• Aucun résultat trouvé

Une synthèse sur l’attachement au lieu : conceptualisation, exploration et mesure dans le contexte de la consommation / A synthesis on place attachment: conceptualization, exploration, and measure in the context of consumption

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Une synthèse sur l’attachement au lieu : conceptualisation, exploration et mesure dans le contexte de la consommation / A synthesis on place attachment: conceptualization, exploration, and measure in the context of consumption"

Copied!
42
0
0

Texte intégral

(1)

Une synthèse sur l’attachement au lieu : conceptualisation,

exploration et mesure dans le contexte de la consommation

Alain Debenedetti

ATER à l’Université de Paris-Dauphine, DRM-DMSP, (UMR CNRS 7088) Place du maréchal de Lattre de Tassigny

75775 Paris cedex 16 alain.debenedetti@dauphine.fr 53, avenue Parmentier 75011 Paris tel : 01 48 07 21 63 mob : 06 72 07 79 79 alain.debenedetti@free.fr

(2)

Une synthèse sur l’attachement au lieu : conceptualisation,

exploration et mesure dans le contexte de la consommation

Résumé : l’attachement au lieu a fait l’objet de nombreuses recherches dans des disciplines variées comme la psychologie environnementale ou la sociologie, en décrivant les relations émotionnelles et identitaires entre les individu et leur environnement physique. Ces travaux n’ont fait l’objet d’aucun développement en marketing alors que les chercheurs soulignent l’importance de l’affect dans la gestion des lieux de consommation. Cet article synthétise les travaux antérieurs sur l’attachement au lieu et propose une démarche empirique permettant d’explorer le concept en utilisant des méthodologies qualitatives complémentaires, d’en proposer une mesure puis d’en analyser les déterminants et les facteurs d’influence de manière quantitative.

Mot clés : attachement au lieu, comportement du consommateur, lieux de consommation, affect, extension du soi.

A synthesis on place attachment: conceptualization, exploration,

and measure in the context of consumption

Abstract: Place attachment has been widely studied in various research fields such as environmental psychology or sociology, through the description of the emotional and identity bonds linking the individuals and their physical environment. However, whereas scholars emphasize the importance of affect in the management of consumption places, to date, these works have not been extended into the marketing field. Thus, this paper synthesizes previous works on place attachment and suggests an empirical procedure enabling first to explore the concept through the use of complementary qualitative methodologies, second to propose of measure of this concept, and eventually to quantitatively analyze its determinants and influence factors.

(3)

Une synthèse sur l’attachement au lieu : conceptualisation,

exploration et mesure dans le contexte de la consommation

INTRODUCTION

Dans la vie de tous les jours, les consommateurs fréquentent des lieux de consommation pour des motifs très variés. Si certains revêtent peu d’importance pour les consommateur, d’autres occupent au contraire une place prépondérante dans la vie de l’individu. Leur utilité ou leur accessibilité constitue une explication potentielle, mais il en existe d’autres : ces lieux rassurent, ils constituent un autre « chez-soi », ils sont authentiques... Aujourd’hui, les lieux de consommation ne sont pas simplement dépositaires de leur fonction d’échange de biens ou de services, mais constituent un espace premier d’expériences physiques, sociales ou plus personnelles qui éveillent des sentiments et participent à la construction du soi. Parmi tous les lieux qu’il fréquente, lesquels comptent vraiment pour le consommateur ? Comment alors qualifier la relation qui s’est instaurée entre ce consommateur et ces lieux spécifiques ? Dans la littérature et en dehors du monde académique, on utilise le plus souvent le terme d’attachement au lieu (place attachment) pour qualifier ce type de relation qui se développe indépendamment des qualités objectives du lieu.

De manière surprenante, cette forme de relation est très peu étudiée dans le champ du marketing : à notre connaissance, seules quatre recherches font référence à l’attachement au lieu (Belk, 1992 ; Gentric, 2005 ; Park et McInnis, 2006 ; Schultz-Kleine et Menzel-Baker, 2004), la plupart des travaux sur la relation entre le consommateur et son environnement commercial envisageant la relation affective de manière globale, sans référence à un état affectif particulier. Or, il est important de considérer chaque type de relation affective séparément, dans la mesure où chaque affect implique des mécanismes et des réponses comportementales différentes de la part du consommateur (Derbaix et Pham, 1989) : aborder la relation affective entre un individu et un lieu de consommation à travers le concept d’attachement au lieu permet de répondre à cette exigence théorique. Mobiliser le concept

(4)

d’attachement au lieu dans le champ du marketing est également pertinent au regard de la littérature dans la mesure où (1) de manière transversale, les travaux antérieurs soulignent le rôle de l’attachement au lieu dans l’explication de variables relationnelles au premier rang desquelles l’engagement vis-à-vis du lieu (Fried, 2000 ; Kyle, Absher et Graefe, 2003 ; McAndrew, 1998 ; Mesch et Manor, 1998 ; Sharpe et Ewert, 2000, Vaske et Kobrin, 2001 ; Wakefield et al., 2001) ; (2) l’attachement au lieu est un concept riche et qui bénéficie d’un réel engouement dans de nombreuses disciplines (47 articles recensés par l’auteur depuis 1990) ; (3) les questions du rôle symbolique du lieu et de sa participation à l’identité du consommateur s’inscrivent dans les axes de recherches définis par la Consumer Culture Theory (Arnould et Thompson, 2005).

La synthèse proposée dans cet article s’interroge donc sur la conceptualisation de l’attachement au lieu de consommation. Qu’est-ce que l’attachement au lieu de consommation ? Quels sont ses principaux mécanismes (formation, conséquences, facteurs d’influence) ? Comment peut-on le mesurer ? Concerne-t-il tous les lieux de consommation ? Pour répondre à ces questions, l’étude de ce concept a fait l’objet de trois principales étapes : - une analyse de la littérature, avec pour objectif de proposer une définition générique de

l’attachement au lieu de consommation ;

- une exploration qualitative des mécanismes de l’attachement au lieu, avec pour objectif de comprendre les ressorts de l’attachement au lieu et ainsi pallier le caractère parcellaire de la littérature ;

- le développement et la validation d’un instrument de mesure de l’attachement au lieu de consommation, avec pour objectif de l’utiliser dans le cadre de la validation statistique des hypothèses issues de la phase qualitative exploratoire.

Les résultats obtenus à l’issue de cette démarche empirique font ensuite l’objet d’une discussion.

ANALYSE DE LA LITTERATURE ET PROPOSITION D’UNE DEFINITION DE L’ATTACHEMENT AU LIEU DE CONSOMMATION

Après avoir précisé ce que nous entendons par lieu de consommation, nous nous intéresserons à la notion d’attachement, qui a fait l’objet de développements hors et dans le champ du marketing.

(5)

Les soubassements théoriques de l’attachement au lieu

Hors du champ du marketing, les recherches sur les relations entre l’individu et son environnement physique ne s’intéressent pas au lieu de consommation mais à la notion de lieu en général : le lieu se réfère théoriquement « à un espace auquel une signification a été donnée à travers des processus individuels, collectifs ou culturels » (Low et Altman, 1992, p. 5), abstraction faite de son périmètre, de sa taille ou de sa tangibilité. Les représentations du lieu dans les théories contemporaines en font donc un espace qui a du sens, formé par des interactions entre des individus et des contextes (physiques, sociaux, historiques…). En sont dès lors exclus les espaces qui laissent peu de place à la signification, à l’identification et à l’émotion qui en découle. Ces espaces, appelés non-lieux (Augé, 1992), intègrent souvent les grandes surfaces (marquées par l’uniformité, le passage, l’absence de personnalisation et d’ancrage dans le paysage), que les praticiens tentent de « réenchanter » en y initiant des expériences gratifiantes ou en théâtralisant l’espace (Sherry, 1998) afin de leur rendre le statut de lieu. Cependant, toute forme d’environnement commercial permettant de donner une valeur émotionnelle à l’expérience de consommation et auquel le consommateur attache une signification revêt le statut théorique de lieu. Dans ce contexte, passer de la notion de lieu à celle de lieu de consommation nécessite d’être plus restrictif et de se centrer sur des espaces organisés et « gérés ». Pour cela, nous nous appuyons sur la définition que Debenedetti (2003, p. 441) a établi pour les lieux de loisirs. Adaptée à notre contexte, cette définition fait du lieu de consommation un espace organisé (c’est-à-dire géré par une organisation) à l’intérieur duquel les individus adoptent des comportements associés à une expérience de consommation spécifique. Cette vision permet d’exclure des lieux de consommation les lieux où la consommation ne constitue qu’une éventualité. Elle permet également de ne pas s’inscrire dans un périmètre trop restreint (en limitant les lieux de consommation aux seuls lieux de vente par exemple).

