autre dans le département Politiques, pratiques et acteurs de l’éducation.

En 19832, la direction de programme ERET regroupe une vingtaine de

chercheurs à temps plein. Elle affirme se donner trois domaines de recherche :

1

Refondation de l’INRP corrélative à son implantation à Lyon et à sa contractualisation 2002-2005.

2

Date de mon arrivée à l’INRP et à partir de laquelle je peux apporter mon témoignage.

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• un champ central, les enseignements techniques et professionnels,

• en amont de ce champ, les pratiques qui, dans les collèges et les écoles, prennent appui sur des objets et des situations à caractère technologique, • en aval, la prise en compte du monde productif, en tant que lieu où

s’élabore la technologie actuelle et où s’investissent, sont mises à l’épreuve et s’actualisent les compétences acquises dans le système éducatif.

Dans l’approche de ces différents domaines, trois ensembles de rapports sont présentés comme devant faire l’objet d’une attention particulière : • Les rapports culture/technologie/société, avec une préoccupation

particulière concernant le statut culturel de la technologie, notamment en comparaison avec d’autres champs culturels : scientifique, artistique, littéraire, … ;

• Les rapports entre, d’une part, les contenus, les curricula, les méthodes et les lieux de formation technique et, d’autre part, le champ socioprofessionnel ; ce qui renvoie à l’influence que peuvent exercer les évolutions du système socio-technique et des qualifications sur les institutions et les didactiques de la formation professionnelle ;

• Les rapports du sujet psychologique aux connaissances générales et spécifiques liées au domaine de la technique.

La direction de programme revendique le caractère finalisé de ses recherches. Celles-ci visent bien entendu à la production de connaissances mais elles ont leur origine dans des problèmes identifiés dans le champ de l’éducation et de la formation. La stratégie mise en avant consiste à éclairer ces problèmes à la faveur d’un détour par une problématisation scientifique mais, ce, toujours dans la perspective finale d’un retour vers le système éducatif avec des propositions de solutions.

L’examen des recherches conduites jusqu’en 1990 permet de distinguer quatre types de travaux dont on peut donner quelques exemples :

• Des études de faisabilité, d’expertise, d’évaluation de matériels ou d’organisations didactiques innovants :

• conception d’un vidéodisque d’initiation aux techniques de fabrication pour l’espace productique de la Cité des Sciences et de l’Industrie (G. Cruz) ;

• conception de logiciels de pilotage de robots et de tables traçantes à partir de MO5 et TO7 (M. Bonnet) ;

• suivi de la mise en place du LEP expérimental de St-Fons (J. P. Froment).

• Des études centrées sur les acteurs de la formation professionnelle initiale :

• approche sociologique des élèves de l’enseignement agricole (F. Cardi) ;

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• comparaison des pratiques enseignantes en situation scolaire et en formation continue des professeurs qui, en dehors de leurs cours, assurent des formations d’adultes (C. Andreucci et J.-C. André) ;

• rapports entre élèves, enseignants et tuteurs en entreprise dans les situations de formation en alternance (M. Figeat).

• Approches centrées sur les systèmes de formation : • l’éducation technologique au Japon (J. Plantier) ;

• les liens formation-emploi : effet des mutations industrielles sur les stratégies de formation (N. Bousquet et C. Grandgérard).

• Approches centrées sur les contenus et processus d’apprentissage :

• la maîtrise des langages propres aux sciences et techniques économiques (A. Lazar) ;

• la maîtrise des nouvelles technologies dans le secteur tertiaire (F. Lévy) ;

• les conditions de modernisation des contenus et des pratiques d’enseignement requis par la substitution au collège de la technologie à l’EMT (J. Chabal et J.-L. Martinand) ;

• la maîtrise de la lecture du dessin technique (P. Rabardel et P. Vérillon) ;

• le rôle des objets matériels fabriqués comme support au développement cognitif et affectif dans l’enseignement (P. Rabardel et P. Vérillon).

