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LA RECHERCHE GÉOGRAPHIQUE AU MAROC. Pour quelle maîtrise de l espace?

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LA RECHERCHE GÉOGRAPHIQUE AU MAROC Pour quelle maîtrise de l’espace ?

Il faut souligner, dès le départ, que sous ce titre plus ou provocateur, se cache une vision rénovatrice quant à la place et au rôle qui reviennent à la géographie dans l’action de maîtrise de l’espace au Maroc. Et signalons aussi qu’à l’arrière-plan de ce même titre se dresse une autre question qui hante la géographie depuis fort longtemps et qui continue à diviser même les géographes : La géographie est-elle une science appliquée ? Nous n’avons pas l’intention de couvrir cette immense question dans son entier. Elle ne sera examinée ici que sous l’angle du rôle qu’a joué la géographie dans l’action de maîtrise de l’espace au Maroc et des opportunités qui s’offrent à cette science, dans ce sens, pour le présent et l’avenir.

1 – GÉOGRAPHIE ET MAITRISE DE L’ESPACE AU PASSÉ

Il ne viendrait à l’esprit de personne d’avancer que la géographie moderne n’a pas contribué, d’une manière ou d’une autre, à la maîtrise de l’espace au Maroc. Son rôle était assez important, surtout durant l’époque coloniale. Comme les autres sciences physiques et humaines, la géographie était très sollicitée par les autorités coloniales. Thomassy soulignait en tant que membre actif du parti colonial français que « la science est l’une de ces armes, et la première même à mettre en œuvre, car c’est elle qui déblaie le terrain où il faut avancer »1. C’est dans ce sens que

« la géographie a eu vocation coloniale parfaitement florissante au Maroc », 2 sur tous les plans. Ce n’est plus un secret pour personne que la géographie a servi dans l’occupation du Maroc. Comme elle a aidé à sa « pacification » et à sa gestion politique et économique. Et ce n’est pas un hasard si les recherches géographiques, durant la période coloniale ont porté essentiellement sur les aspects physiques du pays, le monde rural et les questions urbaines. Ce n’est pas un hasard, non plus, si chacun de ces trois axes de recherche a prévalu au sein d’une conjoncture bien déterminée.

Sans entrer dans les détails, signalons que près des deux tiers des recherches sur les villes au Maroc entre 1890 et 1977 ont été durant l’époque coloniale. La part revenant à cette période ne peut être dissociée de l’explosion urbaine provoquée par la colonisation au profit du capital qui avait besoin des terres à la campagne et d’un marché de main d’œuvre en ville. Et la géographie comme les autres sciences sociales était sollicitée pour suivre et canaliser les problèmes de l’urbanisation. D’autre part si « les recherches portent davantage sur le rural »3, ce choix n’est que l’expression d’une politique faisant de l’espace rural l’un des principaux piliers cde l’édifice colonial. Pour ce, Pascon P. conseillait d’étudier « la pénétration coloniale agraire avec plus de munitie et de rigueur scientifique » 4 Et

1 Citation rapportée par AYACHE G. (1979) dans : Etudes d’histoire marocaine. Ed. SMER, Rabat, p.7

2 JOLE M. Les villes et la politique de recherche française au Maroc. In La ville et l’espace urbain, BESM n° 147- 148, 1981, p. 152.

3 Idem, p. 153

4 PASCON P. (1979) Repenser le cadre théorique de l’étude du phénomène colonial, in R.J.P.E.M. n° 5, Rabat , p.

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les nombreux géographes qui se sont penchés sur les questions rurales, ont donné du leur, dans tous les sens.

Pour les aspects physiques, très chers à un grand nombre de géographes, la situation se présentait autrement. Si les géographes dits « progressistes » ont plus ou moins trouvé refuge dans cet axe de recherche pour éviter l’implication directe dans les affaires de la colonisation, ceci ne diminue en rien de l’importance du service rendu au pouvoir par la géographie physique, tout au long de la période coloniale. Elle fût sollicitée en permanence depuis les phases d’exploration jusqu’à celles de l’exploitation économique et de la gestion et de l’aménagement de l’espace.

