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Contribution des variables reliées au concept de différenciation de soi dans la compréhension de la satisfaction conjugale

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Academic year: 2021

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¿00/ Ύ 7£?x JOËL TREMBLAY

CONTRIBUTION DES VARIABLES RELIÉES AU CONCEPT DE DIFFÉRENCIATION DE SOI DANS LA COMPRÉHENSION DE LA

SATISFACTION CONJUGALE

Thèse présentée

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

pour l'obtention

du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.)

École de psychologie

FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC DÉCEMBRE 2001

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Le but des travaux de thèse est d'estimer la valeur de deux opérationnalisations de la différenciation de soi dans la compréhension de la satisfaction conjugale. Une étude auprès de 134 couples modérément ou très religieux révèle qu'une meilleure différenciation de soi est significativement reliée à une satisfaction conjugale accrue mais non pas au degré de religiosité. Une seconde étude révèle qu'un modèle multidimensionnel (affiliation et individuation) et intergénérationnel est plus puissant dans la prédiction de la satisfaction conjugale de jeunes adultes cohabitant (94 couples) qu’un modèle unidimensionnel et intragénérationnel. Une augmentation du degré d’intimité dans la relation au parent de sexe opposé de même qu’une diminution de la tendance à combler les attentes parentales sont associées à une hausse de la satisfaction conjugale. La différenciation de soi, combinée aux compétences affiliatives, est donc un concept utile dans la compréhension empirique de la satisfaction conjugale.

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RÉSUMÉ

Au sein des modélisations de la détresse conjugale, la notion de différenciation de soi a principalement été prisée par les tenants des approches systémiques et psychodynamiques. Ce vocable extrêmement englobant inclut deux axes: l'affiliation et l'individuation. Le but des travaux de thèse est d'estimer la valeur opérationnelle de la notion dans la compréhension de la satisfaction conjugale. Parmi les examens auto- administrés recensés, deux ont été retenus. Premièrement, le Questionnaire sur l'autorité personnelle dans le système familial qui représente un développement systémique, intergénérationnel et évaluant les axes d'affiliation et d'individuation. Deuxièmement, l'Échelle de différenciation soi/autrui a été retenue puisque originaire de conceptualisations psychodynamiques tout en étant intragénérationnelle et unidimensionnelle (individuation). Après avoir évalué la structure factorielle des versions françaises, les tests ont été utilisés auprès de deux groupes de conjoints. Le premier (134 couples) est composé d'individus modérément et fortement religieux. Les résultats soulignent tout d'abord que le degré de religiosité n'est pas associé aux variations de la différenciation de soi. De plus, une meilleure différenciation de soi est significativement reliée à une satisfaction conjugale accrue, à l'exception du groupe de femmes très religieuses. La seconde étude révèle qu'un modèle multidimensionnel (affiliation et individuation) et intergénérationnel est plus puissant dans la prédiction de la satisfaction conjugale de jeunes adultes cohabitant (n = 94 couples) qu’un modèle unidimensionnel (individuation) et intragénérationnel. Plus précisément, une augmentation du degré d’intimité dans la relation au parent de sexe opposé de même qu’une diminution de la tendance à combler les attentes parentales sont associées à une hausse de la satisfaction conjugale. De plus, le degré d’intimité de l’homme à ses parents ajoute à la prédiction de la satisfaction conjugale de sa conjointe, mais ce, de façon curviligne. La différenciation de soi est donc un concept utile à la compréhension empirique de la satisfaction conjugale. Il y a un gain important à discriminer, au plan opérationnel, les axes d'individuation et d'affiliation. De plus, le rapport à la génération précédente, dans !'acquisition de ces composantes, semble important quoique à cet effet, les travaux actuels n'aient pu permettre d'établir des liens de causalité.

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Les travaux actuels de thèse ont d'abord été rendus possibles grâce aux personnes les plus importantes pour moi. J'ai reçu un soutien inconditionnel de mon épouse Renée et de nombreux encouragements de mon garçon Raphaël. Je ne saurais suffisamment les remercier pour tous les renoncements qu'ils ont dû faire afin de me laisser longuement travailler dans ma recherche. Je saurai respecter mon engagement à garder dorénavant mes samedis libres pour des activités familiales.

Je remercie ensuite Stéphane Sabourin, directeur de thèse, qui, au cours des neuf dernières années (mémoire de maîtrise et thèse de doctorat) a judicieusement pu orienter mes efforts d'acquisition de connaissances et de la méthode de travail propre à un esprit scientifique. Il a très généreusement investi de ses fonds de recherche dans les travaux actuels, en plus de s'acquitter avec promptitude des innombrables relectures de mes documents. Je le remercie infiniment pour sa clémence envers tous les délais que je lui ai fait subir dans la production des divers documents. De plus, nous avons su composer avec nos personnalités respectives pour arriver à un travail fructifiant et stimulant.

Je remercie également Lina Normandin, codirectrice de thèse, qui a su orienter les travaux à l'aide de ses profondes connaissances des modèles psychodynamiques. Son ardeur au travail, sa motivation à obtenir un travail de qualité et complet ont été stimulants tout au long de la thèse.

Je remercie Yvan Lussier qui a gratuitement investi de son temps sur le comité de thèse. Ses commentaires ont constamment permis de réajuster les travaux vers une plus grande unité conceptuelle, tout en gardant le cap sur la nécessaire productivité propre à

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toute entreprise de recherche. Il a de plus collaboré de façon importante à une portion de la collecte de données.

Je remercie également Jean-Marc Lessard qui a siégé sur le comité de thèse, apportant un éclairage significatif à partir de ses compétences dans le domaine particulier de !'interaction entre la satisfaction conjugale et la religiosité.

Je remercie mon cher Zacharie qui a passé de longues soirées et quelques nuits à noter tous les numéros sur chacun des 7000 questionnaires distribués.

Je remercie également tous mes amis qui sont venus dans les groupes distribuer les tests avec moi et qui ont affectueusement su m'encourager.

Les travaux de thèse ont aussi été possibles grâce à des bourses d'excellence qui m'ont été accordées tout au long de mes études doctorales, tout d'abord par la Fondation de !’Université Laval puis par les Fonds pour la Formation de Chercheurs et l’Aide à la Recherche. Ces bourses étaient pour moi une condition sine qua non de mon inscription au doctorat. Ces recherches ont été rendues possibles également grâce à des subventions du Fonds pour la Formation de Chercheurs et l’Aide à la Recherche et du Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada accordées à Stéphane Sabourin.

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Page

AVANT-PROPOS... V

TABLE DES MATIÈRES... VH

LISTE DES TABLEAUX...XI

LISTE DES FIGURES... ...ΧΠΙ

INTRODUCTION... ... ...XV

De LA NÉCESSAIRE INCLUSION DE CONCEPTS PLUS INTÉGRATEURS...XVI De LA NÉCESSAIRE OPÉRATIONNALISATION DES MÉTA-CONCEPTS... .־... XVIII

Lebutdestravauxactuels... xix

CHAPITRE 1 - CONTEXTE THÉORIQUE... 1

Brefrappelhistorique...2

DÉFINITIONS DES CONCEPTS... 4

1 Séparation-individuation... 4

(7)

Vlll

Autorité personnelle dans le système familial... ...5

Lesmodèlesthéoriques ... ;... ... 6

, Séparation-individuation... 8

« Différenciation desoí... 12

Autorité personnelle dans le système familial... ...15

4 Qualité générale des relations objectales... ;... ...16

o Différenciation de soi versus narcissisme...19

0 Un modèle opérationnel... ...20

6 L'éthique relationnelle... 22

Synthèsedespointsdevue...:...23

Convergences entre lès auteurs... 23

Divergences entre les auteurs... ... ;...24

CHAPITRE 2 - LES INSTRUMENTS DE MESURE... 28

Lesinstrumentss’inspirantplutôtdesthéoriesdesrelationsd’objet...29

Separation/Individuation Inventory (SII)...29

Separation/Individuation Test for Adolescence (SITA)... ...30

Structural Analysis of Social Behavior, Intrex Questionnaires (SASB/Intrex)... 32

Self/Other Differentiation Scale (SODS)..,... 35

Comparaison des qualités psychométriques des instruments d'orientation psychodynamique... 37