Jusqu’à la suppression de la direction de programme qui intervient brutalement en 1990, ces thématiques connaissent un développement notable et l’on remarque un accroissement significatif des activités de valorisation et de publication. Deux facteurs contextuels peuvent être invoqués pour rendre compte de cet essor : d’une part, l’évolution de l’environnement socio-technique lié au développement rapide de technologies nouvelles et, d’autre part, l’évolution du cadre législatif (loi-programme de décembre 1985 sur l’enseignement technique et professionnel et loi de juillet 1987 sur la réforme de l’apprentissage) qui débouche sur la création de nouvelles entités dans le champ : technologie au collège, TSA, lycées professionnels, bacs pro, etc.

Suite à la dissolution de la direction de programme, les équipes sont dispersées et six chercheurs fondent au sein du département Didactiques

des disciplines une unité intitulée Processus cognitifs et didactiques des enseignements technologiques3. La thématique développée dans les premières années d’existence de l’unité reflète un souci d’assurer une certaine continuité avec l’héritage scientifique de la structure dissoute tout

3

C. Andreucci, A. Lazar, G. Cruz (responsable jusqu’en 1995), J.-P. Froment, F. Lévy, P. Vérillon (responsable depuis 1995).

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en cherchant à se situer dans le concert des didactiques disciplinaires développé dans le département. Une spécificité importante et distinctive des connaissances et des compétences techniques paraît à l’équipe être leur caractère instable. Liées aux évolutions technologiques et aux changements dans l’organisation du travail, elles sont sans cesse menacées d’obsolescence. Ce qui n’est pas sans soulever des problèmes pour leur didactisation : comment former les professionnels autrement que par empilement de compétences locales et spécifiques au fur et à mesure de l’apparition, rapide dans la conjoncture de l’époque, de techniques et d’organisations nouvelles de production ? Existent-ils des invariants sous-jacents à ces évolutions et donc des savoirs de base correspondants qui, non seulement ne formeraient pas un obstacle à des acquisitions techniques nouvelles, mais au contraire, constitueraient une base générative pour l’extension et le développement des connaissances ?

Les thèmes de recherche suivants sont assez représentatifs de cette préoccupation :

• l’ordinateur se substituant au directeur de commande numérique sur les machines-outils, G. Cruz propose d’utiliser en formation initiale les possibilités offertes par la simulation des processus d’usinage sur écran qui devient dès lors envisageable ;

• F. Lévy, constatant que les difficultés de maîtrise annulent fréquemment les gains attendu de l’outil informatique dans ses diverses applications, propose une formation pratique aux compétences génériques fondamentales de la micro-informatique ;

• A. Lazar étudie le rôle du langage technique dans les processus de traitement de l’information dans le domaine tertiaire ;

• la numérisation de l’espace étant au principe de nombreux outils de la productique (CAO, MOCN, robotique, mesure tridimensionnelle), P. Vérillon s’intéresse aux champs conceptuels mobilisés par leur mise en œuvre afin de concevoir pour les élèves des moyens de modélisation et de conceptualisation communs aux différents dispositifs.

À partir de 1992-93, on constate une orientation nouvelle des travaux marquée par un intérêt pour la technologie comme objet ou instrument d’enseignement général. Sans doute cette évolution traduit-elle un rapprochement des thématiques de l’unité avec les objets de recherche du département qui les a accueilli. Typiques de cette évolution sont :

• les différents travaux de C. Andreucci et J.-P. Froment liés à l’introduction de l’option Technologie des Systèmes Automatisés (TSA) au lycée ;

• l’extension au collège et au lycée des travaux de G. Cruz sur la simulation en commande numérique ;

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• les travaux de F. Lévy qui se centrent à présent sur les usages de la micro-informatique dans les disciplines d’enseignement général ;

• la collaboration de G. Cruz avec A. Crindal du Centre National de Montlignon afin de définir des contenus spécifiques pour un enseignement de la technologie au lycée ;

• le travail de réflexion épistémologique sur les savoirs techniques entrepris, à partir de 1995, par P. Vérillon et des formateurs de PE en IUFM, et qui s’articule avec une étude des premières acquisitions technologiques en maternelle et au primaire.

