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Avoir à être le bien en personne chez Zundel : esquisse d'une éthique pour qu'elle soit au meilleur d'elle-même

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Avoir à être le bien en personne chez Zundel

Esquisse d’une éthique pour qu’elle soit au meilleur d’elle-même

Thèse

Réjean Bérubé

Doctorat en théologie

Philosophiae Doctor(Ph.D.)

Québec, Canada

© Réjean Bérubé, 2017

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Avoir à être le bien en personne chez Zundel

Esquisse d’une éthique pour qu’elle soit au meilleur d’elle-même

Thèse

Réjean Bérubé

Sous la direction de :

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Résumé (long)

La prise de conscience des limites de l’éthique dans son statut séculier et le sentiment de distance plus ou moins douloureux, plus ou moins déchirant, entre les aspirations à une vie chrétienne authentique et les quelconques résultats de nos pratiques quoti-diennes, nous a conduit à plonger dans l’œuvre de Zundel. Aux confins de la réflexion anthropologique et théologique de celui-ci, la possibilité d’une éthique qui passe par une nouvelle sagesse nous est apparue : celle qui résulte du témoignage de ce que la personne devient quand elle fait l’expérience de la rencontre de Dieu. Pour Zundel, il paraît important de mettre en lumière que le bien, ce n’est pas d’abord quelque chose à faire, mais Quelqu’un à aimer.

La cheville ouvrière et les fils qui tissent et sous-tendent toute la démarche zundélienne gravitent autour de cette expérience qui donne à la personne d’être le bien, c’est-à-dire, d’être à la fois origine et témoignage de ce qu’elle devient, approche novatrice en ce sens qu’elle suppose dans ses éléments essentiels la perspective d’une mystique qui surdétermine l’éthique de convenance en l’introduisant dans l’économie créaturale de « Quelqu’un à aimer ». La naissance de la personne en Dieu concorde avec la naissance de Dieu en la personne, et c’est à cette jonction que l’éthique de convenance se mue en une éthique qui se confond avec la sagesse chrétienne dont la forme achevée est la mys-tique.

Son œuvre donne d’abord une première impression d’obscurité. Une manière de dissi-per cette impression a consisté, au long des relectures, à recueillir les innombrables pépites d’or qu’elle contient et à repérer des points de convergence; or, ces points de convergence semblent être aussi ceux où coïncident devenir de la personne et témoi-gnage de ce qu’elle devient quand elle fait l’expérience de la rencontre de Dieu. Si si-nueuse qu’en soit l’organisation, cette œuvre pointe inéluctablement vers cette ren-contre de l’homme et de Dieu. Elle porte sur les conditions préalables d’une expérience détachée de toute assignation particulière, bien que concrètement destinée à s’inscrire en une mystique qualifiée de réaliste dans notre pleine existence physique. L’examen des différentes facettes de ces pépites aux mille reflets met en évidence que la personne devient le prolongement en gratuité d’une Gratuité-source qui est pour Zundel l’amen d’une éthique au meilleur d’elle-même.

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Ce que Zundel ne cesse de répéter, par le tranchant de son propos, est que la personne ne peut naître à elle-même que dans sa relation à Quelqu’un qui n’est pas elle, mais qui est au plus intérieur d’elle-même. Cette nouvelle naissance (Jn 3,3-8) est ce qui va lui permettre de révéler ce Quelqu’un par l’intermédiaire de l’art, de la science et de la re-lation interpersonnelle. Il convient donc de penser la personne en termes d’émergence, à partir de son existence hic et nunc, c’est-à-dire une émergence suspendue à l’expérience de la rencontre de Dieu. Et c’est à partir de cette expérience que la per-sonne devient ce qu’elle a à être et révèle Celui qui l’habite. Dieu se manifeste qu’à même la transformation, voire la transsubstantiation de l’homme.

Selon Zundel, une éthique dont la cellule germinative est l’amour ne se présente pas comme un corpus de nouvelles règles qui remplaceraient celles qui sont issues des élé-ments procéduraux et formels des grandes philosophies et théologies morales. L’amour est au principe de l’éthique par excellence. Il se montre en personne. Il se fait jour en elle et par elle. Il convertit en quelque sorte le « devoir » et le « se devoir» en témoi-gnage. Il donne à la personne d’être le sanctuaire de Dieu. « Qui se donne à Dieu de-vient capable de donner Dieu. » (Zundel, M., L’homme passe l’homme, p. 105).

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Résumé (court)

Aux confins de la réflexion anthropologique et théologique de Zundel, la possibilité d’une éthique qui passe par une nouvelle sagesse nous est apparue : celle qui résulte du témoignage de ce que la personne devient quand elle fait l’expérience de la rencontre de Dieu. Pour Zundel, il paraît important de mettre en lumière que le bien, ce n’est pas d’abord quelque chose à faire, mais Quelqu’un à aimer.

Son œuvre pointe inéluctablement vers cette rencontre de l’homme et de Dieu. Elle porte sur les conditions préalables d’une expérience détachée de toute assignation parti-culière, bien que concrètement destinée à s’inscrire en une mystique qualifiée de réa-liste dans notre pleine existence physique. L’examen des différentes facettes des pépites aux mille reflets qu’elle contient met en évidence que la personne devient le prolonge-ment en gratuité d’une Gratuité-source où la vie devient liturgie, une Gratuité qui serait pour Zundel l’amen d’une éthique qui se confond avec la sagesse chrétienne dont la forme achevée est la mystique.

Une éthique dont la cellule germinative est l’amour ne se présente pas comme un cor-pus de nouvelles règles qui remplaceraient celles qui sont issues des éléments procédu-raux et formels des grandes philosophies et théologies morales. L’amour est au prin-cipe de l’éthique par excellence. Il se montre en personne. Il se fait jour en elle et par elle. Il convertit en quelque sorte le « devoir » et le « se devoir» en témoignage.

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Table des matières

Résumé (long) ... iii

Résumé (court) ... v

Table des matières ... vi

Introduction ... 1

Hypothèse, question principale et sous-questions ... 10

Statut de la recherche ... 11

Méthode ... 11

Plan ... 14

Première partie : Avoir à être le bien en personne ... 21

Chapitre I - Préalables à l’expérience de la rencontre de Dieu ... 21

1.1 Introduction ... 21

1.2 Constat à propos de l’homme-individu ... 23

1.2.1 Héritage ... 23

1.2.2 Conformisme et estime de soi ... 25

1.2.3 Regret, nostalgie et complaisance ... 28

1.2.4 Pharisaïsme ... 32

1.3 Prise de conscience et questionnement ... 38

1.3.1 Connaissance ... 38

1.3.2 Reconnaissance ... 40

1.3.3 Ressaisissement ... 42

1.3.4 Questionnement ... 44

1.4 D’un refus à l’autre ... 48

1.4.1 Les contraintes ... 48

1.4.2 Le mal absolu ... 51

1.4.3 La fragilité de Dieu ... 54

1.5 Consentement ... 58

1.5.1 Sur le chemin de la disponibilité ... 58

1.5.2 Dignité et inviolabilité ... 61 1.6 Disponibilité ... 62 1.6.1 L’ultime devoir ... 62 1.6.2 Disposition ... 64 1.7 La vraie liberté ... 65 1.7.1 Quelle liberté? ... 65 1.7.2 Libération intérieure ... 68 1.8 Remarques conclusives ... 75

Chapitre II - Expérience de la rencontre de Dieu en Personne ... 79

2.1 Introduction ... 79

2.2 Expérience d’intériorisation ... 83

2.2.1 Présence et intériorisation ... 83

2.2.2 Présence et transparence ... 86

2.2.3 Passer du dehors au dedans ... 90

2.3 Rencontre avec la Bonté en Personne ... 92

2.3.1 Bonté et création ... 92

2.3.2 Saint Augustin et saint François ... 96

2.3.3 Personnalisme trinitaire et personnalisation ... 102

2.4 Rencontre avec la Vérité en Personne ... 105

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2.4.2 Passer d’une « vérité-brique » à une « vérité-personne » ... 112