En plus de ces trois axes de recherche, les géographes de l’époque coloniale ont d’une manière générale fait le tour des différents aspects de la géographie du Maroc, à la fois pour parfaire la connaissance du pays et pour approvisionner la recherche en lui donnant l’orientation qui ne contrarie pas les intérêts de la colonisation. Ainsi, au niveau de l’interprétation, les principales théories que nous continuons à rabâcher ont été lancées à cette époque. Au fond il n’y a pas de mal à dire que cette période a trop marqué la géographie en tant que science au Maroc.

Mais « on aurait tort inversement de ne pas nettoyer les champs qu’elle a laissés semés de mines ».5 A titre d’exemple signalons brièvement que la géographie du temps de la colonisation a excellé dans la recherche, la description et souvent même l’explication des disparités spatiales. Et dans ce sens, les études géographiques ont d’une manière générale subi l’influence d’une certaine théorie des contrastes ; Théorie qui rejoint étrangement celle du parti colonial cherchant toujours et dans tous les domaines à diviser le Maroc, entre « utile » et « inutile » pour les uns, et entre « Bled Makhzen » et Bled Siba » pour d’autres. Et à force de ne voir que les contrastes, la géographie coloniale a servi les seules compréhensions et organisations et de l’espace qui conviennent au pouvoir colonial.

D’autre part, fort enracinée au sein du milieu universitaire, la géographie de l’école française a profité à l’entreprise coloniale pour démontrer ses capacités opératoires. Aussi « on ne peut s’étonner que les premières recherches appliquées des géographes français se soient développées d’une façon plus systématique dans les territoires africains qu’en métropole »6

Au Maroc, malgré le fait que la géographie ne fût pas directement impliquée dans l’action de maîtrise de l’espace à une échelle comparable aux grands projets réalisés en Afrique noire7, son intervention n’était pas sans importance pour l’entreprise coloniale. Son aspect opératoire qui se résumait dans la collecte de l’information nécessaire à l’action et dans l’expérience des géographes en tant qu’hommes de terrain, avait d’importants prolongements pratiques, étant donné que toute intervention sur l’espace ne fût-ce que l’empirisme du géographe, influence directement les enjeux pesant sur la valeur et le devenir de cet espace.

A titre d’exemple, les géographes de l’époque qui ont excellé dans la recherche des différences ethniques ou régionales, entre Européens et « indigènes ou entre secteur moderne et secteur traditionnel, n’ont-ils pas légitimé une action

5 AYACHE A. Op. cit. p.5

6 PHILIPPONNEAU M. (1960) Géographie et action. Introduction à la géographie appliquée. Ed. A.C. Paris, p. 53

7 De grands travaux d’aménagement ont été réalisés au Sénégal, au Niger, au Dahomey, au Gabon… sous l’égide de l’administration et des sociétés privées et auxquels de nombreux géographes ont contribué.

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différenciée par ces distinctions ? En plus, « les différences raciales et ethniques lorsqu’elles ne sont plus latentes dans la conscience servent à alimenter un préjugé utile à l’affirmation d’un pouvoir »8. Aussi la production du savoir scientifique est en elle-même une action de maîtrise de l’objet de ce savoir ou du moins un grand pas dans ce sens. Autrement dit, la géographie explicitement finalisée ou non a joué un grand rôle dans la maîtrise de la société par le biais de son espace, étant donné que l’empirisme du géographe qui ne peut être sans fondements idéologiques ménageait des intérêts au dépens d’autres. C’est ce que laisse entendre par exemple « l’avertissement » qui préface un manuel de géographie de cette époque : « Hors de ces préoccupations scolaires, ouvriers, colons, fonctionnaires, quiconque s’intéresse à ce pays… peut y trouver, croyons-nous l’encouragement à une enquête plus approfondie sur une foule de problèmes »9. Les auteurs de ce livre n’avaient pas de doute sur la portée pratique de son contenu. En effet, les géographes de l’époque qui avaient » le souci de développer conjointement la recherche fondamentale et la recherche appliquée…travaillaient en liaison plus ou moins étroite, non seulement avec leurs collègues des disciplines voisines… mais encore avec les techniciens de divers services officiels… montrant par-là que la géographie …peut et doit avoir des prolongements pratiques ».10 Ce désir ardent de démontrer l’aspect pratique de la géographie ne peut être dissocié de la conjoncture générale du pays et surtout de l’organisation de la recherche scientifique de qui il dépendait.

