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Stratégie américaine et guerre hybride au Vietnam : les succès contre-insurrectionnels américains et le spectre militaro-hybride qui engendra l'impasse militaire au Vietnam, 1960-1972

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Texte intégral

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© Ismaël Fournier, 2019

Stratégie américaine et guerre hybride au Vietnam: Les

succès contre-insurrectionnels américains et le spectre

militaro-hybride qui engendra l'impasse militaire au

Vietnam, 1960-1972

Thèse

Ismaël Fournier

Doctorat en histoire

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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ii

Résumé

La présente thèse porte sur la guerre du Vietnam et les facteurs fondamentaux qui ont empêché les Forces armées américaines d’enrayer les opérations militaires communistes. Plusieurs générations d’historiens ont souligné que l’erreur militaire la plus importante des Américains au Vietnam a été d’adopter un concept d’opération axé sur la guerre conventionnelle plutôt que de maximiser les opérations de contre-insurrection. Ces mêmes opérations de contre-insurrection se sont également souvent vues critiquées pour leur inefficacité à enrayer les opérations de guérilla du Viêt-Cong. Cette thèse va à contre-sens de ces théories et entend montrer d’une part que les opérations conventionnelles américaines étaient tout à fait justifiées, voire impératives, au Vietnam. D’autre part, une analyse détaillée cherchera à démontrer que la contre-insurrection n’a nullement été la cause de l’échec militaire américain et qu’en fait, elle a été très efficiente et engendra une défaite du Viêt-Cong. Cette thèse suggère que les insuccès américains à préserver la République démocratique du Vietnam ont été la résultante du concept d’opération communiste qui maximisait les bases d’une doctrine offensive de nature hybride. Ce modus operandi hybride avait pour caractéristique la synergie des opérations d’insurrection du Viêt-Cong avec les opérations conventionnelles des forces régulières de l’Armée nord-vietnamienne, appuyées par le réseau logistique complexe des communistes. Par sa synergie, ce concept a provoqué un effet domino qui frappa en succession les éléments militaires, politiques, économiques, médiatiques et sociaux des États-Unis. Au combat, l’impuissance des Américains à contrer ce procédé offensif a été la conséquence de leur inhabilité à briser la synergie du système hybride communiste, c’est-à-dire l’isolement et la destruction des éléments conventionnels, insurrectionnels et logistiques de l’effort de guerre communiste.

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iii

Table des matières

Résumé ... ii

Table des matières ... iii

Liste des figures ... iv

Liste des Annexes ... vi

Liste des acronymes ... vii

Avant-Propos ... x

INTRODUCTION ... 1

Chapitre I: L'Art de la guerre insurrectionnelle, contre-insurrectionnelle et hybride ... 24

Chapitre II: Search and Destroy : Le rouleau compresseur conventionnel américain et ses impacts opérationnels ... 92

Chapitre III: Les Combined Action Platoons : L’étau contre-insurrectionnel des Marines sur le Viêt-Cong ... 164

Chapitre IV : Le CORDS, le Programme Phoenix et l’effondrement du Viêt-Cong ... 227

Chapitre V: Le nerf de la guerre communiste : La Piste Ho Chi Minh ... 311

CONCLUSION ... 377

BIBLIOGRAPHIE ... 396

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iv

Liste des figures

Figure 1 : Schéma représentant la dynamique de la synchronisation des opérations

politico-militaires communistes selon Robert Thompson ... 31

Figure 2 : Répartition des provinces et quatre Corps de la République du Vietnam ... 46

Figure 3 : Zones de la RVN contrôlées par les communistes et les forces gouvernementales en 1965 ... 65

Figure 4 : Le mode de fonctionnement du dau tranh de Giap ... 73

Figure 5: La synergie des trois sous-systèmes du mécanisme hybride communiste ... 75

Figure 6: Les attaques communistes lors de l’offensive du Têt ... 77

Figure 7: La prise de Hue par les forces hybrides du VC et NVA ... 82

Figure 8 : Plan de l’offensive opérationnelle du NVA (et du VC) en 1965 ... 97

Figure 9: Carte de l’Iron Triangle et schéma de manœuvre de l’offensive ... 108

Figure 10: Schéma de manœuvre de l’Opération JUNCTION CITY ... 117

Figure 11: Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille d’Ap Bau Bang ... 121

Figure 12: Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille de Suoi Tre ... 124

Figure 13:Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille d’Ap Gu ... 127

Figure 14: Zone d’opération d’APACHE SNOW ... 131

Figure 15: Opérations majeures de search and destroy du III MAF, Juin 1967 ... 152

Figure 16: Structure organisationnelle du processus de pacification (I Corps) ... 173

Figure 17: Disposition des Combined Action Platoons dans I Corps en 1969 ... 183

Figure 18: Commandement et contrôle des Combined Action Platoons ... 185

Figure 19: Schéma officiel de l’ordre de bataille d’un Combined Action Platoon ... 187

Figure 20: Schéma de l’embuscade du CAP du lieutenant Ek au pont de Phu Bai ... 195

Figure 21: Statistiques des opérations offensives des CAP 1966-67 ... 200

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v

Figure 23: L’offensive printanière du NVA dans la RVN ... 304

Figure 24: Les offensives conventionnelles du NVA dans la zone démilitarisée ... 305

Figure 25: Le réseau logistique communiste : la Piste Ho Chi Minh ... 312

Figure 26 : Infiltrations mensuelles des forces communistes en 1966 et 1967 ... 323

Figure 27: Besoins logistiques quotidiens des forces du VC et du NVA en 1966 ... 324

Figure 28: Le réseau routier de la Piste Ho Chi Minh au Laos ... 326

Figure 29: Principales bases d’opération communistes au Cambodge ... 328

Figure 30: Bases d’opération et zones de responsabilités des opérateurs de SHINING BRASS/PRAIRIE FIRE ... 348

Figure 31:Zones de responsabilités du SOG lors de l’opération DANIEL BOONE ... 353

Figure 32: L’incursion initiale de l’US Army et de l’ARVN au Cambodge ... 361

Figure 33: L’offensive généralisée du MACV et de l’ARVN sur les bases communistes du Cambodge ... 364

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Liste des Annexes

ANNEXE 1 : Ordre de bataille d’un bataillon régulier du Viêt-Cong ... 417 ANNEXE 2 : Ordre de bataille d’un régiment et bataillon de l’Armée nord-vietnamienne ... 418 ANNEXE 3 : Vue aérienne d’un hameau stratégique au Vietnam ... 419 ANNEXE 4 : Actions civiques de l’USMC dans I Corps ... 420 ANNEXE 5 : Fortifications et installations d’un complexe de Combined Action Platoon statique ... 424 ANNEXE 6 : Patrouilles de Marines et du PF dans le cadre des Combined Action Platoons ... 427 ANNEXE 7 : Des Navy SEAL assurent la surveillance de prisonniers VC ... 428 ANNEXE 8 : Opérateurs sud-vietnamiens du PRU ... 429 ANNEXE 9 : Mission de bombardement de B-52 dans le cadre de l’opération ARC LIGHT ... 430 ANNEXE 10 : Cratères laissés par le bombardement d’un bombardier stratégique B-52 sur la Piste Ho Chi Minh ... 431 ANNEXE 11 : Équipes standards d’opérateurs du SOG : trois Américains et neuf Sud-Vietnamiens ... 432

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Liste des acronymes

APC Accelerated Pacification Campaign

ARVN Army of the Republic of Vietnam

BDA Bomb Damage Assessment

BRIAM British Advisory Mission

CACO Combined Action Company

CAP Combined Action Platoon

CIA Central Intelligence Agency

CIDG Civilian Irregular Defence Group

CINCPAC Commander in Chief in the Pacific

COIN Contre-insurrection

CORDS Civil Operations and Revolutionary Development Support

COSVN Central Office for South Vietnam

DIA Defense Intelligence Agency

DIOCC District Intelligence and Operations Coordinating Center

DPSA Deputy Province Senior Advisor

FLN Front de Libération nationale

GVN Gouvernement du Vietnam (Vietnam du Sud)

