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Pédagogie et eutonie : conceptualisation d'un vécu corporel par une expérience d'écriture

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Academic year: 2021

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FACULTE DES SCIENCES DE L ’EDUCATION

PEDAGOGIE ET EUTONIE

CONCEPTUALISATION D ’UN VECU CORPOREL PAR UNE EXPERIENCE D ’ECRITURE

Hélène Tardif

Mémoire présenté pour 1’obtention du grade de maître ès arts

(M.A.) en psychopédagogie

ECOLE DES GRADUES UNIVERSITE LAVAL

AVRIL 1988

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De 1983- 1985, j’ai fait une expérience corporelle à l’Ecole d ’Eutonie de Gerda Alexander à Genève, Suisse. L ’Eutonie est une approche corporelle basée sur la sensation; par les mises en situation, l’élève devient conscient de son corps, dont sa peau, ses muscles, ses os. Mon projet reconstitue les fresques expérientielles de ces deux ans. Par une expérience d ’écriture, je mets en évidence la difficulté de réaliser une démarche de conscience de mon corps axée sur mon processus et sur mon autonomie. Une dialectique sur le fonctionnement du cerveau: le PENSER et le SENTIR et une dialectique sur les orientations spatiales du corps fournissent tout un questionnement sur la conscience même du corps et sur une pédagogie du corps. L ’écriture devient même un outil de conscience corporelle.

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TART.-RR DES MATTFTrefi

CHAPITRE I: CONFIGURATIONS DE L ’EXPERIENCE

1.1 HISTORIQUE DE L ’EXPERIENCE ... 2

1.1.1 Situation professionnelle .... ... 2

1.1.2 Situation personnelle ... ... .. 3

1.1.3 Moyens ... 4

1.1.4 Questions de recherche ... 4

1.1.5 Notes sur l’Eutonie ... 5

1.2 SOURCES DES DONNEES ... 7

1.2.1 Limites des données ... . 7

1.2.2 Limites de mon procédé d ’écriture ... 10

1.2.3 Encadrement méthodologique ... 12

1.3 FONDEMENTS THEORIQUES ... 16

1.4 SIGNIFICATIONS ET SITUATIONS DE CETTE RECHERCHE ... 19

1.4.1 Cette recherche: un lieu, un temps dans l ’histoire ... 19

1.4.2 Cette recherche: un processus ... 20

1.4.3 Cette recherche: un moment de centration .. 21

1.4.4 Cette recherche : une expression ... 22

1.4.5 Cette recherche: ses conséquences ... 22 TABLE DES MATIERES

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Unité I : Itinéraire ... ... 26

Unité 2: Toucher ou être touché ... 30

Unité 3: "Repousser" à même la vie ... 35

Unité 4: Etre dans mon MOI-PEAU ... 39

Unité 5: Pertes de réalité .... ... 48

Unité 6: Apprendre mes racines ... 51

Unité 7: Pause-choix ... 55

CHAPITRE 3: INTERPRETATION DES DONNEES 3.1 DIALECTIQUE DU PENSER-SENTIR ... 60

3.2 LIEUX CORPORELS ET UNITE DU CORPS ... 76

3.2.1 L ’expérience des lieux corporels par la sensation tonique ... 76

3.2.2 Le corps en expérience avec ses Gauche-Droite ... ... 77

3.2.3 Le corps en expérience avec ses Avant-Arrière ... . 78

3.2.4 Le corps en expérience avec ses Haut-Bas ... 80

3.2.5 La paradoxalité de l ’Eutonie ... 82

3.2.6 Ma position ... ... . 87

CONCLUSION ... 90 CHAPITRE 2: PRESENTATION DES DONNEES

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Un que s t i onnement sur le corps de l ’enfant, au cours de mes études et de mon enseignement, m ’a viscéralement conduite à une recherche de plus en plus centrée sur mes limites perceptuelles, capacité d ’être à même de sentir, de mettre en jeu la mémoire, la représentation, l ’atten­ tion et la tension occasionnée par le décodage et l ’interprétation de chaque acte perceptif. Cette centration m ’a confinée à une sorte de réclusion: m ’isoler deux ans dans un lieu, telle une tour d ’ivoire. Le corps sert alors de réceptacle à 1 ’expérience sur lui-même, avec l’encadrement formel et informel prescrit par une approche corporelle, l’Eutonie, avec son lot de consignes, de mises en situations, son équipe d ’initiateurs et son pouvoir de transformation.

Je reprends les faits de cette expérience pour en extirper finalement une expérience d ’écriture. De façon schématique, je décris les articulations tant stratégiques que méthodologiques qui en ont chapeauté la réalisation.

1.1.1 situation professionnelle

Dans mes six ans à la maternelle et les cinq ans dans la formation des Educateurs en Service de Garde (1983), je tente de travailler à partir d ’un processus de conscience corporelle et de questionnements pour contrer cette sclérose de la certitude éducative. Mais je ne peux nier le climat dégagé par ma propre personnalité. Je ne suis pas seulement un porte-paroles; je suis la roue motrice de ma maîeutique. Car je suis convaincue que le corps de l ’éducateur est autant engagé que celui de l’apprenant dans l ’acte d ’apprentissage.

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Le corps ne s ’intellectualise pas s ’il est perçu comme le généra­ teur du comportement. Les réactions du corps renseignent, nourrissent et favorisent l’intégration entre ce que le corps reçoit de sensations, perçoit, transforme et retourne comme message. Mes préconceptions ser­ vent de trame de fond à mon cheminement :

Je crois que l ’adulte, au lieu d ’amener l ’enfant à penser sur son mode logicien, devrait découvrir et connaître davantage le fonctionnement de son champ perceptuel afin d ’objectiver ou de neutraliser ses observations sur l’agir de l’enfant.

Je crois qu’il devrait découvrir plus profondément comment se fait l ’apprentissage. Du moins, devant la complexité de ce phénomène, il devrait constamment se questionner sur comment s ’intègrent les connaissan­ ces.

L ’éveil corporel et une sensibilisation à la conscience corporelle devraient être des lignes de force dans la formation de tout éducateur, et également dans la relation adulte/enfant.

Mais mon option fondamentale est la suivante:

L ’éducateur de la petite enfance aurait intérêt à se "travailler" comme individu, par une implication corporelle, afin de retrouver le chemin de la sensation, langage premier de l ’enfant.

1.1.2 situation personnelle

Terminant la rédaction d ’un livre pour une publication, investis­ sant temps et énergie dans divers comités de mon collège, je me retrouve avec des ennuis de santé. Puis mobilisant mon énergie dans une relation affective, je choisis d ’avoir un enfant. Je demande un congé de materni­ té prolongé pour réaliser un double projet: ma grossesse et un retour aux études. Faire une recherche aux sources de la sensation dans et par un vécu me semble être le moyen ponctuel pour parallèlement poursuivre mes interrogations en éducation et pour me donner les moyens de prendre soin de moi.

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1.1.3 moyens

Même en connaissant les courants effervescents sur les approches corporelles, la controverse et le mercantilisme dénoncé (Le Camus), je désire poursuivre une formation en Eutonie, approche corporelle basée sur la sensation, à l ’école d ’Eutonie Gerda Alexander (Suisse). Malgré les peurs de me retrouver en pays étranger, cette expérience de vivre centrée sur mon corps durant une grossesse m ’emballe. Je pars donc pour Genève.

1.1.4 questions de recherche

Malgré mes occupations personnelles, tous mes champs profession­ nels demeurent très présents. Je compte, en fonction du contenu de cette formation qu’offre l ’Ecole d ’Eutonie, trouver des pistes de réponse sur l ’un ou l ’autre de ces points:

1. en quoi la connaissance intégrée du rôle et des déterminants de la sensation sur la personne d ’un éducateur peut-elle influencer ce rapport corps/rela­ tion dans son enseignement?

2. sachant que chaque culture a ses tabous, ses croyances et sa gestuelle, jusqu’à quel point est imprégné le langage du corps social sur celui du corps individuel? Quand et comment s ’inter-influen- cent-ils mutuellement?

3. l’enfant apprend son corps par le phénomène de l ’imitation, entend-on souvent. Les modèles corporels offerts à l ’enfant entravent-ils ou suscitent-ils l’édification de sa propre conscience ou identité corporelle?

4. des études démontrent que chaque partie du corps a un contenu symbolique spécifique. Même si le travail en Eutonie nie la part de rationalisation ou, du moins, nie le fait d ’approcher le corps par la ratio­ nalisation, n ’y a-t-il pas lieu de percevoir un lien entre les parties corporelles et leur symbolique?

