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Entre logique et histoire : la place du contexte de découverte en philosophie des sciences

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Academic year: 2021

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© Grégorie Dupuis-Mc Donald, 2019

Entre Logique et Histoire. La Place du Contexte de

Découverte en Philosophie des Sciences

Mémoire

Grégorie Dupuis-Mc Donald

Maîtrise en philosophie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Entre Logique et Histoire.

La Place du Contexte de Découverte en Philosophie des

Sciences

Mémoire

Grégorie Dupuis-Mc Donald

Sous la direction de :

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Résumé

Le thème de ce mémoire est la dynamique entre la découverte et la justification en science. Plus précisément, notre mémoire prend pour objet la distinction entre le contexte de découverte et le contexte de justification (distinction D/J) proposée par Hans Reichenbach. La question principale qui nous occupera concerne la signification et la pertinence de cette distinction. Nous chercherons à préciser si la distinction nous permet de mieux étudier et conceptualiser l’activité scientifique. Cela dit, notre attention se portera sur deux dimensions du problème que crée la distinction : d’une part, elle met l’étude de la découverte scientifique de côté et, d’autre part, elle a pour effet d’isoler la philosophie des autres perspectives d’études sur la science. Dans cet ordre d’idées, nous tenterons de dégager les difficultés qui pèsent sur la conception de Reichenbach tout en montrant comment une distinction entre découverte et justification peut néanmoins être conservée, cela en incluant l’étude de la découverte, mais aussi en intégrant une perspective historique à la philosophie des sciences. Le premier chapitre de ce mémoire présente la distinction D/J et fait une revue critique de la littérature secondaire visant à interpréter et mieux comprendre la distinction. Le deuxième chapitre se concentre sur la possibilité d’une logique de la découverte et se penche sur l’idée de Norwood Russell Hanson que l’abduction, ou plutôt l’inférence à la meilleure explication, selon Peter Lipton, permet d’expliquer le raisonnement soutenant le choix des hypothèses scientifiques et conduisant à la découverte. Enfin, le troisième chapitre considère la deuxième dimension du problème de la distinction et étudie certaines propositions visant à défendre l’intégration de l’histoire et de la philosophie des sciences et à définir la fonction de l’épistémologie historique. Au final, notre mémoire présentera un point de vue critique sur la distinction D/J de

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Reichenbach et, en tentant de corriger ses difficultés, tentera d’établir non seulement sa pertinence et sa cohérence, mais aussi comment elle favorise une meilleure compréhension de la dynamique entre la découverte et la justification scientifique.

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Table des matières

Résumé iii

Table des matières v

Remerciements viii

Introduction générale 1

Chapitre I La distinction du contexte de découverte et du contexte de justification : sa signification, son problème, ses possibles solutions ... 10

Introduction ... 10

1. Les 3 tâches de l’épistémologie et la distinction Découverte/Justification chez Hans Reichenbach ... 11

1.1 Les trois tâche de l’épistémologie ... 12

1.2 Contexte de découverte et contexte de justification ... 20

2. Évaluer la distinction des contextes ... 23

2.1 les cinq sens de la distinction 24

2.2 Distinguer les contextes d'analyse 26

3. L’équivocité de la distinction ... 28

3.1 L’inextricabilité des contextes... 29

4. Solutions ... 32

4.1 Préserver la distinction ... 32

4.2 Un rôle pour l’histoire ... 34

5. Rationaliser la découverte ... 35

5.1 La logique de la découverte... 36

Conclusion ... 37

Chapitre II L’abduction et la construction d’explications scientifiques. Un modèle philosophique pour la découverte scientifique ... 40

Introduction ... 40

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1.1 La complexité philosophique et psychologique de la découverte ... 42

2. La possibilité d’une logique de la découverte ... 44

2.1 Popper et Reichenbach et l’exclusion du contexte de découverte ... 45

2.2 Hanson et la logique de la découverte ... 47

3. Abduction et découverte scientifique ... 55

3.1 Les éléments de l’abduction ... 55

3.2 Le raisonnement abductif et la construction d’hypothèses ... 58

4. La compétition des hypothèses et la sélection de la meilleure explication ... 59

4.1 La sous-détermination des conjectures abductives ... 60

4.2 La sélection de la meilleure hypothèse... 63

5. La fonction cruciale du modèle abductif ... 67

5.1 Une stratégie de recherche ... 67

6. Les difficultés du modèle abductif ... 70

6.1 L’abduction est-elle trop libérale? ... 70

6.2 L’abduction ne définit-elle que le choix d’une hypothèse existante, en n’expliquant pas la création de cette dernière? ... 72

6.3 L’abduction explique-t-elle la découverte? ... 72

Conclusion ... 74

Chapitre III Science, philosophie et histoire. Du programme HPS à l’épistémologie historique . 77 Introduction ... 77

1. Science, philosophie et histoire : la problématique de la distinction et de la jonction des disciplines ... 79

1.1 Intégrer histoire, philosophie et science – le programme HPS ... 81

1.2 L’épistémologie naturalisée de Ronald Giere ... 85

1.3 L’étude de cas, selon Raphael Scholl et Tim Räz ... 88

2. Éviter la confrontation : la critique de Jutta Schickore ... 92

2.1 Au-delà des études de cas : la suggestion de Hasok Chang ... 94

3. De l’historicité des objets scientifiques : vers une épistémologie historique... 95

3.1 La persistance opérationnelle des objets épistémiques ... 97

3.2 Représentations théoriques et stabilité expérimentale des objets scientifiques 101 Conclusion ... 104

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vii

Conclusion générale ... 107 Bibliographie... 113

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viii

Remerciements

Pour la direction de ce projet, merci à

Pierre-Olivier Méthot.

Pour leurs conseil et soutien, merci à

Wolfgang Spohn,

Thomas Müller et

Marius Backmann,

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1

Introduction générale

La distinction entre le contexte de découverte et le contexte de justification (distinction D/J) peut être lue implicitement dans la philosophie de plusieurs auteurs. Comme le remarque Paul Hoyningen-Huene, nous pouvons déjà trouver chez Emmanuel Kant l’idée que la philosophie a une tâche spécifique par rapport aux autres sciences du fait qu’il existe une différence entre les questions factuelles et questions normatives. Aussi, William Whewell suggère une telle distinction lorsqu’il présente la relation qui existe entre la pratique, l’histoire et la philosophie des sciences. Cette distinction se retrouve également dans les écrits de Gottlob Frege, d’Edmund Husserl, de Moritz Schlick et de Rudolf Carnap1. Cela dit, il est à noter que la distinction des contextes de découverte et de

justification a joué un rôle fondamental dans l’essor de la philosophie des sciences dans le contexte de l’empirisme logique. En effet, certains représentants de ce mouvement, Karl Popper et Hans Reichenbach plus particulièrement, ont défendu cette distinction en montrant qu’elle établit une différence qui précise non seulement la tâche et l’angle d’étude caractéristiques de la philosophie par rapport au savoir scientifique, mais aussi la dimension spécifique de la science que la philosophie doit étudier. Si bien que pour ces philosophes, la philosophie doit étudier la rationalité propre à l’activité scientifique et préciser les critères qui assurent la justification de l’ensemble des connaissances que constitue la science. La philosophie doit donc, sur la base de la logique, étudier la science sous un angle normatif et fournir des jugements critiques, voire correctifs. Bref, elle doit

1 HOYNINGEN-HUENE, P. (1987) “Context of discovery and context of justification”, Studies in

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reconstruire le contexte de justification de la science. En revanche, la philosophie ne devrait pas considérer les circonstances et les faits qui sont liés à la génération des connaissances scientifiques. Les conditions psychologiques, historiques et sociologiques qui encadrent la découverte de nouvelles connaissances ne seraient pas pertinentes pour l’analyse et le jugement épistémologiques de ces connaissances. Donc, l’étude descriptive du contexte de découverte est une tâche qui doit être accomplie par d’autres disciplines que la philosophie.

