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Frontières quotidiennes : exploration de mon processus de création : études sur les effets de vérité au sein des productions médiatiques

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Frontières quotidiennes

Exploration de mon processus de création : Études sur les effets

de vérité au sein des productions médiatiques

Mémoire

Luc Beauchesne

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Luc Beauchesne, 2015

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III

Résumé

Ce mémoire présente le travail de réflexion qui a conduit à la création d’une œuvre nommée Frontières quotidiennes. La recherche prend pour thème initial le quotidien d’un artiste. Par une série de questions, l’auteur s’interroge sur la notion de vérité en art. Il passe en revue les étapes de création de son projet, de l’idée à l’exposition. Il positionne son travail en relation avec d’autres œuvres réalisées par des artistes ayant une grande renommée.

En conclusion, ce mémoire révèle la vérité. Elle tient au fait qu’il existe de multiples vérités. Les artifices mis en place par l’artiste dans son projet amènent le spectateur à construire un moteur d’inférence qui oriente sa perception et son interprétation du réel. L’auteur incite le spectateur à porter un regard critique sur les images numériques qui lui sont soumises par les médias actuels.

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V

Table des matières

Résumé ... III Table des matières ... V Table des illustrations ... VII Remerciements ... IX Notes : ... XI

Introduction ...1

Qu’est-ce que c’est ? ...1

La physicalité du dispositif ...1 L’affiche ...1 L’atelier ...2 Le lieu ...5 Durée ...7 Ternissage ...8 Les propos ... 10 Développement ... 13

Où trouverons-nous les frontières quotidiennes ? ... 13

Est-il vrai qu’une personne peut sculpter des pipes toute sa vie ? ... 19

La vie peut-elle être une œuvre? ... 23

Quelle est la vérité? ... 31

Cinéma ... 33

Conclusion ... 41

L’artiste est vrai ... 41

Annexes ... 43 Annexe I - Documentation ... 43 Site ... 43 Récit ... 43 Médiagraphie ... 43 Annexe II - Bibliographie ... 45

Annexe III - Revue de presse ... 47

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VII

Table des illustrations

Figure 1 : L’affiche ... XIII

Figure 2 : L’atelier ...2

Figure 3 : Prototype initial ...3

Figure 4 : Première version expérimentale ...3

Figure 5 : Dispositif final ...3

Figure 6 : 8e écran ...3

Figure 7 : Vue de l’intérieur ...4

Figure 8 : Vue des installations audio-visuelles cachées ...4

Figure 9 : Exposition Nouakchott ...5

Figure 10 : Frontières quotidiennes (version 1.0) ...5

Figure 11 : Université Laval (Version 2.0) ...6

Figure 12 : Université Laval (de face) ...6

Figure 13 : Centre d’éducation des adultes du Chemin-du-Roy ...6

Figure 14 : Centre d’éducation des adultes du Chemin-du-Roy (2) ...6

Figure 15 : Université du Québec à Trois-Rivières ...6

Figure 16 : Université du Québec à Trois-Rivières (2) ...6

Figure 17 : Galerie l'Oeil Tactile ...6

Figure 18 : extrait de vidéo dimanche ...8

Figure 19 : extrait de vidéo la nuit ...8

Figure 20 : extrait de vidéo en train de peindre ...8

Figure 21 : Frontières quotidiennes - récit dialogique d'une œuvre ... 10

Figure 22 : Le mouton du Petit Prince ... 11

Figure 23 : Premier schéma du projet ... 11

Figure 24 : Conférence ... 11

Figure 25 : Conférence (2) ... 11

Figure 26 : Projet d'affiche Frontières de la vie... 28

Figure 27 : Voiture volante ... 37

Figure 28 : Image en direct du pont Laviolette à Trois-Rivières... 38

Figure 29 : Image en direct du mât principal du bateau Esperanza de Greenpeace ... 39

Figure 30 : Image en direct sur la rue William, New South Wales, Sydney, Australie ... 39

Figure 31 : Bombe à Boston 2013 ... 40

Figure 32 : Bombe à Boston 2013 (2) ... 40

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IX

Remerciements

Je tiens à remercier ma directrice de maîtrise, Jocelyne Kiss, pour son soutien dans ma quête de connaissance en arts visuels.

Pour l’influence que son travail et son amitié ont eue sur moi, je remercie Philippe Boissonnet

Pour sa présence, je remercie, Hélène Bonin

Ces trois années d’études m’ont permis de rencontrer des artistes formidables qui, comme moi, étaient à la recherche d’un art qui s’exprime, d’un art d’être et je les remercie également.

Merci à ces professeurs qui m’ont aidé à penser et produire ce mémoire. Merci Jacques Perron, Julie Faubert, Alexandre David et Marie-Christiane Mathieu. Merci à ma famille pour leur soutien indéfectible, particulièrement à ma fille Aude et ma conjointe Marie-José.

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XI

Notes :

Ce mémoire qui décrit ma recherche en arts visuels a 4 annexes. Si certaines informations sont disponibles dans ce document, d’autres ne peuvent l’être. Exemples : À l’annexe I – Documentation réfère à la documentation en ligne disponible et à un récit écrit en parallèle à ce mémoire. On peut télécharger ces documents sur le site web de Frontières quotidiennes. Bien qu’en général je fasse mes références en bas de page, la bibliographie d’autres livres, articles et sites web ayant été utilisés dans ma recherche est présente en annexe II. À l’annexe III, les liens hypertextes de la revue de presse sont actifs. Concernant l’iconographie de l’annexe IV, j’ai mis l’image d’œuvres, d’artistes auxquels je fais référence dans ce mémoire. Elles sont mises en fin de document et notées avec des chiffres romains, pour ne pas alourdir la mise en page du mémoire. Finalement, le document comporte 33 illustrations (Figure 1 à 33). Ces illustrations permettent au lecteur de mieux imaginer et comprendre l’œuvre, l’installation, la performance… Selon son interprétation.

Bonne lecture

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XIII

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1

Introduction

Qu’est-ce que c’est ?

C’est une œuvre, un projet, un travail… Un dispositif.

Tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. 1

Le dispositif de Frontières quotidiennes se décrit en cinq parties, la physicalité, le lieu, la durée, le ternissage et les propos.

La physicalité du dispositif

J’ai fabriqué d’abord une affiche et cette dernière était au départ le seul objet constituant mon travail de maîtrise. Les autres constituants décrits ci-après se sont ajoutés pour consolider mon idée de performance. Je passe en revue ces

éléments que sont l’atelier, le lieu, la durée, le ternissage et les propos (conférences).

L’affiche

Fortement influencé par les performances de Tehching Hsieh, le premier élément du dispositif est une affiche (figure 1). Cette affiche propose 5 performances. À titre d’exemples :

1- Pendant 365 jours, je répondrai à l'appel de mon ordinateur sur mon iPhone à 8760 occasions et serai présent dans un délai de 3 minutes pour qu'il prenne une photo numérique de moi dans mon atelier.

(Hommage à Tehching Hsieh)

2- Je m’enfermerai dans mon atelier pour peindre un mouton pendant 7 jours, au cours desquels je serai filmé par 3 cameras 24h sur 24.

(Hommage à St-Exupéry)

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2

L’atelier

(figure 2)

C’est cette 2e performance qui a été « chosifiée ». Cela a pris une année entière

à construire la performance. Pas tant construire la situation, mais l’organisation matérielle pour la réalisation. Il fallait construire un lieu physique pour filmer la performance (espace de 12’ X 8’, la disposition des caméras, le matériel pour filmer, monter et projeter). Mais encore plus important, un dispositif d’émission de la performance qui soit en accord avec mon propos.

Figure 2 : L’atelier

Au début du projet, le prototype avait sept écrans (figures 3-4), symbolisant les sept jours de la semaine. Le huitième écran (figures 5-6) est apparu à la suite de contraintes techniques ne me permettant pas de présenter la vidéo de 24 h et surtout d’assurer la fiabilité du système pendant 14 jours en ligne. En modifiant la technique de diffusion, cela me permettait d’installer des caméras de surveillance dans mon système.