Cette centration des recherches sur la technologie comme objet d’enseignement à l’école, au collège et au lycée va alors se confirmer et caractérise jusqu’à l’heure actuelle l’orientation de l’unité. En parallèle, et accompagnant cette évolution, l’équipe noue des liens avec le LIREST4 et

devient co-responsable du séminaire de didactique des disciplines technologiques de l’ENS Cachan. En 1996, l’équipe s’étoffe de deux nouveaux membres, auparavant formateurs de professeurs de technologie du Centre national de Montlignon, Alain Crindal et Guy Manneux. Dans cette dernière période, conformément à la politique développée par l’INRP, les actions de recherche tendent à mobiliser des équipes plus nombreuses autour de projets qui, au delà d’un objectif de production de connaissances, sont censés avoir des effets structurants dans leur champ. Trois initiatives sont exemplaires de cette orientation :

• L’organisation du colloque Langage(s) et travail : enjeux de formation en octobre 1998, en partenariat avec le CNAM et le réseau Langage et Travail du CNRS ;

• L’appel à coopération proposé à la communauté des didacticiens de la technologie sur le thème Les activités de production dans les

enseignements technologiques à l’école obligatoire : approches didactiques et psychologiques, qui a permis d’associer à l’équipe INRP,

sur un objet de recherche commun, quatre équipes universitaires pilotées par des enseignants-chercheurs ;

• La recherche Analyse du travail et connaissance du monde professionnel

au collège : transformer et coordonner les approches en technologie et en orientation qui associe à l’unité la Mission valorisation des

innovations pédagogiques de l'académie de Créteil et la Mission innovation et recherche de l’INRP. Cette recherche vise simultanément à promouvoir des pratiques innovantes à partir de résultats de recherche et à produire des connaissances sur les processus d’innovation.

4

Laboratoire Inter-universitaire de Recherche en Éducation Scientifique et Technologique.

(6)

L’année 2003 ouvrira vraisemblablement une nouvelle ère dans l’histoire des recherches dans le champ des enseignements technologiques à l’INRP puisque l’unité Processus cognitifs et didactiques des enseignements

technologiques sera dissoute, l’ensemble de ses membres ayant été

redéployé au sein des unités mixtes de recherche ADEF5 et STEF6.

2. CHAMPS ET PROBLÉMATIQUES DE RECHERCHE À L’INRP : QUELQUES EXEMPLES

Après cette brève chronologie, nous souhaiterions présenter de manière plus développée quelques programmes dans lesquels nous avons été impliqués et qui sont significatifs des travaux menés à l’INRP.

2.1. La recherche OMF : fonctionnement et développement du sujet dans les situations techniques

Sur le plan psychologique, la conduite du sujet dans les environnements techniques comporte-t-elle des caractéristiques spécifiques ? L’interaction avec le monde fabriqué introduit-elle des contraintes particulières qui détermineraient, notamment au plan cognitif, le fonctionnement et le développement du sujet ? Les objets techniques peuvent-ils prétendre à un statut en psychologie ? Plus généralement, qu’en est-il des liens entre technique et pensée ? Peut-on parler de pensée technique ? Si oui, comment se caractérise-t-elle ? Comment se construit-elle ? Telles sont quelques unes des questions qui sous-tendent de manière plus ou moins explicite tout un courant de recherches de l’INRP dont la problématique prend ses racines dans la recherche Objets matériels fabriqués (OMF) et qui, en passant notamment par les travaux sur l’apprentissage de la lecture du dessin technique, se poursuit jusqu’à aujourd’hui avec la recherche en cours

Activités de production. J’évoque ces travaux pour leur intérêt théorique

dans la mesure où ils sont à l’origine de la reprise en psychologie de la problématique de l’instrument qui connaît actuellement un développement, notamment en psychologie du travail et en ergonomie.