2.4.3 Vérité-Lumière... 114

2.4.4. Vérité et émerveillement ... 117

2.5 Rencontre avec la Beauté en Personne ... 122

2.5.1 Expérience de l’art ... 122

2.5.2 Passer du dehors au dedans ... 124

2.5.3 Véritable artiste ... 127

2.5.4 Beauté et émerveillement ... 131

2.6 Remarques conclusives ... 137

Chapitre III - Devenir de la personne et témoignage ... 141

3.1 Introduction ... 141

3.2 Devenir de la personne ... 145

3.2.1 L’homme-individu et l’homme-personne ... 145

3.2.2 Notion de personne vue par d’autres auteurs ... 150

3.2.3 Pour en revenir à Zundel ... 158

3.2.4 Personnalisation et témoignage ... 161

3.3 Témoin d’une Présence ... 166

3.3.1 Témoigner, c’est s’engager et attester ... 166

3.3.2 Témoigner, c’est aussi être fidèle ... 169

3.4 Témoigner avec compassion - Bonté... 172

3.4.1 Être compatissant ... 172

3.4.2 Désintéressement ... 175

3.4.3 Abandon et partage ... 180

3.5 Témoigner avec authenticité - Vérité ... 184

3.5.1 Être authentique ... 184

3.5.2 Vérité immaculée ... 188

3.5.3 Authenticité enfantine ... 190

3.6 Témoigner avec humilité - Beauté ... 193

3.6.1 Être humble ... 193

3.6.2 Transparence ... 198

3.7 Sagesse du témoignage chrétien ... 201

3.7.1 Pureté du témoignage ... 201

3.7.2 Sagesse chrétienne ... 203

3.7.3 Quelqu’un à aimer ... 207

3.8 Remarques conclusives ... 210

Deuxième partie : Esquisse d’une éthique pour qu’elle soit au meilleur d’elle-même ... 217

Chapitre IV - Une éthique mue par l’amour ... 217

4.1 Introduction ... 217

4.2 Concepts clés ... 219

4.2.1 Opinion de certains auteurs ... 219

4.2.2 Consensus ... 224 4.3 Éthique kantienne ... 227 4.3.1 Bonne volonté ... 227 4.3.2 Postulats ... 230 4.4 Éthique lévinassienne ... 234 4.4.1 Responsabilité ... 234 4.4.2 Assignation et socialité ... 238

4.4.3 L’infinie Antériorité et la Bonté du Bien ... 240

4.5 Éthique mue par le « devoir » ou par le « se devoir » ... 244

4.5.1 Sujet moral ... 244

4.5.2 Universalité ... 247

4.5.3 Amour ... 249

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4.6.1 Pureté de l’agir moral ... 253

4.6.2 Renversement de perspective ... 254

4.6.3 Impossible objectivation ... 258

4.7 Éthique par excellence ... 265

4.7.1 Don sans retour et éthique ... 265

4.7.2 Règle d’or, commandement nouveau et pur Don ... 269

4.8 Remarques conclusives ... 276

Chapitre V - Présence et Révélation en Personne ... 281

5.1 Introduction ... 281 5.2 Foi et espérance ... 282 5.2.1 Croire en ... 282 5.2.2 Espérer en ... 296 5.3. Amour ... 305 5.3.1 Évangile ... 305 5.3.2 Église ... 313 5.33 Recueillement ... 320 5.3.4 Silence ... 324 5.3.5 Prière ... 328 5.4 Révélation ... 333

5.4.1 Révélation de Dieu et révélation de la personne ... 333

5.4.2 Révélation et humanité ... 336

5.4.3 Révélation et communication ... 339

5.4.4 Révélation et éthique ... 343

5.5 Remarques conclusives... 348

Chapitre VI - Théologie, mystique et éthique ... 351

6.1 Introduction ... 351

6.2 Théologie ... 353

6.2.1 Théologie morale ... 353

6.2.2 Théologie mystique ... 362

6.2.3 Mise en perspective de la théologie zundélienne ... 368

6.3 Mystique et éthique ... 375

6.3.1 Morale chrétienne et réalisme mystique ... 375

6.3.2 Mystique et éthique ... 384 6.4 Remarques conclusives ... 390 Conclusion ... 397 ANNEXE I ... 419 ANNEXE II ... 421 ANNEXE III ... 425 ANNEXE IV ... 427 ANNEXE V ... 429 ANNEXE VI ... 431 ANNEXE VII... 435 ANNEXE VIII ... 441

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Introduction

Note liminaire

En supposant que l’éthique n’ait jamais cessé d’être au centre de l’agir humain, elle devient de nos jours la question des questions. Le terme éthique semble faire droit à une requête implicite de renouveau, voire de nouveauté, et ce, au cœur même de notre so-ciété de plus en plus sécularisée. Les avancées étonnantes de la science, leur ascension à une hauteur qu’il faut d’ores et déjà qualifié de cosmique, les renouvellements radi-caux de l’intelligibilité dans les technologies dites virtuelles exigent que nous nous in-terrogions à propos d’une éthique qui prend davantage en considération les valeurs changeantes de notre monde moderne.

La rapidité de l’évolution scientifique, technologique et sociale, l’incertitude conjonctu-relle et le déclin de l’influence religieuse font en sorte que l’éthique connaît de nos jours une vogue ambiguë; elle vise une « vie accomplie »1 tout en s’ancrant dans la poursuite du bien commun et dans la reconnaissance de l’autre, ce qui la force à consi-dérer, du coup, une certaine tension entre l’accomplissement de soi et la conformité aux exigences du socialement et moralement correct. Elle est née du besoin de préserver la stabilité d’un « vivre ensemble » dans la justice et la paix, et ce, par l’intermédiaire de normes morales et d’obligations institutionnalisées. Parce qu’elle est la pierre de touche du sérieux de la démarche normative, elle se présente en quelque sorte comme une mé-tamorale qui se préoccupe des principes et des concepts liés à un certain art de vivre2. Guidée par une exigence de rigueur, de clarté et d’impartialité, et animée par le souci de rendre intelligible une réalité de plus en plus complexe et confuse, l’éthique s’est donc inscrite dans un patient effort de compréhension (à tous les sens du mot), en s’alimen-tant à même des principes nobles, inviolables et résolument supérieurs et en plaidant en

1 . On aura reconnu ici l’allusion à l’ouvrage de Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Points / Essais / Éd. du Seuil, 1990, p. 202 à 236.

2. S’agissant de cette idée selon laquelle on peut déduire la morale à partir de principes premiers a priori, il convient de préciser qu’il est souvent hasardeux de proposer une déduction convaincante et dotée d’un contenu éclairé conformé-ment à ce qui est convenable ou à ce qui ne l’est pas.

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faveur d’une universalité où chacun peut trouver sa place. Malgré cela, alors que tout semble aller plus vite que le temps et plus loin que le futur, plusieurs questions liées au progrès et à une volonté accrue d’aller au-delà de la justification des principes moraux et des normes d’action3

exigent une réflexion à nouveaux frais qui tiennent aussi compte des enjeux éthiques d’un monde en permanente évolution.

Grâce à la délibération sur des points de vue en apparence inconciliables, l’éthique4 peut atteindre une acceptabilité apte à introduire un ordre juste censé transcender la multiplicité des intérêts, et ce, dans un souci politique de respect et d’égalité. En s’adressant à la raison pour concilier liberté individuelle et bien commun, l’éthique et le politique s’efforcent de faire triompher la paix sur l’ardeur des forces contradictoires qui composent la société, mais cela suffit-il? Peut-elle n’être à la remorque que de la seule raison?

Conscients des limites de l’éthique du « comment agir le mieux possible » et mus par un besoin de dépassement, d’aucuns souhaitent un nouvel éclairage moins rigoriste, plus sublime. Ils ne veulent plus s’inféoder opiniâtrement à une éthique qui se situe dans les rets d’une idéologie dominante et qui résonne du haut de certaines institutions tant laïques que religieuses. Ils n’acceptent plus de se limiter qu’au seul pouvoir de la raison pour mettre en lumière leur destinée. Ils croient qu’il leur faut aller plus en pro-fondeur, à un niveau où la raison, par ses réflexions et ses analyses, impose une trans-cendance d’elle-même. Ils éprouvent une soif intérieure voulant que ce soit l’amour qui pourrait conduire l’éthique vers les plus hauts sommets, puisque la raison, si interpel-lante soit-elle, peut être ignorée lorsque vient le temps de passer à l’action5.

