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Günther l’avait pourtant prophétisé : les hommes de race nordique sont condamnés à chercher à dominer les autres.

« La naissance d’un mouvement pannordique supranational trouverait ses limites dans la nature même de la race Nordique ; il semble relever de la nature des peuples essentiellement nordiques de vouloir commander et d’éprouver un fort sentiment patriotique. »145

Aussi l’idéal internationaliste et pacifiste de quelques nordicistes convaincus fit-il long feu. Les intérêts politiques des différents pays, et en particulier les visées expansionnistes du Reich hitlérien, s’avérèrent en effet rapidement incompatibles avec le Mouvement nordique tel qu’il fut conçu à son origine, si bien que le pannordicisme finit par se muer en pangermanisme.

1. La « Mise au pas » des organisations nordicistes

Quoiqu’ils aient présenté certaines affinités idéologiques avec la pensée nationale-socialiste et que certains de leurs adhérents aient été membres du parti nazi, les groupes nordicistes furent eux aussi victimes de la « mise au pas » (Gleichschaltung) qui frappa de nombreuses organisations allemandes à partir de mars 1933. La Société nordique fut la première touchée, sans doute parce qu’elle intéressait particulièrement Alfred Rosenberg146.

145 Hans Friedrich Karl GÜNTHER : Der Nordische Gedanke unter den Deutschen, p.61.

146 Cf. Hans-Adolf JACOBSEN : Nationalsozialistische Außenpolitik 1933-1938, chap.IV,3; Birgitta ALMGREN / Jan HECKER-SAMPEHL / Ernst PIPER: « Alfred Rosenberg und die Nordische Gesellschaft», in NORDEUROPAforum, 2/2008, p.7-51; Hans-Jürgen LUTZHÖFT : Der nordische Gedanke in Deutschland 1920-1940, chap.B, III, 1.

L’idéologue du Parti, né au sein de la minorité allemande de Tallin en Estonie, était en effet très attaché au fait de diffuser l’Idée nordique à l’étranger. De fait, lorsque le comité directeur de la Société nordique fut amené à démissionner en mai 1933, celle-ci fut placée sous l’égide du ministre du Reich et de son Office de politique étrangère du NSDAP (Aussenpolitisches Amt der NSDAP). Elle eut donc la « chance » de ne pas être totalement dissoute ou intégrée à une organisation nazie préexistante, mais elle subit une réorganisation importante durant plusieurs mois. En septembre, un Grand conseil fut créé, dont les dix membres avaient des fonctions importantes au sein du Reich hitlérien. On retrouve ainsi parmi eux : Alfred Rosenberg, Heinrich Himmler, Richard Walter Darré, le juriste Falk Alfred Ruttke, qui s’occupait des questions raciales au sein du ministère de l’Intérieur, ou encore Horst Rechenbach, du Bureau pour la race et le peulement (Rasse- und Siedlungshauptamt) de la S.S. A considérer les convictions de ces nouveaux dirigeants de la Société nordique, on devine d’emblée que « l’idée nordique » de Günther devait se teinter d’une dimension très agressive envers les populations non- nordiques, et globalement très expansionniste. Voici par exemple ce que déclara Thilo von Trotha, l’ajoint de Rosenberg :

« Nous, [l’Office de politique étrangère du NSDAP], nous pouvons maintenant faire ce que nous voulons de la Société nordique, nous avons le pouvoir d’en faire une branche politique cachée de la S.S., qui pourra essaimer sans effort l’idée nordique dans d’autres pays. »147

Pour ce faire, le Grand conseil décida de mettre ouvertement l’accent sur les questions internes à l’Allemagne, afin de dissimuler l’intérêt que la nouvelle Société nordique portait à la Scandinavie. Il ordonna ainsi la création de nombreux comptoirs dans des villes du Reich, placés sous la direction des Gauleiter locaux, pour que l’Idée nordique soit diffusée dans toute l’Allemagne. Alors qu’ils n’étaient encore que 18 en 1934, on en comptait déjà 43 en 1939.