En dehors de la question de la conceptualisation du lieu de consommation, il est important de faire un état des connaissances sur la manière dont l’attachement a été envisagé dans et en dehors de la sphère du marketing.

1

Debenedetti (2003) envisage les lieux de loisirs, qui peuvent être inclus dans notre définition du lieu de consommation, comme « un espace organisé (c’est-à-dire géré par une organisation) à l’intérieur duquel les individus adoptent des comportements associés au concept de loisirs ».

(6)

Dans le champ du marketing, il n’est gère question d’attachement au lieu. En revanche, le concept d’attachement a été mobilisé récemment pour expliquer la relation durable entre un consommateur et une marque, dans une perspective relationnelle (Cristau, 2001, Heilbrunn, 2001 ; Lacoeuilhe, 1997, 2000a, 2000b ; Park et McInnis, 2006 ; Thomson, McInnis et Park, 2005). On retrouve comme concepts centraux de l’attachement à la marque les notions de fidélité ou d’engagement qui sont au centre des préoccupations des fabricants désirant assurer la survie à long terme de leur marque. Ce champ de recherche nouveau puise ses origines dans un concept complexe, l’attachement, intégré dans de nombreuses réflexions allant de la compréhension des liens entre un petit enfant et sa mère (Ainsworth, 1973 ; Bowlby, 1969, 1979) à la quête du soi au travers de la possession de biens matériels (Belk, 1988, 1992 ; Csikszentmihalyi et Rochberg-Halton, 1981 ; Schultz-Kleine, Kleine III et Allen, 1995 ; Wallendorf et Arnould, 1988). Les points communs à ces travaux à l’origine des recherches sur la relation consommateur / marque résident dans la présence d’un lien affectif et d’une recherche de proximité psychologique ou identitaire à l’âge adulte. Le tableau 1 synthétise les caractéristiques centrales de ces différentes approches.

Tableau 1 – Les différentes approches de l’attachement Type

d’attachement

Sources théoriques Caractéristique principale

Autres éléments majeurs Attachement interpersonnel Relation mère-enfant (Bowlby, 1969) Comportement de recherche de proximité physique Transformation à l’âge adulte (proximité psychologique) Attachement aux possessions Fonction expressive de la consommation (Csikszentmihalyi. et Rochberg-Halton, 1981) Fonction identitaire : reflet du soi Présence si la source du lien est émotionnelle (Belk, 1992)

Attachement à la marque

Travaux précités sur l’attachement interpersonnel et l’attachement aux possessions

Relation affective durable avec une marque spécifique

Expression d’une proximité psychologique (Lacoeuilhe, 2000a, 2000b) ; expression d’une amitié et d’une dépendance (Cristau, 2001)

L’étude de l’attachement au lieu aurait pu se limiter à répliquer les travaux effectués récemment sur la marque et les adapter au contexte du lieu de consommation. La solution de la réplication est apparue inadéquate pour plusieurs raisons. Premièrement, la marque et le lieu sont des concepts de nature différente. Deuxièmement, les travaux sur l’attachement à la marque restent embryonnaires et peu consensuels. Troisièmement, le processus de formation

(7)

de l’attachement à la marque est largement influencée par la phase préachat alors que l’attachement au lieu se forme au travers de significations non nécessairement influencées par le marché. Enfin, a contrario de l’attachement à la marque, l’attachement au lieu est un concept autonome déjà bien ancré dans la littérature et de surcroît en plein renouveau. Ces différents constats militent en la faveur d’une analyse en profondeur de la littérature sur l’attachement au lieu : si l’attachement à la marque constitue un développement intéressant, une simple réplication à « l’objet-lieu » des recherches effectuées dans le cadre de la marque semble donc constituer un raccourci qui peut s’avérer inadapté et peu efficace en termes de création de connaissances nouvelles.

L’attachement au lieu comme variable affective

La littérature sur l’attachement au lieu est caractérisée par des approches très diverses en termes de disciplines (psychologie environnementale, sciences des loisirs, sociologie, géographie…), de méthodologies (observations, cas, entretiens, questionnaires…) et de terrain d’application (lieu de résidence, voisinage, ville, espaces naturels…). De surcroît , les lieux concernés diffèrent en termes de taille, d’expérience ou de tangibilité (Low et Altman, 1992). Ainsi, l’attachement au lieu ne dispose d’un véritable consensus ni du point de vue de sa définition, ni dans son approche méthodologique, ce qui rend son étude plus délicate (Hidalgo et Hernandez, 2001). La diversité des définitions données (Giuliani et Feldman, 1993) qui voient en l’attachement au lieu tantôt un concept très large pour désigner un système d’affects liés à l’environnement, tantôt un concept très spécifique qui décrit une relation purement affective entre un individu et un lieu, a ralenti la compréhension du concept. Aussi n’en existe-t-il pas de définition générique, ni de description précise de ses mécanismes.

Toutefois, si les points de vue et les définitions diffèrent d’une recherche à l’autre, il existe des visions dominantes dans chacune des principales disciplines qui s’intéressent au concept :  En sociologie, l’étude de l’attachement au lieu est née avec les travaux de Fried (1963) sur la relation des ouvriers du West End de Boston à leur lieu de résidence. Ce chercheur a constaté qu’en dépit des médiocres conditions de vie qu’offrait le West End, les populations déplacées souffraient d’un arrachement à leur quartier, exprimant des sentiments négatifs. Dans la plupart des travaux en sociologie, l’attachement au lieu (ou à la communauté) est un lien affectif, où l’aspect identitaire du lien est présent même s’il

(8)

n’occupe pas un statut très précisément défini. L’attachement au lieu est d’abord un lien social (Gerson, Stueve et Fischer, 1977 ; Mesch et Manor, 1998), la terminologie la plus employée étant « attachement à la communauté ». Cependant, d’autres facettes du concept, notamment sa facette physique sont évoquées par plusieurs auteurs (Fried, 2000 ; Hummon, 1992) ;

 En sciences des loisirs, les recherches sur l’attachement au lieu se sont développées en référence aux travaux de Williams et Roggenbuck (1989). Le concept comprend alors deux dimensions : la dépendance vis-à-vis du lieu (attachement fonctionnel, développé à partir des recherches de Stockols et Shumaker (1981) en psychologie environnementale) et l’identification au lieu (attachement émotionnel et identitaire, développé à partir des recherches de Proshansky (1978) et de Proshansky, Fabian et Kaminoff (1983) en psychologie environnementale également). De par le choix du terrain d’application (parcs nationaux, base de loisirs naturels) l’attachement au lieu passe d’abord par un attachement à l’environnement physique et à l’activité pratiquée sur le lieu ;

 En géographie humaine, l’attachement au lieu est un phénomène universel, qui traduit un ensemble de relations émotionnelles et symboliques entre l’individu et son environnement physique (Tuan, 1977). Il est utilisé pour décrire un aspect de la relation entre l’être humain et son milieu. Ainsi, il y a attachement dès que l’environnement peut être considéré comme un lieu, c’est-à-dire un espace qui a du sens ;

 La psychologie environnementale a la particularité de tenter d’intégrer le concept d’attachement au lieu dans un véritable champ. Plus de dix ans après l’ouverture interdisciplinaire proposée par l’ouvrage d’Altman et Low (1992), les recherches demeurent relativement cloisonnées, même si certains auteurs franchissent aujourd’hui les frontières des leur propre discipline pour alimenter la réflexion (Brown et Perkins, 1992 ; Chawla, 1992 ; Fried, 2000 ; Giuliani et Feldman, 1993 ; Hidalgo et Hernandez, 2001 ; Kaltenborn et Bjerke, 2002 ; McAndrew, 1998 ; Milligan, 1998 ; Rubinstein et Parmelee, 1992 ; Williams et al., 1992). L’attachement au lieu apparaît donc comme un lien affectif complexe, multidimensionnel, qui possède une fonction identitaire.