La Mission Scientifique du Maroc qui peut être considérée comme la première instance (1904) où est née la recherche géographique moderne sur ce pays, est une création du parti colonial français. En 1917, la création de la Société de Géographie du Maroc à qui revient le mérite d’individualiser la recherche géographique n’a pas donné lieu à une quelconque autonomie de cette science vis- à-vis du pouvoir colonial. Lyautey qui a fait de l’action de maîtrise de l’espace l’un des principaux volets de sa politique marocaine ne pouvait tolérer une telle autonomie. Mieux encore, la Direction des Affaires Indigènes et le Service de Renseignements qu’il a créé ont pris la relève de la Mission Scientifique. Et même lorsqu’il a créé l’Institut des Hautes Etudes Marocaines (1921), il a tenu à ce que

« cette savante académie…(soit) aussi l’un des rouages de ses services d’information »11. C’est dans le même sens que la Résidence Générale a paraphé en 1951, l’acte de naissance d’un Comité de Géographie du Maroc dont la tâche essentielle est de publier un Atlas du Maroc à partir de l’Institut Scientifique Chérifien où les géographes accentuent leur présence. Aussi, que ce soit la recherche géographique effectuée au sein des services de l’administration coloniale ou celle ayant pour cadre les institutions scientifiques, la finalité de la recherche reste presque toujours la même, étant donné que dans les deux cas le savoir est au service de l’action officielle.

Après l’accession du Maroc à l’indépendance, il n’y a pas eu divorce entre géographes et administration. Les géographes légués par la colonisation n’ont fait que tronquer leur grade d’agents d’une administration coloniale contre celui de coopérants. Par la même occasion ils deviennent plus actifs au sein d’autres

8 RAFFESTION Cl. (1980) pour une géographie du pouvoir, Ed. LITEC, Paris, pp. 119-120

9 JOLY F, AYACHE A. et al. (1949) Géographie du Maroc, Ed. Delagrave, Paris, p. 5

10 LE COZ J. (1964) La recherche géographique au Maroc, Annuaire de l’Afrique du Nord, p. 685

11 AYACHE G. op. cit. p. 9

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instances que dans le cadre de la Société de Géographie où la présence marocaine se fait de plus en plus sentir. Par exemple, ils ont laissé cette instance agoniser par atrophie financière 12 pour le Comité de Géographie qui parait plus actif avec la publication de l’Atlas du Maroc.13 Les géographes coopérants ont même obtenu la création d’un Centre Universitaire de Géographie Appliquée, par l’intermédiaire du Centre Universitaire de la Recherche Scientifique. En plus, trois colloques de géographie ont été organisé au début des années soixante. Les plus révélateurs d’entre eux sont celui de 1962 sur la géographie appliquée14 et celui de 1964 sur l’érosion des sols. D’autre part, les géographes ont aussi cru démontrer leurs qualités opératoires en intégrant des équipes de recherches pluridisciplinaires.

L’EIRESH (Equipe Interdisciplinaire de Recherche en Sciences humaines) constitue un parfait exemple de la collaboration des géographes à ce genre d’équipes et de leur dépendance envers les administrations publiques. Tout cela incite à se demander pourquoi un tel acharnement à démontrer le caractère pratique de la géographie. Brièvement, on peut dire dans ce sens que les géographes français fidèles à une certaine tradition qui consiste à expérimenter d’abord outre-mer, ont trouvé dans la vague de géographie appliquée qui s’est propagée un peu partout dans le monde, à cette époque, une aubaine pour pouvoir prouver leur qualité d’experts auprès d’une jeune administration d’un pays qui vient juste d’accéder à l’indépendance. Et c’est ainsi que de nombreuses thèses ont trouvé le financement nécessaire à leur préparation. D’autre part, certains géographes ont pu ainsi participer à des actions de maîtrise de l’espace. C’est le cas par exemple du projet de Mise en Valeur du Bassin du Sebou auquel a participé une dizaine de géographes du Maroc.