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5. si l ’adulte est tissé de tensions dans son corps, comment s ’y sont-elles inscrites et quelle ossature psycho-relationnelle y ont-elles formée?

(PERSPECTIVE EXPERIENTIELLE EN EtTTONIE/ETUDES EN PSYCHOPEDAGOGIE, 1983, p.13 à 15)

1.1.5 notes sur l’Eutonie

Mais qu’est-ce que l’Eutonie? Et pourquoi cette attirance pour cette approche corporelle plutôt que pour une autre?

L ’Eutonie se base sur les mouvements naturels et quotidiens (éti­ rements, déplacements, stabilité), les zones réflexes du corps et des positions de contrôle (positions systématiques du corps indiquant et permettant de vérifier les zones de tension non résorbées). Elle vise principalement à reconditionner les sensations des couches de sensibili­ tés proprioceptives (stimuli par le muscle et l ’os). L ’élève est convié à observer les multiples sensations émises et captées par l’organisme en contact d ’abord avec le sol, et ce, autant dans un état d ’immobilité que dans un état de mouvement (Brieghel-Müller, 1979).

Ce phénomène d ’observation me semble être un moyen à expérimenter car il m ’apparaît nécessiter une déconnexion de toute rationalisation ou de représentation corporelle. J'ai 1’impression d ’avoir trouvé ce que je cherchais: le chemin de la conscience d ’un corps tridimensionnel se situant essentiellement dans l’attention immédiate de la perception et de son trajet dans l ’organisme grâce aux sensibilités proprioceptive et tactile.

L ’enveloppe du corps, la frontière entre le monde extérieur et le monde intérieur (Anzieu parle d ’un MOI-PEAU), a besoin d ’être réanimée dans ses fonctions d ’agent sensoriel (Montagu, 1981, Anzieu, 1986). Le mouvement eutonique lui redonne cette vitalité afin qu’elle remplisse mieux son rôle d ’intermédiaire. Le système osseux, charpente de l’orga­ nisme, retrouve, aussi par l ’Eutonie, sa responsabilité de support par le

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principe de redressement, réponse motrice du système nerveux primaire du nourrisson (en plaçant le bébé en position verticale, les plantes de pied bien à plat sur une surface dure, le nourrissson en repoussant cette der­ nière, se redresse progressivement et se retrouve debout). L ’initiatrice de l’Eutonie, Gerda Alexander, a repris en quelque sorte ce mouvement involontaire pour l’opérationaliser et le rendre effectif dans chaque position du corps: dès qu’une surface osseuse entre en contact avec une surface extérieure, un phénomène physique de résistance se produit, tel un réflexe devenu conscient. Le langage eutonique parle alors de "repousser".

En ramenant à leur rôle respectif les deux niveaux de sensibilité du corps en relation avec l’extérieur (la sensibilité proprioceptive cap­ tée par l’os et le muscle, la sensibilité extéroceptive captée par la peau), Gerda Alexander découvre que les muscles travaillent moins quand le corps maintient une position ou quand il entre en relation avec le monde extérieur. De plus, elle découvre qu’ils se décontractent, n ’uti­ lisant que la tonicité requise pour une dite action. Par conséquent, ils deviennent plus efficaces dans leur activité. Une réhabilitation des mouvements quotidiens comme marcher, s ’asseoir, se lever, etc., permet d ’utiliser à meilleur escient les muscles strictement requis pour l’action commandée.

Je constate des similitudes avec cette méthode corporelle et ma conception de la psychomotricité, de la pédagogie: le corps vécu comme lieu d ’apprentissage, l ’expérience comme source de conceptualisation, la relation à l ’objet et aux autres comme facteurs de motivation et le tout dans le but de répondre à la globalité de la personne. Le canevas de travail semble également identique: favoriser la prise en charge de l ’élève par lui-même afin qu’il développe ses propres mouvements

d ’exploration corporelle et démarque ainsi sa personnalité. Ne me reste plus qu’à vérifier les principes pédagogiques de l’Eutonie en les vivant plutôt qu’en les supposant par les lus et les entendus.

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1.2 SOURCES DES DONNEES

1.2.1 limites des données

Aux prises avec des études d'anatomie, de physiologie, d ’Eutonie, dans un groupe de quinze personnes avec lequel toute la semaine se passe, et ce, toute l ’année, je me retrouve seule face à moi-même. Aux prises avec ce travail d ’intériorisation et de solitude que requiert pour moi la façon de vivre l ’Eutonie, mes questions initiales sont chambardées, devenant secondaires. Elles ne me servent plus de propulseur. Je suis mon processus sans prendre appui sur elles.

De cette phase naît un besoin intense de visualiser le processus même de mes sensations. Je propose à la direction de l’école d ’Eutonie d ’expérimenter conjointernent l ’approche d ’expression libre en peinture d ’A m o S t e m et la leur. J ’accuse un refus et, trop conforme aux direc­ tives, je choisis l ’écriture avec sa simplicité et ses dérivés d ’utilisa­ tion (création, ressentis, imageries, mobilités spatiale et temporelle) pour parvenir à trouver la représentation fidèle à tout ce qui se "meut" à l ’intérieur des couches de sensibilités du corps. Une écriture sans but, sans point de réflexion initial devient vite au centre de cette démarche. Sous l’influence thématique de Progoff (1977-82), j’écris des journaux. Asseoir les sensations dans les mots engendre déjà un meilleur appui pour mes perceptions, mes ressentis et mes conceptualisations: les trois modes de la mise en action et de la conscientisation de mes multi­ ples états. Et je deviens EN VECU D ’ECRITURE OCM’ÎE EN ETAT DE VECU CORPOREL.

Ainsi se sont accumulées des notes éparses, multiformes, mais à certains moments obsessionnelles. Dans mes journaux, la médiation de l ’écriture comme lieu d ’articulation de mon histoire devient comme des

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paroles à mieux écouter: chaque trait m ’est signifiant: tensions, retenues, décharges, opacités, clartés du corps, dont le mien, transpa­ raissent pour en tisser le caractère du vécu ponctuel. Déjà dans mes premiers journaux, se retrouve l ’impact de l’écriture en moi:

"Ecrire c ’est en quelque sorte me confronter au silence, observer mon propre prolongement par ces mots qui me sont, me décrivent, me montrent comme en un miroir.

Je suis CA à ce moment, amoncellement de mots parfois structurés, parfois incohérents, soit à la fois teintés d ’émotivité et cousus de subjectivité, soit revêtus d ’intellectualisme. Puis, parfois, souvent, paradoxalement, mes mots masquent mon désarroi, mes illusions, mes désirs, mes fantasmes, mes affects et mes perceptions. Le doute de ces perceptions me fait taire. Le sens du réel entre la sensation et sa représentation est ainsi entaché.

Brisée dans mon corps, dans quelques replis, la transmission de l’influx me donne l ’impression de sauter des relais et je ne crois pas ce que je sens.

Qu’en est-il du silence lorsque l’on écrit?

Qu’en est-il du chemin entre lui et la parole du mot?" (PLEURNITUDE, 1985)

Le tri des journaux personnels et des notes de lectures a servi à réaliser deux travaux de recherche qui exigent, par contre, de nombreux compromis. Ils doivent démontrer, comme tout travail de recherche, cette capacité de représentation, de savoir et de communication. Je réagis alors à ce mode de fonctionnement qui semble me dévier de mes sensations et du processus en cours; j ’obtiens la possibilité de "faire valoir" dans un premier travail comment un parallèle peut s ’établir entre des théories et mes sensations en vue d ’une intégration de mon expérience (JONCTIONS ET CONFRONTATIONS, 1983-84); après de maints débats, je réalise un deuxième travail dans une écriture personnelle sans la standardisation d ’appuis littéraires (PLEURNITUDE, 1984-85). Alors ces travaux ont été certainement influencés ou sont tombés sous la merci de

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mon inconscient, roi et maître des circonstances, buvard ou bavard selon 1’occasion.

Dans le chapitre des données (chapitre 2), se retrouvent des extraits de ces travaux comme reconstitution de ce vécu eutonique. Ce matériel signifie la complexité même d ’écrire pour répondre à la fois aux normes extérieures et aux "normes" de mon processus.