Le tableau 2 résume les différentes visions de l’attachement dans les principales littératures qui s’intéressent au concept.

(9)

Tableau 2. – Les approches de l’attachement au lieu en sociologie, sciences des loisirs, géographie et psychologie environnementale

Discipline Caractéristique principale Autres éléments majeurs Définition générique Sources théorique / référence Terrains d’application principaux Sociologie Lien à la communauté Investissement émotionnel # satisfaction

Aucune Fried (1963) Résidence, voisinage, communauté Sciences des loisirs* Lien de dépendance et d’identification Lien émotionnel et fonctionnel Aucune Identification : Proshansky (1978) Dépendance : Stockols et Shumaker (1981) Grands espaces naturels, résidences de vacances

Géographie Lien universel Lié au concept de lieu comme espace qui a du sens Aucune Relph (1976) Tuan (1974) Résidence, voisinage, communauté Psychologie env. Lien affectif et identitaire complexe Diversité des approches et volonté d’aller vers un cadre intégrateur

Aucune Altman et Low (1992)

Résidence, voisinage, communauté, ville

* Les références théoriques sur lesquelles les sciences des loisirs s’appuient (identification et dépendance / lieu) sont issues de la psychologie environnementale.

Cette multiplicité des approches n’a pas permis de consensus au niveau de la définition du concept. Cependant, leur mise en perspective laisse apparaître des dénominateurs communs : l’attachement au lieu est un lien qui s’instaure entre un individu et un lieu spécifique, quelle que soit sa catégorie ; l’attachement au lieu est une relation affective positive et identitaire, ces deux éléments étant difficilement dissociables pour tout un pan de la littérature. L’aspect affectif se manifeste négativement lorsque le lieu est soudainement dégradé ou indisponible, en particulier par le sentiment de tristesse (Chawla, 1992 ; Giuliani, 1991 ; Mesch et Manor, 1998) ; l’attachement au lieu est un lien qui a pour nature de durer (Giuliani et Feldman, 1993), même lorsque le lieu est dégradé (Fried, 1963) et varie au cours du temps à mesure que l’identité de l’individu se modifie ; de valence positive, l’attachement au lieu varie en intensité : il peut être modéré, fort, voire excessif (Hidalgo et Hernandez, 2001) ; enfin il revêt différentes formes, les plus fréquemment évoquées ou suggérées étant les formes sociale (lié aux autres personnes présentes sur le lieu…), physique (lié à l’aménagement, au décor…) ou personnelle (liées aux activités, qu’elles soient concrètes ou plus symboliques).

(10)

Synthétiquement, nous proposons donc la définition suivante. L’attachement au lieu de consommation est un lien affectif positif et identitaire de long terme entre un consommateur et un lieu de consommation spécifique. D’intensité variable, l’attachement au lieu de consommation se manifeste en particulier lorsque le lieu de consommation est soudainement modifié.

Dans le champ du marketing, si l’attachement au lieu ne fait pas l’objet de recherches, des comparaisons plus systématiques entre l’attachement à la marque et d’autres réactions affectives ayant une cible spécifique ont été réalisées (Lacoeuilhe, 2000b ; Thomson et al., 2005). Elles montrent que l’attachement est bien distinct de concepts tels que l’attitude, la préférence, la satisfaction, l’émotion ou l’implication. Ces conclusions constituent une base pertinente pour différencier l’attachement au lieu de concepts plus familiers en marketing, et peuvent être complétées. Par exemple, attachement au lieu et fidélité ne sont pas synonymes : si les deux concepts s’ancrent dans une perspective de relation à long terme, la fidélité n’est qu’éventuellement affective (et de surcroît affective et identitaire) et comporte une dimension comportementale centrale (Jacoby, 1975), absente dans le cas de l’attachement au lieu. On peut très bien s’attacher à un lieu jamais visité (Low et Altman, 1992). De même, l’engagement et l’attachement au lieu diffèrent, le premier concept étant caractérisé par une réaction volontaire absente dans le second. En outre, l’ensemble des travaux sur l’attachement au lieu, indépendamment du champ considéré, envisagent les diverses formes d’engagement répertoriées comme des conséquences éventuelles et distinctes de l’attachement au lieu (Fried, 2000 ; Mesch et Manor, 1998 : protection et préservation ; Vaske et Kobrin, 2001 : comportement environnemental responsable ; Wakefield et al., 2001 : action civique, etc.)

Si une définition du concept clairement distinctes des concepts connexes peut être donnée suite à la revue de la littérature, en revanche, force est de constater que l’on en sait peu concernant les mécanismes de l’attachement au lieu. Aujourd’hui encore, la littérature se focalise le plus souvent sur les caractéristiques du concept et rares sont les travaux portant sur les mécanismes qui régissent l’attachement au lieu (Kaltenborn, 1997). Si le concept connaît un regain d’intérêt depuis le début des années 90, les résultats obtenus sont cependant limités puisque la littérature ne dit pas clairement envers quels type de lieux les individus développent prioritairement un sentiment d’attachement, ni quelles sont précisément les dimensions qui composent cet attachement (Hidalgo et Hernandez, 2001). Ainsi,

(11)

l’attachement au lieu est un concept singulier mais dont les mécanismes demeurent peu connus : la question de la dimensionnalité reste à approfondir, les antécédents et les conséquences du concept n’ont fait l’objet que de rares investigations, les variables modérant la relation d’attachement entre un individu et un lieu doivent être validées… Plus précisément, retenons que :

 La régularité avec laquelle les variables temporelles sont intégrées dans les réflexions sur l’attachement au lieu tendrait à suggérer que le concept se développe plutôt dans le temps, même si certains chercheurs signalent que l’attachement au lieu peut survenir immédiatement (Feldman, 1990) ;

 Les résultats sont controversés sur le plan des facteurs qui influencent l’attachement au lieu aussi bien concernant le sexe (Hidalgo et Hernandez, 2001 ; Kaltenborn, 1997 ; Kyle, Graefe et Manning, 2004) que la mobilité de l’individu (Bell et al., 1996 ; Gustafson, 2001 ; Joseph et Chalmers, 1995). L’ensemble des recherches s’accorde toutefois sur leur influence ;

 L’engagement, la résistance au changement et la recherche de proximité sont des conséquences récurrentes et cohérentes dans les travaux analysés (Fried, 2000 ; Kyle, Absher et Graefe, 2003 ; McAndrew, 1998 ; Mesch et Manor, 1998 ; Relph, 1976 ; Sharpe et Ewert, 2000 ; Vaske et Kobrin, 2001 ; Wakefield et al., 2001).

Une clarification du concept s’avère donc nécessaire, les connaissances sur les mécanismes de l’attachement au lieu étant partielles.

UNE EXPLORATION DE L’ATTACHEMENT AU LIEU : LA CONSTRUCTION D’UN CADRE D’ANALYSE

Les constats sur les recherches antérieures, confortés par l’absence de travaux sur l’attachement au lieu dans le contexte de la consommation, justifient la mise en place d’une méthodologie qualitative destinée à décrire de manière fine l’attachement du consommateur au lieu de consommation. Les questions sous-jacentes sont les suivantes. Quelles sont les causes de l’attachement à un lieu de consommation ? Qu’implique pour l’individu le fait

(12)

d’être attaché ? Est-ce que des caractéristiques propres à l’individu ou liées à l’environnement exercent une influence sur l’attachement ?

L’utilisation de méthodes complémentaires

Afin de pallier le manque de données concernant les fondements de l’attachement au lieu de consommation, nous avons eu recours à plusieurs études qualitatives à visée exploratoire.

Deux méthodes ont été utilisées : l’introspection et les entretiens semi directifs. Le recours aux méthodes introspectives répond au besoin de générer des données pour construire un guide d’entretien qui ne soit pas uniquement basé sur les intuitions du chercheur. Suivant les recommandations de Richardson (1999), nous avons utilisé deux méthodes introspectives complémentaires : l’introspection du chercheur et les narrations introspectives de consommateurs. Pour répondre aux critiques dont ces méthodologies font l’objet en marketing (Wallendorf et Brucks, 1993), elles ont été utilisées complémentairement à des entretiens semi directifs. Particulièrement adaptés lorsque l’on cherche à fouiller un phénomène, ces entretiens ont non seulement permis de confirmer la présence des descripteurs ayant émergé dans la phase introspective mais encore de préciser, détailler chacun de ces descripteurs et de mieux les articuler les uns par rapport aux autres.