La raison semble ne plus constituer ce « point d’Archimède » inéluctable et péremp-toire pour régir une éthique devenue impertinente au regard de l’abîme ouvert par l’essor des sciences en général et des sciences humaines en particulier. Son autorité, voire sa souveraineté, se voit ébranlée par ceux qui affrontent, à visage levé, les formes, subtiles ou brutales, du déni d’humanité dont souffrent tant d’existences. Ce progrès

3. Les normes morales équivalent à une forme de normes sociales. Selon Philippa Foot (Morality as a system of

hypo-thentical imperatives, Philophisical Review, 81 (1972), p. 305 et ss.), elles représentent une sorte particulière

d’impé-ratifs hypothétiques.

4. Les mots « éthique » et « morale » sont ouverts à des interprétations diverses. Pour éviter toute méprise sémantique à cet égard, nous avons eu recours aux ouvrages suivants : Henri Bergson : Les deux sources de la morale et de la

reli-gion; Éthica : Groupe de recherche ÉTHOS; Alain Etchegoyen : La valse des éthiques; Paul Ricœur : Soi-même comme un autre, Amour et justice et Histoire et vérité; Éric Fuchs : Tout est donné, tout est à refaire, les paradoxes de l’éthique théologique; Luc Ferry : La révolution de l’amour, pour une spiritualité laïque et L’homme-Dieu ou le sens de la vie.

5. Jean-Luc Marion écrit ceci : « La moralité implique le surcroît de lucidité qui refuse de faire de la lucidité même le critère de la moralité ». Prolégomènes à la charité, Paris, Les Essais, Éditions de la Différence, 2007, p. 64.

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auquel nous assistons, parfois même auquel nous participons, nous fascinent et nous inquiètent à la fois. Cela ne veut pas dire, cependant, que tout ce qui est du passé est dépassé et tout ce qui est du présent est désabusant. Évidemment, il ne s’agit pas de contester l’ordre établi, ni de se réfugier dans un quelconque havre de paix. Il s’agit plutôt de mettre en perspective besoin d’accomplissement personnel pouvant inclure la spiritualité et souci éthique et politique à instituer un équilibre social convenable6. C’est précisément parce que la raison bénéficie d’une faveur inédite qu’elle devrait, selon nous, servir de tremplin pour donner accès à une réalité qui donne à la personne d’être le bien en plus d’ancrer en un « vivre-ensemble » valeurs et normes fondées sur le prin-cipe d’intelligibilité.

La pensée critique et la compétence éthique semblent se révéler indispensables pour discerner les aspects pouvant mener à une régulation souhaitée comme idéale et propo-ser des perspectives normatives pouvant subsumer un nombre infini de cas concrets. Néanmoins, certaines questions se sont vite imposées et ont pris une importance nou-velle. Comment avoir foi à une éthique qui met surtout l’accent sur la justification et la légitimation de normes comme moyens de contrôle social et qui ferait fi des considéra-tions spirituelles ou religieuses? Une telle approche n’aboutit-elle pas à un moralisme abstrait susceptible de nous faire perdre toute dignité humaine? Quel sens peut encore avoir l’idée d’une éthique qui est ignorée à l’heure de l’épreuve ou qui place l’anticipation d’une éventuelle transgression plus haute que son énoncé? Faut-il rompre avec l’idée, naïve peut-être, d’une foncière authenticité qui s’ordonnerait aux vérités et aux valeurs de ce que nous avons de plus intérieurement bon? Doit-on sonner le glas à tout espoir de devenir meilleur?

Même s’il ne faut pas trop rapidement disqualifier l’effort d’une éthique qui montre les cibles à atteindre et qui peut constituer un rempart contre la déchéance toujours possible d’une existence soumise à l’écheveau des contingences, force est de constater qu’elle peut être sans pouvoir pour adoucir les cœurs. Visée éthique et devoir moral peuvent contribuer à maintenir un fragile équilibre entre les différentes composantes de la socié-té et à les mettre à l’abri des malices de ceux qui ont ou qui sont indifférents aux

6. Dans Sagesse des choix, justesse des sentiments, Allan Gibbard pose la question morale dans une perspective entiè-rement nouvelle : « Comment se combinent les jugements, souvent divergents, que les humains portent sur les croyances et les sentiments de leur communauté et de leur espèce? » La question du jugement moral devient pour lui affaire d’examen attentif et systématique des pratiques collectives plus qu’affaire d’analyse logique et cognitive des énoncés moraux prêts à nous servir de guide. Cet auteur avance que nous ne devrions pas interpréter comme irration-nel ce pour lequel nous ne sommes pas en possession de preuves absolument convaincantes. (Publié par Harvard Uni-versity, Press, Cambridge, Massachusetts, 1990 et par les Presses Universitaires de France, 1996).

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cipes censés conférer des droits et des obligations. Toutefois, peut-on ne s’en tenir qu’aux principes, fussent-ils pertinents et nobles, pour maintenir une certaine paix so-ciale ou pour réduire au silence et à l’obéissance ceux qui ne s’y retrouvent pas? Les principes intrinsèques à l’éthique et au droit peuvent rester trop souvent en sommeil quand il s’agit d’asservir le penchant au mal propre et à l’égoïsme ambiant. Il peut y exister un apparent équilibre, mais cela ne met pas fin à « toute tempête de l’âme. » Tout importante qu’elle soit, l’éthique téléologique et déontologique suffit-elle pour tenir en respect le réseau des déterminismes qui régissent l’être humain? Peut-elle au reste contribuer à le libérer de sa part d’ombre et d’égocentrisme? Peut-elle, disons-le tout net, attendrir les cœurs? Sans guérison des affects de la convoitise, la cohabitation pacifique d’un « vivre-ensemble » ne ressemblerait-elle pas qu’à une simple trêve? On voit tout de suite poindre la question suivante : Avons-nous à mettre un accent particu-lièrement tragique à propos des inclinations qui habitent le tréfonds de l’être humain? Pour contrer le risque d’être mal saisi, une précision s’impose. Nous aurions tort d’opposer un idéal de sérénité intérieure à l’agression ou à la haine. Cependant, lorsque nous prenons la mesure de l’aptitude à veiller sur l’unification des différents points de vue, nous voyons bien que l’éthique peine à gérer les dérives causées par la tension en-démique entre l’accomplissement personnel et la prise au sérieux du souci de l’autre. Elle peut, certes, créer des conditions favorables pour qu’advienne la paix de l’âme, mais elle ne sera jamais plus qu’un relais à partir duquel l’amour peut prendre appui pour guérir ce qu’il y a de plus nécrosé dans les cœurs. L’éthique ne détruit pas ses propres conditions de survie en reconnaissant ses limites. Quand elle est à bout de course, elle peut ne pas être à bout d’élan et elle peut s’ouvrir à une réalité qui la dé-passe de part en part.

L’accomplissement de soi est la grande préoccupation de notre monde moderne. Toute-fois, on semble le chercher là où il n’est pas : soit dans une intériorité refermée sur le seul souci de soi, soit dans une extériorité valorisant la posture d’une éthique mieux adaptée au vivre-ensemble. De là surgissent d’autres questions. L’homme serait-il ré-duit à n’être qu’un bon citoyen? Faudrait-il ne voir en l’éthique qu’une interrogation exclusivement orientée vers les préoccupations actuelles et contingentes? Ne pourrait-elle pas proposer autre chose qu’une longue suite d’obligations insensibles aux aspects spirituels? Nonobstant le credo de nos institutions politiques, comment l’être intime, voire l’être spirituel, pourrait-il coïncider totalement avec l’être social? Pourrait-on

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penser à une laïcité compatible avec la présence dans l’espace public de religions ou de formes de spiritualité se réclamant de transcendances ou de croyances diverses? Au cœur de la diversité des points de vue, comment à la fois s’accomplir et contribuer au mieux-vivre ensemble tout en témoignant de sa foi?

En somme, comment aborder une éthique dont la clé herméneutique ne saurait apparte-nir à la voussure d’une théorie particulière, une éthique qui n’est pas uniquement la réponse à la question du sens, mais qui est aussi la réponse à la vie elle-même? Une éthique ouverte à des considérations qui sont en marge du registre normal de l’argumentation peut-elle, du reste, se comprendre sans battre en brèche les exigences d’intelligibilité?