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3 Techniquement, projeter 7 vidéos distinctes sur 7 écrans différents représentait un défi technologique. De plus, créer des vidéos qui simulaient 168 heures d’activités de vie d’artiste en train de peindre… C’était également un défi.

Sur le même écran, il y a 3 fenêtres, 2 d’entre elles sont des caméras en direct et l’autre est la projection d’un film de 24h.

Figure 3 : Prototype initial Figure 4 : Première version expérimentale

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4

L’atelier a également une porte qui est barrée pendant les 7 premiers jours d’exposition, ensuite elle est ouverte. À l’intérieur on ne peut pas voir la mécanique audio-visuelle. (Figures 7-8)

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Le lieu

Cet atelier a été exposé dans 6 lieux différents. (Figures 9-17)  Université Laval, Atelier du roulement à billes, avril 2012  Université de Nouakchott, Mauritanie, juillet 2012

 Université Laval, Québec, Pavillon de Koninck, du 31 mars au 12 avril 2013

 Centre d’éducation des adultes du Chemin du Roy, Trois-Rivières, Place d’accueil, du 14 avril au 26 avril 2013

 Université du Québec à Trois-Rivières, Hall du pavillon Albert Tessier, du 2 juin au 13 juin 2013

 Galerie L’Oeil Tactile, Trois-Rivières, juin et juillet 2014

Figure 10 : Frontières quotidiennes (version 1.0)

Atelier du roulement à billes

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6

Figure 11 : Université Laval (Version 2.0) Figure 12 : Université Laval (de face)

Figure 13 : Centre d’éducation des adultes du Chemin-du-Roy Figure 14 : Centre d’éducation des adultes du Chemin-du-Roy (2)

Figure 15 : Université du Québec à Trois-Rivières Figure 16 : Université du Québec à Trois-Rivières (2)

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7 Le dispositif doit physiquement privilégié un lieu public à une galerie pour l’exposition. La fréquentation quotidienne d’une galerie d’art se réserve au personnel de la place. Généralement limité à quelques personnes, Frontières

quotidiennes gagne à être placé dans un lieu public. De cette façon il a interpellé

plus de spectateurs dans leur quotidien (2000 à 3000 observateurs à l’Université Laval, plus de 1500 au CEACR et autant à l’Université du Québec à Trois-Rivières).

S’il y a surprise lors de l’apparition du projet subitement un lundi, l’évolution du processus suscite la curiosité, chaque jour. La réalité simulée au quotidien crée une attente de dévoilement.

Durée

L’exposition dure deux semaines. Dans la première semaine, tous les soirs à 23 h 59, un écran diffuse les extraits de la journée (7 jours, 7 écrans). L’écran no 8 diffuse trois fenêtres. Deux d’entre elles projettent les images diffusées par deux caméras et le spectateur se voit en direct sur l’écran. La troisième fenêtre présente à l’insu du spectateur, un film de 24 h où l’on voit l’artiste dans son atelier (figures 18-20). Lorsqu’il est 7 h 00 du matin, l’artiste déjeune, à midi, il dîne, à 10 h, il peint, il lit ou il est à l’ordinateur. La nuit, l’artiste dort. La présentation des trois fenêtres laisse supposer que l’action dans le cube est réellement en train de se produire. Le dispositif fonctionne très bien. Cette période de sept jours, dite performative, permet aux spectateurs de réfléchir et de vivre sur une longue durée l’expérience Frontières quotidiennes et prolonger sa réflexion. La durée étant relativement intéressante (7 jours) et l’évolution fenêtre par fenêtre permettent à l’objet de ne pas se confondre dans le décor. C’est, pour la durée de la première semaine du projet, une activité dans le temps, une performance.

Lors de la deuxième semaine, les 7 écrans des 7 jours sont en activité. On voit dans les extraits du dimanche l’installation, dans les extraits du samedi suivant la désinstallation. Puis dans les autres journées, des extraits variés : peindre, manger, dormir, lire, écouter… Une apparence de routine, de solitude, d’intimité comme me l’ont rapporté certains spectateurs. Sur le 8e écran, il y a toujours les

deux caméras extérieures et le film de la 3e fenêtre est remplacé par une caméra à

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8

une période comparable à l’exposition de la documentation d’une performance. Les questions des spectateurs se transforment, mais persistent. « L’a-t-il vraiment fait la semaine dernière ? L’a-t-il vraiment fait dans une boite aussi petite ? Est-il assez fou pour faire cela ? » Les questions sont nombreuses !

Figure 18 : extrait de vidéo dimanche Figure 19 : extrait de vidéo la nuit Figure 20 : extrait de vidéo en train de peindre

Les gens se sont questionnés sur le fait que l’artiste soit vraiment à l’intérieur, sur la possibilité de réellement voir la peinture d’un mouton à la fin du processus. Fait étonnant, si, tout au long de la première semaine, les gens étaient curieux de voir l’intérieur, ils hésitaient à entrer lorsque la porte s’est ouverte.

Ternissage

De façon traditionnelle, on fait un vernissage pour une exposition, on invite à une soirée performance, mais Frontières quotidiennes devait faire autrement. Inviter les médias, les collègues, les acteurs du milieu de l’art alors qu’il n’y a rien à voir (un seul écran), alors que l’artiste pour soutenir le subterfuge devrait se cacher… Il fallait alors « Ternir » c'est-à-dire baisser les projecteurs sur l’œuvre, finir le projet. On invite le public après la réalisation, lorsque le projet est entièrement déployé. Là, je peux être sur place et répondre aux questions.

À l’Université Laval, je croyais être seul sur place avec ma fille et ma directrice de recherche ! Mais lorsqu’à 17 h précise, les classes se sont ouvertes et que près de 200 personnes sont sorties des classes pour la pause… Il devenait évident que des milliers de personnes avaient vu le dispositif.

Non sans timidité, certaines personnes sont venues m’interroger. « Étiez-vous vraiment là ? Nous avez-vous vus avec les caméras ? » La plus pittoresque des interventions fut celle d’une jeune fille qui dit : « Monsieur, je vous en prie,

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dites-9 moi que vous étiez là ? J’ai dit à tout le monde que vous y étiez ! » J’ai répondu : « Tu peux dire aux autres que métaphoriquement, oui j’y étais. Oui, je vous ai vu par les caméras, même de Trois-Rivières. Et de plus, à chaque sortie de cours en quelque sorte, je me trouvais devant toi ? Mais concrètement, étais-je enfermé là, non. »

Il y a une étudiante qui ne voulait pas vraiment savoir si j’y étais ou non. Pour elle j’y étais ! Elle m’a demandé si cela avait été difficile de vivre cette épreuve… Ma réponse fut : « Non ! » Elle s’est retournée et elle est partie.

Les gardiens de sécurité ont été des spectateurs privilégiés. Après avoir lu l’affiche, l’un d’entre eux demande : « Allez-vous dormir là ce soir ? » Je lui ai répondu : « Parce que vous êtes gardien de sécurité, je dois vous dire que non. Mais c’est un secret entre nous… Les autres pourront croire ce qu’ils veulent. » Il y a tout de même un des gardiens, m’a-t-on rapporté, qui est retourné pendant sa tournée au poste central pour dire : « Hé ! Les gars, on a un problème, il y a un étudiant qui dort dans sa cabane en haut. » De plus, il a cru réellement que le jour, puisque c’était permis, je passais la journée dans mon atelier.

À Trois-Rivières, la situation était différente. J’y travaille, je suis connu par la clientèle. Ma vie d’enseignant s’est poursuivie. Certains ont dit : « comment ça se fait, tu n’es pas dans ta cabane, toi ? » On entendait dans les corridors : « C’est lui, tu vois, il n’est pas dans la boite. » Ceux qui me connaissaient m’interrogeaient, plusieurs ne comprenaient pas. Dans la première semaine, on a limité les explications, en leur suggérant de passer tous les jours et de dire ce que « eux » voyait dans ce projet. Les réflexions ont été enrichissantes.

