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La GRH a-t-elle une responsabilité sociétale?

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Academic year: 2021

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La GRH a-t-elle une responsabilité sociétale?

Mémoire

Cécile Lemay

Maîtrise en relations industrielles - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Résumé

Ce mémoire en Relations industrielles propose une réflexion sur la gestion des ressources humaines (GRH) sociétale et le développement durable. Il pose les questions suivantes : « comment les pratiques de gestion des ressources humaines mises en œuvre par trois PME françaises ont-elles été façonnées par le développement durable ? Et comment ces pratiques contribuent-elles, à leur tour, au bien être sociétal ? » Cette étude empirique mobilise le cadre théorique de l’institutionnalisme pragmatiste de John R. Commons et les concepts de trans-action et de futurité. Il s’agit d’une recherche de cas multiples basées sur trois petites entreprises françaises du secteur agroalimentaire qui se veut une tentative d’opérationnalisation du cadre commonsien. Cette recherche démontre que les pratiques de GRH de ces entreprises ont été façonnées par le développement durable à travers notamment la volonté des entrepreneurs, engagés comme citoyens et portés par leurs convictions personnelles et celle d’autres acteurs régionaux, forgés eux aussi par l’institution du développement durable et par la volonté d’un engagement sociétal. Elle démontre qu’il est possible d’envisager les pratiques de GRH « responsables » comme pouvant contribuer à une meilleure utilisation des ressources pour un bien-être sociétal. Il ressort de ce travail une circularité dans les résultats de la recherche. Il est ainsi possible d’envisager le rôle de l’institution du développement durable sur la GRH, mais aussi le rôle que peut jouer la GRH sur le développement durable. Ceci permet de comprendre que la GRH n’est pas seule ou isolée dans son entreprise ; elle est au contraire en interaction avec son contexte institutionnel. Elle est tant sujet qu’acteur du développement durable, ce qui permet de concevoir cette discipline comme une véritable force de changement.

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Summary

This Master’s thesis in Industrial Relations offers a reflection on societal human resource management (HRM) and sustainable development. It asks the following questions: “how are HRM practices, implemented by three French small businesses, shaped by sustainable development? And how can these practices contribute, in turn, to societal well-being?” This empirical study uses the theory of pragmatist institutionalism by John R. Commons and the concepts of trans-action and futurity. It is a multiple case study based on three French small businesses in the agricultural-food industry which offers an attempt to operationalize Commons’ theory. This research demonstrates that the HRM practices of these businesses were shaped by sustainable development through the will of the entrepreneurs committed as citizens and led by their personal convictions; as well as the will of other regional actors forged by the institution of sustainable development and by their desire for a social commitment. This research also demonstrates that it is possible to envision “responsible” HRM practices as a contribution to a better use of resources and societal well-being. What comes out of this study is a circularity in its results. It is therefore possible to consider the role played by the institution of sustainable development on HRM, but also the role played by HRM on sustainable development. This allows us to understand that HRM is not stranded or separated from the outside world inside its business, but rather exists in interaction with its institutional context. It is as much a subject as an actor of sustainable development. This allows us to envision HRM as a true force for change.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III SUMMARY ... IV TABLE DES MATIÈRES ... V INDEX DES FIGURES ... VIII REMERCIEMENTS ... IX

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 1

CHAPITRE 1 : ÉTAT DES CONNAISSANCES ET PROBLÉMATIQUE ... 3

1. État des connaissances ... 4

1.1. Les « ressources humaines » et les différentes perspectives envisagées par Boxall ... 4

1.2. Des répercussions concrètes de la GRH sur la société : ... 6

1.3. Les interactions entre pratiques de GRH et société dans le contexte spécifique du développement durable : ... 9

1.4. La recherche académique sur les interactions entre GRH et société : ... 16

1.4.1. Les effets de la régulation publique et civile du développement durable sur la GRH : 17 1.4.2. Les effets de la GRH territoriale et prospective sur le développement durable et la communauté : ... 20