Lesinstrumentsdemesureissusdesthéoriesdessystèmesfamiliaux...;....38

Differentiation of Self Inventory (DSI)... 38

Haber Level of Differentiation of Self Scale (HLDSS)...39

Differentiation of Self Scale (DOSS)... 40

Differentiation In the Family System Scale (DIFS)...41

Personal Authority in the Family System Questionnaire (PAFSQ)... 42

Comparaison des qualités psychométriques des instruments d'orientation systémique... 44

Analysecomparativedecontenu... 51

Immaturité... 51 Émotionnelle... 51 Relationnelle...:... ... 52 o Identitaire... 53 Maturité... i... ... 54 « Émotionnelle...;... 54 ® Relationnelle... 54 Identitaire... 54

Comparaison de la qualité des instruments en fonction de leur contenu thématique... 58

Choixd’instruments ... 59

Le choix d'un instrument issu des courants d'orientation psychodynamique... 59

Le choix d'un instrument issu des courants d'orientation systémique... 60

CHAPITRE 3 - PREMIÈRE ÉTUDE: VALIDITÉ DE CONSTRUIT...62

Analysesfactoriellesdel’Échellede Différenciation Soi/Autrui... 63

Analysesfactoriellesdu Questionnairesurl'autoritépersonnelledanslesystème familial... :... 65

(8)

Introduction... 65

Participants... 67

Exclusion d’items...68

Données manquantes... 70

Analyses en facteurs communs... 70

Conclusion... 79

CHAPITRE 4 - DEUXIÈME ÉTUDE: DIFFÉRENCIATION DE SOI, RELIGIOSITÉ ET SATISFACTION CONJUGALE.... ... 81 Résumé...83 Abstract... 84 Méthode... 89 Participants... 89 Instruments de mesure... 89 Résultats... 92 Discussion... 98

CHAPITRE 5 - TROISIÈME ÉTUDE: DIFFÉRENCIATION DE SOI, INTIMITÉ INTERGÉNÉRATIONNELLE ET SATISFACTION CONJUGALE CHEZ LE JEUNE ADULTE... 103 Résumé... 105 Abstract... 106 Méthode... ill Participants et procédures...111 Instruments de mesure... ... 112 Résultats... 113 Discussion... 123

CHAPITRE 6 - SYNTHÈSE ET CONCLUSION... 129

Lesmodèlesthéoriques... 130

Lesinstrumentsdemesure...132

Lesdeuxétudesassociantdifférenciationdesoietsatisfactionconjugale... 132

Desavenuesderecherche...i... ¡...138

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Description et qualités psychométriques des tests auto-administrés

évaluant des concepts apparentés à la différenciation de soi...46 Tableau synoptique des construits inclus au sein des tests auto-

administrés évaluant des concepts apparentés à la différenciation de

soi... 56 Items du “Questionnaire sur l’autorité personnelle dans le système

familial” regroupés par Bray, Williamson et Malone (1984) avant leur inclusion au sein des analyses factorielles pour la version originale

anglaise...66 Coefficients de saturation des items du QAPSF selon une solution à

sept facteurs...74 Portion de variance expliquée par chacun des facteurs...76 Corrélations inter facteurs en fonction du sexe (n = 1556)...77 Liste des items retenus et étendue des scores théoriques pour chaque

facteur...78 Scores aux différents facteurs en fonction du sexe (n = 1556

participants)...79 Moyennes et écarts types des variables incluses dans le modèle

prédictif de la satisfaction conjugale et ce, en fonction du sexe et du

degré d’importance accordé à la croyance/pratique religieuses... 94 Analyses de régression multiple de type hiérarchique du rôle

prévisionnel de la différenciation de soi et des stratégies religieuses d’adaptation dans l’étude de la satisfaction conjugale en fonction du Tableau 1: Tableau 2: Tableau 3: Tableau 4: Tableau 5: Tableau 6: Tableau 7: Tableau 8: Tableau 9: Tableau 10:

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XU

sexe et du degré d’importance accordé à la croyance/pratique religieuses... ... 96 Moyennes et écart-types pour toutes les variables indépendantes, et

ce, en fonction du sexe (n = 94 couples)... 114

Corrélations entre la différenciation de soi, la relation

intergénérationnelle et la satisfaction conjugale (n = 94 couples)... 115

Analyses de régression multiple dans l’étude du rôle de la

différenciation de soi et de la relation intergénérationnelle dans la prédiction de la satisfaction conjugale de la femme (n = 94)... 118

Analyses de régression multiple dans l’étude du rôle de la

différenciation de soi et de la relation intergénérationnelle dans la

prédiction de la satisfaction conjugale de l’homme (n = 94)... 119 Tableau 11 :

Tableau 12:

Tableau 13:

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Relation entre la satisfaction conjugale de la femme et le degré d’intimité du conjoint à sa propre mère, et ce, en tenant compte que toutes les autres variables ont été fixées à la moyenne...121 Relation entre la satisfaction conjugale de la femme et le degré d’intimité du conjoint, à son propre père, et ce, en tenant compte que toutes les autres variables ont été fixées à la moyenne...122 Figure 1 :

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Despite their numerous differences, it therefore appears that a similar theme can be identified in the writings of psychodynamically oriented clinicians and behavior ally oriented marital researchers, namely, that spouse ’s. relational knowledge structures are critical to understanding marital distress (Fincham, 1994, p. 191)

La relation maritale soulève des fantaisies et souvenirs d’expériences passées et entraîne possiblement un ou les deux partenaires à transférer vers son/sa conjoint(e) des attentes, des peurs, des notions et des fantaisies qu’il a eues par le passé au sujet de personnes dont il était proche avec pour but de rendre l’union conjugale conforme à ces patrons relationnels internalisés (Willi, 1984, p.56, traduction libre).

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Il est commun, mais toujours troublant, d’être présent à la grande joie d’un couple qui s’unit et, quelques années plus tard, d’être à nouveau présent à l’intensité des conflits vécus par les partenaires. Le fort attrait du départ a cédé le pas au besoin d’éloignement, le plaisir à la douleur émotive, l’attrait sexuel à l’indifférence. La violence verbale (parfois physique) est fréquemment au rendez-vous. La situation se complexifie d’autant plus lorsque des enfants en très bas âge sont présents.

Tenter de comprendre les déterminants de la satisfaction conjugale, et par conséquent sa perte ou son rétablissement, est une vaste entreprise. Les angles à partir desquels nous pouvons observer le phénomène sont multiples. Le lecteur est en fait confronté à deux grandes tendances chez les cliniciens/théoriciens de la détresse conjugale: la micro observation des comportements et cognitions versus !'attention portée à de vastes ensembles cognitivo-affectifs. À titre d'exemple, l'analyse fonctionnelle de !'interaction conjugale (approches cognitivo-comportementales) semble irréconciliable avec le travail sur les modèles d'attachements (théories de l'attachement) des partenaires ou la modification du recours à !'identification projective pour gérer la relation (approche des relations objectales). Pourtant, une lecture attentive de ces différents modèles explicatifs et curatifs de la détresse conjugale révèle une tendance au rapprochement entre ces divers auteurs. Pour les uns, il semble que l'avenir se situe dans l'élaboration de concepts plus vastes permettant d'inclure les micros observations à l'intérieur d'entités plus complètes (Jacobson & Christensen, 1996) alors que pour d'autres, l'effort semble s'orienter vers

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l'opérationnalisation de ces méta-concepts (Bray, Williamson, & Malone, 1984b). Les présents travaux se veulent être un effort d'évaluation de la valeur opérationnelle d'un de ces méta-concepts dans l'étude de la détresse conjugale: la différenciation de soi. Auparavant, un bref survol permettra d'illustrer le rôle de ces travaux à l'intérieur d'un corpus théorique et clinique représentatif tant des approches cognitivo-comportementales, psychodynamiques que systémiques.

De la nécessaire inclusion de concepts plus intégrateurs

Les modèles cognitifs/comportementaux de l'intervention maritale sont évidemment incontournables à cause de la volonté des tenants de cette approche à développer un ensemble théorique et clinique constamment validé par des efforts empiriques (La Taillade & Jacobson, 1995). La “thérapie maritale cognitive- comportementale” (Baucom & Epstein, 1990) s’appuie d’une part sur les théories stimulus- réponse (Skinner, 1966) et sur les théories de !’apprentissage social (Bandura & Walters, 1963). Ces conceptions suggèrent, et des études empiriques confirment (Gottman, 1993), que la satisfaction/stabilité conjugale est tributaire du ratio favorisant la présence de comportements relationnels positifs en comparaison à ceux qualifiés de défavorables ou négatifs. Des stratégies de modification du comportement sont donc les interventions privilégiées en vue de rétablir l’équilibre favorisant les comportements positifs au sein des échanges conjugaux (Jacobson, 1984). Ces changements sont d'autant plus persistants qu'ils sont associés au développement d'habiletés à la communication (Gottman, 1979) et à la résolution de problèmes (Jacobson, Schmaling, & Holtzworth-Munroe, 1987).

