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Le tambour métallique : paradigme instrumental d'un espace sonore temporaire

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Academic year: 2021

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ROBERT THIVIERGE

LE TAMBOUR MÉTALLIQUE : PARADIGME INSTRUMENTAL D ’UN ESPACE SONORE TEMPORAIRE

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en arts visuels

pour l’obtention du grade de maître ès arts (M. A.)

ÉCOLE DES ARTS VISUELS

FACULTÉ D ’AMÉNAGEMENT, D ’ARCHITECTURE ET DES ARTS VISUELS UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

OCTOBRE 2005

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RÉSUMÉ

Le présent texte d ’accompagnement de l’exposition de maîtrise en arts visuels intitulée « Le tambour métallique : paradigme instrumental d ’un espace sonore temporaire » approfondit les différentes étapes qui ont amené le candidat à ce projet de recherche. Du travail d ’atelier jusqu’au studio de son, ce texte témoigne de la recherche effectuée pour éclaircir le phénomène de la production sonore à travers l ’étude des notions fondamentales d ’acoustique. Il poursuit avec le récit de la réalisation d ’une sculpture-instrument, origine du paradigme de recherche et rend enfin compte de la méthodologie utilisée afin de construire les séquences sonores du projet. De plus, les concepts sociaux et historiques qui conditionnent la nature des projets du candidat y sont exposés : de la persistance de la sensation d ’ennui chez l’être humain, en passant par la volonté affichée des avant-gardes musicales de la première moitié du vingtième siècle, de renouveler la matière sonore de l’art musical, jusqu’à l’éclatement de la notion traditionnelle de la sculpture vers une spécificité multisensorielle.

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AVANT-PROPOS

Une maîtrise en arts visuels ne se fait pas tout seul. Les séminaires, les échanges et les collaborations avec nos collègues et enseignants enrichissent considérablement le résultat de cette expérience d ’études de deuxième cycle. Il va de soi que des remerciements s ’imposent lorsqu’on arrive à la finalisation de celle-ci.

Je voudrais en premier lieu, remercier tous les étudiants avec qui j ’ai partagé ces deux années d ’études. Sur une base d ’entraide et de respect nous avons su développer des liens agréables et enrichissants. Par la même occasion, je remercie Marcel Jean, David Naylor, Francine Chaîné et Bernard Paquet, les enseignants qui ont animé à tour de rôle leurs séminaires respectifs et qui ont su nous guider, chacun à leur façon, vers un approfondissement de notre pratique artistique.

Je tiens aussi à remercier James Partaik, enseignant au baccalauréat, à qui je suis redevable de m ’avoir initié au montage vidéo et aux pratiques audiovisuelles connexes. Sans cette personne, il n ’y aurait pas eu de cours de vidéo à l ’Université Laval lorsque j ’y ai fait mon baccalauréat et ma pratique artistique serait probablement tout autre aujourd’hui. Dans la même lancée de remerciements d ’ordre technique, je tiens à souligner l’apport de M. Claude Hazanavicius à mon expérience de la prise de son.

Maintenant, j ’aimerais remercier tous ceux qui m ’ont fourni un petit coup de pouce de temps à autre. Tout d ’abord je remercie Sagana Bouffard pour avoir diffusé sur les ondes de CKIA FM quelques œuvres audio que je lui avais soumis. Christophe Viau pour m ’avoir donné quelques leçons d ’électronique, Bruno Lamarre pour son dévouement envers la bonne tenue de mon ordinateur, Raymond Michel, qui nous a quitte malheureusement pour d ’autres d e u x administratifs, pour avoir supporté par ses prêts compréhensifs, l’esprit créateur de tout étudiant poli au cours de ces nombreuses années. Enfin, je tiens à remercier André Charron, technicien en robotique, pour m ’avoir assisté dans la réalisation de l’œuvre présentée au Mars de la maîtrise.

Mais au delà de tous ces remerciements, je dois remercier Francine Chaîné, ma directrice de maîtrise, pour son accompagnement hors pair lors de la rédaction de ce texte d ’accompagnement et sa rigueur éditoriale qui a su relever mes standards rédactionnels.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ III

AVANT-PROPOS IV

LISTE DES DOCUMENTS VISUELS VII

INTRODUCTION VIII

CHAPITRE 1 : LA CRÉATION ARTISTIQUE

1.1 Laboratoire social - lieu d ’expérimentation 10

1.2 Élaboration d ’un paradigme de recherche ־ préoccupations personnelles 11

CHAPITRE 2 : DE LA RÉALITÉ DISCIPLINAIRE CONTEMPORAINE

2.1 L’éclatement de la notion de discipline artistique 16

2.2 De la nature indisciplinée de ma pratique artistique 17

CHAPITRE 3 : ORIGINE DE LA RECHERCHE

3.1 Le rapport à l’ennui et la matérialité musicale 19

3.2 La matière sonore et sa matérialisation sur un support d ’enregistrement 23

3.3 La sculpture sonore en trois mouvements 28

3.4 Formation d ’une spécificité personnelle - évolution d ’une pratique de la vidéo 32

CHAPITRE 4 : LE PROJET DU TAMBOUR MÉTALLIQUE

4.1 Fabrication de l ’instrument - étude acoustique 34

4.2 Le tambour métallique - paradigme instrumental 36

4.3 Le travail en studio - la création d ’un solfège expérimental 38 4.4 La composition - un assemblage d ’objets amenant du sens 40

44 CONCLUSION

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VI

ANNEXES

Annexe I - Entre l’action et l’inertie 47

Annexe II - L’ennui 49

Annexe III - L’existentialisme sartrien 51

Annexe IV - Blanc sombre ־ Mars de la maîtrise 2004 53

Annexe V - Photos de l’exposition 55

BIBLIOGRAPHIE 60

ANNEXES CD-ROM

1- Erik Satie, Vexations, extrait audio, 3 min 30 sec. 2־ Premier enregistrement fait au Canada.

3- Pierre Schaeffer - Oeuvres

- Solfège de l’objet sonore 4- Robert Thivierge

- Oeuvres audio

- Solfège expérimental

- Vidéo du Mars de la maîtrise - 2 min, 10 sec. 5- Catalogue de vieux phonographes (Pathé, Paris). 6- Pages web citées dans le mémoire.

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LISTE DES DOCUMENTS VISUELS

Sans titre, 2003. 18

The Mandata Shed. 18

Luigi Russolo devant le Russolophone. 21

Figures annexées au brevet d ’invention no 715.733. 22

Russolo et Piatti dans le laboratoire des bruiteurs en 1914. 22

Le graphophone type N de Columbia, 1895. 24

Pierre Schaeffer. 25

Exposition acousmatique - Une enceinte acoustique suspendue à une branche. 26

L’exposition acousmatique ־ Bernard Fort / Pierre Gallais, octobre 90. 27

Michael Snow, 3 Phases. 28

Chantai Dumas, Le parfum des femmes. 28

Christof Migone, Vex. 28

Jocelyn Robert, La théorie des nerfs creux et Laetitia Sonami Le crachecophage. 28

Pierre-André Arcand, Le livre sonore. 28

Diane Landry, Les tables tourmentes, 1999. 28

Janet Cardiff, To touch, 1997. 29

Malachi Farrell, Fish Fias mourant, détail, 1998-2001. 30

Malachi Farrell, Fish Flag mourant, 1998-2001. 30

Nicolas Reeves, Le jardin des Ovelyniers ou la lanterne aux oranges méditantes, 2000. 31

Le tambour métallique, détail de la connection du Piezo et de son branchem ent dans l’amplificateur. 36

Le tambour métallique, 2002. 37

Le tambour métallique. 38

Chaleur humaine, 2004. 53

Vue d ’ensemble de l’exposition. 55

La salle d’écoute. 55

Collection d ’objets sonores, 2004. Détail du bouton-pressoir. 56

Collection d ’objets sonores, 2004. 56

Le tambour métallique, 2002. (en avant-plan). Tambour à poignées, 2003. (à l’arrière). 57

Tambour à poignées, 2003. 57

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INTRODUCTION

Le mémoire, l’accomplissement académique de la maîtrise en arts visuels à l’Université Laval, comporte deux parties disciplinairement distinctes. L’une est l’aboutissement du travail d ’atelier1 et l’autre est la présentation écrite2 des concepts qui ont alimenté la pratique artistique. Je pourrais donc, en guise d ’introduction à mon travail de recherche, vous livrer un sommaire des activités réalisées durant cette période afin d ’être limpide pour un instant récapitulatif.