Afin de faire comprendre aux Allemands que le Nord et le Nord-Est de l’Europe étaient les régions dont étaient issues toute culture, la Société nordique s’attacha à favoriser les Etudes scandinaves et de la littérature germanique à l’université, elle contribua à l’augmentation des échanges scolaires, universitaires et économiques entre l’Allemagne et les pays scandinaves, et veilla aux progrès des moyens de transport entre ces pays.

147 Lettre de Thilo von TROTHA à H.F.K.Günther, datée du 9/6/1933 ; citée par Birgitta ALMGREN / Jan HECKER-SAMPEHL / Ernst PIPER, in « Alfred Rosenberg und die Nordische Gesellschaft», in NORDEUROPAforum, 2/2008, p.20.

Enfin, la Société nordique s’attela à développer une propagande favorable au Reich hitlérien dans les pays scandinaves. En 1939, elle avait d’ailleurs installé 5 coordinateurs (Verbindungsleiter) dans les capitales des pays scandinaves et de l’Islande – avec toutefois peu de succès auprès des populations visées.

La Société nordique mise au pas gagna rapidement en influence, au sein du Reich, mais elle décida tout de même de se rapprocher de l’Anneau nordique afin d’accroître encore son audience. Darré et Ruttke étaient d’ailleurs à la fois membre du Grand conseil de la Société nordique et des personnalités essentielles de l’Anneau nordique. Mais ce rapprochement n’alla pas sans frictions, car l’Anneau nordique avait depuis longtemps la prétention de chapeauter les différents groupes nordicistes148.

En 1936, l’Anneau fut dissout et ses membres rattachés à la Société nordique. Günther présenta ces faits de manière très diplomatique :

« La Société nordique et l’Anneau nordique ont décidé de coopérer de telle façon que la Société nordique gère les questions administratives des deux associations et que l’Anneau nordique poursuive son travail au sein de la Société nordique. »149

Cette « nazification » de l’Anneau nordique apparaît très nettement à la lecture des différents numéros de la revue Rasse, passée aux mains de la Société nordique en février 1937. Alors que la revue traitait essentiellement de questions d’histoire, d’anthropologie raciale et d’ethnologie au début des années 1930, le ton devient nettement plus politique à la fin de la décennie : valeur des lois du Reich pour la sauvegarde du patrimoine nordique150, politique raciale dans l’Italie fasciste151, « retour » de l’Autriche

au sein du Reich152, « libération » des Sudètes153 ; et surtout, de 1939 à

1941, un intérêt très prononcé pour les Balkans, la Tchéquie, la Slovaquie, les Pays-Bas, la Flandre, l’Alsace, et la Pologne154!

148 Cf. Nicola KARCHER: « Schirmorganisation der Nordischen Bewegung ».

149 Hans Friedrich Karl GÜNTHER pour l’Anneau nordique et la revue Rasse : « Zur dritten Reichstagung der Nordischen Gesellschaft. Lübeck, den 19. bis 21 Juni 1936 », in Rasse, 3.Jg., 6/1936, p.209.

150 Cf. par exemple Rasse, 3.Jg., 7-8/1936

151 Cf. par exemple Rasse, 5.Jg, 10/1938, et 6.Jg., 10-11/1939. 152 Cf. Rasse, 5.Jg, 4/1938, « Vorwort », et 7-8/1938.

153 Cf. Rasse, 5.Jg, 10/1938, « Vorwort »

154 Cf. par exemple Rasse, 6.Jg, 4/1939; 6.Jg, 5/1939; 6.Jg, 7-8/1939; 6.Jg, 12/1939; 7.Jg, 1/1940; 7.Jg, 2/1940 ; 7.Jg, 8/1940 ; 8.Jg, 4/1941 ; 8.Jg, 7/1941 ; 8.Jg, 8/1941.

