• Aucun résultat trouvé

Le territoire municipal au Québec: terrain d’expression du pouvoir politique au quotidien

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Le territoire municipal au Québec: terrain d’expression du pouvoir politique au quotidien"

Copied!
20
0
0

Texte intégral

(1)

Le territoire municipal au Québec :

terrain d’expression du pouvoir politique

au quotidien

Par Michèle Dagenais, professeure, Département d’histoire, Université de Montréal

Les chantiers de l’Atlas historique du Québec : L’État au Québec, sous la direction de Donald Fyson et Yvan Rousseau – www.atlas.cieq.ca

P OUR CI T ER CE T AR T ICL E, U T IL ISER L’IN FOR M AT IO N SUI VA N T E :

Dagenais, Michèle, « Le territoire municipal au Québec : terrain d’expression du pouvoir politique

au quotidien », dans Donald Fyson et Yvan Rousseau (dir.), L’État au Québec (CIEQ, coll. « Les

chantiers de l’Atlas historique du Québec » : www.atlas.cieq.ca), 2014, 19 p.

Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit

(y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter à l’URL http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html

Tous droits réservés. Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) Dépôt légal (Québec et Canada), 4e trimestre 2014.

ISBN 978-2-921926-40-9 (PDF)

Les chercheurs du CIEQ, issus de neuf universités, se rejoignent pour étudier les changements de la société québécoise, depuis la colonisation française jusqu’à nos jours. Leurs travaux s’inscrivent dans trois grands axes de recherche : les populations et leurs milieux de vie, les institutions et les mouvements sociaux et la culture québécoise: diversité, échanges et transmission. Ils privilégient une approche scientifique pluridisciplinaire originale pour comprendre le changement social et culturel dans ses dimensions spatiotemporelles – www.cieq.ca

(2)

Par Michèle Dagenais, professeure, Département d’histoire, Université de Montréal

Tous droits réservés. Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) Dépôt légal (Québec et Canada), 4 e trimestre 2014.

ISBN 978-2-921926-40-9 (PDF) ISBN 978-2-921926-41-6 (HTML) Q U ’ O N T E N C O M M U N L E S R É S E A U X D ’ E A U , L E S R U E S E T L E S T R O T T O I R S , L E S M A R C H É S , L E S P A R C S E T L E S P L A C E S P U B L I Q U E S ? I L S F O R M E N T U N E P A R T I E I M P O R T A N T E D U C A D R E M A T É R I E L D E N O S V I E S Q U O T I D I E N N E S . N O U S L E S U T I L I S O N S , L E S F O U L O N S , L E S T R A V E R S O N S P L U S I E U R S F O I S P A R S E M A I N E D A N S N O S G E S T E S E T N O S D É P L A C E M E N T S . H I S T O R I Q U E M E N T , C E S I N F R A S T R U C T U R E S O N T C O N S T I T U É L E S M O Y E N S C O N C R E T S P A R L E T R U C H E M E N T D E S Q U E L S S ’ E S T S T R U C T U R É E L A V I E P O L I T I Q U E M U N I C I P A L E A U Q U É B E C , D O N T L E S F O N D E M E N T S O N T É T É R E D É F I N I S E N P R O F O N D E U R À P A R T I R D E S A N N É E S 1 8 4 0 D A N S L A F O U L É E D E L A F O R M A T I O N D E L ’ É T A T M O D E R N E . P O U R Q U O I E T C O M M E N T P R O C È D E - T - O N A U D É V E L O P P E M E N T D ’ I N S T I T U T I O N S P O L I T I Q U E S A U N I V E A U L O C A L À P A R T I R D E C E T T E É P O Q U E ? Q U E L S S O N T L E S P O U V O I R S E T L E S D O M A I N E S A T T R I B U É S A U X I N S T I T U T I O N S M U N I C I P A L E S ? C O M M E N T S ’ I N C A R N E N T - I L S , N O T A M M E N T S U R L E T E R R I T O I R E U R B A I N ?

Cet article propose de revenir sur les circonstances entourant la création du régime municipal au Québec afin d’en éclairer la signification et la portée. À cette fin, nous examinons certaines des opérations par lesquelles l’espace local a été transformé et structuré sous forme de territoire municipal au milieu du XIXe siècle, et nous expliquons comment celui-ci a évolué à partir de deux exemples concrets: lors de l’aménagement de l’aqueduc municipal à Québec et lors de la formation du réseau des parcs montréalais. Ces deux développements se produisent à une époque où Québec et Montréal sont en pleine croissance. Les problèmes qui se posent alors alimentent les inquiétudes des autorités locales à l’égard de la salubrité de leur ville. Pour tenter d’adapter Québec et Montréal dans ce contexte, les instances municipales vont prendre appui sur la transformation des éléments naturels, un processus qui concourt non seulement à la structuration du territoire, mais aussi à l’urbanisation des populations au quotidien.

Les institutions municipales: des relais entre la

population locale et le gouvernement central

L E T E R R I T O I R E M U N I C I P A L

A U Q U É B E C : T E R R A I N

D ’ E X P R E S S I O N D U P O U V O I R

P O L I T I Q U E A U Q U O T I D I E N

L E S C H A N T I E R S D E L’AT L A S H I S T O R I Q U E D U Q U É B E C : L’ É TAT A U Q U É B E C

To u s d r oi t s r é s e r v é s . Ce n t r e in t e r uni v e r s i t ai r e d ’é t u d e s qu é b é cois e s (CIEQ) D é p ô t l é g al (Q u é b e c e t C an a d a) , 4e t r im e s t r e 2014.

(3)

La naissance des institutions municipales remonte au début des années 1840, à l’époque de l’adoption de l’Acte d’Union des Canadas. Le premier événement de même que le second répondent aux problèmes politiques de la décennie précédente, qui culminent avec les rébellions de 1837-1838. C’est le gouverneur du Bas-Canada, lord Durham qui, le premier, recommande dans son célèbre rapport d’instaurer un régime municipal pour gérer les affaires locales de la colonie. S’il est vrai qu’à l’époque certaines instances, dont les juges de paix, s’en occupent déjà, elles disposent de peu de latitude et de moyens pour répondre aux problèmes à cette échelle. De l’avis du gouverneur, c’est d’ailleurs là une des principales causes à l’origine des rébellions, c’est-à-dire le manque de pouvoirs consentis aux collectivités pour organiser les affaires locales. Dans son rapport, Durham explique combien le mode de gouvernement autoritaire en vigueur frustre les populations locales et nuit à la bonne administration et au développement des colonies. Il suggère donc d’instaurer un nouveau type de fonctionnement des institutions politiques en lieu et place d’un système de plus en plus considéré comme archaïque. C’est cependant lord Sydenham, son successeur, qui préside à l’entrée en vigueur des réformes devant conduire à l’instauration d’un système municipal au Québec. Il est tout aussi convaincu de la nécessité de procéder à la déconcentration du pouvoir pour assurer la stabilité de la colonie sur le plan politique.

Quelles vertus les autorités britanniques attribuent-elles aux institutions municipales pour qu’elles leur paraissent être un des principaux moyens pour rétablir la paix et assurer l’ordre et un bon gouvernement? À leurs yeux, ces institutions constituent un lieu propice à l’apprentissage de la vie politique. En confiant à des autorités locales la gestion des questions se posant à cette échelle, estiment-ils, la population apprend à se fixer des objectifs et à compter sur elle-même pour les atteindre. Elle acquiert ainsi une expérience de la vie publique dont elle pourra se servir dans d’autres contextes, notamment au moment de choisir ses représentants dans les instances parlementaires. Ainsi conçue, la scène municipale se présente comme un champ d’action d’autant plus adéquat qu’elle permet de gérer les questions d’ordre local de manière bien plus efficace et conséquente que ne sauraient le faire les autorités gouvernementales, situées à distance des populations.

