• Aucun résultat trouvé

La femme lettrée au 18e siècle : fiction et théorie chez S. de Genlis

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La femme lettrée au 18e siècle : fiction et théorie chez S. de Genlis"

Copied!
97
0
0

Texte intégral

(1)

INFORMATION TO USERS

Thil manuscript hIIl been reproduced fram the microfilm mater. UMI films the texldintCtly tram the originll or copylUbmitted. Thul, some thesil and dilsertation copies .re in typewriterf8ce, while otherI mIIYbefromanytypect

computer printer.

The quallty of thla Npraductlon la .pendent upon the quallty of the copyaubmltted. Brokenor indistinct prim. coIonKIorpoorquality illustrations and photographl, print bleedthrough, subltandllrd margina, and improper 81ignment can adversely 8ffect ntproduction.

lnthe unlikely event thattheauthordid notsend UMI a comple. manuscript and the,. are missing Pllges, the. win be noted. AllO, if Ul18uthoriZed copyrightmat.rialh8dtoberernoved, anotewill indieatethedeletion.

Ovel'lize materiall (e.g., mapl, drawingl, charts) are reproduced by

sectioning theoriginal, begimingattheupper1eft-tw1d corner and contïnuing from18fttDrightin equal sedionswithImallovertaPi.

Photogl'BPhl inclucled in the original I118nuscript have been reprodUC8d xerographically in thi. capy. Higher quality S- x 9" bleck and white photographieprintsare • •il8blefor8nY photographl or illustrationl appe8lfng

in thi.capyfor . ,-*iiticNIcharge. ConblctUMIdirectlytaarder.

Bell&HoweIllnfonMtion.ndLeaming

300 North ZHb R-.t,AmArbor,MI 48108-1348 USA 800-521-0800

(2)
(3)

Pascale Navarro

Mémoire de maîtrise soumis àla

Faculté des études supérieures et de la recherche envue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Départementde langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Mars 1999

(4)

1.1

otCanada Acquisitions and BibliographieSeNices 385 Welingtan Street oaawaON K1A 0N4 can.da duCanada Acquisitionset seNieeSbibliographiques

3&5.rue Wellington Ottawa ON K1 A 0N4

Canada

The author bas granted a non-exclusive licence alloWÎDg the National LibraryofCanada to reproduce, loan, distnbute or sen copiesofthis thesis in microfol'Dl, paper or electronic formats.

Theauthor retains ownership of the copyrightintbis tbesis. Neither the thesis nor substantial extracts ftom it

maybeprinted or othetWise reproducedwithoutthe author' s penmSSlon.

L'auteur a accordé une licence non exclusive permettantàla

Bibliothèque nationale du Canada de reproduire, prêter, distnbuer ou vendre des copies de cette thèse sous lafonne de microfiche/film, de

reproductionsurpapier ou sur format électronique.

L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur quiprotège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent être imprimés

ou

autrement reproduits sans son autorisation.

0-.612-50551-0

(5)

Table des madères

Tabledes matières Ü

D' , •••

a.esume fi

Abstract " .. ... ... .. iv

Introduction

Stéphanie de Genlis, une femme lettrée .1

Chapitre 1

Stéphanie de Genlis et lacommunauté des femmes écrivains 8

Chapitre 2

Présentationdu corpus, questions de genre 24

Chapitre 3

Le savoir des femmes dans les essais et textes théoriques 39

Chapitre 4

Portraitsdelafemme lettrée 64

Conclusion

ÀlacORqtlête d'unstatUt•...•.•..••....•.•••...•...•...•....•..••...•...•...•83

(6)

Résumé

Stéphanie de Genlis (1746-1830) compte parmi les femmes auteurs les plus productives de son temps. Estimée par les Philosophes et la bonne société du dix-huitième siècle pour ses ouvrages didactiques et ses romans, elle est la première femme gouvernante d'un futur roi (Philippe-Égalité).

Sa réputation de pédagogue lui permet d'afficher ses ambitions littéraires, conduite peu apprédée à une époque où l'on attend des femmes une modestie exemplaire; le motif de la femme modeste constitue d'ailleurs un enjeu central de l'oeuvre genlisienne. Celle-ci compte romans, nouvelles, théâtre et textes théoriques dont un essai intitulé ~ !kLfemmes sur laJittérature françai5~, qui porte sur la question des femmes auteurs. Dans les quatre nouvelles que nous avons choisies et qui complètent notre corpus, Stéphanie de Genlis met en scène quelques-unes de ses idées concernant le statut des femmes auteurs, le tout sur le mode de la parodie ou encore du rédt psychologique.

Nous nous appuierons sur les recherches colligées par Catherine Rubinger et Roland Bonnel (dans Femmes savantes et femmes d'esprit> pour décrire la communauté de femmes écrivains à la fin du dix-huitième siècle; nous évoquerons également leurs pratiques littéraires et analyserons les lieux de production de leurs discours. Nous étudierons ensuite les genres littéraires que pratique de Genlis; l'étude de Georges May sur le roman

<I&...DiJemme

du roman) nous semra de point de départ pour comprendre ses choix en matière de pratiques littéraires. Notre troisième chapitre portera sur ~ tinBuence da...femmes sur la.Jittérature

fran'aise,

textedans lequel l'auteur développe sa pensée sur l'institution littéraire française, sur le statut de la femme auteur et sur la littérature en général. Enfin, nous proposerons une analyse des portraits de la femme lettrée dans les textes narratifs sélectionnés.

Stéphanie de Genlis a hérité des valeurs du classidsme, tant sur le plan esthétique que moral, comme en témoigne son œuvre. En dépit d'une morale très stricte, elle se montre progressiste en ce qui concerne le savoir des femmes; ce thème lui servira de pivot pour exiger qu'on la reconnaisse en qualité d'auteur et qu'on réhabilite le savoir des femmes

(7)

Abstract

Stéphanie de Genlis (1746·1830) is amongst the Most productive women authors of her generation.. Highly regarded by the Philosophers and the high society of the 18th century for her educational books as well as ber novels, she became the tirst woman to be Govemor under a future king (Philippe-Égalité).

Her reputation as a teacher allowed her to be open about her literary ambitions, a behaviour which was frowned upon in a society where women were expected to be perfect examples of modesty. Indeed, the concept of the modem woman pIays a centraI role in Genlis' body of work, which includes novels, short stories, theater and theoreticaI

texts, among which an essay tided De l'influence des femmes st,r la littérature,about women authors. In the four short stories we bave chosen and which complete our corpus, Stéphanie de Genlis puts forward some of ber ideas concerning the status of women authors, through parody or psychological narratives.

We will base our work upon the research of Catherine Rubinger and Roland Bonne! (in

Femmes savanteset femmes d'esprit) in order to describe the society of women authors at the end of the 18th century ; we will also look at their Iiterary practices, as weil as analyze the environment which contributed to their discourse.. We will then study the literary styles favored by de Genlis; Georges May's study on the novel (Le Dilemmedu

roman) will he used as a tirst step towards understanding de Genlis' choices as an author. Our third chapter will be dedicated to De l'influence des femmes sur la littérature française, in which the author develops her theory about the institution of French litterature, about the status of women authors, and about litterature in general. Finally, we will put forward an analysis of the ways in which women authors are portrayed in

seleeted narrative texts..

Stéphanie de Genlis has inherited the values of classidsm, in her aesthetics as weIl as her morals, which transpires in her work. Despite a very strict set of ethics, she bas • sbown herself to he of a progressive nature when it comes to the education of women ; a cause which will prove pivotai in her acceptance as an author, as well as reinstating female knowledge in Iiterary bisto~

(8)

~hanie de Genüs: une femme ~

Àen juger par la production grandissante d'œuvres critiques portant sur les femmes écrivains d'Ancien Régime depuis les vingt dernières années, l'intérêt pour ce domaine d'études est relativement nouveau et croissant, notamment dans le champ des écrits féminins du XVDJe siècle. Lacritique s'est beaucoup intéressée aux œuvres de Sophie Collin, de Marie-Jeanne Riccoboni, d'Isabelle de Charrière, de Françoise de Graffign~ de LouiseD'Épinayet de Julie de Lespinasse, entre autres.