Deux populations ont été interrogées : des managers de lieux de consommation et des consommateurs. La mise en perspective des deux méthodologies introspectives a permis de faire émerger une première esquisse des variables liées au concept. La phase introspective a ensuite été complétée par une deuxième étape préliminaire. Celle-ci s’est appuyée sur des entretiens semi directifs de responsables de lieux de consommation à caractère hédoniste (par exemple un caviste, une librairie, un restaurant, un magasin de hi-fi) vers lesquels l’analyse des introspections nous a poussé. Pour avoir à la fois une vision stratégique et terrain, les managers interrogés sont le plus souvent (8 cas sur 9) à la fois créateurs et responsables du lieu de consommation géré au quotidien. Ces interviews ont permis d’appréhender l’attachement au lieu sous un prisme différent, et de montrer que si l’attachement au lieu avait un sens pour les managers, il existait surtout par sa dimension sociale. Les entretiens semi directifs avec les consommateurs ont constitué une étape décisive de cette étude qualitative exploratoire, de par la richesse des données collectées (le profil des managers et des consommateurs interviewés est disponible en annexe 1). Si peu de nouveaux descripteurs sont

(13)

apparus, les thèmes envisagés suite aux deux premières étapes de l’étude ont été largement complétés. Ces étapes, résumées dans le tableau 3, sont accompagnés du périmètre des lieux à propos desquels les répondants ont été interrogés.

Tableau 3 – Les étapes de la recherche qualitative

Etude 1a : introspections du chercheur 10 introspections écrites

Tous types de lieux

Etude 1b : narrations introspectives de consommateurs

39 introspections écrites

Tous types de lieux

Etude 2 : entretiens auprès de managers 9 entretiens semi directifs

Lieu de vente et de services hédonistes Etude 3 : entretiens auprès de consommateurs 17 entretiens semi

directifs

Tous types de lieux non privés

Un cadre intégrateur ayant émergé des analyses de contenu thématiques

Dans cette recherche, l’analyse de contenu thématique réalisée est principalement utilisée pour sa fonction heuristique (Bardin, 1998), c’est-à-dire dans sa dimension exploratoire. Cette étude qualitative exploratoire a ainsi permis de mettre à jour une série d’antécédents et de conséquences principales de l’attachement au lieu de consommation.

Cette phase exploratoire suggère que cinq variables principales sont à l’origine de l’attachement au lieu de consommation :

 Premièrement, l’authenticité perçue du lieu : cette variable représente la capacité du lieu à être sincère, vrai, honnête, transparent, autrement dit à ne pas jouer d’artifices. Le lieu authentique est également unique en son genre, comme le précise Camus (2004). C’est sans doute pour cette raison que plusieurs consommateurs évoquent dans la phase qualitative l’âme du lieu auquel ils sont attachés. Comme l’expliquent Cova et Cova (2002) au sujet des objets authentiques, ce mélange d’identité du lieu, d’unicité (les lieux de consommation évoqués dans la phase qualitative exploratoire sont « locaux », il ne s’agit pas d’enseignes) et de sincérité (les lieux de consommation évoqués dans notre

(14)

phase qualitative exploratoire possèdent finalement peu de dimensions marchandes) semble particulièrement propice à l’apparition d’un lien affectif et identitaire dirigé vers un lieu singulier : paradoxalement, l’aspect non-marchand du lieu compte beaucoup dans la sincérité perçue pour les consommateurs comme pour les managers, qui comprennent que certaines de leurs actions doivent être déconnectées de la démarche marketing ou commerciale ;

 Deuxièmement, le confort psychologique perçu dans le lieu, dont le terme a été emprunté à Appleyard (1979), associe les sentiments de bien-être, de liberté et de se sentir « comme chez-soi » ressentis dans le lieu de consommation. L’utilisation du terme unique de « confort psychologique » est notamment justifié par une co-occurrence des ces trois thèmes dans les données qualitatives ;

 Troisièmement, la capacité du lieu à faire revivre les événements du passé. Les études qualitatives successivement réalisées font émerger une idée forte : lorsque le lieu est capable de faire revivre des évènements, personnels ou collectifs, positifs mais aussi plus rarement négatifs, il peut susciter un attachement. Cette variable exprime donc la possibilité donnée par le lieu de consommation à établir des connexions avec le passé, sans pour autant faire écho aux connexions nostalgiques que Lacoeuilhe (2000a, 2000b) souligne dans ses travaux sur l’attachement à la marque. Ici, les consommateurs ne s’attachent pas à des lieux qui appartiennent à un passé révolu ;

 Quatrièmement, le sentiment de protection qui émane du lieu. Il est relatif à l’absence d’événements négatifs associés au lieu et au sentiment d’y être à l’abri. Ces notions de sécurité et d’abri sont complexes car elles englobent de nombreux aspects, comme des aspects physiologiques (besoin de se sentir physiquement à l’abri) ou utilitaires (besoin de sécurité économique). Le sentiment de protection comme antécédent à l’attachement au lieu est évoqué dans la littérature par Brown, Perkins et Brown (2003), qui trouvent que l’absence d’attachement au lieu de résidence proviendrait en partie d’une sensation d’insécurité ;

 Enfin, la familiarité perçue du lieu de consommation, déjà évoquée par Relph (1976) comme préalable à l’attachement au lieu. Dans notre phase qualitative, elle fait référence à la connaissance intime du lieu et la présence de repères pour le consommateur.

Des verbatim illustrant les thématiques principales ayant émergé de la phase qualitative exploratoire sont proposés dans le tableau 4. Précisons que cette phase qualitative montre

(15)

également que de nombreuses autres variables sont susceptibles d’exercer une influence directe sur l’attachement au lieu, mais de manière plus anecdotique.

Tableau 4 – Verbatim illustrant les antécédents de l’attachement au lieu

Verbatim *

C’est très difficile à qualifier d’un mot. Non y’a une certaine forme, ça rejoint un peu la sincérité, d’authenticité dans le lieu d’une certaine façon, de fidélité à un certain nombre de choses et de valeurs, quoi. Donc, ce serait plutôt ça : authenticité (rép. 9) / Tout ce que j’ai choisi ici, ça aurait pu être ma maison (…) C’est chez moi, c’est… Même si je suis pas propriétaire des murs, que je suis locataire, c’est chez moi, oui (man. 2) ; C’est comme une succursale de la maison, un peu, entre amis. Une sorte de maison commune (rép. 8) ; C’est certainement un des endroits où je me sens le mieux (…) Je sais pas si, si il faut essayer de la décrire plus avant, j’crois que c’est un sentiment de bien-être tout simplement. Et c’est vrai que je m’y sens particulièrement bien, c'est-à-dire complètement décontracté (rép. 1) ; C’est un lieu de grande liberté (rép. 14) / Moi ce qui compte, c’est en fait tout ce qui revient, à la fois du passé et tout ce que je peux continuer à vivre et à construire au présent dans ce lieu, quoi (rép. 9) / C’est un endroit, même des fois quand tu vas pas très bien, c’est un endroit quand t’as pas trop le moral ou un truc comme ça, c’est un endroit de… où tu te sens protégé (rép. 2) ; Je m’y sens un peu à l’abri, protégée de la folie du monde (narr. 39) ; Je les connais bien, que ce soient les montagnes, les rochers, les sentiers ou les villages, pour les avoir arpentés à gauche, à droite (rép. 13) ; C’est un pays que je connais intimement. Intimement les gens, intimement les paysages, la géographie, l’économie (rép. 15)

* narr. = narration introspective ; man. : entretien manager ; rép. : entretien consommateur

Cette étape qualitative suggère par ailleurs qu’au-delà de l’engagement vis-à-vis du lieu, souvent cité dans la littérature mais qui revêt ici des propriétés spécifiques2, l’attachement au

2

Dans notre phase qualitative, l’engagement vis-à-vis du lieu est synonyme d’aide, d’encouragements, de préoccupation pour la vie du lieu, d’expression du partage de valeurs, d’efforts et de sacrifices (comme le don de temps, d’argent ou la mobilisation de ses compétences pour soutenir le lieu). Ces caractéristiques complètent l’intention de retour (adaptation de l’intention d’achat qui caractérise l’engagement envers la marque, à l’origine de la terminologie que nous employons) à la base de la notion d’engagement dans le champ du marketing. Ici l’intention de retour est affirmée même si le lieu est dégradé. Dans la phase qualitative exploratoire, on note