Les institutions municipales sont aussi considérées comme des relais entre la population et le gouvernement central. Dirigées par des représentants dûment élus et jouissant de la confiance de la population, elles permettent d’informer le gouvernement sur ce qui se passe à l’échelle locale et de mettre en forme les demandes des populations. En même temps, ces institutions constituent des maillons essentiels pour maintenir le lien entre la conduite des affaires locales et le gouvernement central. En somme, on pense que la meilleure manière de neutraliser la résistance des populations et le désir toujours possible de rébellion est de procéder à la diffusion du pouvoir de l’État, une diffusion dont le sens est double. D’une part, cela signifie de diffuser le pouvoir étatique dans toutes les sphères de la vie publique ou, en d’autres termes, d’en accroître la présence et la visibilité. D’autre part, il s’agit de déconcentrer le pouvoir en accordant aux collectivités locales la possibilité de l’exercer.

Il est frappant de constater la place significative qu’occupe le projet d’instauration d’un régime municipal dans les documents produits par les autorités coloniales, au cours de cette transition d’un mode de gouvernement autoritaire vers un État de type libéral. Au regard de l’importance bien relative accordée aux institutions municipales aujourd’hui, cette attention dont elles ont fait l’objet intrigue encore plus. Comment expliquer que des institutions jadis estimées devoir jouer un rôle aussi fondamental que celui d’école de la vie politique paraissent désormais secondaires aux yeux de la population? La réponse réside notamment dans le fait que les domaines de compétence municipale se rapportent à des questions dont certaines sont considérées banales parce qu’elles sont liées à la vie courante et matérielle, bref à la vie quotidienne. Pourtant, en leur temps comme aujourd’hui, toutes ces questions n’en constituent pas moins des éléments cruciaux, nécessaires à la bonne organisation de la vie sociale et politique. Il faut bien voir que la mise en forme du cadre d’exercice de la vie collective, à travers l’organisation des services de la voirie, de la distribution de l’eau ou de

L E T E R R I T O I R E M U N I C I P A L

L E T E R R I T O I R E M U N I C I P A L

A U Q U É B E C : T E R R A I N

A U Q U É B E C : T E R R A I N

D ’ E X P R E S S I O N D U P O U V O I R

D ’ E X P R E S S I O N D U P O U V O I R

P O L I T I Q U E A U Q U O T I D I E N

P O L I T I Q U E A U Q U O T I D I E N

Par Michèle Dagenais, professeure, Département d’histoire, Université de Montréal

Tous droits réservés. Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) Dépôt légal (Québec et Canada), 4 e trimestre 2014.​

ISBN 978-2-921926-40-9 (PDF) ISBN 978-2-921926-41-6 (HTML) Q U ’ O N T E N C O M M U N L E S R É S E A U X D ’ E A U , L E S R U E S E T L E S T R O T T O I R S , L E S M A R C H É S , L E S P A R C S E T L E S P L A C E S P U B L I Q U E S ? I L S F O R M E N T U N E P A R T I E I M P O R T A N T E D U C A D R E M A T É R I E L D E N O S V I E S Q U O T I D I E N N E S . N O U S L E S U T I L I S O N S , L E S F O U L O N S , L E S T R A V E R S O N S P L U S I E U R S F O I S P A R S E M A I N E D A N S N O S G E S T E S E T N O S D É P L A C E M E N T S . H I S T O R I Q U E M E N T , C E S I N F R A S T R U C T U R E S O N T C O N S T I T U É L E S M O Y E N S C O N C R E T S P A R L E T R U C H E M E N T D E S Q U E L S S ’ E S T S T R U C T U R É E L A V I E P O L I T I Q U E M U N I C I P A L E A U Q U É B E C , D O N T L E S F O N D E M E N T S O N T É T É R E D É F I N I S E N P R O F O N D E U R À P A R T I R D E S A N N É E S 1 8 4 0 D A N S L A F O U L É E D E L A F O R M A T I O N D E L ’ É T A T M O D E R N E . P O U R Q U O I E T C O M M E N T P R O C È D E - T - O N A U D É V E L O P P E M E N T D ’ I N S T I T U T I O N S P O L I T I Q U E S A U N I V E A U L O C A L À P A R T I R D E C E T T E É P O Q U E ? Q U E L S S O N T L E S P O U V O I R S E T L E S D O M A I N E S A T T R I B U É S A U X I N S T I T U T I O N S M U N I C I P A L E S ? C O M M E N T S ’ I N C A R N E N T - I L S , N O T A M M E N T S U R L E T E R R I T O I R E U R B A I N ?

Cet article propose de revenir sur les circonstances entourant la création du régime municipal au Québec afin d’en éclairer la signification et la portée. À cette fin, nous examinons certaines des opérations par lesquelles l’espace local a été transformé et structuré sous forme de territoire municipal au milieu du XIXe siècle, et nous expliquons comment celui-ci a évolué à partir de deux exemples concrets: lors de l’aménagement de l’aqueduc municipal à Québec et lors de la formation du réseau des parcs montréalais. Ces deux développements se produisent à une époque où Québec et Montréal sont en pleine croissance. Les problèmes qui se posent alors alimentent les inquiétudes des autorités locales à l’égard de la salubrité de leur ville. Pour tenter d’adapter Québec et Montréal dans ce contexte, les instances municipales vont prendre appui sur la transformation des éléments naturels, un processus qui concourt non seulement à la structuration du territoire, mais aussi à l’urbanisation des populations au quotidien.

Les institutions municipales: des relais entre la

population locale et le gouvernement central

2

(4)

l’évacuation des déchets, participe elle aussi du nouvel ordre politique. De fait, la matérialité de la vie quotidienne a contribué et contribue autant que les normes édictées pour la régir à l’orientation des conduites, à ce que Michel Foucault désigne comme la conduite des conduites1. C’est pourquoi la mise en place d’un cadre pour gérer ces questions liées à la vie courante est apparue comme un élément crucial au milieu du XIXe siècle, au moment de la transformation du fonctionnement de la vie politique.

Les modalités particulières de la mise en place du régime municipal sont contenues dans la loi de 18402 et ses amendements successifs apportés en 1845, 1847 et 1855. En précisant les pouvoirs attribués aux municipalités, ces mesures se trouvent à définir les conditions d’existence de la vie collective au niveau local. Ainsi, les municipalités se voient attribuer la responsabilité de toutes les matières liées au quotidien, en ce qui concerne les travaux publics (voies publiques, trottoirs et canaux souterrains, infrastructures, éclairage), l’organisation des marchés publics, les nuisances et les déchets, la décence et les mœurs, la santé publique ou l’aménagement de l’espace (embellissement, planification, protection des milieux, cartes et plans). Les institutions municipales doivent aussi assurer la sécurité sur leur territoire (service de police et incendies) et assumer un certain nombre de responsabilités liées à l’assistance publique: mise sur pied de secours et de refuges pour les nécessiteux, aide aux victimes d’incendies, établissement de bureaux de santé, etc. Les municipalités ont le pouvoir d’adopter des règlements sur toutes ces matières. Enfin, elles peuvent prélever des taxes et des cotisations pour financer les travaux d’améliorations locales, emprunter, acquérir des propriétés et procéder à des expropriations afin de construire de nouvelles rues ou d’aménager des espaces publics.

Il conviendrait d’analyser le détail de ces lois municipales afin de dégager plus finement les modalités suivant lesquelles on précise et détermine, d’une à l’autre, le fonctionnement des institutions locales, l’organisation des élections, les règles entourant la tenue des réunions du conseil municipal, sans oublier la nomination des fonctionnaires, la définition de leurs attributions, etc. C’est par la mise en vigueur de ces dispositions que le territoire municipal prend forme, et que les modalités de la vie politique locale se précisent et se régularisent. En décrivant et en consignant dans les articles contenus dans les ordonnances ou les lois municipales un ensemble de gestes et de pratiques, on parvient à les convertir en abstractions. On transforme ainsi la vie politique locale en un objet de gouvernance, mesurable et reproductible. En d’autres termes, on institue une nouvelle sphère de la vie politique tout en la normalisant. C’est uniquement à ce prix qu’il est possible de concevoir un mode de gouvernement fondé sur le principe de la liberté, qui ne débouche pas sur une situation chaotique, mais vise plutôt à garantir l’ordre social et son bon fonctionnement.