Présentée à l’occasion de la semaine de lecture, l’œuvre a été expliquée à travers un récit que pour vulgariser mon travail : Frontières quotidiennes, Le récit

dialogique de l’œuvre2. (Voir annexe I)

2 Avant même de chosifier l’hommage à St-Exupéry, j’avais écrit un récit, un dialogue entre ma fille

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Figure 21 : Frontières quotidiennes - récit dialogique d'une œuvre

Les propos

L’exposition Frontières quotidiennes chosifie une des performances énoncées sur l’affiche, l’hommage à St-Exupéry. Dans le conte, Le petit prince, l’auteur, Antoine de St-Exupéry, met en scène un personnage qui lui demande de lui dessiner un mouton. Pour chaque dessin qu’il lui présente, le mouton ne convient pas. C’est à partir de ce concept que j’ai imaginé cette performance. Il y avait une analogie possible entre ce concept et ma performance. Autant St-Exupéry soustrayait le jugement de l’image par sa boite, autant je pouvais, par mon dispositif, soustraire l’œuvre peinte pour présenter un processus et la quotidienneté (figures 22-23).

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11

Figure 22 : Le mouton du Petit Prince

« Ça c'est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans »3

Figure 23 : Premier schéma du projet

Lors du ternissage du 24 avril 2014, j’ai donné une conférence (figures 24-25). Je me présentais, non pas comme professeur, ni comme artiste, mais comme écrivain. Dès le départ de ce projet de maîtrise, je désirais communiquer ma recherche d’une façon plus accessible. Dans le contexte d’une conférence publique à l’éducation des adultes (clientèle de moins de 25 ans, peu sensibilisée à l’art visuel), il fallait éviter la rédaction d’un texte trop aseptisé, trop scientifique pour expliquer ma recherche de maîtrise en arts visuels. J’ai utilisé Frontières

quotidiennes - récit dialogique d’un œuvre pour vulgariser ma recherche.

J’y ai abordé sommairement, les mêmes propos que dans ce mémoire, à savoir, la vérité dans l’œuvre, l’incidence des nouvelles technologies dans la perception des images médiatiques ou artistiques et les artistes m’ayant inspirés.

Figure 24 : Conférence Figure 25 : Conférence (2)

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13

Développement

Où trouverons-nous les frontières quotidiennes ?

Choisir un titre pour un travail revêt toujours un certain charme. Le titre étant souvent le porte-parole du travail de l’artiste, la formule courte qui cherche à intéresser un spectateur, à l’inciter à venir voir. C’est parfois beaucoup plus. Duchamp avec Fontainei en afait la preuve. Le titre devenant un modificateur de

perception de l’objet. Même que l’absence de titre est un choix d’artiste qui renvoie le spectateur directement à l’œuvre plus qu’à une forme d’interprétation intellectuelle.

À cet égard, le terme frontière fait appel autant au sens propre de bordure territoriale qu’au sens figuré, comme la proximité, les limites. (Frontière d’un lieu, franchir la frontière du réel, des ténèbres, de la vie…) Quant au mot quotidien, il est issu des mots latins quotus, (chaque) et diurnum, (jour). L’ancien français a gardé pour nommer les jours le di, comme dans lundi, mardi, mercredi… Le quotidien marque le temps. On s’entend donc pour parler d’un dispositif dont le propos est la durée, le flux, le rythme. Donc le titre invite le spectateur dans un lieu limitrophe dont la constituante est une durée. Frontières et quotidiennes étant deux termes antinomiques.

Ce mémoire de maîtrise porte sur les concepts de vérité, de représentation, de

performance, de quotidien et sur le processus qui a conduit à mettre ces

concepts en relation. Ces concepts sont chosifiés dans une installation et conduisent le spectateur à faire l’expérience d’une œuvre actuelle qui interroge le travail d’un artiste dans sa quotidienneté. L’œuvre veut aussi côtoyer cette frontière numérique4 qui s’offre aux citoyens du monde par le biais des

technologies de l’information et des communications.

4 On utilise ici le terme frontière numérique car à l’instar des frontières physiques qui délimitaient

autrefois notre société (distance, territoire, matérialité et autres), les gens sont des plus en plus exposés en temps réel à des informations, des images et des sons en provenance de lieux inaccessibles.

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14

Ce mémoire devrait répondre à la question : cette œuvre est-elle vraie ? «Seule est vraie d’une vérité intrinsèque la chose faite selon l’art»5. Reste à déterminer

maintenant si le concept de vérité fait référence à l’exactitude, la fidélité de l’élément représenté, ou bien cette idée renvoie-t-elle à la sincérité de l’artiste ? Ma définition de la vérité n’est pas celle qu’on jure de dire, ou celle dont le sens contraire serait le mensonge. C’est la vérité telle que Picasso l’exprimait : « Si je cherche la vérité dans ma toile, je peux faire cent toiles avec cette vérité. »6

En quel sens important et souvent négligé existe-t-il plusieurs mondes ? Une chose est claire: la question traitée n'est pas celle des mondes possibles que forgent et manipulent beaucoup de mes contemporains, surtout quand ils habitent près de Disneyland. Nous ne sommes pas en train de parler des multiples solutions possibles de remplacement d'un unique monde réel, mais de la multiplicité des mondes réels. […]

[…] les œuvres d'art détruisent le mythe d'un «monde» ou d'une «réalité» conçus, représentés, sans considération des modes de description ou de dépiction, des modalités d'ajustement et d'agencement qui sont au cœur de toute symbolisation.7

La vérité sera donc celle que chaque spectateur voudra bien voir.

Les premières fois que l’affiche a été présentée, personne n’avait de doute quant à la sincérité de l’engagement. De nombreuses expériences de communication avec des proches ou des étrangers m’ont permis de croire que l’on ne mettait pas en doute la sincérité, le courage ou la détermination de l’artiste, peut-être parfois sa santé mentale, mais… On s’interrogeait sur la faisabilité d’un tel projet. On s’interrogeait sur la valeur artistique de ce projet. On s’interrogeait donc sur l’exactitude, la fidélité des cinq engagements écrits sur l’affiche.

5 Souriau, Etienne, et Anne Souriau. Vocabulaire D'esthétique. 1. Éd. ed. Paris: Presses

Universitaires De France, 1990.

6 Citation de Pablo Picasso notée par Florence Demèredieu dans la thèse de Béatrice Tozzi,

Tozzi , Béatrice , Art et Pouvoir. Entre soumission et résistance. Évolutions…, L’UNIVERSITÉ PARIS 8, obtenu en ligne mai 2012,

http://1.static.e-corpus.org/download/notice_file/849439/TozziThese.pdf

7 « Nelson Goodman à rebours, L’art et la philosophie sécularisés », James, William, consulté le 17

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15 Pour le néophyte en art, pour celui qui ne connait pas la performance, comme spectateur, c’était troublant face à l’affiche et devant ce concept de « performance » dans mon travail. Alors je définis la performance ainsi :

… une pratique, attestant d’une manière de se concevoir en artiste agissant dans le monde, la performance transgresse les catégorisations par disciplines artistiques. Elle se manifeste volontiers de manière fulgurante. Elle ne cherche surtout pas à constituer une œuvre, ni même parfois à laisser la moindre trace. L’insaisissable participerait de sa définition même.8

Voici donc un spectateur qui s’interroge quant à cinq performances. Elles sont possibles physiquement, mais sont-elles réalisables ? À la lecture de la 5e

performance, souvent le spectateur sourit.

5- Finalement, performance à vie ! Je m'engage à sculpter des pipes, 365 jours par année, jusqu'à la fin de mes jours.

