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Roberto Matta Echaurren : sa période new-yorkaise, 1938-1948

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FACULTÉ DES LETTRES

/^

7^3

G- ^ i L/

Département d’histoire

ROBERTO MATTA ECHAURREN - SA PÉRIODE NEW-YORKAISE. 1938-1948

VICTORIA GUERRERO

Mémoire présenté pour l’obtention

du grade de maître ès arts (M. A.)

ÉCOLE DES GRADUÉS UNIVERSITÉ LAVAL

JANVIER 1993 © Droits réservés 1993

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Résumé I

Introduction 1

Partie I Fondements théoriques de la critique d'art américaine

1. La condition de l'art dans la société 1 4

2. Le concept d'oeuvre d'art 24

3. L'art et ses liens avec la société 3 3 Partie II Matta 1938-1948

1. L'oeuvre de Matta et son contexte historique 45

2. La Théorie de Matta 47

3. Un problème d'interprétation de la peinture de Matta 56 4. Recherche conduisant à résoudre le problème

d'interprétation: le mythe 57

5. La nouvelle iconographie de Matta, 1945 63

6. L'engagement politique de Matta 68

7. Autres toiles 70

8. Matta et le marché de l'art 71

Conclusions 77

Illustrations 82

Annexes 91

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Par l'analyse des tableaux et de sa propre théorie de 1938 à 1948 nous proposons une nouvelle exégèse de l'oeuvre de Roberto Matta Echaurren. Cette période se déroule principalement à New York devenue la nouvelle capitale de l'art. Un contexte particulier d'inquietude par rapport au destin de l'humanité et à la fois d'une grande prospérité économique précisaient les bases de la grande période de l'École de New York. Les écrits des notables critiques d'art de l'époque et le passage brusque à une nouvelle iconographie, de la part de Matta, nous montrent deux manifestations opposées de l'art. D'une part, une esthétique d'autosatisfaction et de l'autre, l'art engagé.

Elliott Moore Victoria Guerrero

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Introduction

La pratique artistique de Roberto Matta Echaurren (né en 1911 au Chili) a toujours été étudiée de manière fragmentaire. Elle est appréciée, dans un contexte européen, en tant que contribution au mouvement surréaliste. En effet, Matta est considéré comme le dernier peintre à adhérer aux pratiques surréalistes^. Dans cette perspective, le terme peinture-poésie est souvent utilisé pour décrire la période 1938-1945. Toutefois, les implications politiques de certaines oeuvres sont également relevées*!.

0 Parmi d'autres, André Breton, Oeuvres Complètes, Vol.1, Paris, Gallimard, 1988. Marcel Jean, Autobiographie du Surréalisme± Paris, Seuil, 1978. Claude Abastado, Introduction au Surréalismex Paris, Bordas, 1986. Ferdinand Alquié, Philosophie du Surréalisme, Paris Flammarion, 1977. Histoire de l'art Moderne^ Paris, Flammarion, 1989. Dans le contexte américain William Rubin fait une analyse formelle de l'oeuvre de Matta dans le catalogue Dada,

Surrealism, and their HeritageThe Museum of Modem Art, New

York, 1968 : "But while the character of his style was set in Paris during this first year of work, it was only in America in 1939 that his painting began to take on the brilliance and range that put at the center of Surrealist art during World War II. Matta's was the last major pictorial statement entirely definable within the co­ ordinates of Surrealism." Jeffrey Wechsler, Surrealism and

American Art. 1937-1941x New Jersey, Rutgers University Gallery,

1976: "Matta, the last major artist to enter the Surrealist movement, explored the possibility of developing an imagery grounded in a variety of modernist techniques but dedicated to a Surrealist content."

2 Parmi d'autres, Claude Abastado, Introduction au surréalisme (Paris, Bordas, 1986) et Matta, textes Dominique Bozo et al. (Cat. d'expos. , Centre Pompidou, Paris, 1985).

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Dans le contexte nord-américain de la guerre et l'après- guerre, par contre, Matta est perçu comme le propagandiste des pratiques automatistes et de sa théorie personnelle, "Morphologie psychologique". Irving Sandler^ voit dans la présence à New York des surréalistes, et de Matta en particulier, le catalyseur qui permit aux peintres américains d'élaborer une pratique indépendante de celle de l'Ecole de Paris. L'influence de Matta sur les jeunes peintres new-yorkais de sa génération est décrite par Sandler :

"Gorky, Pollock, Baziotes and others, even before they had met Matta, were aware of automatism as a technique. (...) But Matta was influential in promoting that method. More than the other Surrealists, he made himself available to young New Yorkers. A keen intellectual and scintillating conversationalist, he was able to focus attention on issues, to crystalize and dramatize them verbally."4

Dans une analyse qui tient davantage compte du contexte social et politique de l'époque, Dore Ashton soulève l'influence de Matta sur les peintres new-yorkais : "The wheeling space and biomorphic shapes in Matta's Prescience, of 1939 impressed the New York School artists he came to know during the war".5 3 4 5

3 Irving Sandler, "Dada, Surrealism and their Heritage", Artforum, VI (mai 1968), article que en 1970 va prendre la forme d'un chapitre du livre Abstract Expressionism The Triumph of American

Painting, London, Pall Mall Press, 1970.

4 Sandler, "Dada, Surrealism and their Heritage” : 28.

5 Dore Ashton, The New York School, (New York, The Viking Press, 1971) , 116.

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non-Ashton trouve dans la structure de l'espace

euclidien" de Matta une déviation du "discours surréaliste" : "There was a rational substructure in Matta's approach that defied the surrealist reverence for the irrational, and that provided his American colleagues with the "meaning" their tradition inevitably demanded"®

La peinture de Matta va souvent servir de référence à Clement Greenberg pour analyser la production de certains peintres new-yorkais malgré l'hostilité manifeste du critique américain pour le Surréalisme en général et pour Matta en particulier à qui, Greenberg reprochait de faire "the comic strip of abstract art"* 7 8 • Concernant l'influence de Matta sur Gorky, Clement Greenberg lui reconnaît, en 1955, certaines qualités :

“Cependant, Gorky devait subir encore, et pour la dernière fois, une influence, celle de Matta, qu'il avait connu personnellement pendant la guerre. Matta était, et il est peut-être encore, un dessinateur inventif et même à l'occasion un peintre aussi audacieux que brillant."®

Meyer Schapiro soulève lui aussi cette influence. En effet, selon lui, Gorky admirait Matta même s’il était plus jeune que lui. Cette rencontre fut décisive pour libérer Gorky du pastiche.

® Ashton, The New York School , 124.

7 Cité par Ashton, The New York School, 159.

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Gorky adopta Hindiscipline surréaliste" et ceci développa chez lui des qualités qu'il ne soupçonnait peut-être pas jusqu'alors^ :

"In Matta he found for the first time a painter whose language, once mastered, he could use as freely himself. From Matta came the idea of the canvas as a field of prodigious excitement, unloosed energies, bright reds and yellows opposed to cold greys, a new Futurism of the organic as well as of mechanical forces."1 0

Serge Guilbaut signale la présence de Matta à New York mais, dépourvue de signification : "Max Ernst était le "chouchou" des dames et des musées, Matta le jeune excentrique que les artistes prenaient au sérieux ; tandis que Masson faisait des dessins automatiques".11

L'image controversée de Matta ne doit cependant pas faire oublier que sa création servit de modèle pour les peintres new-yorkais de sa génération, comme Pollock, Gorky, Motherwell, Baziotes et Busa : "It was your presence, Matta, that personalized Surrealism for us".1 2 9 10 11 12

9 Meyer Schapiro, "Gorky: the Creative Influence", Art News, vol. 56, n. 5 (septembre 1957) , 28.

10 Schapiro, "Gorky: the Creative Influence" : 52.

11 Serge Guilbaut, Comment New York vola l'idée d'art moderne, (Nîmes, Editions Jacqueline Chambon, 1988), 94.

12 "An interview with Peter Busa and Matta", Art International, vol. 11, n. 6 (été 1967). Matta tenait chez lui un atelier fréquenté par les jeunes peintres américains de sa génération. A ce sujet voir aussi Kozloff, M. "An interview with Matta", Artforum, vol . IV, (1965).