C’est l’application de ces dispositions, liées aux diverses facettes de l’organisation de la vie quotidienne, qui va contribuer à incorporer les localités à l’État en les transformant en municipalités, comme les juristes de l’époque eux-mêmes l’ont fort à propos exprimé3. Ce qui est en jeu, c’est donc précisément de parvenir à transformer l’espace local, qu’il soit urbain ou rural, en une institution territoriale de l’État. En somme, développer le système municipal à l’échelle locale équivaut à l’incorporer à l’État.

Au milieu du XIXe siècle, c’est d’abord la volonté d’incorporer les villes à l’État qui motive l’adoption du régime municipal en Amérique du Nord britannique, tout comme aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Ce faisant, il s’agit non seulement de rendre plus efficace la gestion des territoires urbains alors en plein développement, mais d’en faire des terrains d’expérimentation du nouveau mode de gouvernement. En partie à cause de précédents historiques, les villes ont acquis une certaine capacité administrative, même si c’est en disposant de pouvoirs limités. Ce sont donc ces territoires qu’il importe d’intégrer et d’incorporer au domaine étatique en voie de redéfinition. Toutefois, l’attribution de pouvoirs aux villes ne se produit que très graduellement. De fait, il s’écoulera de nombreuses décennies entre le moment où Saint John (au Nouveau-Brunswick) est dotée de la première charte municipale en Amérique du Nord britannique en 1785, et celui où d’autres villes, telles Montréal, Québec, Toronto et Kingston, acquièrent un privilège semblable. Qui plus est, c’est seulement au cours des années 1840 que le pouvoir colonial consent à doter les principales villes sous son autorité de chartes permanentes comportant un ensemble de pouvoirs plus étendus. Ainsi, Québec et Montréal obtiennent leur première charte en 1831, contrairement aux plus petites localités qui sont alors soumises à la loi générale sur les municipalités. Ces chartes, suspendues en 1836 à cause du contexte politique agité, seront rétablies en 1840.

«L’eau propre et incolore [est] une des principales prérogatives

des populations progressistes

4

»

Dans la ville de Québec, c’est par le truchement de la gestion de l’eau, notamment, que la vie municipale prend forme à partir du moment où des institutions locales sont établies de manière permanente. L’aqueduc municipal représente en effet une grande réalisation. À l’époque, les raisons qui incitent à assurer l’approvisionnement en eau de manière plus systématique concernent d’abord la protection du bâti. C’est qu’au milieu du XIXe siècle Québec est souvent la proie d’incendies dont la gravité est amplifiée par les constructions en bois et la densité du bâti, dans un contexte où, de surcroît, l’approvisionnement en eau est aléatoire. Du choix du site où puiser l’eau pour alimenter la ville aux procédés techniques adoptés, en passant par les discussions sur les quantités d’eau consommées et les coûts associés au service, toutes ces étapes révèlent comment se met en forme l’espace municipal de la ville de Québec, sur le plan de son organisation autant physique que politique. Voyons les étapes les plus importantes de cet immense chantier qui se déroule sur plusieurs décennies.

3

(5)

première charte municipale en Amérique du Nord britannique en 1785, et celui où d’autres villes, telles Montréal, Québec, Toronto et Kingston, acquièrent un privilège semblable. Qui plus est, c’est seulement au cours des années 1840 que le pouvoir colonial consent à doter les principales villes sous son autorité de chartes permanentes comportant un ensemble de pouvoirs plus étendus. Ainsi, Québec et Montréal obtiennent leur première charte en 1831, contrairement aux plus petites localités qui sont alors soumises à la loi générale sur les municipalités. Ces chartes, suspendues en 1836 à cause du contexte politique agité, seront rétablies en 1840.

«L’eau propre et incolore [est] une des principales prérogatives

des populations progressistes

4

»

Dans la ville de Québec, c’est par le truchement de la gestion de l’eau, notamment, que la vie municipale prend forme à partir du moment où des institutions locales sont établies de manière permanente. L’aqueduc municipal représente en effet une grande réalisation. À l’époque, les raisons qui incitent à assurer l’approvisionnement en eau de manière plus systématique concernent d’abord la protection du bâti. C’est qu’au milieu du XIXe siècle Québec est souvent la proie d’incendies dont la gravité est amplifiée par les constructions en bois et la densité du bâti, dans un contexte où, de surcroît, l’approvisionnement en eau est aléatoire. Du choix du site où puiser l’eau pour alimenter la ville aux procédés techniques adoptés, en passant par les discussions sur les quantités d’eau consommées et les coûts associés au service, toutes ces étapes révèlent comment se met en forme l’espace municipal de la ville de Québec, sur le plan de son organisation autant physique que politique. Voyons les étapes les plus importantes de cet immense chantier qui se déroule sur plusieurs décennies.

première charte municipale en Amérique du Nord britannique en 1785, et celui où d’autres villes, telles Montréal, Québec, Toronto et Kingston, acquièrent un privilège semblable. Qui plus est, c’est seulement au cours des années 1840 que le pouvoir colonial consent à doter les principales villes sous son autorité de chartes permanentes comportant un ensemble de pouvoirs plus étendus. Ainsi, Québec et Montréal obtiennent leur première charte en 1831, contrairement aux plus petites localités qui sont alors soumises à la loi générale sur les municipalités. Ces chartes, suspendues en 1836 à cause du contexte politique agité, seront rétablies en 1840.

«L’eau propre et incolore [est] une des principales prérogatives des populations progressistes4»

Dans la ville de Québec, c’est par le truchement de la gestion de l’eau, notamment, que la vie municipale prend forme à partir du moment où des institutions locales sont établies de manière permanente. L’aqueduc municipal représente en effet une grande réalisation. À l’époque, les raisons qui incitent à assurer l’approvisionnement en eau de manière plus systématique concernent d’abord la protection du bâti. C’est qu’au milieu du XIXe siècle Québec est souvent la proie d’incendies dont la gravité est amplifiée par les constructions en bois et la densité du bâti, dans un contexte où, de surcroît, l’approvisionnement en eau est aléatoire. Du choix du site où puiser l’eau pour alimenter la ville aux procédés techniques adoptés, en passant par les discussions sur les quantités d’eau consommées et les coûts associés au service, toutes ces étapes révèlent comment se met en forme l’espace municipal de la ville de Québec, sur le plan de son organisation autant physique que politique. Voyons les étapes les plus importantes de cet immense chantier qui se déroule sur plusieurs décennies.

FIGURE 1 CARTE DE LA VILLE DE QUÉBEC EN 1874 Archives de la Ville de Québec, nég. FC2398, #E-342-1874.

Approvisionner en eau la ville et ses habitants: un défi immense

Dès le début du projet, Québec choisit d’agir comme maître d’œuvre du futur service d’approvisionnement en eau5. En 1847, elle confie à l’ingénieur américain, George A. Baldwin, déjà à l’emploi de la Ville pour le gaz, le soin d’élaborer un plan afin de «fournir une eau pure à la ville6». Baldwin exclut d’emblée les nombreux ruisseaux à proximité de Québec comme lieux de captage de l’eau, à cause des risques de gel durant l’hiver. Il recommande plutôt d’évaluer le potentiel des rivières Saint-Charles et Montmorency. Enthousiaste, il choisit la première car cette source lui semble amplement suffisante pour répondre aux besoins d’une population de 100 000, voire de 200 000 habitants, soit de deux à quatre fois supérieure aux 45 000 habitants de Québec en 1851, à raison de 150 gallons impériaux d’eau par jour et par logis. Ces estimations, l’ingénieur les fonde sur la consommation quotidienne relevée notamment à Londres, à la même époque. À Québec, il est prévu que l’alimentation en eau serve d’abord aux usages domestiques «pour laver les allées de maisons, les petites cours intérieures mal aérées, les lieux d’aisance», en conformité avec ce qu’on entend par hygiène, c’est-à-dire la propreté des lieux plus que celle des personnes. Considérant les usages différenciés de l’eau par temps sec durant l’été ou humide à d’autres moments, de même que les quantités requises pour le nettoyage des rues et les besoins du secteur industriel et du service des incendies, Baldwin évalue que l’aqueduc de Québec doit pouvoir fournir autant que trois millions de gallons par jour.

