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Les mouvements nordicistes des années 1880-1940: encore un cosmopolitisme?

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Les mouvements nordicistes des années 1880-1940 :

encore un cosmopolitisme ?

INTRODUCTION

En 1989, le philosophe Etienne Balibar publia dans la revue Mots un article au titre volontairement provocateur : « Le racisme : encore un universalisme »1. Il y démontrait que le racisme contemporain ne doit pas

être considéré seulement comme un mode de pensée clivant, séparant l’espèce humaine en groupes à jamais irréductibles les uns aux autres, mais qu’il produit aussi des communautés nouvelles, des humanités idéales qui dépassent les frontières étatiques, et grâce auxquelles les racistes ont la satisfaction illusoire de savoir qui ils sont et de mieux comprendre le monde.

Je souhaiterais pour ma part reprendre cette formule d’Etienne Balibar en la modifiant légérement, pour me demander si le racisme d’inspiration darwinienne, qui a profondément imprégné les mentalités occidentales à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, ne possèderait pas également

une dimension « cosmopolite ». Bien sûr, nous avons jusqu’à présent toujours associé le cosmopolitisme aux principes de tolérance, d’ouverture à l’étranger, de pacifisme – autant de vertus généralement considérées comme progressistes, et dites « de gauche ». Pourtant, il existe une autre forme de cosmopolitisme, qui prêche lui aussi le pacifisme, mais en se référant à des principes anthropologiques fondamentalement différents de ceux du premier : un cosmopolitisme d’extrême-droite, qui appelle à dépasser les frontières au nom d’une valeur suprême, la race.

Ce cosmopolitisme raciste s’est manifesté tout particulièrement parmi les penseurs « nordicistes » – néologisme formé à partir de l’adjectif nordique. Ces intellectuels originaires d’Europe ou des Etats-Unis, travaillaient comme écrivains, journalistes, artistes, philosophes, anthropologues, médecins, etc., jouissaient parfois d’une certaine notoriété dans leur pays, et partageaient tous une même conviction : celle de la supériorité naturelle de la race dite « nordique ».

1 Etienne BALIBAR : « Le racisme : encore un universalisme », in Mots, mars 1989, n°18, p.7-20.

Cet article est l’adaptation française d’une conférence donnée à New York sous le titre : « Racism as Universalism ».

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Le chef de file de ce courant de pensée fut l’Allemand Hans Friedrich Karl Günther2, un écrivain qui commençait tout juste à suivre de cours

d’anthropologie dans différentes universités lorsqu’il publia sa grande Raciologie du peuple allemand3. L’ouvrage connut un tel succès qu’il se

vendit à des centaines de milliers d’exemplaires entre 1922 et 1945, et qu’il devint un livre de référence pour toute une génération d’Européens intéressés par les questions raciales.

Après avoir épousé une Norvégienne, Günther travailla à l’Institut d’Etat suédois de biologie raciale sous la direction de l’anthropologue Hermann Lundborg. En 1930, il obtint une chaire d’anthropologie sociale à Iéna, puis fut nommé en 1935 Professeur de raciologie à Berlin. Proche du parti national-socialiste, auquel il n’adhèra toutefois pas, il obtint de nombreuses distinctions honorifiques et exerça une influence certaine sur la politique raciale du Troisième Reich. Comme nous allons le montrer, Günther se trouva au centre du réseau d’intellectuels nordicistes : il fut membre de leurs organisations, rédigea de nombreux articles pour leurs revues, et favorisa leurs rencontres.

Curieusement, parce qu’ils étaient convaincus de la nécessité de protéger la race nordique de la décadence et d’œuvrer à sa propagation, les penseurs nordicistes se donnèrent pour modèle la race même qu’ils craignaient, détestaient, mais aussi admiraient le plus en raison de ses pratiques endogamiques: la race juive. Ainsi le généticien allemand Fritz Lenz, qui jouera plus tard un rôle essentiel dans l’adoption des lois d’hygiène raciale du Troisième Reich, proposa-t-il aux Allemands pratiquer un « sionisme » germanique :

« Jusqu’à présent, [les Germains] n’ont rien de comparable au mouvement sioniste, porté par un extraordinaire idéalisme. Le sionisme tend à rassembler les Juifs de tous les pays, au-delà des frontières d’Etat et de langue. […] L’ardent nationalisme racial des sionistes […] contribue activement à un renouveau, positif, de la race et de la culture juives. Serions-nous à ce point inférieurs aux Juifs qu’il nous serait impossible de faire comme eux ? Alors, au moins, apprenons quelque chose d’eux ! »4

2 Cf. Anne QUINCHON-CAUDAL : « GÜNTHER Hans Friedrich Karl, 1891-1968 », in Pierre-André TAGUIEFF (dir.) : Dictionnaire historique et critique du racisme, PUF, 2013, p. 807-809 ; Liliane CRIPS : « Hans F.K.Günther (1891-1968). Un idéologue du « nordisme » », in Sexe et Race. Discours et formes nouvelles d’exclusion du XIXe au XXe siècle, publication de l’Université Paris 7- Denis Diderot, 6/1991, p.79-100.

3 Hans Friedrich Karl GÜNTHER : Rassenkunde des deutschen Volkes, Lehmann, München, 1922. 4 Fritz LENZ , in Archiv für Rassen- und Gesellschaftsbiologie, 1921, t.31, p.231; cité en français par Liliane CRIPS : « Sélection « raciale » – sélection « sociale ». L’itinéraire du raciologue Fritz Lenz

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(1887-Le mouvement nordiciste se concevra ainsi comme une sorte d’Internationale de l’homme blond, répondant par l’activisme culturel, puis politique, aux menaces que les autres races auraient fait peser sur lui.

Il est regrettable que presque aucune étude n’ait été consacrée aux mouvements nordicistes. Seul l’Allemand Hans-Jürgen Lutzhöft5 a rédigé

une grosse monographie sur la « pensée nordique » en Allemagne, mais son ouvrage est déjà quelque peu daté. Pourtant, un vent nordique a réellement soufflé sur nombre d’intellectuels racistes des pays occidentaux, et leur antisémitisme ne peut être compris sans prendre ce fait en considération.

Pour le montrer, je vais d’abord revenir sur ce que Günther a appelé lui-même « l’éveil de la pensée nordique »6, c’est-à-dire l’émergence d’un

nouveau culte du Nord et de la race nordique des années 1880 à 1920. Je retracerai ensuite la constitution des groupes et groupuscules nordicistes, en particulier durant l’entre-deux-guerres, et montrerai quelle fut l’influence des principales organisations nordicistes. Enfin, je vous inviterai à percevoir les limites de ce mouvement nordicistes, et nous pourrons nous demander si, en fin de compte, « l’Allemand » n’a pas triomphé du « Viking ».

1976) », in Sexe et Race, 8/1993, p.66.

5 Hans-Jürgen LUTZHÖFT : Der nordische Gedanke in Deutschland 1920-1940, Kieler Historische Studien, Bd.14, Klett, Stuttgart, 1971.

6 Hans Friedrich Karl GÜNTHER : Der Nordische Gedanke unter den Deutschen, Lehmann, München, 1927(2), chapitre 1.

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1 « L’ÉVEIL DE LA PENSEE NORDIQUE » (GÜNTHER)

L’anthropologue Karl Saller, qui fut membre de la S.A., mais refusa obstinément d’adhérer au dogme de la supériorité de la race nordique sur les autres races européennes, fit remarquer en 1933 que la race nordique était une invention d’origine étrangère.

« Nous pouvons être fiers de la variété de notre culture allemande et de notre peuple allemand, et du fait que tous nos paysages, toutes nos lignées et notre sang s’accordent harmonieusement pour former une seule et même race allemande, avec sa propre histoire, et, parce que nous sommes reconnaissants envers toutes les races qui la composent, nous ne pouvons, ni ne voulons accepter que cette race allemande soit un jour divisée à cause de l’idée d’une « Internationale nordique », idée qui fut présentée à notre race allemande au départ par des étrangers (Gobineau, de Lapouge, Chamberlain), et qui lui est donnée aujourd’hui comme objectif de progrès racial sous le nom de « renordification ». »7

Saller formule ici de nombreux arguments critiques que nous serons amenés à discuter plus bas, mais son insistance sur l’origine soi-disant étrangère de la théorie nordique nous indique déjà que cette dernière contenait une dimension supranationale qui lui déplaisait. Les deux premiers penseurs qu’il cite — Joseph Arthur de Gobineau et Georges Vacher de Lapouge — étaient effectivement français ; quant à Houston Stewart Chamberlain, qui rédigea ses ouvrages en allemand et devint le gendre de Richard Wagner, il était né dans une famille de la noblesse anglaise, mais avait passé une grande partie de sa jeunesse en France. Saller oublie toutefois de citer un autre penseur qui contribua de manière essentielle à la diffusion de la pensée nordique, un penseur allemand cette fois : Ludwig Woltmann.