Cependant, ilexiste peu de monographies consacrées aux écrits de Stéphanie de Genlis (1746-1830). Alice M. Laborde signait en 1966 1L!'uan~~nagaDUuœ ~l, ouvrage descriptif de la production de l'auteure; en 1974, Jacques Benaud publiait une thèse sur les rapports del'écrivaine et de l'Angleterre, intitulée

Ma.daIB

~~~u.alll&UmI~a....œmmUl.mumL.K..lLl2.J-ŒU1; quelquedixans plus tard, paraissait une biographie fort bien documentée écrite par un historien, Gabriel de Broglie: ~3 • Ces études descriptives ou biographiques mises à

part,on trouve peu de travaux, depuis le début du vingtième siècle, quipuissent

tAlice Laborde. LtŒLMe de Madame de Genlis. Paris: Nizet, 1966.

ZJacques Bertaud.Madam@ deGenlis et"Angleterre.Lafemmeet

"CIlMt.

Thèsededoctorat,Paris, Université Paris III, 1974.

(9)

vraiment tenir lieu de «références» sur la créatrice d'~. L'auteure

que nous avons choisie a pourtant pratiqué tous les genres littéraires à l'exception de la poésie et légué une œuvre volumineuse; alors que ses écrits ont connu une très large diffusion au moment deleur pamtion,ils sont peu lus de nos jours et ntont pas fait l'objet de rééditions récentesi

, rendant l'accès aux textes difficile.

Gouvernante du futur roi Philippe Égalité,

r

écrivaine consacre sa vie à

r

éducation età la morale. Dans ses romans, ses contes et ses nouvelles, elle fait une large place àla question du savoir et de l'instruction; ses rétlexions sur

r

éducation sont encore plus développées dans ses essais et discours.C'est sur ce thème que nous ferons porternotre étude.

Mec l'avènement des

women

j

studies

dans les universités américaines, les écrits des femmes ont suttout été analysés àla lumière du néo-féminisme. Du coup,

des auteures telles que Louise d'Épina}', Stéphanie de Genlis ou Isabelle de Charrière sont promues au rang d' «amazones»s, dévouées tout naturellement àla cause des femmes. Bien sûr, le dix-huitième siècle est celui qui vit paraître la ~

~de Mary Wollstonecraft (1792) et la~1am1~!œlJJmUUlC.Ja

femme et dUa citoyenne d'Olympe de Gouges (1792); toutefois, ces manifestes féministes, inscrits dans une période précise de l'histoire, ont très souvent fait

l'objet d'une récupération à des 60s apologétiques et polémiques. S'écartantde ces finalités, les études consacrées àla généridté (gender studies) nous semblent plus

appropriées que l'approche féministe; elles permettentde contourner le problème

4

A

l'exception de MlledeClermpnt, qui figuredansl'anthologiepréparée parRaymond 1rousson, Bamanadeternes dyXVIIIe~ publiée chez Robert Laffont, en 1996.

5C'estle tenne employéparMarylfouilledans-AmazonsofthePen,StephaniedeGenlisand OlympedeGouges-,dansFemmessayantesetFemmesd'.prit,NewYork: PeterLang, 1994.

(10)

de la perspective idéologique plaquée aux écrits des femmes, pour s'intéresser d'abord et avant tout au fonctionnement des textes et àlaconstruction discursive des figures et stéréotypes féminins.

Entre le silence des commentateurs et la récupération idéologique, peu de travaux font état de l'œuvre considérable de Stéphanie de Genlis; celle...ct apourtant écrit plus d'une centaine de romans, nouvelles, contes, mais également des pamphlets, brochures et essais. Inddemment, l'on trouve bien plus dtétudes sur la

fiction de Stéphanie de Genlis que sur ses essais: ceux-d sont pourtant intéressants et innovateurs.

Mais peut...être n'est-ce pas un hasard si ses nouvelles et romans, notamment ~ et~, œuvres de bon goût et conformes àla doxa

de l'époque, ont été plus souvent commentés. Àtitre d'exemple,~, nouvelle historique publiée en 1802, met en scène une jeune princesse au destin malheureux, que l'amour égare. Exîste-t-il thème plus courant dans la littérature féminine dtAnden Régime?

Peut-être que oui. Àexhumer les œuvres des femmes des siècles passés, l'histoire littéraire n'a-t-elle pas «redécouvert» l'aspect polémique des écrits féminins? De Christine de Pisan àStéphanie de Genlis, un grand nombre de femmes ont revendiqué le droit d'écrire, et certaines d'entre elles ont exigé celui de publier sous leur nom véritable, quitte àtransgresser le plus fort des tabous: celui de la modestie féminine.

(11)

4

lIILdiscours sur le savoir

Le cas de Stéphanie de Genlis est intéressant; d'abord connue pour ses œuvres pédagogiques, de Genlis a publié, au début de sa carrière (à la veille de la Révolution), de nombreux ouvrages d'éducation destinés aux enfants et aux femmes. Bien qu'elle vive à une période charnière de l'histoire française, celle du changement de Régime, de Genlis est une femme du dix-septième siècle: ses textes en portent les valeurs, sur les plans littéraire et moral.

Or, sur le plan social, c'est une tout autre histoire. De Genlis développe dansson œuvre une pensée et un discours sur le savoir des femmes qui rompt avec les attentes de son époque, d'une pan, et avec ses propres critères moraux hérités du classidsme, d'autre part. En fait, de Genlis tire profit de sa réputation de pédagogue pour se prononcer sur la place de l'instruction dans la vie des femmes, sur l'importance de la connaissance. Bien sûr, elle n'est pas la seule femme de lettres à revendiquer le droit à l'éducation et au savoir, comme le démontrent Catherine Bonnel, Roland Rubinger et Mary Trouille, dans Femmes savantes et femmes d'esprit; à cet égard, nous nous inspirerons de leurs travaux pour notre premier chapitre qui portera sur

cette communauté de femmes écrivains, que nous tenterons de décrire en faisant l'inventaire de leurs activités communes, de leurstatut.

Bien que certains chercheurs (le plus souvent des femmes) tentent d'identifier l'émergence d'un discours féminin dans ses écrits théoriques ou de fiction, aucune étude ne traite de la figure de la «femme lettrée», détentrice d'un savoir. Ce thème nous semble pourtant central dans l'œuvre de Stéphanie de Genlis. Notre mémoire s'attachera donc précisément aux diverses représentations de la femme de lettres

(12)

5

dans quelques-uns des textes narratifs brefs

(La.

FemmeAuteur, La Nouvelle Poétique,

La Femme Phi~ et ~ et théorique (De l'Influence

dA

femmes sur la littérature fran,aise> de l'auteure.

Après avoir décrit dans notre premier chapitre les lieux de production de discours des femmes (salons, académies et franc-maçonnerie, journalisme, pédagogie), nous évoquerons le problème des genres littéraires: en effet, comment Ure les contes et nouvelles de Stéphanie de Genlis, à une époque où l'on attend des femmes qu'elles écrivent prindpalement des romans? Comment analyser l'œuvre d'une femme qui pratique davantage les genres traditionnels et «sérieux~ (conte philosophique, essai, théâtre)? Si, comme le propose Joan Hinde Stewart, dans French Women andJhe A&e of~tenmenf, les femmes ont travesti le langage pour que s'exprime à travers le roman un sujet différent, comment aborder les textes de Stéphanie de Genlis, alors qu'elle écrit si Peu sur

r

amour (sujet de prédilection du roman féminin au dix-huitième siècle) et autant sur la morale et l'éducation? Àcet égard, l'essai de Georges May intitulé

Le

Dilemme du roman au XVIIIe siècle; Étud~ sur les rapports du roman et dLla critique (1715-1161jg nous paraît un ouvrage important. Dans cet essai, fréquemment dté par les commentatrices contemporaines (nous avons fait poner notre recherche d'articles sur les quinze dernières années, sauf pour quelques autres qui nous semblaient pertinents), May fait

r

analyse des paramètres esthétiques, historiques et sociaux quiprésidentàla réception du roman, et, dans un chapitreintitulé Féminisme et roman, analyse de manière synchronique la naissance du féminisme et l'émergence d'un genre littéraire" C'est cette

7French Womeo and the Age of Enlightenment. Indiana: UniversityPress, 1984, pp. 202-204. 8GeorgesMay.LeOilemmedu roman au XVII.siècle. Étudesur lesrapports du roman et de la critique. 1715-1761. Paris: PUF. 1963.

(13)

6 perspective, ceBe de l'histoire des genres, qui nous semble id laplus intéressante.

Membre de la République des Lettres, pédagogue et essayiste reconnuequi osait se mesurer aux Philosophes, de Genlis a-t-elle produit un discours «féminin- sur les femmes lettrées? Sa pratique des genres plus théoriques (traditionnellement associés aux hommes) lui permet-elle de mieux plaider la cause de l'éducation et du savoir des femmes?C'est ceàquoi nous tenterons de répondre au cours de notre étude.

Nous nous pencherons, au cours du troisième chapitre, sur l'œuvre théorique de l'auteure, et plus précisément sur untexte polémique, ~llDWH~Ldi~mlla..JlI[

.laJittérature

frangùse comme protectrices <kUettres etcommeauteurs: ou Précis

<k

[JWiImI:e.Jll:UmllllI§..1mIlÇIIJ~~Pl\UL..œlœ" (Paris: Maradan, 1811, in_SO)9 •

Ce texte, publié en deux volumes, est une sorte de dictionnaire thématique qui fait