HES Hamlet Evaluation System

ICEX Intelligence Coordination and Exploitation

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viii

JUSPAO Joint United States Public Affairs Office

LZ Landing Zone

MAAG Military Assistance Advisory Group

MAF Marine Amphibious Force

MACV Military Assistance Command Vietnam

MACVSOG Military Assistance Command Vietnam Studies and Observations Group

MAT Mobile Advisory Team

MEDCAP Medical Civic Action Program

MNLA Malayan National Liberation Army

NVA North Vietnamese Army

OCO Office of Civil Operations

OPSEC Operation Security

PCM Parti communiste malaisien

PF Popular Force

PMESI Politique, Militaire, Économique, Social, Information

PROVN Program for Pacification and Long Term Development of South Vietnam

PRP Peoples Revolutionary Party

PRU Provincial Reconnaissance Unit

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ix

PSDF People’s Self Defence Force

QG Quartier-général

RD Revolutionary Development

RDVN République démocratique du Vietnam du Nord

RF Regional Forces

RVN République du Vietnam (Vietnam du Sud)

SAS Section Administrative Spécialisée

SLAM Seeking Locating Annihilating Monitoring

SOG Studies and Observations Group

TAOC Tactical Area of Coordination

TAOR Tactical Area of Responsibility

TRADOC Training and Doctrine Command

USAF United States Air Force

USAID United States Agency for International Development

USMC United States Marine Corps

VC Viêt-Cong

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Avant-Propos

La décision d’écrire cette thèse de doctorat a été l’aboutissement logique de mes expériences personnelles en Afghanistan en 2007. En 2000, j’ai joint les Forces armées canadiennes et intégré les rangs du 3e Bataillon du Royal 22e Régiment. J’ai eu l’opportunité

d’y effectuer trois déploiements outre-mer; un en Bosnie Herzégovine et deux autres en Afghanistan à Kaboul et à Kandahar avec la Compagnie de parachutistes du 3e Bataillon.

Mon second séjour en Afghanistan dans la Province de Kandahar fut particulièrement violent alors que nous avons été confrontés à l’insurrection des Talibans dans le district de Panjwai. Soucieux de ne pas nous affronter ouvertement, les Talibans, mêlés à la population civile, maximisaient la conduite d’embuscades et exploitaient mortiers et roquettes pour cibler nos bases d’opération, en plus de truffer les routes de bombes artisanales pour neutraliser nos véhicules blindés. Après l’explosion de mon blindé sur l’un de ces engins explosifs lors d’une opération nocturne, j’ai été sévèrement blessé et évacué en Allemagne avec deux de mes camarades. Nous avons malheureusement perdu deux de nos frères d’armes, Nicolas Beauchamp et Michel Lévesque, ainsi qu’un interprète afghan lors de cet incident.

Cette expérience m’incita à m’intéresser davantage aux conflits insurrectionnels et à mieux cibler comment les guérillas opèrent et de quelle manière elles ont été neutralisées par le passé. Huit chirurgies et des séquelles physiques permanentes m’ont forcé à quitter l’infanterie pour joindre les rangs du renseignement militaire, domaine où j’appris à analyser les doctrines militaires classiques. En tant qu’analyste tactique et opérationnel, j’ai pu avec les années approfondir mes connaissances en matière de tactiques et stratégies militaires. J’ai eu l’opportunité de mettre en pratique ces connaissances en étant déployé au Koweït dans le cadre des opérations militaires visant l’État islamique (EI) en Irak. L’analyse des opérations de l’EI augmenta mon degré de connaissance en matière de guerre insurrectionnelle et de conflit hybride, ce qui m’a motivé davantage à écrire une thèse sur le sujet. J’ai choisi le théâtre d’opération de la guerre du Vietnam car ce dernier représente à mes yeux un des cas les plus complexes en matière de guerre de guérilla et de guerre hybride dans l’histoire. J’ai pris avantage de mes expériences passées dans l’infanterie et mes connaissances dans le domaine de l’analyse tactique pour écrire cette thèse qui traite d’une guerre qui, à mon humble avis, demeure très incomprise par beaucoup d’intéressés, qu’ils soient instruits ou profanes.

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« How horrible is war »1

-Lieutenant Général Thomas « Stonewall » Jackson

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INTRODUCTION

« [The North Vietnamese] approach emphasized that all forms of warfare occur simultaneously, even as a particular form is paramount. Debates about Vietnam that focus on whether U.S. forces should have concentrated on guerrilla or conventional operations ignore this complexity. In fact, forces that win a mosaic war are those able to respond to both types of operations, often simultaneously ».1

-Counterinsurgency Field Manual 3-24

1. Mise en contexte

La guerre du Vietnam, qui opposa les États-Unis à la République démocratique du Vietnam du Nord (RDVN), est un conflit qui a profondément marqué les sociétés américaine et vietnamienne. Plus de 58,000 soldats américains et 250,000 soldats sud-vietnamiens ont été tués lors des combats. Pour leur part, les Forces armées nord-vietnamiennes et la guérilla du Viêt-Cong (VC) ont déploré la mort de plus d’un million de soldats. Environ deux millions de civils sud et nord-vietnamiens ont également péri au cours des hostilités.2 Celles-ci se sont conclues avec la chute de Saigon et la prise de la République du Vietnam (RVN) par les communistes en 1975. Dès le dénouement de ce violent affrontement de la Guerre froide, de nombreuses études et analyses ont été publiées dans le but de cibler pourquoi les Forces armées américaines se sont montrées incapables de vaincre de manière définitive les armées communistes. L’essentiel de ces études brossa un portrait plutôt négatif des performances militaires américaines en matière de contre-insurrection (COIN)3 et de tactiques au combat.

Cette thèse de doctorat vise à remettre en question cette soi-disant incapacité américaine à pratiquer de la COIN avec succès au Vietnam et cherchera parallèlement à expliquer

1 Headquarters, Department of the Army, FM 3-24 Counterinsurgency, Washington, Department of the Army,

2010, p. 1-17.

2 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, The Vietnam War, New York, Alfred A. Knopf, 2017, p. xvii.

3 Le terme « contre-insurrection » est aussi connu sous le terme de « contre-guérilla » ou de « pacification » (ce

dernier est néanmoins plus spécifique à la population civile). Il s’agit d’une doctrine militaire visant à éliminer une guérilla (ou insurrection). Cette doctrine est fort complexe à exécuter et nécessite des initiatives qui diffèrent de celles d’une guerre conventionnelle classique comme celles de la Corée ou du Pacifique (voir le chapitre 1).

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pourquoi les États-Unis ne sont pas entièrement parvenus à enrayer les opérations militaires communistes lors de la guerre du Vietnam. L’analyse académique de ce conflit a rangé les historiens au sein de deux écoles de pensée : orthodoxes et révisionnistes4. Pour la plupart des orthodoxes, la guerre du Vietnam ne pouvait être gagnée par Washington. À leurs yeux, l’atteinte des objectifs stratégiques américains qui visaient à préserver la chute du Vietnam du Sud aux mains des communistes ne pouvait se concrétiser par le biais de moyens militaires. Pour leur part, les révisionnistes tendent plutôt à souligner que la guerre du Vietnam aurait pu être gagnée. Selon eux, la défaite a été la résultante du leadership douteux des dirigeants politiques à la Maison-Blanche, d’une stratégie militaire erronée et d’une couverture médiatique dénuée d’objectivité qui entraîna la perte du soutien populaire américain à la guerre.5 Il demeure impossible pour les révisionnistes de prouver avec certitude que les États-Unis auraient gagné la guerre du Vietnam advenant un correctif des stratégies exploitées lors du conflit.