Dans tous les cas, plusieurs philosophes des sciences, pendant la deuxième moitié du XXe siècle, ont remis en question le bien-fondé de la distinction entre le contexte de découverte et le contexte de justification. Car tel que l’affirme Hoyningen-Huene, il semble que la distinction D/J, en isolant la perspective normative de l’épistémologie et en rejetant les éléments constitutifs du contexte de découverte, non seulement bloque toute possibilité d’élargir notre point de vue sur la science, mais aussi empêche d’intégrer plusieurs perspectives pour mieux comprendre le développement de la connaissance scientifique2. D’ailleurs, plusieurs auteurs ont remarqué que la distinction D/J donne une image inexacte de la science, et qu’elle n’indique pas justement la méthodologie nécessaire pour une étude complète de l’activité scientifique.

À ce propos, Theodor Arabatzis explique que la distinction D/J semble difficilement conciliable avec les approches adoptées en philosophie des sciences qui se distancient de l’approche positiviste du début du XXe siècle. D’une part, Arabatzis explique qu’il existe une tendance qui motive plusieurs chercheurs à délaisser l’étude strictement normative de

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3

la science et à étudier la science d’un point de vue descriptif3. Ainsi, la philosophie ne se

concentre pas seulement sur l’examen des éléments logiques et épistémologiques qui peuvent définir une science idéale; il s’agit aussi de présenter la science de manière circonstanciée et de préciser comment nos concepts philosophiques peuvent influencer notre compréhension de certains épisodes de l’histoire de la science. Ces auteurs montrent notamment que ces concepts philosophiques reçoivent une différente signification selon les conditions spécifiques de chaque époque. Aussi, plusieurs auteurs remarquent que le concept de découverte en science ne réfère pas seulement à un moment créatif et irrationnel qui ne pourrait être étudié que par la psychologie4. Au contraire, la découverte est selon eux un problème philosophique qui met en jeu des notions épistémologiques qui méritent d’être examinées systématiquement. De fait, les processus logiques et conceptuels de génération d’hypothèses ainsi que de construction de théories, par exemple, s’enracinent fondamentalement dans le contexte de découverte.

Tout cela bien considéré, la distinction D/J continue d’influencer notre conception de la science et oriente notre façon d’étudier l’activité de recherche scientifique. Dans un ouvrage récent, Schickore et Steinle remarquent que la distinction demeure un repère historique et philosophique pour comprendre, d’une part, le débat visant à éclaircir la nature de la découverte scientifique et, d’autre part, les débats entourant la possibilité et l’importance d’un « mariage » entre la philosophie des sciences et les études historiques5.

3 ARABATZIS, T. (2006) “On the inextricability of the context of discovery and the context of justification”, dans SCHICKORE, J. et F. STEINLE. (dir.) Revisiting Discovery and Justification, Dordrecht, Springer, p. 215.

4 ARABATZIS, T. (2006) “On the inextricability of the context of discovery and the context of justification”, op. cit., p. 216.

5 SCHICKORE, J. et STEINLE, F. (2006) “Introduction: Revisiting the context distinction”, dans Schickore, J. et F. STEINLE. (dir.) Revisiting Discovery and Justification, Dordrecht, Springer, p. VII - IX.

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Or, Schickore et Steinle soulignent que ces deux débats, n’ayant trouvé aucune réponse conclusive, se sont momentanément retrouvés en suspens. Ils constatent que depuis la décennie 1990, la distinction n’a été ni directement réexaminée ni directement critiquée. Pourtant, ils soutiennent que la distinction conserve toujours une certaine validité et que les questions qui lui sont liées sont toujours du plus grand intérêt6. Schickore et Steinle invitent ainsi à revisiter la distinction D/J, c’est-à-dire à relire les sources originales de la distinction et à repenser la possibilité de prendre la distinction comme guide pour l’étude de l’histoire et de la philosophie des sciences. C’est justement avec cet élan que ce mémoire veut démarrer.

Dans cette direction, notre mémoire se concentrera premièrement sur la question suivante : quelle est la signification de la distinction D/J et quelle est son importance pour la philosophie des sciences? Nous verrons que les premiers représentants de la distinction soutiennent que la découverte doit être exclue du domaine d’étude de l’épistémologie. De plus, nous constaterons que la distinction a pour conséquence d’isoler l’étude philosophique de l’étude historique de la science. En effet, selon Reichenbach, la distinction souligne que la découverte échappe à l’analyse logique ou philosophique. Or, nous verrons qu’une étude plus poussée de la découverte nous oblige à la concevoir comme constituant un contexte dont les éléments s’organisent logiquement et sont liés et influencent la justification des résultats scientifiques. Dans ces termes, la découverte devient un objet d’étude de l’épistémologie. De surcroit, la philosophie des sciences se caractérise aujourd’hui par une attitude pluraliste. Elle ne se résume pas à l’étude

6 SCHICKORE, J. et STEINLE, F. (2006) “Introduction: Revisiting the context distinction”, op. cit., p. IX.

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épistémologique de la science, mais elle se définit plutôt par les multiples perspectives disciplinaires qui lui permettent d’examiner la science sous plusieurs aspects7. Dans tous

les cas, il est commun d’affirmer que les concepts et thèses philosophiques proposés pour comprendre la science doivent être appuyés par des interprétations et des données tirées de l’histoire des sciences. Donc, nous devons remettre en question ce qui motive l’indépendance de la philosophie par rapport aux autres disciplines dans l’étude de la science.

Les difficultés entourant la distinction D/J soulèvent trois questions que nous étudierons dans ce mémoire. Premièrement, qu’est-ce que la découverte scientifique et dans quelle mesure peut-elle faire l’objet d’une étude philosophique? La difficulté résulte du fait que la découverte fut longtemps considérée comme relevant du domaine de la psychologie, de l’histoire ou de la sociologie des sciences. Certes, toutes les découvertes ne sont pas de la même nature, les conditions auxquelles elles obéissent ne sont jamais les mêmes et la logique soutenant la découverte est difficile à préciser. Néanmoins, existe-t-il un concept philosophique permettant de préciser, de manière systématique, les éléments et la dynamique qui favorisent et rendent possible la découverte en science? Deuxièmement, pouvons-nous définir précisément ce qu’est la justification en science? Considérer que le contexte de découverte est lié et conditionne le contexte de justification nous force à réviser l’idée que la justification opère de manière indépendante. Si la génération d’hypothèses et la construction de théories font partie du contexte de découverte, alors nous devons nous demander quels sont les critères ainsi que l’objectif de la justification en science. Quel est

7 SCHICKORE, J. (2011) “More thoughts on HPS: 20 years later”, Perspectives on Science, Vol. 19, No. 4, p. 453-454.

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le concept permettant d’organiser et de lier le contexte de justification au contexte de découverte? Troisièmement, dans quel sens la distinction D/J implique-t-elle une collaboration entre la philosophie et l’histoire des sciences? Qu’importe si nous comprenons la découverte et la justification comme des processus historiques, des perspectives d’études ou même comme des angles d’interrogation, il n’en demeure pas moins que la distinction D/J suggère que la science s’organise et se développe selon des circonstances qui évoluent au cours de l’histoire. Nous devrons donc explorer les raisons qui justifient le rapprochement de la philosophie et de l’histoire de la science et préciser quelle est la meilleure politique pour assurer l’intégration de ces disciplines.