Des observations selon lesquelles seulement la moitié des couples en traitement bénéficient de cette intervention (Jacobson & Truax, 1991) ont conduit Jacobson et Christensen (1996) à modifier la thérapie maritale comportementale traditionnelle pour développer ce qu'ils appellent la thérapie intégrative du couple. L'apport nouveau est certainement !'introduction de la notion de variable contrôle (versus problèmes dérivés), du renforcement des contingences naturelles positives et le développement du concept d'acceptation (i.e. le changement de l'attitude du partenaire qui formule la plainte). Si les

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deux derniers concepts se comprennent aisément, la notion de variable contrôle mérite d'être explicitée quelque peu d'autant plus qu’elle illustre le point de vue exprimé précédemment selon lequel certains tenants des approches cognitives comportementales ressentent le besoin de développer des notions plus englobantes.

L'analyse fonctionnelle des difficultés conjugales faite entre autres à l'aide du “Spouse Observation Checklist” (Weiss, Hops, & Patterson, 1973) et du “Areas of Change Questionnaire” (Margolin, Talovic, & Weinstein, 1983) va permettre d’identifier des comportements problématiques tels que le manque de compagnonnage, la faible fréquence des relations sexuelles ou les querelles verbales fréquentes. Toutefois, Jacobson et Christensen (1996) mentionnent que ces comportements sont parfois des problèmes dérivés d’une source qui les génère et leur modification n'entraîne pas un changement durable. Ils postulent la présence de problèmes plus centraux qui à leur tour génèrent un ensemble de problèmes secondaires. Par exemple, un des partenaires peut ardemment désirer recevoir du soutien émotionnel de son conjoint et, faute d'être comblé à ce sujet, réduire son implication sexuelle ou diminuer son investissement dans la communication. S'acharner à modifier les habiletés à la communication ou stimuler !'implication sexuelle serait, selon Jacobson et Christensen (1996), travailler sur des problèmes dérivés. Les auteurs affirment que le travail sur un comportement précis n'est efficace qu'à la condition qu'il se situe dans le champ de la variable contrôle. Tout travail ne ciblant pas les variables contrôles est voué à l'échec thérapeutique.

Jacobson et Christensen (1996) n'utilisent pas les termes de schémas relationnels mais s'en approchent par la notion de variable contrôle. En fait, ils postulent l'existence d'entités cognitivo-affectives plus vastes qui contrôlent une multitude de micro comportements ou cognitions. Ces schémas relationnels peuvent se manifester sous plusieurs visages. Comme les auteurs le disent, il faut trouver l'universel derrière le particulier. Il est très intéressant de constater que des auteurs de forte allégeance empiriste pointent leurs travaux vers la nécessité de développer les connaissances du fonctionnement de ces entités plus vastes que sont les schémas relationnels (de soi, d'autrui et de la relation) afin de mieux intervenir auprès des couples en détresse.

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De la nécessaire opérationnalisation des méta-concepts

Dans un tout autre univers clinique, celui des cliniciens conjugaux d'orientation psychodynamique ou systémique, le parcours clinico-théorique est inverse. Ces auteurs ont développé des notions très vastes, attrayantes par leur grand pouvoir explicatif mais toutefois rebutantes pour le chercheur qui tenté d'en opérationnaliser le eontenu. Des concepts tels que l'inconscient, !'identification projective, la force du moi, l'attachement, la différenciation de soi, le surmoi, le degré de narcissisme primaire ou secondaire, les relations objectâtes, la triangulation, l'intimidation intergénérationnelle ou la fusion, ne sont que quelques exemples de ces larges concepts. Il est très stimulant pour le clinicien de synthétiser par quelques mots-clés l'ensemble de !'interaction conjugale se déroulant devant lui. Par contre, il devient presque impossible de confronter ces affirmations à une vérification empirique puisque le clinicien affirmera sans cesse que l'opérationnalisation utilisée ne reflète pas vraiment tout ce qu'il prétend inclure dans le concept à l'étude.

À titre d'exemple sont ici cités les travaux du couple Scharff (Scharff & de Varela, 2000; Städter & Scharff, 2000) qui ont une large audience auprès des cliniciens du couple. Ils ont fait de grands efforts pour définir les notions utilisées dans leur intervention conjugale (Scharff & Scharff, 1992). Se situant dans le courant théorique dit des relations d'objet, ils utilisent principalement le concept d'identification projective pour décrire l'ensemble des interactions amoureuses. Toute la puissance explicative de cette notion n'a toutefois d'égal que la difficulté à l'opérationnaliser. De fait, ces travaux clinico/théoriques n'ont pas encore été suivis de tentatives de développement d'instruments de mesure de la notion d'identification projective et en ce sens, la situation est tout à fait typique des auteurs issus des écoles d'orientation systémique ou psychodynamique. Pourtant, ceux-ci exercent une profonde influence auprès des cliniciens.

L'équipe de Williamson et Bray (Bray et al., 1984b; Williamson, 1991) est un des rares groupes de recherche ayant ardemment travaillé, au sein des cliniciens/théoriciens d'orientation systémique, à développer des instruments de mesure des notions utilisées dans !'explication de la détresse conjugale. Entre autres, à l'aide du “Personal Authority in the Family System Questionnaire” (Bray et al., 1984a; Bray, Williamson, & Malone,

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1984b), ils opérationnalisent des notions telles que la différenciation de soi, la fusion, la triangulation, l'intimidation intergénérationnelle et l'autorité personnelle. Quoique jusqu'à maintenant peu utilisé dans la compréhension empirique de la dynamique conjugale, cet instrument s'avère, à ce sujet, très prometteur.

Le but des travaux actuels

Les travaux actuels de recherche s'inscrivent dans cet effort de vérification, par le creuset de l'empirisme, de la valeur des méta-notions développées par les théoriciens conjugaux d'orientation systémique ou psychodynamique.

Quelques critères président au choix d'une notion pour les travaux subséquents. Tout d'abord, un corpus théorique suffisamment élaboré doit entourer la notion. Deuxièmement, la variable doit être reprise dans diverses écoles de pensée, permettant ainsi d'obtenir plus d'un point de vue concernant son rôle dans la compréhension de la détresse conjugale. Troisièmement, des instruments de mesure du concept, visant la population adulte, doivent exister.

La notion de différenciation de soi semble répondre à l'ensemble des conditions préalablement fixées. Tout d'abord, un corpus théorique important entoure ce concept, à commencer par Bowen (1978) qui centre l'ensemble de son modèle systémique des relations familiales autour de cette variable. De plus, de nombreux théoriciens/cliniciens d'orientation psychodynamique ont recours à ce vocable pour décrire des processus cruciaux de la dynamique conjugale (Bader & Pearson, 1999; Zinner, 1989). Finalement, un nombre appréciable d'instruments de mesure de cette notion ont été développés (au moins 9 instruments recensés, voir chapitre 2) permettant d'enclencher une phase intéressante de la recherche: l'étude du rôle de cette variable dans la compréhension de la détresse conjugale.

L'examen de la notion de différenciation de soi débute par une recension de la littérature tant d'orientation systémique que psychodynamique sur le sujet. Diverses définitions sont ensuite présentées. Le second chapitre porte sur les instruments de mesure

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existant en présentant les sous-composantes de la différenciation de soi évaluées par chaque instrument en plus, évidemment, d'en examiner les qualités psychométriques. De cette recension des instruments, deux sont sélectionnés pour les études subséquentes. Le troisième chapitre (nommé “première étude”) rapporte les données de validation des versions françaises des tests choisis: des analyses factorielles portant sur plus de mille participants sont présentées. Les chapitres quatre et cinq sont des études transversales où les instruments sélectionnés sont réutilisés dans la compréhension de la satisfaction conjugale. Le chapitre quatre (seconde étude) permet de comparer les rôles respectifs de la différenciation de soi et des stratégies religieuses d'adaptation dans la compréhension de la satisfaction conjugale de couples moyennement ou fortement religieux. Le chapitre cinq (troisième étude) permet d'étudier le rôle de la différenciation de soi intergénérationnelle dans la satisfaction conjugale de jeunes couples. Les chapitres quatre et cinq sont présentés sous forme d'articles scientifiques. Le chapitre quatre est un article déjà soumis pour publication à la “Revue canadienne des sciences du comportement”. Le chapitre cinq est un article devant être soumis pour publication. La thèse se termine par un chapitre de conclusion qui se veut une synthèse de l'ensemble des travaux.

