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Quand les psychologues s’adressent à la justice : Les rapports d’expertise psycho-judiciaire

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l’expert psychiatre doivent permettre d’informer la justice sur les points sui-vants: l’intéressé était-il au moment des faits mis à sa charge, et au moment de l’examen, soit en état de démence, soit dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale le ren-dant incapable du contrôle de ses actions?; son état constitue-t-il au moment de l’expertise un danger pour lui-même ou pour la société? Ce sont l’évolution de la société, de ses modes de pensée, de ses valeurs, de sa morale et l’apparition de nouvelles juridictions et de nouvelles lois, telles que celles spécifiques aux mineurs, au droit familial, aux victimes, etc. qui vont progressivement modifier le pay-sage de l’expertise. Les juges étendent les requêtes faites aux professionnels de la santé mentale: psychiatres et psychologues sont appelés pour don-ner avis dans des procédures pénales et civiles de plus en plus nombreuses et leurs missions deviennent aussi variées que complexes. Du côté des

victimes (présumées), les mandats portent sur l’évaluation de la crédibilité et des séquelles, sur les indications quant à la nécessité d’un traitement, etc.; du coté des auteurs (présumés), il s’agit d’évaluer la personnalité, la res-ponsabilité pénale, l’accessibilité au traitement, la dangerosité, le risque de récidive, etc.; dans les litiges familiaux, les professionnels exercent en qualité d’experts pour analyser les structures familiales et pour donner avis sur les

Des psychologues

sur la scène judiciaire

Si la psychologie est une science relati-vement récente, l’entrée des psycholo-gues sur la scène judiciaire l’est plus encore. C’est en effet vers la moitié du 20ème siècle, tant en Europe que dans les pays anglo-saxons, que leur sont confiées, à titre personnel, des mis-sions psycho-légales qu’ils mènent seuls; les psychologues deviennent des experts à part entière et n’exercent plus comme auxiliaires du médecin, comme co-experts ou encore comme sapiteurs.

Au départ, l’évaluation du justiciable est donc strictement réservée aux psy-chiatres. Ces expertises psychiatriques sont d’abord essentiellement manda-tées en présentenciel1, par des juges traitant des affaires pénales. Elles ont alors principalement pour but et pour objet l’évaluation de la possible irres-ponsabilité de l’accusé, rappelons-le présumé innocent. Ainsi les travaux de

Mots-clés: expertise psycho-judiciaire, écrits professionnels, éthique et déontologie.

Quand les psychologues

s'adressent à la justice

Les rapports d'expertise psycho-juridiciaire

Séverine LOUWETTE

Psychologue clinicienne, DES en expertise psychologique (ULg), collaboratrice ULg (Centre d’expertise en psychotraumatisme et en psychologie légale,

Severine.Louwette@alumni.uliege.be Adélaïde BLAVIER

Professeure à l’Université de Liège, Docteur en Sciences Psychologiques, chologue clinicienne, DES en expertise psy-chologique (ULg), Responsable du Centre d’expertise en psychotraumatisme et en psychologie légale

Adelaide.Blavier@uliege.be

1 Le néologisme «présentenciel» désigne la période qui précède une éventuelle comparution devant un tribunal. Dans le cas présent, l’expertise psychiatrique, demandée par le juge d’instruction, vise à éclairer ce dernier sur la possible irresponsabilité de l’expertisé, présumé innocent. S’il est reconnu irresponsable, il est considéré comme non acces-sible à une sanction pénale et, dans le cas où sa culpabilité serait avérée, il serait alors renvoyé vers la défense sociale, c’est-à-dire vers une mesure d’enfermement à visée théra-peutique (l’idée étant qu’il s’agit non pas de sanctionner l’auteur avéré d’un crime ou d’un délit mais bien de le soigner puisqu’il souffre d’une pathologie mentale).

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modalités d’hébergement des mineurs; les expertises médico-psychologiques des mineurs éclairent les tribunaux sur leur fonctionnement psychologique et permettent de prononcer d’éventuelles mesures protectionnelles; les assu-rances recourent également au service des experts psychiatres pour l’évalua-tion et la réparal’évalua-tion de dommages avérés (missions qui n’incombent pas aux psychologues).