Néanmoins, cette réalité s’applique également aux orthodoxes qui, à leur tour, ne peuvent prouver que les Américains auraient inévitablement perdu la guerre malgré l’amorce d’un changement majeur de stratégie. Toutes ces affirmations, qu’elles soient orthodoxes ou révisionnistes, demeurent spéculatives et ne peuvent s’avérer définitives. Toutefois, l’approche révisionniste, bien qu’abondamment critiquée par les orthodoxes (citons en exemple Marilyn Young6), tend à sortir des sentiers battus. Ceci s’explique grandement par la déclassification récente de documents Top Secret communistes et américains qui forcent plusieurs remises en question sur la situation opérationnelle au Vietnam et en Asie du Sud-Est pendant la Guerre froide. À défaut d’une victoire américaine, certains historiens révisionnistes, comme Mark Moyar, expliquent que l’acharnement de Washington à combattre au Vietnam a eu des effets stratégiques très bénéfiques en empêchant la croissance de l’hégémonie communiste en Asie. À titre d’exemple, l’ancien Ministre de la Défense

4 Quantité d’historiens et autres hauts diplômés se penchant sur la guerre du Vietnam sont rangés au sein des

camps orthodoxe et révisionniste. Du côté orthodoxe, nous retrouvons notamment Lewis Sorley, Russel Weigley, A.J. Langguth et Stanley Karnow. Du côté révisionniste, citons entre autres Mark Moyar, James S. Robbins et Gregory Daddis.

5 Gary R. Hess, Vietnam: Explaining America's Lost War, Oxford, Wiley-Blackwell, 2015 (2008), p. 11-12. 6 Dans son étude publiée en 1991 (Vietnam Wars 1945-1990), Marilyn Young critique Washington ainsi que le

gouvernement sud-vietnamien qui, selon elle, se sont montrés ineptes à élaborer une stratégie cohérente au Vietnam. Ce constat est caractéristique de la vision des historiens orthodoxes.

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indonésien, Abdul Haris Nasution, affirma que son pays n’aurait jamais été en mesure d’empêcher son pays de tomber aux mains des communistes sans la détermination américaine à ne pas abandonner la République du Vietnam pendant toutes ces années (de 1955 à 1975).7 La présente thèse se plongera au cœur du débat révisionniste et se penchera plus particulièrement sur les aspects hybrides et contre-insurrectionnels de la guerre du Vietnam. Bien que révisionniste, cette thèse ne suggère pas que la guerre aurait été assurément gagnée par les États-Unis si les correctifs à certains problèmes militaro-tactiques avaient été apportés. Elle ne cherche pas, non plus, à minimiser l’excellence au combat des régiments communistes. S’ils avaient été confrontés à un adversaire moins résilient, les Américains auraient probablement gagné la guerre, et ce, malgré l’imperfection de leur concept d’opération. La thèse vise plutôt à analyser la problématique en se penchant sur la gestion de l’aspect hybride du conflit ainsi que les facteurs tactiques et humains qui ont miné la conduite des opérations américaines dans un contexte de guerre hybride.

Depuis la conclusion du conflit, plusieurs auteurs ont constamment dépeint l’ensemble des Forces armées américaines comme inepte à pratiquer une COIN cohérente et professionnelle au Vietnam. Plusieurs autres ont été plus loin en soulignant la complexité du contexte militaro-opérationnel du conflit, ce qui les a incités à affirmer qu’aucune COIN n’aurait été applicable au Vietnam. Cette thèse propose de montrer qu’au contraire, les préceptes de contre-insurrection américains ont été des plus efficaces et qu’ils sont allés jusqu’à provoquer une défaite sans équivoque de l’insurrection viêt-cong, tout en gagnant l’appui de la population civile sud-vietnamienne. Il ne s’agit point de suggérer que les doctrines contre-insurrectionnelles américaines ont été appliquées à la perfection; à l’image

7 Mark Moyar, Triumph Forsaken: The Vietnam War, 1954-1965, Cambridge, Cambridge University Press,

2006, p. 282. Plusieurs pays d’Asie et d’Océanie redoutaient le spectre de l’expansionnisme communiste dans la région et, en conséquence, appuyèrent avec vigueur l’effort de guerre américain au Vietnam. Parmi ces pays nous retrouvions : la Thaïlande, la Malaisie, Taiwan, la Corée du Sud, les Philippines, la Birmanie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et l’Inde. Ces États ont affirmé que la présence américaine au Vietnam était vitale à leur propre sécurité contre les communistes. En bref, malgré l’éventuelle chute de la République du Vietnam, la détermination de Washington à combattre au Vietnam a forcé les communistes à concentrer leurs efforts là où les éléments militaires américains se trouvaient. Cette particularité devait permettre aux pays asiatiques avoisinant de gagner un temps précieux, ce qui leur permit d’être mieux préparés face à l’expansionnisme communiste en Asie. Globalement, non seulement la vision révisionniste croit en la possibilité que la guerre aurait pu être gagnée par les États-Unis, elle cerne en l’apparente défaite américaine des résultats stratégiques qui, ultimement, ont résulté en l’essoufflement de l’expansionnisme sino-soviétique en Asie.

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de l’application de leurs doctrines conventionnelles, l’exécution des opérations de COIN a laissé transparaître maints défauts. Néanmoins, ces derniers ne justifient nullement la critique des historiens qui blâment la défaite américaine sur l’inexploitation de préceptes contre-insurrectionnels de qualité. À cet effet, beaucoup d’historiens ont mésinterprété la nature même du conflit sur le plan tactique et opérationnel. Certains auteurs, notamment Lewis Sorley, Andrew F. Krepinevich, John Nagl et quantité d’autres, tendent à affirmer que l’armée s’entêta à transposer un concept d’opération militaire purement conventionnel sur un théâtre d’opération vietnamien essentiellement insurrectionnel.8 Il convient de mentionner

que le commandant du MACV (Military Assistance Command Vietnam), le général William Westmoreland, a préféré concentrer les efforts américains sur une stratégie ayant pour base le principe de guerre d’attrition. Ce faisant, les progrès n’étaient pas évalués en fonction du terrain géographique gagné mais plutôt sur le nombre d’ennemis éliminés lors des combats. De ce plan d’action découla la tactique dite de search and destroy qui visait à traquer, fixer et détruire les bataillons communistes par le biais d’effectifs et d’une puissance de feu supérieure.

Sorley et Krepinevich soutiennent qu’il aurait fallu limiter les opérations conventionnelles et maximiser les opérations de pacification qui visaient à détruire l’infrastructure politique et militaire de la guérilla VC tout en séparant cette dernière de la population civile. D’autres auteurs comme Gregory Daddis tendent plutôt à défendre la stratégie américaine en mentionnant à quel point Westmoreland adapta sa stratégie en maximisant les opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles. Certains, comme Mark Moyar, vont jusqu’à avancer que la guerre du Vietnam était plus conventionnelle qu’insurrectionnelle.9 En bref, il existe un schisme entre historiens qui se penchent sur

l’aspect militaire de la guerre du Vietnam. Cette dernière était-elle insurrectionnelle ou conventionnelle? L’état-major américain était-il justifié de favoriser une doctrine conventionnelle ou aurait-t-il dû mettre plus d’attention sur ses opérations de pacification

8 Lewis Sorley est reconnu pour avoir notamment écrit Westmoreland The General who Lost Vietnam en

2011. Andrew Krepinevich a pour sa part fait paraître The Army and Vietnam en 1988. John Nagl a de son côté fait publier Learning to Eat Soup with a Knife: Counterinsurgency Lessons from Malaya and Vietnam en 2005.

9 Mark Moyar a notamment fait publier Triumph Forsaken en 2006 et Phoenix and the Birds of Prey en 2007.

Gregory Daddis a notamment écrit Westmoreland's War: Reassessing American Strategy in Vietnam en 2013 et Withdrawal: Reassessing America's Final Years in Vietnam en 2017.

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comme il l’a fait après l’offensive du Têt en 1968? La réponse suggérée à ce questionnement est très hétérodoxe, car en fait, la guerre du Vietnam nécessitait une exploitation synergique et synchronisée des deux stratégies : conventionnelle et contre-insurrectionnelle. Cette situation s’explique par le caractère militaro-hybride propre à la guerre du Vietnam. Notons que ce type de conflit n’est pas unique au Vietnam; la guerre de Sept Ans, communément appelée French and Indian war par les habitants des 13 Colonies, constitue un exemple type de guerre hybride. La guerre d’Indépendance américaine consistait aussi en une guerre à caractère hybride. Le conflit à l’est de l’Ukraine avec les séparatistes pro-russes en 2014 représente également un exemple probant de confrontation militaire de type hybride. Lors d’une guerre hybride, une force armée combattra une force hostile qui à la fois, exploitera tactiques et stratégies conventionnelles et insurrectionnelles. Les forces hybrides auront comme modus operandi de viser chacun des centres de gravité de la force adverse : politique, militaire, économique, social et la guerre de l’information (PMESI)10. Du côté insurrectionnel au Vietnam, les secteurs ruraux sud-vietnamiens étaient infestés d’insurgés viêt-cong qui infiltraient les villages et la population civile.