l'inventaire des femmes auteurs àtravers l'histoire française, présentant àla fois leur biographie et un résumé de leur œuvre. Source de documentation précieuse, ce texte révèle également de nombreuses considérations de Stéphanie de Genlis sur la critique littéraire masculine, sur l'appon des femmes à la littérature. L'essayiste se permet donc de nombreuses récriminations àl'endroitde figures importantes de son époque (Voltaire, D'Alemben, Rousseau) dont elle condamne la discrimination systématique et lemauvais goût.

ce

texte est également très précieux, car de Genlis Y développede nombreuses rétlexions sur le statut des femmes auteurs, sur leurs droits

etleurs devoirs.

Notre dernier chapitre portera, àtravers ['étude de ce double corpus (textes de réflexion théorique et écrits de fiction) sur le thème du savoir et de l'éducation:

, Nous désignerons l'œwre ainsi tout au long du mémoire:De l'Influencedesfemrntl§surra Imérature

(14)

7

quels sont les rapports des femmes et du savoir dans l'œuvre de Stéphanie de Genlis? La représentation des femmes dans les contes et nouvelles de l'auteure est-elle nourrie et informée par son discours sur le savoir? De Genlis assigne-t-elle au savoir plusieurs fonctions? Peut..on dégager du corpus un certain nombre de récurrences qui permettraient de constituer une image spécifique de la femme lettrée? Nous tenterons de voir s'il est possible de constituer une typologie de cette femme "savante": quel est son statut sodaI? Est-elle de condition bourgeoise, noble? Est-elle jeune, âgée, célibataire ou mariée? Quel sort lui est..il résenré, selon qu'elle pratique ou non une activité intellectuelle? Nous étudierons également le destin de ce personnage: comment évolue-t-il au cours des récits? La question du savoir remplit-elle une fonction narrative (déclenchant par exemple des événements à connotation négative)? Constitue-t-elle un thème spécifique à l'œuvre genlisienne?

Nous avons dit plus haut faire preuve de prudence à l'égard des interprétations idéologiques qu'ont formulées les féministes à propos des textes écrits par des femmes. Toutefois, nous ne pouvons faire l'économie de la question pour notre recherche: si les femmes écrivent plus de romans au dix-huitième siècle, c'est que leur éducation, leur instruction, leur savoir ne leur permettent pas la pratique des genres plus savants; elles sont peu nombreuses à écrire des essais ou des textes polémiques, scientifiques, politiques, philosophiques. C'està cet égard que l'essai de May nous paraît intéressant: il expose clairement la conjoncture de deux changements, qui, ne relevant pas delamême nature (la naissance du féminisme est d'ordre politique, celle du roman, d'ordre esthétique), trouveront dans l'écriture féminine le même champ de bataille.

(15)

Comme en témoigne le grand nombre d'œuvres critiques portant sur les écrits féminjns d'Ancien Régime, Stéphanie Félicité Ducrest comtesse de Genlis n'est pas la seule femme écrivain à la fin du dix-huitième siècle; eUes sont nombreuses, comme nous allons le voir, à s'imposer, même timidement, dans les milieux littéraires. Certaines, dont Stéphanie de Genlis ou Louise D'Épinay, sont célèbres, reconnues, et font beaucoup parler d'elles. Mais sont-elles reconnues comme «femmes de lettres»?

De Genlis, comme de nombreux autres intellectuels de son temps, décrit ces femmes qui écrivent comme des «femmes auleurs». Pour mieux cerner cette communauté, nous essaierons de décrire la place qu'occupent ces nouvelles venues dans la sphère littéraire du dix-huitième siècle.. Qu'est-ce qui caractérise ce groupe de femmes écrivains? Peut-on leur reconnaître des traits communs? Jouent-elles un rôle particulier

sur

la scène littéraire française? Leurs praliques sont-elles liées à des genres spécifiques? Afin de répondre à cette question, nous avons choisi de décrire

quatre aspects qui permettent, selon nous, de cerner ce nouveau groupe qui se distingue de plus en plus au temps des Lumières..

Nous tenterons d'abord de voir d'où émanent les différents discours des femmes et de décrire les lieux de production de leurs discours.. Première instance: le salon, institution cardinale du monde littéraire du dix-huitième siècle. Quel rôle les femmes jouent-elles dans ces lieuxd'écllange et de débats? Que représentent les

(16)

salons littéraires pour ces pionnières? Se contentent-elles de recevoir les grandes figures de l'époque sans véritablement prendre part aux débats? Ou au contraire les salons s'avèrent-Us un forum privilégié pour celles qui yparfont leurs connaissances mais parlidpent également aux activités littéraires qui s'y déroulent?

Nous analyserons ensuite la partidpation des femmes au monde journalistique;

jusqu'àquel point sont-elles présentes dansle milieu delacritique? De quelle teneur sont leurs contributions àce milieu? Ainsi que nous le verrons, Stéphanie de Genlis, comme d'autres femmes auteurs, n'aura pas manqué de pratiquer le genre journalistique, tant dans les paratextes de ses nouvelles, contes et romans, que dans

des écrits pamphlétaires publiés dans différents journaux.

Par la suite, nous évoquerons très brièvement le statut des femmes dans les académies et la franc-maçonnerie, afin de mesurer la ponée de leur partidpation à ces institutions.

Enfin, nous aborderons le débat sur l'éducation qui suscite, en cette On d'Anoen Régime, de très nombreux écrits; en effet, l'observateur est frappé par le grand nombre de discours émis, notamment par les femmes, sur le sujet, particulièrement dans la seconde moitié du dix-huitième siècle. cette production nous paraît centrale, car elle cristallise l'activité littéraire féminine autour d'un thème récurrent tout au long de l'histoire littéraire: le savoir des femmes. La

description dece débat, dont nous n'étudions que les quelques années quiprécèdent la Révolution, nous permettta de poser les jalons de notte analysesur le discours de Stépbanie de Genlis portant sur le statut de lafemme auteur, et la figure féminine

(17)

!&.&lon: esqyjsse d'une

arène

Comme l'ont déjà signalé de nombreux commentateurs, la participation des femmes à la vie littéraire du dix-huitième siècle est liée à la floraison des salons littéraires, où l'on pratique les belles manières, le beau style et surtout la conversation comme l'un des beaux-arts.

Le salon est, selon Roger Chartier, historien de la culture, un espace public déterminantpour la République des Lettres:

Les salons constituent la forme première où s'organise la rencontre entre gens du monde et gens de lettres, réunis par un

même passe-temps: le jeu, le débat, la lecture, latable. Entre les diverses sociétés, dominées par la figure féminine [.u] existent de subdles filiations et concurrences.1G

Les textes d'études sur le dix-huitième siècle reconnaissent à cette «figure féminine» un statut particulieràl'époque des SalODS.Ceux-ci étant considérés comme

l'une des «institutions- centrales de la société des Lettres, ainsi que l'écrit Chartier,

ils traduisent également sur le plan sociologique une modification de la sphère littéraire à l'égarddes femmes:

Foyers de rencontre entre l'aristocratie et les écrivains, lieux d'un certain brassage social, instances de consécration intellectuelle indépendantes des institutions réglées et des corps étabUs, les salons sont le premier support de la nouvelle "sphère publique litténire" née aux commencements du

xvme

siècle et émandpéedela tutellecuriale et académique.11

10RogerChartier..lesOriginescylturel'" de la RéVoIutignfmnQiÎse~ PariS: seuil. 1990. p. 189.

(18)

La mpture avec cette «tutelle curiale et académique» signifie entre autres que les échanges littéraires et intellectuels se déroulent dans des milieux «laïcs»; la présence du cadre religieux n'est plus de mise pour légitimer les échanges qui ont cours dans ces nouveauxespaces.

De plus, ces salons sont des lieux à la fois privés et public, ou encore «semi-privés». En effet, le salon met en scène des activités publiques ou sadales, dans un cadre intimiste, privé. Ce qui change alors pour les femmes, c'est que, tout en demeurant sur le territoire domestique qui leur est traditionnellement réservé, elles se rapprochent, dans la nouvelle sphère qu'elles investissent, des hommes de lettres:

The salons of the Enlightenment were not merely the introduction to the Republic of Lettres, they were pan of il. Tbrough this literary institutions, women were able to parUdpate fully in the elaboration of public opinion as soda! partner, responsible for la sociabilité - the channels of

communication.12

Les femmes entrent donc dans une sphère «publique». Elles sont toujours hôtesses ou égéries, mais, ainsi que le suggèrent Roland Bonnel et Catherine Rubingerdans

Femmes

savantes et Femmes d'esprit, leurs rôles se diversifient:

The atmosphere of the salons, the role they played tbere, combined with their natural qualities, would enable some women to transcend the role of rie, hostess, advisor and promoter of men, to become Iiterary figures, scientists and

tbinkers in their own rights.13

.iRoland BonneletCatherine Rubinger.Femmessavanteset Femmes d'esprit.New York: Peter Lang,

1994, p. 10.

(19)

12 • Mais bien sOr, tenirsalon, ce n'est pas encoreêtre une femme de lettres. Ainsi

que le proposent les deux commentateurs dans l'intitulé de leur ouvrage, le

dix-huitième siècle nomme plutôt ces ambitieuses des «femmes savantes» ou encore des «femmes d'esprit»; nul n'ose encore affirmer qu'il existe pour désigner ces femmes

un équivalent à la figure de l'homme de lettres, telle qu'on la connaît au siècle des Lumières.

Comme bien d'autres femmes à cette époque, Stéphanie de Genlis tient un salon. Elle reçoit, le samedi entre six et neuf heures du soir, hommes de lettres et savants parmi lesquels Buffon, Marmontel, La Harpe, D'Alembert; ainsi, lors de ces Samedis de Bellechasse (1776-1781), où paraît notamment à plusieurs reprises madame du Deffand (1697-1780), l'on débat des derniers livres publiés, des idées nouvelles; c'est au cours de ces séances que Stéphanie de Genlis critique le travail des Encyclopédistes, ce qui entraînera, nous le verrons plus loin, une querelle interminable entre eux et l'auteure d'~. Quelques années plus tard, soit en 1804, Stéphanie de Genlis recevra, dans son Salon de l'Arsenal, à Paris, plusieurs femmes d'esprit, «laplupan femmes de lettres», comme le souligne Gabriel de Broglie, son biographe; parmi elles, madame de Bon, traductrice de Walter SCott, deux poétesses, mesdames de Vannoz et Kenmens, madame Deiarue, la nièce de

Beaumarcbais14 •

(20)

catherine Rubinger et Roland Bonnel, dans l'introduction de leur ouvrage, ne manquent pas de décrire les activités littéraires diverses des femmes écrivains au dix-huitième siècle. Ainsi, les romancières que furent Sophie Cottin, Marie-Jeanne Riccoboni, Madeleine de Scudéry, Stéphanie de Genlis, (puis plus tard, Germaine de

Staël) auront toutes exercé le métier de critique; d'autres auront gagné leur vie comme journalistes. Àtitre d'exemple, les deux auteurs citent le PictioMaire d§

journaux, 1600-1789, qui dénombre vingt-cinq femmes parmi des centaines d'hommes, qui dirigent ou écrivent dans les joumaux.15

Ainsi que l'indique par

ailleurs l&.Joumalisme d'Anden RéBime, ouvragedirigé parPierre Retar',

ny

aurait

eu, au dix-huitième siècle, vingtetun journaux de langue française écrits par etpour des femmes.

Celles-ct pratiquent donc, au dix-huitième siècle, le joumalisme et la critique littéraire ou artistique. De madame Dunoyer, qui dirige la Quintessence

dei

~ de 1710 à 1717, à Louise D'Épinay, qui prendpanàlaCorteSJondaoœ Dttéraire de Grimm, elles sont nombreuses à fonder, acheter, diriger des journaux. Ce que ces activités journalistiques révèlent notamment, c'est que les femmes élaborent un discours critique et analytique sur la production culturelle et plus particulièrement littéraire.

Ce sera le cas pour Stéphanie de Genlis, qui, à son retour d'exil dans les

premières années du dix-neuvième siècle, devra gagner sa vie, EUe, qui avait

15Op. cit'I p.16.

(21)

toujours vécu de sa plume, décide de fonder en 1816 un hebdomadaire, ~ 1lllaaw;:lKlJUl.J&..lmUmalJlC..JU3IIIJ~, dans lequel paraissent critiques littéraires, contes, nouvelles, articles et un roman à épisodes (I.eVoy.

_<me

d'Antoine et Eugène). En 1820, elle crée un autre journal, ~ dans lequel elle attaque ses ennemis: antiféministes, aristocrates, républicains, athées, philosophes, etc. Dans ce journal de critique littéraire, de Genlis commente les ouvrages de Lamartine, Chateaubriand, et donne ses points de vue sur le romantisme naissant, mouvement qu'elle considère nuisible à lalittérature. Ces journaux sont vendus par abonnements, mais permettent à peineà leur fondatrice de sumvre.

Aœtémies et franc-m"onnerîe

Stéphanie de Genlis a raté de peu son entrée à l'Académie française. En 1782, D'Alembert lui propose l'un des quatre sièges qu'il compte créer pour des femmes (les trois autres sont destinés à madame de Montesson, madame Necker et madame d'Angevilliers). fi Ymet cependant une condition: que sa protégée n'écrive plus contre le groupe de rEncyclopédie. Signalons qu'à l'époque, le succès el la

popularitéde StéphaniedeGenlissont tels, laméfiance du clergésigrandeàl'égard

des Pbilosophes,

que

ceux-a

veulent s'assurer d'une bonne entente avec

la jeune auleure alors en vogue. C'estlatin de l'idylle entre eux, puisque de GenUs refuse évidemmentce marchéetreprend ses aaaques de plus belle.

(22)

15 Dans De l'lD1luence <kLfemmes sur la littérature fran'aÏse, elle adresse une féroce critique aux académies, leur reproche leur manque de discernement et leur incompétence en matière de goût littéraire. «S'il existait une académie des femmes, on ose dire qu'elle pourrait sans peine se conduire mieux et juger plus sainement»L!. Elle accuse également les académiciens de soutenir des phllosophes sans talent, dont les textes, s'ils avaient été écrits par des femmes, n'auraient jamais retenu leur

Sur deux mille cinq cents académiciens en France, douze sont des femmes19;

parmi eUes, madame du Boccage, mademoiselle de Kéralïo, Fanny de Beauharnais. Roland Bonnel et Catherine Rubinger signalent que Condorcet et D'Alembert font valoir auprès de l'Académie française les candidatures de plusieurs autres femmes, dont celles de madame de Montesson, madame d'Houdetot et, comme nous venons de le mentionner plus haut, Stéphanie de Genlis.

Autre bastion mâle interdit aux femmes: la franc-maçonnerie. Si l'on songe, depuis 1730, à accepter des femmes dans les loges maçonniques, ce n'est qu'en 1774 que l'on autorise officiellement la participation féminine à leurs travaux. Ainsi, plusieurs loges seront créées;Lacandeurestlaplus populaire auprès des gens de cour, et celle àlaquelle partidpe, entre autres, Stéphanie de Genlis10

• Bonnel et

Rubinger font judicieusement remarquer dans leur ouvrage que les organisations philanthropiques, en majorité créées par les femmes, représentent sinon une élite

17Stéphanie de Genlis. De nnfJuencedesfemmes sur la littérature française. Paris: Maradan, 1811,

p. xvi.

18Ibid., p. xvi.

19DanielRoche. LeSiècle des Lumières. Paris: Mouton, 1964•

20OswaldWirth. LaEranc-Mag>ooerierendueintemgjbleà sesadeptes. Paris: Dervy-Uvres. 1989. p.80.

(23)

intellectuelle du moins une facteur d'inftuence sodale déterminanr1

; parce qu'elles

ont le projet de réformer la société (par la création d'hôpitaux, d'hospices, de maisons de charité), elles poursuivent les mêmes objectifs que les francs-maçons. C'est par ces buts communs avec ceux des hommes que les femmes réussissent à entrer en contact avec des hommes d'inftuence et de pouvoir.

Publier une œuvre est une activité publique, ainsi que l'indique l'étymologie du verbe. Or, dans l'épistémologie du dix-huitième siècle, il n'est pas encore légitime pour une femme d'exercer une telle activité12sans que la finalité du texte publié ne soitliéeau domaine privé, voire domestique. C'est sans doute pour cette raison qu'un grand nombre d'écrits féminins ponent sur l'éducation et component des intentions nettement didactiques.

Quand une femme prend la plume, c'est en tant que pédagogue, mère, éducatrice, ou encore entant que salonnière; rarement comme «auteur)t. Pour mieux cerner ce qui est en jeu dans la littérature féminine du dix-huitième siècle, et plus particulièrement dans celle de Stéphanie de Genlis, il faut évoquer la question du théâtre d'éducation; c'est à travers ce genre très développé au dix-huitième siècle, que l'auteure d'~ se révèle à la sodété française et surtout aux Philosophes; ceux-ci, avant de la prendre en grippe, l'auront admirée

ilR. Bonnet et

c.

Rubinger. Op. cit..p. 19.

2Z\A:)irà ce sujet I·ouvrage dirigé par8izabethC. GoldsmithetparDena Goodman:GQing pybPc,

(24)

(particulièrement Condorcet) pour son œuvre consacrée àl'éducation (Théâtre à

l'usMe des jeunes petSoooes, 1779-1780, et Ihéâtre de sodété, 1781). Véritable référence en matière de pédagogie, de Genlis commence sa carrière d'écrivaine par ce théâtre destiné à la scène privée, ainsi que le souligne Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval dans son livre, ~S~'UWllUlUJiW~LIt.~m..fi~IWlD....alUUI:

Juljtième siècœ:

Aucune d'entre elles ne voulut courir les risques de la représentation publique sur un théâtre officiel. Destinées àla scène privée du pensionnat ou complètement occasionnelle du cercle familial, elles revendiquent parfois à peine le statut d'œuvre littéraire, même si l'OD doit prendre avec réserve ces

déclarations de modestie.oU