(Hommage à Magritte) »

À ce moment de lecture, le spectateur intellectualise le propos. Même s’il n’a pas tout compris de la complexité du travail de recherche, je devine, à son sourire, qu’il a compris en partie le « jeu de faire-semblant » de ce projet. Gérard Genette utilise le terme de transcendance pour évoquer ce niveau de compréhension. « [La transcendance rend compte de] la dépendance et donc la variabilité contextuelle (selon les époques, les cultures, les individus et, pour chaque individu, les occurrences) de la réception et du fonctionnement des œuvres »9.

Le spectateur est transcendé à la lecture de l’affiche, est transcendé en voyant l’écran où se déroule l’action dites réel (un montage où l’artiste peint, mange et dort), et son action, sa présence en temps réel mais représenté sur un écran. En art, au 20e siècle, des artistes tels que René Magritte, George Braque et

Pablo Picasso ont travaillé pour libérer l’art de son cadre d’expression véridique,

8 « Qu’est-ce que la performance? », Mayen Gérard, pour le Centre George Pompidou, consulté le

12 décembre 2011, http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Performance/index.html

9« Genette ou Gouodman, ou la transcendance dans l’œuvre littéraire », D. Martel, Marie, conslté le 12 décembre 2014, https://sopha.univ-paris1.fr/fichiers/pdf/2003/17_martel.pdf

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16

réaliste, pour explorer des représentations plus expressives ou symboliques. Autrefois, le rôle de l’artiste fut de révéler la vérité à l’aide de la perspective, à la renaissance par exemple ou par les portraits, les paysages peint au 19e siècle

(avant l’apparition de la photographie), seul moyen alors d’obtenir une image exacte de la vérité. Les mouvements avant-gardistes du 20e siècle (cubisme,

fauvisme, surréalisme et autres) auront cherché à redéfinir l’art et ce lien avec la vérité en excluant la seule reproduction du monde visible de l’art. La notion de vérité a évolué à travers les siècles. Plus près de nous encore, Kendell Walton utilise une analogie entre les jeux d’enfants (leurs jeux de fiction) pour anticiper les situations du monde réel et les rendre familières (qu’il appelle une « propédeutique au réel ») et les jeux des artistes, qui ne conduisent pas au réel, mais à une fiction dont le spectateur est un accessoire réflexif qui produit des vérités à propos de lui-même. »10

La fin du 20e siècle et ce début du 21e voient naître des formes d’expressions

artistiques qui remettent en question la physicalité des œuvres. Christian Ruby utilisera le terme art d’inférence11 pour nommer ces formes d’expression qui

résident particulièrement dans le vécu du spectateur.

L’inférence est une opération logique qui consiste à admettre une vérité en vertu de sa liaison avec d’autres vérités déjà admises.

L’œuvre contemporaine nous renvoie le plus souvent à un art sans objet sensible nécessaire (décept), héritant du dénouage moderne du triangle classique (artiste, œuvre, spectateur)…. C’est un art de l’inférence qui engendre des situations dans lesquelles les spectateurs entrent en liaison et doivent apprendre à concevoir d’autres modes d’existence. 12

Le premier contact qu’a le spectateur avec le travail réalisé dans le cadre de ma maîtrise dure près d’une minute (lire l’affiche, regarder la boite). Le dispositif mis

10 Walton, Kendall L. Mimesis as Make-believe: On the Foundations of the Representational Arts.

Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1990. p. 242

11 « Banque de PDF de Christian Ruby », consulté en janvier 2011,

http://www.banque-pdf.fr/fr_christian-ruby.html

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17 en place amène le spectateur, malgré lui, à être transporté d’un art-vérite13 à un

art-représentation14 très rapidement. Frontières quotidiennes se veut un travail

qui incarne la vérité au 21e siècle. La vérité sur le travail d’un artiste au quotidien.

S’est-on vraiment affranchi de l’emprise des normes esthétique du beau dans l’art ? Plus de cent ans après les premiers peintres d’avant-gardes, avec une technologie en perpétuelle révolution, le spectateur est-il mieux qualifié en termes de jugement de l’art ? Est-il plus confronté à une crédulité réaliste qu’à une imagerie artistique ?

Selon Nathalie, l’art contemporain n’est pas simplement un genre, comme le sont le cubisme ou la renaissance, mais bel et bien un paradigme à part entière. Le spectateur n’aurait donc pas à être affranchi, mais bien comprendre qu’il est désormais exposé à une toute nouvelle forme d’expression de l’art.

L’art contemporain effectue une « rupture ontologique des frontières de ce qui était communément considéré comme de l’art »15. Autrement dit, une rupture

opérée entre le paradigme de l’art moderne et le paradigme de l’art contemporain a révolutionné la notion même d’art, c’est-à-dire la façon de le penser, de le concevoir, de le montrer, de le distribuer et de le percevoir. En art contemporain, « l’œuvre d’art ne réside plus dans l’objet proposé par l’artiste »16.

Si dans les paradigmes classique et moderne, l’œuvre était la finalité et représentait la personnalité de l’artiste ainsi que sa sensibilité et même son intériorité, avec l’art contemporain, c’est le jeu avec les limites, avec les cadres institutionnels, avec l’espace d’exposition et même avec le temps qui est générateur de nouvelles formes

13 Terme utilisé par Béatrice Tozzi qui indique qu’à une certaine époque, les œuvres peinte étaient

synonyme de représentation du vrai.

Tozzi Béatrice, Art et Pouvoir. Entre soumission et résistance. Évolutions…, L’UNIVERSITÉ PARIS 8, obtenu en ligne mai 2012,

http://1.static.e-corpus.org/download/notice_file/849439/TozziThese.pdf, p.104

14 J’utilise ce terme pour expliquer le passage entre l’aspect crédible de mon engagement d’artiste

à représenter le vrai vérité) et le propos intellectuel de la démarche artistique (art-représentation)

15 Heinich, Nathalie, Le paradigme de l'art contemporain. Structures d'une révolution artistique,

Paris, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences Humaines », 2014, p.49

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artistiques. Si le paradigme moderne cultive les sensations ainsi que l’élévation spirituelle, le paradigme contemporain cultive quant à lui les distances (que celles-ci soient physiques, juridiques ou encore morales), l’intégration du contexte, les différentes contraintes étant vécues comme des limites sinon à transgresser du moins à franchir et à dépasser.17

L’expérience de Frontières quotidiennes veut amener le spectateur à cette limite souhaitant qu’il soit exposé à ce nouveau paradigme d’œuvre d’art qui côtoie leur quotidienneté.

17 « Nathalie Heinich, Le paradigme de l’art contemporain. Structures d’une révolution artistique »,

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Est-il vrai qu’une personne peut sculpter des pipes

toute sa vie ?

Pourquoi pas. Il y a des personnes à Trois-Rivières qui ont fabriqué du papier toute leur vie. D’autres personnes, passionnées par leur profession, l’exercent toute leur vie. Des enseignants, des menuisiers, des avocats et autres font des activités, parfois routinières, banales et parfois stimulantes ou vivifiantes pendant de nombreuses années, voire une vie!

La question est donc, dans l’énoncé suivant, «Finalement, performance à vie ! Je m'engage à sculpter des pipes, 365 jours par année, jusqu'à la fin de mes jours.», l’artiste dit-il la vérité?

Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité est un serment par lequel un témoin promet de dire tout ce qu’il sait d’utile et de ne pas mentir. Faire une œuvre et faire un serment sont deux actions, selon toute vraisemblance, qui n’ont aucun rapport. Pourtant la peinture demeurait tout de même à une certaine époque le seul art-vérite, la seule documentation possible. Mais bien que l’artiste possédait la dextérité permettant de transmettre fidèlement une scène, un événement, un paysage, il possédait également le talent pour modifier, adapter la représentation afin de mieux servir la finalité proposée par son projet.

Pensons aux techniques d’anamorphisme utilisées par Michel-Ange pour peindre la coupole de la basilique Saint-Pierre de Rome. Pensons aussi au tableau de David Le Sacre de Napoléonii qui selon certaines interprétations ne pouvait pas être autrement qu’une œuvre de propagande napoléonienne18. C’est donc dire

que le travail d’un artiste ne consiste pas à faire un serment sur une vérité, mais d’adapter la vérité afin de servir sa cause.

