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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Trouver les mots qui font vivre. « Programmer la mort »

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

TROUVER LES MOTS QUI FONT VIVRE

« PROGRAMMER LA MORT »

Hughes LETHIERRY IUFM de Lyon

MOTS-CLÉS : VIE – QUESTION – SUJETS SENSIBLES – MOMENTS PHILOSOPHIQUES

RÉSUMÉ : Pourquoi les enfants, en « bons sujets » qu’ils sont, ne choisissent-ils pas, pour poser leurs questions, les « bons objets », sur lesquels le maître possède une réponse prévue à l’avance ? Et, bien entendu, au moment choisi par le professeur. Puisque c’est celui-ci qui est le maître. En d’autres termes, pourquoi ces sujets, appelés « sensibles », du fait qu’ils désarçonnent l’enseignant, l’obligent à se situer personnellement ?

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1. INTRODUCTION

Guerres et épidémies, canicule, euthanasie, tout nous ramène aux problèmes posés par les élèves concernant la vie et la mort. Prendre conscience de notre philosophie implicite y entre par cette « sortie » qu’est la mort, quel meilleur lien entre la tradition classique et l’actualité vécue ? On ne mettra pas fin, c’est-à-dire qu’on ne s’attaquera pas aux racines qui alimentent un tabou en l’attaquant de front. Mais en mettant en place une démarche appropriée. Le « séminaire structurant » que nous avons animé l’an dernier et reproposé cette année aidera les stagiaires à dépasser déni et déraison qui peuvent, à terme, décourager la curiosité scientifique des élèves. En cherchant dans chaque discipline à trouver les mots qui font vivre, pour « programmer la mort ». Parler de la mort n’a jamais tué personne. Et permet parfois de n’y pas penser toujours !

2. LA PHRASE QUI TUE

Il eut cette phrase qui tue : « La mort n’est pas au programme ». Pourtant le sujet fut choisi par un certain nombre de stagiaires dans les années qui suivirent, de sorte qu’un séminaire fut organisé sur les « sujets sensibles » (dont celui-ci) à partir de 2002. Sans doute y a-t-il quelque paradoxe en cela puisqu’un séminaire, du fait de l’étymologie, est censé « ensemencer ». Mais cette objection peut facilement être dépassée pour deux raisons :

– La mort et la vie sont en interaction continuelle depuis le stade de l’embryon qui ne peut se développer et naître que parce que certaines de ses cellules meurent.

– Par ailleurs l’objet connu et le sujet connaissant doivent-ils fusionner ? Un cours sur « Dieu » doit-il être divin ? Si on ne le croit pas il n’y a aucune contradiction à ce que « naissent » des idées sur la mort et que soient « créés » des textes sur ce sujet.

Nous allons analyser d’abord des obstacles rencontrés dans l’organisation d’un séminaire sur les « sujets sensibles » pour ensuite parler de celui-ci.

3. PARLER DE LA MORT N’A JAMAIS TUÉ PERSONNE

Plusieurs types de défense sont à l’œuvre dans la situation présente. Suivre des mémoires sur la « mort », en tant qu’elle fait l’objet de questions des enfants dès la Maternelle ne va pas de soi. Sans toujours le dire, on craint à la fois les controverses sur l’enseignement du fait religieux et par ailleurs le retour de polémiques sur des sujets comme le sida, le statut des « anciens », les guerres

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sans fin de l’Irak et du Moyen-Orient. 3.1 Le « fait religieux »

L’enseignement fait d’abord appel à des notions « scientifiques » si des situations apparaissent liées à notre sujet. Par exemple lorsqu’un enfant, pour faire plaisir au poisson rouge, pose un camembert sur son bocal1. Ou encore lorsqu’un enfant s’exclame : « Pépé, il a été mis dans la terre. Tant mieux, il va repousser ». Au lieu de s’extasier seulement sur le caractère humoristique ou poétique d’une telle réaction, il faut en profiter pour montrer la différence entre la nature, le vivant, l’humanité. Concernant les croyances sur l’au-delà, le maître tantôt renvoie aux parents, tantôt cherche à faire connaître des éléments d’histoire des faits religieux. Mais il est parfois mal à l’aise dans ce domaine qui commence seulement à être exploré depuis une dizaine d’années.