5. Quand la race entre en concurrence avec la nation

a. Comment ne pas être victime d’un complexe d’infériorité ?

Mais il est un problème auquel les nordicistes allemands furent confronté dès le début des années 1930 : le risque de regretter d’être Allemand. A trop vanter en effet les qualités raciales éminentes des hommes du grand Nord, on est bien contraint d’admettre que le peuple allemand est le fruit d’un mélange racial bien moins favorable. Ainsi, selon Günther, seuls les pays scandinaves possèderaient encore un noyau nordique pur, et jamais l’Allemagne ne pourrait parvenir à une « renordification » (Vernordung) suffisante pour atteindre le niveau de pureté de la Suède155. Le médecin et anthropologue norvégien Halfdan

Bryn alla même jusqu’à déclarer dans un article de la revue Volk und Rasse qu’il avait du mal à concevoir comment les Allemands comme Günther, ou les Américains comme Grant, pouvaient prétendre bien connaître les caractéristiques psychiques des hommes de race nordiques puisqu’ils vivaient eux-mêmes au sein de peuples métissés156.

Aussi une inflexion apparaît-elle très nettement dans les écrits des raciologues allemands à la fin des années 1930. Le rédacteur en chef de la revue Rasse tient par exemple à préciser, à l’occasion de la publication d’un article consacré à la naissance de la pensée nordiciste en Suède, que les conquérants Vikings n’étaient pas les seuls Nordiques, mais que les paysans pouvaient l’être aussi et que la race phalienne, très présente en Allemagne, aurait autant contribué que la race nordique à la naissance de la culture indogermanique157. Quant à l’entrepreneur lübeckois Werner

Daitz, il ne manqua pas, lors du Congrès de 1937, de voir en sa ville natale le symbole vivant du « caractère viking » (Wikingertum) des Allemands158.

155 Cf. Hans Friedrich Karl GÜNTHER : Der Nordische Gedanke unter den Deutschen, chap.6.

156 Halfdan BRYN : « Seelische Unterschiede zweier Spielformen der nordischen Rasse », in Volk und Rasse, 4.Jg., 3/1929, p.158-164.

157 Remarque du rédacteur en chef à propos de l’article de F.WEIGEL : « Erik Gustav Geijer und die Anfänge einer Rassenseelenkunde », in Rasse, 7.Jg., 3/1940, p.102-103.

On trouve une même insistance sur la « grande culture paysanne » des peuples nordiques de l’Antiquité dans un exposé fait par B.Kummer lors de la croisière de la Société nordique.

Cf. Ernst KUCKELSBERG : Deutsche Nordlandreise, chap.I.

l. L’image ternie du Nordique

Certes, durant les années 1930, les grands hebdomadaires régionaux que sont la Münchner Illustrierte Presse (à Munich) et la Kölnische Illustrierte Zeitung (à Cologne) continuèrent à diffuser parmi leurs lecteurs une image très positive des pays scandinaves en consacrant des reportages photographiques aux danses traditionnelles159, à la famille

typiquement nordique de l’écrivain Knut Hamsun160, au grand géographe

suédois Sven Hedin161, ou à l’université d’Uppsala, présentée comme le

paradis des étudiants162.Mais on remarque toutefois que des articles plus

critiques apparaissent çà et là sous la plume d’hommes qui sont pourtant des racistes convaincus. L’Islande est la première visée. Ainsi, par exemple, le scandinaviste Erberhard Dannheim rédigea-t-il en 1939 pour la revue Rasse un article extrêmement critique sur Reykjavik, prévenant ses lecteurs qu’ils risquaient d’être aussi déçus que lui par la capitale islandaise. La ville ne serait pas belle ; le peuple aurait perdu son enthousiasme ; les enfants seraient libres, mais très mal élevés. En résumé, « aucun pays ne [serait] autant idéalisé en Allemagne que l’Islande […]. »163