Ethique et déontologie dans

l’expertise psychologique

Les compétences du psychologue

En quelques décennies, nous avons donc assisté à un véritable essor de l’expertise psycho-judiciaire et, par conséquent, à une entrée en force des psychologues sur la scène judiciaire mais aussi sur la place publique comme en témoigne le recours quasiment sys-tématique à une certaine psychologie dans la vie quotidienne du citoyen. Dans notre société contemporaine, la psychologie et ses dérivés (peu ou pas scientifiques, pertinents ou utiles) s’in-sinue dans tous les domaines de vie: toute situation vécue aujourd’hui par l’être humain semble requérir l’avis et/ ou les services d’un psychologue, et ce dernier est vu et/ou se perçoit comme ayant une opinion pertinente sur nombre de questions de société et comme disposant de solutions aux situations subjectivement vécues comme problématiques par tout un chacun. L’intérêt voire la fascination pour le «psychologique» est patent chez l’homme contemporain et se manifeste, par exemple, dans les médias, dans les fictions littéraires, cinématographiques ou théâtrales, mais aussi dans le nombre croissant d’étudiants dans les options sociales et

psychologiques. S’il ne revient pas au psychologue d’endiguer ce mouve-ment social et ses dérives, il est par contre de son obligation éthique et déontologique et de sa responsabilité de clarifier auprès du profane les limites de ses compétences. Le psycho-logue a choisi librement sa profession, il n’est ni un policier ni un juge, ce qui n’est pas sans incidence sur la manière dont il va mener ses travaux d’évalua-tion psychologique. Il ne peut laisser des fragilités narcissiques prendre le pas dans ses interventions et dans ses raisonnements, il ne peut croire que le décorum des palais de justice et la fré-quentation de leur personnel comble-ront ses éprouvés subjectifs ni qu’ils seront en mesure de modifier qui il est. La Justice n’appelle pas les psycholo-gues pour répondre à leurs désirs ni pour flatter leur ego, cette demande est strictement utilitaire et a pour unique objectif d’apporter des complé-ments d’informations dans des domaines dans lesquels elle n’a pas de compétences. Le magistrat n’est pas tenu de suivre les avis émis par les experts, «l’expertise psychologique est un examen psychologique demandé par un juge pour répondre à des ques-tions précises et éclairer la décision de justice»2.

Ces quelques considérations sou-lignent les contraintes éthiques et déontologiques du psychologue appelé en tant qu’expert: il se doit d’être hon-nête (comme il l’atteste via son ser-ment3) quant à l’étendue et la spécifi-cité des compétences de sa profession (la psychologie) et quant à ses compé-tences propres. Le psychologue expert est et doit demeurer indépendant de l’institution judiciaire avec laquelle il se garde d’entretenir tout lien de fami-liarité. Il se défend de la pseudo-auto-rité qui peut lui être conférée, il se protège ainsi d’une toute-puissance et d’une omniscience présumées et réconfortantes. Notre propos n’est pas aujourd’hui d’analyser en détails les raisons, bonnes ou mauvaises, pour lesquelles des psychologues ont répondu positivement à l’appel des juges, mais il est raisonnable de penser qu’en effet ils ont, légitimement, estimé avoir quelque chose à apporter dans les affaires judiciaires. Cependant il est erroné de supposer que le savoir

et le savoir-faire des psychologues sont en mesure de répondre à l’ensemble des questions que peut se poser un magistrat: les psychologues n’ont pas réponse à tout et leur champ de com-pétences est sans doute encore bien plus restreint que celui qu’eux-mêmes et les autres imaginent. Dans notre système judiciaire (par opposition au système accusatoire des pays anglo-saxons4), l’expert, quelle que soit sa profession, ne doit rendre de comptes ni quant à sa formation ni quant à ses compétences professionnelles et scien-tifiques. Il est désigné par le magistrat (et non par une des parties comme dans les pays anglo-saxons) et est rare-ment contesté (pas d’expert de la par-tie adverse); au mieux le justiciable peut-il s’entourer d’un conseiller tech-nique dont les interventions et les tra-vaux seront, ou pas, pris en considéra-tion. En l’absence de garde-fous légaux, dans nos contrées non anglo-saxonnes, l’expert se doit de chercher des balises à ses interventions dans sa conscience et son éthique professionnelles, et dans la déontologie de sa profession. Ainsi, avant même d’accepter et d’enta-mer une mission expertale, les ques-tions posées par le magistrat devraient être analysées en regard des possibili-tés réelles d’y répondre par un psycho-logue (la psychologie dispose-t-elle de moyens éprouvés scientifiquement pour apporter une réponse rigoureuse et fiable?) et par ce psychologue en particulier (est-il compétent dans ce domaine précis?). S’il ne peut être répondu positivement à ces deux inter-rogations, il convient d’en informer le mandant et de refuser la mission. L’analyse des missions et de leur libellé peut également amener à des ques-tions fondamentales: est-il pertinent de se positionner quant à l’accessibilité à un traitement de la pathologie d’un auteur suspecté mais présumé inno-cent?; est-il opportun d’évaluer simul-tanément l’existence de séquelles chez une victime, présumée, et la crédibilité de son discours? Si le magistrat a le droit de poser toutes les questions à l’expert, ce dernier a le devoir de l’in-former du manque de pertinence ou de légitimité de ses interrogations et il devrait s’autoriser à refuser une mis-sion s’il l’estime inopportune scientifi-quement (par exemple, l’évaluation de la crédibilité dans des conditions qui ne 2. MORMONT C., «Déontologie et spécificités de l’expertise