3.2 L’euthanasie, la canicule

On craint par ailleurs, parfois, en milieu enseignant, dans le Secondaire, qu’à propos de la mort soit évoqué la relance du débat sur l’euthanasie à propos du cas récent de l’homme qui a écrit au Président de la République pour demander à mourir2. On craint aussi, sans toujours l’avouer, qu’à propos de la mort soit évoqué le problème des victimes de la canicule pendant l’été 2003.O. Pagès (président du comité parisien d’éthique funéraire) le dit (Le Monde du 11.11.2003) : « Tout ce qui rappelle la mort est virtualisé. On serait arrivé à se faire croire que la mort n’existe pas s’il n’y avait pas l’existence des vieux. Parce que la vieillesse, dans notre esprit, n’est plus que l’antichambre de la mort –nous oublions au passage qu’il n’y a pas d’âge pour mourir– les vieux ne sont plus regardés que comme « des futurs ou bientôt morts » : « Cacher les vieux est devenu un enjeu majeur de notre société. L’objectif (inconscient !) est de les rendre invisibles par un mécanisme d’exclusion et, par là même, l’instauration d’un racisme de l’âge. » (...) « Nous tuons symboliquement les vieux par peur de la mort ». Et l’auteur de conclure : « La vie est mortelle ».

Il ne fait pas bon, non plus, répondre à des questions d’élèves sur le sida. 3.3 Le non dit, l’innommable, l’impensable

Ni d’évoquer les guerres sans fin d’Irak et du Moyen-Orient. Dans son ouvrage Information War, Nancy Snow (professeur à l’université d’État de Californie) raconte que des journalistes cherchant à filmer les cercueils des seize soldats américains tués le 2 novembre lors d’une attaque contre leur

1 J. Deunff cite ce fait dans Dis, Maîtresse, c’est quoi la mort ?, CRDP de Dijon.

2 Dans la même période est passée à la télévision un téléfilm sur le roman Les Thibault de R. Martin du Gard qui

retrace « la mort du père » et, à ce sujet, la mort provoquée par son fils médecin (Antoine) afin d’abréger ses souffrances.

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hélicoptère, près de Fallouja, en Irak, se sont vus interdire l’accès à la base militaire de Ramstein, en Allemagne. Les corps de la plupart des soldats américains tués en Irak depuis le début de la guerre (environ 250) transitent par cette base avant d’être rapatriés aux États-Unis. Mais aucun média ne peut les filmer ou les photographier, l’armée américaine l’a formellement interdit. « Tout cela n’est pas digne d’une démocratie ouverte. En gommant les morts et les blessés, on cherche à empêcher les citoyens d’analyser correctement les opérations engagées à l’étranger. (...) Soudain, l’opinion américaine doit accepter le fait que la guerre continue. La réalité a rattrapé le gouvernement qui doit maintenant faire très attention à la façon dont il présente la situation. Mais lorsqu’il parle de “guerre”, c’est toujours pour l’inclure dans un cadre plus global » affirme l’auteur dans une interview1. Déjà pendant la guerre d’Algérie on ne parlait que des « événements » et, plutôt que de torture, des « opérations de représailles ». Le non-dit, l’innommable deviennent vite impensables et peuvent perturber l’évolution psychologique de l’enfant comme nuire à son développement cognitif.

4. UN SÉMINAIRE POUR « ENSEMENCER »

« Entrer » dans la philosophie par cette « sortie » qu’est la mort peut sembler paradoxal. Mais quel sujet constitue un meilleur lien entre la tradition philosophique passée et l’actualité vécue par enseignants et enseignés ? Vivant dans la peur, l’enseignant peut être déstabilisé par l’irruption de sujets « philosophiques » (donc incongrus ?) sans l’aide d’un séminaire « structurant ». L’entrée par la mort permet de relier à nos problématiques actuelles l’héritage que des enfants peuvent s’approprier au cours de « moments philosophiques ». Ainsi apparaissent les limites de la « maîtrise » et les moyens de mutualiser les interrogations sur sens (et non-sens ?) de la mort et de la vie.