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CONTEXTE THÉORIQUE

La recension de la littérature clinico/théorique autour de la notion de différenciation de soi (ou de termes apparentés) et de son rôle dans la compréhension de la détresse conjugale permet d'identifier trois vocables qui méritent d'être définis: la différenciation de soi (Bowen, 1978), la séparation-individuation (Bader & Pearson, 1999; Mahler, Pine, & Bergman, 1975) et l'autorité personnelle dans le système familial (Williamson, 1982b). Ces concepts ont de fait bénéficié d'une élaboration théorique passablement exhaustive et leurs auteurs ont eu une influence clinique indéniable. Suite à un bref rappel historique situant le contexte dans lequel ont pu naître ces théories du fonctionnement familial et conjugal, chacun des trois termes sera défini.

Par la suite, les modèles conceptuels englobant ces notions sont présentés. En plus de ces points de vue centraux, quelques points de vue de théoriciens/cliniciens du couple d'orientation psychodynamique (Lackar, 1992; Scharff & S char if, 1997; Solomon, 1998) sont exposés. Ces derniers n'incluent pas directement une notion apparentée à la différenciation de soi dans leur modélisation de la détresse conjugale. Cependant, le

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concept sous-tend constamment leurs écrits qui à ce titre, offrent un regard intéressant sur son rôle dans le développement de la détresse conjugale.

Finalement, deux points de vue divergents sont rapportés afin d'offrir un contrepoids théorique stimulant. Tout d'abord, celui de Benjamin (1996) qui définit la différenciation comme une notion plutôt neutre qui peut être à la fois saine ou inadaptée en fonction de la valence affective l'accompagnant. Et deuxièmement, sous le vocable poétique d'éthique relationnelle, est présenté un modèle théorique où la différenciation de soi est considérée comme une variable secondaire dans la compréhension des dysfonctions conjugales et familiales (Boszormenyi-Nagy, Grunebaum, & Ulrich, 1991).

Le chapitre se conclut par une synthèse des convergences et des divergences entre les auteurs.

Bref rappel historique

Berger (1978) rappelle comment, lors de sa spécialisation en psychiatrie, au début des années ’40, on lui disait qu’un patient qui guérissait de la schizophrénie avait nécessairement été mal diagnostiqué au départ. De façon bien différente, après la seconde guerre mondiale, les plus importants départements de psychiatrie dans les écoles de médecine étaient pour la plupart présidés par des psychanalystes. La psychanalyse, en supplantant l’ancienne psychiatrie biologique/descriptive et porteuse de presque aucun espoir de rétablissement qui prévalait au début du siècle, a ouvert la voie vers une thérapeutique active (Bloch & Rambo, 1995).

Ce contexte, combiné à l’idée grandissante développée à l’époque de la guerre et de l’après-guerre selon laquelle l’état mental d’un individu est entre autres le produit de processus sociaux créant l’homme (Fromm, 1969) et non pas uniquement le produit de combats internes entre les instances psychiques, ont créé un climat favorable à des esprits extrêmement innovateurs, tels Harry Stack Sullivan (1953) ou Frida Fromm-Reichmann (1952). Ces individus ont tenté de développer, auprès des “incurables” schizophrènes, des thérapeutiques psychosociales appropriées dont l’idée maîtresse était probablement que

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toute psychopathologie est une maladie de la relation (Fromm-Reichmann, 1952; Sullivan, 1953).

Ces précurseurs ont été suivis de divers médecins spécialisés en pédopsychiatrie et ayant reçu une formation psychanalytique (Nathan W. Ackerman; Ivan Boszormenyi- Nagy; Murray Bowen; Norman Paul; Lyman C. Wynne) et qui ont pour la plupart commencé leur travail psychothérapeutique par une approche sullivanienne auprès des schizophrènes (Bowen, 1959; Broderick & Schrader, 1991; Wynne, Ryckoff, Day, & Hirsch, 1958; Wynne, 1961). Certains avaient observé comment des patients schizophrènes se détérioraient gravement suite à un séjour dans leur famille ou même seulement après la visite de la famille à l’hôpital. Ces constatations les ont conduit à mettre sur pied des études d’interactions entre les patients schizophrènes et leur famille, principalement la mère, le père ne participant que très peu (Boszormenyi-Nagy & Ulrich, 1981; Bowen, 1959). C’est alors qu’ont émergé de nouvelles élaborations étiologiques de la schizophrénie, la situant comme une expression symptomatique d’une dysfonction familiale. H faut citer, à seul titre d’exemple, un des textes ayant eu le plus de répercussions à l’époque, “Toward a theory of schizophrenia” (Bateson, Jackson, Haley, & Weakland, 1956). Bateson et ses collègues y développent le concept de double-contrainte pour décrire les transactions entre le patient schizophrène et sa mère en stipulant que les symptômes du patient ne sont qu’une réponse appropriée au type de transaction.

Beaucoup plus empiriques, mais ayant eux aussi largement influencé les conceptualisations du développement de l'humain, les travaux de Mahler portent, du moins à l'origine, sur la psychose infantile et sa compréhension dans la relation à la mère. Pour ce faire, Mahler a longuement observé de petits enfants aux prises avec un syndrome de psychose infantile (Mahler, Ross, & DeFries, 1949). Son cadre conceptuel n'est cependant pas systémique mais plutôt psychodynamique et en ce sens, Mahler traite moins des transactions familiales mais plus du développement intrapsychique du petit enfant en relation à sa mère.

C’est dans ce bouillonnement d’idées, associé au travail auprès de patients schizophrènes et de leur famille ou auprès de petits enfants présentant un syndrome de

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psychose infantile, que divers auteurs ont développé des concepts tels que la symbiose, 1 'enchevêtrement, la fusion, la triangulation, les loyautés invisibles et leur contrepartie telle que la différenciation de soi ou le processus de séparation-individuation pour qualifier cette absence flagrante de frontières psychiques interpersonnelles. Certaines de ces notions sont maintenant définies.

Définitions des concepts

Séparation-individuation

Ce terme décrit deux processus d'un stade développemental permettant “la naissance psychologique de l'enfant” (Moore & Fine, 1990, p. 180).

La séparation réfère aux processus intrapsychiques à travers lesquels l'enfant émerge de l'unité symbiotique avec la mère. Elle inclut le développement des relations objectâtes à l'aide de la formation de représentations mentales de la mère en tant qu'être séparé de soi. L'individuation réfère aux processus permettant à l'enfant de distinguer ses caractéristiques propres, de façon à ce que le soi devienne différencié de l'objet et qu'il soit représenté au plan intrapsychique par une série de représentations de soi. (Moore & Fine, 1990, p. 181)

L'ensemble de ce processus culmine en une dernière phase, “qui n'a pas de fin, [où] les deux structures internes - la permanence de l'objet libidinal et aussi l'image du self unifié basée sur des identifications vraies du moi - devraient commencer” [à exister] (Mahler, Pine, Bergman, 1980, p. 145).

[À ce stade] la représentation mentale du lien affectueux à la mère produit chez l'enfant une sensation de sécurité et de confort presque similaire à la présence réelle de la mère. Les représentations intrapsychiques de la mère produisent une impression affectivo-cognitive positive même lorsque l'enfant est fâché contre la mère ou séparé d'elle pour une période raisonnable, [permettant ainsi !'accroissement d'une plus grande individualité] (Moore & Fine, p. 181).

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Différenciation de soi

“Le concept de différenciation de soi est le fondement de la théorie des systèmes familiaux de Bowen” (Papero, 1995, p.l2). Bowen utilise le terme pour décrire “une force de vie fondamentale chez l'humain et qui pousse l'enfant en croissance à devenir une personne émotionnellement séparée, un individu ayant la capacité de penser, ressentir, agir pour et par lui-même” (Kerr & Bowen, 1988, p.95). “Plus la différenciation de soi baisse, moins !'individualité est développée et plus des besoins ‘d'être ensemble’ sont puissants” (Kerr & Bowen, 1988, p.69).