psycholgique», Ius et Actores: Revue des acteurs de la Jus-tice, Bruxelles, De Boeck & Larcier, vol. 3, 2015, p. 15. 3. Serment de l’expert: «Je jure avoir rempli ma mission en honneur et conscience avec exactitude et probité.» 4. VAN GIJSEGHEM H., «Balises pour une expertise psycho-légale crédible devant les tribunaux», dans S. ABDELLAOUI (Ed.), L’expertise psycholégale, Paris, L’Harmattan, 2013, chapitre 10, pp. 189-204.

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exemple, le non respect de la présomp-tion d’innocence).

Les particularités de l’expertise

Ces limites étant posées, le psycho-logue expert, appelé pour des missions recouvrant réellement son champ de compétences, peut se lancer dans l’aventure, avec rigueur et sérieux. Il doit rester attentif et tenir compte des spécificités de l’expertise (qui doit être distinguée de la pratique clinique clas-sique du psychologue). Ainsi, comme l’écrit Christian Mormont, «l’expertisé n’est ni le demandeur ni le bénéficiaire de l’expertise psychologique, l’examen n’est pas couvert par le secret profes-sionnel et le rapport est destiné à être rendu public. Ces trois particularités demandent des ajustements déontolo-giques non négligeables afin de ne pas perdre de vue l’idéal professionnel de bienfaisance et de respect de l’être humain»5. L’expertise place donc le professionnel et la personne examinée dans une position inhabituelle, incon-fortable voire contraignante. Les faits et les situations exposés dans le dossier sont susceptibles de susciter des réac-tions aussi subjectives qu’irrationnelles dans le chef de l’expert, il est par consé-quent fondamental qu’il garde à l’esprit le principe de la présomption d’inno-cence. Sous-tendues par des a priori, ces réactions agiront toujours au détri-ment de la qualité de l’intervention et du rapport que l’expert transmet au juge. Là encore, la déontologie et l’éthique de l’expert constituent le seul garde-fous contre des dérives de l’ex-pert, «exécutées sans témoin et sans contre-pouvoir»6 et dont le justiciable est toujours le principal préjudicié. Comme le rappelle Anne Andronikof7, l’expertise est bien «une mission à haut risque».

Les méthodes de l’expertise

psychologique

La rigueur est sans doute une des qua-lités fondamentales et indispensables de l’expert, sans laquelle ses méthodes de travail ne peuvent rencontrer les critères scientifiques qui confèrent à son intervention sa qualité. Des auteurs comme Hubert Van Gijseghem8 ont depuis de nombreuses années, s’ap-puyant sur les recherches et la

littéra-saire distinction entre le psychologue clinicien et le psychologue expert. Les méthodes utilisées en psychologie cli-nique ne peuvent être simplement transposées au contexte expertal car leur objet est différent: la clinique s’in-téresse à la réalité psychique tandis que l’expertise s’ancre dans le factuel. En plus de cette distinction déjà souli-gnée par Freud9, les recherches montrent que la fiabilité du jugement clinique est toujours inférieure à celle du jugement fondé sur des instruments validés par la communauté scientifique (méthode dite actuarielle). Ainsi cette dernière méthode se révèle plus adap-tée et plus fiable dans le contexte expertal que la méthode clinique et devrait donc toujours être privilégiée par le psychologue expert. L’utilisation et la maîtrise des instruments et des outils d’évaluation est une des compé-tences spécifiques du psychologue (et pratiquement la seule qui le distingue des autres professions de la santé men-tale). Le recours à des méthodes d’exa-men valides, adaptées à la situation (la question posée) et à l’expertisé, et utili-sées correctement (respect des consignes de passation et d’analyse des résultats) donne aux propos de l’expert une valeur scientifique parce que contrairement aux interprétations libres et autres discours sur l’incons-cient, ces constats et ces descriptions peuvent être contestés, contredits, réfutés, prouvés.