Dans notre monde de plus en plus scolarisé et sécularisé, nous croyons que nous au-rions tout avantage à revisiter les propos mêmes du Nazaréen lorsqu’il dit : « Mainte-nant vous, les Pharisiens, c’est l’extérieur de la coupe et du plat que vous purifiez, mais votre intérieur est rempli de rapacité et de méchanceté (Lc 11,39) ». Et si celui-ci reve-nait s’établir dans ce monde branché où le virtuel est survalorisé, où l’homme se consi-dère comme le centre de l’univers, où l’émotion immédiate et l’avidité sont à l’origine de malheurs et d’angoisses auxquels l’on prescrit des remèdes qui reçoivent l’agrément d’une éthique dite séculière, une éthique de convenance qui finit par s’imposer comme la mesure de toute chose, cette péricope lucanienne ne commencerait-elle pas de la fa-çon suivante : « Maintenant vous, les éthiciens, […]. »

L’amour serait-il ce qui pourrait métamorphoser une éthique trop accaparée à légitimer une régulation pour une existence projetée comme idéale? Serait-il ce qui donnerait à la personne de ne pas se dissimuler sous le vernis d’un comportement politiquement cor-rect, voire sous les dehors ostentatoires d’une piété religieuse? Serait-il ce qui pourrait rendre possible plus d’authenticité7. La question nodale qui fait écho à celles posées

précédemment est la suivante : Peut-on envisager la possibilité d’une éthique dont la cellule germinative serait l’amour et qui lui donnerait d’être au meilleur d’elle-même? Cette question est complétée par une autre : Est-il réaliste de penser que quelqu’un

7. Le terme « authenticité » est polysémique. Nous lui accordons ici la signification explicitement circonscrite : ce qui advient spontanément, tout bonnement, séance tenante, sans mélange corrupteur de ce qui peut lui être surajouté. Cela est proche d’une des significations que lui donne Le grand Robert de la langue française (Paris, deuxième édition di-rigée par Alain Rey) : « ce qui exprime une vérité profonde de l’individu et non des habitudes superficielles, des con-ventions; qui n’a pas subi d’influence déformante. » Notons que la notion d’authenticité revient en filigrane à travers toute l’œuvre de Zundel. Nous l’aborderons plus précisément au troisième chapitre du présent ouvrage.

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puisse se disposer intérieurement afin que son agir soit organiquement lié à la contin-gence de ce qu’il a de plus intime, voire de plus authentique?

La réflexion à propos d’une éthique de convenance peut conduire l’esprit jusqu’au point où nous devons vouloir ce que nous devons faire comme elle peut aussi servir de rampe de lancement vers ce qui meut secrètement le vouloir. Elle peut nous diriger vers ce qui veut en nous, mais elle ne peut le faire naître. Prétendre qu’avec l’amour l’éthique est au meilleur d’elle-même n’usant que d’arguments philosophiques ou théologiques, aus-si profonds que soient ces arguments, cela serait oublier que l’amour a sa propre lu-mière. Même si l’éthique ne peut faire l’économie de la réflexion, une éthique incubée par l’amour ne peut être abordée qu’en esquisse car, avec l’amour, la cause est dans l’effet et l’effet dans la cause. L’amour est ce qui ne passe pas; il se trouve toujours déjà là où nous devons être. Il ne donne pas licence à quelqu’un de faire le bien selon une vérité irréfutable, mais lui donne ce par quoi il vit et exprime le plus intime de lui-même, c’est-à-dire qu’il lui donne d’être le bien.

Dans un monde où l’économie domine et où la rationalité refroidit les rapports hu-mains, il y a lieu, nous pensons, d’envisager la perspective d’une intériorité vivante, c’est-à-dire ouverte à la sagesse d’un témoignage qui éclot en une floraison comme étant l’épiphanie de l’amour, ce dont Maurice Zundel8

explore de manière pénétrante.

Pourquoi Maurice Zundel?

La prise de conscience des limites de l’éthique dans son statut séculier et le sentiment de distance plus ou moins douloureux, plus ou moins déchirant, entre les aspirations à une vie chrétienne authentique et les quelconques résultats de nos pratiques quoti-diennes, nous a conduit à plonger dans l’œuvre de Zundel. Aux confins de la réflexion anthropologique et théologique de celui-ci, la possibilité d’une éthique qui passe par une nouvelle sagesse nous est apparue : celle qui résulte du témoignage de ce que la personne devient quand elle s’ouvre à plus grand qu’elle-même, c’est-à-dire à une Inté-riorité plus intérieure à elle-même que sa propre intéInté-riorité. On retrouve là l’influence de saint Augustin sur la pensée zundélienne. Pour Zundel, il paraît important de mettre

8. Voir la revue bibliographique (annexes I et II), les publications posthumes (annexe III), les anthologies et florilèges (annexe IV), les ouvrages sur Maurice Zundel (annexe V) et la chronologie de la vie et des écrits de Maurice Zundel (annexe VI).

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en lumière que le bien, ce n’est pas d’abord quelque chose à faire, mais Quelqu’un à aimer9.

Zundel a témoigné d’un mode original d’expression pour lequel il a consacré sa vie selon sa singularité et le sens qu’il a donné à sa vocation religieuse. Il a été un auteur et un prédicateur d’une fécondité remarquable. Ses écrits n’ont jamais pris la forme d’un traité, c’est-à-dire d’un ensemble procédant selon une méthode dans le but d’élaborer un ensemble ou une doctrine que l’on soumet au tribunal de la raison ou au crible de ce qui peut être universalisé.

Avec ses enchevêtrements, ses apophtegmes, ses nombreux genres (discursif, narratif, poétique, orant), l’œuvre de Zundel donne d’abord une première impression d’obscu-rité. Une manière de dissiper cette impression a consisté, au long des relectures, à re-cueillir les innombrables pépites d’or qu’elle contient et à repérer des points de conver-gence; or, ces points de convergence semblent être aussi ceux où coïncident devenir de la personne et témoignage de ce qu’elle devient quand elle fait l’expérience de la ren-contre de Dieu. Si sinueuse qu’en soit l’organisation, cette œuvre pointe inéluctable-ment vers cette rencontre de l’homme et de Dieu. Elle porte sur les conditions préa-lables d’une expérience détachée de toute assignation particulière, bien que concrète-ment destinée à s’inscrire en une mystique qualifiée de réaliste dans notre pleine exis-tence physique. L’examen des différentes facettes de ces pépites aux mille reflets met en évidence que la personne devient le prolongement en gratuité d’une Gratuité-source où la vie devient liturgie, une Gratuité qui serait pour Zundel l’amen d’une éthique qui se confond avec la sagesse chrétienne dont la forme achevée est la mystique. Cette œuvre aborde d’un point de vue anthropologique la question de la spiritualité et celle-ci ne prend son sens que parce qu’elle s’absorbe dans la « mystique de l’union transformante ». Elle semble être traversée par de grandes intuitions qui la gouvernent tout entière, nous enjoignant à être incessamment attentifs aux enjeux les plus fonda-mentaux de l’homme dont la capacité de dépassement est inépuisable10. Elle est telle

qu’elle paraît avoir trouvé son apogée très tôt, n’empruntant des chemins de traverse que pour nous inviter à situer notre regard vers la source de toute lumière, plus encore,

9. Cette approche de la découverte du bien comme Quelqu’un à aimer se retrouve déjà présente dans Recherche du Dieu

inconnu, publié en 1949. Cette idée revient constamment dans l’ensemble des écrits et homélies de Zundel.

10. Il faut noter que les grandes intuitions de Zundel apparaissent très tôt dans sa pensée : Le poème de la sainte liturgie a été écrit en 1926 (sous le pseudonyme du frère Benoît). À la préface de la nouvelle édition (Paris, Desclée, 1998), Godfried Cardinal Danneels, archevêque de Marlines-Bruxelles, écrit que cet ouvrage « fait figure d’ ''événement ''

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à nous disposer envers son rayonnement. Les thèmes reviennent chaque fois avec une insistance renouvelée, se dispersant pour ensuite se rassembler autour d’un même Phare11.