Le corps devenant le lieu privilégé d ’"avoir du temps pour soi", l’unité du corps forme alors la nouvelle conscience et valorise cette prédisposition d ’être à l’écoute du corps. Cependant il m ’est apparu évident lors de mes exercices d ’écriture que le fonctionnement cérébral du corps est souvent altéré: pour être à l ’écoute des sensations, on utilise paradoxalement le PENSER pour SENTIR ou pour faire SENTIR. Le meilleur exemple est dans la formulation même des consignes pour la ré­ habilitation de la sensation: des expressions telles "observer, suivre le trajet de telle partie du corps à telle autre " induisènt le PENSER, la représentation pour aller à la découverte de la sensation.

Tout au long du prochain chapitre, la texture du matériel est tissé d ’un parallélisme qui s ’insurge sous deux termes: le PENSER et le SENTIR. De cela découle, à travers cette expérience d ’écriture, une question fondamentale pour une pédagogie du corps: une méthode de conscience des sensibilités corporelles devrait-elle avoir comme contexte d ’articulation la valorisation du PENSER ou celle du SENTIR?

Tout le questionnement du chapitre d ’interprétation des données (chapitre 3) repose par conséquent sur l’unité du corps, leitmotiv des approches corporelles, notamment celui de l’Eutonie. Il se compose de deux parties complémentaires: la première porte sur la paradoxalité pédagogique d ’une approche corporelle qui, même basée sur la sensation, stimule constamment le PENSER et crée, par le contexte d ’apprentissage, la paradoxalité de la sensation et l’ambiguïté du processus individuel; la deuxième partie apporte une réflexion sensitive sur l ’unité du corps

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par une perception de la fragmentation même de la globalité corporelle due à la consistance de ses espaces et à la consistance du MOI.

Finalement il en ressort le dilemne même du processus individuel sous l ’égide d ’une pédagogie via le corps. C ’est pourquoi ce dernier chapitre offre une nouvelle façon d ’expertiser le matériel. Il resitue l ’histoire de ce vécu à l ’Ecole d ’Eutonie en décrivant la complexité du corps en processus et sous l ’influence d ’une méthode. Toute la trame d ’écriture se construit à partir d ’une écriture découlant de cette dichotomie entre mes sensations et mes représentations.

Tout le contenu des deux prochains chapitres ressemble à la fois à une quête et à une valorisation de mon autonomie dans une démarche conviant à mon unité corporelle.

1.2.2 limites de mon procédé d ’écriture

Trois articulations non hiérarchisées mais interdépendantes ser­ vent de lieux de recherche, de charnières, de toiles de fond et de géné­ ratrices à ce texte:

1. un temps d ’incubation par un "travail corporel", 2. un temps d ’implication par une écriture libre, 3. un temps d ’observation perceptuelle soutenue par des lectures et des échanges.

Un quatrième mouvement sert de substance interstitielle: un temps de maturation, sans travail corporel, d ’écriture ou de lecture: le temps des espaces vides nourri par l ’anarchie intérieure. Cette descente au coeur même du processus occasionne un mariage différent entre l ’espace du mot, le temps de son éclosion et celui de sa transcription.

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Ecrire sur le corps ou plutôt écrire le corps me confronte à cette multiplicité de rôles qui me confirment quotidiennement: multiplicité de canevas, de modèles plus ou moins conscients, multiplicité de prises et de reprises d ’identité, qui, avec le mouvement des sensations suscite constamment des courts-circuits au niveau même de l ’écriture. Cette description du puzzle d ’un corps multiple se façonne par la poussée de l’écriture non préméditée, mais variant sous la tutelle de contraintes extérieures et des limites d ’expression personnelles. Elle a donc une triple balise:

. celle d ’un corps agissant tout en étant perçu,

celle d ’un corps formulé tout en étant dans une constante mutation,

celle d ’un corps contrôlé par les habitudes perceptuelles acquises.

Ainsi les dissociations et les discontinuités qui existent au niveau même de la sensation se retrouvent également dans cet écrit. Car qui dit sentir dit ''communication affective avec les choses (qui) nous établit proche d ’elle" (Chirpaz, 1963, p. 43). C ’est pourquoi un langa­ ge expérientiel sied tout au long de cette expérience du corps-écrivant ou du corps en recherche de ses mots: un langage poétique et un langage logique s ’alternent ; un langage maintenant constamment 1’indétermination crée la suspension et peut provoquer un malaise chez le lecteur; tout le langage de cette thèse flotte entre deux mots, deux mondes, deux réali­ tés, contenant invariablement la paradoxalité, comme le fut cette expérience.

Cette écriture du corps parlant à travers son processus, raconté, balisé dans ce texte se livre, par contre, distante des soubresauts vécus. Car dans ce rapport relatant l’ensemble de l’expérience, les efforts de la communication atrophient l’expérience sensitive de mes temps d ’écriture. C ’est comme si cette écriture contenant la transmis­ sion de mon vécu devient coramme ce corps loin de lui-même quand il n ’est qu’une machine du quotidien refusant l’abrutissement et abruti malgré lui

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car régi par les automatismes économiques, les habitudes sécurisantes, les pourparlers constants entre les divers réseaux du métabolisme psycho- corporel et de 1 ’homéostasie tant individuelle que sociale.

Cette forme littéraire utilisée pour relater mon expérience renvoie, par conséquent, en tant que communication à un lecteur, qui, pour pouvoir suivre le courant de mon écriture a à être en contact avec sa propre expérience. C ’est pourquoi, par la force des choses, j ’exige au lecteur d ’utiliser tous ses modes perceptifs afin d ’être à l ’écoute du contenu offert qui inclut à la fois les méandres du processus, les rétentions et les rebondissements de l’expérience. L ’acte de lecture se dresse en source de vécu intégral comme celui de l’écriture l’a été.

1.2.3 encadrement méthodologique

Prétextant laisser la place au corps écrivant, je dois affirmer que la pensée des phénoménologues et des existentialistes correspond à mon mode de réflexion et d ’apperception de la réalité. Ce fonctionnement réflexif me permet de glisser plus à même dans la sensation du mot à pondre. Par contre, ce processus de recherche-action dont l ’objet est 1’immédiateté du sujet, donc JE-CORPS, peut-il être couvert par la dialectique sujet-objet constitué de plusieurs situations phénoménolo­ giques dont

. une relation entre des éléments distincts, . un cycle réactionnel (action, réaction, rétroaction) d ’un élément à un autre,

. un témoignage de l’un dit sujet par rapport à l ’autre dit objet. Témoignage d ’ordre descriptif ou d ’ordre opérationnel.

Cependant, quelle que soit la méthodologie préconisée, le nombre d ’objets observés distincts du chercheur, les qualités même du chercheur soi-disant objectif, une piège ne se dresse-t-il pas? Sous ou sur cette construction épisodique et relationnelle qu’établissent le sujet et

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l ’objet, simple ou multiple, ne se produit-il pas un épiphénomène: celui dans lequel l’objet et le sujet ne se révèle pas tout sur cette relation établie pour le bénifice de la recherche. Ainsi, d ’une part, le sujet, pour une raison ou pour une autre, situe ou perçoit sa relation à l’autre dans une zone autre que celle nommée d ’intersubjectivité, cette zone or­ dinairement contrôlée ou canalisée pour la validation d ’une recherche. Je l’appelle la zone du méta-rapport. Le sujet contrôle les données, oriente le questionnement, la démarche. Il déphase la réalité même de l’empathie, procédé utilisé dans la perspective qualitative pour saisir l’intimité même de l ’objet. Or le sujet, tout en établissant le maximum de ses présupposés s ’induit lui-même dans un carcan, dans une limite. La lunette perceptuelle se fixe et se fige aussi celle de l ’empathie.

D ’autre part, l’objet pour une raison ou pour une autre, transcen­ de aussi cette relation d ’intersubjectivité. Car l’histoire ne dit ja­ mais ce que l ’objet fait, pour être, lui aussi, empathique au sujet, pour relativiser ou "qualifier" ce qu’il émet, les données du sujet.

Jusqu’à quel point l’objet fait-il donc partie du chercheur, l’un étant sous l’influence de l’autre? Qui peut vraiment dire à la limite du questionnement qui est l ’un et qui est l’autre dans cette dynamique in­ terrelationnelle? Car est-il possible de franchir les portes de l ’in­ conscient du penseur-sujet et de sa fantasmatique (Lapierre-Aucouturier, 1983)? Est-il également possible d ’établir les influences de l’objet sur le sujet? Rien ne dit jamais qui influence qui au cours d ’une recherche impliquant les sujets humains. Et l ’incertitude prime à savoir lequel entre le sujet et l’objet devient ou est complément d ’objet de l’action générée. Du sujet à l’objet et de l’objet au sujet, on tourne en rond.