Ces calculs faits, l’ingénieur recommande de prélever l’eau aux rapides de Lorette, situés à une dizaine de kilomètres en amont du centre de Québec7. Celle-ci sera amenée à la ville par gravité vers le mont Plaisant (actuellement à la jonction de la côte De Salaberry et du chemin Sainte-Foy), puis conduite vers les maisons. Le chantier de l’adduction de l’eau va mobiliser des ressources humaines et financières considérables. À cette fin, il faudra «canaliser la ville en entier», comme l’exprime si justement le maire Narcisse-Fortunat Belleau dans son adresse inaugurale en 1852: il s’agit d’un «ouvrage gigantesque», poursuit-il, qui nécessite de la part du «comité ayant la surveillance de ces ouvrages une grande activité et beaucoup de zèle pour faire autant et surmonter autant d’obstacles […] dans un temps si court8».

Si le chantier est imposant, c’est aussi parce que, peu de temps après le début des travaux, il est décidé de procéder simultanément à l’établissement d’un réseau d’égouts, estimant, comme le dit à son tour le maire Ulric Tessier en 1854, «que s’il était nécessaire d’introduire de la bonne eau dans chaque maison, il était aussi nécessaire d’égoûter [sic] chaque propriété pour assainir la ville9». On imagine sans mal l’état de Québec durant toutes ces années, dont les rues sont encombrées par des «tranchées ouvertes» dans lesquelles sont enfouis les tuyaux d’eau potable et d’eaux usées. Si le branle-bas alourdit considérablement le fardeau financier municipal, les travaux sont néanmoins estimés incontournables par tous les maires qui se succèdent au cours des années 1850 et 1860 et au-delà. Les élites locales, poursuit le maire Tessier, sont unanimes dans leur volonté de faire de Québec «une ville qui puisse se comparer à toutes celles du continent américain sous le rapport de la salubrité, de la propreté et des embellissements dignes d’une population industrieuse et prospère».

La preuve du travail accompli est abondamment exposée sous la forme de longues séries de chiffres produites par les chefs de service et les dirigeants municipaux, année après année. «[Q]uatre mille et un quart de tuyaux d’égout; un mille de canaux en briques; cinq mille et un quart de tuyaux d’aqueduc en fer; six cent quatre-vingt-six tuyaux d’embranchements aux maisons; dix-sept citernes avec robinets réguliers; quarante hydrants; cinq hautes et basses citernes, et trente-huit citernes

4

(6)

FIGURE 1 CARTE DE LA VILLE DE QUÉBEC EN 1874 Archives de la Ville de Québec, nég. FC2398, #E-342-1874.

Approvisionner en eau la ville et ses habitants: un défi immense

Dès le début du projet, Québec choisit d’agir comme maître d’œuvre du futur service d’approvisionnement en eau5. En 1847, elle confie à l’ingénieur américain, George A. Baldwin, déjà à l’emploi de la Ville pour le gaz, le soin d’élaborer un plan afin de «fournir une eau pure à la ville6». Baldwin exclut d’emblée les nombreux ruisseaux à proximité de Québec comme lieux de captage de l’eau, à cause des risques de gel durant l’hiver. Il recommande plutôt d’évaluer le potentiel des rivières Saint-Charles et Montmorency. Enthousiaste, il choisit la première car cette source lui semble amplement suffisante pour répondre aux besoins d’une population de 100 000, voire de 200 000 habitants, soit de deux à quatre fois supérieure aux 45 000 habitants de Québec en 1851, à raison de 150 gallons impériaux d’eau par jour et par logis. Ces estimations, l’ingénieur les fonde sur la consommation quotidienne relevée notamment à Londres, à la même époque. À Québec, il est prévu que l’alimentation en eau serve d’abord aux usages domestiques «pour laver les allées de maisons, les petites cours intérieures mal aérées, les lieux d’aisance», en conformité avec ce qu’on entend par hygiène, c’est-à-dire la propreté des lieux plus que celle des personnes. Considérant les usages différenciés de l’eau par temps sec durant l’été ou humide à d’autres moments, de même que les quantités requises pour le nettoyage des rues et les besoins du secteur industriel et du service des incendies, Baldwin évalue que l’aqueduc de Québec doit pouvoir fournir autant que trois millions de gallons par jour.

Ces calculs faits, l’ingénieur recommande de prélever l’eau aux rapides de Lorette, situés à une dizaine de kilomètres en amont du centre de Québec7. Celle-ci sera amenée à la ville par gravité vers le mont Plaisant (actuellement à la jonction de la côte De Salaberry et du chemin Sainte-Foy), puis conduite vers les maisons. Le chantier de l’adduction de l’eau va mobiliser des ressources humaines et financières considérables. À cette fin, il faudra «canaliser la ville en entier», comme l’exprime si justement le maire Narcisse-Fortunat Belleau dans son adresse inaugurale en 1852: il s’agit d’un «ouvrage gigantesque», poursuit-il, qui nécessite de la part du «comité ayant la surveillance de ces ouvrages une grande activité et beaucoup de zèle pour faire autant et surmonter autant d’obstacles […] dans un temps si court8».

Si le chantier est imposant, c’est aussi parce que, peu de temps après le début des travaux, il est décidé de procéder simultanément à l’établissement d’un réseau d’égouts, estimant, comme le dit à son tour le maire Ulric Tessier en 1854, «que s’il était nécessaire d’introduire de la bonne eau dans chaque maison, il était aussi nécessaire d’égoûter [sic] chaque propriété pour assainir la ville9». On imagine sans mal l’état de Québec durant toutes ces années, dont les rues sont encombrées par des «tranchées ouvertes» dans lesquelles sont enfouis les tuyaux d’eau potable et d’eaux usées. Si le branle-bas alourdit considérablement le fardeau financier municipal, les travaux sont néanmoins estimés incontournables par tous les maires qui se succèdent au cours des années 1850 et 1860 et au-delà. Les élites locales, poursuit le maire Tessier, sont unanimes dans leur volonté de faire de Québec «une ville qui puisse se comparer à toutes celles du continent américain sous le rapport de la salubrité, de la propreté et des embellissements dignes d’une population industrieuse et prospère».

La preuve du travail accompli est abondamment exposée sous la forme de longues séries de chiffres produites par les chefs de service et les dirigeants municipaux, année après année. «[Q]uatre mille et un quart de tuyaux d’égout; un mille de canaux en briques; cinq mille et un quart de tuyaux d’aqueduc en fer; six cent quatre-vingt-six tuyaux d’embranchements aux maisons; dix-sept citernes avec robinets réguliers; quarante hydrants; cinq hautes et basses citernes, et trente-huit citernes couvertes de grilles en fer pour l’écoulement des eaux»: tel est le travail abattu durant la seule année fiscale 1887-188810. En apparence triviales, ces données chiffrées exercent une véritable fascination sur les élites de l’époque, à Québec comme à Boston, Glasgow, Toronto ou Montréal11. Elles constituent autant de traces et de preuves des processus par lesquels les territoires des municipalités prennent forme et se structurent. Ces données permettent aussi de suivre l’évolution des frontières mouvantes des villes alors en pleine croissance.

Définir l’accès à l’eau ou la création de la catégorie des contribuables

Cependant, il ne suffit pas de «canaliser la ville» pour établir le service de l’aqueduc. Il faut ensuite distribuer l’eau, ce qui suppose de préciser qui pourra y avoir accès et d’en fixer le prix. Au XIXe siècle, il n’existe pas de réponses simples ni uniques à ces questions tant la fourniture de l’eau met en jeu des considérations totalement inédites. En premier lieu, il s’agit de faire accepter l’existence d’un service public qui pénètre jusqu’à l’intérieur des maisons, et qui n’est pas forcément requis ni demandé par la population. En second lieu, c’est la délicate question de la taxation qui est posée, à une époque où la pratique en est à ses balbutiements.