A l’origine de l’intervention expertale existe une demande, celle du magis-trat, qui autorise le psychologue expert à braver un interdit, celui de se mêler des affaires des autres. Cette demande prend la forme d’une mission compo-sée d’impositions et de questions que l’expert doit respecter scrupuleuse-ment: «la mission et rien que la mis-sion». S’il s’en écarte, son rapport pourra être refusé; s’il souhaite s’en distancier, il ne pourra le faire qu’avec l’aval du juge qu’il aura préalablement consulté. La mission de l’expert est le fil rouge de son intervention, elle lui per-met d’élaborer sa méthode de travail, ses analyses et par la suite la trame de son rapport.

La qualité et la pertinence de

l’évalua-sont les conditions premières d’un bon écrit professionnel, lequel constitue l’unique trace concrète du travail de l’expert. Si les rencontres avec la per-sonne examinée sont pensées et réflé-chies par l’expert, centrées sur sa mis-sion et respectueuses des spécificités de l’autre, elles conduisent à des entre-tiens, des observations, des évalua-tions utiles et dignes d’intérêt. Ainsi, l’examen psychologique doit être à la fois suffisamment structuré et suffi-samment sensible à la singularité de l’autre, il doit être distingué de procé-dures standards que certains experts, psychologues ou psychiatres, appliquent avec un systématisme sim-pliste, déconcertant et qui se révèlent au mieux stériles, au pire contre-pro-ductives. De la qualité de l’intervention découle la qualité de la rédaction, en termes de contenus, mais aussi l’ai-sance et la clarté avec lesquelles l’ex-pert pourra rédiger son rapport et in fine éclairer pertinemment le juge.

Le travail de rédaction:

le rapport d’expertise

Chaque individu est unique, chaque expertise et chaque rapport doivent l’être tout autant.

«Avant donc que d’écrire, apprenez à

penser» (Nicolas Boileau)

L’expert psychologue a clôturé ses entrevues avec l’expertisé. Il a ensuite procédé, avec une rigueur scientifique, à l’analyse minutieuse de ses observa-tions, des contenus des entretiens cli-niques menés et à l’interprétation des épreuves (tests) réalisés, en tenant compte de toutes les données recueil-lies, même les plus contradictoires et en se gardant d’omettre celles qui semblent opposées à un tableau

5. MORMONT C., op.cit., p. 13. 6. Ibid., p. 12.

7. ANDRONIKOF A., «L’expertise psychologique en matière pénale: une mission à haut risque», Connexions, Toulouse, Erès, n°74, 2000, pp. 47-50.

8. VAN GIJSEGHEM H., op.cit. 9. Cité par VAN GIJSEGHEM H., Ibid.

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homogène, voire simpliste, de l’exper-tisé. L’être humain se caractérise en effet non pas par une cohérence et une simplicité intérieures ni par l’homogé-néité de ses caractéristiques psycholo-giques; la scène intérieure est un théâtre complexe, constitué de traits contraires, antinomiques, ce qui rend son analyse et sa compréhension bien ardues pour l’examinateur. «L’écrit du psychologue n’est pas fait pour appor-ter des réponses simples à des ques-tions complexes. Il apporte au contraire la richesse de la complexité (au sens de la non-linéarité), celle du sujet.»10