Finalement la relation sujet-objet existe dans l ’observation immédiate des faits: "Oui, je suis avec un objet, dit le sujet. "Oui, je suis avec un sujet", dit l’objet. Mais au-delà de cette observation première, au-delà des éléments théorisant ce rapport entre deux ou plu­ sieurs personnes dans une situation spécifique de recherche existent les

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limites perceptuelles, existentielles et de connaissance du sujet sur lui-même, sur l ’objet et sur la qualité du rapport établi. En est-il de la sorte pour l’objet envers lui-même quand il devient l’objet du sujet?

C ’est pourquoi, cette impression de tourner autour du sujet et de l’objet se simplifie et se complexifie à la fois quand l ’objet et le su­ jet sont identiques. J ’adopte donc la vision du "corps pivot du monde"

(Merleau Ponty), par des questionnements, des perceptions et des observa­ tions sur le matériel personnel (journaux, correspondances, périodes de noirceurs et d ’éclaircies). Car la forme narcissique au centre de cette écriture a un caractère quelque peu exhibitionniste comparativement au discours voyeuriste des textes d ’analyse (W.Bilodeau). Et l ’expérience d ’écriture qui est la base de ce mémoire n ’est finalement qu’une activité narcissique et circulaire, le sujet-cherchant et l ’objet cherché étant la seule et même personne: moi.

Comment maintenant exprimer le contenu et la marque de cette expérience sur le corps que j’ai réalisée. Dans le chapitre d ’interpré­ tation des données de ce mémoire, établir (terme de l ’opérationnel) une dialectique sur quelques aspects repiqués à un laps de corps vécu (chapitre deux) semble résoudre ce dilemne du langage à utiliser. Mais, par une dialectique, toute la gamme des contrastes doit permettre de faire le tour de l’objet et de révéler les nuances mêmes de l’expérience afin d ’en valider son affirmation. Pour aller à la découverte du conte­ nu d ’un vécu, dont le mien, encore faut-il m ’approcher sensiblement de mon corps contenu et contenant et donner toute la place au corps vécu, agi, senti, représenté et formulé, donc recouvert de mots ou mis à décou­

vert par eux.

Une dialectique sert donc de cadre d ’interprétation à cette cons­ truction épisodique, parcellaire et fragmentée d ’un corps rempli ou édifié par des images, des schémas, en quête d ’unité, plutôt en quête de réunifications. Elle est le moyen ponctuel pour infirmer la paradoxalité de mon vécu: sentir et démontrer le sentir.

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Par ricochet, entrevoir une dialectique, comme procédé descriptif de cette recherche limite d ’ores et déjà l ’expérience du corps et celle de l’écriture. Car un carcan méthodologique modèle la forme d'écriture. Avant tout démarche de création, toute la réalisation de cette thèse (expérimentation corporelle, plongée dans l ’écriture comme lieu d ’ex­ périence corporelle, réabsorption et synthèse des données recueillies en vue d ’un compte-rendu) s’inscrit donc viscéralement dans le cadre de la recherche qualitative, voire expérientielle.

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1.3. FONDEMENTS THEORIQUES

Je relate maintenant les quelques fondements théoriques, qui me servent de supports, de ressources à conceptualisation, de dialogues tacites et cacophoniques entre l ’auteur d ’un livre et moi, entre moi et mes intérieurs. Il est difficile de démarquer l ’influence notable de lectures sur les écritures. Par contre tout le poids et le ressort de mon écriture reposent sur le pouvoir du lu et du partagé, du silence, faiseur d ’espaces entre les signes des mots et de celui de ma communica­ tion. C ’est pourquoi, je ne puis faire de commentaires de lectures de façon conventionnelle. Le compte-rendu de la revue de littérature, au contraire, rapporte cette relation établie entre mon cheminement de recherche et mes choix de lectures. Il est le miroir de mes réactions occasionnées par le processus même de ma démarche. Le texte qui suit devrait être mis entre guillemets, symbolisant les perceptions telles que ressenties durant mes lectures. L ’alternance entre des réactions physiques et des réactions synthétiques de mes lectures pointe le ressenti de ma démarche.

Je fais partie des 54,000,000 D ’INDIVIDUS SANS APPARTENANCE (G.Mendel). Je suis au carrefour des différents chemins traversant le corps pour le fouiller, le traduire, le dépecer, le scruter, le "psychi- ser", le "somatiser", le "philosopher", le chanter et le nourrir. Mais les va-et-vient psychanalytiques, ces premiers mouvements d ’auteurs que la formation d'Eutonie veut faire découvrir, circulent déjà en moi. Freud et Grodieck se disputent mon Ca, l ’un me donne un croc-en-jambe en m ’incitant à l ’analyse. J ’en rêve! L ’autre me rend malade; par ses intuitions, il amène mon corps à constater sa somatisation. Dolto, Klein, Green se jouent de mes péripéties d ’enfant et mettent le doigt sur de vieilles peaux, relents d ’anciennes images du corps, qui ne cèdent pas la place aussi facilement. Elles seraient maintenues selon Lowen (1976),

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par des résistances, des défenses, un mécanisme de Moi satisfait de ce connu. Devant ces méandres qu’occasionnent ces topiques psychanalytiques (inconscient,préconscient, conscient) et de leurs instances (Ca, Moi, Surmoi, Idéal du Moi) (LE VOYAGE DU NARCISSISME, Y.Schmidt), mon corps entre en combat de pulsion de vie et de mort et la dualité bat la chamade. Jung active alors mon monde symbolique.

Heureusement une pulsion me fait détourner le regard. Devant ce foisonnement de littérature sur le Corps et sous la verve de la sensa­ tion, je m ’arrête, attirée, fascinée par cette revendication de la clarté de l’essence humaine, de l ’immanence du discours. Bachelard, Bergson, Merleau-Ponty habitent quelque tournant de mes entrailles. De mots en sensations, de souffles coupés en longues respirations, donc de sensa­ tions en perceptions, et, de çi de là, la voie que je sentais claire s ’embrume. Je lis, je relis, le temps passe, le temps passant est passé pourtant est encore passant. Bref le temps se spiralise,l’espace s ’anar- chise. Les potentiels d ’action de mon cerveau font tout à la fois partie de ce passé qui sous-tend le présent pour devancer le futur qui est rele- gué, lui, au passé par un autre présent.

Je ne me retrouve plus debout, position que j’avais au départ de cette exploration de littérature. Sous le poids de la psychanalyse et de la philosophie, je suis maintenant accroupie, en appui sur les orteils, balançant entre la montée des scientifiques, la bifurcation des histo­ riens, la piste des chercheurs en éducation, en mythologie, en... . Je vacille et tombe sur le sol. Je me retrouve seule avec peu ou prou de mots pour crier, vagir ce que j’ai retenu de ce voyage en corps à mots avec des auteurs.

Les yeux clos, je ne suis plus au carrefour des chemins théori­ ques. Ce sont eux, qui, maintenant, se créent un passage en moi. Que se passe-t-il entre eux? Concurrences? Insurgences? Je ne crois pas car je ne sais pas! Lowen m ’enferme dans mon côté schizoïde, Klein me polarise dans l’ambiguïté de mes sentiments, Winnicott ressuscite mon

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plaisir de jouer et de poursuivre malgré l ’aliénation. Freud m ’oralise et je m ’analyse à nouveau. E. Morin m ’allège dans ma confusion car je m ’embrouille dans les siennes. Watzlavick me donne une foule d ’exemples ramenant mes doutes à leurs diapasons: ils sont plus réalités que la réalité en doute. Quant à Bateson, sa culture me complexe et me resitue dans le contexte de mes ignorances et de mes silences. Je ferme les livres. Toute ma démarche tire ses fondements non pas dans la littératu­ re, même si elle s ’en nourrit; mais elle est enchevêtrée d ’une explora­ tion de silences corporels mis en mots.

Ne pouvant utiliser mes lectures comme sources d ’écriture pour faire le point sur cette expérience corporelle, je me retrouve devant un dilemne: retracer le chemin de cette expérience corporelle par celle d ’une écriture basée sur la sensation, décrire ce changement subit et

imprévisible d ’états jouant à cache-cache à 1’intérieur du couloir corporel dans lequel prend forme le mot, états dus à la mobilité même de la sensation.