Elles sont plusieurs àécrire sur la pédagogie, sujet quiles légitime aux yeux de la société et du milieu littéraire. Louise D'Épinay (1726-1783), par exemple, établira en grande partie sa réputation sur ses qualités de pédagogue. C'estavec les Conversatiops

<tÉmiIi.e,

un ouvrage qui s'offre comme modèle d'éducationpour les 6lles, qu'elle gagne le concours de l'Académie française en 1781, pour le prix Monthoyon, contre nulle autre que Stéphanie de Genlis, dont ~ (1782), son premier succès grand public, figurait également surlaliste des ouvrages retenus. LouiseD'Épinay réclame, tout comme sa rivale, une plus grande instruction pour les filles, une large place accordéeàl'apprentissagedes langues étrangères, des

sciences et de la philosophie.

8Marie-EmmanueUePlagnol-DiévaJ..MadamedeGenlis etlethéAtre d'édyçatjgo

au

djx-bujtjèmA sjècle. dans Studies00 \bltajr@ and the8gbteenth Gentury. vol. 350: Oxford: 'A:>ltaire Foundation, 1996. p.. 3.

(25)

Par les qualités que leur confère leur rôle d'éducatrice, les femmes ont l'«expérience» - Stéphanie de Genlis emploie ce terme pour présenter sa méthode d'éducationdanssa préface à~ - delavulgarisation, et sunout, de la pédagogie. Or, c'est précisément cellewci qui est mise au service du «peuple» afin

qu'il puisse accéder à la connaissance, et qui est aussi au cœur de l'entreprise encyclopédiste. La pédagogie, et par conséquent la morale, terrain occupé par les femmes, leur permettent d'intervenir publiquement lorsqu'il est question de

r

éducation des femmes.

Les Philosophes des Lumières mettent àl'ordre du jour des réformes sodales unlarge de débat surl'éducation. Encequi concerne les femmes, ce débat puiseaux sources d'une autre polémique et porte plus largement sur le statut de la femme, depuis le Moyen Âge. En effet, cette période de l'histoire connaît plusieurs «Querelles des Amyes», au cours desquelles s'atJrontent des visions opposées de la femme. La polémique reprend de plus belle pendant la Renaissance; les textes de Christine de Pisan, de Louise Labé, de Mariede Gournay œmwœ~UHUDDlCL~a

femmes, 1622, ~, 1626), de Poulain de laBarre ~

deux

sexes,

1673, , 1674) ont élargi le débat à laquestion précise de l'accès des femmes àl'éducation et de leur instrudionu.

ALes femmes écrivains du Moyen âge etderaRenaissance avaientdéjàréclamé pour leurs semblablesune connaissance du droitetdes sciences (Christine deprsan.Le UyredeitroiSveaus.

1406. Louise Labé••AMlle Clémence de Bourges-. 1555. dansŒuvres complètes, Paris: Aammarion.

(26)

Quand paraît en 1687 le Imi1ULU~gblQB...~...wI~ de Fénelon, le débat n'est donc pas nouveau; au contraire, il est relancé, au dix-huitième siècle, par le succès d'une idée nouvelle: le progrès.

Rather, the education of women was a central theme in the writings of almost

an

authors, female and male. It was the subject of debate among the poUte sodety of the Parisian salons and the Cocus of much broader public attention tbroughout the country, as demonstrated by the number of

concours

(competitions) on that theme proposed by various

provindal academies.Z5

Depuis l'école de Saint-Cyr fondée en 1686 par madame de Maintenon, l'éducation figure parmi les grandes préoccupations des femmes et cet intérêt s'accentue au dix-huitième siècle. L'on peut sans doute avancer l'hypothèse selon laquelle ces écoles pour ftlles ont formé en grand nombre des intellectuelles qui, à J'issue de leur formation, allaient forcer la sodété à revoir leurs attentes envers elles.

L'une d'elles, Madeleine de Puisieux (1720-1798) offre l'un des cas les plus intéressants pour notre démonstration. Dans ses œuvres autobiographiques étudiées par Marie-France Sllver6

, de Puisieuxaborde la question de l'éducation des femmes

et leur exclusion des affaires publiques; dans Rftlexions et Ans sur œul6auts et ~ (1751) elle reproche aux Philosophes de ne pas avoir su «intégrerles femmes au mouvement philosophique»17.

Comme d'autres femmes auteurs, Madeleine de Puisieux constate avec tristesse l'incompatibilité de l'instruction des femmes et de leur statut. «[U) ne jolie figure

8Sarnia1.Spencer. cWomen and Education-, dans french Wgmen and the Age ptEnUgbtenment.

Indiana: UniversityPress. 1984, p.83.

Z&Marie-France Silver. cMactame de Puisieux ou l'ambition dtêtre femme de lettres-, dans

femmes

savantesetFemmesdtesprit.Op. cit., p. 184·201.

(27)

vous suffisait, et vous ne serez ni mieux mariée, ni plus heureuse, pour être mieux instruite.»28Elle reproche aux Philosophes, et surtoutà Rousseau, sa misogynie, etàla

société de ne pas respecter l'ambition, notamment littéraire des femmes.

La participation de madame de Puisieux à la vie intellectuelle est fort révélatrice de la place grandissante qu'y occupent les femmes. Rejetant l'obscurantisme de la religion, elle adresse à ses contemporaines des recommandations révolutionnaires: peu de femmes osent alors s'opposer aux dogmes et aux prescriptions religieuses; de Puisieux, elle, condamne le catholicisme, et notamment l'institution du mariage, en adressant au christianisme une critique «indirecte mais claire» selon les mots de Marie-France Silver9

• En l'occurrence,

ses idées s'inscrivent de plain-pied dans le courant philosophique en pleine effervescence:

Àla notion religieuse de dévotion Madeleine de Puisieux oppose celle, laïque, d'humanité. Comme bien des philosophes des Lumières, elle utilise comme critère d'évaluation la notion de bien public.50

Un thème connexe s'inscrit donc dans les écrits des femmes du dix-huitième, comme nous venons tout justede le voir avec Madeleine de Puisieux, où convergent leurs idées sur l'éducation: l'incompatibilité delaformation qu'elles reçoivent et de lavie quilesattend.

aIbid.t p. 184-185.

a Ibid.. p. 193.

(28)

Taught Brst al home by their mothers, who were themselves

olten an uncriticable product of the prevaling view, girls spent most of their formative years in convents where they learned Iittle but some superficial sode~ conventional morality, the arts, music and drawing. They were then precipitated ioto the competitive amorality of fashionable society with ils extravagant, libertine Ufe-style.l l

selon Bonnel et Rubinger, ce thème se retrouvedans les œuvres de lamarquise ,Ba)exioos nouvelles sur JaJemmes, 1728), de Louise d'npinay (Les Conversatiops

<l:&niIi.c,

1774), de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont(_.lLiJJ~~~11eL 1760), de Françoise de Graffigny

(Lettres

~, 1747) et, bien s6r, dans celles de Stéphanie de Genlis. Cette dernière, en plus de meure en scène dans ses romans certaines incohérences du système d'éducation des femmes, propose de nouveaux principes dans son Discours su:Ja sURLlression da couvents <k...J:di&jeuses, en 1791; elle propose aux jeunes 6IIes de «recevoir quelques notions d'économie domestique, de finance, de droit, et même de droit publie». Selon Gabriel de Broglie, biographe deStéphanie de GenHs, celle-d veut que les femmes apprennent l'autonomie et deviennent de vraies citoyennesl l

L'intérêt pour nous d'aborder les contributions de plusieurs femmes auteurs, est de deux ordres: premièrement, ce panorama permet de montrer que d'autres femmes que StéphaniedeGenlis ont produitdestextessur le statutdesfemmes; cequiestplus

Si

a

'P. c .,ft p. 24.

:RSignalons toutefois que Stéphanie de Gen6s nefutpas la première femmeà revendiquercela:

pendantles mêmes années. madamedeMiremont publie unTrajtêsyeItMucatjgndesfemmes.ensept

volumes (1779-1789), etréclame elle aussi un apprentissage plus complet pour les femmes. 'vOir R. Trousson, RomansdefemmesduXVIII. siècle, Paris: Robert Laffont, 1996, coll. Bouquins, p. V. Pourla référence au texte de Stéphanie de Genlis,cf••Drscourssur la suppression des couvents deretigieuseS-,

(29)

éclairant, c'est que l'on constate qu'il y avait aussi entre plusieurs auteures des désaccords sur le rôle de l'instruction, de la morale; ainsi, Stéphanie de Genlis accordera beaucoup plus de place à la religion et à la morale que Madeleine de Puisieux, ou que LouiseD'~pina}) dans l'éducationdes filles.

selon nous, ces différents points de vue sur la religion, l'éducation des filles, le savoir et l'instruction démontrent que les femmes écrivains des Lumières développent un discours vivant, argumenté, significatif pour l'étude des écrits féminins.

Si l'on se fie aux textes des commentateurs contemporains et aux écrits féminins du dix-huitième siècle, il apparaît clair désormais qu'une communauté de femmes de lettres est en voie de constitution. Les femmes sont présentes dans les salons, y exercent leur inftuence. Si elles ne peuvent prétendre à la célébrité sans risquer leur réputation, elles s'immiscent tant bien que maldanslavie publique.

Bien qu'elles soient quasiment absentes des académies et des loges maçonniques, elles écrivent, publient, correspondent, entre elles et avec des hommes de lettres, collaborent àdes journaux qu'elles dirigent parfois. Enqualité de