Le rapport, un révélateur de l’expertisé

mais aussi de l’expert et de son travail

L’expert écrit un rapport parce qu’il se doit de le faire (il s’agit d’une des obli-gations de sa mission) et parce que la communication avec le juge prend cette voie. Cet écrit peut, dans cer-taines circonstances déterminées par la justice (par exemple le procès aux assisses) ou par le juge, être présenté oralement et publiquement (aux audiences). L’expert écrit pour rendre compte de son travail et pour répondre aux questions posées par le magistrat. Il n’écrit pas sur les gens11, il écrit à

propos des gens: il décrit aussi

fidèle-vérifiées par le magistrat latin. Le rôle d’expert près les tribunaux ne dispense pas le psychologue d’une juste humilité qui le protégera de prises de positions autoritaires, dangereuses et toujours contre-productives. L’expert accepte une mission dans laquelle son travail final, le rapport, sera rendu public, il autorise par conséquent que des tiers critiquent, contestent ou réfutent son travail et ses conclusions. Une exper-tise réalisée avec rigueur et honnêteté scientifiques appellera toujours à moins de critiques, et s’il en est, l’ex-pert pourra aisément argumenter et défendre ses positions.

Quelques principes de rédaction

C’est quand il estime avoir suffisam-ment d’élésuffisam-ments pour pouvoir répondre judicieusement et précisé-ment aux questions posées par le juge que l’expert psychologue peut com-mencer à rédiger12. Le rapport s’orga-nise en tenant compte de deux élé-ments essentiels: qui sont les lecteurs de l’écrit (le juge et les expertisés13) et quels sont les buts poursuivis (la mis-sion)? La prise en considération des objectifs et des destinataires de l’écrit permet de fournir un travail qui est utile parce qu’il répond aux attentes des mandants (et permettra donc d’éclairer intelligemment leurs futures prises de décision), clair et compréhen-sible parce qu’il tient compte du fait que le lecteur est étranger à la psycho-logie. Le psychologue expert doit par ailleurs susciter l’envie de lire chez le lecteur: il s’agit donc d’être lu et d’être

compris.

Plusieurs recherches ont étudié les variables affectant la clarté des rap-ports des psychologues et entraînant des difficultés de lecture et de compré-hension pour les destinataires. D’autres recherches ont mis en évidence les fai-blesses de contenu des écrits psycholo-giques14. Elles mettent toutes en avant une pléthore de constats et de cri-tiques:

• les psychologues ne reçoivent, dans leur cursus, ni enseignement ni entraî-nement à la rédaction des écrits profes-sionnels; les experts manquent de for-mation et de compétences dans les domaines dans lesquels ils décident d’exercer;

ment que possible, leurs situations et leurs fonctionnements psychologiques. L’expertisé est au centre de l’expertise et donc du rapport, l’expert quant à lui est ce technicien compétent, il est auteur d’un rapport dont il n’est pas l’objet et il devrait donc n’y apparaître qu’en coulisses et non comme acteur principal. Pour autant, l’écrit agit comme un révélateur: si son unique objectif est de dresser un tableau psy-chologique fidèle, complexe et intégré d’une personne et/ou d’une situation, il dévoile entre ses lignes le travail réa-lisé en amont par l’expert (l’examen psychologique à proprement parler); il en démontre les forces et les failles; il divulgue l’arbitraire et les conceptions de l’expert, ses a priori, ses croyances, ses valeurs, ses représentations, ses idéologies; il témoigne de son raison-nement et des biais cognitifs qui cor-rompent insidieusement ses asser-tions; il met à jour son savoir, son savoir-faire et son savoir-être. L’écrit est un acte professionnel où l’expert s’en-gage personnellement et il en assume la pleine responsabilité. L’éthique et la déontologie professionnelles sont les (uniques) garants d’un écrit respec-tueux de l’expertisé et de qui il est car la rédaction des analyses et des conclu-sions se réalise (contrairement à une remise de conclusion orale) en l’ab-sence d’interactions et d’ajustements avec cet autre dont l’expert parle et qu’il dissèque. Le rapport d’expertise est donc bien le produit et le reflet d’une intervention (les entrevues avec l’expertisé et les analyses de l’expert) et d’une personne (l’expert, auteur du rapport); le rapport signe le profession-nalisme de l’expert.

Dans ses écrits, comme dans l’en-semble de ses interventions préalables, l’expert veille au respect strict et incon-ditionnel de l’autre; ses propos ne peuvent en aucune façon lui nuire de quelle que manière que ce soit

(Pri-mum non nocere). L’expert se montre

neutre, indépendant et honnête. Bien qu’il soit appelé par la justice en tant qu’expert (rappelons que ce titre n’est pas protégé légalement et peut donc être utilisé à la guise de tout un cha-cun), cette fonction ponctuelle n’est pas gage de ses compétences profes-sionnelles ni de sa légitimité, lesquelles étant souvent plus présumées que 10. VIAUX J.L., «Ecrire aux juges et à quelques autres, enjeux,

risques et styles», Journal des psychologues, n° 364, 2019, p. 32.