Ce positionnement me relie à un processus de formulation issu des secousses, des méandres et des éclats de conscience de mon corps. Il m ’abandonne à une fascinante et curieuse élucubration menant directement aux frontières de la folie. Mary Bames (1971-1973), décrivant le paysage de ce monde dans son livre Voyage à travers la folie, s’amuserait certainement de cette impression que je juge réelle et non fantasmatique. Elle me dirait sûrement, dans un rire tendre et présent: "Abandonnes-tu vraiment ta plume à ton corps? Abandonnes-tu vraiment ton corps à ton corps?" Le corps surchargé de sensations éclate, s ’éclate. Je suis en incubation d ’un nouveau langage.

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1.4. SIGNIFICATIONS ET SITUATIONS DE CETTE RECHERCHE

1.4.1 cette recherche: un lieu, un temps dans l ’histoire

Dans la société actuelle, devant l ’explosion corporelle qui jail­ lit, deux courants principaux se dessinent: la négation du corps dans la réalité existentielle et l’affirmation du corps comme réalité existen­ tielle. D ’abord, s ’affrontent les défenseurs de la logique, de l ’intel­ lectualisme, de la conscience supérieure. Peu importe leur position so­ ciale, ces différents mouvements considèrent le corps comme matière négligeable et fonctionnelle. Puis, il y a les tenants du corps-matière propre à être exploité, manipulé sous toutes ses formes, propre à être matière à capital. Ce corps-marchandise s’exhibe dans tous ces formats de spectacles (télévision, cinéma, presse illustrée), dans les lieux pour voyeuristes (plages, clubs,etc.). Ce corps-objet s ’exploite également par tous ces gadgets de la mode: maquillages, vêtements, apparats du corps. Leur importance varie selon les époques, les sociétés et leurs milieux socio-économiques. Dans toutes les strates sociales, le corps est annulé ou devient valeur marchande pour les tenants du corps- machine, sans conscience, du corps "dodo-boulot-métro". (Pourtant rien n ’empêche de supposer que parmi les défenseurs du corps existent ce cercle de "marchands" financiers du corps).

Parallèlement, dans le clan des défenseurs de l’affirmation du corps s ’insurgent également de multiples variantes. De plus en plus, le corps devient sujet d ’étude dans les sciences humaines. Par exemple, les philosophes, notamment les phénoménologues, ajoutent à leur grille con­ ceptuelle le sens de la corporéité. La multiplicité des regards scienti­ fiques possibles fragmente le corps afin d ’en couvrir un aspect

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corres-violence; corps/lieux mythiques; corps/symboliques; corps/émotions; corps/technologie; corps/langage; corps/organisme; corps/théorie d ’apprentissage; corps/sciences du mouvement ; corps/symptômes ; corps/gestuelle; corps/relation; corps/communication; etc.

La pression d ’une didactique ou d ’une expertise oriente ainsi la lecture sur un angle particulier du corps comme la description du corps dans son fonctionnement cérébral (Changeux, 1983), la situation du corps dans un contexte historico-éducationnel (Vigerello, 1978, Le Camus), la dialectique du corps réel et imaginaire (Sami-Ali), la répression du corps par l’état punitif institutionnalisé (Foucault, 1975),...

Rosolato parle de la mosaïque du corps, qui a pour conséquence la recherche de l ’unité perdue du corps. De ce besoin, sont peut-être nés les prometteurs du bien-être corporel considérant le corps comme une valeur à rendre positive, à cultiver, à laisser exprimer. L ’idéologie qui sous-tend la panoplie des approches corporelles (mimodrame, bio- énergie, techniques orientales d ’inspirations mystiques, relaxations multiples, etc.) semble être similaire: un retour à l ’authenticité cor­ porelle, la libération des émotions refoulées, la découverte de nouvel­ les sensations. Ce sont en quelque sorte des méthodes de résolutions de conflits par des voies corporelles.

J'ai des affinités avec les situationnistes du corps, comme lieu d ’investigation et de conscience.

1.4.2 cette recherche: un processus

Le fonctionnement de la recherche trouve son analogie avec le corps. Organe de réception, il se traduit comme une manière de recevoir, d ’accueillir et se façonne par une cueillette de données. Organe d ’émis­ sion, il aboutit à une communication. Un JE-CORPS sert d ’intermédiaire, de lieu de transformation et de création entre ces deux pôles.

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La recherche, partie intégrante de toute personne, est ma marotte, ma propulsion quotidienne, mon geyser d ’étonnement et de découverte. Cela signifie, pour moi, être en questionnement, en action, en mouvement et être à même cette capacité de fouiller, de découvrir, sans prétendre à l ’intention louable de cerner un fait nouveau, d ’inventer ou de changer quelque chose au monde. Une attitude intégrée de compréhension des élé­ ments recueillis peut-elle suffire? Ouvre-t-elle une porte: celle d ’une libération intérieure à un constat autre et singulier de la vision des choses? Je le crois. Dans les moments de doute, je le souhaite. C ’est pourquoi le droit au processus même d ’être en recherche est au centre de ma communication.

1.4.3 cette recherche: un moment de centration

Le biais du corps pour saisir l’écoute, le regard de l ’intuition, la sensibilité de l’instant, la stabilité de la mouvance du geste est 1 ’essentialité du moi, le mien. Il est mon mode d ’apperception des réalités multiples et aléatoires de l ’incarnation de ce moi dans mon monde. Par contre quand la démarche part d ’une expérience intime, le sujet a intérêt à se centrer. Mais qu’est-ce à dire? Centrer: ramener au centre; me centrer, me mettre ou me remettre au centre de la respi­ ration, des ans de mon histoire, des mots. Pour pouvoir me centrer, devrais-je m ’assurer que le centre est bel et bien JE-MOI, un JE-MOI suis? Ballotée entre les courants centrifuges et centripètes de mes actes, rien ne peut vraiment me convaincre que le centre est le Moi.

Le pouvoir de trains format ion réenligne et dévêt simultanément le centre, du moins donne-t-il une impression d ’être plus à même ses multi­ ples polarisations. Or le centre de soi doit-il être sous la dépendance d ’une méthode, d ’un groupe, d ’une logique autoritariste (c’est-à-dire dirigée par un autre) pour en faciliter sa réinsertion au coeur même de 1 ’identité?

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Je fais une pause à mi-chemin de cette formation à l ’étranger pour me recentrer, pour retrouver ce besoin d ’être responsable de ma

formation.

1.4.4 cette recherche: une expression

Confiances! Tabous! Antagonistes dans l’acte d ’affirmation. Mots au pluriel ! Pourtant ce premier mot CONFIANCE ne traduit-il pas étymologiquement la fidélité à soi? N ’y aurait-il pas, conséquemment, plusieurs alliages de fidélités?

’’CONFIANCE - ABANDON”: la fiabilité à soi pour entraver le moins possible le processus de la sensation corporelle et celui de l’écriture. Les entraves formées de fantasmes, de comportements multiples agressent ou inhibent le double mouvement allant de la sensation à l’écriture et de l’écriture à la sensation.

"CONFIANCE - ABANDON" : la coulée du mot noté lors du libre exercice de la plume jouant avec la lettre et la ligne. Une non-résistance, une non- obsession de qualité s ’insurgent; également une communication constante entre la pensée latérale (De Bono) et la pensée verticale se tisse.

Mais des tabous siègent entre elles, ces confiances multiples, et moi, masquant ainsi nos expansions mutuelles.

Tabou de répulsion. Tabou de négation.

Tabous mythiques attachés quelque part dans le corps et entachant le processus.

1.4.5 cette recherche: ses conséquences

Par une dialectique du corps, je traduis la paradoxalité même de l’écriture comme voix de conscience corporelle; une quête d ’unité

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transpire dans les chapitres; elle se particularise par l’adaptation même au changement: réaction comportementale au processus. Cette dialectique relate-t-elle une certaine réflexion sur la conscience du corps dans un processus de croissance personnelle tout en démystifiant, quoique naïvement, cette nouvelle forme d ’exploitation et de gourouïsme qu’offre la démarche corporelle?

Cette exploration du corps par l’écriture m ’apporte une distance, une perception nouvelle ou différente de ces multiples corps qui forment mon identité. Elle m ’oblige à créer également une nouvelle façon de lire le corps. Cette perspective du corps sculpté ou ausculté par l’écriture apporte certes un contrepoids au corps souvent plus intellectualisé que senti. Ainsi se dégage vraisemblablement une didactique d ’un corps agissant, le corps étant le lieu et le temps privilégiés de l ’expérience de la croissance et de la transformation.