(16)

lieu de consommation est à l’origine de réponses cognitives et comportementales récurrentes, notamment :

 Une fidélité « militante » de la part du consommateur, intégrant les notions de retour récurrent sur le lieu de consommation et de défense du lieu. Dans cette approche de la fidélité, loin de se limiter à une répétition de la visite doublée d’une attitude favorable, la fidélité « militante » signifie d’abord la volonté de ne pas « laisser tomber » le lieu : elle est synonyme de retour sur le lieu même après une longue période d’absence, même lorsque cela est contraignant (en termes de temps ou de distance). Il ne s’agit pas simplement d’un retour par inertie ou par habitude. Certains consommateurs trouvent même des parades pour continuer à fréquenter un lieu d’attachement (choix d’un lieu de résidence en fonction de l’emplacement géographique de celui-ci). Enfin le consommateur associe à cette fidélité la volonté de défendre le lieu, notamment verbalement lorsque celui-ci fait l’objet de critiques. Ainsi, la notion de fidélité est ici proche de celle de recherche de proximité qui se trouve au centre des théories de l’attachement interpersonnel (Ainsworth, 1973 ; Bowlby, 1969) et est reprise par certains sociologues et psychologues de l’environnement (Fried, 2000 ; Hidalgo et Hernandez, 2001) ;

 Un comportement d’ambassadeur, qui consiste non seulement à effectuer un bouche-à-oreille positif à propos du lieu de consommation mais également de se transformer en guide pour faire découvrir le lieu, en effectuant parfois une sélection des bénéficiaires de la découverte du lieu en question ;

 Une idéalisation du lieu, c’est-à-dire une tendance du consommateur (1) à croire que son propre sentiment vis-à-vis du lieu est partagé par tous et (2) à employer des superlatifs pour décrire le lieu de consommation. Certains consommateurs trahissent à l’oral et par certains gestes et attitudes une fascination pour des lieux qui peuvent sembler tout à fait anodins. Ainsi peut-on émettre l’hypothèse que les consommateurs, à mesure qu’ils s’attachent au lieu de consommation, vont avoir tendance à être imperméables aux côtés négatifs, à les nier, à réduire les arguments en défaveur du lieu etc. ;

 Un prolongement perçu de la durée de visite : le consommateur semble perdre la notion du temps dans le lieu consommation, de par son immersion dans l’expérience vécue. Le tableau 5 comprend les verbatim illustrant les conséquences présumées de l’attachement au lieu de consommation.

aussi la présence de la volonté de connaître les coulisses du lieu, l’envers du décor, qui témoigne d’une manière différente de l’engagement du consommateur).

(17)

Tableau 5 – Verbatim illustrant les conséquences de l’attachement au lieu

Verbatim *

Encore hier soir y’a une nana qu’est passée et elle m’a dit : ben voilà, j’ai posé ma démission, je rebosse dans un mois, c’est une nana qui vient super souvent, j’ai un mois de libre, j’te le dis, t’as mon numéro, j’te le laisse. Et si un jour t’as un problème, t’as besoin d’un coup de main, gratuitement hein, tu m’appelles et ça me ferait drôlement plaisir de vous aider. Parce que c’est un lieu qu’elle apprécie (man. 4) / J’y retourne régulièrement puisque j’y vais tous les 15 jours, 3 semaines. Quand j’étais en Lorraine, à Longwy, j’y retournais quand même assez régulièrement (rép. 15) ; [si c’était plus loin] Honnêtement, j’irai quand même (rép. 2) / Je fais un peu sa promotion, je vais le faire visiter (rép. 5) ; Moi je suis prêt à servir de guide (rires) si les gens sont intéressés et veulent découvrir ces lieux. Prendre les gens par la main si je puis dire et leur présenter les lieux que j’aime, pour faire partager (rép. 13) / J’ai pas vraiment d’idée de ce que je pourrais faire pour aider. Peut être faire des évènements, oui, pourquoi pas. Oui je pourrais me bouger les fesses pour cet endroit, oui, si c’était nécessaire (rép. 8) ; Je sais pas ce qu’on pourrait me proposer de plus, hein, de distribuer des tracts… d’envoyer des messages sur Internet, de devenir membre fondateur d’un club de soutien, je ne sais quoi, c’est-à-dire verser une obole pourquoi pas ? Je sais pas, un engagement de 30 abonnements par an, ce genre de choses par exemple. Puis au delà de ça, on peut toujours interpeller la municipalité ou je ne sais quoi (rép. 16) / C’est vraiment, à chaque fois que j’y suis, c’est bon, le paradis. Une sorte de lieu idéal (rép. 11) / Moi je peux rester une heure, deux heures la dedans, je vois pas le temps passer. C’est hallucinant, quoi (rép. 6)

* man. : entretien manager ; rép. : entretien consommateur

Comme l’illustre le tableau 6, il apparaît que l’attachement au lieu de consommation comporte trois principales dimensions : une dimension sociale, qui tourne autour de l’attachement aux personnes présentes sur le lieu (cette facette de l’attachement au lieu est plébiscitée par les managers3), une dimension physique qui tourne autour de l’aspect physique du lieu (attachement à l’aménagement ou au décor du lieu par exemple) et un aspect

3

A noter que cet aspect social de l’attachement au lieu fait écho à la conceptualisation théorique du lieu en géographie, où les acteurs sociaux constituent un élément du lieu au même titre que ses caractéristiques physiques.

(18)

personnel, plus difficile à appréhender, et qui est lié aux activités et aux autres expériences que le consommateur peut vivre sur le lieu (personnelles, symboliques…). Ces différents aspects de l’attachement au lieu apparaissent tantôt simultanément, tantôt indépendamment, et laissent supposer une corrélation entre les dimension du concept. Par ailleurs, si l’analyse qualitative permet de faire émerger des hypothèses relatives aux antécédents et aux conséquences de l’attachement au lieu de consommation, celle-ci ne permet en revanche pas d’associer précisément chacune des variables identifiées à une dimension particulière du concept : par conséquent, les mécanismes mis en évidence lors de cette phase exploratoire concernent l’attachement au lieu dans son caractère général.

Tableau 6 – Verbatim illustrant les dimensions de l’attachement au lieu

Verbatim *

Attachement a certains habitants spéciaux comme mes parents, ma famille, mes amis d’enfance (narr. 1) / Je crois que nous les limousins, nous sommes attachés à notre terroir, à nos paysages (rép. 12) / Moi, ce qui me plaît surtout, c’est de manger avec les acteurs, de leur parler à l’entracte, d’assister aux préparatifs, de pouvoir aller dans les loges, de faire complètement partie de ce théâtre finalement (rép. 17) / C’est agréable, quand on part de chez-soi le matin et qu’on y re-rentre le soir, de trouver dans la journée un endroit où on sent cette euh… un attachement. Par exemple, y’en a qui rentrent, y veulent la même table, tu vois une espèce… Tu vois comme ceux qui ont leur rond de serviette à la place à table, tu vois, c’est leur cantine, leur euh… Ils trouvent différentes formes d’attachement au lieu. Soit la table, soit l’espace, soit le fait de venir régulièrement pour partager un verre, qui, avec un ami. (man. 1)

* man. : entretien manager ; rép. : entretien consommateur

A titre exploratoire, les facteurs d’influence susceptibles de peser sur les relations entre l’attachement au lieu et ses antécédents ont été ajoutés dans le cadre conceptuel. Ils sont extraits de la littérature et trouvent un faible écho dans la phase qualitative exploratoire. Il s’agit de l’historique de fréquentation du lieu, de la fréquence de visite, de l’âge et du sexe du consommateur, enfin de sa satisfaction vis-à-vis du lieu. Ajoutons que l’attachement au lieu de consommation semble peu influencé par des variables commerciales : d’une part, les commerces alimentaires sont complètement absents de cette collecte de données ; d’autre part

(19)

le prix ou la proximité du lieu sont rarement évoqués, et ne semblent pas jouer de rôle dans le processus d’attachement.