J ’ai entrepris la première session du programme de maîtrise en arts visuels avec l’intention de faire de la recherche sur le sujet qui me tenait le plus à cœur, qui pourrait se traduire ainsi : comment arriver à faire le passage du sonore au musical à partir d ’une source sonore concrète ? Cette source sonore provenait d ’une sculpture-instrument que j ’ai réalisée à cette période, Le

tambour métallique. Par la suite, j ’ai travaillé à l ’aspect musical de ce projet, réalisant quelques

pièces qui furent diffusées à l’automne 2003 et à l’hiver 2004 sur les ondes de Radio Basse-ville (CKIA 88,3 FM) à une émission de musique électronique intitulée Plastik Mekanik.

À l’été 2003, j ’ai fait de la recherche en atelier, étudiant les façons de présenter ce travail audio. J ’ai réalisé une sculpture sonore faite de briques de béton et de tiges d ’acier que j ’ai exposée en plein air au Pow Wow de Wendake, dans le cadre d ’une première tentative d ’incorporer une exposition collective d ’art contemporain à cet événement traditionnel annuel. Du mois de septembre 2003 jusqu’au mois de janvier 2004, j ’ai travaillé davantage à la rédaction de ce texte d ’accompagnement de mon exposition de maîtrise.

Dans le cadre de l’exposition collective Mars de la maîtrise 20043, j ’ai mis de l’avant une proposition indépendante de mon projet de recherche. L’œuvre intitulée Chaleur humaine, demandait la participation du spectateur pour l’activer. Ce dernier était invité à actionner une manivelle qui faisait défiler une bande magnétique vers une tête de lecture. On pouvait y entendre une phrase suivie d ’applaudissements.

1 L’exposition de maîtrise. 2 Le texte d’accompagnement.

3 Exposition annuelle des étudiants de deuxième année à la maîtrise. Galerie des arts visuels. Voir annexe IV.

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Pendant la même période, j ’ai suivi une formation en prise de son (cinéma et télévision) chez Parlimage, un centre conseil de formation en audiovisuel situé à Montréal. À mon retour, j ’ai entrepris un projet de pastiche vidéo où j ’étais le concepteur sonore devant reconstruire entièrement la bande sonore d ’une séquence de douze minutes du film Beetlejuice. Ce travail comprenait la composition des musiques du film, la création d ’ambiances et d ’effets sonores, la prise de son et la synchronisation des dialogues ainsi que le mixage de l’ensemble. Tout ceci, pour finalement me retrouver en avril 2004, à préparer mon exposition de fin de maîtrise et à terminer la rédaction de mon texte d ’accompagnement.

Ce sommaire de mes principales activités réalisées durant ma maîtrise me permet de tirer un constat : la dimension audio est une donnée récurrente de ma pratique artistique. Il y a toujours une séquence audio incluse à l’œuvre, que ce soit une intervention sonore, musicale ou narrative. D ’un projet à l’autre, cette dimension sonore est agencée à un autre objet, q u ’il soit sculptural, installatif ou cinématographique. Cet objet devient un support qui permet de matérialiser la présentation de la séquence audio.

Le texte d ’accompagnement de mon exposition de maîtrise approfondira donc les différentes étapes qui m ’ont amené à ce projet de recherche. Du travail d ’atelier jusqu’au studio de son, ce texte témoignera de la recherche effectuée pour éclaircir le phénomène de la production sonore à travers l’étude des notions fondamentales d ’acoustique. Il poursuivra avec le récit de la réalisation d ’une sculpture-instrument et rendra enfin compte de la méthodologie employée afin de construire les séquences sonores du projet. De plus, j ’y exposerai les concepts sociaux et historiques qui conditionnent la nature de mes projets. Ces concepts vont de la persistance d ’une sensation d ’ennui chez l ’être humain, en passant par la volonté des avant-gardes musicales de la première moitié du vingtième siècle, qui souhaitaient renouveler la matière sonore de l ’art musical, jusqu’à l’éclatement de la notion traditionnelle de la sculpture vers une spécificité multisensorielle.

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CHAPITRE 1

LA CRÉATION ARTISTIQUE

1.1 Laboratoire social lieu d’expérimentation

J ’appréhende la création artistique comme un laboratoire indisciplinaire4 dans lequel l ’artiste met ses idées à l’essai. Par le biais de la diffusion culturelle, il fait des propositions sculpturales, picturales, cinématographiques, théâtrales, musicales, performatives, installatives, etc., qui se veulent les hypothèses q u ’émet l’investigation artistique. Pour construire ses oeuvres, l’artiste emprunte des codes, des signes, des moeurs, des icônes à la sphère sociale et culturelle et les recontextualise, les manipule afin de rafraîchir la conception que chacun peut se faire de ces éléments. Ainsi, par un tel labourage d ’idées (l’enjeu de l’expérience artistique), les acquis peuvent être revisités afin d ’être solidifiés, tout comme les idées fausses peuvent enfin tomber par manque de fondements. Quelquefois, selon Maurice Lemaître, « la création neuve fait plus encore [...] [e]lle déchire le nuage d ’oubli qui passait sur un géant oublié5.» En publiant l’« Art des Bruits6» quarante ans après la parution originale de 1913 et en y rédigeant une introduction revendicatrice7, Lemaître a utilisé la création littéraire pour « tirer le peintre-musicien italien [Russolo]8 de sa tombe injuste et lui rendre la place q u ’il mérite dans le paradis des génies musicaux9. » Voilà donc pourquoi je vois la création artistique comme un œil herméneutique; c ’est un lieu qui questionne sans cesse et nous permet de ne pas perdre de vue le fondement de toute chose faisant partie de notre quotidien.

4 Indisciplinaire. Sans discipline fixe. Voir page 17.

5 M. LEMAÎTRE. « Introduction » L’art des bruits, manifeste futuriste. Éditions Richard-Masse, Paris, 1954, p. 10.

6 Manifeste des futuristes, 1913.

7 Lemaître y déplore le fait que la littérature musicale de l’époque n’ait pas tenu compte de la tentative « russolienne ».

8 Luigi Russolo, avec le groupe des futuristes, a introduit l’utilisation du bruit dans la composition musicale. Il en sera davantage question à la section 3.1.

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1.2 Élaboration d ’un paradigme de recherche préoccupations personnelles

Depuis quelques années, mes préoccupations artistiques, plutôt que de se situer à l’intérieur d ’une discipline artistique en particulier ou d ’approfondir une quelconque contrainte formelle, gravitent autour d ’un paradigme. Je suis de ceux qui croient que la nature sociale conditionne la pratique artistique. Dans cette relation, l’artiste est un conducteur de la réalité, sa sensibilité est une qualité et dans l’esprit de cette comparaison, un indice de conductibilité. « L’art est toujours lié aux moyens de sa réalisation, donc au système dans lequel vivent les artistes10. » Pour ma part, il est vrai que des données sociales guident la nature des mes projets, mais elles vont commander une approche plutôt q u ’une forme. Les relations humaines attirent mon attention. La façon dont chacun aborde son quotidien me fascine, ne serait-ce que l’art de remplir une journée. Le même intérêt se manifeste pour les variations individuelles de la conception du bonheur, ainsi que pour notre incapacité à enseigner cette notion fondamentalement humaine.