Divers prolongements peuvent ainsi se produire: un prolongement relationnel en fournissant des rétroactions insoupçonnées; un prolonge­ ment social en sensibilisant le corps vivant à un autre corps vivant, en offrant des arguments pour adjoindre véritablement une place au corps dans toute formation, notamment celles des professionnels de la santé ou de l’éducation impliqués corporellement dans leur travail. Un double prolongement pédagogique prévaut: la démonstration de l ’écriture comme procédé et pouvoir de mutation dans un processus vécu par voie corporelle puis la situation du corps et de la sensation ressentie dans le phénomène de la conceptualisation intégrée.

Finalement je trouve que ma démarche a son importance au niveau même de la recherche. La possibilité de création devrait être monnaie courante dans ce domaine. Car mon projet est un questionnement sur le corps engagé, choississant mieux ses conditionnements, transparent de ses mouvements intérieurs, donc de ses sensations. Peut-être est-il la preuve que le corps se définit comme une réalité d ’apprentissages et de conceptualisations.

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Ce chapitre présente des itinéraires réalisés à Genève. Se re­ trouve alors la dynamique du corps se mouvant dans différents espaces: le mien, celui du corps-groupe institutionalisé, celui du corps d ’une for­ mation. Son caractère annonce ce compromis fait pour être maître de ma démarche, maître de mon processus. Pour répondre à l ’objectif de la formation et à celui d ’un cours ayant pour thème le DEVELOPPEMENT PSY­ CHOCORPOREL DE L ’ENFANT, je devais faire des travaux traditionnels. Mais pour répondre davantage à mon besoin d ’expression pour intégrer mes sen­ sations, je pose une question dans POINTS DE JONCTION ET CONFRONTATION

(1983-84): comment certains éléments de développement psycho-corporel du nourrisson peuvent-ils être utilisés dans mon processus de croissance psychocorporelle via l’Eutonie. Puis dans PLEURNITUDES (1984-85), j ’ex­ plore par l’écriture le contenu des contradictions et des remises en questions ressenties.

Ce chapitre regroupe des extraits de journaux personnels, des portraits de mon vécu eutonique et des liens entre l’histoire de ce vécu et des théories, notamment de celles de Wallon et de Harlow. Il est le compte-rendu d ’une démarche chaotique, souvent ténébreuse d ’une articu­ lation de mes sensations que je ne peux extirper de son contexte histo­ rique: c ’est-à-dire MOI, dans cet actuel de 1983-85, dans un pays étran­ ger, en état de co-gestation, en recherche et en affirmation d ’une con­ ceptualisation de mon vécu corporel via l’Eutonie.

La variation au niveau de l’écriture peut frapper. Elle corrobo­ re avec cette variation du tonus, l’indicateur corporel de l’état de tensions psychosomatiques. La pensée intellectualisée chevauche la ré­ flexion plus sensible. Ces deux aspects perceptif et élaboratif de la conceptualisation ressortent tout au long de ce matériel. La division en unités marque cette recherche d ’unité malgré la paradoxalité et la frag­ mentation qu’apporte la pluralité d ’expériences quotidiennes du corps.

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UNITE I: ITINERAIRE

Ce texte synoptique décrit la complexité de situations dans les prémisses de ce projet d ’études à l ’étranger et au cours de sa réalisation.

Le jour où je sentirai sept fois le vide, je pourrai alors commencer à mouvoir de l ’intérieur mon corps, mon habitat.

Vide d ’abord dans chacun des orifices du crâne, pour laisser enfin la communication entre le haut et le bas du corps s’établir

sans induction, sans jugement, sans comparaison, dénonciation, destruction, sans un mot

Mais ce jour n ’est pas encore.

Qu’est-ce qui remplit alors mes espaces? Le jeu des réalités subtil,

paradoxal, non linéaire et pourtant vide :

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Un jour,

je sens en moi un désir intense: faire une formation en Eutonie. Mais dure réalité:

cette formation se donne dans un autre pays.

J ’ai peur,

peur de prendre l’avion seule

peur de m ’exiler dans un autre pays peur de faire un choix non judicieux peur d ’écouter ce désir.

La confusion me domine; je prends alors le Tarot. La réponse est

PARTIR. FAIRE CONFIANCE. Je décide donc de partir.

Tout-à-coup,

tout mon quotidien se transforme.

Eclatements à tous les niveaux, avant même d ’avoir mis le pied à Genève:

contrat d ’édition qui apparaît, famille à naître, à laisser être, déménagements, aménagements.

A travers cet affectif ébranlé par ces multiples surprises, le rationnel fait des valises, des adieux.

Je pars pour Genève, pour 1 ’Eutonie.

Bien du nouveau Trop de nouveau

Vies multiples en moi, autour et au loin Vies entre moi et mes intérieurs.

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Vie d ’école

temps de désillusions, d ’adaptations, de distances entre mes attentes, mes projets et mon processus même. Distances entre le coeur, le corps et la volonté.

Envie inébranlable d ’apprendre.

Départs, retours d ’un pays à l’autre.

Mais ces allées et venues se font pour retrouver quel pays? Alternance continuelle dans la géographie de mes espaces affectifs et viscéraux.

Par contre, conséquemment, par inadvertance, comme par hasard ou malheureusement, rencontres avec moi de plus en plus rares. Sensations d ’un temps atrophié, surchargé inutilement ou malencontreusement; temps distant de la réflexion, de cette confusion permet­ tant l ’éclatement, la transformation.

Vie d ’école

Atmosphère aspirant à la neutralité

Institution la plus petite que j’aie connue Institution comme les autres.

Murs de silence et place à la critique Micro-organisme social.

Totalitarisme agissant directement sur le corps.

Docilités des corps conformistes (choix d ’associer conformistes à docilités ou à corps).

Limites de domination sur l’autre,

par le corps, sur le corps ou à travers lui difficilement identifiables.

Paramètres induits, déduits, hypothétisés, refusés, inscrits dans chacune des réalités individuelles.

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Temps dirigé de l ’extérieur, encadré de l ’extérieur,

non vécu selon le fil directeur de mes propres secousses, vibrations, ossatures.

Atmosphère neutralisée, moi circulant dans ces espaces définis. Temps encadré et me déformant.

Je reconnais avoir en moi un grand sens de la soumission; devrais-je en être fière?

Je plie facilement 1 ’échine et j ’abdique.

Je suis les étapes prescrites, les consignes demandées, l ’abécédaire d ’un processus articulé par une logique extérieure à mon animus-anima.

J ’en perds le mien.

Triste, triste jusqu’au plus profond de ma conscience "consciente". Je n ’en peux plus. Je ne veux plus. Ma colonne vertébrale ne peut plus supporter ses scolioses, elle ne veut plus de poids sur les épaules. Sa docilité a atteint son paroxysme. Mais cette volonté de redressement, comment peut-elle être comprise à travers le corps? Il y a en moi une capacité d ’adaptation qui me dévie de mes réalités

d ’agressivité d ’affirmation

de confrontation d ’abord et surtout avec moi-même.

Elle me met dans des états de négation et de soumission. Et je ne suis plus dans un cercle vicieux.

Je suis cercle vicieux.

(PLEURNITUDE, 1984-85)

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UNITE 2: TOUCHER OU ETRE TOUCHE

Gerda Alexander, la créatrice de l’Eutonie, associe souvent la thérapeutique de l ’Eutonie à la théorie de Henri Wallon. Ce texte compare la théorie de Wallon sur le développement psychomoteur du nourrisson à cette approche corporelle et 1 ’intègre à mes sensations. Puis il dessine des comportements de l ’adulte régressant au stade pré­ langage , stade auquel ramène 1 ’Eutonie.

Henri Wallon, psychobiologiste, s ’est concentré à dégager le rôle essentiel du mouvement et plus précisément de la fonction posturale du corps dans l’évolution psychologique de l’enfant. Pour lui, le caractère de l’enfant est social et il l’associe à la fonction tonique pour l’éta­ blissement de toute communication d ’ordre émotionnel et affectif.