Anticipant sur la réforme de l’enseignement de la technologie au collège de 1985, une équipe de la direction de programme ERET, dirigée par Pierre Rabardel, a proposé en 1983 un programme de recherche intitulé Les objets

matériels fabriqués comme support de développement affectif et cognitif dans l’enseignement articulant deux axes de travail : d’une part, un

ensemble d’enquêtes sur les pratiques scolaires et les représentations

5

ADEF : Unité Mixte de Recherche Apprentissage, Didactiques, Évaluation, Formation (Université de Provence [CIRADE]-IUFM Aix-Marseille-INRP).

6

STEF : Unité Mixte de Recherche Sciences, Techniques, Éducation, Formation (ENS Cachan-INRP).

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sociales relatives aux enseignements à caractère technologique dans le primaire et le secondaire avec, d’autre part, des travaux à vocation plus fondamentale en psychologie qui, assez rapidement, s’instituèrent en recherche coopérative sur programme (RCP) de l’INRP7.

La perspective de ce second axe était clairement développementale : les rapports aux OMF organisés dans l’espace scolaire — et non seulement les rapports d’étude, mais aussi les rapports d’usage — peuvent-ils être source de développement cognitif et, dans l’affirmative, à quelles conditions ? Les démarches empiriques cherchaient à mettre en évidence des genèses à l’occasion de situations où les élèves, pour résoudre un problème ou conduire une tâche, devaient concevoir et/ou fabriquer et/ou mettre en œuvre des OMF. Quelques exemples significatifs de ces démarches :

• étude de la construction du rapport poids/longueur du fléau à l’occasion de situations de pesée mettant en œuvre la fabrication et l’usage de différents types de balances (C. Grisvard et F. Léonard),

• étude de l’évolution des compétences spatiales au cours de fabrications en menuiserie (M. Regal),

• étude du rôle de la manipulation d’objets « à géométrie variable » de la vie courante (objets télescopiques, pliables, escamotables…) dans la construction de la notion de volume (C. Andreucci et J.-P. Roux),

• étude de l’effet d’activités d’usinage sur tour sur la conceptualisation de la notion de surface (P. Vérillon).

L’inspiration piagetienne des hypothèses sous-jacentes à ces expérimentations est évidente et, était pour certains des chercheurs impliqués clairement revendiquée. À une époque où les œuvres de Vygotsky et de Bruner étaient pratiquement inconnues et où la psychologie anglo-américaine restait très marquée par le béhaviorisme, le cadre constructiviste de Piaget constituait la référence la plus évoluée pour rendre compte de phénomènes de développement. L’idée était donc que, conformément au modèle de l’équilibration des structures cognitives, les processus d’assimilation-accommodation des sujets aux propriétés structurelles et fonctionnelles spécifiques des OMF produiraient des évolutions au plan des conceptualisations. C’est ce que certaines expériences réussirent à mettre en évidence : les élèves ayant suivi les activités de menuiserie réussissaient mieux des épreuves de tests spatiaux que ceux du groupe contrôle ; de même, une familiarité acquise avec des objets usuels « à géométrie variable » semblait contrarier la construction par les sujets de la notion de volume. D’autres expériences étaient moins concluantes.

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En ce qui concerne les travaux sur l’apprentissage du dessin technique, également organisés en RCP8, l’approche piagetienne y occupait aussi une position dominante, notamment en raison du cadre théorique très cohérent qu’elle propose pour penser la genèse de la représentation de l’espace et des opérations spatiales (Vérillon, 2000).

Néanmoins, si cette conception constructiviste et opératoire du développement constituait un modèle séduisant, notamment avec les développements apportés à l’époque par P. Vermersch et G. Vergnaud, plusieurs limitations se sont progressivement imposées à nous concernant l’application telle quelle du modèle dans le cadre d’une approche psychologique de l’univers des techniques. Leplat et Pailhous (1975) avaient déjà signalé le caractère inadéquat de l’idée d’équilibration des structures cognitives pour rendre compte des mécanismes de l’appropriation des objets techniques. Aujourd’hui, les débats et les réflexions qui ont jalonné la recherche OMF et ses prolongements au sein, et en dehors, de l’INRP, permettent de mieux situer les apports piagétiens à une compréhension de l’activité technique et montrent la nécessité dans ce domaine de faire conjointement appel à d’autres cadres théoriques.