Dans le but de faire lumière sur ces problèmes et sur les questions qu’ils impliquent, l’objectif premier de notre mémoire sera d’examiner la distinction D/J et de développer une critique invitant à une compréhension plus synthétique de la découverte et de la justification en science. En d’autres termes, nous voulons présenter la distinction D/J telle que proposée par Hans Reichenbach et montrer les difficultés qu’elle soulève. De là, nous chercherons à combler les manques dans la position de Reichenbach tout en conservant l’intuition qu’il défend, selon laquelle il existe une différence entre découverte et justification. Notre attention se portera sur les concepts de découverte et de justification et surtout sur les éléments, les conditions et la dynamique qu’ils impliquent en tant que contexte scientifique. Tout compte fait, cela devrait nous mener à une meilleure compréhension, c’est-à-dire plus cohérente et structurée, de la relation entre la découverte et la justification et des implications méthodologiques de leur contextualisation.

La position que nous adopterons dans ce mémoire est la suivante. La découverte et la

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7

et l’établissement du savoir scientifique. Du coup, nous n’envisageons point de décrire

comment la découverte et la justification procèdent en science, ni de suggérer comment elles devraient être assurées et dirigées. Plutôt, nous chercherons à montrer que la découverte et la justification sont des concepts permettant de représenter les conditions et les éléments favorisant la suggestion d’hypothèses scientifiques et ce qui avantage, d’un point de vue empirique, leur acceptation. Nous suggérerons que le contexte de découverte peut être compris comme un processus d’inférence menant à la suggestion des meilleures hypothèses. Le contexte de justification, en retour, peut être conçu comme définissant les preuves, pouvant confirmer une hypothèse et assurer la découverte. Découverte et justification apparaîtront comme deux notions permettant de faciliter une interprétation de la construction et de l’établissement du savoir scientifique.

Notre mémoire se basera sur la méthode suivante. D’une part, nous menons une analyse de la littérature primaire pour préciser les termes dans lesquelles la distinction D/J a été proposée. Nous considérons ensuite la littérature secondaire pertinente pour comprendre la discussion entourant la distinction et nous insistons sur les difficultés relevées par certains commentateurs. D’autre part, notre recherche visera à définir les concepts et les arguments permettant de comprendre la découverte et la justification en science. Nous appuierons les affirmations et les concepts présentés par des notions et des exemples historiques tirés de la science physique. Enfin, nous proposerons une étude cherchant à montrer comment la thématique de la découverte et la justification a des implications méthodologiques pour l’étude de la science.

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8 Plan du mémoire

Le premier chapitre prend l’ouvrage Experience and Prediction (1938) de Hans Reichenbach pour objet et examine les détails de sa pensée sur la découverte et la justification. L’ouvrage de Jutta Schickore et Friedrich Steinle (2006) est utilisé pour montrer la pertinence, mais aussi la nécessité de reconsidérer la distinction D/J. Suit alors une revue des commentaires de certains auteurs visant à expliquer et à interpréter la distinction. Deux solutions qui occuperont le reste de ce mémoire sont définies, soit la possibilité d’une logique de la découverte et la possibilité de préserver la distinction en l’interprétant comme une différence de perspectives sur la science. Le deuxième chapitre s’ouvre par une présentation du concept de découverte où l’accent est mis sur sa complexité. L’idée qu’il existe un principe logique permettant de comprendre la découverte et de la schématiser est étudiée. Nous présentons la thèse de Norwood Russell Hanson (1958), qui affirme que le contexte de découverte est constitué des éléments qui organisent la suggestion d’une hypothèse scientifique. De là, nous concentrons l’analyse sur le principe de l’abduction et son rapport à la découverte scientifique. Nous élaborons la définition de ce principe en explorant l’inférence à la meilleure explication telle qu’avancée par Gilbert Harman (1965) et explorée par Peter Lipton (2004). Le troisième chapitre se penche sur la question méthodologique de l’intégration de l’histoire et de la philosophie des sciences. Nous construisons la problématique en expliquant comment la distinction des perspectives descriptive/normative invite à repenser le rapport entre philosophie et histoire. Une revue des positions entourant le programme HPS (Histoire et

Philosophie des Sciences) est présentée et nous étudions le concept d’épistémologie

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expliquons comment le concept d’historicité des objets scientifiques invite à modifier notre approche de l’étude de la philosophie et de l’histoire de la science.

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Chapitre I

La distinction du contexte de découverte et du contexte de justification : sa signification, son problème, ses possibles solutions

Introduction

Hans Reichenbach est une figure majeure de la philosophie des sciences. Son influence, de fait, est encore très importante aujourd’hui, comme en témoigne la littérature visant à remettre en perspective la vision de ce philosophe8. Naturellement, la pensée de

Reichenbach est loin de faire l’unanimité : son point de vue général sur la science ainsi que sa conception de la philosophie par rapport au savoir scientifique ne retiennent pas l’accord complet de tous les commentateurs contemporains. Dans tous les cas, si sa vision de la découverte et de la justification n’est pas strictement rejetée, il n’en demeure pas moins qu’elle reste équivoque, dans le sens où certaines imprécisions subsistent. Bref, elle laisse place à plusieurs interprétations.

L’ouvrage de Reichenbach Experience and Prediction, publié en 1938, visant à fournir « une analyse des fondements et de la structure du savoir9 », retient l’attention pour son

ambition de présenter un cadre logique pour la science et de montrer la possibilité de son étude par l’épistémologie. En effet, cet ouvrage se propose, entre autres, de définir les trois tâches de l’épistémologie. Surtout, cet ouvrage est reconnu pour la distinction qu’il propose entre le contexte de découverte et le contexte justification des théories scientifiques. Or,

8 SCHICKORE, J. et STEINLE, F. (dir.) (2006), Revisiting Discovery and Justification, op. cit. 9 Sous-titre de Experience and Prediction.

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comme nous le verrons, bien que cette distinction semble intuitive et évidente pour Reichenbach, - ce dernier l’introduit sans de très longues explications, - elle demeure encore aujourd’hui l’objet de débat. Pour résumer, nous considérons que les discussions entourant la réception de cette distinction sont menées autour des 3 questions suivantes :

1. Quelle est la signification de la distinction et est-elle rigoureuse ? (Quelle différence établit-elle ?)

2. Quelles sont les implications pratiques et méthodologiques de la distinction ?

3. La distinction est-elle cohérente avec la pratique scientifique ?

Cela dit, ce premier chapitre se concentrera principalement sur la première de ces 3 questions. En premier lieu, nous analyserons la formulation originale de la distinction en étudiant la pensée de Reichenbach. Or, nous allons principalement nous intéresser à la postérité de cette distinction dans la philosophie des sciences du XXe siècle. C’est pourquoi, en deuxième lieu, nous présenterons de manière synthétique certaines interprétations possibles de la distinction ainsi que les grandes lignes du débat philosophique qui l’entoure. Nous présenterons une position critique permettant de situer la signification de la distinction (H. Siegel) et nous étudierons le problème qu’elle implique (R. Kordig, T. Arabatzis). En dernier lieu, nous ferons connaître les possibles solutions qui permettent de la retenir (P. Hoyningen-Huene, J. Schickore).

1. Les 3 tâches de l’épistémologie et la distinction découverte/justification chez Hans Reichenbach

Nous continuons ce chapitre par une analyse de la section 1 du premier chapitre de l’ouvrage Experience and Prediction de Reichenbach. Cela nous permettra de présenter

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12

certains aspects de sa conception de l’épistémologie. Surtout, cela nous amènera à situer la naissance de la distinction D/J et de voir la signification et l’importance que Reichenbach lui accorde.