Du côté conventionnel, l’US Army et les Marines étaient confrontés à plusieurs divisions du NVA (North Vietnamese Army)11 qui bénéficiaient d’un équipement de pointe,

en plus d’une compétence au combat rivale de la leur. Or, lorsque confrontés à une menace hybride, les commandants se doivent de synchroniser leurs opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles de telle manière que les initiatives politico-militaires de l’adversaire soient contenues ou avortées. Appliquer un tel concept d’opération nécessite des moyens et plus particulièrement un savoir-faire qui, bien qu’à la portée des Américains, a été longtemps ignoré ou mal appliqué par l’état-major au Pentagone. D’une part, les Forces étatsuniennes se sont démarquées le moment venu d’exécuter des opérations conventionnelles au Vietnam. Bien que la puissance aérienne de l’United States Air Force (USAF) ait eu beaucoup à y voir, les grandes confrontations militaires conventionnelles ayant opposé Américains et armées communistes se sont constamment soldées par une victoire de l’US Army ou des Marines. D’autre part, maints éléments des Forces militaires des

10 Headquarters, Department of the Army, op, cit., p, vi.

11 Pour identifier l’Armée nord vietnamienne, nous utiliserons le terme original utilisé par les Américains

« NVA » (North Vietnamese Army) au lieu de l’ANV (Armée nord-vietnamienne) afin d’éviter toute confusion avec le l’acronyme ARVN utilisé pour l’Armée de la République du Vietnam.

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Unis ont montré qu’ils bénéficiaient des compétences requises le moment venu d’implanter un plan de COIN viable qui réussit à enrayer ou contenir les opérations insurgées. En effet, l’USMC (United States Marine Corps), la 173rd Airborne Brigade et le programme CORDS

(Civil Operations and Revolutionary Development Support)12 ont initié plusieurs opérations contre-insurrectionnelles calquées sur celles des Français et des Britanniques lors des guerres de décolonisation. Malgré de nombreuses limitations opérationnelles, ces opérations ont gravement endommagé l’infrastructure politico-militaire des Viêt-Cong, exposant de ce fait la vulnérabilité de ces derniers aux opérations de COIN. Une analyse exhaustive de la gestion contre-insurrectionnelle du conflit par les Américains tendrait-elle à montrer que ces derniers surent appliquer d’excellents préceptes de COIN au Vietnam? Une telle analyse briserait-elle la croyance selon laquelle aucune doctrine de COIN n’ait pu s’appliquer au théâtre d’opération vietnamien? En quoi le facteur hybride de la guerre, si souvent négligé par beaucoup d’historiens, a-t-il constitué un facteur dans l’incapacité des États-Unis à définitivement stabiliser le théâtre d’opération sud-vietnamien? Gérer un conflit aussi complexe nécessite une gamme d’initiatives tactiques et opérationnelles trop souvent survolées par les historiens.

2. Problématique

Cette thèse proposera que la réelle problématique militaire rencontrée au Vietnam n’a pas résulté de la prétendue incapacité américaine à exécuter de la COIN avec succès mais plutôt de quatre facteurs indissociables. Le premier se résume à l’incapacité des Américains à uniformiser leur concept d’opération sur le théâtre opérationnel sud-vietnamien. Bien que les Marines, la 173rd Airborne Brigade et le CORDS exploitaient des doctrines de COIN de grande qualité, ces principes n’ont pas été appliqués de façon uniforme au sein des districts sud-vietnamiens pour un long moment. Ce manque d’uniformité des concepts d’opération doctrinaux mina la capacité des Américains à pacifier rapidement l’ensemble des secteurs ruraux. Le deuxième facteur : l’incapacité du MACV à synchroniser adéquatement les opérations militaires conventionnelles et contre-insurrectionnelles dans un conflit de nature hybride. Si les opérations conventionnelles et de COIN ne sont pas exécutées de façon

12 Le CORDS était une organisation regroupant plusieurs entités civiles et militaires américaines et

sud-vietnamiennes ainsi que la Central Intelligence Agency (CIA). La mission du CORDS visait à exécuter un programme de pacification rurale dans les campagnes du Vietnam du Sud, détruire l’infrastructure viêt-cong et rallier les paysans sud-vietnamiens à la cause du gouvernement sud-vietnamien.

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synchronisée lors d’un conflit hybride, les gains tactiques et opérationnels acquis se voient systématiquement annulés, et ce, en un court laps de temps. Cette dynamique a perturbé les efforts américano-sud-vietnamiens sur le théâtre d’opération. Le troisième facteur: l’absence de dynamisme des commandants militaires sud-vietnamiens et la dépendance de leurs subordonnés à l’appui du MACV. Le commandement de l’Armée sud-vietnamienne (Army

of the Republic of Vietnam/ARVN) afficha énormément de réticence à émuler de manière

professionnelle les doctrines contre-insurrectionnelles enseignées par les Américains. Bien qu’il y ait eu une amélioration marquée après l’offensive du Têt, le problème ralentit le processus de pacification dans certains districts. Enfin, le quatrième facteur se résume à l’incapacité du MACV à respecter une des lois fondamentales de l’art de la guerre : bloquer les lignes d’approvisionnement et de communication de la force ennemie, une règle cruciale, tant lors de conflits conventionnels qu’insurrectionnels et, de facto, hybrides.

Ne pas occuper des points géographiques stratégiques au Laos et au Cambodge pour bloquer la Piste Ho Chi Minh a définitivement sonné le glas d’une possible victoire américano-sud-vietnamienne au Vietnam. Ce facteur, bien que fréquemment mentionné, est malheureusement souvent banalisé par les historiens. Pourtant, le manque de proactivité des Américains à initier de vastes opérations défensives et d’interdiction au Laos et au Cambodge constitue un des principaux problèmes derrière leur incapacité à systématiquement conserver l’initiative tactique et opérationnelle au Vietnam. D’aucuns se contentent d’affirmer que l’occupation de la piste Ho Chi Minh n’aurait pas changé grand-chose au conflit. À bien des égards, cette affirmation est fallacieuse, particulièrement si l’on prend en compte à quel point une simple incursion américaine de quelques semaines au Cambodge a perturbé de façon majeure les opérations militaires communistes dans la République du Vietnam.

3. État de la question

Quantité d’auteurs se sont penchés sur les causes de la défaite des États-Unis au Vietnam. Toutefois, peu d’entre eux ont abordé le sujet de façon similaire à ce que nous proposons. John Nagl est l’auteur d’une thèse doctorale intitulée Learning to Eat Soup with

a Knife: Counterinsurgency Lessons from Malaya and Vietnam. Dans son ouvrage, l’auteur

effectue un comparatif entre le développement et la pratique des doctrines de COIN exploitées par les Américains et les Britanniques au sein des théâtres malaisiens et vietnamiens. Nagl débute son analyse en décrivant les stratégies britanniques, avant de se

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pencher sur celles du MACV. L’auteur y analyse une série de facteurs : la situation géostratégique, les origines de l’insurrection, la stratégie des organes politiques et militaires de l’insurrection, les initiatives contre-insurrectionnelles des Britanniques, l’adaptation et les innovations tactiques et stratégiques de ces derniers, ainsi que leurs initiatives politiques. Fort des résultats obtenus, il termine en procédant à l’évaluation de la qualité des stratégies contre-insurrectionnelles britanniques et détermine à quel point l’Armée britannique s’avéra une institution capable d’apprendre et de s’adapter aux situations changeantes. Pour donner suite à cet exercice, il s’attaque au volet américain au Vietnam en analysant les mêmes facteurs. Nagl conclut son étude analytique avec une évaluation de la qualité des stratégies contre-insurrectionnelles du MACV. Il en déduit que l’Armée américaine n’était pas une institution capable d’apprendre et de s’adapter aux situations changeantes13, une conclusion qui diffère

de ce que nous déduirons dans cette thèse.