Avant d’évoquer brièvement les thèses de ces penseurs, rappelons que ce que Günther appela « l’éveil de la pensée nordique »8 se produisit

conjointement dans différents pays d’Europe, puis aux Etats-Unis, au tournant du XXe siècle. A cette époque, les anthropologues s’accordaient

pour distinguer 3 grandes races européennes : la race « nordique » (selon

7 Karl SALLER: Der Weg der deutschen Rasse. Ein Abriβ deutscher Rassenkunde, Felix Meiner Verlag, Leipzig, sans date [1933], p.44.

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le terme forgé par le Français Joseph Deniker), la race méditerranéenne et la race alpine, sans nécessairement leur attribuer une plus ou moins grande valeur intrinsèque.

1. L’éveil de la pensée nordique en Europe dans les années 1890

a. Vacher de Lapouge

En France, c’est le sous-bibliothécaire de l’université de Montpellier, Georges Vacher de Lapouge, qui contribua à faire de la race nordique la plus remarquable de toutes les races humaines.9 Esprit curieux, Lapouge

suivit des études de droit, de philologie, de langues orientales, mais également d’anthropologie et de zoologie. Il contribua à la diffusion de la craniologie de Paul Broca et de l’eugénisme de Francis Galton grâce à ses publications dans des revues savantes françaises, allemandes, italiennes et américaines. Convaincu que les découvertes de Charles Darwin relatives au monde animal pouvaient s’appliquer aux êtres humains, Lapouge souhaita « répondre à la formule célèbre qui résume le christianisme laïcisé de la Révolution : Liberté, Egalité, Fraternité » par un implacable « Déterminisme, Inégalité, Sélection ! »10.

Déterminisme, car les hommes ne seraient que ce que leur race ferait d’eux.

« Ce qui pense et agit en [chacun de nous], c’est la légion des aïeux couchés sous terre […]. […] A cette puissance infinie des ancêtres, nul ne peut se soustraire. Il ne peut changer les traits de son visage, il ne peut davantage effacer de son âme les tendances qui le font penser, agir comme les ancêtres ont agi et pensé. L’instrument qui pense est fait chez lui d’une certaine façon, qui n’est pas la même chez une race différente. »11

De même, la Nature aurait fait les hommes fondamentalement inégaux: certaines races seraient supérieures aux autres, car elles donneraient naissance à un nombre plus important d’hommes d’élite. Ainsi « la race

9 Sur Vacher de Lapouge, cf. en particulier Pierre-André TAGUIEFF : « VACHER DE LAPOUGE Georges, 1854-1936 », in Pierre-André TAGUIEFF (dir.) : Dictionnaire historique et critique du racisme, p.1807-1853.

10 Georges VACHER DE LAPOUGE : « Préface du traducteur », in Ernest HAECKEL : Le Monisme. Lien entre la religion et la science. Profession de foi d’un naturaliste, préface et traduction de Georges Vacher de Lapouge, C.Reinwald, Paris, 1897, p.2.

11 Georges VACHER DE LAPOUGE : L’Aryen, son rôle social. Cours libre de science politique, professé à l’Université de Montpellier (1889-1890), Fontemoing, Paris, 1899, p.350-351.

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dolichocéphale blonde, pure ou croisée, [aurait-elle] fourni presque tous les hommes de génie auxquels notre civilisation est redevable de son existence »12 Lapouge s’inspire ici directement des écrits d’un autre

Français, Joseph Arthur de Gobineau, qui théorisa pour la première fois la supériorité culturelle non pas de l’homme blanc en général, mais de sa variété aryenne. Gobineau conclut ainsi son célèbre Essai sur l’inégalité des races humaines par une comparaison saisissante :

«L’histoire humaine est semblable à une toile immense. […] Les deux variétés inférieures de notre espèce, la race noire, la race jaune, sont le fond grossier, le coton et la laine, que les familles secondaires de la race blanche assouplissent en y mêlant leur soie, tandis que le groupe arian, faisant circuler ses filets plus mince à travers les générations ennoblies, applique à leur surface, en éblouissant chef-d’œuvre, ses arabesques d’argent et d’or. »13

Lapouge s’attache aux caractères morphologiques de la race aryenne, ou race de l’Homo Europaeus, qu’il décrit comme une race d’hommes assez grands, au crâne plus long que large, aux cheveux blonds et aux yeux clairs. Par ailleurs, l’Homo Europaeus serait de tempérament aventureux, il oserait tout, serait travailleur et combatif, et aimerait le progrès14.

Or, cette « supériorité intrinsèque, mais relative »15 de la race

aryenne serait due, selon Lapouge, au fait qu’elle aurait subi d’heureuses sélections naturelles, tandis que d’autres groupes humains, moins évolués, formeraient la masse des « éléments inférieurs »16. Certes, le fait que

l’homme d’aujourd’hui vive en société et que les « médiocres » soient protégés par toutes sortes de lois démocratiques ne servirait pas la cause des meilleurs – ceux que Lapouge appelle avec Francis Galton les « eugéniques » –, mais il croit en la possibilité d’avoir recours à des techniques de reproduction nouvelles, basées sur la manipulation du sperme de géniteurs de qualité, pour former un type d’homme parfait17:

« Il est rigoureusement certain que par une sélection sévère il serait possible d’obtenir en un temps limité un nombre voulu

12 Georges VACHER DE LAPOUGE : “L’anthropologie et la science politique”, in Revue d’anthropologie, 16e année, 3e série, t. II, 1887, p.140.

13 Arthur de GOBINEAU : Essai sur l’inégalité des races humaines, in Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1983, Conclusion générale, p.1143.

14 Cf. Georges VACHER DE LAPOUGE : Les Sélections sociales. Cours libre de science politique, professé à l’Université de Montpellier (1888-1889), Fontemoing, Paris, 1896,chap.I et II et XV.

15 Ibid., p.79. 16 Ibid., p.77.

17 Lapouge est ici en totale contradiction avec Gobineau, pour qui l’épuisement du « principe blanc » arian-germanique est un phénomène inéluctable.

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d’individus présentant tel indice céphalique, telle taille, tel degré de l’échelle chromatique. […] A trois générations par siècle il suffirait de quelques centaines d’années pour peupler la terre d’une humanité morphologiquement parfaite, si parfaite que nous ne pouvons imaginer aucun mieux possible au-delà.

Ce délai pourrait être abrégé dans des proportions considérables en employant la fécondation artificielle. Ce serait la substitution de la reproduction zootechnique et scientifique à la reproduction bestiale et spontanée […]. [U]n très petit nombre d’individus masculins d’une perfection absolue suffirait pour féconder toutes les femmes dignes de perpétuer la race […]. »18

Ces hommes eugéniques, Lapouge propose d’aller les chercher « autour de la Baltique et de la mer du Nord, en Angleterre, aux Etats-Unis et sur quelques autres points [du globe]. »19On le voit : la race aryenne n’est

associée à aucun pays en particulier. Lapouge dénonce au contraire les élans nationalistes si présents à son époque, fondés sur des découpages linguistiques de la carte de l’Europe:

« Pangermanisme, panslavisme, indépendance de chaque petit groupe d’hommes qui s’avise de se cramponner à quelque idiome inconnu et presque éteint, rapprochement de tous les groupes qui parlent des langues parentes : voilà des théories qui ont fait bien du mal à l’humanité, et cela n’est pas fini. Or, la science nous apprend qu’il n’y a aucun rapport entre les races et les langues, et qu’il n’y a pas un seul peuple dont les éléments, diversement combinés et brassés, n’appartiennent à des races diverses. »20

Parmi les différents modes de réalisation d’une humanité future améliorée, Lapouge propose donc de créer une race supranationale, ou « une race dominante ubiquiste », inspirée du modèle juif.

« La création d’une race dominante ubiquiste n’est pas sensiblement plus difficile que la constitution d’une aristocratie naturelle dans un seul pays. Le problème est aujourd’hui à peu près résolu par les Juifs. Le peuple d’Israël est loin de constituer une race pure […]. Son existence n’en prouve pas moins la facilité

18 Georges VACHER DE LAPOUGE : Les Sélections sociales, p.472.

Sur les tentatives de réalisation concrète de communautés de reproduction en Allemagne, cf. Anne QUINCHON-CAUDAL : « Les haras humains, ou comment arracher la vraie vie à l’abîme de la décadence», in Marc CLUET (dir.) : La « Lebensreform » ou la dynamique sociale de l'impuissance politique – «Lebensreform ». Die soziale Dynamik der politischen Ohnmacht, Gunter Narr, 2014.