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Effectivement, selon William Rubin la production artistique et la présence de Matta à New York pendant la Seconde guerre relièrent le surréalisme aux jeunes peintres américains. "Ce fut donc Matta, dont la réputation de peintre et la personnalité s'étalent affirmées durant les premières années de la guerre, qui établit le pont entre le surréalisme et les Américains plus jeunes".1 3

Cette affirmation, exprimée de manière parfois implicite dans les textes consacrés à la genèse de l'Ecole de New York, est à l'origine de nos interrogations. En effet, il existe dans cette assertion une contradiction théorique. Comment Matta a-t-il pu faire figure de lien entre, d'une part, le mouvement surréaliste avec ses préoccupations politiques et sociales et d'autre part, les jeunes peintres de l'Ecole de New York qui proclamaient leur individualisme et leur désintérêt pour toute considération autre qu'esthétique?

Cette question nous invite à remonter à l'origine de la pratique de Matta, d'autant plus que ce dernier a toujours été perçu au Chili ou ailleurs en Amérique Latine, comme un artiste politiquement engagé.

L'examen de l'oeuvre de Matta ainsi que de sa théorie va toutefois abolir la contradiction théorique évoquée ci-dessus. Une création artistique coupée de la totalité de la vie sociale nous semble de mise pour décrire son oeuvre. Il s'agit d'une création introspective qui dévalue la dimension historique du moment et la réalité extérieure pour affirmer la spontanéité et le retrait au monde personnel de l'artiste. Cette oeuvre apparaît d'ailleurs le reflet des propositions théoriques d'un mouvement surréaliste 13 13 William Rubin, "Matta aux Etats-Unis. Une note personnelle",

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tardif. En effet, l’élaboration d’une mythologie moderne était l’idée centrale autour de laquelle travaillent les surréalistes en exil. Notre recherche mettra en relief que cette même idée occupait une place importante dans le milieu artistique new-yorkais. Ce dernier toutefois, privilégiait la mythologie amérindienne.

Ce décalage d'avec la réalité revêt une signification particulière dans le contexte historique de la période en étude. En effet, à peine la Grande Dépression était-elle surmontée que surviennent successivement la Guerre Civile Espagnole, la Seconde Guerre mondiale et le lancement de bombes atomiques ; il s'en suit alors la forte idéologisation de l'après-guerre. C’est une époque qui évoquait le désepoir et la peur de la désintégration du monde et qui détruisait les espoirs en la science et la démocratie.

Nous avons formulé notre hypothèse sur la base de cette séparation entre l'oeuvre d'art et la société. Nous allons examiner à travers la production de Matta le processus d'appropriation et de transformation par la néo-avant-garde américaine14, des vestiges des avant-gardes européennes mis au service d'une esthétique purement formelle où toute préoccupation sociale ou politiquement signifiante est évacuée.

Pour expliquer l'intégration aisée de Matta au milieu new-yorkais et pour définir les bases théoriques de l'art américain de la période en étude, nous examinerons des écrits de Clement Greenberg, d’Harold Rosenberg, de Dwight Macdonald et d'Irving Howe. L'accueil des oeuvres d'art étant déterminé par les idées

14 Voir Peter Bürger, Theory of the Avant-Garde (Minneapolis, 1984). Selon Bürger la néo-avant-garde a institutionalisé l'art des avant-gardes historiques tout en niant leurs intentions. Par avant- garde historique on fait référence à Dada et au surréalisme des premières années.

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artistes et critiques d'art.

Les présupposés théoriques guidant notre recherche ont été exposés par Peter Bürger.15 Le travail de Serge Guilbaut16 nous est aussi, utile, en ce sens qu'il met en évidence les problèmes esthétiques mis en jeu par les circonstances politiques et sociales du moment.

L'art américain vit au cours des années ‘40 la période de cristallisation de son esthétique. Nous constatons que les bases théoriques d'une esthétique purement formelle se trouvaient déjà en place pendant la guerre et ont servi de fondement à l'éclosion de l'École de New York au début des années 50.

C'est dans cette période que l'Amérique se proclame libérale et ouverte au monde, tout en devenant la plus grande puissance économique et militaire.

"Les Etats Unis vont traverser une période exceptionnelle de leur histoire. Cette période n'a pas fini de nourrir les mentalités collectives, de servir de référence ou de repoussoir. C'est que l'Amérique de Roosevelt s'apparente à une naissance".17

Le Produit National Brut des Etat Unis passa de 75 $ milliards pour l'année 1933 à 210 $ milliards en 1945 pour atteindre 240 $ milliards en 1947, le plus haut niveau jamais vu 15 Peter Bürger, Theory of the Avant-Garde (Minneapolis, 1984). 16 Serge Guilbaut, Comment New York vola l'idée d'art moderne, (Nîmes, 1988).

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dans l'histoire du pays signalait l'analyste du Timers. L'excellente performance de l'économie trouve en grande partie son origine dans le New Deal. La politique économique et sociale prônée par le président Roosevelt avait actionné les moteurs de l'économie américaine suivant une stratégie basée sur le contrôle par l'Etat des différents niveaux de la production et du marché. Ce rôle accru de l'Etat dans l'économie aura des répercussions dans la politique interne des Etats-Unis dans les années à venir. En effet, certains contemporains avancèrent qu'elle avait été infiltrée par le communisme. Selon André Kaspi le New Deal a engendré le maccarthisme.1 9

La prospérité économique avait commencé à se montrer en 1940, car la guerre en Europe avait activé l'économie ; mais Pearl Harbour changea le cours des faits. Un mois après cet événement, Roosevelt annonçait "Le programme de la victoire" : la mise sur pied du grand arsenal de la démocratie demandait la fixation des prix, la modération et la patience des consommateurs et un renforcement d'impôts sur les revenus. De Pearl Harbour au débarquement de Normandie, cette économie de guerre allait enregistrer des résultats spectaculaires * 29.

En ce qui concerne la politique extérieure, les Etats- Unis avaient compris que l'isolationnisme devait prendre fin et qu'il était temps pour eux d'assumer leur place de superpuissance dans le monde. Les Américains se sentaient dorénavant appelés à assurer la défense de la liberté contre les menaces du totalitarisme. Au début 1946, le Président Harry Truman déclare dans un message à la nation: "Les Etats-Unis sont, aujourd'hui, une nation forte. Il n'y a pas de plus forte. Cela signifie que, avec une 1 8 "National affairs", Time , vol . 51, (14 juin, 1948), 55.

19 André Kaspi, Frankin Roosevelt , Paris, Fayard, 1988, 334-338. 29 Kaspi, Franklin Roosevelt , 454-461.

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telle force, nous avons le devoir de prendre le leadership de l'organisation du monde."21

La fin de la politique isolationniste américaine va de pair avec une politique militariste. A la fin de la guerre, la prééminence des Etats-Unis dans les affaires internationales est indiscutable. On mettra en marche un plan pour mettre l'Europe debout d'autant plus que ce plan répondait aux besoins économiques des Américains. En effet, le plan Marshall créait des marchés à une industrie qui fonctionnait à plein régime. Ce plan, tout comme le Traité de l'Atlantique Nord, s'inscrit dans la nouvelle optique de la politique extérieure américaine basée sur la sécurité collective.

Le “boom” économique colossal de l'Amérique intervient dans une époque de transition. Il suit alors une longue période de remise en question de valeurs de toutes sortes: morales, religieuses tant que sur le plan de l'éducation que sur celui de l'économie. Tout était réexaminé à la lumière de nouveaux acquis scientifiques et technologiques. Du point de vue sociologique, la démobilisation de l'armée, au moment où les femmes avaient pris leur place sur le marché du travail, modifie la vie de la famille américaine ; le

pattern traditionnel se trouvait ainsi bouleversé. Une classe

économique puissante trouve sa place: la classe moyenne. A l'ombre des problèmes raciaux grandissants auxquels la presse commençait à porter un début d'attention22j jamais les Etats-Unis n'avaient été plus intégrés géographiquement et unifiés économiquement.