Il définit également la différenciation de soi comme “le degré avec lequel les personnes sont capables de distinguer entre les processus émotionnels et les processus intellectuels” ... laquelle capacité préside à la possibilité “de choisir entre se laisser guider par les émotions ou les pensées” (Kerr & Bowen, 1988, p.97). En fait, “le processus visant à acquérir une meilleure différenciation de soi nécessite une meilleure conscience de l'influence de l'anxiété et de la réactivité émotionnelle sur ses propres actions et inactions” (Kerr & Bowen, 1988, p.109). La capacité de distinguer entre les processus émotionnels et intellectuels (i.e. le degré de différenciation de soi) est inversement proportionnelle au degré “d'attachement émotionnel non résolu envers sa famille d'origine [ses parents]” (Kerr & Bowen, 1988, p. 97).

Bowen prend soin de rappeler que “l'autonomie ne signifie pas suivre de façon égoïste ses propres directives mais réfère plutôt à la capacité à s'autodéterminer. L'autodétermination peut résulter dans le choix de se laisser guider par les intérêts du groupe” (Kerr & Bowen, 1988, p.70).

Autorité personnelle dans le système familial

L'autorité personnelle est un construit synthétisant de façon dialectique les notions d'individuation et d'intimité ... En contraste avec l'individuation, l'autorité personnelle met l'emphase sur un lien continu et une intimité entre la première et la

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seconde génération. En même temps, une définition de soi claire est conçue comme centrale au processus (Williamson, 1982b, p.310-311).

L'autorité personnelle dans l'expérience familiale ... se définit comme le pouvoir ou la capacité d'une personne:

à diriger ses propres pensées et opinions;

à choisir de les exprimer ou pas, sans égard aux pressions sociales; à développer et respecter son jugement, au point de le considérer en tant qu'un motif d'actions;

à prendre la responsabilité des conséquences des actions précédentes; à initier, à recevoir ou à refuser de recevoir de l'intimité et des liens sociaux et ce, de façon volontaire, en conjugaison à l'habileté à établir ou rétablir de nettes frontières du moi;

à expérimenter et à se relier à tous sans exception, en incluant donc les parents, en tant que pairs. (Williamson, 1982b, p.311)

Les modèles théoriques

Avant d'élaborer plus longuement sur chacun des modèles conceptuels à l'intérieur desquels s'insèrent les trois termes définis précédemment (séparation-individuation, différenciation de soi et autorité personnelle), il apparaît intéressant de réfléchir quelque peu sur la complémentarité de perspective qu'offrent ces notions.

Par le terme de séparation-individuation, Mahler et ses collègues (Mahler et al., 1975) décrivent un stade développemental du petit enfant se situant entre l'âge de 4-5 mois jusqu'à environ 3 ans. L'ensemble de ce processus permet au petit enfant de développer la constance libidinale de l'objet où il intègre la réalité de l'existence d'autrui qui devient ainsi une présence interne permanente et affectivement positive et son corollaire, un sentiment d'identité naissant. Mahler présente la résolution de ce stade comme une tâche inachevée ouverte sur la vie entière. Toutefois, elle n'élabore pas sur la manière dont l'humain doit renégocier, au cours de l'enfance ultérieure, l'adolescence ou l'âge adulte, l'équilibre entre ses besoins identitaires et affiliatifs.

D'autre part, même si Mahler a développé un modèle conceptuel très relationnel, elle conservera toujours une ambiguïté au sujet de son postulat concernant les motivations profondes de l'humain. Pour Mahler, la motivation à se relier à la mère en est une de survie. Contrairement à Sullivan (1953) ou Fairbairn (1952), elle n'osera pas affirmer

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clairement que l'humain est habité par une “pulsion” fondamentale à l'affiliation (Greenberg & Mitchell, 1983).

Bowen (1978), quant à lui, affirmera d'entrée de jeu qu'une des forces de vie fondatrices de l'humain est la force d'affiliation. Il postulera aussi la présence de sa contrepartie, la force d'individuation. Il prendra soin par la suite de décrire largement tout le jeu de la négociation entre ces deux forces chez l'adulte. Son travail est complémentaire à celui de Mahler puisqu'il porte un regard plus exhaustif sur les aléas des enjeux propres à la dernière phase postulée par Mahler tels qu'ils se manifestent dans le contexte de la vie adulte.

Williamson (1981, 1982a, 1982b) pousse un peu plus loin l'analyse en conceptualisant une autre phase de renégociation de !'équilibre entre les besoins identitaires et affiliatifs: l'autorité personnelle. Référant à une tâche ne pouvant être résolue que dans la trentaine, Williamson se préoccupe du développement de l'adulte dans une phase avancée. Il redéfinit ce que doit être l'équilibre individuation-affiliation dans la relation entre l'adulte et ses parents, voire même envers tout être humain.

Bader et Pearson (1999) ouvrent, quant à eux, une fenêtre sur le rôle des acquisitions développementales de séparation-individuation dans la description des enjeux conjugaux. Tout comme Bios (1975) qui postulait que les adolescents traversaient un second processus d'individuation, ils affirment que le couple reprend le processus de séparation-individuation à travers la relation amoureuse (Bader & Pearson, 1999).

Malgré donc un ensemble de divergences entre les auteurs, dont entre autres des questions de terminologie et d'allégeance théorique (psychodynamique versus systémique), il apparaît que leurs points de vue soient complémentaires. Chaque concept est maintenant repris dans son contexte théorique

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S énaration-individuation

Le processus de séparation-individuation réfère, comme mentionné précédemment, à un stade du développement du petit enfant se déroulant entre l'âge d'environ 4 mois jusqu'à l'âge de 3 ans. Pourquoi donc s'intéresser à cette étape développementale puisque les travaux actuels portent sur la détresse conjugale des adultes? Deux raisons motivent cet intérêt.

La première a trait à la compréhension de l'étiologie de la détresse conjugale. Mahler affirme qu'une saine résolution de l'ensemble du processus de séparation- individuation est un pré-requis à l'évitement de l'apparition d'éventuelle psychopathologie sévère (Mahler, 1971). Par exemple, elle associe les intenses difficultés relationnelles expérimentées par les personnalités limites à une carence développementale dans la résolution de la phase de rapprochement. Outre l'apparition de psychopathologie sévère, elle attribue un rôle majeur à la façon dont chaque individu transige avec ce stade développemental dans la compréhension du style de personnalité et donc des compétences relationnelles de chaque personne. Il y a par conséquent matière à associer les difficultés relationnelles vécues chez les adultes a la qualité de la résolution du processus de séparation-individuation.

La seconde concerne le potentiel d'intervention propre aux conceptions de Mahler. Elle stipule que la question de la constance libidinale de l'objet est une sous-phase constamment inachevée (Mahler et al., 1975). Elle affirme que le début de cette phase s'enclenche au cours de la troisième année de l'enfant et se prolonge tout au long de sa vie. Elle ouvre ainsi la porte, sans la définir plus précisément, à une évolution développementale subséquente de cette intégration des désirs d'individuation et d'affiliation propres à l'humain et donc à une possible intervention visant à modifier la qualité d'intégration de ces deux désirs profonds.

L'ensemble du processus de séparation-individuation permet à l'enfant d'émerger de la symbiose à la mère et d'atteindre une identité individuelle stable à l'intérieur d'un monde d'altérité prévisible et réaliste (Greenberg & Mitchell, 1983). Mahler qualifiera ce processus de naissance psychologique. De son point de vue, le petit enfant doit

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continuellement réconcilier en lui d'une part, ses aspirations à l'indépendance et à l'existence autonome, et d'autre part, un besoin tout aussi puissant à capituler et à s'immerger dans une fusion enveloppante de laquelle il provient.

En fait, émergeant d'une phase relationnelle symbiotique avec la mère (3-4 semaines à 4-5 mois), l'enfant traverse successivement les phases suivantes. Vient tout d'abord la différenciation (4-5 mois à 10 mois) où il acquiert pour la première fois la capacité de discriminer entre soi et l'objet. Cette phase est suivie d'une période de pratique (10 mois à 15-18 mois) où la locomotion permet à l'enfant une plus nette différenciation entre son corps et celui de sa mère tout en créant un lien particulier à sa mère qui agit à titre de base de réapprovisionnement affectif où l'enfant revient toujours. Ses capacités naissantes à la locomotion, son plaisir à explorer son environnement et son manque de perception de la grandeur du monde lui procurent un sentiment d'omnipotence.