19 Ibid., p.470.

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relative avec laquelle un programme de ce genre pourrait être réalisé. »21

Lapouge ne trouva que peu d’échos en France. Par contre, il fréquenta les principaux théoriciens racistes et eugénistes allemands et américains de son temps : Ludwig Woltmann, Charles B. Davenport, Madison Grant et bien sûr Hans F.K. Günther.

b. Houston Stewart Chamberlain

A la veille de l’année 1900, l’Anglais Houston Stewart Chamberlain rédigea lui aussi un ouvrage qui connut un énorme retentissement et marqua profondément les penseurs racistes de la première moitié du XXe siècle : Les Fondements du XIXe siècle22. C’est un éditeur munichois qui

demanda à cet homme cultivé, qui vécut dans différents pays d’Europe occidentale et étudié les sciences naturelles ainsi que la philosophie, de consacrer une étude au siècle finissant. Chamberlain était profondément marqué par la conception de l’histoire de Gobineau, selon laquelle la civilisation, créée par l’homme blanc, serait en train de sombrer à cause des métissages. Chamberlain proposa donc de retracer, en une énorme fresque de mille pages, les origines de la civilisation actuelle en partant de la Grèce antique, et de montrer comment l’esprit « germanique » se serait heurté, au fil des siècles, à son antithèse : l’esprit juif.

« La civilisation et la culture, qui ont rayonné depuis l’Europe du Nord et qui dominent aujourd’hui une partie significative du monde (mais à des degrés très divers), sont l’œuvre de la germanité (Germanentum) […]. Cette œuvre de la germanité est sans conteste la plus grande que l’humanité ait jamais réalisée. »23

Mais si Chamberlain estime comme Gobineau que le métissage mène au « chaos », il ne partage pas son pessimisme. Loin de penser que la race blanche est inéluctablement condamnée à disparaître, il affirme à l’instar de Lapouge que la race supérieure est encore à créer.

Or, qui étaient ces « Germains » que Chamberlain tenait tant à préserver du métissage ? Comme beaucoup d’autres avant lui,

21 Georges VACHER DE LAPOUGE : Les Sélections sociales, p.481-482.

22 Houston Stewart CHAMBERLAIN : Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhunderts, Bruckmann, München, 1899.

Cet ouvrage fut traduit en tchèque en 1909, en anglais et en américain en 1911, et en français en 1913. Cette année-là, il en était déjà à sa 10e édition en Allemagne.

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Chamberlain se réfère à l’historien latin Tacite et à sa célèbre description des barbares de Germanie, pour affirmer qu’ils formaient au moment de leur « entrée dans l’histoire mondiale »24 « une nation particulière, pure de

tout mélange, et qui ne ressemble qu’à elle-même »25. Mais, de manière

assez inattendue, Chamberlain ne cite Tacite que pour en conclure qu’on ne peut pas distinguer ce Germain-là des populations celtes qui l’ont précédé, ni des populations slaves qui lui ont succédé en Europe de l’Ouest. Il existerait donc à l’origine une parenté si étroite entre « le vrai Germain, le vrai Celte et le vrai Slave », qu’il conviendrait de dire que les auteurs de notre civilisation – ceux qui certains historiens appellent les « Aryens » à la suite de Gobineau – seraient donc les Celto-Slavo-Germains :

« [A]u moment où ces peuples entrent dans l’histoire, il n’y a pas trois âmes raciales (ethnische Seelen) qui cohabitent, mais une seule et unique âme. »26

De fait, les lecteurs de Chamberlain devraient prendre conscience de cette proximité ethnique qui existerait entre les différents peuples de race « germanique » – et recourir pour cela à leur instinct :

« Les hiéroglyphes de la langue que parle la nature ne peuvent pas être interprétés avec la même logique mathématique, aussi mécaniquement, que certains chercheurs se plaisent à le croire. Il faut faire appel à la vie pour comprendre la vie. [...] Il y a autre chose en ce monde que le compas et le mètre [destinés à mesurer les corps]. Là où le savant échoue avec ses constructions artificielles, un seul regard tout simple peut éclairer la vérité comme un rayon de soleil. »27

On le comprend : le Germain se reconnaît certes à un certain nombre de traits physique – grande taille, crâne et visage allongés, profil « à la Moltke »28 –, mais ce qui compte essentiellement, ce qui fait vraiment le

Germain, ce sont ses caractéristiques psychiques, « cette anatomie intérieure invisible, cette dolichocéphalie purement spirituelle »29 que seul

un véritable instinct racial permet de distinguer.

24 Ibid., p.464-465.

25 TACITE : La Germanie, chap.IV, traduction de Jacques Perret, Paris, Les Belles Lettres, 1967. 26 CHAMBERLAIN : Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhunderts, p.481.

27 Ibid., p.497-498.

28 Le comte Helmut von Moltke (1800-1891) s’est illustré comme chef d’état-major durant les guerres que la Prusse a menées contre le Danemark (1864), l’Autriche (1866) et la France (1870).

Il est intéressant de remarquer que Chamberlain ne retient pas la couleur de cheveux comme critère racial. Il estime en effet que beaucoup de membres de grandes familles aristocratiques germaniques ont les cheveux bruns.

Cf. CHAMBERLAIN : Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhunderts, p.486. 29 Ibid., p.457.

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« [J’] aimerais réveiller le sentiment vivant qu’il existe une grande fraternité nordique, et cela, sans recourir aux moindres hypothèses anthropogénétiques ou préhistoriques, mais en ne m’appuyant que sur ce qui s’offre aux yeux de tous. […] [N]ous avons rencontré une parenté d’âme, une parenté d’esprit, une parenté physique : cela devrait nous suffire. Nous tenons là un petit quelque chose, et comme ce petit quelque chose n’est pas une définition, mais est composé d’êtres vivants, je vous renvoie à ces hommes, à ces vrais Celtes, Germains et Slaves, afin que vous sachiez ce qu’est la germanité. »30

Les contemporains et les historiens ont souvent fait de Chamberlain un pangermaniste teutomane. Il est vrai qu’il adhéra au parti national-socialiste dès 1924, soit trois ans avant sa mort, et qu’il croyait en la capacité du jeune Adolf Hitler d’incarner le renouveau du germanisme31.

Mais une lecture attentive des Fondements du XIXe siècle ne peut que

nous inciter à nuancer cette idée. Chamberlain insiste en effet à plusieurs reprises sur la dimension supranationale de la germanité qu’il exalte.

« [L]a confusion entre germain et allemand est fâcheuse ; elle embrouille tout. Car associer directement les seuls Allemands aux anciens Germains masque le fait que la partie non allemande de l’Europe du Nord est presque purement germanique, au sens le plus étroit du terme, et cela nous conduit à oublier que c’est justement en Allemagne, au centre de l’Europe, que se sont fondues les trois branches [germaniques] – les Celtes, les Germains, les Slaves […] ; de plus, on perd de vue le caractère majoritairement germanique de la France jusqu’à la Révolution, ainsi que la cause organique de la parenté manifeste, durant les siècles passés, entre le caractère et les réalisations espagnoles et italiennes et celles du Nord […] Il est vrai que nous, les Germains, nous nous sommes constitué au fil du temps des individualités nationales très nettement différentes les unes des autres […], mais nous formons un ensemble si soudé, dont les parties sont si dépendantes les unes des autres, que […] la civilisation et la culture [d’un des pays] ne peuvent pas être présentées isolément,

30 Ibid., p.481-482.

31 Cf. la lettre de CHAMBERLAIN à Adolf Hitler, datée du 7 octobre 1923; citée chez P.A.TAGUIEFF : « CHAMBERLAIN Houston Stewart, 1855-1927 », in Pierre-André TAGUIEFF (dir.) : Dictionnaire historique et critique du racisme, p.272-273.

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de manière autonome. Il y a une civilisation chinoise, mais pas de civilisation française ou allemande […]. »32

Cette dimension supranationale de la germanité trouverait son pendant chez les Juifs, qui, eux aussi, seraient définis avant tout par le fait qu’ils formeraient une communauté de sang et d’esprit, quel que soit le pays dans lequel ils résident.