Les écrits de Zundel ont la grâce de la séduction et ils donnent lieu à une floraison spiri-tuelle. Les mots qu’il utilise se laissent porter par la houle poétique de la phrase, dans un mouvement qui les soulève et les transforme en oraison. Sous la vrille inlassable de l’expérience de la rencontre de Dieu, il leur enlève la patine accumulée pour qu’ils de-viennent animés et chargés d’intériorité. Il les polit pour ensuite les couler dans le bronze d’un langage orant et mystique.

Zundel s’est distingué par la singularité de son cheminement dont la rigueur et l’éléva-tion résistent aux allées et venues des modes. Le temps n’a pas réussi à laminer sa noto-riété, tant son rayonnement fut évident et important. Le désenchantement de notre monde moderne redonne à sa pensée un regain de pertinence et de pneuma, ce « sup-plément d’âme » bergsonien dont la personne ressent comme un besoin pour ranimer la flamme d’une spiritualité en manque d’oxygène.

Ce que Zundel ne cesse de répéter, par le tranchant de son propos, est que la personne ne peut naître à elle-même que dans sa relation à Quelqu’un qui n’est pas elle, mais qui est au plus intérieur d’elle-même. Cette nouvelle naissance (voir Jn 3,3-8) est ce qui va lui permettre de révéler ce Quelqu’un par l’intermédiaire de l’art, de la science et de la relation interpersonnelle. Il convient donc de penser la personne en termes d’émer-gence, à partir de son existence hic et nunc, c’est-à-dire une émergence suspendue à l’expérience de la rencontre de Dieu. Et c’est à partir de cette expérience que la per-sonne devient ce qu’elle a à être et révèle Celui qui l’habite.

Selon Zundel, une éthique dont la cellule germinative est l’amour ne se présente pas comme un corpus de nouvelles règles qui remplaceraient celles qui sont issues des élé-ments procéduraux et formels des grandes philosophies et théologies morales. L’amour est au principe de l’éthique par excellence. Il se montre en personne. Il se fait jour en

11. René Habachi dira : « On a vu suivre Zundel les auditoires les plus variés. Chrétiens, juifs et musulmans, croyants aussi bien qu’incroyants, marxistes et anarchistes, philosophes, artistes et moins cultivés, jeunesses de tous bords. Certains ne pouvaient l’accompagner jusqu’au bout de sa démarche mais, chose extraordinaire, ils demeuraient à l’écoute parce que le témoin qui leur parlait était identique à sa pensée. J’ai connu Maurice Zundel et je sais celui dont je parle. Quand il s’exprimait, c’était comme une braise qui s’enflammait. Sa vie, dans le détail le plus ignoré de son intimité, était le garant le plus incontestable de sa pensée. Elle a tout entière été le commentaire le plus brûlant de ces mots de Pascal : '' Jésus-Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là '' ». René Habachi, Trois itinéraires, un carrefour : Gabriel Marcel, Maurice Zundel et Pierre Teilhard de Chardin, Qué-bec, Éd. Presses de l’Université Laval, 1983, p. 75-76.

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elle et par elle. Il convertit en quelque sorte le « devoir » et le « se devoir» en témoi-gnage.

Zundel emprunte la route d’une existence traversée d’ombres, mais en quête constante d’une créativité libératrice et révélatrice. Il part de sa foi personnelle pour transformer son point de départ en point d’arrivée, tout en étant conscient qu’il ne pourra présuppo-ser cette foi chez ses interlocuteurs. Il a voulu être un chrétien en quête d’intelligence de sa foi. Son credo est : « Je crois en l’homme », et il se déploie dans le droit fil des Écritures et d’une ardente médiation spirituelle afin de se mettre à l’écoute de l’homme appelé à devenir plus que lui-même et à révéler Celui par qui il devient ce qu’il a à être. Il n’y a pas de révélation possible de Dieu en dehors de ce perpétuel devenir. La dé-marche de Zundel est liée à l’idée de naissance baptismale de la personne mettant en scène un univers spirituel accessible par le truchement d’une expérience d’intériorisation.

La personne devient ainsi la frange spirituelle d’une Intériorité plus intérieure à elle-même que sa propre intériorité. Grâce au miracle de l’amour, elle peut transcender sa propre finitude et accéder ainsi à une vie qui prend son élan dans ce qu’elle a de plus intérieur. Elle devient une permanente circulation de lumière et d’amour. L’amour at-teint une Source où les mots sont vains et les images défaillantes. Il élargit l’espace où la personne rayonne dans une action plus puissante parce que plus authentique. La per-sonne devient le berceau où Quelqu’un se dévoile en muant l’obligation en oblation. En elle transparaît l’innocence déchirante d’un Dieu qui est garant de son authenticité. Il découle de l’amour une éthique se déployant comme louange, comme action de grâce qui ne vient pas se substituer à l’éthique dite de convenance, mais l’accomplir en quelque sorte. « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. » (Mt 5,17).

Zundel ne cherche ni à convaincre, ni à argumenter; il déploie sa pensée dans le prolon-gement du message scripturaire. Il souhaite conserver à sa pensée la chaleur d’une re-naissance en spiritualité mystique plutôt que construire un édifice théologique, et ce, de crainte d’intellectualiser ce qui est de l’ordre de la « mystique de l’union transfor-mante ». Il nous incite à faire l’expérience de Dieu. Plutôt que voir la vie à partir de méthodes, de concepts ou de systèmes, il a préféré s’abreuver à la source même de Ce-lui qui est la Vie de la vie. Il ne s’agit pas de se détourner de la vie, mais plutôt d’y pé-nétrer pleinement dans ce qu’elle a de plus présent, c’est-à-dire là où le présent est une

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Présence. Il nous faut mourir à une certaine vision du monde qui consiste à observer et à dominer pour renaître à une vie contemplée dans sa dimension d’infini, c’est-à-dire de voir ce monde avec un regard transfiguré par une Présence qui féconde la pensée de même que l’action.

Divers auteurs12 ont contribué à faire connaître la vie et la pensée de Zundel. Ils nous en confient l’originalité, chacun à leur façon, contribuant, du coup, à leur complémentarité. Ils ont mis en lumière les éléments cardinaux de cet homme qui s’est intéressé aux tra-vaux scientifiques, aux œuvres des artistes et aux rencontres habitées par la présence divine. Ils ont eu la grâce d’accentuer ce qui comptait le plus pour Zundel, à savoir, que la perfection de l’homme est dans sa perfectibilité. Notre approche pour découvrir la dialectique à l’œuvre chez Zundel, loin d’occulter ce qu’ont écrit ces auteurs, peut de fait favoriser un approfondissement à titre de complément possible, congruent à leurs observations.

Hypothèse, question principale et sous-questions

Nous avançons l’hypothèse suivante : le devenir de la personne coïncide avec ce qui se révèle en elle et par elle quand celle-ci fait l’expérience de la rencontre de Dieu.

De cette hypothèse surgit la question principale à partir de laquelle s’engage la présente recherche : comment s’articule dans l’œuvre de Zundel cette surprenante coïncidence entre le devenir de la personne qui nécessite l’expérience de la rencontre de Dieu et le témoignage de ce qu’elle devient?

Cette question principale se déploie en sous-questions en lien avec chacun des cha-pitres :

En premier lieu, quelles sont les pistes par lesquelles quelqu’un doit passer pour parve-nir à faire l’expérience de la rencontre de Dieu?

Qu’entend Zundel par faire l’expérience de la rencontre de Dieu? Cette expérience peut-elle être considérée comme une expérience d’intériorisation?

Comment cette expérience de la rencontre de Dieu peut-elle être à la fois au principe de ce qui en germe en la personne et de ce qui lui donne d’être le bien? Comment le té-moignage peut-il coïncider avec le devenir de la personne en son fondement ultime?

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Aurions-nous à choisir entre « faire le bien » ou « être le bien »? Existerait-t-il une mu-tualité dynamique entre ce qui donne à la personne d’être le bien et ce qui donne à l’éthique d’être au meilleur d’elle-même?

Comment cette expérience de la rencontre de Dieu peut-elle être abordée sous l’angle de la spiritualité, de la révélation et de l’éthique?