En raison du caractère nouveau du service et parce qu’on ne le conçoit pas d’emblée comme universel, les autorités municipales décident d’abord de raccorder à l’aqueduc seulement les immeubles des propriétaires fonciers qui le désirent. Le règlement de 1847 à cet effet précise donc qu’il demeure permis à toutes les personnes qui le souhaiteraient «de construire les ouvrages nécessaires pour fournir d’eau leurs propres dépendances12». L’article XVII prévoit en outre que l’imposition pour l’eau ne sera pas unilatérale puisque seules les personnes qui s’y raccordent paieront une taxe. Mais, rapidement, cette disposition ne paraît pas réaliste. La distribution de l’eau se révèle tellement coûteuse qu’elle doit se faire par le raccordement systématique de toutes les maisons. Dès 1851, un amendement est donc apporté au règlement sur l’eau qui permet d’imposer tous les contribuables, «tant ceux qui consentiront que ceux qui refuseront de recevoir dans leurs maisons, magasins ou autres bâtiments le tuyau pour y conduire l’eau13».

Cette nouvelle disposition n’assure pas pour autant la municipalité de la légitimité nécessaire pour mettre l’amendement en application. L’introduction de cette forme inédite d’imposition suscite à ce point des réserves que le maire Joseph Morin sent le besoin de s’en expliquer comme suit en 1855: «On appelle le prix fixé par l’eau de cette ville une taxe; mais suivant moi, on devrait lui donner un autre nom, car ce n’est pas à proprement parler une taxe. On devrait faire comprendre au public que c’est une indemnité, un équivalent pour l’eau qu’on lui livre par les tuyaux, comme le prix qu’il payait pour le même article lorsqu’il l’achetait des charretiers14.»

C’est donc dans un contexte plutôt adverse que le maire Joseph Morin et bien d’autres à sa suite s’évertuent à justifier l’existence du service municipal de l’eau. La situation est rendue d’autant plus difficile que le développement du réseau connaît plusieurs ratés qui tiennent au financement des installations et aux défis posés par la topographie de Québec. Au départ, en effet, il est prévu que ce sont les rues «où la cotisation est assez élevée pour assurer un intérêt de 8 à 10 % et au-delà sur le coût total des travaux exécutés dans chacune des rues» qui seront les premières dotées15. Dans les quartiers les plus pauvres, le surintendant de l’aqueduc recommande de fixer à quatre dollars par année le coût à payer pour l’eau, une somme qui servira à couvrir les frais d’intérêt sur les emprunts pour financer les travaux effectués à ces endroits, conformément au règlement16. Mais, ironie du sort, comme l’eau circule par gravité, les quartiers les plus bas de la ville sont les mieux desservis, contrairement aux quartiers de la haute-ville, habités par les élites et situés en bout de ligne du réseau.

Cette situation n’aurait pas nécessairement posé de problèmes si la quantité d’eau qui arrive en ville 5

(7)

avait été suffisante. Or, aussitôt la mise en fonction de l’aqueduc, en 1854, la seule conduite de 18 pouces aménagée pour amener l’eau se révèle insuffisante. C’est que la multiplication rapide des raccordements des maisons à la conduite principale provoque une baisse du débit de l’eau, d’où sa difficulté à atteindre la partie haute de Québec. Du coup, ce sont les quartiers populaires, les moins rentables sur le plan fiscal, qui sont les mieux pourvus. Pour pallier le problème, la municipalité décide de couper l’eau dans la basse-ville pendant quatre heures par jour, le temps que les maisons de la haute-ville puissent remplir leur réservoir. Cela ne modifie en rien le fait que les contribuables les plus lourdement taxés sont les moins bien approvisionnés. Cette situation paraît inacceptable aux yeux des autorités municipales et les embarrasse au plus haut point.

FIGURE 2 CONSEIL DE VILLE DE QUÉBEC,1874

Archives du Musée du Québec, collection de documents iconographiques, N001196.

Approvisionner simultanément tous les secteurs de Québec, de manière à ce que le paiement de la couvertes de grilles en fer pour l’écoulement des eaux»: tel est le travail abattu durant la seule année fiscale 1887-188810. En apparence triviales, ces données chiffrées exercent une véritable fascination sur les élites de l’époque, à Québec comme à Boston, Glasgow, Toronto ou Montréal11. Elles constituent autant de traces et de preuves des processus par lesquels les territoires des municipalités prennent forme et se structurent. Ces données permettent aussi de suivre l’évolution des frontières mouvantes des villes alors en pleine croissance.

Définir l’accès à l’eau ou la création de la catégorie des contribuables

Cependant, il ne suffit pas de «canaliser la ville» pour établir le service de l’aqueduc. Il faut ensuite distribuer l’eau, ce qui suppose de préciser qui pourra y avoir accès et d’en fixer le prix. Au XIXe siècle, il n’existe pas de réponses simples ni uniques à ces questions tant la fourniture de l’eau met en jeu des considérations totalement inédites. En premier lieu, il s’agit de faire accepter l’existence d’un service public qui pénètre jusqu’à l’intérieur des maisons, et qui n’est pas forcément requis ni demandé par la population. En second lieu, c’est la délicate question de la taxation qui est posée, à une époque où la pratique en est à ses balbutiements.

En raison du caractère nouveau du service et parce qu’on ne le conçoit pas d’emblée comme universel, les autorités municipales décident d’abord de raccorder à l’aqueduc seulement les immeubles des propriétaires fonciers qui le désirent. Le règlement de 1847 à cet effet précise donc qu’il demeure permis à toutes les personnes qui le souhaiteraient «de construire les ouvrages nécessaires pour fournir d’eau leurs propres dépendances12». L’article XVII prévoit en outre que l’imposition pour l’eau ne sera pas unilatérale puisque seules les personnes qui s’y raccordent paieront une taxe. Mais, rapidement, cette disposition ne paraît pas réaliste. La distribution de l’eau se révèle tellement coûteuse qu’elle doit se faire par le raccordement systématique de toutes les maisons. Dès 1851, un amendement est donc apporté au règlement sur l’eau qui permet d’imposer tous les contribuables, «tant ceux qui consentiront que ceux qui refuseront de recevoir dans leurs maisons, magasins ou autres bâtiments le tuyau pour y conduire l’eau13».

Cette nouvelle disposition n’assure pas pour autant la municipalité de la légitimité nécessaire pour mettre l’amendement en application. L’introduction de cette forme inédite d’imposition suscite à ce point des réserves que le maire Joseph Morin sent le besoin de s’en expliquer comme suit en 1855: «On appelle le prix fixé par l’eau de cette ville une taxe; mais suivant moi, on devrait lui donner un autre nom, car ce n’est pas à proprement parler une taxe. On devrait faire comprendre au public que c’est une indemnité, un équivalent pour l’eau qu’on lui livre par les tuyaux, comme le prix qu’il payait pour le même article lorsqu’il l’achetait des charretiers14.»

C’est donc dans un contexte plutôt adverse que le maire Joseph Morin et bien d’autres à sa suite s’évertuent à justifier l’existence du service municipal de l’eau. La situation est rendue d’autant plus difficile que le développement du réseau connaît plusieurs ratés qui tiennent au financement des installations et aux défis posés par la topographie de Québec. Au départ, en effet, il est prévu que ce sont les rues «où la cotisation est assez élevée pour assurer un intérêt de 8 à 10 % et au-delà sur le coût total des travaux exécutés dans chacune des rues» qui seront les premières dotées15. Dans les quartiers les plus pauvres, le surintendant de l’aqueduc recommande de fixer à quatre dollars par année le coût à payer pour l’eau, une somme qui servira à couvrir les frais d’intérêt sur les emprunts pour financer les travaux effectués à ces endroits, conformément au règlement16. Mais, ironie du sort, comme l’eau circule par gravité, les quartiers les plus bas de la ville sont les mieux desservis, contrairement aux quartiers de la haute-ville, habités par les élites et situés en bout de ligne du réseau.