"Le mouvement est essentiellement déplacement dans l ’espace et il a trois formes. Il peut être passif ou exogène, i.e. sous la dépendance de forces exté­ rieures, au premier rang desquelles la pesanteur. [...] La seconde forme de mouvement est due aux déplacements autogènes ou actifs soit du corps lui- même dans le milieu extérieur, soit d ’objets qui s ’y trouvent: locomotion ou préhension. La troisième en­ fin, c ’est le déplacement des segments de leurs frac­ tions les uns par rapport aux autres [...]. Ces réactions posturales ... s ’extériorisent comme atti­ tudes et comme mimiques." (Wallon, IMPORTANCE DU MOUVEMENT CHEZ L ’ENFANT, p.l)

L ’Eutonie a dans ses a priori cette suite de mouvements comme préliminaires: les mouvements passifs, actifs, reliés aux différentes parties du corps et la constitution d ’un groupe comme reconditionneur premier de la fonction tonique. Le mouvement activo-passif a pour but de prendre conscience de sa qualité d ’abandon au sol, de sa capacité de relâchement musculaire; le mouvement libre sollicite le déplacement du corps, 1’expérimentation et 1 ’improvisation corporelles à partir des sensations; puis le réveil des divers segments corporels se réalise par

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divers moyens dont les balancements, les étirements, le dessin avec différentes parties du corps, etc.

Prenons par exemple ces mouvements activo-passifs: une personne est allongée sur le dos et une autre exécute des mouvements avec ses seg­ ments corporels afin de vérifier leur état de passivité. Dans cette relation des mains qui manipulent et celle du corps qui se laisse tou­ cher sans rien faire, chaque personne doit rester dans sa peau. Cette présence à ce que chaque personne reçoit et à ses propres mouvements intérieurs permet de ne pas se laisser envahir par l’autre ni de l’enva­ hir: l’Eutonie parle de "toucher".

Toute cette communication infra-verbale qui circule de l ’un à l’autre des partenaires trouve-t-elle son analogie avec ce dialogue par et à travers les corps de la mère et du nourrisson tel que prescrit par Wallon. Ressentant souvent un JE-CORPS enfermé dans une peau castratrice de ma propre sensibilité, mes réactions rejoignent possiblement celles du nourrisson sans identité et sans défenses. Car passive sur le dos ou active dans la manipulation des membres de l’autre, je deviens "lit­ téralement" perméable aux perturbations extérieures, mais avec des perceptions différentes dans la localisation de mes tensions. Toutefois le toucher entre les membres d ’un groupe dans la structure de proposi­ tions de mouvements fournit certes d ’autres sensations et d ’autres images que celles inévitablement associées à ce corrolaire des résidus de tou­ chers infantiles inscrits en moi.

Alors comment sentir les limites de ma peau, ce lieu d ’échange et d ’ouverture, sans seulement en ressentir sa "barrière de protection" (Spitz, 1968, p.32) qui souvent me ferme à ce qui se passe? Comment rester en moi, présente à la fois à mes contenus intérieurs et à l’écoute de cette autre personne sans me perdre dans elle et dans moi, sans me perdre également dans l’imagerie ou l’interprétation? Puis-je me recon­ naître comme le nourrisson, réceptive à tout ce qui se meut dans les couches de mes sensibilités corporelles par ces touchers, mais percevant

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tout ce que ma réceptivité me donne comme renseignements psychocorporels?

Ce travail à deux est-il actuellement l’outil adéquat pour retrou­ ver les sensations ou la conscience de mon tonus comme miroir et agent social et de celles de toute la surface de la peau comme délimitations psycho-corporelles?

Ces mouvements sont également à exécuter seul. Mais exécuter seule cette maîtrise d ’énergie n ’enraye pas cette foulée de sensations: que je sois passive ou en mouvements, l’air et son espace, le sol et son espace, mes vêtements me touchent; mes mains ou d ’autres parties du corps s ’entretouchent, selon ma posture. Ne percevant encore comment résoudre ce dilemne d ’émettre l ’énergie à l’endroit voulu du corps tout en laissant les autres muscles au repos, je crains, si j’en parle, de bifurquer de mes sensations. Mon corps réagit à cette concentration du "toucher" et du "être touchée" par et à travers ma peau, cette enveloppe corporelle marquée et emmasquant ma sensibilité.

Un bâillement et une forte envie de m ’étirer articulent l ’orga­ nisme tout entier, je deviens, à ce moment, plus à l’écoute de ma globalité corporelle! Des différences entre les segments corporels me deviennent plus frappantes, plus nuancées. Je sens mes bras qui s ’al­ longent, se plient, se déplient; mes mains pivotent au-dessus des poi­ gnets, tout en laissant les vertèbres de ma colonne se mouvoir (sans toutes les sentir bien entendu). Ce bâillement est-il seulement un réflexe physiologique comme c ’est le cas pour le nouveau-né?

"Fait de contractions lentes et toniques, il tend bien à dilater le thorax, en l’immobilisant d ’ail­

leurs, mais son action intéresse également la nuque, la colonne vertébrale et les membres qui se mettent en extension forcée... La sensibilité alors mise en action est celle des articulations... Il semble que ces variables généralisées de la sensibilité articulaire aient un effet de stimuler une activité qui s ’assoupit ou plutôt de liquider certaines impressions de contraintes prolongées (Wallon, 1949, p.44,45)

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Or le bâillement, réaction toute naturelle du corps, est très fré­

quent lors des exercices en Eutonie, tout spécialement ceux qui stimulent 1 ’étirement ou jouent justement dans les sensibilités proprioceptive et

intéroceptive. Cette dernière forme de sensibilité reliée aux organes du corps rassemble, plus spécifiquement chez le nourrisson, toutes les sen­ sations provenant du système digestif.1 Ces premières semaines d ’école, sous l ’influence de ces mouvements au ras du sol, je suis sous l ’effet de ces sensations. Et physiologiquement mon corps se désintoxique. Et psychologiquement, le Moi se confronte à ses articulations.

"J’ai compris aujourd’hui que ce que je sens est exact: ces nausées qui sont ma dose quotidienne de mouvements intérieurs apparents ne sont pas la manifestation d ’un rejet de cet enfant qui grandit en moi, mais elles sont bien celles qui concernent ma propre identité. Mon corps m ’oblige à me centrer sur moi, un vrai centrage, pas celui où il me faut être regardée pour me sentir importante, mais celui où je me rends compte du moindre signe ou indice m ’annonçant une faim, un mal de coeur, une envie d ’être avec quelqu’un ou un besoin de distance. Je me sens intoxiquée de toutes ces toxines intellec­ tuelles ou pseudo-psychologiques, de tous ces jugements aller-retour que constitue l’essence du langage. Je ne digère plus mon propre marasme."

(Journal, octobre 1983)

Ce "tube digestif, depuis les lèvres jusqu’à l’anus, se comporte en réservoir à communications intermittantes avec l’extérieur" (Wallon,

1949, p.35) et il m ’entraîne non plus seulement dans des baîllements psychosomatiques. Dans ces mises en situation de 1’Eutonie, ces mouve­ ments à partir de sensations, de balancements, de dessins avec une ou l ’autre partie osseuse et ces mouvements d ’étirements, j ’entrebâille tout mon organisme à intégrer et à ne contenir que son propre espace. Pourtant

cela se réalise comme à l’ombre du langage. Comment puis-je exprimer les modulations de l ’espace intérieur de mon corps. Je sens que circulent en

1 Plusieurs auteurs dont Wallon, Head et Spitz, sont unanimes à dire que la sensibilité intéroceptive est celle qui prévaut chez l’enfant.

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moi les variations d ’une profonde subtilité sensitive nettoyant le corps et vitalisant les nuances de la présence au moment.

"Ce matin, j'ai vomi cette eau que j’avais bue et je me suis révoltée; je crachais avec rage, je voulais que tout ce qui bloquait et ne se digérait pas sorte et me fiche la paix. Toutes ces odeurs innommées, qui ont été inscrites et retenues, mal digérées, j’ai l’impression que ce sont elles qui remontent."

(Journal, octobre 1983)

Cette période de nausées est liée à tous ces exercices décrits. Je sais sans me défendre, que plusieurs d ’entre elles sont provoquées par mon état de grossesse, car, à ces moments-là, je me sens différente et je ne ressens pas le besoin de me vider le cerveau par l’écriture. Je vis autre chose. Mais ces nausées dont je parle ont d ’autres résonnances dans l’organisme: elles m ’apparaissent être cette surcharge d ’adapta­ tions et de sensations auxquelles mon organisme se confronte. Puis, ces nausées et ces autres réactions physiologiques signifient cette affir­ mation de mon rythme intérieur exigeant l ’écoute et cette inattention que

je lui accorde.

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UNITE 3: "REPOUSSER" A MEME LA VIE

Ce texte présente deux fondements de l ’Eutonie: le "repousser" corane nouveau système de défenses et les états toniques comme lieux d ’obser­ vation du corps. Il offre les vicissitudes du corps s ’ouvrant et se fermant à la fois à ses propres limites.