Tôt ou tard l'enfant réalisera toutefois que contrairement à son sentiment précédent d'omnipotence, il est en fait une toute petite personne à l'intérieur d'un grand monde. C'est alors que débute la phase de rapprochement (15 mois à 20-24 mois) où l'enfant perd cette idéalisation joyeuse de soi et où réapparaît une forme d'anxiété de séparation. Cette phase est décrite par Mahler comme très difficile et douloureuse. En fait, l'enfant expérimente alors une profonde ambivalence entre son désir croissant d'autonomie et le besoin de la présence de sa mère pour affronter ce monde si grand et si intimidant. De manière à réduire la tension entre ces deux besoins, l'enfant ira jusqu'à nier tout besoin d'aide de l'extérieur tout en l'acceptant dans les faits. Suite à une séparation trop prolongée l'enfant craint de perdre sa mère alors que d'autre part, lorsqu'il exprime ses besoins de rapprochement, il peut être envahi pas ses peurs d'engloutissement et de retour à l'époque symbiotique (Greenberg & Mitchell, 1983).

La résolution de cette phase est suivie par la phase (24 mois à 3 ans et plus) qualifiée de “Consolidation de !'individualité et débuts de la constance de l'objet émotionnel” (Mahler, Pine, & Burgman, 1980, p. 135). À ce moment, l'enfant “atteint un sens de sa propre individualité tout en maintenant un sens de la présence interne et affectivement positive d'autrui. Ceci permet un fonctionnement adéquat en l'absence

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d'autres personnes, une capacité qui implique l'atteinte d'une séparation intrapsychique” (Greenberg & Mitchell, 1983, p. 279). Le succès dans l'atteinte des objectifs propres à cette quatrième phase permet !'établissement éventuel de relations soi/autrui stables.

Si donc cette dernière phase est “ouverte” au sens qu'elle est en résolution constante au cours du développement, comment peut-on observer, chez l'adulte, les manifestations des aléas du processus de séparation-individuation tel qu'expérimenté dans la petite enfance? Certains auteurs ont fait des tentatives en ce sens. Tout d'abord Bios (1975), décrit une des tâches développementales de l'adolescent comme la nécessité de reprendre le processus de séparation-individuation: il l'appelle la seconde individuation. Christenson et Wilson (1985) ont tenté d'identifier chez les adultes connus comme ayant un trouble de la personnalité limite, les manifestations adultes des troubles du processus de séparation- individuation tel que vécu dans la petite enfance.

Bader et Pearson (1999) réfèrent à la notion de séparation-individuation comme composante majeure dans la compréhension de la détresse conjugale (Bader & Pearson, 1983; Bader & Pearson, 1988; Bader & Pearson, 1990). Ils utilisent la terminologie développée par Margaret Mahler pour décrire le processus d’émergence de l’identité chez le petit enfant (Mahler, 1968; Mahler et al., 1975). Ils postulent la présence chez le couple d’étapes similaires à celles traversées par le petit enfant lors du processus normal de séparation-individuation: symbiose, différenciation, pratique et rapprochement (Bader & Pearson, 1988). Afin de s'adapter à la réalité conjugale de l'adulte, ils nomment la dernière phase “interdépendance”.

Le parallèle avec l’enfance est illustratif et ne doit donc pas être appliqué trop rigidement: l’allusion est métaphorique. L’essentiel est le but ultime de ce processus Le. !’acquisition d’un ferme sentiment d’individuation ou d’identité, permettant la création d’un lien intime et de dépendance où les frontières identitaires sont conservées (Bader & Pearson, 1999). Avant d’atteindre cette maturité interpersonnelle les couples traversent, au début de leur relation, la phase dite symbiotique où ils expérimentent une grande convergence d’intérêts et d’idées en conjugaison à un intense attrait sexuel l’un pour l’autre, passant de nombreuses heures en échange d’admiration quelque peu irréaliste l’un

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pour l’autre. L’emphase est mise sur les similarités et le but de cette étape est !’établissement d’un lien fort. À l’étape de différenciation, les conjoints se tournent progressivement vers une définition de soi fondée sur leur monde interne. Ils rétablissent les frontières et développent une capacité à tolérer les différences. Vient ensuite l’étape des essais par la mise en application intensive des prises de conscience de la phase précédente. L’attention est nettement dirigée vers le monde externe (au couple) par des activités indépendantes. Cette étape permet la solidification du soi comme séparé et est caractérisée par de fréquentes confrontations au sein du couple. À la quatrième phase, nommée rapprochement, on retrouve chez les conjoints un intérêt pour T intimité: chacun ose montrer ses vulnérabilités. Les négociations sont plus douces grâce à un meilleur équilibre entre le “je” et le “nous”. Les conjoints ont une capacité de donner, et ce, même lors de situations difficiles. Finalement vient 1 ’interdépendance ou, sont réconciliées les dimensions d’individuation et de lien émotionnel intense. Cette phase ultime est décrite

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comme le modèle idéal de satisfaction envers la vie matrimoniale, et en ce sens, est un point de mire guidant les interventions thérapeutiques. La description de ce continuum est cohérente avec un postulat selon lequel un degré croissant de séparation-individuation va de pair avec une augmentation de la satisfaction conjugale.

Les choses ne sont la plupart du temps pas aussi simples et, de façon intéressante,

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les auteurs rappellent que le bien-être de la vie à deux n’est pas l’apanage des couples dits “matures” (Bader & Pearson, 1988). Sans nier leur postulat fondamental d’un lien linéaire entre les capacités de séparation-individuation et la satisfaction maritale, Bader et Pearson (1999) rappellent que la saine adaptation conjugale est aussi le résultat d’un juste appariement des désirs d’individuation et d’attachement des conjoints. C’est ainsi que l’état symbiotique de départ est souvent source de grande satisfaction. Ces auteurs soutiennent que les difficultés conjugales surgissent tout d’abord lorsque se présente un déséquilibre entre les phases développementales où se situent respectivement les partenaires. Ils émettent l’hypothèse qu’un écart d’au plus une phase, sur l’axe de séparation-individuation, peut être toléré par les conjoints. Ils postulent de plus qu’une trop longue stagnation des conjoints à une phase entraîne une perturbation de la relation (Bader & Pearson, 1990). Les conjoints qui, par exemple, évitent l’évolution de la symbiose vers la différenciation, entretiennent la stagnation du couple à une phase

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primitive qui, à la longue, peut conduire à une intense détresse. Les auteurs expliquent ces arrêts évolutifs par des représentations de soi, d’autrui et de la relation trop indifférenciées et formées au sein d’interactions infantiles à caractère pathologique; Par opposition, des conjoints ayant hérité de structures psychiques relationnelles passablement saines devraient traverser l’ensemble des phases de séparation-individuation dans le couple sans accrocs majeurs. Chaque phase (sauf la dernière) est donc définie comme temporaire et devant guider vers la maturité.

Bader et Pearson (1999) mettent constamment en dialectique deux pôles: le sentiment d’individuation et la capacité de lien émotionnel intense. Ces deux composantes du lien amoureux apparaissent nécessaires à leur existence mutuelle et la nature d’un volet appelle constamment un complément dans l’autre. Dans ce contexte, un faible sentiment d’identité suscite nécessairement des relations d’ordre fusionnel ou une absence de relation. D’autre part, des relations empreintes de confiance mutuelle viennent renforcer le sentiment d’identité.

Différenciation de soi

La différenciation de soi est un terme utilisé principalement par les auteurs d'orientation systémique. Le terme n'est même pas recensé dans le dictionnaire des termes psychanalytiques, ou uniquement à titre de sous-phase du processus de séparation- individuation (Moore & Fine, 1990).

Bowen (1959) était un psychiatre spécialisé dans le traitement des enfants psychotiques. Il a largement observé !’interaction entre ses patients et leur famille, introduisant la thérapie familiale comme traitement standard de tous ses patients (Bowen, 1959). Ses observations l’on conduit à conceptualiser autour de l’incapacité de ces familles à établir des frontières interpersonnelles adéquates, exprimant des besoins symbiotiques intenses. Tout comme Lidz (Lidz, Comelison, Fleck, & Terry, 1957), il utilisera le terme de différenciation de soi pour décrire la dramatique absence de ces compétences.