Tenant compte du degré d ’hypertechnicisation de nos sociétés actuelles, je m ’interroge sur la relation que nous entretenons avec le divertissement. Je questionne les limites de la fascination du spectateur-auditeur contemporain en lui présentant des œuvres réalisées avec les techniques empruntées à l’univers du divertissement, chose qui risque grandement de le toucher puisqu’il lui est si familier. Tout comme je questionne la façon dont la musique devient un exutoire pour ce dernier dans un quotidien qui, semble-t-il, lui échappe11. Il me semble que naît de ce besoin constant d ’un dérivatif12 une insatiabilité musicale mesquine qui me fait croire que l’espèce humaine est à la recherche de quelque chose de bien précieux, de l’ordre de l’extase, et plutôt que d ’aller à la rencontre de lui-même afin de comprendre ce q u ’il veut vraiment, le spectateur- auditeur cherche vers l ’extérieur et se donne des valeurs qui ne sont pas les siennes, mais plutôt celles de ses idoles. D ’après Adorno, cette perturbation identitaire ne serait pas d ’origine psychologique, mais plutôt d ’origine économique et sociale :

Que les valeurs soient consommées et provoquent des affects avant même que la conscience du consommateur ait saisi leurs qualités spécifiques, cela 10 M. PIERRET. Entretiens avec Pierre Schaeffer, éditions Pierre Belfond, 1969, p.28.

11 Voir note 17.

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découle de leur caractère de marchandise. L’ensemble de la vie musicale contemporaine est dominé par la forme de la marchandise [...] La musique, à laquelle on accorde avec générosité tous les attributs des choses éthérées et sublimes, sert essentiellement, en Amérique, à la publicité des marchandises que l’on doit précisément acquérir avant même de pouvoir écouter de la musique13.

Je crois que cet homme est tout simplement à la recherche du bonheur, mais q u ’il ne sait plus quoi acheter pour l’obtenir. « Face au murmure théologique des marchandises, les consommateurs deviennent des hiérodules14. » D ’après moi, ce sont là des réflexes de vénérations qui concourent à éloigner l’individu de ses objectifs de réalisation personnelle15.

Sacrifier son individualité en l’ajustant à ce qui a régulièrement du succès, faire comme tout le monde, cela découle du fait q u ’au départ, c ’est plus ou moins la même chose que la production standardisée des marchandises destinées à la consommation offre à tout le monde16.

Il y a quelques années, Paul Virilio affirmait lors d ’une émission de télé, que nous étions tous drogués. Tous drogués par nos petites manies, par notre téléviseur, par notre téléphone cellulaire, par notre ordinateur. Nous serions tous « aliénés, mystifiés, déconnectés de la réalité de nos vies, incapables d ’être dans le présent, en liaison directe avec les autres17. » Depuis la révolution industrielle du X IX 6siècle, le culte de l’objet n ’a cessé de croître et il en est maintenant à son apogée. Nous voudrions tout posséder, de l’œuvre d ’art au dernier gadget, jusqu’aux idées les plus à la mode. Jamais auparavant nous n ’avions atteint un degré de raffinement technologique aussi élevé, et jam ais l’écart entre le progrès technique et le progrès humain n ’avait été si grand.

L’homme contemporain n ’a plus de profondeur, ni historique ni culturelle [...] Il n ’habite pas son présent, il en est pulvérisé, disséminé q u ’il est aux quatre vents de l’urgence technologique18.

13 T.W. ADORNO. Le caractère fétiche dans la musique, Éditions Allia, Paris, 2001 (1938), p. 28. Le lecteur doit considérer les réflexions d’Adorno dans le contexte socio-politique de l’époque et dans le cadre de la problématique sous-jacente aux travaux de l’École de Francfort, dont l’un des objectifs était de mieux comprendre la «masse».

14 Ibid., p. 33. 15 Voir annexe III.

16 T.W. ADORNO. Op cit., p. 33.

17 MAVRIKAKIS, Nicolas. « L’art à l’ère de son irreproductabilité intellectuelle, l’image à l’ère de sa narration », ETC Montréal, no 59, septembre, octobre, novembre 2002, p. 30. Propos de Virilio rapportés par Mavrikakis. Le lecteur remarquera que le titre de cet article fait référence au texte de Walter Benjamin, L’oeuvre d ’art à l ’ère de sa reproductibilité technique.

18 VIDAL, Jean-Pierre. « La virulence du présent », ETC Montréal, no 59, septembre, octobre, novembre 2002, p.28.

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Or, en ce contexte historique, qu’est devenue la place de l’artiste au royaume de la conception de l’objet ? La confrontation des moyens techniques de l’artiste face à ceux de l’industrie est démesurée. La miniaturisation et son antonyme, le gigantisme, sont des possibilités techniques q u ’un seul des partis se mesurant dans cette confrontation peut atteindre. À partir du moment où le génie mécanique et les différentes écoles du savoir technologique viennent en aide à l ’industrie, qui peut dès lors produire pratiquement tous les objets imaginables (de la semelle de soulier au détail imposant, jusqu’aux reproductions du sphinx en or massif, grandeur nature), il faut reconnaître que le mandat de l’artiste d ’aujourd’hui se situe ailleurs que dans ces tentatives de séduction du spectateur par la réalisation technique esthétisée.

Il est un fait notoire que les domaines où l ’homme a atteint un degré de perfectionnement sont ceux pour lesquels il a porté un intérêt. Seule sa curiosité peut l’amener à diriger des

recherches dans une discipline. Or, devant l’achèvement technique de notre société actuelle, il est désolant de constater que ce qui nous laisse le plus souvent impuissant et le plus incapable d ’agir sont les domaines que nous avons le plus négligés, car ces valeurs, alors que le progrès scientifique se maintenait, étaient « socialement restées enfouies dans la glaise19 » :

Ce qui nous laisse en général le plus démunis et le plus frustrés, les domaines où nous sommes le moins civilisés, touchent tout ce qui engage le développement de la personne : la vie affective, les relations avec autrui, le besoin de communiquer, la sexualité, la sensualité, la vie communautaire,[...] les rapports entre l’homme et la femme, la pression de l ’inconscient sur le vécu, le sens du travail et du loisir, l’ouverture à une communauté humaine internationale, la recherche d ’équilibre entre l ’action et la contemplation, entre l’efficacité et la culture gratuite20.

À la lumière de cette affirmation, il serait cohérent de poser la question suivante : quand la science participera-t-elle à une meilleure compréhension des facteurs qui participent au bonheur, à la joie de vivre et à l’enthousiasme ? Je répondrai que cette époque n ’est pas si lointaine. Le neurologue Richard Davidson s ’est vu récemment octroyer une bourse de quinze millions de dollars21 pour étudier, entre autres, la recette du bonheur, mais surtout ce qui se passe dans le cerveau humain lorsqu’il est soumis à des stimuli à forte charge émotive.

19 M. CHAMPAGNE. La violence au pouvoir, essai sur la paix, Éditions du jour, Montréal, 1971, p. 17. 20 Ibid.

21 R. Davidson. The Pursuit of Happiness, http://www.cbc.ca/news/background/meditation/. Site consulté le 30 septembre 2005.

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Jusqu’à ce jour, les études de ce scientifique ont démontré que la nature positive et négative des émotions génère un type particulier d ’activité cérébrale : les émotions positives accroissent l ’activité cérébrale de l’hémisphère gauche, tandis que les émotions négatives comme la tristesse et l’anxiété, participent à stimuler l ’activité cérébrale de l’hémisphère droit. Mais ce qui est le plus fascinant dans ces recherches, est la découverte que la concentration de l’activité cérébrale dans l'hém isphère gauche (celui des émotions positives), est une habileté que l’on peut développer. Il a découvert qu’il est possible de s ’entraîner à cultiver nos qualités positives comme il est à notre portée d ’apprendre à conduire une bicyclette !

À partir de ce schéma, Davidson a démontré que certaines personnes avaient une tendance à gauche, d ’autres en avaient une à droite et q u ’une tranche de la population l’avait plus au centre. Ensuite il testa des moines boudhistes, les lamas du Dalaï Lama. Ceux-ci étaient pressentis par l’équipe de chercheurs comme les athlètes olympiques de l’art d ’être heureux. Les résultats de ces tests furent incroyables. Leur activité cérébrale se situait à l’extrème gauche. Ils sont les surdoués de la pensée positive et Richard Davidson attribue cette habileté à leur pratique de la méditation et à leur achèvement spirituel.