À la fin du 19e siècle, avec l’apparition de la photographie, on a cru que ce

moyen de reprographie pourrait être cette image-vérité. Pourtant, force est de constater qu’avec le photomontage, les trucages, la scénarisation et autres

18 Tozzi Béatrice, Art et Pouvoir. Entre soumission et résistance. Évolutions…, L’UNIVERSITÉ PARIS 8,

obtenu en ligne mai 2012,

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20

moyens de plus en plus sophistiqués, nous sommes de plus en plus loin de la vérité. Même, ce que l’on nomme la téléréalité prétend présenter la vraie vie alors qu’un réalisateur « Big Brotheriii »19 gère le matériel pour faire un bon

spectacle. La vérité n’est donc pas la fidélité à ce que l’on voit.

Le mensonge vient du fait que ces séries tiennent autant de la fiction que du réel, alors qu'elles sont publicisées comme relevant de la pure réalité. […] On dit aux spectateurs qu'ils vont voir de la réalité, mais on leur montre des émissions construites, mises en scène, où les acteurs (beaux et jeunes) ont reçu une formation au moins minimale pour jouer devant la caméra. […] Or, le téléspectateur ne regarde pas de la même façon quelque chose qu'il sait être de la fiction et un fait qu'il croit être vrai. Les émotions ne sont pas les mêmes devant les images d'une tour qui s'effondre un 11 septembre et celles d'un édifice en feu dans un film d'horreur.

[…]

Vont-elles durer ? Chose certaine, pour maintenir l'intérêt, elles devront aller de plus en plus loin dans ce qu'elles montrent, […] les gens vont devenir blasés. Quand les téléspectateurs ont été habitués de voir des images d'enfants mourants en Éthiopie, il a fallu leur dire que les soldats violaient les mères pour ressusciter l'intérêt. […] Jusqu'où ira-t-on dans l'intimité des participants? Difficile à prévoir…20

En faisant allusion à « Big brother », je tiens à préciser que je n’utilise pas cette métaphore pour décrier la représentation de l’État policier et de la perte des droits individuels. « Big brother is watching you » est devenu une façon de dénoncer les systèmes de surveillance (vidéo, voyeurisme, etc.) Personnellement, je suis préoccupé par les possibilités incroyables que permettent les nouvelles technologies. Le dispositif de Frontières quotidiennes incite les gens à poser un regard critique sur les images qui transitent sur leurs écrans (ordinateur, télé, iPad, iPhone et autres).

19Big Brother est un personnage de fiction du roman 1984 de George Orwell. Il est le chef du « Parti », donc de l'État d' « Océania », et il est aussi le grand surveillant, omniprésent par les affiches et les « télécrans » des domiciles privés, ce que rappelle la maxime officielle Big Brother is watching you. La propagande veut que Big Brother soit le créateur du parti, ainsi que le héros d'innombrables exploits révolutionnaires

20 « LA TÉLÉ-RÉALITÉ: VÉRITÉ? MENSONGE? », Beaucher Serge, Contact, consulté septembre 2011,

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21 Le « Big brother » de Frontières quotidiennes n’est pas un despotique manipulateur, mais un artiste outillé pour créer des artifices, pour proposer de nouvelles vérités. « Le propre de l’art contemporain d’avant-garde, dans les arts plastiques, est de pratiquer une déconstruction systématique des cadres mentaux délimitant traditionnellement les frontières de l’art. »21

Voilà ce que propose le projet Frontières quotidiennes, des déconstructions mentales qui créent de multiples vérités. Pour certains spectateurs, les énoncés de performance sont de toute évidence des actions que l’artiste s’engage à faire, pour d’autres, de toute évidence des projets impossibles. Et entre ces deux pôles, il y a un immense univers de possibilité et d’interprétation qui deviennent des vérités.

21 « L'art contemporain exposé aux rejets : contribution à une sociologie des valeurs », Heinich,

Nathalie, consulté en mars 2012,

http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/14924/HERMES_1996_20_193.pdf;jsessi onid=A1338C71AF02A419D585E632E478A6D0?sequence=1

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23

La vie peut-elle être une œuvre?

Cette question nous renvoie à une question fondamentale : « Qu’est-ce qu’une œuvre d’art? » Ce n’est pas le propos de ce mémoire et assumons que chaque époque a vu cette question obtenir des réponses différentes. Des réponses propres aux artistes, aux critiques et aux spectateurs qui l’ont valorisée. « La frontière [pour définir une œuvre d’art] ne cesse d’être redéfinie et la course à la valeur semble sans fin »22

L'art contemporain […] transgresse la notion même d'œuvre d'art telle qu'elle est communément admise. Par exemple, l'œuvre ne sera plus faite de la main de l'artiste mais usinée par des tiers. L'acte artistique ne réside plus dans la fabrication de l'objet mais dans sa conception, dans les discours qui l'accompagnent, les réactions qu'il suscite... L'œuvre peut être éphémère, évolutive, biodégradable, blasphématoire, indécente.

[…] L'art contemporain est une invention permanente des manières d'expérimenter les limites ontologiques (la notion d'œuvre) et morales (la façon d'être de l'artiste). D'où la violence des réactions qu'il suscite.23

Plusieurs artistes consacrent leur vie à l’art. Certains artistes s’engagent dans une œuvre qui prend une vie. C’est parfois un engagement comme l’œuvre de Roman Opalka OPALKA1965/1-∞iv ou une façon de vivre comme Joseph Ferdinand

Cheval qui passa 33 ans de sa vie à édifier un palais qui se nomme Palais idéal.v Certaines expériences comme Food de Gordon Matta Clarkvi, Fluxus, par sa

forme d’art du vivantvii et d’autres artistes ont tenté dans les années 60 de

rapprocher l’art et la vie.

22 Heinich, Nathalie. Le Triple Jeu De L'art Contemporain: Sociologie Des Arts Plastiques. Paris: Les

Editions De Minuit, 1998.

23 "Mais Que Cherchent Les Artistes Contemporains ?" Bibliobs. Consulté le 15 janvier 2014,

http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20140404.OBS2770/mais-que-cherchent-les-artistes-contemporains.html.

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24

L'art a estompé la différence entre l'art et la vie. Laissons maintenant la vie estomper la différence entre la vie et l'art

John Cage24

Pour traiter du quotidien, pour questionner la vie et l’art, j’ai fait le choix d’utiliser la performance, de situer l’action dans le temps, de sacraliser les gestes anodins en œuvre d’art, d’abolir les frontières des galeries d’art, de faire de l’art dans des lieux publics, de me rapprocher des gens. Ce sont des éléments qui caractérisent le travail de ces artistes qui ont expérimenté le rapprochement entre l’art et la vie.

C’est le travail de Tehching Hsiehviii, One year performance25 qui a grandement

influencé ma recherche de maîtrise. Brièvement, ses engagements de 365 jours à vivre et penser, enfermé dans une cage dans son atelier, à vivre et prendre une photo à toutes les heures dans son atelier, à vivre attaché à une autre personne et ses autres performances m’ont incité à réfléchir à l’engagement d’un artiste, à la performance comme expression artistique et à la représentation que l’on construit pour garder la trace du geste performatif.

J’ai trouvé que cet artiste avait réussi, en 6 performances, à résumer le travail d’une vie. À mes yeux, il avait su représenter les grandes lignes des contraintes liées à la vie quotidienne. Je reconnaissais dans ce travail, à la fois le courage et l’abnégation nécessaire à la réalisation de son projet. Je reconnaissais la pertinence et l’efficacité du moyen utilisé pour exprimer son idée, soit la performance. Finalement, j’ai apprécié, au plus haut point, la documentation qui m’a permis de connaître son œuvre.