L'art et le marché de l'art furent grandement touchés par cet essor économique. La croissance économique n'allait pas seulement 21 22

21 Cité dans le Colloque Travaux XX, Art et idéologies. L'art en

Occident, 1945-1949, (France, Université de Saint-Etienne, 1976),

25.

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Depuis 1940, le “boom” du marché de l'art avait commencé à s'annoncer, notamment à New York. Les ventes aux enchères passèrent de 5 $ millions en 1939 à 12 $ millions en 1945. Par une hause du volume (et non pas une envolée des prix), les ventes dans les galeries augmentèrent de 40 à 300%23. Le “boom” de l'art faisait partie de la rouée vers les items luxueux :

"Hand in hand go the grossest vulgarities and the profoundest soul-searchings. A revival of religious feeling heaves up in the middle of the age of doubt. People spend more than ever before and save more than ever before".24

Le “boom” économique favorisa l'apparition des nouveaux collectionneurs, mais d'autres facteurs contribuèrent à augmenter les ventes d'objets d'art. Ainsi, le W.P.A. encouragea et fit la promotion de plusieurs des meilleurs peintres américains et des magazines, tels que Vanity Fairx Vogue, Harper's Bazaar et Life diffusaient l'art moderne auprès du grand public par des articles et des reproduction d'oeuvres d'art. Dans cette optique de diffusion, l'exposition-vente du 31 Décembre 1941 chez Macy's, du Living

American art25 est à retenir.

D'autre part, des riches Européens réfugiés aux Etats- Unis essayaient de protéger leur fortune et les grandes compagnies comme entre autres, Container Corp. of America, Upjohn, Abott

Laboratories, achetaient également la production des peintres

23 "57th street", Fortune , vol . 33 , (1946) ,145-149 . 24 "The Boom", Fortune x vol . 33 , (1946) , 97-104. 25 Dore Ashton, The New York School , 145.

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Finalement, un élément important fut le pouvoir d'achat accru des musées dont les fonds provenaient des philanthropes hautement taxés.

Toutes ces mutations socio-économiques de la société américaine firent basculer les théories socio-esthétiques des critiques d'art, et en ce qui nous concerne celles de Clement Greenberg et d’Harold Rosenberg* 2^ ainsi que celles de Dwigth Macdonald2? et d'Irving Howe28. Ces intellectuels, associés au groupe radical de gauche à New York pendant les années 30, durent revoir leurs positions politiques au vu des procès de Moscou, de la politique stalinienne et de la Seconde Guerre mondiale : "The difference then and now in the New York intellectual atmosphere - in this context, New York is America, as Paris is France - is that we believed in revolution and now we don't."29

La nouvelle prospérité économique de l'Amérique est sans doute en rapport avec cette modification de la critique comme peut-être aussi le climat d'hystérie collective qui s'instaura avec le maccarthisme.

Notre recherche s'inscrit au coeur du débat qui agita les intellectuels new-yorkais autour du “boom” de l'art, qui selon

26 Voir l'article de James D. Herbert, "The Political Origins of Abstract-Expressionist art Criticism" , Telos , n . 62 (hiver 1984- 85) , 179-187.

2? Dwight Macdonald, Memoirs of a Revolutionist * New York, Meridian Books, 1958.

28 Irving Howe, Decline of the New M New York, Harcourt Brace & World Inc., 1963.

29 Dwight Macdonald, Memoirs of a Revolutionist (New York, Meridian Books, 1958) , 5.

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yorkais, elle ne s'arrêtera pas pour autant à examiner ce débat en tant que tel. Notre objectif est plutôt de reconnaître les bases théoriques de l'art américain dans la première partie de notre travail et ensuite d'examiner l'oeuvre de Matta dans une deuxième partie tout en évitant de répéter les analyses formelles et les commentaires déjà faits sur son oeuvre . 30

30 Serge Guilbaut, Comment New York vola l'idée d'art moderne , 295.

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Parmi la variété de personnalités qui se sont exprimées à la genèse de l'École de New York, la voix de certains critiques de par leur caractère charismatique, marqua l'atmosphère du milieu artistique new-yorkais. Parmi les plus influents se trouvaient Clement Greenberg qui collaborait à l'époque, principalement au

Partisan Review et à The Nation et Harold Rosenberg, qui avait

travaillé tout près des artistes au W.P.A. (1935-39) et comme éditeur de l’American Guides Series. Il collaborait à CommentaryA

Art News et Kenyon Review. Dwight Macdonald, écrivain, critique

littéraire et fondateur du magazine Politics^ collaborait aussi à

The Nation et au Partisan Review , après avoir abandonné, par des

raisons idéologiques Fortune. Finalement il y avait Irving Howe écrivain et critique littéraire, lui aussi collaborateur au Partisan

Review et à Politics.

Pendant la guerre et dans les circonstances socio­ économiques particulières que vivait l'Amérique, les traits partagés par Greenberg, Rosenberg, Macdonald et Howe étaient le goût de polémiser, une perspective internationaliste et certains intérêts intellectuels communs comme, par exemple, la critique de la culture de masse. En effet, ils ont développé des réponses dans la lutte pour résister à la culture de masse qui risquait, selon eux, de contaminer la "vraie culture".

Pendant les années ‘30 et au début de la guerre, ces intellectuels constituaient le centre de la vie culturelle à New York. Durant ces années-là, leur discours critique était teinté d'un fort accent social, toutefois, au cours des années ‘40 ce ton allait changer. Ainsi, ils ont commencé à abandonner l’effort pour trouver des fondements théoriques à leur discours dans le

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C'est ainsi que l'analyse de leurs écrits nous dévoile l'existence d'une pensée théorique qui cherche à purifier l'art des idées extérieures au domaine artistique et, par la même occasion propose un art autonome. C’est par la gestuelle libératrice selon l'expression de Rosenberg ou la recherche de l'art pour l'art selon le concept de Greenberg que l'artiste américain va disqualifier du monde de l'art toute préoccupation sociale et politique. Ce jugement du monde extérieur, riche en significations politiques, mène l'artiste à remplacer la réalité dans laquelle il vit par la pratique artistique autoréférencielle.

Guidées par la théorie de Bürger, nous avons analysé quelques écrits des ces critiques pour y découvrir leur idée touchant trois aspects de l'art :

-la condition de l'art à l'intérieur de la société -le concept d'oeuvre d'art

-l'art et ses rapports avec la société

1.- La condition de l'art à l’intérieur de la société.

La caractéristique dominante de l'art dans la société bourgeoise est sa dissociation de la praxis de la vie. La proposition essentielle de l'avant-garde historique fut, d'après Bürger"!, de réaliser, tout en le supprimant (processus d'Aufhebung, en anglais

sublation) , l'art dans la praxis de la vie. Il s'agit pour l'avant-

garde historique de rejeter la société moderne rationaliste obsédée

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nouvelle basée dans l'art. A cet égard, Bürger donne l'exemple des "recettes" d'écriture automatique d'André Breton et de Tristan Tzara qui battent en brèche toute idée de spécialisation et de génie artistiques.

L'avant-garde historique a remis en question le statut d'autonomie de l'art à l'intérieur de la société, le détachement progressif de l'art de la vie réelle (du social) parce que cette condition le dispense, justement, de toute fonction sociale. Dans cette perspective, elle propose le travail artistique comme le point de départ d'une nouvelle praxis.

Vers 1944, Greenberg critiquait les objectifs du Surréalisme dans une perspective elitiste :

"The desire to change life on the spot, without waiting for the revolution, and to make art the affair of everybody is Surrealism's most laudable motive, yet has led inevitably to a certain vulgarization of modern art."2

En 19533, Greenberg développe complètement son idée en considérant le sort fait à l'art dans la société américaine. Si Greenberg distingue clairement le problème de la séparation de l'art de la praxis de la vie à l'intérieur de cette société, il n'est cependant pas en mesure d'envisager une solution pratique à ce problème. 2 3

2 Clement Greenberg, "Surrealist Painting", The Nation , (12 août,1944), 192-193.

3 Clement Greenberg, "The Plight of our Culture. Industrialism and Mass Mobility", Commentary_, 15:6 (juin 1953) , 558-566.