Comment comprendre d’un point de vue théologique une éthique secrètement travaillée par « Quelqu’un à aimer »? Anthropologie, théologie, mystique et éthique peuvent-elles s’imbriquer les unes dans les autres tout en prenant en charge les réalités profondément humaines de la quotidienneté?

Statut de la recherche

La présente recherche s’inscrit au carrefour de deux champs disciplinaires en théolo-gie : d’une part la théolothéolo-gie spirituelle, plus précisément l’anthropolothéolo-gie spirituelle en tant que discipline qui s’intéresse particulièrement à la vie intérieure du croyant; d’autre part, la théologie morale comme réflexion sur les fondements de l’agir chrétien. Zundel ouvre l’anthropologie sur la théologie pour la faire s’exprimer en un réalisme mystique qui fait entrer la personne par la porte de l’amour et qui donne à l’éthique d’être au meilleur d’elle-même. Bien que première, sa théologie suppose une anthropologie par-tant de l’expérience la plus spirituellement vécue. Cette réciprocité d’implication cons-titue la pierre de touche de l’éthique par excellence. Prendre comme horizon de cette recherche la question du lien concomitant entre le devenir de la personne et ce qui se révèle en et par elle suppose plusieurs orientations de recherche, même si le point d’ancrage est délibérément en théologie spirituelle. Ces orientations sont celles qui ap-paraissent aux sous-questions mentionnées ci-dessus. À partir du corpus zundélien, il s’agit de réfléchir sur l’articulation dans l’être humain entre sa vie spirituelle et son agir; réflexion sur l’opposition souvent exaltée entre une éthique issue de la réflexion et celle mue par ce que la personne a de plus intérieur.

Méthode

Pour pénétrer dans la trame de fonds de l’œuvre zundélienne et en saisir les vues pro-fondes et les éléments les plus directement en lien avec les questions posées à la note liminaire, il nous a fallu braquer un regard particulièrement attentif sur ce qui nous a semblé être la pierre de touche de l’éthique zundélienne : le devenir de la personne

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coïncide avec ce qui se révèle en elle et par elle quand elle fait l’expérience de la ren-contre de Dieu. La cheville ouvrière et les fils qui tissent et sous-tendent toute sa dé-marche gravitent autour de cette expérience qui donne à la personne d’être le bien13, c’est-à-dire, d’être à la fois origine et témoignage de ce qu’elle devient, approche nova-trice en ce sens qu’elle suppose dans ses éléments essentiels la perspective d’une mys-tique qui surdétermine l’éthique de convenance en l’introduisant dans l’économie créaturale de « Quelqu’un à aimer ». La naissance de la personne en Dieu concorde avec la naissance de Dieu en la personne, et c’est à cette jonction que l’éthique de con-venance se mue en une éthique qui se confond avec la sagesse chrétienne dont la forme achevée est la mystique. Passer de l’éthique qui oblige à celle qui libère, c’est vivre sa vraie liberté et en témoigner en toute authenticité.

Vu l’ampleur du chantier à explorer, pour éviter le piège de nous perdre dans la diversi-té infinie du propos zundélien, nous avons donc dû nous limiter aux aspects les plus révélateurs susceptibles de constituer un tout organisé dont les éléments fgravitent au-tour du point cardinal et dominant qu’est l’expérience de la rencontre de Dieu14

. Cela nous a permis d’entrer, non dans l’âme des mots, mais dans l’âme de cette œuvre pour en comprendre la nervure et interpréter les points les plus significatifs. Or, ceux-ci nous sont apparus suffisamment manifestes pour nous apercevoir que, pour Zundel, cette expérience de la rencontre de Dieu est conçue comme axe de l’ontogenèse de la per-sonne et de sa destinée spirituelle.

Nous n’avons pas voulu mettre en système une pensée essentiellement intuitive tant par sa puissance suggestive que par son caractère lumineux. Nous n’avons pas voulu éga-lement nous introduire au plus intime de son cheminement personnel. Nous avons plu-tôt choisi d’entrer dans l’œuvre zundélienne avec une approche qui s’apparente à celle d’un essai tout en restant le plus fidèle possible à ce qu’elle a de plus éminent, et ce, au

13. Cette périphrase « être le bien » va revenir à quelques reprises tout au long de ce parcours. Pour en dissiper tout més-usage, elle sera particulièrement explicitée au chapitre III qui porte sur le témoignage. C’est, du reste, dans cette même perspective que s’inscrit le propos de Paul Clavier dans Qu’est-ce que le bien? « L’expression substantivée ‘‘ le bien ’’, jadis affublé d’une majuscule (comme le Vrai, le Beau, l’Un, l’Être) peut renvoyer à une unité réelle ou abstraite. Con-çu comme une entité réelle, le Bien est alors un individu concret, quelque chose qui serait ‘‘ bien ’’ ou ‘‘ bon ’’ par ex-cellence, ou quelqu’un qui serait le bien en personne (c’est nous qui soulignons, la source de tout ce qu’on appelle bien, l’étalon de mesure de tous les biens, le modèle en référence auquel des actions ou des personnes seraient qualifiées de bonnes. Conçu comme une entité abstraite, le Bien sera le nom collectif qui récapitule la sphère de tout ce qui a un titre ou à un autre, a reçu le nom de qualification de ‘‘ bon ’’. Cette récapitulation ne sera légitime que si les réalités jugées ‘‘ bonnes ’’ sont suffisamment homogènes. » Clavier, P., Qu’est-ce que le bien?, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2010, p. 24-25.

14. Ce qu’est l’expérience de la rencontre de Dieu pour Zundel fait l’objet du chapitre II. Plusieurs lectures peuvent être faites la concernant. Même si dans la perspective de l’auteur elle appartienne à la tradition chrétienne, je comprends que celui-ci nous la présente à partir d’éléments caractéristiques qu’il emprunte à l’art, à la science et aux relations in-terpersonnelles.

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profit d’une mise en perspective qui ne l’objective qu’en respectant ce qui en cette œuvre fait écho. Notre parti pris pour laisser parler l’ensemble de l’œuvre par elle-même, plutôt que de tenir compte du tissu textuel de chacun de ses écrits, nous a permis de lever l’apparente dispersion de ses nombreux écrits et de découvrir les interrelations et les articulations fondamentales.

Notre démarche s’apparente à la visite d’une entreprise aurifère. Nous y entrons d’abord comme visiteur-lecteur tout en gardant bien de nous laisser fasciner, voire aveugler, par tant de particules étincelantes résultant de l’aurification. En y circulant, nous avons pris connaissance de l’envergure et de la richesse de cette entreprise. Nous avons alors pensé que nous y gagnerions en convergence et en cohérence si nous ména-gions des conduits pour relier les nombreux gisements auxquels nous convie Zundel. Or, ces conduits nous ont semblé être ceux qui nous amènent de proche en proche vers le filon dominant, c’est-à-dire l’expérience de la rencontre de Dieu qui donne à la per-sonne d’être le bien et du coup à l’éthique d’être au meilleur d’elle-même. Nous avons donc pu y repérer les préalables qui conduisent à faire cette expérience puis, subsé-quemment, comprendre et interpréter, enfin, présenter les inflexions originales de son enseignement. Le résultat de notre propre exploration et exploitation ont pris le pas sur le récit détaillé pour y arriver.

Chaque chapitre est orienté vers la compréhension centrale d’une éthique qui fait entrer la personne par la porte de l’amour et qui prend comme horizon, dans l’œuvre de Zun-del, la question du lien concomitant, voire d’une connexion singulière entre le devenir de la personne et ce qui se révèle en elle et par elle quand elle fait l’expérience de la rencontre de Dieu. Si nous avons inséré de nombreuses citations, c’est aux fins de faire apprécier les riches et profondes méditations zundéliennes. Ajoutons que nous avons sciemment présenté des reprises et quelques redites pour illustrer l’insistance qu’accordait Zundel à cette expérience.