Pour acquérir "une grande économie de force" et "une plus grande précision du geste" (Brieghel-Müller, 1979,p.89), j ’ai à réveiller, dans cette formation, le "repousser": cette force de réaction de corps contre une résistance, soit le sol, un objet ou une autre personne, avec mes différentes parties osseuses. Parallèlement, j ’ai à observer les réac­ tions simultanées des parties du corps non engagées dans le mouvement

(par exemple: allongée sur le dos, si je repousse le sol avec la tête, le thorax se soulève par réaction). Mais pour pouvoir repousser quelque chose ou quelqu’un, avec une partie de moi, celle-ci doit d ’abord entrer en contact avec cet élément; un rapport s ’établit et le "repousser" se manifeste.

Or "les surfaces de contact ne se spécifient qu’avec l ’autonomie croissante de l ’individu face aux influences du dehors" (Wallon, 1970, p. 51). Une capacité de contact n ’est-elle valide qu’au fur et à mesure que je distingue les forces provenant de l’extérieur à celles inhérentes de mes dimensions ossifiées, donc solidifiées dans le Moi? Et si mon sentiment personnel est déficient, le rapport de forces entre la réalité du dehors et la mienne l ’est aussi. L ’action de "repousser" devient aliénante, difficile, stérile, quasi inexistante. Je replonge alors dans cette non différenciation néo-natale entre moi et l’ambiance. Toutefois, depuis le début de cette activité d ’apprentissage qu’est le "repousser" ou "mouvements de force résistance" (Brieghel-Müller, 1979,p.89), il y a une modification au niveau de mon tonus. Même sous l’effet d ’une fatigue, le corps habite mieux tout son volume, une énergie me pousse, me porte, me stimule. Je me sens plus d ’attaque, comme on dit chez nous.

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"Je suis souvent ce futur nouveau-né qui repousse la matière pour sortir de sa noirceur et être au monde. Car, en comptant sur mes forces, je repousse peu à peu à même cette matrice qu’est mon corps; je prends ainsi contact avec des tensions, des fantasmes, des illusions, des forces, des vides, des affects, des doutes, des étonnements d ’être, etc., et, en "repoussant" une à une chacune de ces données matérialisées, des répercussions se font au niveau de mes sensibilités. La peau, au lieu d ’être un filtre à pores trouées, se change en filtre-gardien. Les viscères s ’activent et je sais mieux les écouter quand ils fonctionnent mal.

Ma sensibilité proprioceptive se débroussaille et ce dialogue tonique, au lieu de se faire strictement au niveau de 1 ’échange avec 1 ’extérieur s ’installe entre mes différents intérieurs. Ainsi, cette distinction entre les multiples aspects de ma personne m ’apparaît comme plus réelle." (Journal, février 1984)

Me vient le mot résistance décrit comme une force psychologique pour contrer ou m ’opposer inconsciemment à une situation par diverses attitudes de fermetures relationelles et corporelles. Et vlan! mon tonus en prend toute une chute! Car je constate que lorsque je suis sans résistance psychologique, je descends jusqu’au "stade gastrula, où ce sont les parois du corps" de 1’environnement, "se resserrant" sur moi "à la manière d ’un réservoir contractile, qui provoquent ces états” (Wallon, 1949, p.148) de décentration, d ’aliénation. Mais quel est ce tonus qui monte et descend, tel un thermomètre, selon la courbe de mes humeurs et de ses influences?

Etant "ce qui peut maintenir les muscles dans la forme que leur a donné" le corps, soit en mouvement, soit en immobilité" le tonus "accom­ pagne le mouvement pour en soutenir l’effort dans la mesure des résistan­ ces rencontrées" (Wallon, article, p.2). Par contre il subit l’influence et influence les trois systèmes de sensibilité (sensibilités extérocep- tive, intéroceptive, proprioceptive). Donc, il est indispensable pour toute articulation de "repousser" qui engage le corps jusqu’au redres­ sement debout. Par ces exercices d ’Eutonie, son action devient de plus en plus efficiente, donc conséquente d ’un meilleur dosage pour la con­

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traction des muscles exigés pour le mouvement directionnel des os. De plus, le tonus servant d ’étoffe à la vie affective, je suis, par consé­ quent, par mon corps, d ’ores et déjà, en dialogue tonique entre mes multiples états internes et mes percées sociales. Cela me ramène à une perception plus précise du tonus, cet indicateur de subtilités dans mes états psycho-physiologiques.

Une image me vient: je vois dans une salle de cours d ’Eutonie, un groupe de personnes allongées vêtues comme prêtes pour dormir au chaud et bien installées, chacune, dans le territoire d ’une couverture. Semblable à un nourrisson, yeux clos ou ouverts, chaque personne est dans son monde, dans ses sensations et réagit de diverses manières à ce qui est demandé pour répondre à une attente venant soit de l’extérieur, soit d ’un besoin personnel à combler. Et d ’une consigne à l’autre, cette stimulation externe, d ’un mouvement à l’autre, cette réaction interne, je vis, moi aussi sur une couverture, un état perpétuel d ’alternance, un

état perpétuel de tonus.

Il me semble que si je comprends bien la consigne, elle se métamorphose peu à peu en fusion et je ne la "repousse" pas, j’y réponds alors satisfaite. Par contre, si elle demeure trop en dehors de ma réalité proprioceptive, elle me devient tout simplement confusion. Mon mouvement, mes muscles, mes os me deviennent alors encore plus anonymes. Et je deviens impuissante.

A ce moment-là, il m ’arrive de m ’arrêter et de reprendre instinc­ tivement contact d ’abord et surtout avec moi. A quel point suis-je dépendante de ce que la voix indique comme trame de mouvements? Que signifie l ’autonomie de mouvements? Si je repousse cette voix ne répondant pas à mes besoins primaires et que j ’ écoute la substance de cet état de confusion, je découvre ma propre vitalité, ma capacité d ’écoute. Ce "repousser" naturel du corps dépend des lignes de force de mon af­ firmation; il n ’est pas une résistance surchargeant le corps d ’une nouvelle tension; au contraire ce repousser est une centration du corps

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sur mes propres limites et une présence empreinte de sensations. Je reçois mieux la présence du sol, celle de ma peau et de son contenu et l ’axe dominant de ma trajectoire. Le choix aux mouvements du corps pro­ posé par une autre personne devient plus réel.

Je ne sais plus. Et si je disais vrai, qu’adviendrait-il de ces consignes extérieures pour la réhabilitation du corps à ses propres sensations?

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UNITE 4: ETRE DANS M3N MDI-PEAU

Ce texte relate une comparaison humoristique entre différentes recher­ ches: la théorie de 1’attachement de Harlow, éthologiste, basée sur quatre variables ou conditions (réconfort par le contact, allaitement, mouvement, température), les quatre premiers stades de développement de l ’enfant de Wallon et des observations de mon vécu en Eutonie. C'est une fresque analogique.

VARIABLE 1: LE RECONFORT PAR LE CONTACT

Durant les leçons et les présentations d ’études de mouvements en Eutonie, tous les commentaires émis ou ceux que j ’ émets sur 1 ’ exécution de mouvements devant les autres et sur les mouvements observés prennent quelle part d ’interférence entre la subjectivité, l’interprétation, le réel de l ’autre et le mien?

"Il y a peut-être une part de vrai dans la correspon­ dance peur de se mouvoir devant les autres et peur d'être jugé. Mais une association aussi radicale ferme-t-elle d ’autres possibles sur les mouvements devant les autres? N ’est-ce pas mettre toutes les personnes dans le même moule, dans le même modèle comportemental? Que deviennent les subtilités psychologiques de l’individu? Cette uniformisation me gêne, elle enferme mes propres malaises qui cachent probablement autre chose. Que se passe-t-il à propos de cette modalité du temps: à certains jours, il est vrai que la peur du jugement m ’oppres­ se, toutefois, à d ’autres instants, ce n ’est pas cela qui prévaut. Ces conclusions rapides m ’inter­

rogent énormément. J ’ai l’impression d ’être déviée de mes propres motifs d ’action ou de résistance.

Si j’observe la personne qui aime se faire regarder, quelle est la motivation qui soutient ce plaisir à se démontrer sans pudeur apparente? Pourquoi n ’en parle-t-on pas? Ce comportement est-il plus socialement acceptable, plus normalisé?

Je suis perplexe.

Quand j ’aime avoir toute l’attention des autres sur moi, cela ne pourrait-il correspondre à la soif

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