A la fin de cet examen rapide de la portée pratique de la géographie au Maroc durant la première moitié du 20ème siècle, il n’est pas sans importance de rappeler que la géographie fut très sollicitée par le pouvoir. Cependant, la géographie comme science de l’espace, comme méthode d’analyse et comme point de vue, n’a jamais été une science directement appliquée, du moment où elle n’a fait que de la sous-traitance pour le pouvoir à qui revient le mérite de lui trouver des prolongements pratiques. Mais ceci ne diminue aucunement de son implication dans l’action de maîtrise de l’espace.

2 – GÉOGRAPHIE ET MAITRISE DE L’ESPACE AU PRESENT ET AU FUTUR Il y a intérêt à parler du présent dans la géographie du Maroc, à partir de la deuxième décennie de l’indépendance, étant donné que c’est au cours de cette décade qu’a eu lieu une certaine démarcation par rapport à la période coloniale.

En effet, le départ des géographes coopérants de l’enseignement secondaire puis de l’université, marque le début d’un nouvel épisode de la coopération française en matière de géographie. La présence française ne semble plus s’intéresser qu’à la seule recherche finalisée et les géographes-coopérants ne se rencontrent plus qu’au sein des services administratifs et techniques.

12 Voir dans ce sens le rapport d’activité de la Société de Géographie pour l’année 1965 publié dans le n° 10 de la RGM de 1966, p.61

13 En plus d’une dizaine de planches parues entre 1954 et 1958, 7 autres planches ont été publiées entre 1960 et 1966.

14 Les travaux du colloque de géographie appliquée ont été publiés par la RGM n° 1-2, 1962.

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Ce changement coïncide avec un autre intervenu sur le plan de la politique poursuivie en matière de maitrise de l’espace. A la fin de 1970, le Ministère de l’Intérieur dont dépendaient les questions de l’habitat, de l’urbanisme et d’aménagement du territoire, reconnait que « la politique suivie jusqu’ici a échoué »15et définie une « nouvelle stratégie ». Le CERF (Centre d’Expérimentation, de Recherche et de Formation) créé en 1967 pour « définir les nouvelles méthodes, les nouvelles techniques et les nouvelles procédures de l’aménagement et de l’habitat »16 fût le pivot de la nouvelle politique de maîtrise de l’espace. Et les coopérants français (sociologues, urbanistes, et géographes) furent les moteurs de ce centre que M. Jole a qualifié de « carrefour de la nouvelle forme d’intervention française » 17 au Maroc. Et c’est dans ce cadre que les géographes ont participé d’une manière directe et globale à un grand nombre de d’actions de maîtrise de l’espace. Ils ont contribué à l’élaboration de schémas directeurs, de plans d’aménagement régionaux, de schémas d’armature rurale…

Leur contribution fût aussi notable dans l’action de maîtrise du problème des bidonvilles. Aussi ce problème complétement négligé par les géographes du temps de la colonisation, est devenu subitement l’objet d’une importante littérature et même un colloque fût organisé à Rabat en 1973 sur l’habitat sous-intégré.

Le CERF qui a orchestré la mobilisation des chercheurs autour des problèmes d’aménagement et d’urbanisme visait à créer une « solidarité entre l’université » et les administrations autour de ces questions. Et l’action « d’associer l’université à ses travaux » 18 a bel et bien influencé la recherche géographique pour qui il y a eu même un changement de cap. Comme nous allons le voir plus loin, les problèmes de l’urbanisation et de l’aménagement de l’espace attirent depuis la période du CERF (1967-1973) de plus en plus de chercheurs pour la préparation de thèses.