1.1 Les 3 tâches de l’épistémologie

Reichenbach affirme que « toute théorie de la connaissance doit partir de la connaissance comme d’un fait sociologique donné10 ». Pour Reichenbach, les méthodes, les buts ainsi

que le langage de la connaissance sont des phénomènes sociaux qui se manifestent dans une collectivité humaine. À cet égard, la connaissance, pour Reichenbach, n’est pas différente de la loi, de la religion et des coutumes sociales. On peut donc comprendre que la connaissance n’est pas de nature purement abstraite, mais tangible, une chose que l’on observe dans une société donnée. Pour Reichenbach, la connaissance est donc un fait culturel. C’est ainsi qu’il affirme que la connaissance est « une chose très concrète11 ».

Selon Reichenbach, c’est la science qui constitue ce phénomène culturel et social12.

D’ailleurs, la science est pour lui un « système de la connaissance13 » qui forme un objet

d’étude pour le philosophe, le sociologue et le psychologue. Avant tout, puisque ce système a les caractères d’un « phénomène sociologique14 », l’étude des propriétés de ce système implique l’étude des propriétés d’un phénomène sociologique. En ce sens, Reichenbach soutient que l’épistémologie constitue une partie de la sociologie15. Or, il ajoute que

10REICHENBACH, H. “Les trois tâches de l’épistémologie”, dans LAUGIER, S. et P. Wagner (dir.) (2004) Textes clés de philosophie des sciences, vol. 1 : Théories, expériences et méthodes, Paris, Vrin, p. 303. 11 Id. 12 Ibid., p. 304. 13Ibid., p. 303. 14 Id. 15 Ibid., p. 304.

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13

l’épistémologie étudie la connaissance de façon spécifique, ce qui la distingue de la science : l’épistémologie s’interroge sur les concepts, les présuppositions, les méthodes et la validité de la science16. La différence, poursuit Reichenbach, entre la sociologie et l’épistémologie, se trouve donc dans « les relations internes et externes » entre les propositions descriptives et la connaissance17. Tandis que la sociologie s’intéresse aux « relations externes » qui ne concernent pas directement « le contenu de la connaissance », l’épistémologie se concentre sur les « relations internes » de cette connaissance. L’épistémologie étudie ce qui constitue le « contenu de la science18 ». Par exemple, alors

que le sociologue peut affirmer que les astronomes construisent des observatoires afin de pouvoir observer les étoiles et que ces astronomes appartiennent à une classe sociale spécifique, l’épistémologue peut affirmer que les observatoires sont un moyen de produire et d’appuyer le savoir scientifique. Ainsi, le statut social du scientifique, dans ce cas, n’influence en rien le contenu de la connaissance scientifique.

Reichenbach affirme que la première tâche de l’épistémologie est descriptive : il s’agit de « donner une description de la connaissance telle qu’elle est réellement19 ». Or, cette description doit se concentrer sur des éléments qui ont une caractéristique spécifique. En effet, les objets de cette description sont les « interconnexions logiques20 » qui existent dans le système de la connaissance. Ainsi, la tâche descriptive de l’épistémologie consiste à décrire le savoir comme « un système consistant21 », c’est-à-dire sans aucune

16 REICHENBACH, H. “Les trois tâches de l’épistémologie”, op. cit, p. 303. 17 Ibid., p. 304.

18 Id.

19 Ibid., p. 303. 20 Ibid., p. 305. 21 Ibid., p. 306.

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contradiction, donc logiquement exact. En ce sens, cette première tâche distingue l’épistémologie de la psychologie. En effet, la psychologie, selon Reichenbach, se concentre sur les processus concrets et réels de la pensée « dans leur déroulement effectif »22. Or, ces processus, de manière générale, sont vagues, sont sujets à des variations et n’obéissent pas à des règles strictes et définies. Même dans le cas de la science, la pensée ne suit pas les règles de la logique. C’est pourquoi l’épistémologie ne considère pas les processus concrets de la pensée. Plutôt, il est crucial que l’exposition du savoir scientifique définisse « des ensembles justifiables d’opérations23 ». Nous devons, pour fournir une

description exacte de la connaissance, être en mesure de présenter les propositions sur lesquelles nous nous basons, les règles logiques que nous utilisons et, par extension, les conclusions qu’il nous est permis de tirer. Bref, l’ensemble discordant que forme la pensée doit être ordonné en un ensemble cohérent dont on peut comprendre les éléments et suivre la chaîne de raisonnement qui les lie logiquement. Par conséquent, Reichenbach pense qu’il est impossible de construire une théorie de la connaissance qui puisse faire justice aux lois de la logique tout en correspondant aux processus psychologiques de la pensée24. Il y a pour lui un écart important entre la pensée telle qu’elle s’élabore et les lois logiques qui peuvent prescrire son exercice. C’est pourquoi Reichenbach affirme que l’étude épistémologique de la science se résume à l’analyse d’un « substitut logique25 ». En

d’autres mots, son objet et une « reconstruction logique26 ».

22 REICHENBACH, H. “Les trois tâches de l’épistémologie”, op. cit. p. 305. 23 Ibid., p. 306.

24 Ibid., p. 305. 25 Ibid., p. 306. 26 Id.

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Dans cette perspective, Reichenbach suggère que l’épistémologie doit construire le

contexte de justification de la science27. Pour Reichenbach, ce qui compte, sur le plan épistémologique, ce sont les propriétés et caractéristiques logiques qui font que nous pouvons considérer une théorie comme justifiée. Ainsi, un jugement épistémologique portant sur une théorie doit déterminer si cette théorie est valide et recevable. À tel point que Reichenbach affirme que l’épistémologie peut ignorer ce qui a trait à la construction et à la suggestion de cette théorie. Les conditions et les éléments qui constituent le contexte

de découverte ne sont pas pertinents, selon Reichenbach, pour l’étude philosophique de la

connaissance scientifique. En effet, il est impossible, selon Reichenbach, de situer et d’isoler des propriétés logiques de ce contexte. En d’autres mots, les critères logiques de description et d’évaluation ne s’appliquent pas à ce contexte. Cela est vrai, selon Reichenbach, car la découverte scientifique est produite par des processus mentaux vagues et fluctuants qui n’obéissent pas aux prescriptions de la logique.

À tout prendre, nous voyons que Reichenbach introduit une distinction marquée entre le contexte de découverte et le contexte de justification afin de délimiter l’objet d’étude de l’épistémologie par rapport aux autres disciplines qui s’intéressent aussi à la connaissance scientifique. En effet, Reichenbach veut séparer l’analyse de la conception de nouvelles théories scientifiques, qui revient à la psychologie et la sociologie, de l’analyse des raisons supportant ces théories, ce qui revient à l’épistémologie. Par extension, comme l’explique Carl Kordig, la distinction D/J définit, d’une part, la découverte comme « l’origine, la création, la genèse, et l’invention de théories ou d’hypothèses scientifiques » et, d’autre

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part, la justification comme « l’évaluation, le test, la défense, le succès, la vérité et la confirmation28 » de ces théories ou hypothèses.

Un exemple historique de la distinction D/J est celui de l’établissement de la structure chimique du benzène par Friedrich August Kekulé (1829-1896). Cet épisode permet de saisir la pertinence de la division de l’étude du développement d’une théorie scientifique entre la découverte et la justification.