«pédagogues» eUes prennent très souventlaparolepour critiquer les travers deleur société,

le son

réservé

aux ftUes, leur

manque d'instruction, lafragilité de

leur

stalUt;

et

c'est le plus souvent

dansla

action que l'on retrouve

ces cridques

ou

satires.

ceae

production d'écrits féminins est-eBe légitimée par rinstitution littéraire? En partie,

(30)

23 oUÎ, puisqu'elle partage avec celle des écrivains «consacrés» un certain nombre de traits communs (dénonciation des injustices, éloge du progrès, de la science, etc.); mais les femmes abordent également d'autres enjeux qui semblent bien peu intéresser leurs confrères et font obstacle à laconquête de leur statut d'écrivain.

Les femmes de lettres du dix..huitième, comme les hommes de leur temps, choisissent le conte, la nouvelle, le roman, pour adresser à leur sodété les plus vifs reproches et décrier les préjugés dont les femmes sont victimes. Comme Diderot avec La Re1iaieuse, Marivaux (qu'admirait Stéphanie de Genlis) avec La Vie

<k

Marianne, Sade avec

Justine

ou les malheurs Lia verm, Laclos avec Les liaisons danlCreuses, elles se prononcent, en fiction, sur les mœurs de leur temps.

(31)

• QJapjtre 2: l\'éseDtatioD

dB

œJ)US. WJeSÜOnsde&efI11: Lecorpus

Parmi les nombreux ouvrages de l'œuvre genlisienne, nous avons sélectionné quatre nouvelles et contes ainsi que deux textes théoriques. Avant de les présenter, rappelons que Stéphanie de Genlis s'est fait connaître du public, comme nous l'avons déjà signalé, en qualité dtéducatrice.

ses

ouvrages pédagogiques, son théâtre et ses romans, ont pour but de fournir aux jeunes lecteurs des «modèles». Or, dans les textes de présentation de ses ouvrages, leur auteure fait également la critique de cenaines idées; elle se prononce publiquement sur les discours qui circulent au sujet de l'éducation et des femmes. Par exemple, dans la préface d'~t la pédagogue attaque~t qu'elle jugeun roman dangereux pour les jeunes lecteurs. Ce texte, publié en 1782 - et remanié par la suite lors des nombreuses rééditions -, constitue la première incursion de Stéphanie de Genlis dans le débat pubUc sur l'éducation. Ctestàce titre que nous renverrons àcette préface.

Devenue auteur, Stéphanie de GenUs est l'une des femmes les plus célèbres et les plus soUidtées de son temps. Ce n'est pas par hasard si la librairie Mandan, son éditeur parisien, lui confie une collaborationàlaBibliothèque des Romans, traVail pour lequel elle gagnera mille deux cenes francsparannée.

Vendue par abonnements, cette Bibliothèque comporte des romans, des nouvelles, des contes et des critiques que signe Stéphanie de Genlis, au nombre desquels figurent La.1emme auteur (1802) et ~ (1802), nouvelle historique qui connaît un très grand suc:cès àla fois public: et critique. Stépbanie de Genlis poursuit

ceue

collaboration jusqu'en 1804:

(32)

ces

messieurs voulaient un petit conte tous les quinze jours, ce qui 25

m'a paru un peu trop exigeant. Toutes les semaines, on me persécutait, ce qui n'a produit que l'annonce que je voulais me reposer et l'on m'a congédiée.53

J\rant acquis une certaine célébrité, Stéphanie de Genlis, qui, comme de nombreux auteurs, publiait souvent de manière anonyme, peutenfin se faire connattre comme romandère sous son véritable nom.

Sa réputation lui vaut également de partidper à l'élaboration, en 1811, d'une Bioa-apbje universelk, collectif dirigé par un historien, Jean-François Michaud. Parmi la centaine de collaborateurs, Stéphanie de Genlis est chargée de recenser un

certain nombre de femmes auteurs à travers l'histoire et de rédiger pour chacune dtelles une biographie.

Refusantlapartidpation au projet d'un auteur avec lequel elleesten désaccord surle plan religieux, Stéphanie de Genlis quitte l'entreprise et publiera lamême année

D.ùïDt1ue

nce

dWemmes

sur la.Jjttérature frangise. comme groteetrices

da..kUm

et

comme auteurs; ou Précis

d.U:bistoire

<kLfemmes

_aises ~ . Dans cet ouvrage innovateur, Stéphanie de Genlis présente quarante-deux femmes et faitprécéder le toutd'unepréface intituléeBŒexiogs préliminaires sur

kUemmes.

Ce préambule, fascinant, d&eloppe deux arguments que l'on retrouve dans les autres textes de notre corpus: le premier consisteàvouloir démontrerla supériorité du dix-septième siècle sur le dix-huitième, le second, plus intéressant pour notre sujet, vise à réfuter systématiquement toutes les attaques qui peuvent @tre adressées aux femmes qui écrivent; de GeDIis réclame non seulement leur droitàprétendre àlavie Uttéraire etintellectuelle, mais elle revendique également leur droit àlarenommée.

SiLettredeStéphaniedeGenlisàsa fille Pulchérie. datée du 30 avril 1805. Archives\9Ienœ(lettre

(33)

DU:IoOuence dwemmes sur laJjUérature frapçlis.e constitue une source prédeuse de connaissances: non seulement de Genlis présente-t-elle les quarante-deux portraits inscrits en index, mais elle exhume les œuvres de femmes inconnues, truffe son texte de données historiques, d'extraits de romans, lettres et poèmes; l'auteure commente également la réception critique des écrits féminins (la loi du

«deux poids, deux mesures» qui avantage toujours les hommes auteurs), et sur leur contribution spécifique. Void ce qu'elle écrit à propos de ItJ...mll'.CJ5K...œJ.ai~ l'œuvre maitresse de madame de Lafayette:

C'est le premier roman français où

r

on ait trouvé des sentiments toujours naturels, et des peintures vraies. Ce mérite éminent élèvera toujours madame de la Fayette au-dessus de tous les romanders de sa nation, hommes et femmes. Madame de la Fayette a ouvert une nouvelle route aux auteurs qui écriventdans

ce genre, et elle asu tracer cette route avec tant d'intérêt et de vérité, que l'on n'a jamais pu la surpasser que par la manière d'écrire et par les intentions morales.'"

En dépit de l'ambiguïté des dernières lignes de cet extrait (qu'entend-elle par la «manière d'écrire»?), de Genlis fait l'éloge d'une pionnière et souligne l'importance du «modèle» quefournitaux femmes l'auteurede~. Nous renverrons donc abondamment à cet essai, en particulier pour analyser la question du savoir et de l'ambition littéraire des femmes dans notre troisième chapitre.

SiStéphanie de Genlis.De'·'nfluencedesfemmessurlalittérature, commepmtectriÇ@§desleUres

françai.etçgrnmeauteurs,ou précisdel·bistQfredesfemmesfrancaisesIlspluscjW;;Ires~PariS:

(34)

27

Parmi les textes théoriques de Stéphanie de Genlis, nous avons également sélectionné pour notre corpus secondaire, les Mémoires, dans lesquels nous puiserons de nombreux commentaires et références, témoignages prédeux qui

comblent le silence de l'institution littéraire sur une femme célèbre et une œuvre pourtant considérable.

Les quatre nouvelles choisies pour l'analyse de l'image de la femme lettrée ont été écrites pendant la même période: La.Jemme auteur, ~ et

MW;laWl!ISJllU~leJm1Dm sont publiées en 1802, ~en 1804. À

l'occasion, nous pourrons aussi faire état d'autres écrits de fiction. Ces textes seront étudiés plus

en

détaildans notre quatrième chapitre, au cours duquel nous dresserons le portrait delafemme savante dans l'œuvre de Stéphanie de Genlis. Ces textes de fiction, pour la plupart assez couns, font partie des «Contes moraux»; ils sont donc destinés à

illustrer une thèse et à servir d'exemple, particulièrement au lectorat féminin. Bien entendu, nous renverrons régulièrement à d'autres textes de l'œuvre genlïsienne, tout aulong du mémoire.

Pour StéphaniedeGenUs, trèsauaehéeaux valeurs du

xvn

e siècle, lalittérature

estaffaire de bon godt, de morale, d'utilité; ils'agitdonc de choisir debons modèles et

de reproduire ce que l'onvoit comme le suggère Alice Laborde, pour de Genlis, cla Uttératureestune question d'imitation-.lS

(35)

28

En cela, notre auteure n'est pas différente des hommes de lettres de son époque; comme Diderot et Voltaire, elle croit en une littérature qui doit servir les idées, et favorise les récits àthèse:

Diderot lui-même, malgré ses prétentions à plus d'originalité, reste un fervent de l'ingérence de la morale en littérature.

n

va jusqu'à, vouloir baser son théâtre sur "l'honnête". Tout comme Voltaire, lorsqu'ü prêche contre la morale, fait en réalité encore et toujours de la morale, du moins dans les ouvrages publiés de son vivant.56

Pourl'auteurd'~ comme pourles hommes de lettres de son époque,

lalittératureestune question d'éthique; l'estbétique'7 doit être au service de la morale. C'est également l'avis de Gabriel deBroglie, son biographe:

Àla différence de nombreux auteurs avant eHe, qu'elle admirait, Stéphanie de Genlis n'accordait pas d'importance àla création littéraire. L'écriture était surtout un moyen de wlgarisationet de