La deuxième décennie du Maroc indépendant fût aussi marquée par le développement de la coopération française sous forme d’encadrement de la recherche géographique. La présence française, amoindrie par la disparition du CERF, a trouvé dans l’encadrement des thèses de géographie préparées par des Français ou des Marocains, un moyen très efficace pour se perpétuer. Ainsi le nombre de thèses de géographie sur le Maroc, soutenues en France n’a cessé de croître depuis le début des années 70. Il est passé de la moyenne d’une thèse tous les deux ans au cours des années soixante, à une moyenne de 3 par an au cours des années 70, pour atteindre la proportion de 16 par an entre 1980 et 1985.19 Ainsi, les quelques 150 thèses de géographie sur le Maroc, soutenue en France jusqu’en 1986, contre seulement 18 soutenues au pays, soulignent clairement la consolidation de la présence française qui s’écarte franchement du but avoué de la coopération dans ce domaine. Si l’on sait que la majorité écrasante de ces thèses n’est pas disponible au Maroc, on se rend compte que ce volet de la coopération ne sert plus ni la recherche géographique au Maroc ni la maîtrise de l’espace dans

15 Ministère de l’Intérieur : Urbanisme, Habitat et Aménagement régional : Une nouvelle stratégie. Principes d’action et Applications, Rabat, Décembre 1970, p.1

16 Idem, p. 8

17 JOLE M. op. cit. p169

18 Ministère de l’Intérieur, op.cit. p. 25

19 BRILE JC et SIGNOLES P. Liste des thèses de géographie soutenues en France sur le Maroc. RGM, Vol10, n° 1et 2 , 1986 pp ; 271-283

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ce pays. En plus, la recherche géographique tend, dans ces conditions à perdre son véritable aspect opératoire pour devenir de plus en plus dépendante de la France qui devient un passage obligatoire dans ce domaine. Autrement dit, ce volet de la coopération renforce la position de la France, en tant que partenaire de grande taille dans le domaine de la recherche scientifique et de l’action de maîtrise de l’espace. Le tableau suivant montre que les thèses soutenues en France sont de plus en plus orientées vers les domaines où le Maroc rencontre davantage de difficultés.

Evolution de la moyenne annuelle de thèses de géographie sur le Maroc soutenues en France

Domaines de la recherche Nombre de thèse par an (Moyenne)

1970-1979 1980-1985

Aspects physiques Questions économiques Monde rural

Aménagement Urbanisation Régionalisation

1 0,6 0,7 0,4 0,6 1,5

3 2 3 4 5 5 Source : RGM Vol 10, n° 1-2 , 1986, pp. 271-283

Il se dégage de ce tableau que ce sont les problèmes de l’urbanisation qui n’ont cessé de se compliquer et de se ramifier au Maroc qui font de plus en plus l’objet de la recherche géographique encadrée à partir de la France. 29% des thèses ont directement porté sur ces problèmes contre seulement 16% des thèses soutenues au Maroc. Les aspects physiques du pays qui ne sont plus privilégiés par les thèses soutenues en France (24%) concernent près de la moitié de celles soutenues au pays. Mais si 48% des thèses de géographie physique soutenues en France datent d’avant 1980, seulement 15 % de celles consacrées aux problèmes de l’urbanisation remontent à cette époque.

En ce qui concerne le caractère opératoire de ces thèses, le souci de contribution à l’action d’aménagement de l’espace l’emporte, non seulement par le taux de croissance du nombre de thèses consacrées directement à ce domaine, mais surtout par sa présence au sein de la majorité des autres domaines de la recherche géographique. Si l’on croit les titres des thèses soutenues en France, en majorité elles se réclament de l’aménagement déjà au niveau de l’intitulé. Et dans ce domaine aussi, les thèses soutenues en France l’emportent également sur celles soutenues au Maroc. Ce qui revient à dire que la coopération française n’a pas donné les résultats escomptés en aidant au développement de la recherche scientifique nationale, au contraire elle tend à se substituer à elle. Certes, elle a favorisé le renforcement de l’implication de de la géographie dans l’action de maîtrise de l’espace, mais tout en renforçant la présence française. Et si l’on sait que l’enseignement ne constitue plus l’unique débouché pour les jeunes géographes formé en France ; on se rend compte que cette présence tend à se ramifier et à consolider l’implication de ce pays dans toute action de maîtrise de l’espace au Maroc.