Cette situation n’aurait pas nécessairement posé de problèmes si la quantité d’eau qui arrive en ville

6

(8)

avait été suffisante. Or, aussitôt la mise en fonction de l’aqueduc, en 1854, la seule conduite de 18 pouces aménagée pour amener l’eau se révèle insuffisante. C’est que la multiplication rapide des raccordements des maisons à la conduite principale provoque une baisse du débit de l’eau, d’où sa difficulté à atteindre la partie haute de Québec. Du coup, ce sont les quartiers populaires, les moins rentables sur le plan fiscal, qui sont les mieux pourvus. Pour pallier le problème, la municipalité décide de couper l’eau dans la basse-ville pendant quatre heures par jour, le temps que les maisons de la haute-ville puissent remplir leur réservoir. Cela ne modifie en rien le fait que les contribuables les plus lourdement taxés sont les moins bien approvisionnés. Cette situation paraît inacceptable aux yeux des autorités municipales et les embarrasse au plus haut point.

FIGURE 2 CONSEIL DE VILLE DE QUÉBEC,1874

Archives du Musée du Québec, collection de documents iconographiques, N001196.

Approvisionner simultanément tous les secteurs de Québec, de manière à ce que le paiement de la taxe sur l’eau procure en retour le service auquel les contribuables sont en droit de s’attendre, dont une protection analogue et équivalente contre les incendies, est l’objectif auquel aspirent les autorités locales. Non pas tant pour des raisons de justice sociale, mais pour que les contribuables reçoivent bel et bien les services dont ils assument les coûts. La légitimité de la jeune municipalité en dépend.

Ce problème aurait été moins aigu si Québec avait pu emprunter pour combler le manque à gagner, nécessaire à la poursuite des travaux d’installation de l’aqueduc. Or, comme le règlement de l’eau à l’époque exige que le service s’autofinance, il s’avère impossible de combler le déficit à même le revenu ordinaire de la ville. Coincée sur le plan financier et ne pouvant admettre qu’elle ne peut répondre à la demande en eau, la municipalité n’a d’autre choix que de se lancer dans une croisade contre le gaspillage de la ressource. En 1860, l’ingénieur réputé Thomas C. Keefer est donc appelé en renfort. Il est invité à formuler des recommandations sur «les meilleurs moyens d’augmenter la quantité d’eau maintenant fournie par l’aqueduc, et cela tout en conservant les tuyaux actuellement en opération17». L’ingénieur donne à entendre ce que le client demande. Il affirme d’emblée que, si la quantité d’eau qui circule quotidiennement dans les tuyaux est insuffisante, alors qu’elle est prévue pour une population de 100 000 habitants tandis que la ville n’en totalise que 30 000, c’est qu’il s’en fait une consommation excessive. En clair, chaque individu consommerait 100 gallons par jour, ce qui dépasse largement les 150 gallons prévus pour chaque foyer.

Si gaspillage il y a, comment se produit-il? D’après l’ingénieur Keefer, il résulterait du fait que les gens laissent les robinets ouverts dans les maisons et dans les lieux d’aisance de crainte que l’eau gèle si elle ne circule pas. Le gaspillage serait aussi patent dans les ateliers, les brasseries et les tanneries où la consommation de l’eau atteint des sommets qui ne sont pas en proportion de la taxe payée. L’ingénieur recommande donc de taxer davantage les gros consommateurs d’eau. La Ville se résout à introduire une taxe spéciale pour «les bains, les closets et animaux abreuvés par l’eau de l’Aqueduc et d’établir l’uniformité de la taxe sur l’eau sur les marchands en gros et les marchands en détail18». Surtout, l’ingénieur préconise de donner à la municipalité des pouvoirs accrus de surveillance et d’inspection des maisons.

Québec va donner suite à cette recommandation, comme en atteste le passage suivant de la charte municipale, amendée en 1865: «La dite corporation a le droit de nommer un ou plusieurs inspecteurs chargés d’entrer à des heures raisonnables dans les maisons ou les bâtisses et sur les terrains qui reçoivent de l’eau du dit aqueduc ou de dits aqueducs, et d’examiner les robinets, tuyaux de service ou de répartition, conduits, citernes, réservoirs ou appareils placés dans ces maisons, bâtisses, terrains et leurs dépendances19.» Au nouveau pouvoir d’inspection s’ajoute celui d’un plus grand contrôle puisque la Ville obtient le droit d’installer des hydromètres «pour régler, déterminer et mesurer la quantité d’eau à être fournie par le dit aqueduc, soit à toute maison ou bâtisse». Québec peut aussi suspendre l’approvisionnement en eau de toute personne qui ne s’acquitte pas de la taxe pour ce service. C’est ainsi que le nouveau service de l’aqueduc, composé de milliers de conduits et de tuyaux et dont l’implantation contribue à la structuration du territoire, favorise également l’intégration des individus dans l’espace municipal par la tentative de réglementer la manière d’en faire usage.

L’histoire du développement de l’aqueduc à Québec ne se s’arrête pas là. L’extension du réseau se poursuit dans les décennies suivantes. Un nouveau conduit, de 30 pouces de diamètre celui-là, est installé en 1885 afin d’approvisionner le secteur de la haute-ville. Depuis les débuts de la mise en service de l’aqueduc municipal, c’est la première fois que l’eau est distribuée dans toute la ville en même temps. Puis, en 1913, on construit un troisième conduit, de 40 pouces cette fois, destiné à alimenter les territoires des municipalités annexées à Québec depuis 1889 (Saint-Sauveur, Saint-Malo, Limoilou et Montcalm). Ainsi, l’extension du réseau s’accompagne de celle du territoire dont les limites sont repoussées à diverses reprises pour englober les faubourgs environnants.

avait été suffisante. Or, aussitôt la mise en fonction de l’aqueduc, en 1854, la seule conduite de 18 pouces aménagée pour amener l’eau se révèle insuffisante. C’est que la multiplication rapide des raccordements des maisons à la conduite principale provoque une baisse du débit de l’eau, d’où sa difficulté à atteindre la partie haute de Québec. Du coup, ce sont les quartiers populaires, les moins rentables sur le plan fiscal, qui sont les mieux pourvus. Pour pallier le problème, la municipalité décide de couper l’eau dans la basse-ville pendant quatre heures par jour, le temps que les maisons de la haute-ville puissent remplir leur réservoir. Cela ne modifie en rien le fait que les contribuables les plus lourdement taxés sont les moins bien approvisionnés. Cette situation paraît inacceptable aux yeux des autorités municipales et les embarrasse au plus haut point.

FIGURE 2 CONSEIL DE VILLE DE QUÉBEC,1874

Archives du Musée du Québec, collection de documents iconographiques, N001196.

Approvisionner simultanément tous les secteurs de Québec, de manière à ce que le paiement de la

7

(9)

FIGURE 3 CARTE DE LA VILLE DE QUÉBEC, 1930 Archives de la Ville de Québec, nég. FC2301, #D-342-1932.

La nécessité d’assurer un approvisionnement constant, fiable et de plus en plus volumineux conduit donc à l’augmentation du pouvoir de l’aqueduc et à l’amélioration continue du système. Ainsi, le travail relatif à l’approvisionnement en eau de Québec ne semble jamais devoir se terminer. Un problème n’attend pas l’autre. Toutes ces améliorations peuvent être lues comme autant d’ajustements dans le mode de gouvernement de la ville. Il en est de même pour les autres services municipaux tels la voirie ou la protection contre les incendies. Assurer l’ordre et garantir la sécurité collective sont des opérations permanentes qui surviennent dans un monde en perpétuel mouvement. Elles nécessitent des améliorations et des adaptations continuelles. C’est en ce sens que la matérialité de la vie quotidienne structure le domaine municipal en même temps qu’elle encadre la vie collective. taxe sur l’eau procure en retour le service auquel les contribuables sont en droit de s’attendre, dont une protection analogue et équivalente contre les incendies, est l’objectif auquel aspirent les autorités locales. Non pas tant pour des raisons de justice sociale, mais pour que les contribuables reçoivent bel et bien les services dont ils assument les coûts. La légitimité de la jeune municipalité en dépend.