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Greenberg déploie son argument autour du concept de Marx selon lequel une productivité élevée à l'intérieur d'une société (par le développement de la science et de la technologie) pourrait pourvoir aux besoins matériels de tous et en conséquence changer la structure de la société. Emergerait alors une société sans classes où tous les hommes pourraient accéder à la "grande culture". La société occidentale industrialisée a produit, selon Greenberg, trois niveaux de culture, qu'il nomme "highbrow" (culture formelle, désintéressée et authentique), "middlebrow" et "lowbrow" (culture de masse, populaire). Le "highbrow" est l'apanage de la classe possédante, et se voit donc associé à l'aristocratie ou à la grande bourgeoisie. Or, à la suite des changements socio-économiques survenus après la Seconde Guerre, le pouvoir économique appartient à la classe moyenne. D'après Greenberg, il est impératif que le "highbrow" continue de préserver le niveau de la culture dans une telle société.

Le "boom de la culture" aux États-Unis qui trouve son origine dans le développement industriel, a créé une classe moyenne économiquement et socialement puissante dont le poids démographique et le pouvoir d'achat ont dévalorisé le niveau de la culture. La classe moyenne étant, aux yeux de Greenberg, intrinsèquement incapable d'une curiosité propre, elle demande donc, armée de sa nouvelle richesse et de son nouveau poids politique, qu'on lui livre la "grande culture" mais "surveyed, digested et synopsized" selon la méthode de "processing and packaging" de tout produit de consommation. De ce fait, le "highbrow" se verrait dans l'obligation de placer sa production "en dehors du marché" pour la protéger de la demande. Ce processus éloignerait de plus en plus l'art de la vie, fait remarquer Greenberg. Selon lui (et qui est important pour notre analyse) l'avant-garde est le lieu d'une lutte pour la vérité esthétique, le maintien du niveau culturel, la sauvegarde de la tradition contre l'esprit utilitaire.

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D'autre part, constate Greenberg, la productivité industrielle promet l'accès au bien-être à la majorité et toute autre considération se trouve dès lors subordonnée à l'augmentation de cette productivité, ce qui met en péril la continuité de la culture. Pour Greenberg, l'industrialisation pose des problèmes sans précédent qui débordent celui des rapports de classe et de l'exploitation et contaminent jusqu'au domaine culturel. Le travail, en tant qu'activité devient, dans la société industrielle, synonyme d'accomplissement vertueux et n'est plus dévalorisé comme dans les sociétés aristocratiques alors que l'oisiveté était signe de privilège. L'éthique puritaine du travail identifie l'oisiveté et les loisirs à un éloignement de la réalité, à un aspect négatif de la vie. Dans ce contexte, la culture humaniste serait incapable d'atteindre un niveau élevé. En conséquence, d'après Greenberg, il devient nécessaire de réconcilier travail et culture au sein de la société industrielle. Greenberg préconise le rétablissement du rapport étroit qui existait dans les sociétés pré-industrielles entre travail, religion et culture tout en assurant à cette dernière une place centrale dans la vie.

Le lien restauré entre travail et culture garantirait la réintégration de cette dernière dans la réalité sans qu'il soit question de sacrifier le concept d'efficacité dont Greenberg ne nie pas le rôle de pilier essentiel. C'est dire que Greenberg refuse le rêve d'Eliot d'un retour à un hypothétique passé, et les positions de philosophes du "déclin" comme Spengler et Toynbee qui, pour le critique américain, dévaluent simplement les possibilités de leur époque.

En 1946, Greenberg avait proposé de sauver la culture en Amérique grâce au pouvoir économique et social :

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"The future of art and literature will brighten in this country only when a new cultural élite appears with enough money and enough consciousness to counterbalance the pressure of the new mass market. The other alternative is socialism, of course - but right now who talks of socialism in America?".4

Greenberg, tout en acquiesçant aux valeurs de la société bourgeoise, privilégie la préservation de "valeurs traditionnelles de la culture". L'isolement de l'avant-garde préconisé par Greenberg évoque l'attitude moderniste, mais il se distingue de la marginalisation ou du concept baudelairien de "destinée solitaire" : il faut être solitaire, certes, mais tout en étant solidaire des autres hommes. Greenberg observe l'éloignement croissant de l'art et de la vie causé par la structure de classes propre à la société industrielle. Le problème de l'intégration du travail et de la culture dans la même sphère d'activité (comme c'était le cas dans la société primitive) reste cependant pour Greenberg sans solution. Il propose toutefois des "mesures de survie" :

"In the meantime, high culture, on its non-aesthetic side, may be able to survive as a set of special disciplines practiced during working hours by professionals - and to the extent necessary for the maintenance of the skills and knowledges required for the operation of industrial system - but not as art, not as humanistic culture, not as something that informs, and is nurtured 4

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by, the presence of the mere well- educated citizen".5 * 7

L'argument de Dwight Macdonald rejoint celui de Greenberg. Macdonald enracine son concept de "masscult" dans celui de "meltingpot". Le "meltingpot" américain aurait produit des valeurs négatives, en particulier un "tasteless, colorless fluid of uniformity"5. La période qui suivit la Deuxième Guerre mondiale entraîna en Amérique l'enrichissement de la classe moyenne dans les mains de laquelle, affirme Macdonald, tout devient marchandise. La culture de la classe moyenne ("midcult") détourne les découvertes de l'avant-garde ou bien prend la forme d'une avant- garde pour utiliser le langage moderne au service du banal. Les valeurs de la "midcult" risquent de devenir dès lors des standards permanents au détriment de celles de la "highcult".

Macdonald reconnaît l'existence de l'art-institution et en critique les pratiques :

"We have, in short, become skilled at consuming High Culture when it has been stamped PRIME QUALITY by the proper authorities, but we lack the kind of sophisticated audience that supported the achievement of the classic avant- garde, an audience that can appreciate and discriminate on its own".7

5 Clement Greenberg, "Work and Leisure Under Industrialism. The Plight of our Culture : Part II , Commentary ,15:6 (juin 1953) , 61. 5 Dwight Macdonald, Against the American Grain. Essays in the

effects of mass culture (New York, Vintage Books, 1965) , 36.

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conférences, commandes étatiques ou privées, etc.). Tout comme les indiens du Nouveau-Mexique, les artistes de Greenwich Village offrent leurs produits aux touristes. "Nowadays everybody lives on the reservation".8

A la situation problématique de la culture en Amérique, Macdonald propose une solution élitiste : constituer un public limité à qui le "highcult" pourrait s'adresser. Un esprit de corps devrait alors souder le créateur et son public pour élever le niveau culturel.

Cette même idée de caste est proposée par Harold Rosenberg : "Modem Art in America represents a

revolution of Taste - and serves to identify power of the caste conducting that revolution. Responses to Modern Art are primarily responses to claims to social leadership" .9

Rosenberg propose un rôle à cette élite :

"Through Modem Art the expanding caste of professional enlighteners of the masses - designers, architects, decorators, fashion people, exhibition directors - informs the populace that a supreme Value has emerged in our time, the Value of the NEW."10

8 Ibid., p. 60.

8 Harold Rosenberg, "The American actions painters", Art News , 51 : 8 , (décembre 1952) , 23.

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L'artiste innovateur est condamné toutefois, selon Rosenberg, à l'isolement au sein de la société: plus il est connu moins bien il est interprété, et la fantaisie construite alors autour de lui l'éloigne de tout rôle social réel :

"The famous "alienation of the artist" that the middleman intellectual journals find so much relish in discussing is the result not of the lack of interest of society in the artist's work but of the potential interest of ail of society in it. A work "sold" to the totality of the public would be a work totally taken away from its creator and totally falsified".1 1

Dans la société bourgeoise, l'art devient une sphère autonome d'activité car il n'obéit pas aux critères de rationalisation et de maximisation des profits qui régissent le reste de la société. L'art pour l'art est la manifestation extrême de cette condition de l'art à l'intérieur de la société et elle a comme conséquence l'absence de rôle social de l'art et de l'artiste. Lorsque Greenberg, Macdonald et Rosenberg proposent d'isoler l'avant-garde, il s'agit pour eux de donner une fonction sociale à cette avant-garde : préserver les "valeurs traditionnelles de l'art" à l'intérieur de la société bourgeoise. Ceci s'avère cependant impossible pour deux raisons.