De l’abnégation! Passer un an, sans communiquer (sans parler, sans écrire, sans lire, sans écouter la radio ou la télé), confiné dans une cage à se contraindre finalement à une seule activité… Réfléchir ! Peut-être aussi, à méditer, prier ou expier, le détail de ce qui se passait réellement dans la tête de

24 « Fluxus à Saint-Etienne : Quand L'art Se Voulait Joyeux - France Inter. » France Inter. Consulté le

12 juillet 2013, http://www.franceinter.fr/blog-le-blog-de-christine-simeone-fluxus-a-saint-etienne-quand-l-art-se-voulait-joyeux.

25 « One year performance », Tehching Hsieh, consulté le 17 septembre 2012,

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25 Tehching Hsieh ne compte pas vraiment selon moi. Donc la vie est-elle une performance ? Personnellement dans l’art et la vie, bien que des artistes aient traité de ce propos, je reste sceptique sur la possibilité qu’une vie soit une œuvre. C'est évidemment une façon de voir la vie, l'idée est évidemment ici de mettre en scène son propre emprisonnement, son propre isolement, de manière à le rendre signifiant dans notre culture: voici une fonction de l'art, qui, somme toute, se résume quand même à une représentation.

Un premier niveau de lecture de ma performance en hommage à Hsieh, présente un engagement presque impossible.

1- Pendant 365 jours, je répondrai à l'appel de mon ordinateur sur mon iPhone à 8760 occasions et serai présent dans un délai de 3 minutes pour qu'il prenne une photo numérique de moi dans mon atelier.

(Hommage à Tehching Hsieh)

Être confiné à une cage imaginaire, prisonnier d’une distance de 3 minutes de mon atelier pendant 365 jours reste un défi humain et social ambitieux. Même si physiquement c’est possible, Hsieh l’a prouvé à sa façon dans les années 70-80, symboliquement, le lien entre le iPhone, l’ordinateur, l’appareil photo numérique et l’atelier représentent la version contemporaine de notre lien entre l’espace et le temps. Nous sommes tout autant confinés, malgré nous, à des liens numériques aussi réels que la cage, l’horloge poinçon et la corde de Hsieh. Lorsqu’on analyse le travail au niveau de la signification, Frontières quotidiennes parle des formes d’engagements et de contraintes contemporaines de la vie. Je nommais ce travail intellectuel de scénarisation de performance, de la perfo-fiction. Je connaissais peu la performance et je n’imaginais pas comparer mon travail à celui Joseph Beuys, Marina Abramovic ou Chris Burden. Mais dans ma recherche, j’ai découvert les travaux de Dan Graham, de Bruce Newman où la documentation et l’implication du spectateur dans la performance modifient la perception de l’œuvre. J’ai découvert des stratégies de la performance, qui favorise les démarches autofictionnelles, produisant de troublantes mises en scène imaginaires de leur propre réalité comme celles de Sophie Calle et Cindy Sherman.

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26

Au risque de créer avec Frontières quotidiennes un vide ontologique, je me réclame tout de même d’être un performeur. « La documentation qui accompagne les œuvres peut être à la fois documentaire et théâtrale. En général, la performance vise à établir un rapport direct entre l'artiste (poète, barde, chaman) et son public, ce sont des expériences vécues, à un moment précis, dont aucun document rétrospectif ne peut rendre un compte exact. »26 On

parle ici du « I’m on! ».27 Cependant, une performance peut tout aussi bien être

une fiction, une scénarisation, une reprise. Alors l’idée devient un instrument qui joue avec les affects d’un spectateur et ses représentations (par exemple, Saut

dans le videix de Yves Klein). Dans de telles conditions, la documentation est théâtralisée et devient partie intégrante de l’œuvre. Le statut ontologique de la documentation de ma performance, théâtralisée est essentiel dans ma démarche (l’affiche, l’installation, le récit narratif, les conférences…).

Donc ce qui apparait être une installation (boite de Frontières quotidiennes) est en fait la documentation d’une performance. Gordon Matta Clarke avait une façon particulière de mettre en valeur son travail par la documentation. Au même titre que la performance, ces « destructions d’habitations » étaient des œuvres éphémères et pour qu’elles puissent être révélées au public ultérieurement ou « out situ » c'est-à-dire ailleurs que sur les lieux mêmes de son intervention, il faisait des montages photographiques et même des installations qui devenaient elles-mêmes des œuvresx.

Il ne subsiste aucune œuvre in situ de Gordon Matta-Clark et pourtant il est devenu un des artistes marquants du XXe siècle. La documentation extraite de

son travail sert bien à sa notoriété, aujourd’hui. Les musées, les collectionneurs ont les archives physiques de ses travaux. Mais il faut aussi compter sur l’avènement de la technologie d’Internet comme véhicule promotionnel, comme moyen de diffusion et d’éducation à l’art. Le Net foisonne d'images des créations de Matta-Clark. Le désir marqué des artistes des années 60, de démocratiser

26 Auslander, Philip. Liveness: Performance in a Mediatized Culture. 2nd ed. London: Routledge,

2008.

27 Richard Bauman, A World of Others’ Words: Cross-Cultural Perspectives on Intertexuality,

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27 l’art, de sortir des musées et des galeries pour sensibiliser la population a atteint un paroxysme avec YouTube, la recherche d’image sur Google ou les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter. Pour Matta-Clark comme pour d’autres artistes des années 70, mettre en ligne la documentation produite à cette époque relève d’un transfert enrichissant et la diffusion par un nouveau média (numérique) de la documentation historique des faits augmente la portée de l’œuvre. Mais ces nouvelles possibilités de documentation et de diffusion sont désormais aussi des nouveaux moyens de production, de la dite documentation. Les logiciels Adobe Photoshop, Première, After Effects ne sont pas seulement des laboratoires de finition, ce sont des ateliers de production aux capacités extraordinaires. Il est possible de transformer les vérités.

L’évolution technologique des dernières décennies sert parfaitement les artistes de l’éphémère. Soyons rationnels, une performance sans laisser de traces peut-elle servir sa cause? L’éphémérité d’une œuvre est un leurre. Sans avoir un moyen concret de permettre à un spectateur la persistance mnémonique, il y a fort à parier que l’œuvre sombre dans l’oubli. À moins que la performance soit si notoire… Là encore, il m’est difficile d’imaginer une performance notoire au point de passer à l’histoire sans laisser de traces.

Bien sûr, si Marina Abramovic décide de faire une telle performance, sa notoriété à elle pourrait sans doute suffire à marquer les esprits. Mais quelle serait la persistance dans le temps de cette performance?

Par contre, les performances de Chris Burden, de Marina Abramovic, sont des actes marquants qui scandalisent les spectateurs, des transgressions de l’ordre humain naturel qui vont marquer l’imaginaire et offrir une persistance accrue du souvenir du spectateur.

Dans un manifeste de son cru exposant les règles auxquelles devraient répondre un artiste, Abramovic écrit ceci : « should not commiting suicide », mais « should suffer », car, selon elle, « From the suffering comes the best work »28

28 « Marina Abramović, définition d’un art nouveau », Roux, Marine, consulté le 3 mai 2013,

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28

Imaginons, qu’à la place d’étudier l’idée de la quotidienneté et l’art, je cherche à explorer les frontières de l’art et la vie. Qu’à la place d’énoncer des performances sur le quotidien, j’explore les frontières de la vie.

Figure 26 : Projet d'affiche Frontières de la vie

Il y a de fortes chances qu’avec une pareille affiche (Figure 26), je choque, je perturbe, je dérange et que je marque la mémoire d’un spectateur. Ce n’était pas mon intention. Mon tempérament n’est pas provocateur. Les énoncés de performance choisis dans le projet Frontières quotidiennes sont subtils et pas si choquants pour le spectateur qui regardera l’affiche. Je suis plus inspiré par des

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29 performances telles que Break Downxi de Michael Landy, la pharmacie de Hervé Ficher xii et La ligne vertexiii de Francis Alys. Ce sont des performances qui, à

mon avis, cherchent à faire réfléchir, elles sont à la fois humoristiques et symboliques.