Or s ’il est vrai que nous sommes tous « aliénés, mystifiés, déconnectés de la réalité de nos vies, incapables d ’être dans le présent, en liaison directe avec les autres22 », il est raisonnable d ’affirmer avec Davidson que « les théories des gens sur ce qui les rendent heureux sont souvent fausses23. » Pour ma part, parmi les théories possiblement erronées, j ’identifie l’achat de marchandises divertissantes. Je ne crois pas que nous soyons conscients du dévolu que nous jetons sur ces biens. « Nous croyons que nous pouvons acheter le bonheur, [...] c ’est ce que nous dit la publicité24. » C ’est pourquoi je propose des constructions musicales alternatives, d ’une nature instrumentale inusitée en rapport à l’orchestration usuelle. J ’offre au spectateur-auditeur la possibilité de tester une autre forme de réceptivité à la lumière des récentes découvertes sur l’habileté à développer la joie et l’enthousiasme. Je lui offre donc un nouveau rapport à l’écoute. Ces oeuvres réalisées à partir d fun instrument que j ’ai fabriqué, lui permettent, pour un instant, de prendre du recul par rapport à la musique proposée par l’industrie.

22 MAVRIKAKIS, Nicolas. Op cit., p. 30. 23 R. Davidson. Op cit.

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Ce travail présente une recherche autour d ’un paradigme instrumental. Il demande au spectateur un engagement participatif minimal et une écoute attentive. Un apprivoisement est donc requis. Je veux inviter le spectateur-auditeur à s ’arrêter et l’amener à constater ce que j ’ai construit avec relativement peu de moyens. C ’est la démonstration que des trésors que nous ne découvrirons jamais sont souvent enfouis tout près de nous ; qu’il suffit d ’être éveillé un tant soit peu pour trouver à proximité, ce que l’on cherchait au loin. La solitude et l’ennui se trouvent à l ’intérieur de nous-mêmes25. « Nous sommes solitude26 »,dit Rilke, et nous devons arriver à dépasser cette réalité, voire la sublimer et ne pas attendre le prochain album de la chanteuse

Céline Dion ni la suite du film Le Seigneur des anneaux pour être heureux. J ’invite les gens à forger

leurs valeurs, leurs goûts, à définir leur type de loisirs. C ’est en ce sens que je cherche à signifier un équilibre entre l’action et la contemplation ; puisque c ’est bien par l’action que l’on se sent vivre, et dans la contemplation que l’on peut reconnaître les actions accomplies qui nous rendent heureux.

25 Voir annexe II.

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CHAPITRE 2

DE LA RÉALITÉ DISCIPLINAIRE CONTEMPORAINE

2.1 L’éclatement de la notion de discipline artistique

On peut aisément constater, à travers les productions artistiques actuelles, que la spécificité disciplinaire de l’art tende à se renouveler et que les valeurs provenant de la succession des avant- gardes soient remises en question. Jean Dubois en faisait état en écrivant : « L’art n’est plus nécessairement perçu comme une discipline tendant à se dépasser elle-même à partir du progrès de son autonomie27. » Certains artistes d ’aujourd’hui, plutôt que de se dévouer à une discipline en particulier, ont tendance à associer leur travail à des préoccupations sociales englobantes : interaction, art relationnel, thématique, thérapeutique, etc.

Ces artistes, privilégiant le projet à la façon de le réaliser, en arrivent à adopter différentes stratégies pour concrétiser leur idée, provoquant ainsi un chevauchement des disciplines. Par exemple, lorsqu’un artiste tisse des liens entre deux disciplines, on est en droit de parler d ’une approche interdisciplinaire, puisqu’il est question d ’une interaction, d ’un échange entre deux spécificités disciplinaires. Par contre, on imagine assez facilement que l’artiste ayant fait le saut initial vers l ’interdisciplinarité n ’en restera pas là s ’il se sent limité avec seulement deux disciplines. Ainsi, lorsqu’un artiste a recours à plus de deux disciplines, les termes pluridisciplinaire et multidisciplinaire deviennent les plus appropriés afin de définir sa pratique artistique.

27 J. DUBOIS. Le mythe du bricoleur : un modèle de résistance à ta standardisation technologique, Montréal, Publications Optica, p. 49-52.

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Avec une toute autre approche, abordant la singularité plutôt que la pluralité, il y a les artistes indisciplinaires. Il s ’agit d ’un terme relativement nouveau, un néologisme utilisé par le duo Doyon/Demers, qui met de l’avant la nature « indisciplinée » d ’une telle pratique artistique. Ces artistes se disent indisciplinés28 parce q u ’ils sont sans discipline fixe et revendiquent la liberté de choisir leur discipline d ’un projet à l’autre.

2.2 De la nature indisciplinée de ma pratique artistique

Dans le cadre de ma pratique artistique, je porte une attention particulière à mon désir de voir mon existence validée et valorisée par les actions que je pose. C ’est de cette façon que je relance ma pratique en atelier, en me donnant un travail que j ’aime faire dans des domaines qui me plaisent. Je me sens vivre par l’action; ou plutôt, je pourrais dire que dans ces moments, je ne sens pas l’ennui de mon inaction. Cette recherche de l’accomplissement personnel me permet de réaliser des projets qui auraient pu ne jamais voir le jour par leur caractère insolite. C ’est d ’ailleurs le cas de mon projet de maîtrise : entretenir une relation entre des disciplines apparemment distinctes. Jamais je n ’aurais osé créer des liens entre la sculpture et la musique si mon appréhension des disciplines n ’avait pas été aussi libre. Cette liberté que l’on pourrait rapprocher de l’existentialisme sartrien29, est une liberté qui s ’affirme depuis maintenant quelques décennies dans le milieu artistique actuel, dénotant une valorisation de l’attitude empirique.

Si je prétends être « indiscipliné », ce n ’est pas un constat que je fais par moi-même; il me vient plutôt de l’interaction avec les gens. Lorsqu’on me demande quelle est ma pratique artistique, je suis toujours embêté et d ’une fois à l’autre ma réponse diffère. Cela ne vient pas de mon incapacité à l’exprimer mais plutôt de ma réticence à trop en dire inutilement à une personne qui s ’attend à un autre type de réponse, comme peintre ou sculpteur. Être un créateur, c ’est être libre. Je veux donc pouvoir choisir les médiums qui me serviront et les utiliser comme je l’entends. Pour cette raison, j ’affirme que ma pratique est indisciplinaire. La musique que je crée ne répond pas à des codes établis, comme c ’est le cas de la musique traditionnelle. De toute façon, qui peut prétendre détenir la vérité ? Arrêter la pensée fait naître les dogmes et

28 Doyon/Demers. http://www.cam.org/-doydem/textes.html. Site visité le 24 avril 2004. 29 Voir annexe III.

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amène les dictatures. Mon oreille est arbitre de la séquence, tout comme l'œ il du peintre l’est pour son tableau. J ’encourage la vision empirique puisqu’elle est une approche à la connaissance à partir de l’expérience. Elle fournit le doute et appelle la vérification. Être un empiriste, c ’est faire confiance à ses sens, ses perceptions et son intuition. En quelque sorte, c ’est une invitation à l’action et à l’expérimentation dans le but de nous amener à faire nos propres constats de la réalité qui nous berce.

Ne perdons pas de vue que notre réalité sociale actuelle est très jeune, une civilisation qui est le fruit d ’un boom scientifique étalé sur une centaine d ’années, pas plus. Considérant cette réalité, ma pratique artistique veut évoquer l’humilité et la simplicité. Je m ’efforce d ’utiliser des techniques simples que l ’on peut retrouver dans toutes les cultures comme des constructions faites de briques, des percussions et des rythmes primitifs, je fais référence ici au tambour ; à l’utilisation de matériaux non transformés ou à peine, comme les balles de foin, le cuir. Ce sont, somme toute, des moyens universels, mis de l ’avant par des sociétés primitives qui ont su découvrir par eux-mêmes, les machines fondamentales que nous utilisons toujours aujourd’hui.