prosélytisme. L'écrivain devait se laisser guider moins par son inspiration que par ses devoirs qui consistaient pour l'essentiel à transmettre laconnaissanceetà cultiver les Vertus.31

Stéphanie de Genlis va même, dans unesprittrès classique, jusqu'àdéconseiller l'usage de métaphores, qui signifierait, selon Alice Laborde, «aller contre le système de pureté, desobriété etde précision qu'elle préconisait».39

i Ibid•• p. 96.

JIBien sûr. nous délaissonslàun aspect maïeurde l'œuvrede Diderot. qui, comme l'ontdémontréles

commentateurs. comporte également unedimension esthétique essentielle pourlanaissance duroman.

entre autres.

31GabrieldeBroglie.MadamedeGenlis, Paris: Perrin, 1985, p. 431. 310p. cit., p.93.

(36)

selon Laborde, de Genlis ne croit pas non plus àl'inspiration ni au génie tels que Saint-Lambert les définit dans l'article de l'~: «Seul le travail bien conduit, rigoureusement réglé peut engendrer une œuvre "humainement" parfaite».·o

La littérature d'introspection, telle que le romantismevaladévelopper, ne conviendra pasàStéphanie deGenUs.Void ce qu'elle écrit, dans sa préfaceà~au sujet des ~, «monstrueux etdégoûtantouvragequitlétrità jamaislamémoire deRousseau••1:

Je ne crois pas qu'il existe un livre aussi pernideux que cette abominable et plate production. Dans les autres ouvrages de ce genre, si le vice se montre avec autant d'audace, du moins ne prend-il pas le nom saaé delavertu [...].n

En regard de cette critique féroce, toute vérité n'est pas bonne à dire, et les fautes dont se repent Jean-]acques Rousseau dans ses célèbres~n'émeuvent nullement Stéphanie de Genlis...

2crire, pour elle, conformément aux prescriptions rhétoriques conventionnelles, ce n'est pas parler de soi, mais bien de sa société. Cette conception de lalittérature est sans aucun doute ce qui opposera le plus nettement Stéphanie de Genlis, une «pragmatiste forcenée.H, au romantisme, età Germaine de Staël contre laquelle elle écrira un récit satirique, ~, dont nous traiteroDSau

quatrième chapitre.

iJ/bid., p..94.

4'Stéphanie deGenlis. préface d'Adèleet!bégdgre, ou Lettressur l'édycatjon.. Paris: Lecointe, 1822, (6ième édition) tome l, p.x.

42nr. ,.... '

""". wll.. , p.XI.

(37)

30 PréjuBs contre

le

roman

et

contre l§jemmes

n

est devenu banal aujourd'hui de considérer le roman comme le genre littéraire féminin par excellence du xvme siècle. Pour Georges Ma% auteur du

D.iJegunedu

roman

auXYIIIf~·" un ouvragequiétudieles rapports du roman et de la critique entre les années 1715 et 1761, les femmes sont très nombreuses à pratiquer surtout le roman, et Stéphanie de Genlis figure parmi celles quien publient le plus. Celle-a dira d'ailleurs, dans l'lIdJuence ~emmes sur 1a.Jittérature, que les meilleurs romans de son siècle sont signés d'une plume féminine.

D'après Joan Hinde Stewart, auteure de «The Novelists and their Fictions», le nombre de femmes qui écrivent va croissant au dix-huitième siècle:

[... ] the number of successful women mters had increased markedly as the century advanced. While their inclinations and capaaties were endlessly weighed, women continued to write, and they espedally wrote novels.n

n

nous faut toutefois préciser que la prédilection des femmes pour le roman est

déjàconstatée dès le dix-septième siècle, et que, malgré l'accord des commentateurs pour assoder les femmes à l'essor du roman, ilreste qu'elles sont moins nombreuses que les hommes àen écrire, sunout si l'on considère qu'elles signent rarement leurs œuvres.

"'GeorgesM~ Lep!lemm@dyromanau X\llIIRsjède, etydesye(esrapgqtJdyrqnanetdefa

critiqy@, 17'5-'78' ,Paris: PU~ 1963.

45JoanHincfeStewart.cThe Novelistsand their Fictions••dansfrench Wgmen and the AgeQf

(38)

31 Selon Marie-Laure Girou-Swiderski, dans un article qui porte sur «l'étude dela

vie et de la production de 25 femmes de lettres dans la période 1740-1780.46 , la

dimension socio-économique ne doit pas être sous..estimée en ce qui a trait à la pratique Uttéraire des femmes:

Àune époque où il n'existe guère de professions féminines sauf dans le peuple, la littérature offre un moyen convenable de subsister. [...J L'importance de

r

ensemble des facteurs socio-économiques [...) se vérifie tant au niveau de la production qu'à

celui de la réception des œuvres. Une des preuves les plus décisives du caractère nettement alimentaire de cette production se révèle dans la coïncidence étroite qui existe souvent entre la date de parution des œuvres et les périodes les plus difficiles de la vie de ces femmes.i7

De plus, ainsi que le souUgne Joan HindeStewart, s'il existe un mythe relatif à l'écriture féminine, les femmes qui ont besoin d'argent en profitent:

On the other hand, the financial attraction of the literary profession and the independance it allowed must have been signifiants inducements, espedally when a certain number of commentators were encouraging women precisely to tbink tbat

their talents peculiarly suited them for novel writing.t8

Ce sera le cas de Stéphanie de Genlis, qui, pendant son exil et lors de son retourdans une France où elle n'a plus d'allié, compte sur l'écriturede romans, contes et nouvelles pour gagner sa vie et celle de ses enfants. Néanmoins, comme le déplore Stewart, le nombre de pubUeations anonymes rend quasiment impossible la recension detous les romans écrits par des femmes.

4IMarie-LaureGirou-Swiderski. -Profil socio-économique de lafemmedelettresfrançaise 1740-1780., dans SlLJdj-go

\bit.,.

andthe 8gbtMllth Centyry, vol. 264. 1989, pp. 1159-1161.

ltt'bid.. p. 1160.

(39)

32 &idemment les raisons économiques ne sont pas les seules qui ont mené les femmes au roman. Les préjugés contre ce genre littéraire - et contre les femmes - ont longtemps perpétué le mythe selon lequel, par exemple, les femmes seraient faites pour écrire des romans épistolaires, parce qu'elles sont plus proches de lanature, de «l'expression directe du moi»t9.

Ainsi que le démontre May dans son essai, bien qutil ne le formule pas ainsi, il

existe un mythe de l'écriture féminine. Nous n'emeurons le sujet que pour signaler d'abord que, malgré le consensus entourant l'importance du lien entre le thème de l'amour etlaftoraison du roman féminin, ilest hâtif de conclure, ànotreavis, que les femmes ne peuvent ou ne veulent écrire que sur ce seul sujet. Chez les femmes auteurs que nous avons dtées (la marquise de Lambert, Madeleine de Puisieux, Louise D'Épina% et, bien sûr, Stéphanie de Genlis), la dimension souvent polémique de leurs • textes prouve bienquel'amour n'est pas leurseullntérêt. Bien entendu, cen'estpas ce que soutient Georges Ma~ qui dénonce dès les années 1960 cet antifémiDisme de la critique envers la production littéraire féminine. Mais en analysant les diférents clichés relevés par Mayet exposés par les historiens de la littérature, il nous est

permisdefaire le portraitencreuxdeces lieux communs.

Tout comme Joan Hinde Stewart, Georges May observe donc qu'a y a une corrélation entre les femmes et la popularité du genre romanesque; celles-ci ont garanti l'avenir du roman en lui constituant un public, donc une «demande». Mais si l'on en croit lestextes deStéphaniedeGenlis surlaréputation littérairedesfemmes au

dix-huitième siècle ( , et ceux des

4iRâYfTîond li'ousson, -Introduction-, dans Rgmansdefemmesdu XVlI•..Iiiœ. Paris: Robert Laffont, coll. Bouquins, 1996, p. xiv.

(40)

33 commentateurs contemporains, dont Raymond Trousson, qui a dirigé l'anthologie Kmloaol.Jlt~mD~UïWt~ ellesn'ont pas vraiment eu le choix du genre:

Une formation insuffisante et la crainte du reproche de pédantisme ne leur permettent pas trop d'aborder les grands sujets, comme la philosophie, l'économie ou la politique; le respect des mœurs leur interdit le roman libertin, elles ne disposent pas de l'expérience nécessaire pour traiter le picaresque ou l'aventure. Comme toujours

ny

ades exceptions: Mme de Graffigny joue un peu les Montesquieu, Mme de Charrière com~se des brochures politiques et des romans surla

Révolution, l'~migration ou la conception kantienne de la morale, Mme de Genlis s'en prend àla philosophie au nom de la

religion [...].sa

Georges May optait déjà le premier, en

1963,

pour ce scénario: il est plus facile de croire que le roman, n'étant pas une forme canonique de la littérature, fut plus propice à être pratiqué par une population moins scolarisée, les femmes. Cette hypothèse disqualifie celles qui se fondent sur la préférence des femmes pour le sentiment, pourla psychologie et l'intime, etnous paraîtplusprobante sur le plan dela

sociologie de la littérature. Ajoutons àla proposition de May celle de Lieseloue Steinbrigge, selon laquelle le roman féminin, loin dtêtre sentimental, se fait également, pour les femmes auteurs, instance de légitimation des débaU moraux: cDs

n'est pas rare que les auteurs féminins répondent par leurs romans aux prises de