Même si l’affiche fait partie du dispositif, cela ne serait pas suffisant pour marquer l’esprit du spectateur. L’affiche donne l’idée. L’affiche est un élément des plus importants du dispositif, mais selon moi je devais développer d’avantage le concept, pour que les performances proposent plus d’actions symboliques, pour marquer le spectateur.

Alors qu’on voit souvent le performeur comme un provocateur, je demeure un performeur fidèle à moi-même, un performeur éducateur, vulgarisateur, un penseur. Au même titre que des artistes conceptuels tels que Robert Morrisxiv,

Sol LeWittxv, Joseph Kosutexvi ou Bruce Naumanxvii mon projet réfléchit sur l’idée.

Plusieurs œuvres de ces artistes m’ont séduit parce qu’elles stimulaient mon intellect, parce que l’art conceptuel incite le spectateur à inférer et l’œuvre prend d’autres moyens pour toucher un spectateur. Frontières quotidiennes cherche à amener le spectateur dans un autre lieu que celui de la matérialité. C’est un énorme dispositif matériel (Affiche, cube de 4 m x 4 m, porte, écrans vidéo) qui conduit finalement à une réflexion sur les activités du quotidien. C’est parce qu’il serait impossible autrement d’assurer la persistance d’une idée que l’on doit la chosifier, la réifier.

Comment une idée pourrait-elle survivre sans l’écrire, la dessiner, la maquetter ? Alors, lorsque l’œuvre est une idée ou un geste comme une performance, le caractère éphémère de ces œuvres nécessite d’en enregistrer les traces pour qu’elles survivent dans le temps. Même les Actions-peu de Boris Archour29 xviii

sombreraient dans le néant de notre esprit, s’il n’y avait pas ces photos pour communiquer ces interventions artistiques sans œuvres, sans public et sans artiste.

29 « Actions-peu », Achour, Boris, consulté le 24 janvier 2013,

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30

Les performances énoncées dans Frontières quotidiennes une cage virtuelle (photos aléatoires dans l’atelier), qui somme toute, est l’idée de cette contrainte plus que la servitude à s’obliger à le vivre. Des engagements d’actions dans le temps qui sont aussi solides que des promesses électorales. On serait presque prêt à dire que dans ce projet tout est faux. Mais il ne faudrait pas perdre de vue que ce projet est une œuvre d’art. Notre société ayant eu son ère féodale jusqu’à son ère industrielle doit maintenant faire avec ce que Nicolas Négroponte nomme l’ère numérique30. Le corps comme nouveau matériel d’art pour le body

art et la performance dans les années 70 fait place à une nouvelle matière espace, corps et temps numérique. Cette nouvelle ère permet-elle une nouvelle forme de performance? Une performance numérique. (Figure de style de type personnification qui humanise la machine.) La performance étant traditionnellement le geste d’un artiste, est dans Frontières quotidiennes, un artifice mécanique qui simule le geste de l’artiste et l’évolution de l’œuvre dans le temps. Un panoptique31 moderne qui exerce une forme de surveillance sur la vie

d’un artiste, l’espace d’un temps (sa performance sur 7 jours), le simulacre32

d’une vie plus qu’une vie comme œuvre d’art.

30 Négroponte, Nicolas, L’homme numérique, Édition Robert Laffont, Paris, 1995

31 Se dit d’un emplacement d’où on peut tout voir sans être vu.

32 Illusion créée volontairement, terme également utilisé par le philosophe Jean Beaudrillard pour

définir art contemporain dans son livre Simulacres et simulation propos traité plus après dans ce mémoire.

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31

Quelle est la vérité?

Lorsque je présente à des néophytes en art les performances de Marina Abramovicxix, Chris Burdenxx, Andrea Fraserxxi, j’entends souvent le même

commentaire : « L’a-t-il vraiment fait ? » Frontières quotidiennes a fait l’objet de la même question. « Vas-tu vraiment le faire ? » Je réponds simplement : « Non, je n’ai pas besoin de le faire ! » Je donne comme exemple l’œuvre Voyageur

au-dessus de la mer de nuages de Caspar David Friedrich. S’est-on demandé en

1818, si le paysage de Friedrichxxii était réel ? Si ce voyageur avait vraiment

existé et si ce portrait était issu d’une vraie pose ? Non ! Magritte dans Trahison

des imagesxxiii dit bien: « Ceci n’est pas une pipe. », c’est la représentation d’une pipe. Les performances que Frontières quotidiennes proposent ne sont pas la vie, mais une représentation de la vie. Le terme représentation appartient à la philosophie esthétique. Il peut désigner une idée que l'on se fait sur le monde et elle exprime aussi le fait de communiquer cette idée, le fait de la placer devant les yeux de l'autre. Pour ce faire, il existe des modes de représentation, comme l’action ou l’image. Il est approprié de parler de représentation en art, je distingue mon travail de représentation de la vie par le terme artifice. Un terme emprunté au latin classique artificium soit habileté. Donc c’est un artifice utilisé pour simuler la vie dans l’atelier d’hommage à St-Exupéry.

Lors de la performance Mange ton placenta mon enfant, de Christine De Grootxxiv, l’importance ne réside pas dans le fait que l’artiste mangeait un

placenta, ce qui est à priori n’est pas appétissant… Cela était symboliquement un geste et une sensibilisation à son propos. Certains y verraient un acte barbare, pourtant, c’est une pratique existante.33 Artifice ou réalité comme

spectateur, a-t-on besoin de savoir que l’acte posé est vrai pour que l’œuvre nous touche.

Peut-on peut vivre l’expérience d’une œuvre dans une réalité détournée, un canular? Oui, si on se réfère à La phénoménologie de la perception, de Merleau-Ponty.

33 « The placenta cookbook », New York Times, consulté le 21 août 2011,

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32

En raison de l’intentionnalité de la conscience, l’analyse de la perception se fait toujours à la fois sous l’angle de l’objet perçu et du sujet percevant (car les deux moments de la perception sont inséparables); on peut cependant dire, pour schématiser que La structure du comportement aborde la perception sous l’angle de son objet, alors que La phénoménologie de la perception, l’aborde plutôt sous l’angle de son sujet.34

Pourtant, il serait logique de penser à une disposition favorable d’un spectateur pour croire que les propos d’un artiste et son œuvre sont des représentations. Il existe des évidences, au cinéma par exemple. Avant un film d’horreur, on n’avise pas le spectateur que tout le contenu de ce film est faux. Parfois pour une fiction inspirée d’un fait réel, on dit en début de projection, « les événements sont vrais, seuls les noms ont été changés pour préserver l’identité des victimes ». Les critiques de cinéma vont utiliser le terme de « cliché » lorsqu’il décèle rapidement le jeu du réalisateur et peuvent facilement deviner la suite logique et même la fin du récit. Mais au cinéma, on sait toujours que ce que l’on voit est une fiction ou à tout le moins la représentation de la réalité ! Ce serait donc possible d’affirmer qu’un cinéphile vit bien le mensonge! Il accepte les règles du jeu, il accepte un subterfuge. C’est ce qu’Henri Laborite appelle Éloge de la fuite35. Mais imaginez que l’on assied 10 personnes dans une salle, qu’on leur dise que l’exécution à laquelle ils vont assister est une retransmission en direct en provenance de la d’un autre lieu… On assisterait sans doute à des émotions fortes, dans un décor tout à fait semblable à celui du cinéma, on pourrait bien présenter l’insoutenable vérité, mais je ne le ferais pas ! On fait pire ! On présente sans censure des scènes bien plus atroces au bulletin d’information à l’heure du dîner. (Par exemple : l’exécution d’Mouammar Kadhafi et la possibilité de le revoir perpétuellement sur YouTube36) Il existe aujourd’hui une possibilité d’osmose

entre la réalité, la fiction et la représentation si forte, qu’on peut troubler aisément un spectateur crédule et rendre tout à fait insensible un spectateur averti.