Sans entrer dans le détail, cette phase qualitative exploratoire a permis d’aboutir à un cadre conceptuel au centre duquel se situe l’attachement au lieu de consommation. Il est représenté dans la figure 1.

Figure 1. Cadre conceptuel de l’attachement au lieu de consommation

UNE APPROCHE QUANTITATIVE DES MECANISMES DE L’ATTACHEMENT AU LIEU DE CONSOMMATION

Afin de compléter notre première approche du concept d’attachement au lieu dans le contexte de la consommation, nous avons souhaité tester statistiquement les relations entre les différentes variables du cadre conceptuel. Pour cela, nous avons développé un instrument de mesure de l’attachement au lieu de consommation, et ce, en raison de l’absence d’outils satisfaisants proposés par la littérature : en effet, il n’existe pas d’échelle standardisée (Williams et al., 1992) et les instruments de mesure proposés comportent de nombreuses faiblesses : absence de définition précise, intégration de la dépendance dans la mesure de l’attachement, validité faciale non établie et utilisation d’items tautologiques ou faisant référence à des concepts très différents au sein d’une même dimension.

• Authenticité perçue du lieu • Confort psychologique perçu dans le lieu

• Capacité à faire revivre les événements du passé • Sentiment de protection donné par le lieu

• Familiarité perçue vis-à-vis du lieu Attachement au lieu • Social • Physique • Personnel • Historique de fréquentation • Fréquence de visite

• Engagement vis-à-vis du lieu • Comportement d’ambassadeur • Fidélité « militante »

• Prolongement perçu de la durée de visite • Idéalisation du lieu

• Âge • Sexe

Satisfaction vis-à-vis du lieu • Authenticité perçue du lieu

• Confort psychologique perçu dans le lieu

• Capacité à faire revivre les événements du passé • Sentiment de protection donné par le lieu

• Familiarité perçue vis-à-vis du lieu Attachement au lieu • Social • Physique • Personnel • Historique de fréquentation • Fréquence de visite

• Engagement vis-à-vis du lieu • Comportement d’ambassadeur • Fidélité « militante »

• Prolongement perçu de la durée de visite • Idéalisation du lieu

• Âge • Sexe

(20)

La construction d’un outil de mesure

Bien que le paradigme de Churchill (1979) ait fait l’objet de critiques (Rossiter, 2002) justifiées notamment par la nécessité d’introduire davantage de réflexion qualitative dans le développement et la validation des échelles, le développement et la validation de l’instrument de mesure de l’attachement au lieu de consommation repose sur cette procédure car elle établit clairement les étapes de construction de l’échelle et préconise des tests permettant de souligner les qualités psychométriques de la mesure (fiabilité et validité).

Les étapes de la procédure de Churchill (1979) utilisée pour l’échelle de mesure de l’attachement au lieu sont synthétisées dans le tableau 7.

Tableau 7 – Synthèse des étapes du paradigme de Churchill (1979)

Etape du paradigme Description

Définition du construit Conceptualisation issue de la littérature et de la phase qualitative exploratoire

Elaboration d’un échantillon d’items

Rédaction des items à partir des études qualitatives : méthodes introspectives, entretiens auprès de managers et entretiens auprès de consommateurs

Epuration théorique de la mesure

Recours au jugement de 8 experts en comportement du consommateur. Modification suite à cette expertise et revalidation d’une version épurée de l’échelle par 3 autres experts en marketing, issus du milieu académique et managérial

Epuration statistique de la mesure

Réalisation d’analyses factorielles exploratoires et calcul de l’Alpha de Cronbach (collecte 1 : 168 individus)

Vérification de la structure factorielle de l’échelle

Réalisation d’analyses factorielles confirmatoires (collecte 2 : 517 individus)

Estimation de la fiabilité de l’échelle

Calcul de l’Alpha de Cronbach et du coefficient de cohérence interne (Rhô de Joreskog)

Estimation de la validité de l’échelle

Calcul de la validité convergente et vérification de la validité discriminante (procédure de Fornell et Larcker, 1981)

(21)

De manière synthétique, après que les experts sollicités aient permis de passer des 55 items initiaux à 26 items supposés être représentatifs de l’attachement au lieu de consommation, deux collectes de données ont été administrées via un questionnaire en ligne, afin de faire apparaître et de confirmer la structure factorielle de l’échelle. Le recours à un questionnaire administré via Internet a permis de collecter rapidement et efficacement des données auprès d’une population variée en termes d’âge et de sexe, variables susceptibles d’intervenir en tant que modératrices du lien entre l’attachement au lieu de consommation et ses antécédents.

La première collecte de données (n=168) a permis de faire émerger de façon spontanée la structure factorielle de l’échelle (à l’aide d’une rotation oblimin) et d’épurer l’instrument de mesure (l’échelle passant alors de 26 à 15 items) ; la structure obtenue expliquant 69,7% de la variance avec 3 dimensions. La deuxième collecte de données, qui constitue également notre échantillon final (n=517), nous a permis de valider la structure factorielle issue de la première collecte. La structure et les modalités de cet échantillon final sont précisés dans le tableau 8.

Tableau 8 – Structure et modalités de l’échantillon final (n=517)

Structure de l’échantillon

Variables nominales Modalités Fréquences

Sexe  Femme

 Homme

 n= 290 (56.1%)  n= 227 (43.9%) Catégorie de lieux choisis  Lieu de sortie (bar, restaurant, boite de nuit etc.)

 Lieu de sport/détente (stade, parc, base loisir etc.)  Lieu de culture (cinéma, musée, spectacles etc.)  Magasin ou commerce alimentaire

 Lieu de vente ou service « hédoniste »

 Autres (sites naturels, villes, lieux de travail etc.)

 n= 120 (23.2%)  n= 84 (16.2%)  n= 88 (17.0%)  n= 93 (18.0%)  n= 101 (19.5%)  n= 31 (6.0%) Variables quantitatives Minimum / Maximum Moyenne

Age  Minimum= 17

 Maximum= 76

 36 ans

Modalités de la construction de l’échantillon

Type d’échantillon  Echantillon de convenance, créé par effet « boule de neige »

Administration questionnaire  Via un questionnaire en ligne, disponible à l’adresse Internet suivante :

http://alain.debenedetti2.free.fr) Durée de la collecte  7 jours (1021 connexions)

Après avoir soumis l’échantillon (n=517) à une Analyse en Composante Principale, qui a permis de retrouver la structure initiale avec 74,5% de variance expliquée et les 3 mêmes dimensions, nous avons réalisé une Analyse Factorielle Confirmatoire à l’aide du logiciel AMOS. Il s’agit alors de voir, à l’aide d’un modèle d’équations structurelles, si les facteurs du

(22)

construit sont convenablement représentés par les observations issues de la population étudiée (Roussel et al., 2002). Les indices d’ajustement classiques n’étant pas tout à fait satisfaisants, un processus itératif comparable à celui effectué dans une ACP a été effectué. Reposant sur l’appréciation de critères statistiques mais également qualitatifs, il a permis d’obtenir une qualité d’ajustement satisfaisante (cf. tableau 9) avec une solution comprenant 3 dimensions et 11 items (cf. annexe 2).

Tableau 9 – Indices d’ajustement du modèle d’équations structurelles avec 11 items Indices d’ajustement du modèle Seuil acceptable Valeur observée

Chi deux Le plus proche de 0 (p associé) Chi deux (41) = 150,716 (p<0,000) GFI >0,9 0,949 AGFI >0,9 0,918 RMSEA <0,08 0,072 Indices d’ajustement absolus SRMR <0,05 0,046 NFI >0,9 0,962 TLI >0,9 0,963 Indices incrémentaux CFI >0,9 0,972 Chi deux normé <5 (2 si possible) 3,67 Indices de parcimonie

CAIC <CAIC modèle saturé 331,917<478,371

Les qualités de l’échelle de mesure obtenue ont ensuite été démontrées :

 L’échelle d’attachement au lieu de consommation est fiable : la valeur de l’Alpha de Cronbach est de 0,898 et celle du Rhô de Joreskog, qui est moins sensible au nombre d’items de l’échelle et intègre les termes d’erreurs, est de 0,962 ce qui est très satisfaisant, l’usage étant de considérer le construit comme fiable lorsque cet indice dépasse 0,7 (Fornell et Larcker, 1981) ;

 L’instrument de mesure proposé est valide : nous avons en effet accumulé les preuves de l’efficacité de cet instrument de mesure. D’abord, la validité faciale a été assurée en ne conservant que les items jugés représentatifs par les 8 experts sollicités. Ensuite, les validités convergentes et discriminantes ont été établies en utilisant la procédure de Fornell et Larcker (cf. annexe 3). Enfin, des corrélations bivariées ont permis de donner de premiers indices de validité nomologique, étayés ensuite par la validation des tests statistiques permettant d’établir un lien significatif entre l’attachement au lieu de consommation et chacune de ses conséquences présumées.