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Cette tendance est pleine de risques pour le Maroc, surtout que beaucoup de facteurs plaident en faveur davantage d’implication de la géographie dans l’action d’aménagement de l’espace. Sur le plan politique, la nécessité d’une action d’aménagement de l’espace qui ne fût plus posée en termes clairs qu’avec le plan de relance de 1981-1985, a découlé des difficultés rencontrées par la politique de régionalisation. Et on commence à se rendre compte, à tous les niveaux, que l’aménagement de l’espace est une action de longue haleine et qui nécessite la collaboration de toutes les parties concernées. Si « la mise en œuvre d’une politique volontariste d’aménagement du territoire » 20 figure parmi les options du plan de relance, une Note d’Orientation adressée par le Ministère du Plan aux assemblées régionales pour la préparation du plan de 1988-1992, va plus loin en stipulant que « décideurs et élus, tout le monde doit être suffisamment imprégné de la nécessité, non seulement d’élaborer des programmes d’action régionaux…

mais d’introduire progressivement l’aménagement du territoire dans le plan de développement lui-même ».21 Les études de base et l’élaboration des instruments nécessaires à toute action d’aménagement depuis l’échelle nationale à celle des collectivités régionales et locales, définissent à la géographie un rôle et un devoir qu’elle doit accomplir. Dans ce sens, la géographie n’a cessé de démontrer qu’elle bouge et change.

Elle bouge dans la mesure où une nouvelle « carte » de la recherche géographique est en train de de prendre forme, avec la décentralisation progressive de l’université marocaine et avec l’ouverture de nouveaux horizons aux géographes en dehors du milieu universitaire et loin des départements étatiques centraux.

Dans ce sens, les géographes ont été parmi les premiers universitaires à créer des entités de recherches spécialisées et plus adaptées à d’éventuelles nouvelles formes de collaboration entre l’université et les instances de décision et d’action en matière d’espace. Tout ceci laisse croire que la géographie bouge pour aller à la rencontre des nouvelles orientations dans le domaine de la maîtrise de l’espace.

Et ce n’est pas un hasard, comme il se dégage du tableau précédent, si les thèses à dimension régionale et à penchant pour l’aménagement se sont fortement multipliées depuis le début des années 80. Ce n’est pas un hasard, non plus si les géographes adoptent de plus en plus les entités territoriales administratives comme cadres d’investigation et de référence.

D’un autre côté, la géographie change, dans le sens de l’affirmation de son caractère scientifique, en faisant les premiers pas en vue de dépasser la fausse querelle opposant le concret à l’abstrait. En effet, les géographes sont de plus en plus nombreux à trouver inadmissible de faire de la géographie la science du seul concret. Les progrès accomplis par les sciences voisines ne cessent de démontrer que le concret ne peut être dissocié de l’abstrait. Les prolongements pratiques de la recherche géographique ont eux aussi démontré qu’on ne peut s’attaquer au concret en vue de rationaliser son fonctionnement sans hypothèses explicites relevant à la fois de travaux théoriques et empiriques. En plus, il va sans dire que toute action de maîtrise de l’espace obéit à une politique dont il faut comprendre les mobiles et les fondements.

20 Ministère du Plan de la Formation des cadres et de la Formation professionnelle : Plan de Relance : 1981- 1985, Rabat, p.10

21 Ministère du Plan. Note d’Orientation pour les Assemblées régionales consultatives. Partie 1 : Les principales réalisations du plan quinquennal 1981-1985 et la stratégie du plan d’orientation au niveau régional, p ; 30

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En évoluant dans ce sens, la géographie doit accorder de plus en plus d’importance aux aspects théoriques de la recherche en approfondissant l’œuvre de définition de ses concepts et ses champs théoriques. Cette évolution qui doit se confirmer avec le temps se traduit déjà par le refus de la tendance voulant faire de la géographie une simple technique de maîtrise de l’espace. La vague de la