Oeuvre faite de briques de béton et de tiges d ’acier présentée au Pow-Wow de Wendake en juillet 2003.

The Mandata Shed, une habitation faite

de balles de paille et de tiges d’acier que l’on retrouve au Mexique, (voir pages web, annexes cd-rom)

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CHAPITRE 3

ORIGINE DE LA RECHERCHE

3.1 Le rapport à l’ennui et la matérialité musicale

En 1893, le compositeur français Erik Satie proposait une façon d ’apaiser les moments gênants, désagréables et embarrassants de la vie bourgeoise en suggérant une musique fonctionnelle composée dans le seul but de masquer ce qu’on ne voudrait subir de notre état civilisé. La « Musique d ’ameublement30 », étant la solution aux silences indésirables d ’une conversation platonique, aux dîners d ’affaire interminables et à bien d ’autres situations stagnantes, se présentait comme une chose utilitaire que chacun devrait posséder afin d ’équilibrer convenablement les vides de son quotidien31.

La « Musique d ’Ameublement » remplace avantageusement les Marches, les Polkas, les Tangos, les Gavottes, etc.

Exigez la « Musique d ’Ameublement ».

Pas de réunions, d ’assemblées, etc., sans « Musique d ’Ameublement ». La « Musique d ’Ameublement » pour notaires, banques, etc...

[...] N ’entrez pas dans une maison qui n ’emploie pas de « Musique d ’Ameublement ».

Celui qui n ’a pas entendu la « Musique d ’Ameublement » ignore le bonheur.

Ne vous endormez pas sans entendre un morceau de « Musique d ’Ameublement », ou vous dormirez mal32.

30 SATIE, Erik. Vexations (1893). Érato, Éditions Costallat, Paris, 1981, 1 disque 33 1/3 t/min, stéréo, 12 pouces. Extrait sonore en annexe cd.

31 Voir annexe I et II pour un approfondissement des notions d ’ennui, d’action et d’inaction. 32 VOLTA, Ornella, Satie/Cocteau, Les malentendus d ’une entente, Le Castor Astral, 1993, p. 112.

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Bien avant que les moyens techniques ne le permettent, Satie répandait l’idée que la musique devait nous accompagner, voire même nous soutenir moralement au quotidien dans les réalisations les plus banales de la vie moderne. Il avançait que cette musique pouvait jouer dans nos vies le même rôle que la lumière, puisqu’elle génère des vibrations qui nous réchauffent et nous réconfortent; elle n ’a pas d ’autres usages33. Dans cette œuvre de Satie réside le germe du malaise moderne, celui qui amène l’homme à l’incapacité d ’éprouver un bonheur réel sans avoir consommé quelque chose indiqué à cette fin.

Heureusement, ce n ’est pas tout le monde qui appréhenda l’ère industrielle comme un mal rendant si lourds les temps morts. Pour certains artistes comme Luigi Russolo, l’invention des machines constituait une véritable révolution du registre auditif et un émerveillement pur pour les oreilles. L’environnement direct des hommes était tout à coup devenu une polyphonie séduisante de bruits d ’usines, de tramways, de voitures, etc.

La vie antique ne fut que silence. C ’est au dix-neuvième siècle seulement, avec l’invention des machines que naquit le bruit. Aujourd’hui le bruit domine en souverain sur la sensibilité des hommes. Durant plusieurs siècles la vie se déroula en silence, ou en sourdine. Les bruits les plus retentissants n’étaient ni intenses, ni prolongés, ni variés. En effet, la nature est normalement silencieuse sauf les tempêtes, les ouragans, les avalanches, les cascades et quelques mouvements telluriques exceptionnels. C ’est pourquoi les premiers sons que l’homme tira d ’un roseau percé ou d ’une corde tendue l’émerveillèrent profondément34.

Dans le manifeste futuriste de 1913, Russolo s ’interroge, tout comme l’a fait Erik Satie, sur la véritable utilité de la musique et de ce qu’elle devrait esthétiquement être. Autrefois à la recherche de pureté et d ’harmonie, l’art musical se préoccupait de caresser les oreilles par des harmonies suaves35. Par la suite, on a fait de plus en plus de place dans les compositions à l’union simultanée de sons différents en incorporant des accords enrichis de quelques dissonances. Inévitablement, cette place faite à la dissonance dans l’art musical devait culminer vers un art qui la met au premier plan :

Aujourd’hui l’art musical recherche les amalgames de sons les plus dissonants, les plus étranges et les plus stridents. Nous nous approchons ainsi du son-bruit. Cette

33 0. VOLTA. Opcit., p. 112.

34 L. RUSSOLO. L’art des bruits, manifeste futuriste 1913. Éditions Richard-Masse, Paris 1954, p. 22. 35 Ibid., p. 24.

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évolution de la musique est parallèle à la multiplication grandissante des machines qui participent au travail humain. Dans l’atmosphère retentissante des grandes villes aussi bien que dans les campagnes autrefois silencieuses, la machine crée aujourd’hui un si grand nombre de bruits variés que le son pur, par sa petitesse et sa monotonie, ne suscite plus aucune émotion.

Pour exciter notre sensibilité, la musique s ’est développée en recherchant une polyphonie plus complexe et une variété plus grande de timbres et de coloris instrumentaux. Elle s ’efforça d ’obtenir les successions les plus compliquées d ’accords dissonants et prépara ainsi le BRUIT MUSICAL36.

Désireux de voir la musique se libérer de sa pureté et de sa monotonie, Russolo voit dans la variété de sons industriels la possibilité de renouveler l’art musical par l’utilisation du bruit musical. Le mouvement futuriste venait ainsi de lancer ses pistes de recherche. Russolo allait donc, à partir des prémisses évoquées dans son manifeste futuriste de 1913, œuvrer à un renouvellement de l’art musical en remaniant directement la matière musicale à sa source, c ’est- à-dire l’instrument.

Il est très important de remettre en perspective la réalité historique des intentions artistiques de Russolo. Il voulait utiliser les bruits de machines, d ’usine, de tramways, pour faire de la musique. À cette époque, les moyens techniques de capter les sons n ’étaient pas encore

véritablement développés, du Luîgi Russolo devant le Russolophone.

moins, pas indiqués à cette fin. Bien que le phonographe ait été inventé en 1877, sa commercialion ne débutera q u ’aux alentours de 1895 et on ne verra apparaître le magnétophone que vers la fin des années 194037. Il y a bien eu Dziga Vertov, un pionnier du documentaire, qui tenta, aux alentours de 1917, de faire un montage de sons pour un de ses films; mais les limitations de la 36 Ibid., p. 24-25.

37 Les premiers enregistrements sonores : http://www.collectionscanada.ca/gramophone/m2-3004- f.htmi. Site consulté le 26 septembre 2005.

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technologie de l’époque ne lui permirent pas de réussir son projet. Russolo ne pouvait donc pas envisager l’utilisation d ’enregistrements de bruits pour mener à bien son entreprise musicale.

Il va sans dire que Russolo n’a pas utilisé d ’enregistrements de Fi j

bruit. Lorsqu’il entrevoyait la possibilité d ’utiliser des bruits, c ’était qu’il

prévoyait produire ces bruits lui-même. Il a, avec ses amis futuristes, Tz

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construit une série de «m achines so nores» destinées à être utilisées

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en concert. Selon moi, il est le premier a avoir construit des sculptures M-r

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sonores. Ces objets, q u ’il nommait d ’ailleurs « bruiteurs futuristes »,

Figures annexées au brevet

consistaient en général, en une boîte fermée dissimulant un mécanisme ¿׳invention no715.733

sonore actionnable par manivelle. De véritables inventions russoliennes, les « bruiteurs » étaient des instruments brevetés. De plus, Russolo les défendait bien d ’être bizarres ou cacophoniques et les décrivait de cette façon :

Les bruiteurs futuristes sont des instruments de musique absolument nouveaux qui donnent, avec des timbres nouveaux (dont plusieurs très doux), toute la gamme musicale38.