34 Intervention prononcé, transcrite et mise en ligne : Dupond, Pascal, La perception de

Merleau-Ponty, sur http://www.philopsis.fr/IMG/pdf_perception_merleau-ponty_dupond.pdf consulté le 17 mai 2013

35 Laborite, Henri, Éloge de la fuite, Editeur Gallimard, Collection Folio Essais, numéro 7, 1985,

36 Kadhafi, le film de son exécution, diffusé sur Youtube [Vidéo en ligne] consulté le 18 octobre

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33

Cinéma

Pour expliquer le concept de vérité dans mon travail, j’ai choisi de faire une analogie avec le cinéma. J’aborde le cinéma et la vérité, car je trouve que l’incidence des évolutions technologiques et des exploitations de ce médium est plus facile à cerner que les autres formes d’art. De plus, en termes de moyens, le cinéma est une partie intégrante du dispositif de mon projet.

À ses débuts, le cinéma fut utilisé à des fins de divertissement, des animations qui donnaient grâce à la perception rétinienne, l’effet de réel37. Souvent, c’était

un seul plan d’une durée limitée par la longueur du bobineau. Apparaissent alors, cette science de l’art, le travelling, les plans-séquences, les montages et autres moyens factices permettant d’économiser la pellicule et intéresser le spectateur38. Ce médium a été récupéré par des artistes, des personnes

d’affaires et une industrie est née. En parallèle, l’utilisation de ce médium à titre d’information, de représentation du réel s’est poursuivie. Sous sa forme artistique, le cinéma a développé son propre langage. Des combinaisons de plans, de séquences, des scénarisations, des décors… Un art! Un art qui utilise tous les dispositifs possibles pour faire vrai. Le cinéma en 3D en est une démonstration criante. Si on veut vulgariser la situation, on séparerait le cinéma, du bulletin d’information comme étant une représentation de fiction et une représentation du vrai. Dans son évolution, l’image animée est passée du grand écran au petit écran. Du lieu consacré au divertissement, on a démocratisé le médium en diffusant information et divertissement dans chaque maison. Puis naîtra en 1920 un produit hybride appelé le documentaire. Un film empreint de réalisme, mais tout de même scénarisé, au même titre que le Sacre de

Napoléon, afin de rendre justice au sujet proposé39. Les émissions d’information

a emprunté le langage de l’art afin de séduire son auditoire. Il y a évolution dans

37 « L’effet de réel », Barthe Roland, archive de livre mis en ligne par Scribd, consulté le 23 mai

2012, http://fr.scribd.com/doc/18997297/Roland-Barthes-LEffet-de-Reel.

38 Ferro Marc, Cinéma et Histoire, Gallimard - Folio Histoire - N° 55 , 1993

39 "L'invention De La Mise En Scène Documentaire (Penser Le Cinéma Documentaire : Leçon1,

2/2)." - Télé AMU. ], consulté le 21 mai 2012, 2015.

http://www.canal-u.tv/video/tcp_universite_de_provence/l_invention_de_la_mise_en_scene_documentaire_penser _le_cinema_documentaire_lecon1_2_2.6970.

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34

le domaine médiatique de l’information. Toujours plus en direct, toujours d’images poignantes, réalistes. De plus, l’évolution passe par la ciné-caméra permettant aux néophytes de produire eux-mêmes leurs documents d’information (souvenir de famille… moments importants) ou leur propre fiction! Aujourd’hui, le micro écran est dans notre poche (IPhone). La caméra s’y trouve également. Par YouTube, Dailymotion Facebook et autres, la diffusion quasi instantanée rend ces arts (information dite vrai, art dite représentation) des produits mutants et cette soif de nouvelles réalités (ou irréalités) est de plus en plus populaire.

Relativement à ce constat, j’imagine que seule la psychologie pourrait nous faire comprendre comme fonctionne La machine à croire.

Notre cerveau et notre système nerveux qui constituent de véritables moteurs générant des croyances, un système qui a évolué non pas pour nous assurer la vérité, la logique ou la raison, mais bien plutôt la survie. Nous avons cette faculté à la naissance…40

(Attention au propos que j’avance… Ils sont extraits d’un site qui a comme nom de domaine : www.charlatants.info)

Délibérément, j’intègre cette citation provenant de cet univers infini de connaissance qu’est Internet. La rigueur m’empêcherait de la mettre. Les lecteurs avisés me réprimanderont ce choix. Il faut porter un regard critique sur l’information que nous transmettent les sites, les blogs, Facebook, Twitter, tout autant que les autres théoriquement plus fiables tels que CNN, Radio-Canada,

Québecor ou autres. Je reconnais mes limites à expliquer le phénomène de la

« machine à croire » sans en connaitre les arcanes. Cependant, le propos de mon mémoire n’est pas d’en expliquer les causes, mais d’en constater et d’en décrire les effets. Or donc, même si ma source est peu fiable, j’acquiesce à cette idée, sans en avoir la preuve, notre cerveau construit ses vérités en fonction ses besoins plus qu’en fonction d’une quête de vérité. Dans la vie de tous les jours, bombardé par des milliers d’informations au quotidien, le spectateur d’art, de télé, d’émission d’informations peut difficilement faire la part des choses. Étant de plus en plus confronté à des réalités distantes de lui, par des médias de plus

40 « La machine à croire, fabrique l'irrationnel », consulté le 3 mai 2013,

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35 en plus convergents et réalistes, le spectateur se fait prendre par l’illusion du réel. Il finit par oublier que tout cela est toujours une représentation.

Jean Beaudrillar tenait ces propos (en 1981) concernant l’art :

Il ne s'agit plus d'imitation, ni de redoublement, ni même de parodie, mais d'une substitution au réel des signes du réel, c'est-à-dire d'une opération de dissuasion de tout processus réel par son double opératoire, machine signalétique métastable, programmatique, impeccable, qui offre tous les signes du réel et en court-circuite toutes les péripéties.41

Il définit trois ordres de simulacres :

 simulacres naturels, naturalistes, fondés sur l’image, l’imitation et la contrefaçon, harmonieux, optimistes, et visant à la restitution ou à l’institution idéale d’une nature à l’image de Dieu [Ce premier type sont les utopies];

 simulacres productifs, productivistes, fondés sur l’énergie, la force, sa matérialisation par la machine et dans tout le système de la production – visée prométhéenne d’une mondialisation et d’une expansion continue, d’une libération d’énergie indéfinie (le désir fait partie des utopies relatives à cet ordre de simulacres)[ Ce deuxième type est la science-fiction];

 simulacres de simulation, fondés sur l’information, le modèle, le jeu cybernétique – opérationnalité totale, hyperréalité, visée de contrôle total [Ce troisième type est en train de construction. “La réponse probable est que le bon vieil imaginaire de la science-fiction est mort, et que quelque chose d’autre est en train de surgir].42

Il écrivait cela en 1981. Il y a déjà plus de 30 ans, depuis la technologie a accru ces possibilités de simulacre.

[…] c’est la fin de la métaphysique, c’est la fin du phantasme, c’est la fin de la science-fiction, c’est l’ère de l’hyperréalité qui commence. […] Maintenant, ce n’est plus possible de partir du réel et de fabriquer de l’irréel, de l’imaginaire à partir des données du réel. Le processus est inverse: on fabrique un réel fictionnel à partir d’un modèle. Le résultat est une hallucination du réel […] L’hyperréel est un univers de simulation. La science-fiction n’est plus nulle part. Elle est partout, ici et maintenant.43

41 Baudrillard, Jean. Simulacres Et Simulation. Paris: Galilée, 1981.

42Ibid p. 177

Figure

Figure 1 : L’affiche
Figure 2 : L’atelier
Figure 3 : Prototype initial  Figure 4 : Première version expérimentale
Figure 7 : Vue de l’intérieur  Figure 8 : Vue des installations audio-visuelles cachées
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