Tout d'abord, si les intentions politiques des avant-gardes historiques ne se sont pas réalisées, elles ont néanmoins eu un 11

11 Harold Rosenberg, "Everyman a Professional. Part I”, Art News 7 : 7, (novembre 1956) , 66.

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impact sur les pratiques artistiques qui ont suivi (dans une phase que Bürger appelle post-avant-gardisme). Ce moment historique inaugure la récupération des procédés anti-esthétiques et révolutionnaires des avant-gardes historiques à des fins purement esthétiques. La disponibilité infinie des matériaux, des formes, et l'utilisation simultanée de toutes les traditions et de tous les styles sont revendiqueés par la post avant-garde. Vouloir imposer dans un tel contexte des normes esthétiques valides devient impossible et aucun mouvement esthétique ne peut dès lors se considérer comme historiquement plus avancé qu'un autre.

Aussi, l'activité artistique s'adapte aux principes de la société bourgeoise, en particulier à celui de la nouveauté qui s'érige contre toute tradition. La stratégie d'isolement proposée par Greenberg, Rosenberg et Macdonald pour "préserver les valeurs" est une solution inefficace au problème théorique de l'affranchissement de l'art des lois imposées par le système économique et politique. L'art de l'avant-garde américaine ou néo­ avant-garde, selon la dénomination de Bürger, en exaltant la pureté de son isolement, se prive de tout rôle social actif. Citons Bürger à ce sujet :

"It is the status of their products, not the consciousness artists have of their activity, that defines the social effect of works. Neo-avant-gardiste art is autonomous art in the full sense of the term, which means that it negates the avant gardiste intention of returning art to the praxis of life. And the efforts to sublate art become artistic manifestations that, despite their producers' intentions, take on the character of work"."* 2

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2,- Le concept d'oeuvre d'art

Selon Peter Burger, un apport fondamental de l'avant-garde historique a été sa critique du concept d'oeuvre d'art. Le procédé de l'allégorie, étudié par Benjamin, atteint pour Bürger sa pleine signification dans les pratiques de l'avant-garde historique. L'artiste créateur d'allégorie est obsédé par le singulier, le bizarre. Benjamin relie cette obsession à la mélancolie. Bürger, quant à lui, retrouve dans "l'ennui" surréaliste la mélancolie, l'insatisfaction de l'artiste devant son inutilité sociale.

D'autre part, la pratique surréaliste manifeste la recherche d'une expérience originale au sein d'une réalité modelée par l'homme : "If one takes the attitude of Surrealist self as the prototype of avant-gardiste, one will note that society is here being reduced to nature".2

Pour Bürger ceci révèle l'inquiétude des surréalistes devant une technique devenue toute-puissante et une organisation sociale qui borne l'expérience individuelle. Par le biais de l'oeuvre d'art, par sa négation, l'avant-garde historique met en lumière la vraie condition de l'art dans la société bourgeoise, soit sa séparation de la praxis de la vie. Par ce même moyen, l'avant-garde historique dénonce l'art-institution2 et le reconnaît comme une structure idéologique oppressive : "The intention to revolutionize life by returning art to its praxis turns into a revolutionizing of art."3 2 3

2 Bürger, Theory of the Avant-Garde , 71.

2 Le concept d'art-institution est utilisé par Peter Bürger pour faire référence autant au dispositif productif et distributif comme aux idées qui s'imposent et qui déterminent l'accueil des oeuvres d'art à un moment donné.

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Le but de l'avant-garde historique est, d'après Bürger, de susciter une remise en question d'une réalité et d'un mode d'existence aliénants. La critique du concept d'oeuvre d'art devient le principe moteur de la subversion.

Le concept que Rosenberg se fait de l'oeuvre d'art est une réponse à la culture de masse. Selon son analyse l'alternative qui s'offre à l'artiste est de profiter de cette dernière ou de s'isoler :

"Or the writer may choose to break through mass culture itself. In that case he will reject the time packages and sociology package in which experience is delivered fresh every morning, and begin with the tension of what most agitates, and conceals itself from him".4 5

L'expression "the tension" constitue ce que Rosenberg va appeller plus tard le mythe personnel c’est-à-dire le contenu de l'oeuvre d'art de l'Action painting.5

4 Harold Rosenberg, "The Herd of Independent Minds. Has the Avant- Garde its Own Mass Culture?" , Commentary , vol . VI (1948), 252. 5 D'après Dore Ashton, The New York School (New York, The Viking Press, 1971), 71, le terme "action painting" fut formulé à partir des concepts émis par le peintre John Graham vers 1937 : "His emphasis on the process and "experience" that feed final painting was precisely the concept picked up by Rosenberg". Par contre, d'après Robert Motherwell ce terme fut repris, vers le milieu des années ‘40, par Rosenberg dans une pièce de Huelsenbeck (Rose B. "An interview with Robert Motherwell" Artforum, septembre 1965, 37). Nous aimerions faire remarquer que le terme "action painting"

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Pour Rosenberg, le travail de l'artiste américain n'est pas un objet d'art mais seulement la trace d'un acte artistique. La toile figure Parène" où s'inscrit cet acte : "What was to go on the canvas was not a picture but an event".6

L'Action painting, dans l'esprit de Rosenberg, met fin à l'objet. La recherche esthétique autour de la forme, de la couleur, de la composition et du dessin se subordonne à la révélation de l'acte de peindre. Action et travail artistique sont synonymes :

"It is to be taken for granted that the final effect, the image, whatever be or be not in it, will be a tension "[...] "The tension of the private myth is the content of every painting of this vanguard".* 6 7

a été formulé d'abord par les artistes (Huelsenbeck ou Graham) et a

posteriori adopté par la critique d'art.

6 Rosenberg, "The American action painters" : 22.

7 Rosenberg, 23. “Tension”, est un terme fréquemment utilisé par Rosenberg. Dans la version de cet article publiée en 1959, essais rassemblés dans The Tradition of the New^ The University of Chicago Press, Chicago, Rosenberg cite Hans Hofmann dont il reprend certains arguments, en particulier "The action on the canvas became its own representation" ou bien "tension" que dans la terminologie du peintre Hofmann prend aussi l'expression "push- and-pull". Selon Ashton l'influence de Hofmann ne se limite pas à certains peintres de l'école de New york, mais elle atteint aussi des critiques comme Greenberg et Rosenberg. Selon Ashton, le discours de Hofmann restait exclusivement esthétique contrairement à celui excessivement rhétorique de certains groupes orientés politiquement à l'époque à New York. Hofmann défendit pour la première fois à New York la recherche de l'art pour l'art. A l'atelier d'Hofmann, Greenberg assista à des discussions autour de ce thème : "The lessons of picture analysis Greenberg learned in Hofmann's studio are really the fundamental tools of his

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Remarquons la contradiction à l'intérieur de l'expression "private myth" car le mythe par définition renvoie aux pratiques collectives donc au social.

Toujours selon Rosenberg, l'artiste de l'Action painting est concentré sur son médium :

"Anything but art criticism. The painter gets away from Art through his act of painting ; the critic can't get away from it. The critic who goes on judging in terms of schools, styles, form, as if the painter were still concerned with producing a certain kind of object (the work of art), instead of living on the canvas, is bound to seem a stranger.''^

Le travail artistique tel qu'il est décrit par Rosenberg ressemble en certains aspect à celui de l'avant-garde historique, surtout dans sa référence à la manipulation des matériaux. La différence apparaît cependant dans l'intention. L'Action painting demeure une pratique purement esthétique. Si l'Action painting recherche une révélation dans la manipulation des matériaux, l'avant-garde historique de son côté impose des significations à ces mêmes matériaux.

En 1939, Greenberg voit dans l'avant-garde du XIXème siècle "une conscience supérieure de l'histoire"^. Cette avant-garde, 8 9

trade. They can be overheard in much of his subsequent criticism". Ashton signale finalement : "Ironically, the modern doctrines that Hofmann made available to his listeners were usually milled in his own queer imagination, and they emerged as a rather patchwork mélange of theory culled from many divergent European Studios". Dore Ashton (The New York School) , 80.