Selon Zundel, on ne peut rehausser le moindrement l’importance de Dieu en diluant celle de l’homme. Il n’y a présence15 de Dieu dans le monde qu’à même ces aspects

intimement liés que sont le devenir de la personne et le témoignage qui forment

15. Zundel dira: « Étant admis qu’il s’agit de faire de cet univers de générosité une présence et non de nous en offrir une idée – et nulle révélation ne mériterait son nom qui ne réaliserait pas de quelque manière une telle présence – sachant d’ailleurs que le don de soi est le seul truchement efficace d’une présentation authentique, quelle devrait être la

per-sonnalité d’un homme qui ne serait plus que ce don même et qui n’aurait d’autre mission que d’attester, par ce qu’il

est comme par ce qu’il fait, cet univers de générosité que l’Amour emplit de sa divine respiration? , Paris, Éd. Ou-vrière, 1954; Paris Éd. Cerf, 1992; « Foi vivante », no 311, 1993, p. 46-47.

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l’endroit et l’envers d’une même réalité. Dieu ne se rend présent que parce que la per-sonne en est l’empreinte. L’évangélisation n’est pas d’abord un enseignement à trans-mettre, mais une rencontre à provoquer.

En arrière-fond, les notions utiles à la poursuite de ce parcours seront précisées aux chapitres en cause. Seront aussi convoqués des auteurs incontournables dans chacune de leur spécialité en vue de bien nuancer notre rapport de pensée avec ces notions et de les intégrer sous l’angle où se répondent l’éthique, la théologie et la mystique16

. Ces auteurs fourniront le matériau nécessaire pour dynamiser notre réflexion et pour nous aider à découvrir des applications ou implications insoupçonnées. Ils apporteront leur concours particulièrement en ce qui a trait aux notions de personne, d’expérience et de témoignage.

Plan

Avoir à être le bien en personne et ce qui donne à l’éthique d’être au meilleur d’elle-même sont les liens logiques qui ont servi de canevas de base et de linéaments pour articuler les filons les plus percutants de la pensée zundélienne. Cet ouvrage s’exprime par l’intermédiaire d’un plan qui se décline en deux parties ayant chacune trois cha-pitres.

Première partie : Avoir à être le bien en personne

Chapitre I - Préalables à l’expérience de la rencontre de Dieu

Tout au long du premier chapitre, nous faisons état du processus d’incubation par lequel doit passer l’homme-individu pour parvenir à faire l’expérience de la rencontre de Dieu et explorer les voies qui conduisent d’une existence où il est absent de lui-même à l’affirmation de ce qui lui est de plus intérieur : les étapes de la prise de conscience, du consentement, du ressaisissement et de la libération supposent le devoir primordial qui consiste à se tenir disponible, c’est-à-dire à se disposer à accéder à ce qui ne fait qu’excéder. Zundel souligne fortement la capacité de l’être humain de façonner son avenir en s’ouvrant à une réalité qui le dépasse infiniment, une Présence accessible par le truchement de la disponibilité et de la vraie liberté, c’est-à-dire celle qui coïncide avec la libération. C’est au seuil de la liberté de choix qu’est suspendue la possibilité de

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franchir ou pas la porte qui peut l’amener à faire cette expérience conçue comme condi-tion de renaissance et de son témoignage. Sa dignité et son inviolabilité font sens à même sa destinée spirituelle.

Chapitre II - Expérience de la rencontre de Dieu en Personne

L’expérience de la rencontre de Dieu, lien indispensable entre la renaissance et le té-moignage, est mise en lumière dans le deuxième chapitre. Elle est ce qui donne à quelqu’un de devenir ce qu’il a à être est aussi ce qui lui donne de révéler Celui qui l’habite. C’est à même cette expérience que la personne se saisit en son incessante au-rore et en son authentique présence dont les contenus normatifs peuvent se décliner de mille et une manières. La personne naît à elle-même et révèle une Présence reconnue et nommée Bonté, Vérité et Beauté en Personne. Zundel propose une façon d’être soi à même l’immensité irrépressible d’une expérience spirituelle reprise en sa source, d’une expérience qui est la matrice d’une relation intime avec l’Intimité en Personne, d’une expérience qui fait plonger la personne dans l’Infini de son intériorité, d’une expérience qui la fait passer du dehors au-dedans, puis du dedans à un pur Dedans. C’est à même cette expérience de la rencontre de Dieu qu’est dévoilé le mystère de la personne, mys-tère d’une intériorité ouverte sur une Présence qui se révèle en se donnant en Personne dans l’avènement de la personne17

.

Chapitre III - Devenir de la personne et témoignage

Le devenir de la personne et ce qui se révèle en elle et par elle quand elle fait l’expérience de la rencontre de Dieu est l’objet du troisième chapitre. L’éthique zundé-lienne se situe à cette surprenante coïncidence entre personnalisation et révélation, à cette ordination de l’activité spirituelle vers Dieu. La personne devient le témoin, le bénéficiaire, voire le fiduciaire de Celui qui l’habite, d’un pur Éthos qui se manifeste à même une éthique devenue au meilleur d’elle-même.

L’expérience de la rencontre de Dieu ne suspend l’espace d’une éthique résultant d’une délibération constituante que pour lui introduire un irréductible excès qui agit dans l’ordre de l’insu, cet excès ne pouvant être repéré que dans l’après. Ce n’est pas l’ajout

17. À l’intérieur des limites du présent ouvrage, je n’explore que la distinction entre expérience de transcendance et mys-tique. Pour ma propre compréhension, je me réfère, entre autres, aux ouvrages de Louis Roy, (L’expérience de

trans-cendance. Phénoménologie et analyse critique) et de Thérèse Nadeau-Lacour (Le temps de l’expérience chrétienne.

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d’un autre corpus de règles. C’est essentiellement une nouvelle perspective traversée de part en part par ce qui donne à voir et à se manifester au grand jour sur fond de cette possibilité toujours redonnée qui s’inscrit dans le devenir incessant de la personne. L’amour divin lui donne ce qu’elle a à donner à même ce qu’elle a de plus intérieur, au noyau où naît le rythme de la vie pour en faire émerger une action authentique. Il s’instaure à l’origine d’un témoignage humble et compatissant. Il se fait jour en elle pour atteindre ce qui est le plus pur et le plus fécond. En lui, l’humilité et la compassion se confondent avec l’authenticité de l’agir chrétien.

Deuxième partie : Esquisse d’une éthique pour qu’elle soit au meilleur

d’elle-même

Chapitre IV – Une éthique mue par l’amour

Subséquemment, dans le but de mettre en relief que l’amour est la matrice d’où s’engendre et d’où procède l’éthique par excellence, nous faisons une brève incursion, au quatrième chapitre, chez Kant et Lévinas pour y découvrir ce qu’est pour eux la con-dition de possibilité ou la forme de nécessité universelle qui pourrait être à l’origine de la pureté de l’agir moral, sans référence à des applications particulières. Cette pureté, selon Kant, est atteinte grâce à un accord parfait entre la bonne volonté et la loi morale et elle ne peut se réaliser seulement que comme un ordre inconditionné de la raison. Pour Lévinas, elle précède raison et liberté dans l’assignation d’un face-à-face; l’immédiateté de la responsabilité surgit avant toute réflexion ou intention, elle est si-gnifiée par le visage du prochain, c’est-à-dire d’un autre « toujours-déjà-là » auquel il est impossible de se dérober. Le « devoir » pour l’un, le « se devoir » pour l’autre. Quant à Zundel, il semble important de mettre en évidence que le pur Don est corrélé au devenir incessant de la personne et de la pureté de son témoignage. L’éthique zundé-lienne ne peut être abordée à partir de ses contenus. Elle est sacrement d’un silence rempli d’une Présence infinie, d’une Présence qui donne à la personne d’être le bien. La personne révèle la valeur qu’elle devient, son action est empreinte uniquement de pure-té et de gratuipure-té, voire d’authenticipure-té, comme si elle était perfectionnée de l’inpure-térieur.