« géographie appliquée » qui s’est propagée depuis le début des années 60 n’a fait que retarder la confirmation du caractère scientifique de la géographie, en l’éloignant de la recherche théorique. Et elle n’a d’adeptes, actuellement que parmi les utilitaristes à outrance qui refusent tout travail théorique. Mais la conjoncture générale au sein de laquelle évolue la géographie au Maroc qui est derrière l’échec de cette tendance, dicte à la géographie une redéfinition de ses rapports avec les instances responsables de la maîtrise de l’espace et avec les sciences voisines. Et même si la recherche géographique qui est toujours tributaire du « système de la thèse »22 qui reste son principal mobile, les géographes universitaires sont de plus en plus sensibles aux études à caractère opératoire et au travail en équipes pluridisciplinaires. D’autre part, l’importance prise par l’espace comme objet de recherche scientifique pour d’autres sciences sociales et en tant que centre d’intérêt économique et politique amène la recherche géographique à mieux se positionner sur toutes les questions relatives à l’espace. Un courant d’idées est en formation dans ce sens, au Maroc et nous pensons y participer par une modeste contribution de définition des nouvelles orientations de la recherche géographique.

Il ne s’agit pas, ici pour nous de mettre en évidence les éventuelles qualités opératoires de la géographie, mais d’exposer rapidement quelques nouvelles orientations qui croyons nous, seront d’une grande utilité pour notre discipline sur le plan scientifique et pratique.

La plus importante orientation et qui est de plus en plus évidente concerne la démarcation des champs d’action des deux branches de la géographie : physique et humaine, toutes deux devenues adultes pour ne plus être complétement concurrentes. Cette démarcation, bien qu’elle ne doive pas être totale, doit nuancer le caractère écologique par le biais duquel certains cherchent à réunifier les deux géographies. La géographie humaine devenant davantage sociale ne peut plus aborder les problèmes écologiques qu’en tant qu’une des innombrables conséquences des différents modes de production de l’espace. Par contre, la géographie physique peut trouver dans ces problèmes un champ d’investigation prometteur. Ainsi cette branche de la géographie doit cesser de faire de la sous- traitance au profit de la géographie humaine, pour déboucher sur un effort de compréhension de la configuration des différentes unités spatiales, aider au dépassement des contraintes de la nature et faire ressortir ses limites et ses atouts. Elle doit fournir dans ce sens une explication théorique et non pas formuler des solutions techniques qu’elles ne peut aborder qu’avec le concours d’autres sciences comme l’hydrologie, l’agronomie etc…Bref, c’est aux différentes branches de la géographie physique que revient l’ancienne mission de la géographie tout entière, concernant l’effort de compréhension et d’explication des rapports de l’homme avec son environnement. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine et nous en laissons le soin aux spécialistes, sans exclure les éventualités de recoupements

22 SAUTTER G. La géographie en question, in L’Espace Géographique, n° 1, 1985, p. 64

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entre les deux branches de la géographie qui doivent évoluer dans la clarté de leurs chemins spécifiques.

En ce qui concerne la géographie humaine, en n’étant plus dissociés de la société dans sa globalité, les problèmes spatiaux traduisent une évolution certaine de la recherche géographique. Aussi cette dernière ne reconnait plus à l’espace sa seule portée économique, mais elle le considère comme un enjeu social et politique de première importance. Et à partir de là, il n’est plus un simple support de l’activité humaine mais un produit social. L’intérêt de la géographie humaine pour l’espace ne relève plus uniquement des qualités propres à ce dernier mais aussi des relations sociales qu’il traduit et à la reproduction desquelles il participe. Quand la géographie se penche sur les questions d’aménagement, elle s’occupe essentiellement de la production de l’espace en étudiant les mécanismes avant les structures. Ce qui lui donne une vision plus approfondie et nettement globale par rapport aux techniques d’aménagement qui privilégient le fonctionnement de l’espace. En plus la géographie qui s’occupe aussi des aspects théoriques de la production et de la structuration de l’espace, aide à mettre en lumière les différents fondements et implications des actions d’aménagement. C’est dans ce sens que la géographie en matière urbaine ne s’accorde plus pour principal but l’étude du développement et du fonctionnement de l’espace urbain. Ce dernier est actuellement considéré comme un produit social qui ne peut plus être examiné en dehors de ses implications économiques, sociales, culturelles… Ce qui donne à la contribution de la géographie en matière d’aménagement d’autres dimensions. La même contribution peut porter sur l’espace rural et régional où la géographie ne peut plus continuer à explorer dans le seul but de dévoiler les particularités locales ou régionales. Le particulier n’a plus de signification en dehors des conditions générales inhérentes au Mode de Production dominant qui tend à uniformiser le marché. D’autre part, en cessant d’être un répertoire des données spatiales, la géographie a commencé à voir autre chose que la diversité. De même »la géographie régionale ne peut servir la politique d’aménagement du territoire qu’en renonçant au discours encyclopédique »23