Le contexte de découverte de la théorie de Kekulé est marqué par une corrélation importante entre la croissance de l’industrie chimique et un intérêt marqué pour la recherche en chimie29. En effet, les débuts de l’industrie du charbon et du pétrole s’accompagnent d’une meilleure connaissance chimique de la matière et des éléments qui les composent. Nous pouvons donc dire que le contexte de découverte est marqué par des conditions sociologiques favorables. Dans ce contexte, Kekulé, sur la base des travaux de ces prédécesseurs, formule les bases de la théorie de la structure chimique. Cette théorie définit que les éléments constituant la matière se combinent chimiquement pour former des molécules. L’idée principale de cette théorie est qu’il est possible de représenter géométriquement la structure qui organise la liaison des atomes qui composent les molécules d’un composé chimique. La contribution la plus significative de Kekulé est la découverte de la structure en anneau du benzène, une matière constituante du pétrole dont les molécules sont composées de 6 atomes de carbone, chacun lié à un atome d’hydrogène. Cela dit, le contexte de découverte est marqué par des conditions psychologiques

28 KORDIG, C. R. (1978) “Discovery and Justification”, Philosophy of science, Vol. 45, no. 1, p. 110.

29 ROCKE, A. J. (1985) “Hypothesis and experiment in the early development of Kekulé’s benzene theory”, Annals of Science, vol. 42, p. 362-364.

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particulières. En effet, il est à noter que Kekulé imagine cette structure alors qu’il rêve : il voit, dans un état de sommeil semi-conscient, des éléments unis entre eux, se mouvant de manière circulaire en prenant la forme d’un anneau, comme un serpent se mordant la queue.

Source : wikipedia.org/August Kekulé

Inspiré par cette vision, Kekulé formule sa théorie de la structure en anneau du benzène. Toujours est-il que tout indique que le contexte de justification de la théorie est distinct du contexte de découverte. Les conditions de la découverte de la structure du benzène ne semblent pas avoir influencé son acceptation. En effet, Kekulé élabore et publie ses résultats en 1865, après avoir longuement douté des idées provenant de son rêve. Il n’en demeure pas moins que la réception de ses idées est uniformément favorable. Sa théorie est acceptée par la communauté scientifique et des démonstrations expérimentales sont fournies30.

30 ROCKE, A. J. (1985) “Hypothesis and experiment in the early development of Kekulé’s benzene theory”, op. cit. p. 376.

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Revenons maintenant aux autres tâches de l’épistémologie. Reichenbach affirme que la deuxième tâche de l’épistémologie est une tâche « critique ». L’épistémologie doit examiner la connaissance scientifique en détail et porter un jugement31. Pour Reichenbach, il y a deux critères fondamentaux qui doivent guider le jugement du philosophe. Ces critères sont la « validité » et la « fiabilité32 ». Dans cette perspective, un jugement épistémologique doit permettre d’apprécier la structure d’une théorie et doit confirmer si elle répond aux lois et règles de la logique. Il s’agit de montrer que la théorie, sur la base des normes logiques auxquelles le philosophe se réfère, peut être approuvée et acceptée. Pour Reichenbach, cette tâche critique doit montrer que la science répond « aux exigences de la logique33 ».

Enfin, Reichenbach affirme que la troisième tâche de l’épistémologie est « consultative ». Selon Reichenbach, la science n’est pas seulement guidée par des critères logiques. Le savoir scientifique s’organise aussi sur la base de « décisions volontaires34 »

qui ne peuvent être jugées comme étant vraies ou fausses, mais qui se résument plutôt à des choix de définitions et de concepts faits par le scientifique. Reichenbach prend les « conventions » scientifiques pour exemple35. Ces dernières ne sont ni vraies ni fausses,

mais permettent plutôt d’admettre une méthode ou une terminologie spécifique. Cela dit, Reichenbach soutient que cette tâche est cruciale dans l’analyse d’une théorie car elle doit permettre de « trouver tous les points où des décisions sont impliquées36 ». Or, il faut noter

31REICHENBACH, H. “Les trois tâches de l’épistémologie”, op. cit. p. 308. 32 Ibid., 308.

33 Ibid., p. 307. 34 Ibid., p. 309. 35 Id.

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que ce travail reste une partie intégrale de la tâche critique37. Donc, la tâche consultative

de l’épistémologie, pour sa part, consiste surtout à préciser pour quelles raisons une décision doit être prise par le scientifique. Reichenbach explique qu’il y a plusieurs cas où les décisions scientifiques ne sont pas fondées sur des raisons claires et évidentes. Aussi, les scientifiques ne réussissent pas toujours à définir quelle est la meilleure décision. Ainsi, Reichenbach affirme que l’épistémologie peut jouer un rôle consultatif et suggérer des propositions au sujet d’une décision38.

Tel que le remarque Don Howard39, la tâche consultative de l’épistémologie ne doit pas

se concentrer sur le type de décisions qui sont conçues comme des « bifurcations volontaires40 ». Ces décisions, comme l’explique Reichenbach, sont prises au départ de toute entreprise scientifique et concernent les buts de la science. Pour Reichenbach, ces décisions sont toujours volontaires, mais elles peuvent faire que deux systèmes équivalents vont finalement diverger41. Ainsi, comme Howard le précise, le philosophe ne doit donc pas se prononcer sur les fins de la science, mais bien plus sur les moyens d’atteindre ces fins42. D’ailleurs, Reichenbach précise que c’est en ce sens que la tâche consultative peut être réduite à la tâche critique. En effet, le philosophe, à défaut de présenter une suggestion de décision précise, peut simplement « présenter une liste de toutes les décisions possibles, chacune étant accompagnée par ses décisions impliquées43 » et laisser le scientifique choisir face à l’ensemble des décisions auxquelles il est engagé.

37 REICHENBACH, H. “Les trois tâches de l’épistémologie”, op. cit, p. 309. 38Ibid., p. 313.

39 HOWARD, D. (2006) “Lost wanderers in the forest of knowledge”, op. cit., p. 7. 40 REICHENBACH, H. “Les trois tâches de l’épistémologie”, op. cit. p. 310. 41 Id.

42 HOWARD, D. (2006) “Lost wanderers in the forest of knowledge”, op. cit., p. 7. 43 REICHENBACH, H. “Les trois tâches de l’épistémologie”, op. cit. p. 314.

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1.2 Contexte de découverte et contexte de justification

Reichenbach affirme que l’épistémologie doit étudier un « substitut logique44 » à défaut de se concentrer sur les processus réels de la pensée. À ce propos, sans expliquer dans quelle mesure un tel rapprochement avec la philosophie de Carnap est possible, il affirme que « la reconstruction logique45 » de la pensée définit justement cette tâche spécifique qui revient à l’épistémologie et qui consiste en la construction d’un substitut logique46. En

effet, Reichenbach avance que la reconstruction rationnelle correspond à « la forme dans laquelle les processus de pensée sont communiqués à d’autres personnes47 ». À titre

d’exemples, il suggère que la façon dont une démonstration mathématique ou le raisonnement logique d’une théorie en science physique sont publiés corresponde à l’idée de reconstruction logique48. Dans cet ordre d’idées, Reichenbach insiste pour introduire ce

qu’il comprend comme une différence importante entre « trouver » un théorème et le « présenter » devant un public. C’est sur la base de cette différence que Reichenbach introduit la distinction entre les deux contextes. En effet, il affirme que la différence entre trouver et présenter correspond à une distinction entre « le contexte de découverte et le

44 REICHENBACH, H. “Les trois tâches de l’épistémologie”, op. cit., p. 306. 45 Id.

46 Tel que précisé par Reichenbach, la reconstruction logique (rationale Nachkonstruktion) est une idée proposée par Rudolf Carnap dans La Construction Logique du Monde (1928) qui consiste en une synthèse de la connaissance par la réduction des concepts de la science à un ensemble de concepts fondamentaux de l’expérience. Une reconstruction logique doit procéder à partir de la perception de la réalité jusqu’à une formulation précise des concepts pouvant justifier cette perception. La reconstruction logique, telle que proposée par Carnap, est fortement liée à son projet d’un système constitutif (Konstitutionssystem) de la science. Or, Reichenbach ne précise point s’il accepte ce présupposé philosophique.