Autre témoignage des années 1930 : celui du consul général d’Allemagne en Islande, Werner Gerlach. Cet officier de la S.S., médecin spécialiste des tumeurs, faisait parvenir à Himmler des rapports dans lesquels il présentait l’Islande sous un jour très défavorable. D’un point de vue culturel, le pays atteindrait tout juste le niveau d’une ville telle que Nuremberg. A cause du manque de bois, l’ameublement traditionnel paysan serait d’une grande pauvreté. Tout aurait été balayé par la modernité américaine, le goût du cinéma et des romans policiers. Et d’un point de vue médical, pas moins d’un tiers des 17 mille habitants seraient des dégénérés !164

Plus surprenant encore : même Kuckelsberg fut contraint d’admettre dans son récit de voyage que l’escale de la croisière de la Société nordique à Reykjavik fut décevante. La « capitale au format de poche », si modeste

159 Münchner Illustrierte Presse, n° 12 du 26 mars 1934. 160 Kölnische Illustrierte Presse, n° 29 du 21 juillet 1934. 161 Kölnische Illustrierte Presse, n° 30 du 28 juillet 1934. 162 Kölnische Illustrierte Presse, n° 31 du 4 août 1934.

163 Eberhard DANNHEIM : « Ein seelenkundlicher Bericht aus der isländischen Hauptstadt Reykjavik », in Rasse, 6.Jg., 6/1939, p.217.

164 Cf.Michael PENK : « Deutsche Islandbilder », in http://nordichistoryblog.hypotheses.org/1158

et dépourvue de charme, ne ressemblait en rien à la ville imaginée par les touristes nordicistes.

« Cette ville nous a d’abord parue anachronique dans ce pays, où nous nous imaginions parfois que le monde et le temps avaient reculé d’un millénaire, avec son trafic automobile assez dense, avec ses agents de circulation, son activité commerciale, son quartier ouvrier, ses habitants habillés de manière moderne, et parmi eux, certaines femmes et jeunes filles qui faisaient un usage trop généreux de la poudre et du rouge à lèvres. »165

m. Les Anglo-Saxons sont-ils encore des Nordiques ?

Dernière question, enfin, à laquelle les nordicistes ne purent échapper à la veille de la Seconde Guerre mondiale : quelle place accorder à la Grande-Bretagne dans le projet de grande Europe nordique ? Bien que la plupart des raciologues aient considéré que les Anglais étaient des Nordiques à part entière, les enjeux stratégiques et politiques ne s’accordèrent pas toujours avec ce que les racistes considéraient comme devant être le découpage naturel de la carte de l’Europe.

Ainsi, en 1935, Alfred Rosenberg accordait-il encore à la Grande- Bretagne toute sa place dans ses projets de grande Europe nordique.

« Le nord de l’espace baltique, allié à l’empire britannique, s’accroît pour former le grand destin de l’Europe, destin dans lequel, un jour, ce ne seront plus les intérêts politiques particuliers, mais le sang commun qui primera. »166

Mais, comme on le sait, la Grande-Bretagne n’a pas répondu aux attentes des nationaux-socialistes allemands. Loin de s’allier à eux pour former la grande Europe nordique, elle leur a déclaré la guerre. Pour l’architecte Paul Schultze-Naumburg, la faute en revient aux Juifs qui auraient empêché les Anglais d’écouter la voix de leur sang.

« Il y a encore en Angleterre beaucoup d’hommes et de femmes courageux, travailleurs et d’une grande qualité raciale ; mais malheureusement, ce ne sont pas eux qui dirigent, ils sont menés sur des voies trompeuses (verführt) par des dirigeants de race

165 Ernst KUCKELSBERG : Deutsche Nordlandreise, p.104.

166 Alfred ROSENBERG, cité par Günther SASS, in « Die zweite Reichstagung der Nordischen Gesellschaft », in Rasse, 2.Jg., 7-8/1935, p.306.