En 2010, David Strachan-Morris a présenté une thèse de doctorat intitulée Swords

and Ploughshares: an Analysis of the Origins and Implementation of the United States Marine Corps’ Counterinsurgency Strategy in Vietnam Between March 1965 and November 1968. Strachan-Morris y analyse la stratégie de COIN privilégiée par les Marines au Vietnam

entre 1965 et 1968. L’auteur souligne que la nature politique de la guerre et la réalité à laquelle se sont vus confrontés les Marines sur le terrain incitèrent les commandants séniors des Marines à muter leur stratégie de pacification. L’auteur indique que cette mutation avait pour base les grandes lignes des doctrines privilégiées par les stratèges contre-insurrectionnels franco-britanniques. Strachan-Morris déduit que les Marines cherchaient à renforcer la sécurité de leurs secteurs de responsabilité en tentant de gagner l’appui de la population locale. Il qualifie de déficiente l’unité de mesure exploitée pour mesurer les progrès effectués sur le terrain. Néanmoins, Strachan-Morris explique qu’une analyse des archives de l’USMC tend à révéler que les Marines ont conduit une campagne de COIN « efficace et appropriée » dans les limites imposées par la carence de certaines ressources et leur inhabilité générale à influencer l’ensemble du champ de bataille dans la RVN.14

13 John Nagl, Learning to Eat Soup with a Knife: Counterinsurgency Lessons from Malaya and Vietnam,

Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. xxii-xxiii.

14 David Strachan-Morris, “Swords and Plougshares: An Analysis of the Origins and Implementation of the

United States Marine Corps’ Counterinsurgency Strategy in Vietnam between March 1965 and November 1968”. Thèse de Doctorat, Wolverhampton, Université de Wolverhampton, 2010, p. 329-336.

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9

Maints éléments de la présente thèse s’apparentent fortement à celles de Strachan-Morris. Néanmoins, nous analyserons le problème opérationnel d’une perspective beaucoup plus étendue avec le CORDS et le facteur hybride. Citons également Gregory Daddis qui a fait publier Westmoreland’s War: Reassessing American Strategy in Vietnam. Dans cette étude, Daddis affirme que Westmoreland a été responsable d’un large éventail de manœuvres opérationnellement productives. Daddis mentionne que Westmoreland accorda beaucoup d’attention à la formation de l’ARVN et élabora un plan de COIN visant bel et bien à gagner l’appui de la population rurale au Vietnam. Daddis expose divers facteurs très intéressants mais n’examine pas en profondeur l’aspect hybride du conflit, en plus de banaliser largement les Combined Action Platoons (CAP)15 de l’USMC qu’il ne semble pas avoir analysé en profondeur. Tout comme la nôtre, l’approche de Daddis va à contrecourant des études généralement rédigées sur Westmoreland qui s’est fait régulièrement pointer du doigt comme l’un des grands responsables de la défaite américaine au Vietnam. Lewis Sorley, l’un des détracteurs de Westmoreland, a souligné dans son ouvrage Westmoreland: The General Who

Lost Vietnam, que le général américain s’est retrouvé dans une position de commandement

qui dépassait ses compétences ce qui a causé l’embourbement vietnamien.16

Sorley affirme que le général américain a sous-estimé son adversaire, n’a pu saisir la complexité du conflit et s’est entêté à exploiter une stratégie conventionnelle sur un théâtre d’opération insurrectionnel. Citons également une étude écrite en 1988 par Andrew F. Krepinevich intitulée The Army and Vietnam. L’auteur mentionne notamment qu’il faut imputer la défaite du MACV au Vietnam à l’exploitation de doctrines erronées, appuyées sur les modus operandi exploités pendant la Deuxième Guerre mondiale. Krepinevich soulève aussi que la doctrine insurrectionnelle des communistes au Vietnam a empêché l’application de doctrines conventionnelles; il aurait plutôt été préférable d’exploiter une doctrine contre-insurrectionnelle misant sur l’exploitation d’infanterie légère, une puissance de feu minimale et une résolution des problèmes politiques et sociaux handicapant la qualité de vie de la population sud-vietnamienne. L’auteur déduit que jusqu’à la toute fin du conflit, les leaders militaires américains ont refusé de reconnaître cette réalité. La présente thèse cherchera à

15 Les Combined Action Platoons (CAP) consistaient en une initiative contre-insurrectionnelle des Marines

qui visait à assurer la protection de la population rurale contre les insurgés viêt-cong en déployant de manière permanente une section de Marines auprès des forces paramilitaires sud-vietnamiennes dans les villages. Ce concept sera analysé en profondeur dans le chapitre 3.

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montrer qu’il n’en fut rien. Citons également une étude récente de Max Boot nommée The

Road Not Taken. Dans ce volume, l’auteur se penche sur le colonel Edward Lansdale, un

spécialiste de la contre-insurrection qui conseillait le Président sud-vietnamien Ngo Dinh Diem. Boot y souligne notamment que la chute du Président Diem consiste en une des plus grandes erreurs stratégiques des Américains au Vietnam. Boot affirme que Washington a sciemment ignoré les recommandations et les conseils de Lansdale qui encouragea la maximisation des opérations de contre-insurrection au Vietnam.17 De son côté, l’auteur Edward Miller publia en 2013 Misalliance: Ngo Dinh Diem, the United States, and the Fate

of South Vietnam. Miller y affirme que les visées politiques de Washington et du Président

Diem n’étaient pas aussi aux antipodes que l’ont affirmé d’autres historiens et journalistes par le passé. Il expose également à quel point la Maison-Blanche et Diem ont sous-estimé la complexité des opérations générales de pacification au Vietnam.18

Pour sa part, Jeffrey Race est l’auteur d’un volume titré War Comes to Long An. Race passa environ deux ans avec les Forces armées américaines au Vietnam et concentra ses études sur le secteur de Long An, situé près de Saigon. Il se penche sur les stratégies communistes et américaines dans la région et souligne le manque de préparation du MACV à gérer la situation opérationnelle au Vietnam. Du côté communiste, il expose la capacité supérieure de ces derniers à comprendre les besoins de la population civile, ce qui fut moins le cas des dirigeants politiques à Saigon.19 De son côté, l’auteur David Elliot publia The

Vietnamese War: Revolution and Social Change in the Mekong Delta, 1930-1975. L’étude

se penche presque exclusivement sur la perspective communiste de la guerre et les opérations du Viêt-Cong dans la région du Delta du Mékong entre 1930 et 1975.20 En ce qui a trait aux auteurs étudiant les opérations clandestines du MACV au Cambodge et au Laos, il convient de citer Black Ops Vietnam: The Operational History of MACVSOG de Robert Gillespie. L’étude traite des opérations du MACVSOG (Military Assistance Command Vietnam Studies

and Observations Group), qui chapeauta les opérations clandestines du SOG (Studies and Observations Group) au Laos et au Cambodge. En exploitant une gamme de documents

17 Max Boot, The Road not Taken, New York, Liveright Publishing Corporation, 2018, p. xxxix.

18 Edward Miller, Misalliance: Ngo Dinh Diem, the United States, and the Fate of South Vietnam, Cambridge,

Harvard University Press, 2013, p. 17.

19 Jeffrey Race, War Comes to Long An, Los Angeles, University of California Press, 1972, p. x-xiv.

20 David Elliott, The Vietnamese War: Revolution and Social Change in the Mekong Delta, 1930-1975, New

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récemment déclassifiés, Gillespie nous trace une des premières études complètes relatant des opérations clandestines du MACVSOG. L’auteur conclut que les opérations du SOG ont été tactiquement efficaces mais opérationnellement limitées. Gillespie spécifie qu’ultimement, l’unité n’a pu parvenir à achever sa mission originale qui consistait à bloquer l’acheminement d’approvisionnement et de renforts communistes dans la RVN. En ce qui trait au CORDS, une des études les plus complètes a été publiée tout récemment en 2017. Elle s’intitule The

Theory and Practice of Associative Power. Son auteur, Stephen B. Young, un vétéran, était

un administrateur du programme CORDS. Il relate son expérience tout en faisant une analyse du programme, pour conclure que ce dernier constituait un succès pour les Américains qui réussirent à contenir le Viêt-Cong et développer les secteurs ruraux sud-vietnamiens. Son analyse exhaustive est très révélatrice de l’efficacité opérationnelle du programme. Enfin, citons Eric Bergerud qui a notamment fait publier en 1993 The Dynamics of Defeat: The

Vietnam War in Hau Nghia Province. Dans cette étude, l’auteur mentionne que certaines

théories militaro-opérationnelles alternatives ont été tentées dans la Province de Hau Nghia au Vietnam.