2. Problématique : ... 24

3. Conclusion : ... 26

CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE ... 28

1. Les fondements de l’institutionnalisme des origines ... 28

2. La filiation pragmatiste dans l’institutionnalisme commonsien ... 33

3. Les concepts de trans-action et de futurité pour mettre en lumière les interactions entre GRH et développement durable ... 37

3.1. La trans-action ... 37

3.1.1. Les trans-actions entre pratiques de GRH et développement durable. ... 40

3.2. La futurité ... 42

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4. Nos trois hypothèses de départ ... 45

5. Conclusion ... 48

CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE ... 50

1. Notre approche méthodologique globale ... 50

1.1. Une approche inspirée du pragmatisme et du processus d’abduction ... 51

1.2. Le choix d’une recherche qualitative ... 54

1.3. Le choix de l’étude de cas ... 56

1.4. Recrutement des cas à l’étude ... 62

1.5. Cueillette de données ... 64

2. Les étapes de notre démarche ... 68

3. Conclusion ... 70

CHAPITRE 4 : RÉSULTATS ET ANALYSE ... 72

1. Résultats ... 72

1.1. Présentation des cas et choix des participants ... 73

1.2. Résultats des verbatim et autre cueillette de données ... 77

1.2.1. Comment le témoignage de la conseillère RSE et notre participation au SYNABIO viennent appuyer nos conclusions. ... 98

2. Analyse ... 102

2.1. Retour sur les hypothèses de départ et nouvelles hypothèses ... 102

2.2. Retour sur notre questionnement de départ ... 108

3. Conclusion ... 113

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 115

BIBLIOGRAPHIE ... 118

ANNEXE A : LETTRE DE RECRUTEMENT ... 123

ANNEXE B : COURRIEL DE PREMIER CONTACT AUX ENTREPRISES ... 125

ANNEXE C : FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ... 126

ANNEXE D : GUIDES D’ENTRETIENS ... 130

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ANNEXE F : VERBATIM CAS 2 ... 225

ANNEXE G : VERBATIM CAS 3 ... 305

ANNEXE H : VERBATIM – CONSEILLÈRE INDÉPENDANTE RSE ... 397

ANNEXE I : NOTES D’OBSERVATION (CAS 1, 2, 3 ET SYNABIO) ... 416

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Index des figures

Figure 1 – Protocole de recherche ayant utilisé un processus abductif ... 54

Figure 2 – Protocole partiel d’un processus abductif ... 54

Figure 3 - Schéma de réflexion ... 64

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Remerciements

Ce mémoire se veut l’aboutissement de cinq années d’effort et de travail, de réflexions enivrantes et de belles rencontres. Je me suis lancée dans cette expérience sans a priori et sans réelle compréhension de la charge de travail à accomplir, mais c’est cette naïveté qui m’a permis de sortir de ma zone de confort et d’entreprendre une réflexion qui m’aura forgée et fait grandir. Au cours de cette aventure, j’ai découvert une réelle passion pour la recherche – ce moment dans la vie où l’on s’accorde le temps de réfléchir, de comprendre les choses – ce moment où l’on cesse de réagir machinalement et où l’on se construit en tant que penseur. Ce projet n’aurait pas pu être possible sans le soutien de mon directeur, Yves, d’abord, qui a cru en moi et en mes capacités à mener de front cet ambitieux projet d’opérationnalisation du cadre commonsien. Il n’aurait pas pu être possible non plus sans la compréhension de mes employeurs Pierre et Marie-Claude qui ont eux aussi cru en moi et m’ont accordé le temps requis pour compléter à temps partiel ma scolarité ; et Mélanie, ma chère cousine, que je souhaite à tout prix remercier pour sa générosité. Surtout, ce projet très personnel et bien égoïste n’aurait jamais abouti sans le soutien incommensurable des trois amours de ma vie : Mehdi et Maëva, qui ont vu leur maman travailler soir et week-end pweek-endant cinq longues années et Julien… Julien, tu m’as soutenu, porté, encouragé dans les moments difficiles (et il y en a eu!)… tu m’as aidé à me retrouver lorsque je n’y voyais plus, tu m’as ramené sur terre lorsque j’étais perdue dans les méandres de la revue de littérature… Bref, tu as été mon pilier à travers cette aventure… merci.