Luigi Russolo a donc créé de véritables instruments cherchant à reproduire les différents types de bruits que l’on pouvait expérimenter dans le registre sonore. Il en construisit une grande variété : les hululeurs, les bourdonneurs, les glouglouteurs, le sibileur, les crépiteurs, les coasseurs, les f rouf routeurs et j ’en passe.

La démarche de revitalisation Russolo et Piatt¡ dans le laboratoire des bruiteurs en 1914.

de l ’art musical de Russolo s ’est faite dans une volonté de combattre l’ennui jugé mortel - qui émanait de la musique dite passéiste - qui ne saurait être supporté encore longtemps par ceux 38 L. RUSSOLO. Op cit., p. 41.

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qui le ressentent. Tout comme la musique d ’ameublement d ’Erik Satie, l’art des bruits futuriste s ’élevait contre une monotonie propre à l’être humain, que celui-ci ressentait et ne savait comment surpasser. Dans ces deux cas, on demandait à l’art musical d ’extirper le désœuvré de cet état de conscience qui le rongeait malicieusement.

Chaque son (musical) porte en soi un noyau de sensations déjà connues et usées qui prédisposent l’auditeur à l’ennui [...] Nous avons tous aimé et goûté les harmonies des grands maîtres. [...] Nous en sommes rassasiés. [...] Tenez, la première mesure vous coule dans l’oreille l’ennui du déjà entendu et vous donne un avant-goût de l’ennui qui coulera de la mesure suivante. Nous sirotons ainsi, de mesure en mesure, deux ou trois qualités d ’ennui en attendant toujours la sensation extraordinaire qui ne viendra jamais. Nous voyons en attendant s ’opérer autour de nous un mélange écoeurant formé par la monotonie des sensations et par la pâmoison stupide et religieuse des auditeurs [...] Pouah! Sortons vite, car je ne puis guère réprimer trop longtemps mon désir fou de créer enfin une véritable réalité musicale en distribuant à droite et à gauche de belles gifles sonores, enjambant et culbutant violons et pianos, contrebasses et orgues gémissantes! Sortons39!

Je m ’étonne de constater que déjà à cette époque, on prescrivait de façon automatique la musique comme remède à l’ennui, sans envisager d ’autres solutions q u ’une évasion pure et simple par la rêverie auditive. Soigner une blessure ne fait que guérir le symptôme de la maladie.

3.2 La matière sonore

et sa matérialisation sur un support d’enregistrement

En 1667, Robert Hooke, un astronome et mathématicien anglais, construit un téléphone à ficelle. Avec cette découverte, on réussit pour la première fois à capter des sons et à les faire voyager sur une ligne. Par la suite, pendant plus de deux siècles, aucune théorie n ’arrive à résoudre véritablement le problème de la captation sonore. En 1857, Léon Scott de Martinville fait une avancée considérable dans ce domaine et invente un appareil capable d ’enregistrer les ondes acoustiques : le phonautographe. Cette invention dessinait les ondes acoustiques sans toutefois être capable de les reproduire. Cette invention était basée sur le principe que le son produit des vibrations qui, à leur tour, impriment un mouvement à une aiguille40.

39 Ibid., p. 27-29.

40 http://claude.gendre.9online.fr/histoire.htm. Site consulté le 10 septembre 2005.

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Une vingtaine d ’années plus tard, l’invention du téléphone par Graham Bell (en 1876) allait provoquer une série d ’inventions dans le domaine de la technologie du son. En avril 1877, le poète français Charles Cros dépose un pli cacheté à l’Académie des Sciences pour faire breveter les principes d ’une invention q u ’il nomme le « paléophone » (voix du

passé), un instrument capable Le graphophone type N de Columbia, 1895.

d ’enregistrer et de restituer les sons. En décembre de la même année, Thomas Edison dépose une demande de brevet pour une invention similaire q u ’il nomme le phonographe41. Quelques disputes subsistent encore à savoir qui détient la paternité de cette invention, mais nous pouvons néanmoins reconnaître que le phonographe Edison fonctionnait par gravure sur feuille d ’étain enroulée sur un cylindre, tandis que le modèle de Cros utilisait une méthode d ’enregistrement du son au moyen d ’un sillon en spirale sur un disque par photogravure. Quelques années plus tard, Chichester Bell et Charles S. Tainter développent un modèle de phonographe qui perfectionnait le modèle Edison (apparemment fragile), en utilisant un cylindre de cire plutôt qu’un cylindre à feuille d ’étain. Ils nommèrent leur invention le graphophone (1881)42. C ’est à partir de l’invention du graphophone que l’on peut vraiment considérer les débuts de la matérialisation de l ’onde sonore, les résultats de cet appareil étant encourageants43. Il s ’agit aussi du premier phonographe à être commercialisé. Peu de temps après, Emile Berliner invente le disque, un support d ’enregistrement plus résistant (on les disait incassables). Il baptisa ce phonographe le gramophone. Avant ces découvertes, il n ’existait aucun moyen d ’emboîter les sons en vue de les répéter, q u ’ils soient musicaux ou non.

41 Les premiers enregistrements sonores, Op cit.

42Recording Technology History : http://www.recording-history.org/HTML/phono_technology3.htm et

http://www.recording-history.org/HTML/phono_technology4.htm. Site consulté le 20 septembre 2005. 43C’est avec ce type d’appareil qu’a été fait le premier enregistrement sonore au Canada, une

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Luigi Russolo, sans avoir recours à des techniques d ’enregistrement, est l’un des pionniers de l’emboîtement sonore. Avec ses bruiteurs futuristes, il a créé des machines capables de restituer un son constant sur demande (les bruiteurs pouvaient faire varier différents paramètres de leurs sons, mais il est ici question de l’aptitude à reproduire un son sans tenir compte de la possibilité de le varier).

Vers la fin des années 1940, le magnétophone fut inventé44 et l’enregistrement sur ruban magnétique devint une technique efficace pour l’enregistrement sonore. Pierre Schaeffer, qui œuvre alors au Studio d ’Essai de la R.T.F.45, fait ses premières expériences de prise de son qui le mèneront, quelques années plus tard, à l’invention de la musique concrète en 194846. La particularité de cette nouveauté disciplinaire est sa méthode de composition. Contrairement à la musique traditionnelle qui part d ’une structure abstraite (la partition), pour en arriver à un concret sonore (le concert), la musique concrète origine d ’un concret sonore (la prise de son) pour en arriver à une structure musicale abstraite (le montage sonore). Rejoignant les intérêts de Russolo, Schaeffer veut faire émerger la musicalité potentielle des sons normalement considérés comme bruits à l’intérieur d ’une structure musicale d ’écoute attentive.

Schaeffer par rapport à Russolo, se distingue par la place qu’il réservait au travail en studio et à l’étude de l’écoute. Le travail effectué par les futuristes s ’arrêtait à la production sonore; il n ’était que la première étape de la démarche du musicien concret. Schaeffer, ayant recours à la prise de son, poursuivait ses recherches en studio et manipulait ses captures avec des filtres, les mixant avec d ’autres fragments, pour ainsi former des objets sonores inusités qui pouvaient, par la suite, être utilisés comme objets musicaux. Le concept d ’objet sonore q u ’il a développé voulait amener l’auditeur à considérer l’objet sonore pour ce

q u ’il est en tant que manifestation audible et non comme manifestation sonore rappelant une quelconque causalité qui le ramène à l’instant de sa production. Lorsqu’on vise un objet sonore, 44Le premier enregistrement classique par procédé magnétique a eu lieu en 1936.

45 Radio télévision française.

46Les premières expérimentations de Pierre Schaeffer (dont celle du sillon fermé) ont été faites sur un tourne-disque.