Bergerud souligne que l’intervention américaine était vouée à l’échec, compte tenu du manque de légitimité du gouvernement à Saigon et que le Viêt-Cong offrait une alternative plus attrayante pour la paysannerie sud-vietnamienne. Bergerud tend à généraliser les résultats de sa recherche sur la Province de Hau Nghia à l’ensemble du Vietnam du Sud, ce qui est problématique en termes de représentativité de la situation opérationnelle dans la RVN. Dans l’ensemble, les auteurs susmentionnés abordent divers facteurs qui toucheront aux volets théoriques de la présente thèse. Celle-ci se démarque néanmoins par son analyse à contre-courant des divers volets contre-insurrectionnels (CORDS, le programme Phoenix21 et CAP), jumelée à son analyse des facteurs conventionnels, insurrectionnels logistiques et hybrides. En bref, il existe peu d’études sur la guerre du Vietnam qui montrent la viabilité des préceptes de contre-insurrection américains tout en cherchant à cibler comment le facteur hybride du conflit affecta la conduite des opérations communistes et américaines. Finalement, en ce qui a trait au programme Phoenix, citons les œuvres de Mark Moyar

21 Le programme Phoenix était une initiative visant à anéantir l’infrastructure politique du Viêt-Cong par le

biais des forces spéciales américano-sud-vietnamiennes, des forces de police sud-vietnamiennes et via l’assistance d’informateurs et de transfuges communistes. Le programme Phoenix sera analysé en détail dans le chapitre 4.

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(Phoenix and the Birds of Prey: Counterinsurgency and Counterterrorism in Vietnam) et de Dale Andrade (Ashes to Ashes: The Phoenix Program and the Vietnam War). Dans ces études, les deux auteurs exposent les opérations de Phoenix et vont à l’encontre des mouvances historiques et populaires qui tendent à dépeindre l’offensive ciblant les cadres communistes comme un programme d’assassinat.

4. Hypothèse

Un des objectifs de cette thèse vise à montrer que le processus de pacification se trouvait à la portée des stratèges américains et qu’il a été possible de l’appliquer avec succès au Vietnam. L’analyse des doctrines contre-insurrectionnelles de l’USMC, de la 173rd

Airborne Brigade et du CORDS nous montrera que leur efficacité contre l’insurrection était

due au fait qu’elles s’inspiraient des préceptes contre-insurrectionnels français en Algérie et britanniques en Malaisie. Un des aspects théoriques à être exploré sera celui de l’application au Vietnam des doctrines du stratège et lieutenant-colonel français David Galula. Lors de la guerre d’Algérie, ce dernier a révolutionné la COIN en développant une doctrine qu’il a consignée par écrit dans Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice. La doctrine de Galula a fortement inspiré la rédaction du dernier manuel doctrinal de COIN des Forces armées américaines : le FM 3-24. Les bases de cette doctrine ont d’ailleurs été exploitées avec beaucoup de succès en Irak par le général David Petraeus entre 2007 et 2011 et contre les FARC en Colombie. La justesse de la doctrine du lieutenant-colonel français était telle aux yeux du général Petraeus que ce dernier a surnommé Galula le « Clausewitz de la contre-insurrection ».22

Même le général Westmoreland, également impressionné par les doctrines de Galula, a invité ce dernier aux États-Unis afin qu’il éduque l’armée américaine et les forces spéciales sur les dynamiques de la COIN.23 De son côté, l’Ambassadeur américain à Saigon, Henry Cabot Lodge a reconnu l’impasse engendrée par la quasi-exclusivité accordée aux missions de search and destroy ainsi que la nécessité d’exploiter les doctrines contre-insurrectionnelles françaises au Vietnam. Dans une lettre au Président Lyndon Johnson,

22 Gregor Matthias, David Galula : Combattant, espion, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire,

Paris, Economica, 2012, p. 1.

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Lodge mentionne que les États-Unis gagneraient à exploiter les doctrines du général Jacques Massu, l’un des architectes de la défaite insurrectionnelle algérienne lors de la bataille d’Alger, et de David Galula.24 La doctrine de Galula comportait huit grandes étapes. La

première : détruire et expulser les forces insurgées du district visé. Ensuite, déployer suffisamment de forces statiques pour empêcher le retour des insurgés. En troisième lieu, assurer un contact et un contrôle serré de la population (pour la séparer des insurgés). Quatrièmement, détruire l’organisation politique de l’insurrection. La cinquième étape : organiser des élections locales avant de mettre à l’épreuve les élus afin d’évaluer leur réel dévouement. La septième étape consistait à organiser un parti politique représentatif de l’ensemble de la population. Finalement, convertir ou éliminer le résiduel de la guérilla.25

L’analyse des sources montrera que la 173rd Airborne Brigade ainsi que les Marines et leurs

Combined Action Platoons ont su appliquer avec beaucoup de succès la troisième étape du

processus doctrinal de Galula, c’est-à-dire assurer un contact et un contrôle serré de la population (pour la séparer des insurgés).

Les Marines ont été déployés en permanence dans plusieurs secteurs ruraux de leur zone d’opération et ont assuré la scission de la population civile et des insurgés. De son côté, la 173rd Airborne Brigade en fit tout autant au sein des secteurs qu’on lui avait attribués. Pour

leur part, les sources relatives aux opérations du CORDS révèleront que l’organisation réussit à appliquer les troisièmes et quatrièmes étapes du processus doctrinal de Galula. Nous montrerons que le succès du CORDS est grandement attribuable à son contact direct avec la population et à l’initiation d’un des programmes les plus controversés de la guerre du Vietnam : le programme Phoenix. Ce dernier constitue sans aucun doute l’opération la plus incomprise et la plus mésinterprétée de la guerre du Vietnam. Il s’agira de démontrer comment le CORDS et Phoenix, de l’aveu même de commandants communistes, enraya ou limita sévèrement la capacité à opérer des forces de combat communistes, de même que leur infrastructure politique. Du côté des doctrines britanniques imitées par les Américains, nous nous tournerons vers Sir Robert Thompson. Ce dernier, nommé conseiller sur la situation au Vietnam auprès de Richard Nixon et d’Henry Kissinger, est considéré comme un des plus

24 U.S. State Department, Henry Cabot Lodge, Memorandum: Proposal by H,C, Lodge March 26, 1968,

Washington D.C., 1983.

25David Galula, Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice, New York, Frederick A, Praeger

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grands spécialistes de la COIN du 20e siècle. Thompson est reconnu comme l’un des

principaux architectes responsables de l’élimination de l’insurrection communiste en Malaisie au cours des années 1950. Sa doctrine de COIN a été d’une telle efficacité qu’une délégation de conseillers britanniques dirigée par Thompson a été formée et envoyée au Vietnam pour conseiller le président sud-vietnamien Ngo Dinh Diem. Cette mission fut nommée BRIAM (British Advisory Mission). L’application sud-vietnamienne des grandes lignes des doctrines britanniques sous la direction de Diem entre 1960 et 1963 connut des succès opérationnels outrageusement sous-estimés par beaucoup d’historiens et de journalistes. Cette réalité a été exhaustivement exposée par Mark Moyar dans son étude intitulée Triumph Forsaken et sera également analysée dans le premier chapitre de la présente thèse. Du côté des Marines, de la 173rd Airborne et du CORDS, l’application des doctrines de Thompson a eu un impact significatif sur la vie des Sud-Vietnamiens touchés par les programmes de pacification et sur les insurgés cherchant à infiltrer les secteurs ruraux. La doctrine de COIN britannique exploitée en Malaisie accordait beaucoup d’importance à la sécurité et la qualité de vie de la population civile. La doctrine usait extensivement d’opérations psychologiques.