Chapitre V – Présence et Révélation en Personne

Nous ne pouvons-nous restreindre à un point de vue qui retrancherait l’expérience spiri-tuelle vue sous l’angle de la Présence et de la Révélation en Personne et, cela, par

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l’intermédiaire de la foi, de l’espérance et de l’amour. Dans les plus hauts instants de recueillement, de silence et de prière surgit une expérience d’intériorisation dont la cel-lule germinative est Quelqu’un à aimer. Le fil conducteur de la pensée de Zundel étant l’expérience de la rencontre de Dieu, au chapitre V, nous apportons un complément aux vues exposées dans les chapitres précédents. La naissance de Dieu en la personne et la naissance de la personne en Dieu sont ce qui permet de concevoir et de vivre l’enracinement proprement évangélique et ecclésial, là où l’intériorité devient extériori-té radicale, là où les rayons de l’amour sont ainsi accueillis et simultanément réfracextériori-tés. La personne trouve dans les idéaux du cœur ce qui donne à l’éthique une sorte d’écologie spirituelle quasi mystique de la vie qui l’emporte sur le labeur de la délibéra-tion et de l’obligadélibéra-tion. Ce qui se révèle, c’est la Présence divine en Personne dont l’Évangile et l’Église sont la continuité.

Chapitre VI - Théologie, mystique et éthique

Dans ce dernier chapitre, nous examinons les liens entre l’anthropologie, la théologie, la mystique et l’éthique. Dans la pensée zundélienne, même si la théologie utilise une démarche rationnelle, conceptuellement rigoureuse pour aborder la réalité morale chré-tienne et pour en fournir une représentation unifiée, elle se doit de ne pas exclure de son univers ce qui résonne comme expérience d’intériorité, une expérience spirituelle vécue dont les manifestations, voire les effets, n’effacent en rien les préoccupations d’une réflexion soucieuse de s’adapter à la sécularisation de l’éthique. L’amour introduit une brèche dans l’interprétation d’une éthique qui pourrait être menacée d’auto-enferme-ment et d’incapacité à envisager une vérité autre qu’elle-même. Quand la personne s’ouvre au courant de ce qui l’habite elle devient la custode d’un pur Don, d’un pur

Éthos qui ne fait que se communiquer infiniment et qui lui donne d’être le bien. À

pro-pos de l’œuvre de Zundel, il importe de mettre en évidence, en cette dernière étape, que l’expérience de la rencontre de Dieu est le point culminant de l’anthropologie, de la théologie spirituelle et de l’éthique quand celle-ci se confond avec une mystique quali-fiée de réaliste.

Conclusion

En cette fin de parcours, nous faisons le lien avec les interrogations de départ et les lignes de force qui se dégagent de l’œuvre de Zundel. À travers celle-ci se profile une éthique qui se déploie à l’aune de ce que la personne devient quand elle fait

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l’expérience de la rencontre de Dieu : éthique impulsée par une Intériorité plus inté-rieure à elle-même que sa propre intériorité et qui lui donne de révéler authentiquement le don qu’elle devient, d’où le rapprochement avec la péricope lucanienne (Lc 11,39). L’éthique zundélienne repose sur une équation fondamentale, là où l’authenticité de l’agir chrétien se confond avec l’excellence comprise comme un accord musical, une harmonie, une splendeur au-delà de toute référence. Dieu circule en Personne dans la personne devenue l’hostie de ce qui l’habite.

En complément

Nous avons voulu faire répondre Zundel à cette idée : serait-il possible de se disposer intérieurement afin de faire naître bon (ou authentique) chacun des instants à venir? Cette recherche se trouve être la suite d’une préoccupation déjà, hélas, bien lointaine. En effet, la question de l’authenticité, ou plutôt l’authenticité comme question, est ce qui n’a cessé d’animer nos réflexions, car le terme authenticité semble, en effet, n’appartenir à un vocabulaire identifiable à une doctrine particulière et ne se laisser dif-ficilement déterminer par une définition. En cela, l’œuvre de Zundel a plus la valeur de témoignage que de réponse, témoignage en la fécondité d’une pensée qui s’ouvre à plus qu’elle-même, témoignage de la personne qui rend visible ce qu’elle devient.

Bien que l’œuvre de Zundel apparaisse comme une solution à nos préoccupations de départ mentionnées précédemment, il nous a fallu éviter le piège de l’instrumentali-sation ou de l’exclusivisme inopportun. Cette œuvre est infiniment plus qu’une solu-tion : elle ne peut se réduire à n’être qu’une foncsolu-tion. Elle est davantage une occasion, voire une occurrence, dans laquelle nous nous sommes immiscé tout en étant conscient qu’il fallait sauvegarder une nécessaire objectivité afin d’arrimer le fil fragile de l’éthique dite séculière avec celui qui peut lui donner d’être au meilleur d’elle-même. Malgré le fait que notre propos traduit manifestement un point de vue catholique, nous avons donc dû maintenir une distance entre un idéal d’authenticité et celui de la réponse à cet idéal, encore que la réponse soit déjà dans la manière d’exposer la problématique. Même s’il s’agit de ne pas déconnecter les racines de la sève, nous sommes conscients que celle-ci s’est déjà déversée avant que nous puissions y découvrir la source germina-tive, d’où la difficulté à traverser le voile de ce qui est au cœur de la vie sans en déflorer le mystère qui l’habite. Notre défi, disons-le tout net, a été de ne pas verser soit dans l’aplatissement, soit dans l’amplification de sens du propos zundélien qui se donne à

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voir à même une expérience spirituelle fondamentale qui s’ouvre sur le champ d’une renaissance et d’un témoignage, une expérience saisie dans sa puissance créatrice et qu’il ne faut confondre avec une quelconque doctrine susceptible d’être mise au service du politique pour lui donner une armature référentielle.

Nous espérons que, malgré la volonté de rester fidèle à sa ligne de mire, ne pas avoir trahi ou travesti ses convictions profondes, ni figer le dynamisme de sa pensée sans cesse en mûrissement à cause de sa curiosité d’esprit et de la sagesse de sa foi, ni même mêler à sa lumière un peu de notre ombre.

Il se peut que certains lecteurs s’étonnent du style choisi pour amener notre propos. En effet, au cours de l’écriture de certaines pages ce choix nous a semblé pertinent du fait qu’il nous situe symboliquement au point culminant de l’activité intellectuelle et spiri-tuelle lovée au cœur de la « mystique de l’union transformante ».

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Première partie : Avoir à être le bien en personne

Chapitre I - Préalables à l’expérience de la rencontre de Dieu

(Perspective anthropologique)

1.1 Introduction

La dimension anthropologique se manifeste dans l’impression profonde que produit chez Zundel la dignité et l’inviolabilité de l’être humain appelé à se dépasser, à devenir quelqu’un, voire une personne. Il faut donc penser la personne en termes d’émergence, et c’est en faisant l’expérience de la rencontre de Dieu qu’elle peut devenir ce qu’elle a à être. À travers ses écrits, Zundel nous trace la voie pour « faire la rencontre person-nelle de Dieu18. » Pour parvenir à cette rencontre, il importe d’explorer les voies qui nous y conduisent et de nous rappeler qu’en raison même de notre complexité, nous sommes continuellement menacés de nous laisser prendre par des problèmes immédiats et d’oublier l’essentiel, c’est-à-dire perdre la signification profonde de notre vie d’homme. Le milieu culturel dans lequel nous vivons aujourd’hui est surtout orienté vers le développement des sciences et des techniques de pointe. C’est la technoscience qui prend le pas sur la recherche d’une vie intérieure plus intensive, plus libre, plus magnanime, voire plus spirituelle. Malgré les quelques décennies qui nous séparent de Zundel, le panorama qu’il fournit pour articuler sa pensée à propos de l’être humain soumis à ses propres vicissitudes est d’une surprenante actualité. Il précise que nous devons prendre conscience que nous ne sommes qu’à l’aube de nos possibilités, « car la seule solution au problème que nous sommes, c’est la réponse que nous sommes déci-dés à devenir19. » L’homme réduit à l’état d’individu ne peut concevoir qu’un Dieu sei-gneur revêtu de toutes les perfections régissant un univers d’individus. La perception zundélienne de l’homme est inséparable de celle de Dieu, d’où la nécessité d’une pers-pective anthropologique. Si nous avons une idée tronquée de l’homme, nous aurons une idée tronquée de Dieu. C’est dans ce contexte que s’inscrit cette démarche préalable pour parvenir à faire l’expérience de la rencontre de Dieu. La porte d’entrée dans

18. ZUNDEL, M., Rencontre du Christ, Paris, Éditions ouvrières, 1951, p. 17.

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