11. DVD: Vos écrits nous regardent, un film pour réfléchir autrement à la transmission des écrits de l’Aide à la Jeunesse, Juin 2012, Disponible via www.mouvement-Ist.org ou www. atd-quartmonde.be.

12. SULTAN S., Le diagnostic psychologique. Théorie, éthique, pratique. Paris, Frison-Roche/Psychologie vivante, 2004., pp. 81-122.

13. Le rapport expertal définitif est toujours envoyé au man-dant de l’expertise (le magistrat). Dans les expertises pénales, l’expertisé et son conseil (son avocat) ont le droit de consulter le rapport d’expertise après qu’il ait été déposé au mandant. Dans les affaires familiales (tribunaux civils), l’expert envoie d’abord un rapport préliminaire et exempt de conclusion aux parties et à leurs conseils, ceux-ci peuvent formuler par écrit des commentaires à l’expert qui doit en tenir compte. Il rédige alors son rapport final et définitif et l’adresse au juge, les parties et leurs conseils peuvent ensuite le consulter. 14. Citons à titre d’exemple les travaux de HARVEY (2005), TALLENT (1992), OWNBY & al. (1987), GRIMES & ROSS-RENOLDS (1983), SISKIND (1967), GARYSON & TOLMAN (1950).

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suffisamment de temps pour fournir des écrits lisibles et accessibles à un public multiple et varié;

• ils utilisent un jargon et des termes techniques qu’ils ne traduisent pas en termes courants et communs, et qui masquent parfois leur incompétence ou leur autoritarisme (comme le souli-gnait Roland Barthes15, l’écriture est aussi un instrument de pouvoir); • la grammaire, l’orthographe et la ponctuation sont défaillants. Certaines erreurs de maîtrise et d’usage de la langue peuvent conduire à des fautes de sens ou à des ambiguïtés parfois lourdes de conséquences pour l’exper-tisé. Par exemple, l’usage erroné du conditionnel peut insidieusement mettre en doute la parole de l’expertisé, il en va de même de l’usage erroné des points de suspension; des précautions verbales (telle que «il semble que») évitent au psychologue de prendre la pleine responsabilité de certaines de ses observations ou l’exemptent de prendre position là où son avis scienti-fique (et non personnel) est attendu; • le style, tantôt abstrait, tantôt théo-rique, tantôt anecdotique voire lythéo-rique, manque de rigueur et est inadapté à la mission expertale;

• le recours abusif à la retranscription du verbatim16, voire de pans entiers de l’entretien placés entre guillemets sans mise en contexte, laisse au lecteur une libre appréciation, une libre interpréta-tion de données brutes qui auraient dû faire l’objet de l’analyse du psycho-logue;

• les rapports manquent d’organisation et de structure, de cohérence et de logique, ce qui altère leur lisibilité et la compréhension du raisonnement de l’expert;

• les sources d’informations ne sont pas mentionnées et il en résulte une diffi-culté de distinguer ce qui est un propos rapporté par l’expertisé de ce qui pro-vient des autres protagonistes (quand l’expertise concerne plusieurs per-sonnes, par exemple dans le cas des expertises familiales), des données des tests, de celles du dossier ou encore de ce qui constitue l’opinion subjective de l’expert;

pliquent précisément à la personne évaluée».

La structure et l’organisation d’un rap-port d’expertise sont essentielles. Bien qu’il n’existe pas de prescrits légaux en la matière et que l’expert soit libre du choix de ses méthodes, mais aussi de la forme de son écrit, il paraît pourtant important de rappeler qu’un ensemble d’éléments doit apparaître dans cet écrit. Les différentes sections du rap-port doivent pouvoir répondre aux points suivants: qui écrit le rapport? (l’en-tête); à qui écrit-on? (les destina-taires); de quel type de rapport s’agit-il? (le titre); qui fait l’objet du rapport? (l’identification de l’expertisé); qui demande l’intervention de l’expert et que lui est-il demandé? (l’expert intro-duit son travail en rappelant la mission ordonnée par le magistrat); quand ont eu lieu les rencontres avec l’expertisé et quel a été le travail de l’expert lors de ces entrevues? (le calendrier de travail, les dates et le type d’intervention); quelles sont les données dont dispose l’expert? (les documents fournis et consultés, les données anamnestiques et les données cliniques recueillies); comment ces données s’articulent-elles et qu’apprend-t-on en définitive de l’ex-pertisé? (la discussion intégrée de l’en-semble des données); comment l’expert répond-t-il aux questions posées par le juge? (la conclusion, fondée exclusive-ment sur les éléexclusive-ments déjà discutés, ne doit comporter aucun nouvel élément); le serment de l’expert; la date et la signature de l’expert. Le rapport peut comporter des annexes techniques (protocoles de tests par exemple), bibliographiques, etc. L’utilisation des annexes permet de proposer un écrit allégé des éléments techniques et donc centré sur la personne évaluée dont le psychologue expert dresse un portrait psychologique nuancé et complexe. lyses au profit d’interprétations non