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seulement les caractéristiques morphologiques de cet objet doivent être prises en considération, et non ce à quoi il ressemble. L'erreur que l’on peut faire dans la considération d ’un objet sonore est la même que l’on pourrait faire face à une peinture abstraite. Le tableau se donne en texture, en rythme et en couleur et non pas en contenu anecdotique potentiel.

Pour diffuser le travail d ’un musicien, q u ’il soit concret ou non, la méthode la plus directe est évidemment le concert. Ainsi, le 18 mars 1950, eut lieu le premier concert de musique concrète. Les auditeurs de ce concert allaient subir, pour la première fois, une privation essentielle : l’absence de musiciens47. Par l’entremise de haut-parleurs, les musiciens concrets ont présenté leur recherche contenue sur des bandes magnétiques à un auditoire qui ne savait plus où regarder. Pour une première fois, on conviait des gens à venir écouter quelque chose, point. Il n ’y avait pas de jeu de virtuose à apprécier, pas

d ’exécution autre que celle de la régie de console à contempler.

Cette forme de présentation de l’objet artistique a été récupérée depuis dans divers contextes de création artistique. L’art acousmatique, la continuité logique de la musique concrète, présente ses productions sur la base de la dissociation, à l’écoute, du corps

producteur de son et du son entendu. Acousmatique est le terme utilisé par Pythagore pour décrire la situation d ’écoute attentive dans laquelle se retrouvaient ses disciples lorsqu’il leur enseignait derrière une tenture. Dans cet art sonore, l’enceinte acoustique devient une composante essentielle de l’espace d ’exposition. C ’est par son entremise que l’œuvre se présentera au spectateur-auditeur. Le champ d ’action des enceintes acoustiques délimite ainsi un espace sonore

Exposition acousm atique - Une enceinte acoustique suspendue à une branche.

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où la stéréophonie simple a évolué vers une diffusion à canaux multiples.

De nos jours, il existe une multitude de pratiques artistiques qui mettent le son au centre de leur pratique. On évoque de plus en plus l’existence d ’un art audio à part entière, comme si l’Art excluait de ses pratiques à tendances dites plus visuelles, la manipulation de données sonores. Pourtant, il n ’y a là rien de nouveau. En fait, depuis le début du vingtième siècle, il y a eu de nombreuses alliances entre les registres visuels et sonores du milieu artistique. Prenons l’exemple des futuristes : Russolo était peintre avant tout. Ce mouvement artistique regroupait dans ses rangs des sculpteurs, des peintres et des musiciens. D ’autres exemples : plusieurs ouvrages tissent des parallèles entre la peinture abstraite et la musique48. Que dire de Yves Klein qui avait un orchestre lors de ses performances d ’anthropomorphie ? Plus près de nous au Québec, le sculpteur Armand Vaillancourt a déjà participé à une performance musicale. En 1961, dans le cadre de la Semaine internationale de musique actuelle, il avait créé pour Pierre Mercure une sculpture installation, Structures métalliques II, sur laquelle Vaillancourt, « à la manière d ’un percussionniste, inventait des rythmes et des sonorités diverses sur des instruments suspendus, alors que Mercure modulait ou transformait le matériau sonore ainsi obtenu par le biais d ’un dispositif électronique49. »

Il y a bien des façons pour un artiste audio de diffuser son travail. Comme c ’est le cas avec la production de disque compact d ’artistes que publie les éditions OHM, certaines pratiques

48 T W. ADORNO. Sur quelques relations entre musique et peinture, La Caserne, 1995. Ainsi que : G. DENIZEAU. Le visuel et le sonore : peinture et musique au XXe siècle : pour une approche

épistémologique, H. Champion, Paris, 1998.

49 N. GINGRAS. Le son dans l’art contemporain Canadien. Éditions Artextes, Montréal, 2003, p. 74.

L’exposition acousm atique - Bernard Fort / Pierre Gallais, octobre 90.

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Michaei Snow Chantai Dum as Christof M igone Jocelyn Robert Jocelyn Robert Pierre-André Arcand

artistiques en restent à la dimension sonore pure et simple pour se donner. Par le biais de l ’album,

Avatar, un centre de création, de production et de diffusion en art audio et en art électronique,

publie sous l’étiquette OHM éditions, le travail d ’artistes audio. D ’autres artistes se servent de la vidéo, un médium qui allie à merveille son et image. Enfin, plusieurs artistes contemporains ont recours à la sculpture afin d ’incarner par une présence physique la dimension sonore de leur

pratique. iiiM lR iP P ê f K g w $ ₪ B ₪ !₪ t M B ₪ È ₪ ₪ M

Parmi les différentes façons d ’allier une dimension sonore à une dimension sculpturale, je distingue trois grandes familles se conjuguant à trois façons d ’obtenir le son. Premièrement, les sculptures que je nomme

génératrices de son. Il s ’agit là des sculptures

sonores qui acquièrent leur dimension auditive par l’activation d ’un mécanisme intégré à l ’œuvre. Elles sont sonores mais ne le deviennent pas par la lecture d ’une séquence préenregistrée. Elles comprennent rarement des enceintes acoustiques puisque la production sonore émane directement de la sculpture. Com me c ’est le cas avec certaines

œUVreS de l’artiSte québécoise Diane Landry, Diane Landry, Les tables tourmentes, 1999.

la dimension sonore provient d ’un frottement, d ’un bruissement provoqué par le mécanisme. C ’est d ’ailleurs sur cette base que fonctionne l’œ uvre Les tables tourmentes, alors que des animaux

3.3 La sculpture sonore en trois mouvements

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en plastique rouge, installés sur une série de tourne-disques, sont recouverts d ’un grand papier brun. Le son est produit par le fonctionnement des tables tournantes et du papier qui recouvre l’œuvre. Tandis que pour une autre œuvre, Le mobile, c ’est le mécanisme d ’un parapluie activant le soufflet d ’un accordéon qui donne à l’œuvre sa dimension sonore.

Le deuxième membre de cette famille sculpturale particulière est la sculpture sonore qui puise sa source d ’une séquence préenregistrée. Souvent de nature interactive ou participative, la partie audio de ce type de sculpture peut se livrer de façon intermittente ou continue. D ’ailleurs elle peut nécessiter la présence du spectateur pour s ’activer et c ’est ainsi q u ’elle peut demeurer silencieuse jusqu’à l’arrivée de celui-ci. Parce qu’elle enveloppe son espace d ’exposition, elle est souvent reconnue comme une installation multimédia. Comme la séquence jouée est prédéterminée, ce type d ’œuvre implique qu’un travail préalable en studio ait été réalisé, ce qui permet une véritable intrusion dans l’univers de la création sonore. Plusieurs œuvres de l’artiste canadienne Janet Cardiff peuvent être prises en exemple afin d ’illustrer ce type de sculpture sonore, mais pour les besoins de la démonstration, j ’en utiliserai qu’une : To Touch50. Cette œuvre est constituée d ’une table de menuisier que le spectateur doit toucher pour l’activer. En posant ses mains à différents endroits sur la table, il déclenche la lecture de séquences audio qui sont retransmises à travers les seize haut-parleurs qui entourent la pièce. Tel un synthétiseur, la table offre des variations de séquences51 selon la pression exercée et l’endroit touché. Elle reste silencieuse lorsqu’on ne la touche pas.

50 C. CHRISTOV-BAKARGIEV. Janet Cardiff. A survey of works including collaborations with George

Bures Miller, P.S.1, MOAAA, New York, 2002, p. 50-51.

51 L’oeuvre est composée de 9 pistes audio de moins d’une minute. La séquence varie selon les pistes que le spectateur déclenchera et l’ordre dans lequel il le fera.

J

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Plusieurs œuvres de Malachi Farrell reposent sur ce même système de production sonore préenregistrée et déclenchée par un mécanisme de détection. Actionnée par la présence du spectateur dans la salle d ’exposition,

Fish Flag mourant, une installation sonore de

sculptures mobiles, est un autre exemple où une séquence audio est liée à la sculpture pour former l’œuvre.