Ce problème aurait été moins aigu si Québec avait pu emprunter pour combler le manque à gagner, nécessaire à la poursuite des travaux d’installation de l’aqueduc. Or, comme le règlement de l’eau à l’époque exige que le service s’autofinance, il s’avère impossible de combler le déficit à même le revenu ordinaire de la ville. Coincée sur le plan financier et ne pouvant admettre qu’elle ne peut répondre à la demande en eau, la municipalité n’a d’autre choix que de se lancer dans une croisade contre le gaspillage de la ressource. En 1860, l’ingénieur réputé Thomas C. Keefer est donc appelé en renfort. Il est invité à formuler des recommandations sur «les meilleurs moyens d’augmenter la quantité d’eau maintenant fournie par l’aqueduc, et cela tout en conservant les tuyaux actuellement en opération17». L’ingénieur donne à entendre ce que le client demande. Il affirme d’emblée que, si la quantité d’eau qui circule quotidiennement dans les tuyaux est insuffisante, alors qu’elle est prévue pour une population de 100 000 habitants tandis que la ville n’en totalise que 30 000, c’est qu’il s’en fait une consommation excessive. En clair, chaque individu consommerait 100 gallons par jour, ce qui dépasse largement les 150 gallons prévus pour chaque foyer.

Si gaspillage il y a, comment se produit-il? D’après l’ingénieur Keefer, il résulterait du fait que les gens laissent les robinets ouverts dans les maisons et dans les lieux d’aisance de crainte que l’eau gèle si elle ne circule pas. Le gaspillage serait aussi patent dans les ateliers, les brasseries et les tanneries où la consommation de l’eau atteint des sommets qui ne sont pas en proportion de la taxe payée. L’ingénieur recommande donc de taxer davantage les gros consommateurs d’eau. La Ville se résout à introduire une taxe spéciale pour «les bains, les closets et animaux abreuvés par l’eau de l’Aqueduc et d’établir l’uniformité de la taxe sur l’eau sur les marchands en gros et les marchands en détail18». Surtout, l’ingénieur préconise de donner à la municipalité des pouvoirs accrus de surveillance et d’inspection des maisons.

Québec va donner suite à cette recommandation, comme en atteste le passage suivant de la charte municipale, amendée en 1865: «La dite corporation a le droit de nommer un ou plusieurs inspecteurs chargés d’entrer à des heures raisonnables dans les maisons ou les bâtisses et sur les terrains qui reçoivent de l’eau du dit aqueduc ou de dits aqueducs, et d’examiner les robinets, tuyaux de service ou de répartition, conduits, citernes, réservoirs ou appareils placés dans ces maisons, bâtisses, terrains et leurs dépendances19.» Au nouveau pouvoir d’inspection s’ajoute celui d’un plus grand contrôle puisque la Ville obtient le droit d’installer des hydromètres «pour régler, déterminer et mesurer la quantité d’eau à être fournie par le dit aqueduc, soit à toute maison ou bâtisse». Québec peut aussi suspendre l’approvisionnement en eau de toute personne qui ne s’acquitte pas de la taxe pour ce service. C’est ainsi que le nouveau service de l’aqueduc, composé de milliers de conduits et de tuyaux et dont l’implantation contribue à la structuration du territoire, favorise également l’intégration des individus dans l’espace municipal par la tentative de réglementer la manière d’en faire usage.

L’histoire du développement de l’aqueduc à Québec ne se s’arrête pas là. L’extension du réseau se poursuit dans les décennies suivantes. Un nouveau conduit, de 30 pouces de diamètre celui-là, est installé en 1885 afin d’approvisionner le secteur de la haute-ville. Depuis les débuts de la mise en service de l’aqueduc municipal, c’est la première fois que l’eau est distribuée dans toute la ville en même temps. Puis, en 1913, on construit un troisième conduit, de 40 pouces cette fois, destiné à alimenter les territoires des municipalités annexées à Québec depuis 1889 (Saint-Sauveur, Saint-Malo, Limoilou et Montcalm). Ainsi, l’extension du réseau s’accompagne de celle du territoire dont les limites sont repoussées à diverses reprises pour englober les faubourgs environnants.

8

(10)

FIGURE 3 CARTE DE LA VILLE DE QUÉBEC, 1930 Archives de la Ville de Québec, nég. FC2301, #D-342-1932.

La nécessité d’assurer un approvisionnement constant, fiable et de plus en plus volumineux conduit donc à l’augmentation du pouvoir de l’aqueduc et à l’amélioration continue du système. Ainsi, le travail relatif à l’approvisionnement en eau de Québec ne semble jamais devoir se terminer. Un problème n’attend pas l’autre. Toutes ces améliorations peuvent être lues comme autant d’ajustements dans le mode de gouvernement de la ville. Il en est de même pour les autres services municipaux tels la voirie ou la protection contre les incendies. Assurer l’ordre et garantir la sécurité collective sont des opérations permanentes qui surviennent dans un monde en perpétuel mouvement. Elles nécessitent des améliorations et des adaptations continuelles. C’est en ce sens que la matérialité de la vie quotidienne structure le domaine municipal en même temps qu’elle encadre la vie collective.

FIGURE 4 L’HÔTEL DE VILLE DE QUÉBEC VERS 1900

Stedman Bros. Archives de la Ville de Québec, collection de documents iconographiques, N019423.

La période d’expansion 1870-1880–1920: améliorations locales,

assainissement et embellissement à Montréal

L’histoire du réseau des parcs et des espaces verts à Montréal à la même époque fournit un autre exemple de la manière dont le territoire municipal prend forme. À l’image du développement des services de l’aqueduc et des égouts, cette initiative vise aussi à assainir la ville alors en pleine transformation. Certes, le travail entourant le développement des réseaux d’eau et celui des parcs diffère passablement. Tout comme le premier cependant, le second illustre comment les éléments naturels sont à nouveau mis au service de la municipalisation de l’espace urbain, comme de l’urbanisation des pratiques citadines.

L’aménagement de parcs publics s’amorce à une époque où la question de l’espace urbain, de son organisation et de sa gestion occupe une place centrale sur la scène municipale. Cette question s’y pose avec une acuité particulière, alors que Montréal se transforme radicalement sous l’effet de l’industrialisation. L’installation de manufactures, l’accroissement de la circulation, le brassage des populations résultant de l’arrivée des habitants des campagnes environnantes autant que de l’immigration internationale se produisent dans un milieu qui n’est pas adapté à ces nouvelles réalités. Il s’ensuit une dégradation des lieux et des conditions de vie.

C’est essentiellement par un travail sur l’espace que les dirigeants municipaux tentent alors de répondre aux problèmes provoqués par ce développement rapide de Montréal. Rues et trottoirs, aqueducs et égouts, mais aussi places publiques et parcs, toutes ces initiatives menées par les autorités locales font que la ville se transforme et s’adapte, et que son territoire se structure. Il est possible de considérer tous ces développements sur le plan physique comme autant d’actions qui modifient l’apparence de Montréal. Il faut bien voir que ces interventions s’apparentent aussi à une véritable entreprise de structuration politique de l’espace par laquelle les autorités municipales assoient leur autorité et cherchent à marquer de leur présence le territoire. L’examen des étapes entourant la formation du réseau des parcs et des espaces verts permet d’illustrer comment ces dynamiques

FIGURE 4 L’HÔTEL DE VILLE DE QUÉBEC VERS 1900

Stedman Bros. Archives de la Ville de Québec, collection de documents iconographiques, N019423.