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Ses premières réflexions ont amené Bowen à élaborer une théorie du fonctionnement du psychisme humain. II postule d’abord la présence de deux forces de vie: !’individualité et !’affiliation (Bowen, 1978). Il postule que ces forces ou pulsions sont ancrées dans le substrat biologique de tout être humain mais dont l’ampleur du développement est largement tributaire d’apprentissages sociaux.

[L’individualité y est définie comme une force poussant] un organisme à suivre ses propres directives, à être indépendant, à être une entité distincte. Cette propension à l’unicité est reflétée dans la motivation à ressentir, penser et agir pour soi-même et par une absence de préoccupations au sujet de la similitude des émotions, pensées et actions d’autrui. (Bowen 1978, p.64).

[L’affiliation est quant à elle définie comme une force qui pousse] un organisme à suivre les directives d’autrui, à être dépendant, relié, à être une entité indistincte. Cette force non seulement oriente la personne à suivre les directives du groupe, mais envoie des signaux qui orientent autrui vers soi. Cette propension à l’affiliation est reflétée dans la motivation à ressentir, penser et agir comme les autres de même que par la tendance à influencer autrui pour qu’il agisse, pense et ressente comme soi. (Bowen 1978, p.65).

Selon Bowen et les auteurs qui ont soutenu ce courant d’idées, il est probable que tous les comportements et toutes relations soient simultanément influencés par ces deux forces de vie (Kerr & Bowen, 1988). Cependant, il est fréquent qu’une dominante puisse être discernée. Toute modification à l’équilibre entre ces forces, au sein d’un système relationnel, provoquera une réaction émotionnelle qui poussera l’individu à rétablir l’équilibre défait.

Dans ce contexte, la différenciation de soi est la capacité d’une personne à gérer le jeu des forces d’affiliation et d’individuation en elle et au sein des systèmes relationnels l’impliquant. Pour ce faire, elle doit développer la compétence à distinguer entre les processus émotionnels et intellectuels. Cette capacité préside à toute liberté, permettant en fait de choisir de se laisser guider par les émotions (qui sont fréquemment des réactions à toute menace à l’équilibre entre les forces d’affiliation ou d’individuation), ou de modifier son comportement au besoin.

Il faut noter que Bowen (1978) utilise le terme de différenciation de soi à certains moments pour décrire la force fondamentale d'individuation alors qu'à d'autres occasions, il

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a recours au terme en tant que concept intégrateur des deux forces de vie (affiliation et individuation). Une certaine confusion est présente.

La compétence à la différenciation tire son origine principalement de la qualité de la relation aux parents et aux autres membres de la famille d’origine. Le degré de non- séparation émotionnelle ou d’indifférenciation d’une personne se comprend d'un point de vue étiologique par l’intensité des attachements non résolus aux parents (Kerr & Bowen, 1988). Au sein d’un système familial, les enfants développent de multiples stratégies d'accommodation à leurs parents afin de soulager ces derniers dans leur anxiété fondamentale et maintenir ainsi l’harmonie. Ceci implique cependant que l’enfant abandonne une portion du soi pour se modeler aux attentes explicites, mais surtout implicites, du parent. C'est une sorte de traité conjurant la menace à l’affiliation par un abandon d’une portion du soi. Toutefois, plus !’accommodation aux parents est grande, plus la réserve émotionnelle dévolue au soi diminue et moins grande est la capacité à distinguer entre les processus émotionnels et intellectuels: moins grande donc est la capacité de choix. Le degré de différenciation de soi d’un individu est ainsi directement relié au degré de différenciation de soi des parents et aux caractéristiques des relations au sein de la famille d’origine.

Dans cette logique, Bowen (1978) affirme que le degré de différenciation de soi d’un individu est proportionnel à son degré de séparation émotionnelle envers les parents ou les autres membres de la famille d’origine. Ces attachements non résolus viennent constamment influencer les capacités d’adaptation relationnelle de l’adulte. Moins la différenciation est élevée, plus les attentes sont influencées par les besoins infantiles plutôt que par la réalité de la coopération à autrui. Une personne peu différenciée a de faibles capacités de fonctionnement autonome. Lorsque impliquée dans une relation, elle devient très réactive aux informations provenant d’autrui et ses réactions internes sont si intenses qu’elle est comparable à un “prisonnier émotionnel” de la relation. Elle est prisonnière des attachements non résolus à sa famille d’origine: elle n’a pas reconquis les portions du soi abandonnées pour jadis garantir l’affiliation. Ses réactions émotionnelles et subjectives dirigent totalement ses actions.

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Chaque progrès dans le continuum de différenciation de soi est donc associé à une capacité accrue de fonctionnement autonome. Le fonctionnement individuel devient de plus en plus autodéterminé, moins automatiquement gouverné par les processus relationnels. Si une personne bien différenciée n’est pas impliquée dans une relation, elle peut tout de même efficacement gérer sa vie et conserver un sens de bien-être. Même si elle est engagée dans une relation, elle peut passablement conserver son autonomie.

Deux personnes bien différenciées ne sont pas aisément menacées l’une par l’autre. En conséquence, leur relation est très flexible. Les périodes de proximité et de distance sont bien tolérées. Chaque personne y est libre de se rapprocher ou de prendre distance sans que l’autre se sente menacé. Si une personne bien différenciée expérimente le désir de distance d’autrui comme une privation, elle peut réfléchir au sujet de ses émotions, de sa réponse subjective et demeurer autonome dans ses actions. Si, à titre d'exemple, elle décide d’accuser sa conjointe de ne pas l’aimer, cela sera fait avec une reconnaissance humoristique du processus en cours plutôt qu’à titre de demande de changement chez la partenaire.

Finalement, Bowen (1978) rappelle qu’il ne faut pas confondre le terme “séparation émotionnelle” avec l’évitement d’autrui. Au contraire, la forte propension à éviter autrui est issue d’un manque de séparation émotionnelle. Un haut degré de différenciation est aussi associé avec l’habileté à permettre aux besoins d’affiliation une libre expression.

Autorité personnelle dans le système familial

Par le concept d’autorité personnelle dans le système familial (APSF) Williamson (1981; 1982a; 1982b) de même que Williamson et Bray (1988) veulent intégrer les notions d'individuation et de capacité d’intimité d’un individu. L’acquisition de l'individuation est définie comme la compétence à prendre la responsabilité émotionnelle de sa vie et de sa destinée en adoptant une position ferme d’indépendance émotionnelle (Williamson, 1981; Williamson, 1982a; Williamson, 1991). Cet aspect de l’autorité personnelle renvoie à la relative absence de programmation du comportement de l’individu par les scénarios issus

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des transactions intergénérationnelles. Un tel affranchissement permet la construction d’une définition de soi bien délimitée (Williamson & Bray, 1988). Cette renégociation des liens hiérarchiques avec les parents, en instaurant avec eux une relation égalitaire, constitue le fondement de la capacité d’intimité d’une personne. L’inverse de l’autorité personnelle est l’intimidation intergénérationnelle où l’individu cherche à faire valider son comportement ou ses réactions personnelles par la génération précédente comme par exemple son apparence, son travail, sa façon d’éduquer ses enfants, ses valeurs, son style de vie, etc. La mise en échec des tentatives d’intimidation intergénérationnelle permet l’intimité (second volet de l’autorité personnelle, tributaire du premier) i.e. cette capacité de se rapprocher et de se retirer au sein de la relation.

Les auteurs postulent que le degré d’autorité personnelle acquis auprès des parents, i.e. le degré d'individuation et d’intimité, est reproduit au sein de la relation au conjoint. La détresse conjugale est donc issue, dans ce modèle théorique, des difficultés d’acquisition d’autorité personnelle qui représentent, à prime abord, un manque d’individuation. Cette individuation précède toute compétence à l’intimité qui autrement n’est qu’intimidation ou fusion.