Travailler les conceptions qui sont à l’œuvre dans le refus d’interroger la mort à l’école : tel est l’un des buts du séminaire structurant qui a été proposé cette année à l’IUFM de Lyon. Sur les « sujets sensibles », c’est-à-dire ceux qui risquent de déstabiliser l’enseignant, de le prendre de court, le séminaire permet de construire stratégies et protocoles pour que l’interrogation philosophique ne soit pas refoulée en tant qu’elle serait en soi dangereuse pour la paix des consciences.

Le séminaire ainsi conçu peut aider les enseignants stagiaires à relier leurs problématiques actuelles aux textes anciens pour que ceux-ci ne constituent pas un héritage mort : les professeurs stagiaires

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retrouveront en effet chez les enfants certains des arguments qui étaient utilisés par les Épicuriens ou les Stoïciens, comme cela apparaîtra au cours des « moments (ou ateliers) philosophiques ». L’atelier de philosophie est ainsi caractérisé par Lalanne : « L’atelier de philosophie est le lieu de l’effort de la pensée ; l’animer c’est à la fois savoir se taire, se mettre en retrait pour que les enfants investissent cet espace de réflexion, mais aussi savoir intervenir, assumer son rôle d’enseignant qui consiste à rendre explicite ce qu’ils font spontanément et à les guider dans leur acte de réflexion. L’animation, à travers ce difficile dosage, est essentielle pour que l’enfant puisse prendre de la distance par rapport à son propre discours. Dans cette mise à distance, il va prendre conscience de ce qu’il dit, de ce qu’il pense. Objectiver sa pensée, en prendre conscience, c’est se donner la possibilité de se l’approprier, en s’appropriant par là ce que disent et pensent les autres. C’est bien connu, on ne pense jamais tout seul, mais toujours à partir de ce que d’autres ont formulé. Ce n’est que dans cet échange que les enfants apprendront à penser par eux-mêmes ».

Mais qu’il s’agisse de la vie et de la mort ou d’autres questions, trop souvent les questions de l’enseignant induisent d’évidence la réponse. Prenons comme exemple, dans une classe de CM2, un « moment philosophique » consacré à « l’animal ». « Les questions que nous nous sommes posées » dit l’enseignante (en fait posées par elle) :

– Quelle est la différence entre nous et les animaux ? – Pourquoi les animaux ne parlent pas ?

– Est-ce que les perroquets parlent vraiment ? – Pourquoi les animaux ne vont pas à l’école ? – Et pourquoi les enfants y vont-ils ?

Quelques « réponses » qu’on croirait inventées pour nous faire plaisir, en tout cas induites par l’interrogateur :

« La plupart des animaux courent beaucoup plus vite que nous et ont beaucoup plus de poils que nous. Mais ce n’est pas toujours vrai.

Les animaux ne vont pas aux toilettes, ils font caca par terre et ils sont sales ! Nous, on est civilisés. La plupart des animaux sont sauvages, ils se battent souvent et ils ne laissent personne entrer sur leur territoire ; alors que nous, on s’invite les uns chez les autres et on s’offre des cadeaux. Mais quelquefois quand même, nous aussi on se bat pour notre territoire ; quand les Allemands ont voulu prendre la France, c’était la guerre, on s’est battu.

Les animaux ne tombent pas amoureux et ne se marient pas. Leur mariage, c’est d’avoir des bébés, et après c’est fini. Mais quelquefois quand même, ils se marient : on le voit à la télé...

Quand les animaux vont chez le vétérinaire, ils sont dans des cages. Nous, à l’hôpital, on n’est pas dans des cages. On est libres.

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À propos des perroquets : ils ne parlent pas vraiment, ils répètent. Nous, on dit ce qu’on veut, sauf les gros mots et les méchancetés qu’on n’a pas le droit de dire. Les perroquets ne sont pas libres de dire ce qu’ils veulent, ils répètent uniquement ce que les hommes leur ont appris.

Les animaux sont moins intelligents que nous. Mais quelquefois quand même,ils se comprennent entre eux et ils peuvent même nous comprendre. Quand on est triste, ils nous consolent comme une maman...

Pourquoi ces animaux qui ne parlent pas nous comprennent quand même ? C’est leur instinct ! C’est comme la glace au chocolat, on sait qu’on l’aime. »

BIBLIOGRAPHIE

Références

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