fondées, spéculatives et abusives, de jugements, d’a priori, d’impressions de l’expert où s’esquissent les biais cogni-tifs comme le biais de confirmation par exemple;

• une pauvreté de l’évaluation clinique, de l’analyse des données, des conclu-sions et des recommandations; • une utilisation incorrecte des tests et des instruments (non maîtrise des qua-lités psychométriques des outils, des conditions de passation et des modes d’analyses des résultats), un recours à des instruments non validés ou aux qualités scientifiques insuffisantes, ou qui ne sont pas utiles à l’évaluation; un amalgame entre réalités psychique et factuelle;

• l’absence des résultats quantitatifs des tests administrés (par exemple, les résultats du quotient intellectuel) ne permet pas au lecteur de vérifier la per-tinence et/ou l’adéquation de l’analyse des données réalisée par le psycho-logue. Par ailleurs, cette omission empêche une comparaison des don-nées a posteriori (par exemple, dans le cas de contre-expertise ou dans le cas d’expertise visant à la réévaluation d’une personne ou d’une situation); • les rapports ne permettent pas de rendre compte avec précision de la situation de l’expertisé; ils ne répondent pas aux questions posées, restent vagues voire obscurs et sont, en défini-tive, sans utilité pratique;

• l’accent est mis sur le travail de l’ex-pert et sur les résultats obtenus aux tests, l’expertisé est relayé aux oubliettes dans un écrit où il n’est pour-tant question que de lui.

Ces remarques issues des pairs du psy-chologue et de la recherche scientifique doivent attirer l’attention de l’expert psy-chologue ou psychiatre puisqu’elles lui permettront de rédiger des écrits perti-nents et utiles. Dana Castro17 souligne que l’information utile est «celle qui révèle les aspects spécifiques et qui met en évidence l’unicité de la personne; celle qui permet de différencier un indi-vidu de ses semblables; celle qui per-met de répondre uniquement à la ques-tion posée; celle qui aboutit à des

15. BARTHES R., Le degré zéro de l’écriture, Paris, Le Seuil, 1972.

16. Le verbatim (du latin verbum, mot) est la «reproduction intégrale des propos prononcés par l'interviewé; le compte rendu fidèle». (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ verbatim/81475?q=verbatim#332874).

17. CASTRO D. (dir.), Les écrits en psychologie. Rapports, expertises, bilans, L’Esprit du temps, Guides Psycho, 2000.

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En conclusion,

Ecrire, cela s’apprend.

Si l’expertise, et plus largement l’évalua-tion psychologique, est pratiquée de manière rigoureuse et scientifique (méthodes et instruments choisis) et de manière respectueuse et digne, avec humilité et bienveillance (éthique, déontologie et idéal professionnels), les mandants et les expertisés pourront tirer profit de nos interventions. En effet, des rapports expertaux de qualité aideront à des prises de décision justes et adéquates par les tribunaux. Une bonne expertise psychologique apporte en outre à la personne examinée des éléments qui enrichissent sa compré-hension d’elle-même et de son fonc-tionnement psychologique.

Quelles que soient les circonstances de la vie qui amènent un individu dans le cabinet d’un psychologue expert, il devrait en ressortir en se disant qu’il a été entendu, écouté et compris, que l’expert ne s’est pas substitué à lui en pensant ou en se mettant à sa place, que l’expert ne s’est pas substitué au magistrat en le jugeant et/ou en orien-tant a priori les décisions de justice. Il devrait conserver cette impression à la lecture du rapport expertal.

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