8 Rosenberg, 23.

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malgré sa situation marginale, demeure reliée au marché. L'avènement de l'art pour l'art, selon Greenberg, est survenu lorsque cette avant-garde a cherché à "maintenir le niveau élevé de son art en le raréfiant et en l'élevant à l'expression d'un absolu". 1 0 Dès lors, toute préoccupation de contenu est écartée au profit d'une recherche formelle et l'oeuvre d'art devient sa propre fin. "Le contenu doit se dissoudre si complètement dans la forme que

l'oeuvre plastique ou littéraire, ne peut se réduire, ni en totalité ni en partie, à quoi que ce soit d'autre qu'elle-même".1 1 A ce propos Greenberg cite Hans Hofmann : "Ce qui anime leur oeuvre par-dessus tout c'est le souci essentiel d'inventer et d'ordonner des espaces, des surfaces, des formes, des couleurs, etc. à l'exclusion de tout ce qui ne leur est pas intrinsèquement lié".1 2 Le travail artistique de l'avant-garde apparaît alors "comme la réduction de l'expérience vécue à l'expression pour l'expression, celle-ci étant plus importante que ce qu'elle exprime" J 3

En 1940 dans Partisan Review , Greenberg fait l'apologie historique de l'art abstrait qu'il oppose à l'art réaliste et naturaliste contaminé selon lui par la littérature et les idéologies. Il souligne l'importance du médium : "For the visual arts the medium is discovered to be physical ; hence pure painting and pure sculpture seek above all to affect the spectateur physically.""' 4

Vers 1942, Greenberg critique durement le surréalisme, comme le souligne Ashton : * 1

10 Greenberg, Art et Culture ,11. 11 Ibid., 12.

12 Ibid., 13. 13 Ibid., 14.

14 Clement Greenberg, "Towards a Newer Laocoon", Partisan

Review ,7:4 (julliet-aoûtl940), 305. Voir aussi Clement

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"His bêtes noires were the surrealists, whom he accused of reversing the anti­ pictorial trend of cubist and abstract art"[...]"His antipathy for the surrealists was unbounded, and he would point out their déficiences whenever he could".1 1 5

Cependant Greenberg reconnaît dans la pratique automatiste l'avantage de laisser l'artiste abandonné sans contrainte à son médium.16 Du surréalisme, Greenberg en rejette aussi la recherche du fantastique, de l'absurde et de l'hallucinatoire : "Another motive is the desire to sin against decorum, violate all the rules, do the disreputable thing, and attach oneself to whatever seems discredited" .1 7

On peut supposer que Greenberg interprète les pratiques du surréalisme comme une quête de contenu, d'où son malaise. Pour lui, l'utilisation simultanée des styles et des techniques par le surréalisme n'est que le signe d'une nostalgie du passé et d'une vision hypothétique de la vie

"The artist shows us how he would prefer life to look or how - as children do - he would prefer to be frightened. His wish is painted with such an illusion of super-reality as to make it seem on the brink of realization in life itself."1 8

15 Dore Ashton, The New York School (New York, The Viking Press, 1971), 159.

18 Clement Greenberg, "Surrealist Painting", The Nation (12 août, 1944), 19.

17 Clement Greenberg, "Surrealist Painting", The Nation (19 août, 1944), 219.

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Malgré la justesse de cette dernière observation, Greenberg base son analyse toujours sur le contenu et le langage : "The result is indeed a new and interesting kind of pictorial literature, but it is more literature or document than painting or art.""' 9

L'analyse de Greenberg pose la question de l'adéquation des termes "modernisme" et "avant-garde", le premier connotant une recherche sur le langage, le second supposant une critique idéologique. Les procédés, les méthodes et les attitudes surréalistes que Greenberg critique sont en fait l'expression de l'insatisfaction ou Hennui" surréaliste, c'est-à-dire la conscience de la condition d'inutilité de l'artiste dans la société bourgeoise. L'analyse de Greenberg, montrant l'importance accrue qu'acquiert au cours de l'histoire la forme sur le contenu d'une oeuvre d'art^O, rejoint celle de Bürger, mais sa conclusion est néanmoins différente. Pour Greenberg, tout comme pour Rosenberg, il semble naturel que l'artiste se détourne de toute préoccupation qui ne touche pas la recherche esthétique. Ainsi, l'art pour l'art est la conséquence ultime du statut autonome de l'art dans la société bourgeoise. Pour Bürger, la séparation de l'art de la praxis de la vie devient aujourd'hui le contenu de l'objet d'art. Coupé de l'expérience sociale, l'art devient pure expérience esthétique. La stratégie moderniste prend appui sur une critique et une transformation du langage. Bürger voit dans la prise de conscience par l'avant-garde de la séparation de l'art de la vie une très nette avancée sur le modernisme.

19 Ibid., 220.

20 Voir "Avant-garde et kitsch", écrit en 1939, (textes rassemblés dans Art et Culture, France, Macula, 1988). L'adéquation des termes "modernisme" et "avant-garde" est soulignée par Jochen Schulte- Sasse dans la Préface de Theory of the Avant-Garde de Peter Bürger.

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que l'objet d'art de l'avant-garde historique comporte un contenu idéologique. Ce contenu remet en question d'une part, le concept de travail qui préside à la production d'une oeuvre d'art. Marcel Duchamp s'attaque précisément à ce problème lorsqu'il signe des objets fabriqués à la chaîne. D'autre part, l'organicité de l'oeuvre d'art est battue en brèche par l'utilisation, par Dada et le Surréalisme, de procédés tels que le montage. Les procédés anti­ artistiques des avant-gardes historiques ont produit une rupture d'avec la tradition au moment où ces procédés furent utilisés à des fins esthétiques par la néo-avant-garde américaine. Cette nouvelle phase de l'histoire de l'art que Burger nomme post-avant-gardisme, marque une transformation profonde du concept d'objet d'art.

Le surréalisme affirme un affranchissement des lois rationnelles de la société marchande en recourant au hasard pour construire un nouvel ordre de réalité. Le hasard est transformé par la néo-avant-garde en "soumission aux matériaux". L'automatisme, le "hasard fabriqué" surréaliste, va perdre au sein de la néo-avant- garde toute sa signification sociale et politique.

Finalement, Rosenberg21 constate que l'idée de nouveauté, que Macdonald nomme "différent", apparaît comme le critère fondamental qui détermine la valeur d'un objet artistique dans la culture de masse. Adorno, auquel se réfère Bürger, distingue dans cette avidité de la nouveauté l'essence même de la société bourgeoise : son hostilité à toute tradition. Le rythme accéléré des changements de styles et d'écoles illustre que l'art devient marchandise aux mains de la bourgeoisie. Pour Bürger, les

21 Harold Rosenberg, "The American action painters", Art News , 51 : 8 (décembre 1952) , 48.

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3.- L'art et ses liens avec la société

Lorsque la société bourgeoise atteint son plein développement, l'objet artistique montrait une tendance à perdre toute signification sociale. L'art fonctionne comme un sous- système distinct au sein de la société bourgeoise. La compartimentation des domaines d'activité que prône cette dernière amène dans le domaine artistique une recherche de l'art pour l'art. L'artiste devient un spécialiste dont le champ de compétence est limité et dont la pratique ne peut s'incrire dans l'expérience de la vie quotidienne. Dans la société bourgeoise complètement développée, l'objet d'art fruit d'une recherche purement esthétique manifeste concrètement une rupture entre l'art et la vie.

Les revendications politiques des avant-gardes historiques reviennent à exiger la réintégration de l'art dans la praxis de la vie. La création d'objets d'art non-organiques ou allégoriques par ces avant-gardes révèle un type nouveau d'art engagé. Ainsi, le recours des avant-gardes aux techniques du montage leur permet d'affirmer une critique à la fois politique et esthétique de l'aliénation du domaine artistique qui remet en cause le fonctionnement de la société bourgeoise prise dans sa totalité.