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Introduction générale

Ce mémoire de Maîtrise se veut une réflexion sur la gestion des ressources humaines et sa place dans la société. Nous avons souhaité, en présentant ce travail, aller au-delà des perspectives organisationnelle et individuelle de cette discipline en proposant une ouverture en dehors des frontières de l’entreprise, vers une perspective sociétale. En quoi la gestion des ressources humaines est-elle forgée par la société et comment y contribue-t-elle en retour ?

Pour mettre en relation la gestion des ressources humaines avec la dimension sociétale, nous nous sommes intéressés à l’idée du développement durable comme projet de société. Puisque ce projet s’applique largement à une diversité de disciplines, nous avons trouvé pertinent de le mobiliser en lien avec les pratiques dites responsables de la gestion des ressources humaines. Nous avons posé les bases de notre réflexion sur le cadre théorique de l’institutionnalisme des origines et sa forte influence pragmatiste, en mettant en avant les concepts commonsiens de trans-action et de futurité. Pour mener à bien notre étude, nous avons fait le choix d’une recherche empirique sur le terrain, où nous sommes allés à la rencontre de trois entrepreneurs engagés dans une démarche de développement durable, en plus d’autres intervenants du milieu. Ce travail a pour ambition de répondre aux questions suivantes : Comment les pratiques de gestion des ressources humaines mises en œuvre par trois PME françaises ont-elles été façonnées par le développement durable ? Et comment ces pratiques contribuent-elles, à leur tour, au bien être sociétal ?

Au cours de ce mémoire, nous proposerons tout d’abord de faire l’état des connaissances qui nous permettra d’identifier notre problématique et nos questions de départ. Nous présenterons ensuite le cadre théorique qui nous permettra de poser les bases de notre réflexion. Nous expliquerons notre méthodologie et comment nous sommes parvenus à opérationnaliser les concepts théoriques grâce notamment à une enquête sur le terrain auprès d’entrepreneurs engagés dans le secteur de l’agroalimentaire en France. Nous

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présenterons ensuite nos résultats et proposerons une analyse qui nous permettra, au final, de répondre à nos questions de départ.

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Chapitre 1 : État des connaissances et problématique

La gestion des ressources humaines (GRH) est une discipline vaste découlant à la fois des sciences de la gestion et des sciences sociales. Ses implications sont étudiées tant aux niveaux individuel, qu’organisationnel et sociétal ; et aussi bien du point de vue du paradigme unitariste que pluraliste et critique. Bien que beaucoup aient étudié la GRH dans la perspective du développement organisationnel et individuel, moins ont fait le lien entre GRH et société, donc au-delà de l’organisation. À travers ce chapitre, nous proposons une réflexion sur la GRH sociétale afin de mieux comprendre les implications globales de ce niveau d’analyse.

Nous proposons tout d’abord un descriptif de l’état des connaissances actuel sur le lien entre GRH et société en présentant différents niveaux d’analyse de la GRH. Nous verrons des exemples de répercussions concrètes de la GRH sur la société et nous aborderons la question des interactions que peuvent avoir les pratiques de GRH avec leur environnement dans le contexte spécifique du développement durable. Nous verrons, à travers la loupe des travaux de plusieurs chercheurs, comment la GRH peut à la fois être influencée par la société et comment elle peut y contribuer en retour. Nous aborderons ensuite la problématique d’une GRH qui s’est développée largement au service des entreprises en se distançant des préoccupations sociétales. Nous verrons que pour revenir à ces préoccupations sociétales, il nous faudra envisager un retour à une GRH pluraliste comme solution toujours actuelle aux problèmes du travail d’aujourd’hui. Nous constaterons que peu de chercheurs ont étudié spécifiquement les interactions et le va-et-vient qui s’opère entre la GRH et le développement durable. Ceci nous mènera au détail des éléments qui constitueront ce mémoire et à notre questionnement de départ.

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1.