Il ressort de tout ce qui précède que tout en considérant la démarcation des champs d’action de la géographie humaine et physique, la recherche géographique tend par la même occasion à unifier sa branche dite humaine autour d’un seul tronc central. Et comme nous venons de le voir à travers les exemples cité précédemment, l’espace est partout considéré comme un produit social. Dans toutes ses dimensions apparentes et sous-jacentes, l’espace ne peut être dissocié de la société qui l’a sécrété. Il est porteur de valeurs matérielles et morales et de symboles qui pèsent lourd dans la reproduction de la société tout entière.

L’évolution récente de la recherche géographique au Maroc et les signes avant- coureurs de son devenir, témoignent d’un changement certain de toute la science géographique dans ce pays. En effet, cette branche de la recherche scientifique ne peut être complétement en dehors de l’évolution générale des sciences à l’échelle mondiale et des changements que connait le Maroc, à différents niveaux. Et il est certain que l’évolution de la géographie se fait dans le sens d’une plus grande contribution à l’action de maîtrise de l’espace. Consciemment ou non la géographie

23 CHAUVET A. (1987) Une écriture de la géographie régionale du Maghreb, in l’Espace Géographique n° 4, p.

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fait beaucoup dans ce domaine. Ce qu’il lui faut aujourd’hui c’est de savoir qu’elle le fait et d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

CONCLUSION

La géographie qui a fait des questions spatiales son principal domaine d’investigation, ne s’est jamais écartée, au Maroc du sillage des centres de décision et d’intervention en matière d’espace. Cependant pour la géographie telle qu’elle fût léguée par la colonisation, il reste peu de chose à faire dans ce sens. L’espace étant de plus en plus convoité économiquement, scientifiquement et politiquement, il est plus qu’impératif de dépasser cette « géographie (qui) cru à l’efficacité de ses techniques avant d’avoir prouvé sa plausibilité scientifique ».24 Autrement dit, les aspects pratiques de la recherche géographique n’ont jamais constitué une première finalité de la géographie et ne devront pas être priorisés à tous les niveaux de la recherche géographique. Le mouvement de renouveau de cette science qui s’amorce actuellement peut aider à mieux positionner la géographie sur le plan scientifique, avant son positionnement pratique. L’histoire a montré que les sciences qui ont accompli les plus importants progrès sont celles qui ont accordé le plus d’intérêt à leurs dispositifs théoriques et conceptuels, avant leurs portées pratiques.

En s’intéressant davantage et de plus près au travail théorique, la recherche géographique au Maroc, parait se débarrasser progressivement du complexe engendré par l’illustre « rideau de fer » qu’on a voulu dresser entre le concret et l’abstrait. Aussi la vision voulant faire de la géographie la science du terrain, commence à perdre du terrain face à la montée du mouvement désavouant l’absolutisme du concret. La géographie cherche actuellement un meilleur dosage entre ce que peut offrir le terrain et ce que chaque géographe cherche dans le terrain. Autrement dit, elle cherche à ne tomber ni dans l’idéologie de la non- idéologie ni dans l’idéologie sectaire. Un équilibre vraiment difficile, mais toute tentative dans ce sens sert au moins à faire la part des choses et assure la géographie d’être sur la voie de la consolidation de son caractère scientifique, seul garant pour jouer pleinement le rôle qui lui revient en matière de maîtrise de l’espace.

Article paru dans

Annales de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Ain Chock Casablanca

N° 8, 1992, pp. 7 - 19

24 BAILLY A ; et al. (1984) Les concepts de la géographie humaine, Ed. Masson, Paris, p. 186

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