47 REICHENBACH, H. “Les trois tâches de l’épistémologie”, op. cit., p. 307.

48 Avec ces exemples, la compréhension de l’idée de reconstruction logique de Reichenbach diverge fortement de celle de Carnap. Dans un autre ordre d’idées, ces exemples sont importants dans la mesure où ils font appel à deux cas purement théoriques. Cela semble suggérer que Reichenbach comprend la science sur la base des théories qu’elle produit.

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contexte de justification49 ». Ainsi, poursuit Reichenbach, l’épistémologie doit construire

le contexte de justification.

Quelques éléments de l’exposé précédent prêtent à discussion. En premier lieu, la correspondance (trouver-découvrir/présenter-justifier) que Reichenbach établit est contestable. Certes, le fait de trouver une théorie peut être remis dans la perspective de la découverte de cette théorie. Or, il est difficile de voir en quoi la présentation d’une théorie peut être associée à la justification de cette théorie. En effet, une théorie peut très bien être présentée et être strictement invraisemblable. D’ailleurs, il semble que la présentation d’une idée scientifique fasse l’objet d’analyses et de critiques, bien avant que ces idées soient considérées comme justifiées. Ainsi, à strictement parler, un terme qui nous semble plus cohérent avec la correspondance que Reichenbach suggère serait plutôt « contexte d’évaluation ». Ce contexte d’évaluation ferait foi de la réception, du contenu ainsi que de la nature des critiques reçues par cette idée. Cela dit, il reste que Reichenbach précise que la présentation des théories scientifiques n’est qu’une approximation de ce qu’il entend par « contexte de justification »50. Selon lui, le langage naturel utilisé dans les communications scientifiques comporte plusieurs défauts et souffre d’inexactitudes. Donc, aucune présentation en langage naturel ne peut répondre aux exigences de la logique.

En deuxième lieu, Reichenbach ne précise pas la signification qu’il prête au terme « contexte ». En effet, il ne définit pas ce qui doit caractériser la nature du contexte en question. À tout prendre, une théorie peut avoir plusieurs contextes de découvertes et plusieurs contextes de justification, chacun faisant état d’éléments pertinents tout en étant

49REICHENBACH, H. “Les trois tâches de l’épistémologie”, op. cit. p. 307. 50 Id.

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de nature différente. Par exemple, soit une théorie découverte à la suite de la collaboration entre deux scientifiques. Cela constituerait deux contextes psychologiques à considérer. Aussi, nous pouvons imaginer qu’une théorie soit pensée par un scientifique à un moment donné de l’histoire, mais véritablement découverte par une communauté plusieurs années plus tard. Cela constitue deux contextes historiques distincts de la découverte d’une théorie. De plus, il est possible d’imaginer qu’une théorie soit justifiée par une communauté scientifique à un moment de l’histoire, tout en étant refusée par la société dans laquelle cette communauté se trouve, aucun de ces citoyens ne croyant en celle-ci. En outre, imaginons que cette théorie soit acceptée dans ce même lieu géographique quelques décennies plus tard. Cela constituerait trois contextes de justification différents. En somme, le sens que Reichenbach donne au terme « contexte » est imprécis, et il reste à savoir quels éléments doivent être pris en compte dans l’examen de ce contexte.

En dernière analyse, nous pourrions tenir pour acquis que Reichenbach utilise le terme « contexte » dans sa signification et son usage général. Dans cette perspective, l’on doit comprendre qu’il existe un ensemble de conditions dans lequel toute théorie scientifique se situe. Ainsi, ces conditions fournissent de l’information sur cette théorie et nous renseignent sur sa valeur et sa signification. Il n’en demeure pas moins que même si nous acceptons cette définition de la notion de contexte, nous ne savons toujours pas quelle doit être la nature de ces conditions formant le contexte en question. En effet, Reichenbach ne précise pas si les conditions pertinentes à la découverte tout autant qu’à la justification d’une théorie scientifique doivent être logiques, épistémologiques, psychologiques, sociales ou historiques.

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En troisième lieu, Reichenbach affirme qu’il revient à l’épistémologie de construire le contexte de justification. Or, il ne mentionne pas comment la psychologie peut effectivement reconstruire le contexte de découverte, comment elle doit procéder et sur quels éléments elle doit se baser. Certes, Reichenbach affirme que la découverte correspond à l’action de formuler une théorie, et que cela se produit subjectivement par des processus de pensée. Reichenbach affirme que la psychologie peut étudier ces processus de pensée dans leur déploiement actuel. Toutefois, devons-nous comprendre que la psychologie peut décrire l’ensemble des processus qui ont mené à trouver une théorie, de manière si précise et exhaustive à pouvoir construire le contexte de découverte de cette théorie ? Cela semble peu crédible. En effet, comment le psychologue peut-il connaître et enregistrer l’ensemble de ces processus pour ensuite les reconstruire et nous présenter le récit psychologique de la découverte ? Où se trouve la source de ce récit ? Reichenbach semble écarter l’étude épistémologique du contexte de découverte sous prétexte qu’il s’agit du domaine de la psychologie. Mais la découverte et les processus de pensée eux-mêmes peuvent-ils vraiment faire l’objet d’une analyse psychologique ? À cette question, Reichenbach ne fournit aucune réponse.

2. Évaluer la distinction des contextes

Comme le remarquent Schickore et Steinle51, la distinction des contextes est une idée

qui a marqué le développement de la philosophie des sciences. Selon les deux auteurs, la distinction découverte/justification « influence encore notre conception du contenu, du domaine et des objectifs de la philosophie des sciences52 ». Ainsi, nous proposons

51 SCHICKORE, J. et STEINLE, F. (2006) “Introduction: Revisiting the context distinction”, op. cit., p. VII.

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d’examiner attentivement, à la lumière de commentaires retenus dans la littérature secondaire autour de ce débat, la signification de la distinction de Reichenbach et d’évaluer dans quelle mesure elle est acceptable et fonctionnelle.

2.1 Les cinq sens de la distinction

Il est important de noter que la distinction entre la découverte et la justification peut être lue de plusieurs façons. Tel que l’explique Hoyningen-Huene, il existe au moins cinq manières dont la distinction peut être comprise53. D’une part, la distinction peut suggérer qu’il existe deux processus historiques distincts dans le développement d’une connaissance scientifique : la découverte, en premier temps, et la justification, en deuxième temps. Par exemple, on peut imaginer qu’un scientifique fasse d’abord la découverte d’un nouveau théorème et qu’il présente et fasse la preuve de sa validité face à la communauté scientifique par après. Une deuxième lecture de la distinction considère qu’il existe une différence entre le processus historique de découverte et le processus méthodologique de justification. Cette lecture suggère qu’il existe une distinction entre la description factuelle du contexte de découverte et l’évaluation normative du contexte de justification. Cette lecture tente de montrer que la découverte est un processus indépendant des procédures et des normes qui permettent de justifier cette découverte. En ce sens, cette lecture suppose que les faits historiques décrivant une découverte ne permettent pas de comprendre les règles et méthodes qui assurent l’acceptation de cette découverte. Par exemple, la connaissance des recherches menant à la découverte d’un théorème est indépendante de la connaissance des normes et des méthodes permettant la justification de ce théorème. Par