(23)

Nous disposons donc d’un outil de mesure efficace pour tester les liens supposés entre les différentes variables ayant émergé de la phase qualitative exploratoire (et dans une moindre mesure, issues de la littérature) et notre concept.

Analyser les déterminants et l’influence de l’attachement au lieu de consommation

Une fois l’instrument de mesure développé, il s’est enfin agi de tester les liens entre les différentes variables du cadre conceptuel, qui correspondent à trois thèmes principaux :  Qu’est ce qui conduit un consommateur à s’attacher à un lieu de consommation ?

 Quelle est l’influence de l’attachement au lieu sur les intentions et les comportements du consommateur, en dehors et dans le lieu de consommation ?

 Existe-t-il des éléments qui interagissent avec les antécédents de l’attachement au lieu de consommation et conduisent à en modifier l’intensité ?

Quinze hypothèses sont testées en utilisant les analyses de régression multiple : les hypothèses H1 à H5 (partie gauche du cadre conceptuel) correspondent au test des hypothèses concernant les antécédents de l’attachement au lieu ; les hypothèses H6 à H10 (partie droite du cadre conceptuel) correspondent au test des hypothèses concernant les conséquences supposées de l’attachement au lieu de consommation ; enfin les hypothèses H11 à H15 correspondent aux hypothèses relatives aux modérateurs des liens entre l’attachement au lieu de consommation et ses antécédents. Notons qu’en l’absence d’éléments théoriques nous permettant d’éliminer des relations entre les différentes variables du cadre conceptuel, les hypothèses ont été systématiquement testées sur chacune des dimensions du construit. L’annexe 4 présente les hypothèses testées de manière synthétique.

On peut résumer les résultats comme il suit (Les tableaux relatifs aux principales relations validées d’un point de vue statistique sont disponibles en annexe 5) :

 Concernant les antécédents : l’authenticité et le confort psychologique perçus jouent un rôle majeur dans la mesure où ils agissent significativement sur toutes les dimensions de l’attachement au lieu de consommation. La capacité à faire revivre les événements du passé n’influence pas significativement la dimension physique du construit, le sentiment de protection qui émane du lieu ne joue pas sur la dimension sociale de l’attachement au

(24)

lieu. Enfin, la familiarité perçue a un impact limité sur l’attachement au lieu : elle ne concerne que sa dimension sociale ;

 Toutes les hypothèses concernant les conséquences de l’attachement au lieu de consommation sont validées. C’est la dimension physique du construit qui contribue à expliquer le plus fortement les réponses cognitives et comportementales du consommateur ;

 Les hypothèses concernant les variables modératrices sont dans l’ensemble rejetées, ce à quoi l’on pouvait s’attendre compte tenu de leur caractère exploratoire.

Fort de ces premiers résultats concernant les mécanismes de l’attachement au lieu de consommation, il s’agit de faire un premier bilan sur les apports de ce concept au marketing et souligner les apports de cette recherche et les pistes pour de futurs travaux.

DISCUSSION : APPORTS, LIMITES ET VOIES DE RECHERCHE LIES A L’IMPORTATION DE L’ATTACHEMENT AU LIEU DANS LE CHAMP DU MARKETING

Cette recherche a pour objectif de réaliser une synthèse sur le concept d’attachement au lieu, en soulignant la pertinence de sa mobilisation dans le champ du marketing, et sa contribution à l’explication des liens affectifs entre les consommateurs et les lieux de consommation qu’ils fréquentent. A l’issue de cette recherche, quel bilan dresser d’un point de vue théorique et managérial ? Quelles voies de réflexion pour de futurs travaux, compte tenu des limites de cette première recherche ?

Un concept qui contribue à mieux connaître les liens affectifs entre un consommateur et un lieu de consommation

L’importation du concept d’attachement au lieu dans le champ du marketing est pertinent : en effet, la littérature en fait un antécédent de variables relationnelles importantes dans la gestion de la relation client, ce que confirment les études qualitatives et quantitatives effectuées. Ainsi l’attachement au lieu fait du consommateur un ambassadeur du lieu parlant positivement du lieu autour de lui et allant jusqu’à se faire bénévolement guide du lieu auquel il s’attache. Il est fidèle au lieu, même lorsque cela est contraignant (en raison de la distance qui l’en sépare, par exemple) et a minima le défend par la parole. De plus, il est engagé vis-à-vis de ce lieu :

(25)

non seulement a-t-il l’intention de continuer à le fréquenter, mais il est prêt à faire des sacrifices pour cela. Comprendre les déterminants de l’attachement au lieu de consommation est donc intéressant pour le chercheur comme pour le manager qui cherche à créer des liens différents avec les personnes qui fréquentent le lieu qu’il gère.

Les études qualitatives puis quantitatives effectuées montrent (1) que tous les antécédents de l’attachement au lieu n’ont pas la même importance dans l’explication des différentes dimensions du construit, et (2) que l’impact de la dimension physique de l’attachement au lieu est le plus important en termes de comportements et d’intentions du consommateur. Mais ces études vont plus loin, en montrant que :

 Premièrement, chaque dimension du construit est prioritairement expliquée par un antécédent différent. Ainsi, la dimension sociale de l’attachement au lieu de consommation est d’abord expliquée par la « capacité du lieu à faire revivre les événements du passé », la dimension physique par « l’authenticité perçue du lieu » et la dimension personnelle par le « confort psychologique perçu ». Il est donc important d’appréhender l’attachement au lieu dans son caractère dimensionnel ;

 Deuxièmement, l’intensité de l’attachement au lieu de consommation varie en fonction de la catégorie de lieu considérée4. Par exemple, les lieux qui génèrent les plus faibles attachements sont les lieux de courses alimentaires comme les hypermarchés ; à l’opposé ceux qui génèrent les plus forts attachements sont les lieux de sortie, comme les bars ou les restaurants. La question de l’utilisation de cette variable se pose donc en fonction de la nature du lieu géré. N’est-il pas plus approprié lorsque le lieu revêt un caractère très fonctionnel d’essayer de fidéliser ses clients par l’intermédiaire de leviers utilitaires et non affectifs ?

 Troisièmement, les liens entre les variables du modèle diffèrent en fonction de la catégorie de lieu considérée : si l’antécédent principal pour les lieux de courses alimentaires est le « confort psychologique perçu », « l’authenticité perçue » constitue l’antécédent principal

4

L’analyse des réponses des consommateurs lors des phases qualitatives et quantitatives de la recherche a permis d’identifier cinq grands groupes de lieux de consommation : les lieux de sortie (bars, restaurants…), les lieux de sport, détente et loisirs de plein air (infrastructures sportives, lieux de promenade, bases de loisirs…), les lieux de culture (cinémas, salles de spectacles, musées…), les lieux de courses alimentaires (grandes surfaces, marchés, commerce de proximité…), les lieux de vente et de service hédonistes (produits culturels, textile, mode…)

(26)

lorsqu’il s’agit des lieux de sortie. Ce résultat montre que la manière de susciter l’attachement au lieu dépend de la catégorie de lieu considérée : prendre simplement en compte la dimension de l’attachement au lieu ne suffit pas si l’on cherche à manipuler cette variable ;

 Enfin, les relations testées sur les dimensions restent globalement valides lorsque l’on considère le construit de manière générale, ce qui revêt un sens d’un point de vue théorique comme statistique. On peut donc envisager de construire un outil de mesure synthétique de l’attachement au lieu de consommation, qui pourrait être utilisé dans des travaux de recherche où ce concept revêt un caractère périphérique.