Dans son analyse historique du modernisme, Irving Howe1 s'adresse au problème de la littérature engagée . Certes, selon lui, l'avant-garde apparaît bien comme groupe d'opposition au sein de la société. Cependant, les conditions sociales de la Seconde Guerre, ont amené l'émergence d'une classe moyenne puissante qui découvre que les attaques féroces que cette avant-garde dirige contre elle

1 Irving Howe, The Idea of the Modern in Literature and the Arts (New York, Horizon Press, 1967), 23.

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peuvent devenir d'agréables distractions. L'avant-garde fait alors face à ce à quoi elle n'était pas préparée : le succès. Une alternative possible s'offre alors à elle, selon Howe : l'assimilation ou bien l'exacerbation de sa stratégie du choc. La situation précaire, d'opposition à la société, relevant selon Howe de l'héroïsme l'avant- garde succomba à la tentation des idéologies et des partis politiques.

Cette analyse mène Howe à poser le problème de savoir si l'art doit être considéré comme une structure sans doctrine, un terrain de performance, ou bien si on doit émettre un jugement de valeur sur l'idéologie qu'il médiatise.

Dans une perspective différente2 3, Howe développe une analyse historique de l'évolution de l'intellectuel américain (qu'il associe à la bohème) par rapport à l'émergence aux États-Unis d'une société de consommation après la Seconde Guerre mondiale. L'intellectuel primitivement sûr de lui-même et de ses valeurs se soumet vers les années 30 aux impératifs de cette société. Au moment où il écrit (1954), Howe constate que ce processus de soumission de l'intellectuel est totalement réalisé. L'intellectuel, absorbé et exploité par la société de consommation, cessa d'exercer son rôle critique :

"What is most alarming is that the whole idea of intellectual vocation - the idea of a life dedicated to values that cannot possibly be realized by a commercial civilisation - has gradually lost its allure."3

2 Voir Irving Howe, Steady Work. Essays in the Politics of

Democratic Radicalism 1953-1966 (New York, Harcourt, Brace &

World, Inc., 1966)

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libérales dévaluèrent toute forme d'engagement. L'intellectuel conservateur ou radical est, dans ce contexte, récalcitrant à l’action politique.

Selon Howe, à partir des années 30, des pressions historiques ont poussé les intellectuels sur la voie du conformisme pour les amener à acquiescer à ce qu'il leur semble impossible à changer. Ceci encourage un modèle de comportement caractéristique qui a des conséquences jusque dans la critique littéraire :

"[...jwhat one finds among these young people, for all their intelligence and devotion and eagerness, is often appalling : a remarkable desire to be "critics" not as an accompaniment to the writing of poetry or the changing of the world or the study of man and God, but just critics - as if criticism were a

subject, as if one could be a critic

without having at least four nonliterary opinions".4 5

L'analyse de Howe dénonce l'état de consentement où sont parvenus les intellectuels américains, traditionnellement critiques et intransigeants, devant les valeurs imposées par la société bourgeoise. Plus tard, Irving Howe va nuancer et développer cette même idée beaucoup plus en détail dans son essai The New York

Intellectual5. On décèle cependant une contradiction chez Howe : sa

vision critique de la littérature engagée cadre mal avec son attaque

4 Ibid., 337.

5 Irving Howe, Decline of the New, New York, Harcourt, Brace & World, Inc., 1963 (recueil).

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contre l'absence, chez le "nouveau critique", de tout point de vue extérieur au domaine artistique.

Greenberg^ constate le même phénomène d'acquiescement aux demandes du marché que remarque Howe mais, cette fois chez les artistes qui simplifient et adoucissent le contenu de leurs oeuvres afin d'élargir leur clientèle. D'autre part, Greenberg7 se plaint de l'absence, aux États-Unis, d'une classe intellectuelle suffisamment éclairée et sûre d'elle-même pour combattre l'invasion du kitsch, des modes et de la publicité .

Macdonald,8 pour sa part, refuse à la culture de masse la possibilité de porter des jugements de valeur esthétiques. En effet, constate Macdonald, si auparavant créateur et public partageaient les mêmes valeurs, la "masscult", indifférente à ces valeurs traditionnelles, offre, en lieu et place d'une expérience esthétique authentique et intellectuellement exigeante, un produit de consommation facile à assimiler et dispensateur de plaisir. Macdonald cite Adorno pour affirmer que la masse demande, pendant ses loisirs, à être délivrée à la fois de l'ennui et de l'effort. Irving Howe^ cite exactement le même texte d'Adorno : "On Popular Music" dans Studies in Philosophy and Social Science, Vol . IX, 1941, lorsqu'il évoque la culture de masse. Howe lie également la perpétuelle demande de "nouveauté" chez les consommateurs à un désir d'évasion de la routine.

D'autre part, signale Macdonald, la "masscult" lance dans le marché des produits qui ne sont pas adressés à l'individu mais à une 6 Clement Greenberg, "Art", The Nation (23 février, 1946) , 241. 7 Clement Greenberg, "Art", The Nation (28 décembre, 1946) 767. 8 Dwight Macdonald, Against the American Grain. Essays on The

effects of mass culture (New York, Vintage Books, 1965) , 4.

9 Irving Howe, "Notes on Mass Culture" Politics , vol . 5 (1948) ,

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construction théorique : le "public en général". Ces produits, en conséquence, ne comblent les besoins de personne : "It is this human dialogue that Masscult interrupts, this spirit of life that it exterminates."1 0

Lorsque les liens entre les individus et leurs traditions sont rompus, la "masscult", en essayant toujours d' atteindre la plus grande diffusion possible, sacrifie tout critère de qualité. La culture ainsi homogénéisée ne porte plus aucune valeur.

"For the process destroys all values, since value-judgments require discrimination, an ugly word in liberal- democratic America. Masscult is very, very democratic ; it refuses to discriminate against or between anything or anybody. All is grist to its mill and all comes out finely ground indeed."11

L'avant-garde, poursuit Macdonald, a d'abord réservé sa production à un public restreint, mais elle se trouva victime de son succès. En effet, la "midcult" exploite et détourne les découvertes de l'avant-garde de manière rassurante en évacuant toute critique sociale. Certains créateurs font cyniquement usage des procédés des avant-gardes historiques pour offrir à un public en mal de sensation des chocs dont tout le monde sait bien qu'ils seront sans conséquence. Ce qui chez Dada, poursuit Macdonald, était satire subversive devient, pour cette "lumpen-avant-garde" un argument de vente. 10 11

10 Macdonald, Against the American Grain , 7. 11 Ibid., 12.

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Nous constatons que Macdonald, comme Howe, prend conscience de la subordination du contenu à la recherche de profits et que l'art-institution doit avant tout être rentable.

On constate, comme on a déjà vu chez Greenberg, que Howe et Macdonald emploient indifféremment les termes modernisme et avant-garde, au contraire de Bürger. Pour ce dernier, les préoccupations des avant-gardes historiques sont nettement distinctes de la simple critique du langage que mènent les modernistes. Les avant-gardes historiques dirigent leur action sur le terrain de la critique idéologique.

En 1947, Rosenberg et Motherwell défendent l'idée d'une séparation entre politique et art : "Whoever genuinely believes he knows how to save humanity from catastrophe has a job before him which is certainly not a part-time one. Political commitment in our times means logically - no art, no literature."1 2

Pour Motherwell, le formalisme est la seule voie possible à l'artiste moderne pour sauvegarder des valeurs strictement esthétiques devant le matérialisme de la classe moyenne et l'apathie du travailleur :

"Until there is a radical revolution in the values of modern society, we may look for a highly formal art to continue".1 2

Selon Rosenberg, HAmericain" fait le lien entre la conscience individuelle et celle de la masse* 14. L'"Américain" est une

12 Harold Rosenberg et Robert Motherwell, cités par Barbara Rose,

Reading in American Art since 1900 (New York, Frederick A.

Praeger Publishers, 1968) ,129

12 Robert Motherwell, cité par Barbara Rose, Reading in American

Art since 1900 , 134.

14 James D. Herbert , "The political Origins of Abstract- Expressionist Art Criticism", Teios , n. 62 (hiver 1984-85) , 185.

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l'artiste de l'Action painting : il doit mener la révolution à la place du prolétariat, jouer en quelque sorte le rôle de modèle pour ce dernier.