« La nomocratie juive (c’est-à-dire le pouvoir de la loi) unit les Juifs, aussi dispersés qu’ils puissent être à travers tous les pays du monde, en un ensemble solide, unifié, une véritable construction politique, dans laquelle la communauté de sang témoigne d’un passé commun et garantit un avenir commun. Même si certains éléments ne sont pas purement juifs au sens strict du terme, la force de ce sang, combinée à la force incomparable de l’idée juive, est si grande que ces éléments étrangers ont déjà été assimilés depuis longtemps […]. »33

c. Ludwig Woltmann

Pour terminer ce « triptyque » des fondateurs de la pensée nordique en ce début de XXe siècle, il nous faut évoquer encore le philosophe

allemand Ludwig Woltmann. D’abord soucieux de parvenir à une synthèse du criticisme kantien, du matérialisme biologique (le darwinisme) et du matérialisme historique (le marxisme)34, Woltmann se pencha plus

particulièrement sur les écrits des anthropologues et raciologues de son temps à l’occasion de sa participation au concours organisé en 1900 par l’industriel Alfred Krupp, concours destiné à montrer en quoi le darwinisme peut influencer les pratiques politiques des Etats. Ces lectures amenèrent Woltmann à se rapprocher des milieux völkisch et à rompre avec la social-démocratie.

De Gobineau et de ses disciples, Woltmann hérita la conviction que « ce qui fait véritablement et fondamentalement l’histoire des Etats, c’est

32 CHAMBERLAIN : Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhunderts, p.727-728. 33 Ibid., p.327.

34 Cf. Ludwig WOLTMANN : System des moralischen Bewuβtseins, mit besonderer Darlegung des Verhältnisses der kritischen Philosophie zu Darwinismus und Socialismus, Düsseldorf, Hermann Michels Verlag, 1898.

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l’histoire biologique des races humaines »35. De Lapouge, qui collabora

plus tard à sa Revue politico-anthropologique36, il trouva la confirmation de

l’idée que les sociétés humaines sont elles aussi soumises à des processus de sélection, et que les lois des Etats doivent donc favoriser les meilleurs afin de contribuer au progrès de la civilisation.

Parmi les races humaines, c’est la race germanique qui présenterait tant de qualités civilisationnelles qu’elle serait appelée à dominer les autres :

« La race germanique est destinée à enserrer la terre de sa domination, à exploiter les trésors de la nature et de la main d’œuvre, et à incorporer les races passives pour en faire les maillons serviles de son développement culturel. »37

De fait, Woltmann entreprit plusieurs voyages en Europe entre 1902 et 1907 afin d’étudier les réalisations des grands hommes de race germanique. Alors que les autres raciologues offraient à leurs lecteurs des descriptions anthropologiques des peuples ou des classes sociales, Woltmann proposa pour sa part « d’éclaircir les relations sombres et complexes qui existent entre la race et le génie »38. Cette « anthropologie

des génies », illustrée par plus de 150 portraits d’artistes, d’écrivains, de scientifiques ou d’hommes d’Etat appartenant à la race de l’Homo Europaeus (un homme grand, blond, à la peau claire, aux yeux bleus, au crâne allongé, originaire d’Europe du Nord), amena Woltmann à reconsidérer le rôle habituellement attribué aux barbares germaniques depuis la chute de Rome. Les Germains n’auraient pas été des destructeurs, mais auraient au contraire, dès le Moyen-Âge, posé les fondations d’une renaissance spirituelle en France, en Espagne et en Italie. Quant à la Renaissance à proprement parler, elle n’aurait pas consisté en une redécouverte des textes antiques, mais bien en l’avènement d’une nouvelle âme raciale, et donc d’un nouvel idéal de beauté.

35Ludwig WOLTMANN: Politische Anthropologie. Eine Untersuchung über den Einfluβ der Descendenztheorie auf die Lehre von der politischen Entwicklung der Völker, Thüringische Verlags-Anstalt, Eisenach und Leipzig, 1903, Introduction, p.1.

36 Politisch-anthropologische Revue. Monatsschrift für praktische Politik, für politische Bildung und Erziehung auf biologischer Grundlage, Berlin-Steglitz, 1902-1915.

37 Ludwig WOLTMANN: Politische Anthropologie, chap. 9.5, p.298.

38 Ludwig WOLTMANN: Die Germanen und die Renaissance in Italien, mit über hundert Bildnissen berühmter Italiener, Thüringische Verlagsanstalt, Leipzig, 1905, Introduction, p.6; cf. également Ludwig WOLTMANN: Die Germanen in Frankreich. Eine Untersuchung über den Einfluss der germanischen Rasse auf die Geschichte und Kultur Frankreichs, mit 60 Bildnissen berühmter Franzosen, Eugen Diederichs, Jena, 4e partie.

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« [U]ne nouvelle âme apparut dans l’histoire […]. C’était une nouvelle branche de la famille humaine nordique, qui reçut l’épée et le stylet de la main faiblissante du Romain ; un esprit de la même famille, venu jusqu’aux Germains depuis la Grèce et Rome, et une race tout aussi douée de génie, qui saisit intérieurement cet esprit et le mena vers de nouvelles formes vivantes de liberté et de beauté. »39

85% au moins des génies italiens seraient de race germanique. Mais dans ce pays comme en France, les dolichocéphales blonds de race nordique seraient progressivement supplantés par hommes des races alpine et méditerranéenne – vision gobinienne du destin de la race supérieure, que son élan civilisateur amènerait inéluctablement à se mélanger avec les races inférieures, et donc à disparaître.

d. La mode de la culture nordique

Il convient de rappeler avant de poursuivre que l’intérêt pour l’homme nordique durant les dernières décennies du XIXe siècle ne fut pas le fait

des seuls anthropologues et raciologues. En Allemagne, on assiste même à un véritable phénomène de mode de la culture nordique40. Du style viking

dans l’art et l’artisanat à l’engouement pour les pièces d’Henrik Ibsen, de la tétralogie de Richard Wagner aux multiples traductions des sagas islandaises, sans parler de l’intérêt pour les expéditions polaires du Suédois Adolf Erik Nordenskiöld et du Norvégien Roald Ammundsen : le «Nordland », ce pays du Nord qui n’a pas de contours géographiques précis, mais se confond globalement avec la Scandinavie, partie du monde jusque-là méconnue, attire les regards et fait rêver. En 1911 est d’ailleurs fondée l’Amicale germano-nordique du tourisme (Deutsch-Nordischer Touristenverein).

L’empereur Guillaume II lui-même a durablement façonné l’image que les Allemands eurent de ces pays. De 1889 à 1914, il effectua en effet

39 Ludwig WOLTMANN: Die Germanen in Frankreich, chap. IV.4, p.151.

40 Cf. le catalogue d’exposition Wahlverwandtschaft. Skandinavien und Deutschland 1800 bis 1914, hrsg. v. Bernd Hennigsen / Janine Klein / Helmut Müssener / Solfrid Sörderlind, Jovis Verlagsbüro, Berlin, 19997;

Julia ZERNACK: « Anschauungen vom Norden im deutschen Kaiserreich », in Uwe PUSCHNER/ Walter SCHMITZ/ Justus H.ULBRICHT, Handbuch zur « Völkischen Bewegung », K.G.Saur, München, New Providence, London, Paris, 1996, p.482-511; Klaus von SEE : Deutsche Germanen-Ideologie. Vom Humanismus bis zur Gegenwart, Athenäum-Verlag, Frankfurt/Main, 1970.

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chaque été une longue croisière en Norvège ou en Suède à bord de son bateau de plaisance, le « Hohenzollern ». Particulièrement attaché à la Norvège, à ses paysages, et à sa population qu’il décrivit comme « vigoureuse », il rêvait même d’instaurer une alliance pangermanique – alliance irréalisable, tant cette Scandinavie rêvée était éloignée de la réalité des pays concernés41.

Car pour l’empereur Guillaume comme pour nombre d’écrivains et d’artistes, le Nord était un lieu utopique et régressif, conforme à l’esprit du romantisme agraire de cette fin de siècle, un lieu encore vierge où la vraie germanité pourrait échapper aux ravages de la modernité. Ce Nord-là est donc apparenté à celui que Tacite célébrait déjà dans sa Germanie : un univers peuplé de Barbares remarquables par leur pureté morale et leur vigueur physique, antithèses même d’une Rome repue et décadente.