Une première considération consiste à ne pas oublier que le projet qui sous-tend la psychologie piagétienne est de dégager les mécanismes de la « construction du réel chez l’enfant » (Piaget, 1937). Son programme explicite est de rendre compte du développement du « sujet épistémique », c’est à dire du sujet en tant qu’il élabore ses connaissances sur le monde. Or, selon nous, l’objet d’une psychologie génétique des techniques devrait être de rendre compte des mécanismes par lesquels le sujet humain développe à la fois un projet et des moyens pragmatiques de conformation du monde à ses intentions. Dans cette perspective, l’action conserve le rôle décisif que lui accorde Piaget. Cependant, il ne s’agit plus d’une action sur le milieu pour mettre à jour ses propriétés invariantes mais, à l’inverse, de mobiliser ses connaissances relatives aux invariants du milieu pour transformer celui-ci de manière avantageuse. C’est-à-dire, en le dotant de propriétés artificielles, en instaurant dans le réel des relations invariantes inédites, bref, en créant et en mettant en œuvre des artefacts, souvent de manière opportuniste et rusée comme le rappelle l’idée de métis. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la sphère technique ne produit pas de connaissances. Staudenmaïer (1985), par exemple, montre que le développement technique peut se heurter à un déficit de connaissance dans un domaine particulier et que la sphère technique se trouve alors obligée d’élaborer ce qu’il nomme des « données problématiques » (problematic

data). Dans le même sens, Perrin (1991) souligne que les activités de

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conception d’artefacts constituent une source majeure d’élaboration de connaissances. Mais il ajoute que, d’une part, cette production de connaissance techniques diffère fondamentalement du processus de production des sciences de la nature et que, d’autre part, elle ne joue de fait qu’un rôle second et accessoire car, selon lui, ce sont les seuls artefacts qui constituent en réalité « à la fois le point de départ et le point d’arrivée des processus de production des techniques ».

Une seconde caractéristique de la psychologie piagétienne — qu’elle partage avec d’autres cadres théoriques en psychologie — est son point de vue naturaliste. À l’instar de l’organisme biologique qui se développe en s’adaptant à son milieu naturel, le sujet piagétien construit ses structures cognitives en agissant sur un monde qui lui résiste et le déstabilise mais qui par là même lui permet d’accommoder et de restructurer en permanence ses moyens d’action et de pensée. Héritier de Descartes et de Kant en matière de philosophie de la connaissance, Piaget semble avoir mis entre parenthèses toute influence de l’histoire et du social à la fois sur le monde auquel se confronte son sujet et sur le processus de développement de ses rapports à ce monde. Le langage et les objets fabriqués — les « œuvres » au sens de Meyerson — n’ont pas chez lui un statut particulier qui les opposerait fondamentalement au monde de la physique et du vivant. Lorsque dans ses expériences, il explore la construction des connaissances enfantines, il lui arrive de proposer à ses sujets de réfléchir à la trajectoire d’une petite voiture sur un plan ou à celle d’un petit bateau dans une bassine, mais il est évident que ces objets ne sont proposés à la sagacité des enfants que parce qu’ils sont particulièrement à même de mettre en évidence des invariants du monde physique. Et pour cause, dirait un technologue ! — le mécanisme de direction, le gouvernail sont des invariants artificiels, historiquement conçus et socialement transmis, qui exploitent astucieusement et avantageusement des invariants physiques — ce sont à proprement parler des artefacts.