L'artiste de l'Action painting, ex-marxiste ou ex-cubiste, selon Rosenberg, trouve dans sa propre gestuelle de peintre et d'acteur une arme de libération politique, esthétique et morale sans que cela implique chez lui une condamnation ou un défi à la société."!6 L'artiste ne veut pas changer le monde mais lui substitue la toile. Selon Rosenberg, l'art vu comme action admet pour seule réalité le processus de création. Rosenberg avait déjà exprimé cette idée dans son article "The Herd of Independent Minds"*! 7 où l'artiste est décrit comme le seul travailleur épargné par l'aliénation induite par la société industrialisée, puisqu'il travaille directement avec ses propres matériaux et les transforme selon son libre arbitre. Pour échapper à la culture de masse le créateur authentique doit, selon Rosenberg, se retirer dans une ignorance socratique et communiquer à autrui son experience personnelle par l'oeuvre d'art. Selon Rosenberg, le concept abstrait de responsabilité sociale ne doit contraindre ni l'artiste ni le public.

En 1940, Greenberg fait l'apologie de l'avant-garde qui, en niant le romantisme, restreint ses préoccupations au seul domaine artistique :

*15 Harold Rosenberg, "The Pathos of the Proletariat", Kenyon

Review ,11 : 4 , (automne 1949). Dans cet article Rosenberg va

définir les termes de cette expression.

16 Harold Rosenberg, "The American Action painters", Art News , 51 : 8 (décembre 1952) , 48.

**7 Harold Rosenberg, "The Herd of Idependent Minds", Commentary , vol. VI , (septembre 1948)

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"The avant-garde saw the necessity of an escape from ideas, which were infecting the arts with ideological struggles of society."1 8

L'art en tant que discipline absolument autonome explore ses possibilités propres :

"Courbet, the first real avant-garde painter, tried to reduce his art to immediate sense data by painting only what the eye could see as a machine unaided by the mind".18 19 20

Plus tard, Greenberg va décrire ainsi l'engagement politique de l'avant-garde américaine à la fin de années 30 :

"Les idées de gauche et d'extrême gauche occupaient une place importante dans bien des esprits mais, pour les artistes dont je parle, le "réalisme socialiste" était aussi dépassé que ['American Scene (encore que l'interaction de la politique et de l'art ne se soit alors aucunement limitée à cela ; il faudra raconter un jour comment I "'antistalinisme", qui commença par être plus ou moins du "trotskisme", mena à l'art pour l'art et ce faisant ouvrit la voie, héroïquement, à ce qui devait suivre). 20

18 Clement Greenberg, "Toward a Newer Laocoon", Partisan Review 7:4, (juillet-août 1940) , 301.

19 Ibid., 302.

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Les textes de Howe, de Macdonald, de Motherwell, de Rosenberg et de Greenberg nous permettent de constater que le contenu politique et social avait été évacué dans les oeuvres de la néo-avant-garde pendant que la Seconde Guerre se déroulait.

Les intentions politiques de l'avant-garde historique se manifestèrent dans une critique du concept d'oeuvre d'art, comme nous vîmes précédemment et c'est cet objet vidé de son sens que Macdonald remet en question dans ce qu'il appelle la "lumpen- avant-garde".

L'objet d'art de la néo-avant-garde offre un ersatz d'émancipation sans conséquence sur la vie quotidienne des individus, puisqu'il est le fruit d'une spécialisation revendiquée par un artiste jaloux de ce qu'il voit comme un statut privilégié au sein de la société marchande. L'objet d'art produit dans l'acceptation et la radicalisation de l'autonomie artistique et où le rapport forme sur contenu atteint sa valeur maximale est l'expression d'un art réifié.

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Il est notre propos d’aborder l’oeuvre de Matta comme si l’intention constituait l'essence même des phénomènes et qu’elle précédait l'acte qui en découle. Par conséquent l'oeuvre d'art, en tant que produit de l'acte esthétique, doit être considérée comme la mise en oeuvre des intentions d'ordre rationnel. A son tour, l’intention (simple ou complexe) découle des perceptions et des motivations de l'individu. Ces dernières reflètent le cadre personnel tenant lieu de réel, et qui est autre que le réel. Toutefois, l'oeuvre d'art découle aussi du vécu de l'artiste qui n'est pas déterminé à part entière par l'intention"!.

Nous allons essayer de remonter au sens originel de la création de Matta par le biais du support de sa propre théorie, c'est-à-dire ses écrits et ses déclarations complétés par des témoignages de son entourage. Nous tenterons de connaître, bien que partiellement et dans les grandes lignes, les éléments qui ont joué dans la création de Matta, à l'intérieur de la période qui va de 1938 à 1948 approximativement. Nous mettrons en rapport la théorie de Matta avec la théorie du mouvement Surréaliste à laquelle elle est reliée.

Notre lecture sera faite en tenant compte de l'analyse du contexte culturel (que nous avons exposée dans la partie précédente) des événements politiques et sociaux, en même temps que les lieux que l'artiste a habités pendant la période étudiée. En

"I David Karel, "La théorie de l'art, une oeuvre de Louis Cane", Des

milles manières... (Cat. d'expos. , Musée d'art contemporain,

Montréal, 1983), 23. Et dans le cadre du Séminaire Art du passé III, La théorie de l'art, Université Laval, Automne 1991.

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effet et brièvement, lorsqu'il commence à faire de la peinture en 1938, Matta habitait à Paris. En octobre 1939, il quitte cette ville pour aller à New York où il va demeurer tout au long de la guerre, à l'exception de I94I où il réalisera un voyage de quelques semaines au Mexique en compagnie de Robert Motherwell et un autre à Paris en 1947. En I948, il quitte New York et rentre pour quelques semaines au Chili. Finalement, il s'établira en Europe habitant indifféremment Rome, Londres ou Paris.

Une carrière dans l'architecture aurait été la voie "naturelle" de Matta et effectivement, en 1938 il travaillait comme architecte dans l'atelier de Le Corbusier. Toutefois, c'est dans la peinture qu'il choisit d'exprimer son discours créatif.

Matta a exprimé son besoin de créer dans les termes suivants: "Créer une peinture, c'est une expérience phénoménale, colossale, au sens où c'est l'homme qui invente. C'est comme de participer à l'avance aux temps futurs".* 2

Et à Max Kozloff, en I965: "I never thought of myself as a professional painter. I looked at things as: How a man, with the means he more or less invents, tries to convey how difficult it is to be. To be a man, to be an artist. And I found them experimenting with plastic things".2

Le contenu de ces déclarations nous permet de déduire que pour Matta la pratique artistique constitue un instrument de connaissance.

2 Cité dans Matta (Cat. d'expos. , Centre Pompidou, Paris, 1985), 273.

2 Max Kozloff, "An interview with Matta", Artforum , IV (1965), 23- 24.

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Matta fait partie des intellectuels qui ont donné, au Chili, leur soutien au gouvernement socialiste (1970-73) du président Allende, et ceci notamment de la part de Matta, par son appui aux Brigades Ramona Parra, groupe de jeunes communistes qui ont peint d'innombrables murales dans les rues de Santiago4.

Cet engagement politique nous conduit à regarder sa pratique artistique sous l'angle de remise en question sociale et nous invite à savoir comment sa vie dans l'Europe convulsionnée de l'avant- guerre a influencé sa théorie et sa création.

La période I935 à I948, qui a été à la fois marquée par la guerre civile espagnole (I936 à I939) et la Seconde Guerre mondiale, en est une de forte idéologisation de l'humanité entière. Vers 1933 Matta, qui arrivait en Europe en provenance du Chili, fut un témoin direct des ces événements, et ce qui est très important il a fait la connaissance des personnages qui marquèrent l'histoire.

En effet, en I935 à Madrid, chez sa tante ambassadrice du Chili en Espagne5, Matta fera la connaissance de Federico Garcia Lorca, poète et auteur dramatique espagnol, qui lui donnera une lettre de présentation pour Dali qui habitait à Paris. Celui-ci, à son

4 Matta (Cat. d'expos. , Centre Pompidou 1985), 299. 5 Ibid. , p. 266.

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