Si ce thème ancien de la pureté nordique, qui pointe aussi sous la plume d’un Montesquieu victime de la théorie du climat42 ou sous celle de

madame de Staël, connaît un renouveau dans l’Allemagne wilhelmienne, la vision moderne de l’Histoire lui confère une tonalité nouvelle : ce n’est généralement pas « le bon sauvage » que l’on recherche, mais de plus en plus l’homme aux qualités raciales intactes, fier de ses traditions, et non « perverti » par des siècles de christianisme43 ou par une modernité perçue

comme facteur de décadence. Friedrich Nietzsche lui-même ne nommait-il pas les hommes sans compassion, les hommes de la volonté de puissance dont il souhaitait l’avènement, des « Hyperboréens »44 ?

2. Le choc de la « Grande Guerre »

La première guerre mondiale, qui vit les pays occidentaux se dresser les uns contre les autres, aurait pu mettre un terme à cette passion commune pour la race de l’homo europaeus, et amener les penseurs 41 Cf. Stefan GAMMELIEN : Wilhelm II. und Schweden-Norwegen 1888-1905. Spielräume und Grenzen eines persönlichen Regiments, Dissertation, Humboldt Universität zu Berlin, 9.Juli 2007.

Un résumé de la thèse de S.Gammelien est disponible sur internet (consulté le 25/11/2013): http://www.ni.hu-berlin.de/institut/mag_diss/diss/sg.pdf

42 Cf. Pierre BOURDIEU : « Le Nord et le Midi : Contribution à une analyse de l’effet Montesquieu », in Actes de la recherche en sciences sociales, vol.35, novembre 1980, p.21-25.

43 Les groupuscules païens prônant un retour à une spiritualité spécifiquement germanique – comme la Communauté religieuse germanique (Germanische Glaubensgemeinschaft) qui « confessait le sang germanique », ou l’Ordre allemand (Deutscher Orden) qui rejetait le Christ pour adorer Siegfried – se multiplièrent à cette époque.

Cf. Stefanie von SCHNURBEIN: « Die Suche nach einer „arteigenen“ Religion“ », in Uwe PUSCHNER/ Walter SCHMITZ/ Justus H.ULBRICHT, Handbuch zur « Völkischen Bewegung », p.482-511.

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racialistes à souligner davantage ce qui divise les populations que ce qui les unit. Mais tel ne fut généralement pas le cas. Au contraire, durant les années 1910-1920, l’idéologie raciste se détacha plus en plus du nationalisme – l’idée de la supériorité de la « race » française, anglaise ou allemande, par exemple – pour acquérir une dimension supranationale. Ce qui causerait la mort de la civilisation européenne, ce ne serait pas le contact avec d’autres civilisations, mais le mélange des sangs au sein même de ce grand ensemble que constituerait la civilisation nord-européenne et nord-américaine.

a. Madison Grant

Aussi le conflit mondial n’était-il pas encore achevé que l’Américain Madison Grant publiait un livre présentant la Grande Guerre comme une guerre civile – thèse qu’il développa encore davantage dans les éditions des années 192045. Il va de soi que Madison Grant n’était pas un

humaniste prêchant la paix entre les peuples ; mais il était convaincu que les principales victimes des guerres menées en Europe depuis deux mille ans étaient toujours les hommes de race nordique, les représentants de cette race qu’il appelait « la grande race », et qu’il était essentiel de reconsidérer les questions de politique intérieure et internationale à l’aune des découvertes de l’anthropologie moderne.

« Le lecteur devra mettre de côté toute idée préconçue au sujet de la race, puisque l’anthropologie moderne appliquée à l’histoire implique un changement complet de définition. Tout d’abord, il faut bien se rendre compte que la race pure et simple, la structure physique et psychique de l’homme sont tout-à-fait distincts de la nationalité et de la langue.

De plus, la race se trouve à la base de toutes les manifestations de la société moderne, exactement comme elle l’a été dans le passé perdu de la nuit des temps […]. »46

45 Madison GRANT: The Passing of the Great Race or the Racial Basis of European History, Scribner, New York, 1916.

L’ouvrage connut ses premières rééditions révisées en 1918 (New York), 1919 (New York), 1920 (Londres), 1923 (New York) et 1924 (Londres).

46 Madison GRANT : Le Déclin de la grande race, traduction d’E.Assire, Payot, Paris, 1926, Introduction, p.25.

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« Grand nom du monde des sciences et du monde des affaires »47,

un temps président de la Société zoologique de New York, et longtemps président du Comité exécutif de l’Association pour la Recherche en eugénisme (Eugenics Research Association)48, Grant avait constaté que

presque tous les officiers tombés au front, et une grande proportion des soldats des deux camps, auraient été des hommes de race nordique. Ce phénomène de sélection négative serait dû aux qualités propres à cette race : contrairement aux hommes de race alpine, majoritairement paysans, et aux hommes de race méditerranéenne, dont les capacités physiques seraient plus limitées, les « Nordiques [seraient, dans le monde entier,] une race de soldats, de marins, de chercheurs d’aventure et d’explorateurs, mais surtout de chefs, d’organisateurs et d’aristocrates ».49 D’où le destin

tragique de cette race victime de ses talents exceptionnels :

« En Europe, les guerres de ces derniers deux mille ans ont été presque exclusivement des guerres entre nations ou entre chefs de sang nordique. Au point de vue de la race, le conflit européen de 1914 fut essentiellement une guerre civile ; des deux côtés, presque tous les officiers et une grande proportion des hommes appartenaient à la même race. C’est toujours la même tragédie de boucheries et d’extermination réciproque entre Nordiques, exactement comme au temps de l’Italie de la Renaissance. […] C’est un suicide de classe sur une échelle gigantesque.

Au début de la guerre mondiale, il était difficile de dire de quel côté le sang nordique était prépondérant. […] Mais après l’entrée de l’Amérique dans la guerre, la plupart des Nordiques du Monde combattaient contre l’Allemagne. »50

Dans le même temps, les lois philanthropiques adoptées au XIXe

siècle dans les pays occidentaux, la grande fécondité des classes inférieures, et le métissage avec les races inférieures (alpine, méditerranéenne, juive, négroïdes, mongoloïdes), dont naîtraient des êtres dépourvus d’harmonie physique et mentale, n’auraient fait qu’accentuer la

47 C’est ainsi que G.Vacher de Lapouge le présente dans sa préface à l’édition française de 1926. Le livre avait été traduit l’année précédente en Allemagne et publié chez l’éditeur völkisch Julius Friedrich Lehmann.

48 Cf. la nécrologie de M.Helsch, « Madison Grant. † am 30.Mai1937 », in Rasse. Monatsschrift der Nordischen Bewegung, herausgegeben von R.von Hoff, Verlag B.G.Teubner, Leipzig und Berlin, 4.Jg., 11/1937, p.436-437.

49 Madison GRANT: Le Déclin de la grande race, Deuxième partie, chap.11, p.232-233. 50 Ibid, p.235.

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disparition de la race blanche supérieure. Pour Grant, comme pour Chamberlain, Lapouge, Woltmann, et Gobineau avant lui, c’est donc toute la « citadelle de la civilisation » qui aurait été en passe de s’écrouler51.

L’Allemand Günther reformulera cette idée l’année suivante en lui conférant une tonalité plus nettement antisémite :

« Durant la guerre mondiale, ce sont justement les grandes puissances les plus riches de sang nordique qui ont permis que leur forces raciales les meilleures se saignent mutuellement, et qu’après quatre années de guerre, les fruits de la « paix » et de la « guerre » soient laissés à certaines catégories de la population : la plus petite part, à ces catégories de la population dont les dispositions héréditaires ont permis qu’elles passent à travers le tamis de la guerre ; mais la plus grande part, à la fine couche du « capital spéculatif international », qui appartient essentiellement à la race proche-orientale, ou lui obéit. »52

Pour contrecarrer cette évolution terrible, dont l’homme nordique semble partiellement responsable, Grant s’engagea dans l’activisme politique, et il fut un acteur essentiel de l’adoption par les Etats-Unis d’Amérique de la loi Johnson-Reed de 1924. Cette loi sur l’immigration visait essentiellement les Asiatiques, ainsi que les Italiens, les Slaves et les Juifs, tout en favorisant en un mouvement inverse les populations originaires des pays considérés comme « nordiques » (Allemagne, Grande-Bretagne et Irlande en particulier, mais aussi les pays scandinaves et d’autres pays de l’Europe du Nord-Ouest) en leur attribuant plus de 80% des autorisations d’immigration.