53 HOYNINGEN-HUENE, P. (1987) “Context of discovery and context of justification”, op. cit., Vol. 18, no. 4, p. 501-515.

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suite, une troisième lecture suppose que l’étude de la découverte est empirique, tandis que l’étude de la justification est logique. La découverte oblige donc une analyse de circonstances et de données. En retour, la justification nécessite une analyse systématique et logique. La biographie d’une découverte se distingue donc de l’examen menant au diagnostic épistémologique de cette découverte. Une quatrième variante de la distinction propose une classification académique. La découverte est l’objet d’étude de disciplines empiriques telles l’histoire, la sociologie et la psychologie. La justification, pour sa part, est l’objet d’étude d’une discipline à caractère logique, soit la philosophie ou, plus spécialement, l’épistémologie. On le voit, cette lecture suggère une relation multidisciplinaire pour l’étude de la science : l’étude du contexte et des circonstances menant à une découverte est laissée aux sciences sociales, tandis que l’étude systématique des éléments épistémologiques justifiant cette découverte est laissée à l’épistémologie. Enfin, Hoyningen-Huene remarque que la distinction entre découverte et justification peut se résumer à une séparation entre différentes questions. En un mot, deux types de questions, liés à la découverte et à la justification, se distinguent, mais se complètent. Un premier type de questions demande « que s’est-il passé historiquement lors de cette découverte ? », alors qu’un autre type de questions demande « comment cette découverte est-elle justifiée ? ». Par exemple, nous pourrions, d’une part, nous questionner sur les circonstances et le contexte entourant une découverte et, d’autre part, nous questionner sur les raisons assurant l’acceptation de cette découverte par une communauté.

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2.2 Distinguer les contextes d’analyse

Selon Harvey Siegel54, l’ambition de Reichenbach est de distinguer de manière stricte, dans le savoir scientifique, ce qui relève de l’analyse psychologique de ce qui relève de l’analyse épistémologique. Pour Siegel, Reichenbach veut établir que tout élément « psychologique » n’a aucune valeur pour l’analyse épistémologique. Selon Reichenbach, puisque tout énoncé scientifique est vrai ou faux indépendamment de son origine psychologique, alors un jugement épistémologique est possible indépendamment d’un jugement psychologique55.

D’ailleurs, Siegel soutient que Reichenbach introduit justement la distinction des contextes de découverte et de justification pour affirmer la différence fondamentale entre « déterminer l’origine psychologique d’un énoncé et déterminer le statut épistémologique d’un énoncé56 ». L’idée derrière cette distinction est que l’origine psychologique d’un

énoncé n’a aucune influence sur son statut épistémologique. C’est pourquoi Siegel affirme que l’épistémologie ne doit se concentrer que sur l’évaluation d’un énoncé. Par exemple, Siegel suggère que le fait qu’un énoncé a été découvert pendant un rêve, comme dans le cas de la découverte de Kekulé, ou sous l’effet d’une hallucination n’a aucune importance pour déterminer si cet énoncé est crédible et peut fournir une connaissance scientifique. Au contraire, ce fait relève du contexte de découverte, qui n’a aucune incidence du point de

54 SIEGEL, H. (1980) “Justification, discovery and the naturalizing of epistemology”, Philosophy of

science, Vol. 47, no. 2.

55 Ibid., p. 300. 56 Id.

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vue du contexte de justification. Siegel conclut que « l’information pertinente pour la génération d’une idée scientifique n’est pas pertinente pour l’évaluation de cette idée57 ».

Pour Siegel, il y a, d’un point de vue épistémologique, une relation asymétrique importante entre la découverte et la justification58. En effet, la justification peut influencer la découverte, mais la découverte ne peut avoir de poids pour la justification. Siegel affirme qu’un scientifique peut, a priori, se baser sur des principes épistémologiques qui, servant de règle pour la justification, peuvent favoriser et guider la découverte. De telle sorte que la justification peut, en ce sens, orienter et organiser la découverte. Or, l’asymétrie que Siegel a en tête va dans l’autre sens : de la découverte vers la justification. Pour Siegel, tout ce qui entre en ligne de compte dans la découverte n’a aucune pertinence et ne peut servir de base pour la justification59. En somme, la justification est indépendante des

circonstances de la découverte.

Siegel voit dans la distinction de Reichenbach la possibilité de confirmer la tâche qui revient à l’épistémologie par rapport à l’étude générale de la science. De fait, tel que précisé plus haut, c’est à l’évaluation des résultats de la science et de leurs conséquences que l’épistémologie doit se consacrer60. En d’autres termes, l’épistémologie se distingue de la

psychologie, de la sociologie et de l’histoire en procédant à l’exercice qui tente de « donner

57 SIEGEL, H. (1980) “Justification, discovery and the naturalizing of epistemology”, op. cit., p. 302.

58 Ibid., p. 300. 59 Ibid., p. 301. 60 Ibid., p. 307.

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sens, au niveau meta, aux problèmes fondamentaux de la recherche61 ». L’épistémologie

doit donner la description, l’interprétation et la signification des théories scientifiques.

3. L’équivocité de la distinction

L’interprétation de Siegel laisse entendre que la distinction est acceptable et peut être retenue. En effet, la distinction permet de montrer qu’il y a une différence importante entre la génération et l’évaluation d’une théorie. De plus, elle permet de situer précisément le rôle de l’épistémologie par rapport à la science et de montrer en quoi elle diffère de la psychologie. Au final, nous devons comprendre que la justification est indépendante de la découverte.

Toutefois, nous pensons que cette défense de la position de Reichenbach pose un problème. En effet, jusqu’à quel point devons-nous supposer que la justification d’une idée scientifique est indépendante de sa découverte ? Pouvons-nous vraiment supposer que les éléments pertinents pour la justification d’une idée n’ont en aucune façon rapport à la découverte de cette idée ? La connaissance du contexte de découverte ne peut-elle en aucun cas nous aider à mieux définir le contexte de justification?

Le problème se situe au niveau des éléments que la distinction tente de séparer. Certes, la découverte et la justification peuvent faire l’objet d’analyses différentes. Ce qui intéresse la psychologie, nous l’avons vu plus haut, n’intéresse pas l’épistémologie. Toutefois, il est à noter que ces deux contextes ne doivent pas, de manière obligée, être mis à part l’un de l’autre. En effet, leur statut épistémologique n’est pas strictement partagé. Car si nous

61 SIEGEL, H. (1980) “Justification, discovery and the naturalizing of epistemology”, op. cit., p. 307.

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insistons pour parler de la « découverte » d’une théorie scientifique d’une part, et de sa « justification » d’autre part, il ne semble pas adéquat de soutenir qu’un contexte ne peut rien indiquer sur la valeur épistémologique de l’autre. Plus précisément, si nous tenons pour acquis qu’il y a découverte, il doit nécessairement y avoir justification.

C’est sur la base de cette intuition que Carl Kordig62 affirme que la distinction des contextes de Reichenbach comporte une certaine ambigüité. Il affirme en effet que la distinction, en réalité, tente de distinguer deux choses qui ne sont pas séparées. Kordig écrit « qu’une découverte réelle est bien établie » ; il ajoute « ce qui est établi est justifié63 ».

Pour Kordig, si une découverte est établie, alors elle est justifiée, donc nous avons de bonnes raisons de croire en cette découverte. Ainsi, il apparaît contradictoire de parler de la découverte indépendamment de la justification. Kordig souligne que dans la mesure où il est question d’une découverte scientifique, alors il est clair que le statut épistémologique de la découverte est déterminé. Il s’agit effectivement d’une découverte ! Donc, si l’idée en question est une découverte, alors elle est une connaissance vraie, établie et justifiée.