position de leurs collègues

masculins,

bref

qu'un

dialogue entre les deux

sexes

s'étabUsse à travers les romans»SI.

'Op. cit.. p.xiii.

5tUeseIotte Streinbrügge. -Dialogue entre les deux sexes sur le romana. dans •Table ronde: Les femmes en qualté d'auteur, Actesdu Newième congrès international des Lumières. Münster 23-29 juillet.

1995-. etudies on \bItajre andtheEighteentb Ctntyry, vol. 348. Oxford:'Wltaire Foundation. 1996.

(41)

34 L'hypothèse de Ma,; sur le rejet du roman par l'institution littéraire (et ses factions dominantes), nous semble concorder avec l'analyse de Stéphanie de Genlis et d'autres femmes de son époque. En fait, ce sont les résistances au roman qui ont favorisé son essor:

L'atmosphère littéraire de l'époque n'est donc guère propice au roman: en fait elle lui est clairement hosûle. En revanche, les conditions sociales et idéologiques, elles, lui sont éminemment favorables. La force ascensionnelle de la bourgeoisie et du non· conformisme, la régression du principe d'autorité et de l'analphabétisme, sont au premier plan de ces conditions

• ( ) H

propices au roman ....

En effet, les jésuites et les Philosophes critiquent le genre romanesque, son «effet tentateur et corrupteur sur [les] lecteurs, et pis encore, sur [les] lectrices»53.

Justement, l'analyse de May résulte en un rapprochement intéressant entre l'antiféminisme de l'époque et le rejet du roman; ainsi, pour Voltaire, l'amour est la seule chose qui intéresse les femmes, et c'est bien pour cela que ce sont elles qui

Usent et écrivent des ro~4; Rousseau lui-même, auteur de l'un des romans les plus populaires du

xvme

siècle ~, nourrissait envers le roman et les femmes les plus grands préjugés. Dans sa préface à ~, il écrit: «jamais Ollechaste n'alude romans».

Si l'on examine les idées que Rousseau exprime sur ce sujet à divers endroits de son œuvre, on verra sans peine se dessiner

une attitude systématique et cohérente qui fait de lui un

représentant peut-être inattendu, mais en tout as parfaitement net, l'un des plus nets àson époque, de l'hodlé combinée vfs-à-vis des

femmes

etdes rolDallS.ss

52Georges May.LeDilemmeduromanauXVIII.sjède,

et

ydessyrresrapportsdu[QOl8Qetdela critiqye 1715-1761. Paris: PUt=. 1963, p. 6.

5!/bid., p. 24.

54/bid.t p. 211. sslbid.

(42)

Ainsi que le suggère May, «si les romans sont bons pour les femmes, n'est·i!

35

pas juste d'en conclure que les femmes sont bonnes pour le roman?»S6 D'ailleurs, aux côtésdeVoltaire et de Rousseau, et de quelques abbésqui déconseillent aux 61les de Ure les romans corrupteurs, desfemmes aussi, comme Stéphanie de Genlis, sont d'avis que le roman est un genre fait pour les femmes (comme lectrices et surtout comme auteures). Mais chez elle, la «sensibilité» des femmes, leur aptitude à mieux dépeindre les sentiments agissent avant tout à titre de compensation pour leur manque d'instruction.

Le roman etle savoir

Pendant que sur le planpolitique se joue l'avenir des femmes qui entrentpeu à peu dans l'arène publique en investissant la sphère littéraire, c'est dans le champ esthétique que se joue l'avenir du roman. Après que Bolleau eût estimé les romans «peu solides» et «frivoles», l'institution littéraire les accusera de transgresser les règles de l'an:

Et, en effet, les thèmes précis des attaques esthétiques importantes du XVIIIe siècle furent l'invraisemblance et l'irréalismede la composition des romans, de leur invention, de leurs situations, de leur psychologie, de leur style.S1

s'n

est vrai,

comme l'indique

Joan

Binde

Stewart,

que les

femmes

ont coombué à l'essor du roman an dix-huitième siècle, on peut probablement avancer, en nous appuyant sur les thèses de Ma}; que ce genre littéraire, rejeté de tous, a

Y/bid••p. 217.

(43)

probablement représenté une occasion pour les femmes d'écrire. Selon l'essayiste, le genre romanesque aurait été pratiqué par les Anoens s'il avait été un genre noble, au même tire que le théâtre (la tragédie) ou la poésie; les écrivains des Lumières y auraient adhéré et auraient obéi respectueusement àun certain nombre de règles, de

lois, correspondant au modèle classique.

En raison de ces résistances au roman, cesontles femmes qui stapproprient le genre: les Sophie Conin, Marie-Jeanne Riccoboni, mesdames de Tencin, de Graffigny, de Charrière, de Genlis, deviennent des auteurs prolixes de romans en tous genres. Selon Stewart, ces femmes auteurs sont indépendantes, d'âge moyen, souvent de classe moyenne, et elles produisent des écrits qu'elles vendené8

• Populairesàleur époque,

mais non respectées, elles sont sujettes àêtre plagiées très souvent et ne jouissent d'aucune crédibilité littéraire institutionnelle, particulièrement en ce qui concerne, écritStewan, les questions d'édition, de publication et de paiement. Ces remarques se retrouvent d'ailleurs dans les textes de ces nouvelles femmes de lettres. Stewan donne l'exemple de madame de Graffign); qui déplore avoir recours aux services d'un agent pour voir àses intérêtsS9

; au sujet du plagiat, Stéphanie de Genlis ne manque pas, dans

une note en bas de page de son InOueoce daJemmes sur 1a.Jjttérature frang.i§c, consacrée à Louise Labé et au um;mL.K...tmI~ut4IWmL de déplorer la situation difficile des femmes:

La Pontaine en apris le sujetd'une deses plus joliesfables, et le Bon homme se gardera bien d'avouer le larcin. QueUes que soientlabonhomie etlacandeurd'unauteur, ilsaitque, par une loi tacite, mais universelle, il est toujours dispensé de convenir qu'Adoit àune femme uneidéeheureuse.Dans ce cas seulement, le plagiatet le sUence sontégalement légitimes."

- " iLoc- . -cït-.•-P-.1-98...

-!a/bide

(44)

37

En dépit de ces conditions difficiles, les femmes produisent des romans selon les mêmes règles que les hommes: elles écrivent des romans épistolaires, réalistes, d'analyse, sentimentaux, des romans-mémoires, des romans philosophiques. L'ampleur de la production féminine romanesque invite également à établir des typologies:

As a group, they treat love, marnage, and abandonmentwith more or less sensibilité, e1oquence, and narrative mastery and tend to avoid the pornographie and the libertine novel, which were tlourishing forms.61

Les femmes s'emparent donc du genre. Elles écrivent des romans, mais de plus, elles se «spécialisent»; contournant habilement l'interdiction qui leur est faite de pénétrer dans les bastions mâles que constituent les domaines de l'histoire, de la politique, bref, du savoir, de Genlis écrit des romans historiques: Les Chevaliers du • ÇYJne ou la cour d~ Charlemagne (1795), Le Siècle de Louis XIV (1820), ou elle compose des romans à la fois biographiques et historiques tel que Mademoiselle de la Fayette ou le siècle

de

Louis XQI (1813).

Le roman didactique, lui, est certainement l'un des plus pratiqués par de Genlis; est-ce parce que l'époque est tournée vers la découverte et la diffusion des connaissances? Sans doute. Les écrits de Stéphanie de Genlis sont remplis de discours scientifiques, historiques, de lexiques et de vocabulaires renvoyant au savoir encyclopédique (Les AnnaJ&s...BJa vertu, L§..Monuments reUBieux, Essai sur les arts,

etc.). Par ailleurs, ('éducation étant fortement liée à la morale et étant dispensée par les femmes, ainsi que nous l'avons exposé au premier chapitre, le roman didactiqueest l'un des genres privilégiés, notamment pour de Genlis; elle en use, par exemple, pour faire la leçon àses illustres élèves.

Références

Documents relatifs

L’apparition tardive du paragraphage dans le récit de fiction au XVII e siècle, au regard d’autres textes en prose, nous semble révélatrice des théories et des pratiques du

Cette lettre du 9 mars 1876 7 concerne une reprise au Théâtre-Français de la pièce de Sand Le Mariage de Victorine, couplée avec Le Philosophe sans le savoir de Sedaine

Suzanne décrit précisément la succession des gestes et des signes physiologiques fort peu équivoques de la supérieure : c’est une description d’actions qui fait tableau. 33

In this research two methods for recognizing water droplets that are formed during dropwise condensation on the flat and pillared substrates are presented2. The aim of these methods

distance minimale et distance de Mahalanobis ont également été utilisés (Saito et al. Cependant ces méthodes ont entrainé des confusions de classification entre les classes

C’est précisément la défaillance du Nebenmensch que les persécutions ont induite qui rend l’inscription dans l’espace des demandeurs d’asile si particulière

Repair of tricuspid valve insufficiency in patients undergoing double (aortic and mitral) valve replacement. Yilmaz M, Ozkan M,

1) The provocative meanings of the scope under study evolve a critical dialogue vis-à- vis the different representations of woman identity by Dalit and non-Dalit women authors. 2)