Selon la revue nordiciste allemande Race (Rasse), les deux ouvrages essentiels de Grant – Le Déclin de la grande race de 1916, et La Conquête d’un continent de 1933 (traduits en allemand respectivement en 1925 et 1937) – contribuèrent à diffuser largement la pensée nordique dans le monde anglo-saxon, et à convaincre le peuple allemand de la nécessité de pratiquer l’hygiène raciale53.

51 Ibid., Introduction.

52 Hans Friedrich Karl GÜNTHER : Der Nordische Gedanke unter den Deutschen, p.37. 53 M.HELSCH, « Madison Grant. † am 30.Mai1937 », in Rasse, 4.Jg., 11/1937, p.436-437.

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e. La solution eugéniste

Cette dimension internationale du combat pour la race nordique se retrouve très nettement dans le discours des milieux scientifiques eugénistes. Ainsi la Société internationale eugéniste54, fondée en 1912 et

qui organisa ses premiers congrès à Londres et à New-York, en appelait-elle appelait-elle aussi à une prise de conscience mondiale du danger de la dégénérescence, et à admettre que les races sont des entités supérieures aux nations, c’est-à-dire qu’il faut penser en terme de race et de protection de la race avant de chercher à défendre les frontières de l’Etat dont on est citoyen.

De fait, à l’heure où était fondée la Société des nations afin de garantir la paix en Europe, les eugénistes nordicistes nourrissaient eux aussi des rêves d’instance supranationale, mais selon une optique toute particulière55. Ainsi, par exemple, l’Américain Harry H. Laughin souhaitait-il

que fût créé un parlement mondial afin d’éviter que le monde ne sombre dans l’anarchie ; un parlement, toutefois, dans lequel les peuples de type européens auraient dix fois plus de voix que les peuples africains, et dans lequel les pays disposant d’un haut niveau d’alphabétisation et ayant des activités commerciales dynamiques – on devine qu’il pense aux pays d’Amérique du Nord et d’Europe – auraient la majorité des représentants.

Un autre Américain, le géologue Roswell H. Johnson, appelait pour sa part à intégrer les nations dans une Société mondiale afin de faire cesser les guerres, et surtout, d’adopter des mesures communes contre l’immigration des populations « de moindre intelligence ». De même, Albert E. Wiggam, Américain lui aussi, souhaitait que fût créée une instance internationale qui éviterait l’avènement de cet « holocauste biologique » que représenterait « l’hybridation avec des peuples disharmonieux et à l’aspect bizarre ».

Du côté de la Scandinavie, c’est le Norvégien Alfred Mjøen qui s’engagea avec le plus de conviction en faveur de la race nordique, allant jusqu’à réclamer la création d’un « Institut pannordique » pour préserver les intérêts des peuples nordiques grâce à l’instauration de règles internationales communes.

Quant au généticien allemand Fritz Lenz, qui deviendra le premier titulaire d’une chaire d’Hygiène raciale en Allemagne, il déclara dans son

54« Permanent International Eugenics Committe », puis « Permanent International Eugenics Commission »(1921) et « International Federation of Eugenics Organizations » (1925).

55 Pour ce développement sur l’internationalisme raciste de la Société internationale eugéniste, cf. Stefan KÜHL : Die Internationale der Rassisten. Aufstieg und Niedergang der internationalen Bewegung für Eugenik und Rassenhygiene im 20.Jahrhundert, Campus Verlag, Fkt/M., 1997, chap.3.

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ouvrage de 1921 appelé à connaître de très nombreuses rééditions, Sélection humaine et hygiène raciale (eugénisme) :

« Pour l’instant, contrairement aux Nègres ou même aux Juifs, l’homme nordique n’a pas conscience qu’il fait partie d’un groupe humain particulier (Bewuβtsein der Zusammengehörigkeit). Toutefois, en Amérique du Nord et en Scandinavie, dans une moindre mesure aussi en Angleterre et en Allemagne, de grands esprits ont déjà compris que cette communauté que forme la race nordique est synonyme d’exigence morale. »56

Cette exigence morale ne signifie rien d’autre, bien sûr, que d’œuvrer par des mesures eugéniques au sauvetage de l’élite de l’humanité. Aussi le scientifique forgea-t-il l’expression « internationale blonde », une internationale qu’il concevait comme une fédération de peuples européens décidés à défendre les intérêts de la race nordique, et placée sous la direction des Etats-Unis.

f. Le pensée nordique, un eugénisme positif et idéaliste

Comme les eugénistes, les partisans de la pensée nordique au sens strict estimaient qu’il était encore possible de lutter contre le supposé « déclin de l’Occident »57 (pour reprendre le titre d’un célèbre ouvrage du

philosophe et historien conservateur Oswald Spengler). Il ne faut toutefois pas réduire la pensée nordique à un eugénisme comme les autres. Tout d’abord, comme Günther le souligne, la pensée nordique exclut le recours à l’eugénisme négatif – c’est-à-dire par exemple à la castration de certaines catégories de personnes, ou encore à la suppression des individus dont la vie « ne vaut pas la peine d’être vécue ». La pensée nordique se définit au contraire comme un eugénisme entièrement positif, basé sur la volonté d’accroître les dispositions héréditaires des meilleurs au sein de la race nordique58. Certes, Günther admet que certaines familles

56 Fritz LENZ : Menschliche Auslese und Rassenhygiene (Eugenik), 4.Auflage, Lehmann, München, 1932, p.243.

57 Oswald SPENGLER : Der Untergang des Abendlandes. Umrisse einer Morphologie des Weltgeschichte, Braumüller, Wien, 1918 (t.1: « Gestalt und Wirklichkeit ») et Beck, München, 1922 (t.2: « Welthistorische Perspektiven »).

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feraient mieux de ne pas se reproduire, et il cite la terrible sentence de Zarathoustra : « [L]a terre est pleine de ceux à qui il sied de prêcher la mort »59 ; mais s’il convient selon lui que certains n’aient pas d’enfant, il

n’est pas question de recourir pour cela à des méthodes violentes. Seule la persuasion et la conscience de ce qui est bon pour la race devra l’emporter. Selon le Norvégien Mjøen, il convient ainsi d’« apprendre à faire la distinction entre le droit de vivre et le droit de donner la vie »60.

Seconde différence importante avec l’eugénisme du XIXe siècle: la

pensée nordique comporte une dimension spirituelle et vitaliste essentielle. Elle affirme se fonder sur les connaissances scientifiques les plus récentes, mais ne pas constituer elle-même une théorie scientifique. Ce à quoi elle tend, c’est à « imprégner l’esprit de la jeunesse de son esprit de la « grande santé »61 » (encore une formule nietzschéenne) – un esprit

qui seul sera capable de guérir l’âme allemande de la « maladie métaphysique » qui la frappe : le Déclin.

59 Friedrich NIETZSCHE : Also sprach Zarathustra. Ein Buch für Alle und Keinen, 1883-1885, « Des prédicateurs de mort » ; cité par Hans Friedrich Karl GÜNTHER, in Der Nordische Gedanke unter den Deutschen, chapitre 8.

60 Alfred MJØEN: « Der neue Staat auf rassisch-lebensgeschichtlicher Grundlage », in Rasse, 2.Jg., 5/1935, p.183.

61 Friedrich NIETZSCHE : Die fröhliche Wissenschaft, 1882, Livre 5, 382; cité par Hans Friedrich Karl GÜNTHER, in Der Nordische Gedanke unter den Deutschen, chapitre 1.

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2 LES MOUVEMENTS NORDIQUES

Quels furent alors les principes positifs qui conduisirent à la formation des mouvements nordiques62 durant l’entre-deux-guerres? Précisons qu’à

l’origine de ce grand « Mouvement nordique », on trouve un courant de pensée informel que Günther décrivit dans son long ouvrage de 1925 : L’Idée nordique parmi les Allemands. Avec une vitesse qui surprit Günther lui-même, cette Idée nordique quelque peu abstraite prit corps dans des groupuscules, puis dans des organisations structurées, en l’espace de quelques années seulement.

1. De « l’Idée nordique chez les Allemands » au pannordicisme

A bien y regarder, on constate que l’Idée nordique constituait une sorte d’idée directrice. Alors qu’aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, le nordicisme était politiquement conservateur et visait avant tout à protéger un type humain déjà existant et qui serait menacé dans son statut social dirigeant, la pensée nordique en Allemagne cherchait à construire un être idéal, appartenant à la classe moyenne, et dont le modèle se trouverait paradoxalement dans un passé ancestral63. Aussi le nordicisme entendait-il

conjuguer la raciologie moderne et l’eugénisme avec une conception idéaliste de l’histoire et des fins ultimes de l’humanité.