3.1 L’inextricabilité des contextes

Ainsi, nous sommes amenés à penser que les découvertes qui résultent de la recherche scientifique doivent reposer sur un ensemble d’éléments justificatifs. Certes, il existe en science des idées qui ne restent que des hypothèses et des prédictions et qui, au final, nécessitent encore une justification empirique. Mais justement, puisque ces idées ne peuvent être acceptées comme justifiées, alors ces dernières ne peuvent être qualifiées de « découvertes ». Elles sont, pour le dire ainsi, candidates à devenir des découvertes

62 KORDIG, C. R. (1978) “Discovery and Justification”, Philosophy of science, Vol. 45, no. 1. 63 Ibid., p. 116.

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scientifiques. Donc, si nous utilisons la notion de découverte pour qualifier le contexte dans lequel une idée se développe, alors il semble important d’être conscient que ce contexte n’est pas totalement distinct du contexte dans lequel cette idée est justifiée.

Dans cet ordre d’idées, Theodor Arabatzis64 propose plusieurs exemples qui illustrent que la découverte ne peut être séparée de la justification. Entre autres, il suggère la découverte d’un phénomène par la réalisation d’expériences répétées, la découverte d’objets nécessitant des outils d’observation ultra-performants et la découverte d’une loi universelle. Pour tous ces exemples, Arabatzis affirme qu’il est incohérent de les étudier séparément dans la perspective d’un contexte de découverte distinct du contexte de justification. Arabatzis écrit : « Dans tous ces cas les deux contextes sont inextricablement liés65 ».

Pour appuyer cette affirmation, il avance d’une part qu’il ne revient pas au scientifique ou au groupe de chercheurs responsables d’un résultat scientifique d’attribuer indépendamment le statut de découverte à ce résultat. En effet, ils doivent tout d’abord réussir à convaincre la communauté scientifique de la validité de ce résultat. Ils doivent montrer, par exemple, qu’il fait état d’un phénomène réel et observable et qui suppose des éléments qui existent vraiment. Si ce résultat n’est en fait qu’une hypothèse, alors la communauté scientifique ne pourra accepter cette hypothèse et l’admettre comme une découverte. Elle ne le fera que si elle peut considérer et évaluer les arguments justifiant cette hypothèse. Ensuite elle décidera si ses arguments sont convaincants et si elle les accepte comme faisant état d’une découverte scientifique à part entière. En un mot, une

64 ARABATZIS, T. (2006) “On the inextricability of the context of discovery and the context of justification” dans SCHICKORE, J. et F. STEINLE. (dir.) Revisiting Discovery and Justification. 65 Ibid., p. 217.

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idée n’est une découverte que lorsqu’elle est justifiée et acceptée par une communauté scientifique.

Arabatzis avance d’autre part que le contexte de découverte recouvre le contexte de justification car une découverte scientifique implique toujours un « accomplissement épistémologique66 ». La découverte n’est pas simplement la création d’idées et d’hypothèses, mais elle est plutôt la conclusion d’un processus qui est mené à terme. Plus précisément, Arabatzis affirme qu’il s’agit d’un processus qui vise à démontrer que quelque chose est vrai ou existe. En effet, comment pourrions-nous parler de la découverte de quelque chose si cette chose était fausse ou inexistante ? Par conséquent, il est clair que la découverte doit être une réalisation épistémologique dans le sens où elle réussit à communiquer qu’un objet alors inconnu peut être considéré comme admissible dans le vocabulaire de la science.

Enfin, Arabatzis observe que l’histoire de la science fait foi de l’inextricabilité des contextes de découverte et de justification67. Il avance que l’histoire ne fait l’inventaire des découvertes de la science qu’en relation avec le fait qu’elles furent toujours des idées justifiées et acceptées par leur communauté scientifique. En définitive, il serait absurde que l’histoire relate l’existence d’hypothèses non justifiées et d’idées non acceptées et qu’elle les présente comme des découvertes scientifiques. L’histoire présenterait une trame événementielle en contradiction avec l’évolution du savoir.

66ARABATZIS, T. (2006) “On the inextricability of the context of discovery and the context of justification”, op. cit., p. 217.

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32

Au final, Arabatzis montre que la découverte et la justification sont liées épistémologiquement. En effet, de nombreux exemples montrent que les produits de la science ne sont des découvertes que dans la mesure où ils sont justifiés. Par conséquent, Arabatzis nous incite à penser qu’en science, la découverte n’est pas complètement distincte de la justification, comme le pense Reichenbach. Il semble incohérent de distinguer un contexte de découverte et un contexte de justification.

4. Solutions

Suite à l’exposé précédent, nous sommes portés à conclure que la découverte est un élément qu’on ne peut ignorer si l’on cherche à spécifier ce qui justifie le savoir scientifique. Ainsi, il semble difficile d’accepter strictement la distinction de Reichenbach et donc d’exclure la découverte de l’analyse épistémologique de la science. Nous pouvons à juste titre nous demander si la distinction de Reichenbach doit être conservée. Dans tous les cas, si nous souhaitons retenir cette distinction, alors nous devons non seulement trouver un moyen de la rendre compatible avec la découverte, mais aussi préciser comment l’analyse de ce contexte est possible. Nous souhaitons présenter deux solutions à ce double problème.

4.1 Préserver la distinction

Il est possible de voir la distinction des contextes de Reichenbach non pas d’un point de vue exclusif, c’est-à-dire en tant que principe présentant les contextes comme étant séparés et incompatibles, mais plutôt d’un point de vue inclusif, c’est-à-dire comme contenant en soi deux contextes différents, mais dont l’union de l’un et de l’autre est possible. Ainsi,

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33

nous suggérons de voir la distinction comme un principe adjonctif. La distinction peut différencier ces deux contextes tout en admettant leur composition.

Par suite, il faut ajouter que les contextes peuvent être réunis s’ils sont mis sur un même niveau, mais en indiquant une direction différente. En d’autres mots, la distinction des contextes peut être comprise comme une différence de points de vue sur la science. En effet, la solution que Paul Hoyningen-Huene68 suggère afin de conserver la distinction, mais tout en incluant l’étude de la découverte, est de comprendre la distinction comme une différence de perspectives. Pour Hoyningen-Huene, la distinction est au fond une distinction entre une perspective factuelle et une perspective normative69. D’un côté, la perspective factuelle doit nous dire comment, de facto, la science est et comment elle évolue. Le factuel peut donc correspondre aux éléments qui spécifient le contexte de découverte. La perspective factuelle doit dès lors préciser quels sont les facteurs décisifs qui influencent la découverte. Hoyningen-Huene affirme qu’il peut s’agir d’événements historiques, d’idées particulières ou de normes spécifiques70. Dans tous les cas, ce qui

importe ici est la description des faits qui permettent de comprendre comment une idée ou une hypothèse a acquis le statut de découverte. De l’autre côté, la perspective normative nous dit comment la science devrait être. Cette perspective peut correspondre aux éléments qui spécifient le contexte de justification. Le normatif doit préciser quels sont les facteurs décisifs qui influencent l’acceptation de cette découverte. Hoyningen-Huene précise que la

68 HOYNINGEN-HUENE, P. (2006) “Context of discovery versus context of justification and Thomas Kuhn”, dans SCHICKORE, J. et F. STEINLE. (dir.) Revisiting Discovery and Justification, p. 128; (1987) “Context of discovery and context of justification”, op. cit., Vol. 18, no. 4, p. 511. 69 HOYNINGEN-HUENE, P. (2006) “Context of discovery versus context of justification and Thomas Kuhn”, op. cit., p. 128.

70 HOYNINGEN-HUENE, P. (1987) “Context of discovery and context of justification”, op. cit., p. 511.

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