Qualité générale des relations objectâtes

En marge de ces positions plus explicites sur le rôle des sentiments de différenciation dans la compréhension de la détresse conjugale, se situent un ensemble d’auteurs qui émettent à peu près le postulat suivant: plus la qualité des relations objectâtes portées par chacun des individus sera primitive, archaïque et donc par définition indifférenciée, plus le degré de détresse conjugale sera élevé. En conséquence, les

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représentations de soi, d’autrui et de !’interaction issues de ces relations objectâtes' figées à des stades primitifs du développement deviendront débilitantes en fonction de leur faible potentiel d’accommodation au réel et de leur propension marquée à assimiler toute information relationnelle aux représentations internes. Ces cliniciens/théoriciens soulèvent comment les représentations internes d’interactions, lorsque originaires de multiples expériences infantiles souffrantes, déforment les capacités d’altruisme, d’empathie, de tolérance au délai et de regard objectif sur soi et autrui. À titre illustratif sera exposé le point de vue de deux auteurs mettant en relief ce lien entre individuation et détresse conjugale.

Solomon et ses collègues (Solomon, 1985; Solomon & Weiss, 1992; Solomon, 1996) soutiennent que les individus ayant souffert d’un échec dans l’atteinte infantile d’un sentiment adéquat de valeur personnelle (ou de narcissisme adéquat pour utiliser les termes des auteurs), expérimenteront possiblement par la suite un intense besoin de la présence d’autrui. Cette proximité tant recherchée vise la greffe d’un sens de la cohérence par l’entremise de marques d’appréciation valorisantes et d’une idéalisation qui ne supporte pas le réalisme (Solomon, 1998a; Solomon, 1998b). Tout en raffermissant le sentiment d’identité, cette forte dépendance menace la capacité de conservation des frontières interpersonnelles adéquates où l’autre aurait la liberté d’être autre chose qu’un objet du soi1 2: l’individuation n’est pas tolérée. Dans cette perspective conceptuelle, la détresse conjugale est originaire d’une faible tolérance des individus aux échecs des “objets du moi”, donc aux échecs du partenaire, à combler les attentes conscientes et inconscientes de

1 La notion de relations objectales internalisées doit être différenciée de celle de représentations de ׳ soi, d’autrui ou de !’interaction. Les relations objectales internalisées sont un complexe interne se rapportant à l’expérience infantile d’intenses relations au parent nourricier, lequel complexe se manifeste au sein de la vie adulte par de multiples représentations de soi, d’autrui, de même que par une charge affective positive (amour) ou négative (haine) accompagnant chacune de ces diverses représentations. Ces représentations forment le matériel accessible à la conscience, lequel peut être rapporté par les conjoints. Les relations objectales sont pratiquement inaccessibles dans leur état brut. Ce n’est que par un long travail en traitement analytique qu’elles peuvent être mises à jour. C’est ainsi que l’ensemble du travail de recherche développé ici s’adresse aux représentations de soi, d’autrui et de !’interaction. En aucun temps nous ne prétendons étudier directement les relations objectales: nous nous attardons plutôt à leurs multiples manifestations.

2 Le concept d’objet du soi (ICohut, 1984) est utilisé pour décrire l’expérience subjective de soutien, de restauration ou de consolidation du soi par־ l’entremise de la présence et des comportements d’autrui (Moore & Fine, 1990).

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son conjoint. L’immaturité des patrons d’utilisation des objets du moi, ou dit autrement, l’incapacité de différenciation, conduit à une intense frustration au sein des relations intimes. À l’inverse, une saine compétence à accepter les blessures causées par les limites du partenaire dans sa capacité de procurer des réponses “optimales”, donc une bonne différenciation de soi, conduit à une meilleure satisfaction conjugale.

Un second point de vue supportant cette hypothèse du lien entre la différenciation de soi et la satisfaction conjugale, est celui du couple Scharff (Scharff, 1999; Scharff, 1989; Scharff & Scharff, 1992; Scharff, 1995; Scharff & Scharff, 1997). Ces auteurs ont recours au concept d’identification projective comme mécanisme régulateur des échanges conjugaux. Ce mécanisme fait référence à la fantaisie “d’expulser” une partie de soi indésirable pour ensuite percevoir le conjoint comme s’il était dépositaire de ces propriétés. Ce processus d’attribution à autrui d’aspects de soi inavoués, non conscientisés, a pour fonction l’éventuelle appropriation de ces dimensions (identification introjective) mais cette fois métabolisées, modifiées par les comportements et les attitudes du partenaire. Les partenaires jouent des rôles de réceptacles en métabolisant les différentes parties de soi mutuellement projetées. S’appuyant sur les travaux de Zinner (1989) et sur leur propre expérience clinique, ils prétendent que le matériel projeté contient fréquemment des éléments hautement conflictuels originaires des relations familiales primitives. Plus le matériel projeté est “effroyable” donc plus archaïque au plan développemental, plus l’individu aura tendance à utiliser des stratégies hautement coercitives envers le partenaire de manière à maîtriser cet aspect menaçant de soi. Plus le processus est pathologique, plus l’altérité est niée au profit d’une obnubilation par les aspects de soi projetés (Zinner, 1989). Les identifications projectives sont conceptualisées comme s’échelonnant sur un continuum où l’une des extrémités (plutôt pathologique) est caractérisée par la complète fusion entre les représentations de soi et les perceptions d’autrui et l’opposé (plutôt saine) où le sujet sait utiliser son monde interne dans un but d’élaboration d’une sensibilité, d’une empathie à la vie intrapsychique du partenaire.

The location of a particular relationship along this continuum is determined by the quality and developmental level of internalized nuclear object relations, by the capacity of spouses to experience each other as separate, differentiated individuals, and by the intensity of the need for defense (Zinner, 1989, p. 159).

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La différenciation de soi est donc cette capacité à porter pleinement sa propre expérience, ses propres angoisses, par opposition à leur propulsion vers l’extérieur et au recours à des manoeuvres coercitives envers le conjoint afin de maîtriser ces aspects de soi trop effroyables. Une meilleure différenciation de soi est donc à la base d’interactions maritales fondées sur un réalisme dans la perception de soi et d’autrui.

Différenciation de soi versus narcissisme

Un faible degré de différenciation de soi ne s'observe pas uniquement par une difficulté à valoriser les attributs du soi mais tout autant par une suraccentuation de soi au détriment de l'altérité. Les couples s'apparient en fonction d'un degré de différenciation de soi similaire même si l'expression phénoménologique de ce même degré de différenciation est divergente ou complémentaire.

Lackar (1984), dans son étude clinique des couples narcissique/borderline, étaye bien cette position. En accentuant le volet identitaire, elle illustre comment la situation amoureuse soulève des désirs archaïques qui, lorsque réactivés, déforment profondément la perception de la réalité (Lackar, 1984). Elle émet l'hypothèse que l’individu souffrant d’un trouble de la personnalité narcissique a pu éprouver, lors des liens maternels primitifs, un investissement mère/enfant très intense où chacun pouvait être le reflet de l'autre (Lackar, 1992). Toutefois, la période de séparation a produit un effet traumatique chez la mère et par conséquent chez l'enfant. Cette expérience a semé de profonds sentiments de blessure qui sont à l'origine d'une soif constante de retour à l'union symbiotique où mère et enfant ne font qu'un. Ces hypothèses permettraient de comprendre comment le sujet souffrant d’un trouble de la personnalité narcissique investit son conjoint eh tant qu'une extension de soi, l'utilisant uniquement comme objet de gratifications personnelles. L'auteure postule que les personnalités limites ont, quant à elles, une nette carence du lien maternel et, au lieu de remettre en action le fait d'être l'enfant spécial de leur mère, elles cherchent plutôt à survivre, à prouver qu'elles existent. Elles ont de profondes angoisses d'être abandonnées. Ces personnes préféreront ne faire qu'un avec leur conjoint plutôt que de faire face

Figure

Tableau synoptique des construits inclus au sein des tests auto-administrés évaluant des concepts apparentés à la différenciation de soi
Tableau 12 conjugale fn = 94 couples) Variable 1 2 3 4 5 6 7 1. Diff. Soi/Autrui — .20* .04 ^^**** .38*"* .22* .24* 2
Figure 1. Relation entre la satisfaction conjugale de la femme et le degré  d’intimité du conjoint à sa propre mère, et ce, en tenant compte que toutes  les autres variables de l'équation de régression ont été fixées à la moyenne.
Figure 2. Relation entre la satisfaction conjugale de la femme et le degré  d’intimité du conjoint à son propre père, et ce, en tenant compte que toutes  les autres variables de l'équation de régression ont été fixées à la moyenne.

Références

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