Au-delà des apports théoriques liés à la connaissance de l’attachement au lieu dans le contexte de la consommation, nous apportons une contribution managériale. Premièrement en montrant que susciter un attachement n’est pas utile pour tous les lieux de consommation : seuls les lieux de consommation pour lesquels la relation compte autant que la transaction, pour lesquels la clientèle est récurrente et non de passage, et enfin pour lesquels le manager possède une vraie marge de manœuvre pour personnaliser le lieu et susciter émotion et identification de la part du consommateur, ont intérêt à faire appel à ce construit. Deuxièmement, en proposant des actions concrètes permettant d’influencer l’attachement à un lieu de consommation, en tenant compte de la nature du lieu et de la dimension de l’attachement sur laquelle le manager souhaite s’appuyer. Prenons un exemple. Il est opportun pour un manager souhaitant donner des marques d’authenticité physique à un lieu de consommation d’intégrer dans le lieu des éléments physiques « non marchands ». C’est le cas de la librairie « Imagigraphe », qui a créé un « bar à livres » où le client est invité à s’attabler pour consulter des ouvrages ; ou du cinéma « Le Studio 28 » qui accueille les visiteurs avec un grand tapis rouge et des moulages de mains d’acteurs célèbres et en cohérence avec la programmation proposée ; enfin de la Brasserie Chartier où un « rond de serviette » est attribué à chaque client. Enfin, nous soulignons que l’attachement au lieu pose la question de la standardisation. En effet, attacher le consommateur, c’est donner plus de pouvoir au manager au niveau local, ce qui passe, d’une part, par une inversion de l’idée de personnalisation (c’est le manager qui crée une proposition personnelle et non qui personnalise la réponse à une demande client), d’autre part, par la compréhension d’une demande d’expérience authentique, unique, et non marchande de la part du consommateur.

(27)

Limites et pistes pour de futures recherches

Ce travail comporte un certain nombre de limites. D’un point de vue théorique, on peut regretter une trop grande restriction au niveau des variables issues de la phase qualitative exploratoire, comme l’absence de variables de personnalité, susceptibles d’intervenir de différentes manières dans le cadre conceptuel : le cadre conceptuel pourrait donc faire l’objet d’un approfondissement. Nous n’avons par ailleurs ni pris en compte le caractère collectif de l’attachement au lieu, ni mis l’accent sur l’offre de biens ou de services des lieux de consommation. Or, on ne peut écarter l’hypothèse d’une interaction entre le lieu de consommation et l’offre qu’il propose. Un lieu de consommation auquel un individu s’attache parce qu’il est authentique peut-il par exemple commercialiser des produits qui ne le sont pas ? Ne peut-on pas envisager qu’il existe un effet de halo du lieu sur l’offre : si le lieu est authentique, l’offre ne l’est-elle pas nécessairement pour certains consommateurs ? Ou à l’inverse : étant donné l’authenticité de l’offre, le lieu n’est-il pas nécessairement authentique aux yeux de certains ? D’un point de vue méthodologique. L’outil de mesure du construit aurait pu être amélioré, notamment en proposant un outil synthétique permettant de mesurer l’attachement au lieu dans son caractère général. Par ailleurs, le manque de diversité en termes de catégories de lieux de consommation tend à restreindre la portée générale de nos conclusions.

En dehors de recherches complémentaires destinées à pallier les limites précédemment évoquées, on pourrait envisager de nombreuses autres pistes pour de futurs travaux.

Nous nous sommes focalisés sur les antécédents du construit. Il serait intéressant de regarder si l’attachement au lieu et l’idéalisation qui l’accompagne ne suscitent pas des réactions cognitives et comportementales dysfonctionnelles dans le choix et le vécu d’un lieu de consommation. L’attachement au lieu biaise-t-il l’évaluation du lieu par le consommateur ? Implique-t-il des choix inattendus ou irrationnels en termes de fréquentation ? Provoque-t-il des réactions exacerbées, positives, ou négatives si le lieu d’attachement est à l’origine de déceptions répétées ? Il serait également intéressant de mettre en perspective l’attachement à la marque (par l’intermédiaire de l’enseigne) et l’attachement au lieu, dans la mesure où de nombreux lieux de consommation sont fédérés par une enseigne : on pourrait s’interroger sur la manière dont les deux concepts s’articulent et en étudier les effets d’interaction ou de halo ;

(28)

on pourrait aussi comparer les effets de ces deux concepts distincts sur certaines variables relationnelles ou commerciales. Enfin, on pourrait envisager d’étudier l’attachement au lieu différemment : en interrogeant le consommateur sur son identité et laisser les lieux émerger de son discours ; en s’intéressant à d’autres populations, comme par exemple les adolescents, et voir si les mécanismes de l’attachement au lieu restent les mêmes ; enfin, il serait intéressant d’exporter la notion d’attachement au lieu à d’autres champs de la gestion, comme les ressources humaines, dans la mesure où l’attachement des personnes qui travaillent dans un lieu de consommation pourrait indirectement se répercuter sur les consommateurs qui fréquentent ce lieu. Ou bien, de façon plus générale encore, l’attachement au lieu de travail pourrait avoir des répercutions par exemple sur la fidélité des employés.

En conclusion, nous constatons donc qu’outre permettre de mieux expliquer les relations entre un consommateur et son environnement commercial, le concept d’attachement au lieu peut être mobilisé dans d’autres champs de la gestion, au-delà de la sphère du marketing : il constitue donc un thème de recherche prometteur.

(29)

Bibliographie

Ainsworth M.D.S. (1973), The development of infant – mother attachment, in. Caldwell B.M. et Ricciuti H.N., Review of Child Development Research, 3, 1-94.

Altman I. et Low S. (1992), Place Attachment, New York, U.S.A: Plenum Press.

Appleyard D. (1979), Home, Architectural Association Quarterly, 2, 4-20.

Arnould E.J. et Thompson C.J. (2005), Consumer Culture Theory (CCT): twenty years of research, Journal of Consumer Research, 31, March, 868-882.

Augé M. (1992), Non-lieux : Introduction à une Anthropologie de la Surmodernité, Seuil, Paris.

Bardin L. (1998), L’analyse de Contenu, Paris, P.U.F.

Belk R.W. (1988), Possessions and the extended self, Journal of Consumer Research, 15, September, 139-168.

Belk R.W. (1992), Attachment to possessions, in Altman I. et Low S.M. (Eds), Place Attachment, Plenum Press: New York, 37-61.

Bell P., Fischer A., Baum J. et Greene T. (1996), Environmental Psychology, 4ème Ed., Harcourt Brace College Publishers: Orlando.

Bowlby J. (1969), Attachment and Loss, Vol. 1: Attachment, London : Hogart.

Bowlby J. (1979), The Making and Breaking of Affectional Bonds, London : Tavistock Publication.

Brown B. et Perkins D.D. (1992), Disruption in place attachment, in Altman I. et Low S.M. (Eds), Place Attachment, Plenum Press: New York, 279-302.

Figure

Tableau 1 – Les différentes approches de l’attachement  Type
Tableau 2. – Les approches de l’attachement au lieu en sociologie, sciences des loisirs,  géographie et psychologie environnementale
Tableau 3 – Les étapes de la recherche qualitative
Figure 1. Cadre conceptuel de l’attachement au lieu de consommation
+4

Références

Documents relatifs

tion avec le charbon du mélange d’iodate et d’iodure de potassium ) ce chimiste, à l’article Iodure de sodium, a donné comme exécutable le même procédé; c’est aussi

Ainsi, lorsque la proportion de cadres est élevée dans le quartier de travail les rapports sociaux sont évalués comme plus satisfaisants (M= 1.82 vs M= 2.28 - test HSD, p&lt;.06),

[r]

Notre recherche s'inscrit dans le cadre de la théorie de l’attachement au lieu (&#34; Theory of Place Attachment &#34;) élaborée par Shumaker et Taylor (1983) et enrichie par

 Cet outil d’aide à la tâche vise à favoriser et à optimiser l’utilisation du guide d’intervention pour soutenir le développement de l’attachement sécurisant

1. La sécurité de l’attachement à l’adolescence et pendant l’enfance prédisait de façon significative la sécurité de la représentation de l’attachement et de l’association

am am è è nent les nent les caregivers caregivers aux enfants afin de aux enfants afin de faire cesser ces comportements. faire cesser

Séparation parent-enfant insécure tend à être expéditive Réunion mère-enfant insécure tend à être conflictuelle Réunion mère-enfant sécure teintée d’affect.. Différence