Ces dernières visent à convaincre la population et les insurgés à pleinement collaborer avec les forces gouvernementales. Pour la population, il s’agit notamment de la convaincre que l’insurrection est une cause perdue en l’éliminant et en augmentant la qualité de vie des civils. Pour les insurgés, il s’agit de leur infliger suffisamment de défaites, à les isoler et à leur offrir des programmes d’amnistie afin de les convaincre de déposer les armes et faire défection. L’analyse des sources américaines et communistes indiquera jusqu’à quel point le MACV et l’ARVN ont, ultimement, réussi à atteindre cet état des choses au Vietnam au cours des années 1970. Nous montrerons comment la sécurité des civils sud-vietnamiens, directement touchés par ces programmes de pacification, s’est vue améliorée. Nous chercherons également à exposer comment ces initiatives ont contribué à détourner les civils sud-vietnamiens de la cause des insurgés du Viêt-Cong et jusqu’à quel point ces derniers se sont vus privés du refuge, des caches et de l’approvisionnement préalablement fournis par la population civile. Néanmoins, les percées américaines en matière de pacification n’auraient jamais suffi à la tâche. L’aspect hybride du conflit nécessitait des Américains une attention tout aussi marquée des aspects conventionnels de la guerre. La thèse propose d’exposer à quel point cet aspect conventionnel, si souvent dénoncé par les historiens, rendait tout à fait

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justifiable les opérations de search and destroy privilégiées par Westmoreland. Au cours de la présence américaine au Vietnam, des centaines de milliers de soldats réguliers de l’Armée nord-vietnamienne ont infiltré le Vietnam du Sud via la Piste Ho Chi Minh longeant le Laos et le Cambodge. Des divisions entières du NVA se sont déployées au cœur de la République du Vietnam pour assister le VC et combattre l’ARVN ainsi que les Forces américaines. L’application quasi exclusive de méthodes de COIN, tel que suggéré par les historiens susmentionnés, aurait constitué en fait une véritable catastrophe pour les Américains et leurs alliés sud-vietnamiens. En effet, aussi alerte et compétente soit-elle, aucune force militaire déployée dans un cadre de mission contre-insurrectionnelle ne posséderait la capacité de repousser l’assaut de forces conventionnelles adverses composées d’entière divisions, brigades ou bataillons. Cette étude justifiera en partie le concept d’opération conventionnel américain tout en ciblant ses failles. Il s’agit d’exposer à quel point ces lacunes ont été la résultante des facteurs militaro-hybrides intrinsèques au conflit. Au Vietnam, les éléments communistes ont créé un concept d’opération caractérisé par la synergie des opérations de ses forces régulières (le NVA) et de ses forces irrégulières (le VC).

Ce processus hybride voyait les divisions régulières du NVA et les plus larges formations VC attirer les forces américaines loin des secteurs peuplés. Ce procédé facilitait l’infiltration du VC et de son infrastructure politique à l’intérieur des villages sud-vietnamiens. Les secteurs ainsi capturés par le VC devenaient des bases d’opérations pour les plus larges formations VC et pour le NVA. Ceci assura aux communistes des bases d’approvisionnement, du renseignement, des recrues et l’appui des civils (forcé, volontaire ou tacite). Lorsque les Forces militaires américaines cherchaient à sécuriser ces bases d’opérations communistes, ils y déployaient des brigades pour déloger l’adversaire. Une fois les éléments communistes surclassés, ceux-ci finissaient par quitter la zone d’opération. Néanmoins, aucune force militaire statique n’était ensuite assignée pour demeurer avec les villageois en vue de les protéger d’un éventuel retour des Viêt-Cong. Inévitablement, ces derniers reprenaient rapidement le contrôle du secteur si durement gagné par les Américains; une des conséquences du manque de synchronisation des opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles des Américains au Vietnam. Les Français ont confronté exactement le même problème lors de la guerre d’Indochine; bien que les Forces militaires françaises détenaient la capacité de vaincre les divisions conventionnelles du Vietminh (le précurseur du Viêt-Cong), dans la plupart des circonstances, elles se montraient incapables de

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simultanément contrôler la population vietnamienne.26 Lorsque les Forces américaines

traquaient les éléments conventionnels nord-vietnamiens dans les zones plus isolées, le NVA engageait le combat pour subséquemment se désengager et trouver refuge au Laos et au Cambodge, deux pays interdits d’accès aux Américains. Les gouvernements laotien et cambodgien ont déclaré leur neutralité lors du conflit, ce qui ne les empêcha point de tolérer tacitement la présence communiste au sein de leur territoire. Washington a préféré respecter cette prétendue neutralité, ce qui ne l’a point empêché de la violer également en y déployant des unités de forces d’opérations spéciales. La Maison-Blanche s’obstinait à ne pas déployer de troupes régulières sur la Piste Ho Chi Minh, ce qui a permis aux unités communistes de bénéficier d’une zone permanente de repli et d’un renflouement continuel en matière d’effectifs, d’armes et de munitions. Ceci a facilité l’acheminement des 84,000 soldats communistes qui ont déclenché l’offensive du Têt en 1968.27

En bref, le système militaro-hybride communiste constituait une entité mécanique composée essentiellement de trois piliers ou sous-systèmes fonctionnant en parfaite symbiose: les systèmes conventionnels, insurrectionnels et de réapprovisionnement logistique. Les effets tactiques engendrés par cette dynamique synergique ont rendu possible l’offensive du Têt, en plus d’épuiser psychologiquement les éléments politico-militaires américains. Lors d’un conflit hybride de cette nature, il est impératif de disloquer cette synergie hybride, faute de quoi, le conflit s’éternisera indéfiniment, en un éternel cycle de recommencement. Dans le contexte militaire caractéristique du Vietnam, il était essentiel pour les Américains de synchroniser leurs opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles tout en isolant et brisant les trois piliers du processus de synchronisation hybride des communistes. Là se situait, nous le croyons, le réel problème de nature militaro-tactique pendant la guerre du Vietnam. Cette stratégie généra l’impasse militaire américaine qui, inévitablement, frappa durement les cibles privilégiées d’une menace à caractère hybride, c’est-à-dire les éléments politiques, économiques et sociaux de la puissance ou superpuissance visée. C’est ce qui, ultimement, devait susciter le découragement politique de Washington à poursuivre la guerre.

26 Williamson Murray et Peter R. Mansoor, Hybrid Warfare, Cambridge, Cambridge University Press, 2012,

p. 9.

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17

Ainsi, cette thèse soumet l’hypothèse suivante : d’une part, la conduite d’opérations

conventionnelles s’est montrée pleinement justifiée au Vietnam considérant le modus operandi hybride des communistes. D’autre part, la défaite militaire américaine n’est pas le produit de l’inaptitude des forces militaires du MACV à exécuter leurs opérations de COIN; de fait, ces dernières s’appliquaient très bien au théâtre d’opération vietnamien et ont pratiquement éliminé l’insurrection. En fait, l’incapacité des Américains à stabiliser militairement la situation a plutôt eu comme source leur inaptitude à complètement disloquer la synergie des éléments conventionnels, insurrectionnels et logistiques propres au concept d’opération hybride des communistes au Vietnam.

5. Méthodologie et sources

La méthodologie privilégiée se basera sur un principe de déduction et d’inférence. Nos sources feront d’abord l’objet d’une analyse de contenu. Ensuite, les données extraites se verront insérées et traitées au sein d’une grille de lecture qui nous permettra d’arriver à des déductions et d’inférer des conclusions. Ce processus méthodologique permettra, par exemple, de cibler jusqu’à quel point les opérations du CORDS, des Marines et de la 173rd

Airborne Brigade ont entravé les opérations communistes et gagné l’appui de la population

civile concernée. À titre d’exemple, une analyse effectuée dans un secteur occupé par les CAP des Marines est susceptible de résulter en une déduction différente de celle d’un secteur exclusivement ciblé par des opérations de search and destroy. Si ces manœuvres se voyaient effectuées dans un secteur rural subséquemment occupé par les forces statiques des Marines, nous pourrions probablement déduire que la dispersion des forces communistes dans les secteurs habités s’avérerait compliquée, voire impossible.