Malachi Farrell, Fish Flag m ourant, détail, 1998-2001. Malachi Farrell, Fish Flag mourant, 1998-2001.

Le troisième type de sculpture sonore que je distingue est celui qui recueille des informations d ’un type x, extérieures ou étrangères à des notions acoustiques ou musicales, et qui les réinterpréte à l ’aide d ’un logiciel fait sur mesure ou d ’un système de transcription déterminé, en des données sonores, voire même musicales. Dans ce domaine, Nicolas Reeves et sa série des

Harpes à nuages est un exemple incontournable. Se basant sur les théories du chaos et les théories

de l ’information qui « permettent de détecter des ordres, des familles d ’ordre là où on n ’en voyait plus52 », il utilise une sonde à nuage « Lidar » pour obtenir des informations sur les nuages et les réinsère dans un logiciel q u ’il a développé, Midilidar. Celui-ci génère ainsi une séquence audio d ’après les informations de positionnement et de morphologie des nuages.

L’altitude du nuage peut donner la hauteur de la note et la densité du nuage peut donner le volume. Ce sont les orchestrations les plus simples qu’on appelle kepleriennes

52 N. REEVES. Hélène Prévost rencontre, archives d’une émission de radio, http://radio-canada.ca/ radio/navire/rencontres_reeves.html, diffusée le 9 septembre 2001. Site visité le 25 avril 2004.

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justement en référence à Kepler qui avait fait un peu la même chose avec les planètes, mais on peut faire ça et le contraire, c ’est-à-dire que les possibilités d ’ajustement sont très très vastes. On peut ajuster tous les paramètres qui génèrent une note musicale incluant la vélocité, la durée, le volume, l’attaque, le decay, la release, le sustain, les paramètres d ’enveloppe peuvent tous être soit laissés fixes, soit laissés au contrôle du nuage à l’intérieur d ’une certaine marge que le compositeur définit et ensuite chaque canal, on a seize canaux, peut être corrélé à un intervalle d ’altitude. Si on prend une analogie avec un orchestre classique, on peut faire chanter les violons de 0 à 2,000 pieds, les cuivres de 1,000 à 3,000 pieds et ainsi de suite. Quand vous regardez votre dessin, votre schéma d ’atmosphère ensuite, vous avez vraiment l’impression d ’une gigantesque portée musicale. Plus c ’est haut, plus la note est aiguë, plus on arrive aux instruments aigus. Quand le nuage se déplace d ’altitude en altitude, il fait entrer et sortir les différents instruments. Vous avez des altitudes monophoniques, des altitudes

polyphoniques de tout petits intervalles d ’altitude où on met des percussions, des timbales. Il y en a qui sont des roulements de timbale. Vous savez que le nuage vient de passer dans cet intervalle de 50 pieds d ’altitude qui est à peut-être 6,000 pieds de hauteur53.

Cette utilisation de données inusitées en vue d ’alimenter le logiciel Midilidar est une expérience que Nicolas Reeves a poursuivie dans une autre œuvre, Le jardin des Ovelyniers. Par contre, cette fois-ci ce ne sont pas des données atmosphériques qui sont réinterprétées, mais plutôt les faibles amplitudes du courant électrique combiné de quatre oranges.

Nicolas Reeves, Le jardin des Ovelyniers o u la lanterne aux oranges m éditantes, 2000.

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3.4 Formation d ’une spécificité personnelle évolution d’une pratique de la vidéo

Ainsi, par mixage et montage, par des techniques qui rappellent celles du cinéma, le compositeur concret arrive à l’organisation musicale en dernier lieu, en partant d ’éléments sonores bruts54.

Cette comparaison avec le cinéma pour expliquer la démarche du compositeur concret est très révélatrice d ’affinités, puisque c ’est à la suite de ma pratique de la vidéo, un médium très près du cinéma, que je peux maintenant reconnaître une parenté entre mon travail et celui du compositeur de musique concrète. Lorsque je travaillais en vidéo, j ’attribuais beaucoup d ’importance au mixage et au montage de la bande son. De plus, je voulais être à l’origine de tous les événements audibles de la séquence et passer par chacune des étapes de la conception sonore. C ’est pourquoi je recueillais des sons par ici et par là, me constituant une banque de sons que je pourrais utiliser plus tard, sans savoir à cet instant, dans quelle situation ceux-ci me serviraient. Ces sons étaient miens et participaient à définir l’esthétique sonore qui me caractérise aujourd’hui. Conséquemment, mon travail en vidéo a évolué vers un médium plus personnel qui me permet de mettre le phénomène sonore au premier plan dans des projets où j ’exploite des notions acoustiques, sculpturales et musicales.

C ’est donc dire que je m ’attarde aux moyens de la manifestation et de la production sonore, de sa manipulation par des moyens d ’enregistrement et de sa perception éventuelle en tant qu’objet abstrait. L’artificité électronique de ces phénomènes audibles est un fait culturel relativement nouveau55 qui est vite devenu banalisé: la musique et les films parlant étant désormais fondus au patrimoine culturel, ils ne suscitent plus une grande fascination. Je crois qu’il faut revoir les mécanismes d ’écoute et de perception de l’objet audiovisuel, revoir la relation q u ’on entretient avec celui-ci. Conséquemment, dans les bandes vidéo que je produisais, j ’avais toujours entrepris de recréer une réalité sonore autre que l’original, chassant ainsi la banalité ordinaire au profit d ’une autre plus étudiée. Je créais des bruits d ’ambiance, des effets sonores et même des séquences musicales. De la même façon qu’un bruiteur de cinéma, je m ’attardais

54 M. PIERRET. Entretiens avec Pierre Schaeffer, éditions Pierre Belfond, 1969, p.52.

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à produire de petits événements audibles desquels émanait une idée. Je savais rendre une image (un signifié) à partir d ’un son (un signifiant). Voici quelques exemples concrets : pour simuler le passage de voitures, j ’ai enregistré le son d ’une guitare électrique que l ’on désaccorde en tournant les clés, tandis que pour récréer la chute d ’un arbre, j ’ai utilisé l’enregistrement d ’une poubelle remplie de déchets que je renversais. Tous les moyens que j ’ai dû inventer pour réussir les sons que je voulais obtenir, ont inévitablement développé mon attention et ma sensibilité au phénomène auditif ainsi que mon habileté à forger des objets temporels signifiants.

C ’est à ce moment que j ’ai réalisé l’impact que peut avoir un stimuli auditif sur la perception, qu’une action sur bande vidéo sans sa bande sonore ne se réalise pas entièrement. Prenons l’exemple d ’une séquence vidéo dans laquelle un vase est échappé ; sans entendre le fracas de porcelaine, pouvons-nous être certains que le vase s ’est véritablement cassé ? Au même titre qu’il est juste d ’affirmer, que même si nous l’avons entendu se fracasser, nous ne pouvons être certains que le vase s ’est vraiment cassé, si nous ne l’avons pas vu.

Ce pouvoir de suggestion m ’a amené à reconnaître que les images ne sont pas aussi efficaces que les sons pour tromper la perception des gens, qu’il suffit de faire entendre la chose pour q u ’on la voit. Dans cette perspective de recherche, j ’arrivais au constat q u ’il était possible d ’animer par les sons les corps les plus inertes, et que la relation entre le son entendu et le corps producteur de son n ’est pas toujours fidèle et honnête comme je pouvais le penser. L’industrie cinématographique est bien consciente de cette réalité et c ’est pourquoi ses meilleurs bruiteurs sont les plus rusés et les plus inventifs. Pour en arriver au bruit que produit un objet, ils utilisent rarement l’objet même, mais plutôt un autre qui le simule avec un résultat plus convaincant56. Or, ma recherche ne tend pas à duper ni à démontrer que tout est arrangé avec le « gars des vues », mais m ’engage plutôt dans une recherche musicale basée sur un corps sonore unique, le tambour

métallique57.

56 http://www.radio־canada.ca/education/metier_radio/bruiteur.asp#. Site consulté le 10 septembre 2005.

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