étrangère. […] Ils luttent contre les idées [de notre Führer] parce qu’ils ne les comprennent pas, et ils ne savent pas qu’ils ne travaillent que pour la juiverie, elle qui a toujours tiré profit de la défaite des forces de la nation (völkischer Untergang).

Ce n’est pas sans raison que le Führer a tendu si longtemps la main à ces Anglais germano-nordiques. »167

Pour le national-socialiste norvégien Quisling aussi, la déception semble amère. Alors qu’il s’imaginait encore en 1930 que l’Angleterre aiderait la Scandinavie et l’Allemagne à lutter contre la Russie soviétique, il écrivit en 1941 :

« En fait, j’avais espéré que la [Russie] serait nettoyée [des bolchéviques] grâce à une union pannordique de l’Allemagne, de la Scandinavie et de l’Angleterre, et pas par une nouvelle guerre entre peuples germaniques. Mais l’Angleterre nous a fait faux bond. Au lieu de taper dans la main que Hitler lui tendait en lui proposant une coopération germanique loyale, au lieu de soutenir ses efforts pour constituer un bloc anticommuniste dans le monde entier, l’Angleterre, dans son égoïsme aveugle, a préféré s’allier aux forces obscures du judaïsme et du bolchévisme pour écraser la nouvelle Allemagne, et pouvoir ainsi accroître encore sa propre grandeur. […] »168

Autre difficulté à laquelle les nordicistes allemands furent confrontés dans le courant des années 1920 : l’éloignement d’avec leurs confrères américains. Certes, les uns et les autres ne renonçaient pas à leur vision du monde foncièrement raciste. Mais, à la suite de Madison Grant et surtout de son disciple Lothrop Stoddard, les racistes américains se soucièrent davantage de défendre la race blanche dans son ensemble face à la « marée montante » des hommes de couleur que de veiller à la domination mondiale de la seule race nordique. De plus, une éventuelle collaboration fut rapidement entravée par les choix stratégiques et l’obsession antisémite de Hitler. Oui, la population des Etats-Unis était

167 Paul SCHULTZE-NAUMBURG : « Sind die Engländer wirklich unser germanisches Brudervolk?“, in Rasse, 7.Jg., 2/1940, p.47.

A noter aussi deux autres articles négatifs consacrés à l’Angleterre dans la revue Rasse de cette même année 1940 (cahiers 5 et 6).

168 Vidkun QUISLING : Russland und wir, préface à la seconde édition norvégienne et à la première édition allemande, p.5.

composée à 30% de Nordiques, mais le pays était un concurrent redoutable, et, selon le Führer, tout entier aux mains des Juifs169.

6. La fin du rêve d’une « communauté de destin »

a. Regard des pays scandinaves sur le Troisième Reich

Nous avons jusqu’ici beaucoup adopté le point de vue allemand, mais il convient de se demander également comment les pays scandinaves accueillirent la volonté du Reich hitlérien de constituer une « communauté de destin ».

Dans son récit du voyage de la Société nordique, Kuckelsberg insiste bien entendu sur l’excellent accueil qui aurait été réservé aux Allemands lors de leurs différentes escales. Ainsi le Professeur Alexander Johannesson, linguiste à l’université de Reykjavik, salua-t-il les voyageurs en ces termes :

« Nous voulons entretenir des liens amicaux avec tous les peuples. Mais cela n’empêche que nous avons suivi avec un intérêt tout particulier les événements qui se sont déroulés en Allemagne ces dernières années. Nous avons vu comment un peuple uni a rejeté tous les liens qui l’entravaient, comment le Troisième Reich tout neuf s’est relevé des cendres, tel l’oiseau phénix. […] Puisse l’avenir de l’Allemagne se dérouler de manière aussi brillante que le fut son grand passé, et puisse-t-elle être toujours dirigée par un homme tel qu’Adolf Hitler ! »170

Quant au célèbre poète islandais Gunnar Gunnarsson, qui participa à la croisière, il ne manqua pas d’exprimer toute son admiration pour la nouvelle Allemagne.