Advenant de tels résultats à la suite de l’analyse des sources, nous serons à même de conclure que la synchronisation des opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles s’avérait possible et aurait constitué un succès lorsqu’appliquée. Cette grille déductive permettra également de cibler comment les trois sous-systèmes du processus de combat hybride des communistes ont fait obstacle aux Américains pour stabiliser le théâtre d’opération vietnamien. Par exemple, nous exposerons dans la grille les éléments qui rendaient essentiels l’accès des forces communistes à la Piste Ho Chi Minh et l’impact opérationnel de cette dernière sur les opérations de combat communiste au Vietnam. En exploitant la même grille, nous analyserons les impacts de l’incursion américaine au

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Cambodge pour neutraliser les sites de réapprovisionnement de la Piste. En analysant les impacts opérationnels de cette action sur les avantages tactiques apportés par l’approvisionnement continuel de la piste Ho Chi Minh, il nous sera possible de déduire jusqu’à quel point le système hybride communiste dépendait de ses lignes de communication pour faciliter ses opérations militaires. En bref, il s’agit d’arriver à des déductions basées sur des causes et les effets qui en ont résulté sur le théâtre d’opération. Notre méthodologie déductive a notamment été exploitée par l’historien Mark Moyar dans ses deux études sur la guerre du Vietnam : Triumph Forsaken : The Vietnam War, 1954-1965 et Phoenix and the

Birds of Prey : Counterinsurgency and Counterterrorism in Vietnam. Dans Triumph Forsaken, Moyar indique qu’une des plus grandes erreurs américaines au Vietnam a été

d’avoir abandonné Diem à son sort le 1er novembre 1963 lors de son renversement.28 Pour

cette étude, les multiples sources de Moyar comportent notamment des archives de la CIA, du MACV et des groupes politiques communistes.

La méthodologie déductive de Moyar l’a amené à déduire que le programme contre-insurrectionnel de Diem fonctionna très bien dans les secteurs ruraux et que la chute du programme est allée de pair avec l’assassinat de Diem par ses généraux. Par son analyse, Moyar montre avec clarté qu’à défaut d’être parfait, le système d’hameaux stratégiques de Diem et les actions offensives de l’ARVN ont déstabilisé le VC, rendu littéralement à court de moyens pour contrer les initiatives contre-insurrectionnelles du Président sud-vietnamien en 1963.29 Dans Phoenix and the Birds of Prey, Moyar exploite la même méthodologie

déductive en analysant l’efficacité du programme Phoenix. Pour cette analyse, Moyar se penche entre autres sur des archives du CORDS, de la CIA et des communistes. Son examen des sources l’amène à conclure que le programme Phoenix décapita bel et bien une grande partie de la structure politique du VC et que, contrairement à la croyance populaire, le programme a été conduit de manière légale dans le cadre d’un conflit militaire.30 En bref, Moyar analyse ses sources, fait les corrélations qui s’imposent, établit des faits, puis élabore sa déduction. Nous nous proposons d’utiliser cette méthodologie pour la présente thèse.

28 Moyar, op. cit., p. 286-287. 29 Ibid.

30 Mark Moyar, Phoenix and the Birds of Prey: Counterinsurgency and Counterterrorism in Vietnam,

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En ce qui a trait aux sources, la présente étude en comportera une très grande variété. Parmi celles-ci, nous retrouverons plusieurs manifestes doctrinaux contre-insurrectionnels et les mémoires des stratèges franco-britanniques. Ainsi, du côté français, les écrits de David Galula seront exploités. En 1964, il publiait son manifeste contre-insurrectionnel

Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice. Galula y traite des stratégies et tactiques

qu’il considère impératives d’adopter si les forces contre-insurrectionnelles veulent contenir, diminuer et, ultimement, vaincre une insurrection armée. Concrètement, Galula s’attarde sur les conditions préalables au succès d’une insurrection, la constitution des doctrines privilégiées par les guérillas, les stratégies et tactiques à employer pour contrer ces dernières et les huit étapes à suivre pour annihiler une insurrection. Du côté britannique, maints écrits de Robert Thompson seront exploités. Thompson a fait publier sa doctrine de COIN en 1966, un manuel titré : Defeating Communist Insurgency: Experiences from Malaya and Vietnam. Thompson s’attarde entre autres aux concepts régissant la conduite des opérations de subversions, les insurrections communistes, les principes de base d’une COIN, sa structure administrative, le renseignement, les hameaux stratégiques et la scission des insurgés avec la population civile.

Thompson se penche sur deux modèles: la Malaisie et le Vietnam. L’auteur a également fait publier No Exit From Vietnam. Il y explique pourquoi les Américains n’ont pu y atteindre leurs objectifs politico-militaires. Une grande quantité de sources proviennent des archives du War College localisées à Carlisle en Pennsylvanie et du centre d’Archives nationales à College Park près de Washington D.C. Les sources du War College sont constituées des rapports de John Paul Vann (un des chefs d’orchestre du CORDS) et de quantité de rapports officiels issus de divers administrateurs du programme CORDS. Les Archives nationales de College Park ont permis l’accès aux papiers du général William Westmoreland, à des milliers de pages des archives du U.S. Marines Corps History and

Museum Division et des General Records of US Forces in South East Asia. Ces annales

décrivent respectivement les opérations des Combined Action Platoons des Marines et du CORDS. L’essentiel des nombreuses pages d’archives dédiées au programme Phoenix provient également des Archives nationales qui ont aussi permis l’accès à des centaines de pages de documents communistes saisis par les forces américaines et sud-vietnamiennes. Ces sources traduites en anglais seront d’une grande utilité car elles permettent d’analyser la perception communiste des opérations de pacification américaine et sud-vietnamienne. Nous

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20

exploiterons aussi plusieurs milliers de pages d’archives numériques de l’History Vault de

ProQuest qui détient également quantité de documents communistes capturés et beaucoup

d’archives du CORDS et du MACV. ProQuest détient également maints rapports de Robert Thompson lorsqu’il était un des conseillers de Richard Nixon. Quelques archives numériques du Texas Tech University font également partie du corpus de sources. Nous y trouvons d’autres documents du MACV et des opérations clandestines du MACVSOG au Laos et au Cambodge. Nous consulterons également les archives audios du successeur de Westmoreland au Vietnam, le général Creighton Abrams. Ces enregistrements ont été consignés par écrit de la main de Lewis Sorley dans un volume intitulé; The Vietnam War

Chronicles 1968-1972 : The Abrams Tapes. Certaines archives d’Abrams proviennent

également du War College. Des archives de la division historique du Joint Chief of Staff (l’état-major de la Défense américaine) et de la CIA (Central Intelligence Agency) seront aussi exploitées. À cet effet, Thomas Ahern, ancien opérateur de l’Agence, constituera une de nos sources privilégiées.

La CIA mandata Ahern pour qu’il écrive six volumes devant exposer le rôle de la CIA lors de la guerre du Vietnam. Ces six volumes déclassifiés en 2009 comportent un total de 1600 pages. Ces sources sont importantes car elles fournissent des détails exhaustifs sur la conduite des opérations de pacification et les opérations clandestines visant la Piste Ho Chi Minh au Laos et au Cambodge. L’ensemble des sources susmentionnées comporte maints avantages car elles permettent d’analyser tous les aspects militaires nécessaires à l’élaboration de la thèse. La plus grande limitation imposée par ces sources réside sur le plan de l’accessibilité et de la lisibilité de certains documents ou sections de documents. Bien que la loi d’accès à l’information ait rendu possible l’accès à une vaste gamme de documents, les dossiers anciennement classifiés Top Secret comportent de nombreux paragraphes encore censurés. L’inaccessibilité de quelques documents dans leur intégralité pourrait causer des problèmes d’analyse si les détails censurés contenaient des éléments cruciaux au développement de l’hypothèse. Qui plus est, de nombreuses sources sont presque illisibles, compte tenu de l’encre vieillissante des documents dactylographiés. Nonobstant ces défauts, la grande majorité de nos sources sont lisibles et non censurées.

Figure

Figure 1 : Schéma représentant la dynamique de la synchronisation des opérations  politico-militaires communistes selon Robert Thompson 50
Figure 2 : Répartition des provinces et quatre Corps de la République du Vietnam 85
Figure 3 : Zones de la RVN contrôlées par les communistes et les forces  gouvernementales en 1965 51
Figure 4 : Le mode de fonctionnement du dau tranh de Giap 73
+7

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