« L’« Idée raciale » est devenue l’Idée Nordique. L’Idée Nordique est une conséquence de la prise de conscience de la signification de la race nordique pour la vie des peuples de langue germanique, et c’est pourquoi elle propose comme modèle pour la sélection au sein du peuple allemand l’image d’un homme Nordique sain. Aussi l’Idée Nordique se donne-t-elle pour objectif de voir l’homme Nordique […] remporter le combat des naissances […]. »64

62 L’adjectif « nordisch » est généralement orthographié avec une majuscule par les penseurs « nordicistes » (néologisme que nous pouvons former à partir du terme allemand « Nordismus »).

63 Cf. Erich VOEGELIN: Rasse und Staat, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), Tübingen, 1933, Deuxième partie, chapitre 8.

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Cette volonté d’améliorer les qualités raciales de la population allemande est conçue par Günther comme un commandement divin. On peut d’ailleurs reconnaître ici la proximité qui existait alors entre les milieux racistes scientifiques et les adeptes d’un racisme mystico-religieux.

« L’Idée Nordique est l’expression d’une conception du monde selon laquelle faire progresser l’être humain est un commandement divin. »65

Et Günther de citer l’Evangile de Matthieu dans une optique eugéniste : « Soyez parfaits, comme votre Père est parfait. »66

Dénonçant le mépris du corps que la théologie catholique aurait induit, Günther appelle à cultiver tout autant les qualités physiques que les qualités morales des hommes de race nordique. Le plaisir que les Hellènes trouvaient dans le corps joyeux du héros n’était-elle pas la manifestation même de ce qui réjouit l’âme Nordique ?67

Quant à savoir à quoi cet homme nordique doit ressembler, Günther y répond brièvement, sans tomber dans le piège des typologies raciales trop figées : il est à l’image de ce que « les Allemands de toutes les lignées se représentent lorsqu’ils parlent d’un être beau ou d’un être doté d’une grande autorité naturelle (führend) ».68 On lit tout de même un peu plus loin

que cet être humain est de grande taille, et qu’il a les cheveux blonds et les yeux bleus !69

On aura remarqué que Günther se soucie avant tout de faire de l’homme de race nordique « un modèle physique et spirituel pour la sélection au sein du peuple allemand ».70 Mais l’Idée nordique est

également destinée, par nature, à s’exporter. En effet, de même que l’homme nordique serait à la fois, selon les raciologues, étroitement attaché à sa terre et porté à conquérir le monde, l’Idée nordique serait animée par un double mouvement d’amour pour la patrie (Heimatpflege) et d’envie irrésistible de découvrir des terres lointaines (Fernendrang)71. Ce serait

donc mal la comprendre que de la concevoir comme une idéologie

65 Ebenda, p.27. 66 Mt 5, 48.

67 Hans Friedrich Karl GÜNTHER : Der Nordische Gedanke unter den Deutschen, chap.3 et 9. 68 Ebenda, p.51.

69 Ebenda, p.53. 70 Ebenda, p.49. 71 Cf. ebenda, chap.10.

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nationaliste. Elle serait au contraire pacifiste72 et internationaliste73. Günther

s’inscrit ici dans la droite ligne de Madison Grant.

« Si, parmi les peuples de langue germanique […], un sentiment d’appartenance à la race « germanique » avait été répandu, […] la guerre mondiale n’aurait jamais pu se déclencher. Mais il a peut-être fallu que le sang nordique soit victime d’une contre-sélection dans les peuples occidentaux aux qualités nordiques les plus prononcées pour que s’éveille çà et là la conscience raciale des uns et des autres : [c’est] l’Idée Nordique, qui souhaite s’exprimer vers l’extérieur par l’Idée Pannordique (Allnordischer Gedanke). »74

Une fois les différents peuples majoritairement nordiques conscients de leur valeur raciale, ils pourront veiller à ce que les jeunes gens choisissent leur conjoint avec discernement – c’est-à-dire en considérant davantage les qualités raciales de leur partenaire que son statut social –, et à ce qu’ils fassent des exercices physiques, car « l’Idée Nordique est un esprit qui veut s’incarner dans les corps les plus beaux » 75. Le futur ministre de

l’Agriculture du Troisième Reich, Richard Walter Darré, le proclamera énergiquement : il convient de « former une nouvelle noblesse », consciente de ses responsabilités vis-à-vis des générations futures76. Une

nouvelle noblesse aussi fertile que les Chinois, mais dotée d’un supplément d’âme qui ferait défaut à ces derniers77.

Cette internationale nordique se définit toutefois en s’opposant à un ennemi, au visage certes assez flou, mais dont on devine bien l’identité. Pour le Norvégien Vidkun Quisling par exemple, que son gouvernement de collaboration avec l’occupant nazi rendra tristement célèbre dans les années 1940, le bolchévisme représentait un danger mortel pour les peuples nordiques78. Et que le bolchévisme fût aux mains des Juifs, au

même titre curieusement que le grand capital spéculatif, ne semblait faire aucun doute. De même, pour Günther :

72 Cf. ebenda, chap.3.

73 Cf. Erich VOEGELIN: Rasse und Staat, Deuxième partie, chapitre 8.

74 Hans Friedrich Karl GÜNTHER : Der Nordische Gedanke unter den Deutschen, p.37. 75 Ebenda, p.72.

76 Cf. ebenda, chap.9 ; Richard Walter DARRE : Neuadel aus Blut und Boden, Lehmann, München, 1930.

77 Cf. Hans Friedrich Karl GÜNTHER : Der Nordische Gedanke unter den Deutschen, chap.10.

78 Cf. Vidkun QUISLING : Russland und wir, Blix Vorlag, Oslo, 1942, traduit du norvégien par E.G.Kern, préface à la seconde édition norvégienne et à la première édition allemande.

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« A l’époque actuelle, il n’y a que deux races qui puissent prétendre dominer le monde : la race proche-orientale (grâce au capitalisme bancaire juif et à l’activisme bolchévique mené auprès de tous les peuples de la terre) et la race nordique (grâce au capital productif (schaffendes Kapital) des peuples de langue germanique). L’une des deux finira par dominer – à supposer que l’une et l’autre ne se vident pas de leur sang dans cette compétition […]. Le besoin de dominer caractérise autant la race nordique que la race proche-orientale – chacune cherchant à sa façon à atteindre sa propre forme de domination. »79

La domination juive serait celle de « l’esprit moderne », de la grande ville avec ses théâtres et ses cinémas, où les femmes données en modèle ne seraient pas saines, et où l’homme oublierait son devoir racial80. Ce serait

celle des masses et du pouvoir de l’argent81. Celle de l’égalitarisme

rousseauiste82 et du métissage83.

Le triomphe de l’Idée nordique signifierait au contraire la victoire d’une nouvelle idée, le retour à soi par le « dépassement du XIXe siècle »84.

Le Mouvement nordique ne serait donc pas tant « anti-sémite » qu’« a-sémite »85 – l’adjectif nazi « judenrein » (netttoyé des Juifs) semblant se

profiler ici.

79 Hans Friedrich Karl GÜNTHER : Der Nordische Gedanke unter den Deutschen, p.131. 80 Cf. ebenda, chap.8. 81 Cf. ebenda, chap.9. 82 Cf. ebenda, chap.1. 83 Cf. ebenda, chap.7. 84 Cf. ebenda, chap.1,7 et 9. 85 Cf. ebenda, chap.5.

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3. Les groupes nordicistes, leurs membres et leurs revues

a. Quelques groupuscules nordicistes

Nombre de groupuscules nordicistes qui se sont formés durant les années 1920 sont très mal connus des historiens, tant ils furent petits et leurs ramifications complexes. Mais on peut citer ici quelques groupes religieux se définissant comme « nordiques », et unis par le désir de pratiquer une religiosité païenne d’inspiration germanique dans laquelle seraient célébrés les saisons et les cycles de la vie86. Ainsi, par exemple,

une certaine Fédération pour une conception du monde nordique (Bund für nordische Weltanschauung), dont on ne trouve plus guère la trace87.

Plus significatif : le « Nouvel Ordre germanique des Nordungen » (Nordungen, junggermanischer Orden)88, qui fut fondé en 1923 et aurait

compté vraisemblablement entre 100 et 200 membres. Ils se rassemblaient pour des cérémonies religieuses autour d’une grotte de la région du Harz, l’« église de pierre » (Steinkirche), à laquelle sont associées des pratiques magiques depuis le Moyen Âge. En 1927, les Nordungen se sont alliés à la

Communauté religieuse germanique (Germanische

Glaubensgemeinschaft) et la Communauté de foi allemande (Deutschgläubige Gemeinschaft) pour former la Communauté religieuse nordique (Nordische Glaubensgemeinschaft) et atteindre ainsi le millier de membres89. Cette communauté souhaitait s’étendre « à tous les Hommes

de sang nordique (aryen-germanique) », afin d’œuvrer à la création d’une grande Europe « aristocratique, antichrétienne et nordique »90.