La période d’expansion 1870-1880–1920: améliorations locales,

assainissement et embellissement à Montréal

L’histoire du réseau des parcs et des espaces verts à Montréal à la même époque fournit un autre

exemple de la manière dont le territoire municipal prend forme. À l’image du développement des

services de l’aqueduc et des égouts, cette initiative vise aussi à assainir la ville alors en pleine

transformation. Certes, le travail entourant le développement des réseaux d’eau et celui des parcs

diffère passablement. Tout comme le premier cependant, le second illustre comment les éléments

naturels sont à nouveau mis au service de la municipalisation de l’espace urbain, comme de

l’urbanisation des pratiques citadines.

L’aménagement de parcs publics s’amorce à une époque où la question de l’espace urbain, de son

organisation et de sa gestion occupe une place centrale sur la scène municipale. Cette question s’y

pose avec une acuité particulière, alors que Montréal se transforme radicalement sous l’effet de

l’industrialisation. L’installation de manufactures, l’accroissement de la circulation, le brassage des

populations résultant de l’arrivée des habitants des campagnes environnantes autant que de

l’immigration internationale se produisent dans un milieu qui n’est pas adapté à ces nouvelles réalités.

Il s’ensuit une dégradation des lieux et des conditions de vie.

C’est essentiellement par un travail sur l’espace que les dirigeants municipaux tentent alors de

répondre aux problèmes provoqués par ce développement rapide de Montréal. Rues et trottoirs,

aqueducs et égouts, mais aussi places publiques et parcs, toutes ces initiatives menées par les autorités

locales font que la ville se transforme et s’adapte, et que son territoire se structure. Il est possible de

considérer tous ces développements sur le plan physique comme autant d’actions qui modifient

l’apparence de Montréal. Il faut bien voir que ces interventions s’apparentent aussi à une véritable

entreprise de structuration politique de l’espace par laquelle les autorités municipales assoient leur

autorité et cherchent à marquer de leur présence le territoire. L’examen des étapes entourant la

formation du réseau des parcs et des espaces verts permet d’illustrer comment ces dynamiques

FIGURE 3 CARTE DE LA VILLE DE QUÉBEC, 1930 Archives de la Ville de Québec, nég. FC2301, #D-342-1932.

La nécessité d’assurer un approvisionnement constant, fiable et de plus en plus volumineux conduit donc à l’augmentation du pouvoir de l’aqueduc et à l’amélioration continue du système. Ainsi, le travail relatif à l’approvisionnement en eau de Québec ne semble jamais devoir se terminer. Un problème n’attend pas l’autre. Toutes ces améliorations peuvent être lues comme autant d’ajustements dans le mode de gouvernement de la ville. Il en est de même pour les autres services municipaux tels la voirie ou la protection contre les incendies. Assurer l’ordre et garantir la sécurité collective sont des opérations permanentes qui surviennent dans un monde en perpétuel mouvement. Elles nécessitent des améliorations et des adaptations continuelles. C’est en ce sens que la matérialité de la vie quotidienne structure le domaine municipal en même temps qu’elle encadre la vie collective.

9

(11)

FIGURE 4 L’HÔTEL DE VILLE DE QUÉBEC VERS 1900

Stedman Bros. Archives de la Ville de Québec, collection de documents iconographiques, N019423.

La période d’expansion 1870-1880–1920: améliorations locales,

assainissement et embellissement à Montréal

L’histoire du réseau des parcs et des espaces verts à Montréal à la même époque fournit un autre exemple de la manière dont le territoire municipal prend forme. À l’image du développement des services de l’aqueduc et des égouts, cette initiative vise aussi à assainir la ville alors en pleine transformation. Certes, le travail entourant le développement des réseaux d’eau et celui des parcs diffère passablement. Tout comme le premier cependant, le second illustre comment les éléments naturels sont à nouveau mis au service de la municipalisation de l’espace urbain, comme de l’urbanisation des pratiques citadines.

L’aménagement de parcs publics s’amorce à une époque où la question de l’espace urbain, de son organisation et de sa gestion occupe une place centrale sur la scène municipale. Cette question s’y pose avec une acuité particulière, alors que Montréal se transforme radicalement sous l’effet de l’industrialisation. L’installation de manufactures, l’accroissement de la circulation, le brassage des populations résultant de l’arrivée des habitants des campagnes environnantes autant que de l’immigration internationale se produisent dans un milieu qui n’est pas adapté à ces nouvelles réalités. Il s’ensuit une dégradation des lieux et des conditions de vie.

C’est essentiellement par un travail sur l’espace que les dirigeants municipaux tentent alors de répondre aux problèmes provoqués par ce développement rapide de Montréal. Rues et trottoirs, aqueducs et égouts, mais aussi places publiques et parcs, toutes ces initiatives menées par les autorités locales font que la ville se transforme et s’adapte, et que son territoire se structure. Il est possible de considérer tous ces développements sur le plan physique comme autant d’actions qui modifient l’apparence de Montréal. Il faut bien voir que ces interventions s’apparentent aussi à une véritable entreprise de structuration politique de l’espace par laquelle les autorités municipales assoient leur autorité et cherchent à marquer de leur présence le territoire. L’examen des étapes entourant la formation du réseau des parcs et des espaces verts permet d’illustrer comment ces dynamiques s’incarnent dans le cas montréalais.

Embellir la ville: les premiers parcs

Bien que les premiers espaces verts à Montréal apparaissent dès le début du XIXe siècle, l’élan en leur faveur et leur développement plus soutenu se produisent à partir de la seconde moitié du siècle. Des places publiques et de grands parcs sont aménagés çà et là dans la ville, parmi lesquels les squares Dalhousie, Chaboillez, Viger et Saint-Louis, et les parcs du Mont-Royal, La Fontaine et de l’île Sainte-Hélène20 (parc Jean-Drapeau).

Concrètement, ces espaces prennent forme et deviennent réalité, d’abord par les travaux liés à leur aménagement physique. À l’époque, ils sont entrepris avec l’objectif de faire des milieux où les parcs sont situés des lieux agréables et reposants, destinés à la promenade, à la détente et à la contemplation. Les arbres plantés, la pelouse et les fleurs semées, les étangs creusés: ces éléments visent à transformer des sites pour ainsi dire sauvages ou en friche, en espaces de culture et de civilisation. Espaces de nature, par la présence de tous ces éléments, les parcs sont aussi des espaces de culture tant ils servent à exprimer un ensemble de valeurs et d’idéaux.

FIGURE 5 CONSEIL MUNICIPAL DE MONTRÉAL ENTRE 1887 ET 1889 Notman and Son. Archives de la Ville de Montréal, VM6,S10,D015.22-5

10

Références

Documents relatifs

Je me souviens des amis avec qui j'ai grandit ce sentiment d'être exclus nous rendait solidaires Chacun pris son train quand les années passèrent à chacun son 'move' à chacun sa

Leçon 2 – Poser des questions pour mieux connaître les gens qui font des métiers Leçon 3 – Comparer l’information. Module 4 –

Les cigariers du genre Byctiscus, comme le Rhynchite du bouleau (B. betulae) ne découpent pas le limbe, mais attaquent le pé- tiole, ce qui provoque l’enroulement de la feuille

La 2 nde connexion obligatoire avec code personnel de télécharger l’attestation d’isolement - si le test est négatif. - du jour de l’isolement au jour

Le rôle des conseillers de l’Assurance Maladie est de contacter par téléphone tous les cas contacts identifiés, « Contact Covid », afin de leur transmettre toutes les

 Expertise sur les bases de données urbaines européennes menée par Géographie-cités (coord. Bretagnolle) dans le cadre du programme ESPON (European Observation Network

Evolution des tonnages de déchets (tous types de collecte) Le traitement des déchets ménagers5. Localisation des unités de traitement des déchets ménagers et assimilés et modes

Les discussions n’ont pas abouti sur l’emplacement de l’office de poste des Charmilles ni sur le sort d’autres offices situés sur le territoire de la Ville de Genève,