« Notre pauvre pays n’a que des pierres, du feu et de la glace, et un gamin islandais pourrait rêver de l’Allemagne comme d’un beau paradis. Mais nous sommes un pauvre pays avec beaucoup de richesses, un pays riche malgré notre pauvreté. Et nous devons remercier tout particulièrement l’Allemagne. Nos [récits mythologiques de] l’Edda ne trouvent pas meilleure traduction qu’en Allemagne ; il n’est pas un peuple, même du Nord, qui n’en ait fait un tel patrimoine national. »171

169 Cf. Hans-Jürgen LUTZHÖFT : Der nordische Gedanke in Deutschland 1920-1940, chap.D, IV, 2 et 3. 170 Alexander JOHANNESSON, cité par Ernst KUCKELSBERG, in Deutsche Nordlandreise, p.98-99. 171 Gunnar GUNNARSSON, cité par Ernst KUCKELSBERG, in Deutsche Nordlandreise, p.59.

Et pourtant, l’arrivée du navire en Islande fut marquée par un incident qui troubla profondément Kuckelsberg, tant l’écrivain était convaincu que l’Allemagne hitlérienne ne pouvait qu’être aimée des pays nordiques.

« Nous sommes habités par un sentiment de solennité silencieuse lorsque que nous montons dans les bateaux qui doivent nous mener à la terre que notre pied va fouler pour la première fois. […] Des mythes ancestraux parlant de dieux et de héros se réveillent en nous […].

C’est alors que tout à coup, comme tirés violemment de nos souvenirs, nous voyons une inscription très hostile à la nouvelle Allemagne, écrite en gros caractères sur le mur du quai. Comme nous devions l’apprendre plus tard, ce sont des mains de fripons communistes qui l’ont peinte là pendant la nuit. Même dans cette partie extrêmement reculée du Nord, des hommes à la solde de Moscou sont à l’œuvre, cherchant à semer le trouble au moment même où les sangs se retrouvent. »172

De manière générale, la plupart des Scandinaves semblent s’être méfiés de l’idéologie pannordique, y voyant surtout des visées pangermaniques plus ou moins bien dissimulées. Ils craignaient notamment que l’Allemagne ne cherche à constituer un espace économique unifié autour de la mer Baltique, et que leurs petits pays soient réduits au rang de simples « provinces nordiques ».173 Et il est vrai

que certains Allemands, comme le national-socialiste lübeckois Werner Daitz, rêvaient de placer cet espace nordique sous protectorat allemand.174

La Société nordique se vit donc contrainte de rassurer ses partenaires lors des Congrès de Lübeck en affirmant que l’Allemagne nazie ne poursuivait aucun objectif impérialiste, qu’elle ne souhaitait qu’une coopération culturelle et économique amicale, que l’idéologie nationale- socialiste « ne concernait que le peuple allemand », et que « les connaissances acquises en matière de politique raciale n’[étaient] pas des marchandises exportables » (!).175

Car c’était effectivement surtout la politique raciale du Reich qui rebutait les peuples scandinaves. Que signifiait d’ailleurs l’adjectif « nordique » ? Des journalistes scandinaves firent remarquer en 1935 que si son acception était linguistique et culturelle, il fallait alors exclure les Finlandais qui n’appartiennent pas à la famille germanique ; mais que s’il

172 Ernst KUCKELSBERG: Deutsche Nordlandreise, p.72-73

173 Cf. Hans-Adolf JACOBSEN : Nationalsozialistische Außenpolitik 1933-1938, chap.IV,3.

174 Cf. Hans-Jürgen LUTZHÖFT : Der nordische Gedanke in Deutschland 1920-1940, chap. D, IV, 6. 175 Ibid., p.296 et suiv.

s’agissait d’un concept géographique, alors les Allemands n’avaient pas

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