86 Cf. Armin MOHLER / Karlheinz WEISSMANN : Die konservative Revolution in Deutschland 1918-1932. Ein Handbuch, 6.Auflage, Ares Verlag, Graz, 2005, chap. A5.1; Stefanie von SCHNURBEIN: « Die Suche nach einer „arteigenen“ Religion“ », in Uwe PUSCHNER/ Walter SCHMITZ/ Justus H.ULBRICHT (éd): Handbuch zur « Völkischen Bewegung », p.172-185; Winfried MOGGE: « “Wir lieben Balder, den Lichten…“. Völkisch-religiöse Jugendbünde vom Wilhelminischen Reich zum “Dritten Reich“ », in Uwe PUSCHNER/ Clemens VOLLNHALS (éd.) : Die völkisch-religiöse Bewegung im Nationalsozialismus. Eine Beziehungs- und Konfliktgeschichte, 2.Auflage, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 2012, p.45-64. 87 Cette Fédération est citée dans un ouvrage protestant qui s’inquiète de la montée du néo-paganisme en Allemagne : Die „Dritte Konfession ?“. Materialsammlung über die nordisch-religiösen Bewegungen, Informationsabteilung des Evangelischen Preβverbandes für Deutschland, 5.Auflage, Berlin, chap.IV. 88 On trouve aussi l’appellation « Volkschaft der Nordungen » (Rassemblement du peuple des Nordungen) ; cf. Rainer LÄCHELE : « Protestantismus und völkische Religion », in Uwe PUSCHNER/ Walter SCHMITZ/ Justus H.ULBRICHT (éd): Handbuch zur « Völkischen Bewegung », p.149-163. 89 Cf. Ulrich NANKO : Die Deutsche Glaubensbewegung. Eine historische und soziologische Untersuchung, diagonal-Verlag, Marburg, 1993, chap.B-I-2-bd et chap.B-I-2-be.

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De même, une Fédération pour une religiosité nordique (Nordisch-Religiöse Arbeitsgemeinschaft) fut instituée en 1932. Mais contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, cette fédération « religieuse » se concevait comme un groupe de combat pour le triomphe de la pensée raciale91.

Ces groupuscules völkisch étaient souvent issus de groupes plus anciens, constitués à l’époque de l’empire wilhelmien, mais le terme « nordique » n’avait plus tout à fait la même valeur que 30 ans plus tôt. Alors que, sous l’Empire, cette religiosité païenne n’émergea que très progressivement sur la base du rejet de tout ce qui est étranger à la germanité (Rome, les Juifs, Jésus en tant que sauveur juif, etc.), elle acquit dans les années 1920 une dimension plus pangermanique : il fallait faire triompher la culture nordique en Allemagne et célébrer un culte propre à tous les hommes de race nordique en Europe – un courant d’idées plus ou moins occultes dont Heinrich Himmler sera bientôt le plus célèbre représentant.

Le groupuscule nordiciste secret Anneau des Norda (Ring der Norda), fondé en 1907 par le célèbre eugéniste Alfred Ploetz, doit être mentionné ici, car il servit de modèle aux grands mouvements de l’entre-deux-guerres92. Ploetz et quelques membres de la Société allemande

d’hygiène raciale (Deutsche Gesellschaft für Rassenhygiene) – parmi lesquels Fritz Lenz – entendaient « œuvrer au triomphe (Höherführung) de la race nordico-germanique », qu’ils définissaient, dans la lignée de Lapouge, comme « la race de grande taille, blonde, aux yeux clairs, à la peau claire, au visage allongé et aux traits bien droits, à la tête longue et grande », une race dont les attributs intellectuels et spirituels ne sont rien de moins que « l’intériorité paisible, l’intelligence novatrice et le don pour la conception artistique, l’opiniâtreté, la fidélité et le courage »93.

Deux autres groupuscules nordicistes et hygiénistes furent créés par Ploetz et ses amis dans le sillage de l’Anneau des Norda : d’une part, le Club munichois de l’Arc (Münchner Bogenklub e.V.), en 1912, un club

91 Cf. ebenda, chap.B-I-2-bf.

92 Sur ce groupuscule, cf. Nicola KARCHER : « Schirmorganisation der Nordischen Bewegung : Der Nordische Ring und seine Repräsentanten in Norwegen », in NORDEUROPAforum. Zeitschrift für Politik, Wirtschaft und Kultur, 19.Jg., 1/2009, p.7-35; Wolfgang BENZ : Handbuch des Antisemitismus. Judenfeindschaft in Geschichte und Gegenwart. Band 5, Organisationen, Institutionen, Bewegungen, De Gruyter, Berlin, 2012; Paul WEINDLING: L’Hygiène de la race. I. Hygiène raciale et eugénisme médical en Allemagne, 1870-1932, traduit de l’anglais par B.Frumer, La Découverte, 1998 ; Paul Emil BECKER: Zur Geschichte der Rassenhygiene. Wege ins Dritte Reich, Georg Thieme Verlag, Stuttgart, 1998; Peter WEINGART / Jürgen KROLL / Kurt BEYERTZ : Rasse, Blut und Gene. Geschichte der Eugenik und Rassenhygiene in Deutschland, Suhrkamp Taschenbuch, Frankfurt/Main, 1992.

93 Alfred PLOETZ : « Unser Weg », 1911 ; cité par Falk RUTKE, in « Die Nordische Bewegung. Ein Beitrag zu ihrer Geschichte », in Rasse, 2.Jg., 11/1935, p.410-411.

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réservé aux hommes présentant certaines qualités physiques et psychologiques – l’arc symbolisant ici la vitalité nordique ; d’autre part, la Ligue allemande Vidar (Deutscher Widar-Bund e.V.) en 1918. Selon la mythologie germanique, le dieu Vidar survécut à la catastrophe cosmique que fut le Ragnarök, il vengea son père, le dieu Odin tué par le loup Fenrir, et contribua à l’avènement d’un royaume où la lumière triompha de l’obscurité. La métaphore est évidente : la ligue Vidar voulait œuvrer à la renaissance de l’Allemagne en ce lendemain de première guerre mondiale, « en cultivant l’être allemand (Pflege deutschen Menschentums)» et le sentiment national, et en veillant au « rayonnement (Förderung) de ses membres et leurs familles d’un point de vue médical, économique et social »94.

g. L’Anneau nordique

L’Anneau des Norda, qui fut sans doute rebaptisé Anneau nordique (Nordischer Ring) en 191195, fut dissout durant la première guerre

mondiale, mais c’est l’un de ses membres, le conseiller ministériel Hanno Konopath, qui le fit renaître le 15 mai 1926 – sans la bénédiction de Ploetz. Ce nouvel Anneau nordique était constitué à l’origine d’une 20e de

membres : un tiers étaient des aristocrates – telle la femme de Konopath, la princesse Marie Adelheid Reuβ zur Lippe, ou le prince Oscar de Prusse, le propre fils de l’Empereur Guillaume –, un autre tiers : des scientifiques et des universitaires. L’objectif de l’Anneau était de fédérer les différents groupements nordicistes, et de contribuer ainsi au triomphe de l’Idée nordique de Günther en Allemagne et dans les autres pays de population majoritairement nordique. Ses sources idéologiques étaient d’ailleurs clairement racistes :

« L’Anneau considère que ses idées fondamentales et ses objectifs sont formulées dans les ouvrages de raciologie d’hommes tels que Lapouge, Ammon, Schemann, Woltmann, Kraitschef, Grant, Stoddard, Günther et Darré […]. »96

94 Deutscher Widar-Bund e.V., cité par Peter Emil BECKER, in Zur Geschichte der Rassenhygiene, p.113.

95 Les historiens ne s’accordent ni sur les dates, ni sur les dénominations de cette société secrète. 96 Lettre de l’Anneau nordique à Vidkun Quisling, datée du 11/3/1933; citée par Nicola KARCHER, in « Schirmorganisation der Nordischen Bewegung », p.4.

Otto Ammon était un anthropologue allemand, qui établit un lien entre l’exode rural et la (supposée) disparition de la race nordique. Quant à Kraitschef, on ne trouve guère sa trace.

Références

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