Un troisième point consiste à relever, dans l’approche piagetienne, la conception fondamentalement duale de l’interaction du sujet avec le milieu, qui conduit les chercheurs dans cette tradition à s’intéresser à des relations dyadique : relations sujet-objet, relations homme-machine, relations élève-tâche scolaire… Le sujet se trouve ainsi dans un face à face direct avec le monde ou un sous-ensemble du monde. L’idée d’interface ou de médiation dans le rapport au monde est absente chez Piaget. Cette situation découle des positions précédentes : une genèse exclusivement constructiviste et épistémique, d’une part, et d’autre part, un modèle biologiste et anhistorique du rapport au milieu.

Or, comme le souligne Séris (1994), la technique est de manière inhérente « interposition de médiations, instrumentales (l’outil, la machine,

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l’institution) ou méthodiques (les manœuvres, les procédés, les procédures, les programmes) » (p. 48). Dans ces conditions, une approche psychologique qui viserait à rendre compte des processus de fonctionnement et de développement dans des contextes techniques doit accorder une place et un statut — notamment cognitif — à ces médiations. C’est ce à quoi a pu contribuer la recherche OMF en proposant un modèle triadique de l’activité technique (sujet-instrument-réel) qui permet de penser les genèses auxquelles elle donne lieu comme un double développement à la fois artefactuel et instrumental (Rabardel et Vérillon, 1985 ; Vérillon et Rabardel, 1995). Ainsi, les observations en technologie-collège et en lycée professionnel ont montré que pour les élèves, s’approprier un artefact, c’est-à-dire de l’instituer comme instrument dans leur activité, que ce soit un artefact sémiotique, comme un graphisme technique, ou un artefact mécanique, comme une machine-outil ou un robot, implique un double mouvement, d’une part, d’élaboration de ses propriétés fonctionnelles et, d’autre part, de développement de schèmes et de représentations permettant de le mettre en œuvre. La recherche OMF a ainsi été à l’origine d’une théorie de l’instrument qui a permis de renouer avec des paradigmes psychologiques marginalisés par les modèles naturalistes, mais qui, au contraire de ceux-ci, accordait un rôle central à l’outil : Meyerson, Guillaume, Wallon, en France, mais surtout Vygotski en Union Soviétique. Dans la perspective de ce dernier, qui a défendu la thèse que l’outil, avec le langage, et au même titre que lui, constitue l’une des deux racines de la pensée chez l’homme (Vygotsky, 1931/1978), on pourrait avancer l’idée que le couple artefact-instrument constitue d’une certaine façon, pour la pensée non verbale, un équivalent de ce que le couple mot-concept constitue pour la pensée verbale.

RÉFÉRENCES :

Mémoires et rapports de recherches

ANDREUCCI, C. (1984). Les fonctions des enseignants en formation

continue : étude de leurs comportements d’accueil des élèves et des stagiaires (Rapport INRP-DP3). 78 p.

BAL, J., RABARDEL, P., & VÉRILLON, P. (1984). Présenter la géométrie du dessin technique. In L’apprentissage de la géométrie du

dessin technique : des constats d’échec et des moyens de réussite. Collection Rapports de recherche INRP, 9, 36 p.

BOUSQUET, N., & GRANDGÉRARD, C. (1984). Incidence à court et à

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industries sur les formations professionnelles initiales (Rapport

INRP-DP3 avec le concours du Ministère de l’industrie). 49 p.

CRUZ, G., & PEZET, R. (en collaboration avec Chabal, P.). Vidéodisque

interactif : initiation et sensibilisation aux techniques de fabrication.

Paris : INRP-DP3, 78 p.

FIGEAT, M. (1984). Politique de formation de la main d’œuvre en France (1975-1983), rapport de recherche. Paris : INRP-DP3, 165 p.

LAZAR, A. (1986). Écrire au tertiaire, Collection Rencontres

pédagogiques, 10.

LAZAR, A. (1986). Quel français au lycée professionnel. Collection

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LEPLAT, J., & PAILHOUS, J. (1975). Conditions cognitives de l'exercice et de l'acquisition des habiletés sensori-motrices. Bulletin de

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PIAGET, J. (1937). La construction du réel chez l’enfant. Neufchâtel : Delachaux & Niestlé.

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