État des connaissances

1.1. Les « ressources humaines » et les différentes perspectives envisagées par Boxall

Il est pertinent de se rappeler que le champ de la GRH s’est bâti, avant toute chose, sur les fondements de la gestion du personnel, comme solution directe aux problèmes du travail (labor problems) du début du XXe siècle. Les conditions précaires, le chômage, le travail des enfants, la piètre sécurité des travailleurs ou encore le haut roulement de personnel constituent alors de réelles sources d’instabilité sociale. D’emblée, les problèmes liés au monde du travail ont une forte résonnance sur la société. Pour pallier à ces problèmes sociaux, les chercheurs et praticiens de l’époque se mettent alors d’accord pour identifier trois catégories de solutions aux problèmes du travail en lien avec les employeurs, les travailleurs et la communauté. Les recherches en gestion du personnel qui découlent de solutions mises de l’avant pour les employeurs commencent au courant des années 1910 où à la fois chercheurs et praticiens reconnaissent dès le début la nécessité de réformes au sein des entreprises (Kaufman, 1998, p. 331). La gestion du personnel devient ainsi une partie de la solution envisagée pour maintenir la paix sociale à travers l’organisation et la réforme des pratiques liées au personnel.

Le terme « gestion des ressources humaines » (GRH) fait officiellement son apparition dans les années 1960 et remplace celui de « gestion du personnel ». L’émergence des études sur le comportement organisationnel vient compléter le champ traditionnel de la GRH en lui apportant des théories et des concepts nouveaux (Kaufman, 1993, p. 121). Le changement de locution, qui s’insère dans une perspective de nouveau comportement organisationnel, a un impact important dans les milieux professionnels et académiques. La façon de considérer les employés en tant que « ressources humaines » et non plus en tant que « personnel » vient encourager un changement de perception qui part d’une approche à court-terme, orientée vers le coût, à une approche stratégique à long-terme, orientée plutôt vers l’investissement (Ibid.).

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Ce changement de locution a également un impact direct sur notre façon d’analyser, encore aujourd’hui, ce que constituent les « ressources humaines ». Le travail de Peter Boxall (2014) à cet égard nous semble tout à fait pertinent par rapport au lien GRH et société qu’il met en évidence dans son article « The Future of Employment Relations from the Perspective of Human Resource Management » (2014). Pour Boxall, le terme « GRH » nous permet une réflexion nouvelle sur la façon d’envisager les ressources humaines et leurs différentes perspectives d’analyse. Sous sa loupe, les « ressources humaines » ne sont plus simplement les personnes employées au sein d’une organisation, mais plutôt les ressources intrinsèques – ou les talents – que possède chaque être humain dans l’accomplissement de tâches liées à la fois au travail et aux autres aspects de la vie (Boxall, 2014, p. 579). Cette façon de concevoir les ressources humaines permet à Boxall d’envisager la GRH sous trois perspectives différentes : individuelle, organisationnelle et sociétale / globale (Ibid.). D’autres chercheurs ont également soulevé cette idée des différents niveaux d’analyse, dont Wright et Boswell (2002), qui affirment que la GRH s’est développée pratiquement en parallèle selon les niveaux macro et micro ; et pour qui il y aurait tout intérêt à envisager un rapprochement entre ces deux dimensions (Wright & Boswell, 2002, p. 27). Ces chercheurs, tant Wright et Boswell que Boxall, s’entendent pour dire que la GRH pourrait bénéficier du développement d’une perspective d’analyse plus large que l’individu ou l’organisation. Quoi qu’il en soit, ces perspectives ou agendas (en particulier par rapport à l’article de Boxall), offrent un point de vue original sur ce que représentent les ressources humaines pour les individus, les organisations, la société et le monde.

À partir du moment où l’on considère les ressources humaines comme étant intrinsèques à chaque individu, il n’est pas surprenant de porter d’abord notre réflexion sur l’agenda individuel des RH. Dans cette perspective, Boxall va au-delà des préoccupations traditionnelles des écoles de gestion centrées autour de la motivation et de la performance individuelle et se concentre sur le choix personnel de chaque individu de développer ou non ses compétences. L’auteur parle de sous-utilisation (underuse) et sur-utilisation (over-invest) des talents. L’individu peut ne pas avoir développé ses talents à son plein potentiel comme il peut s’être surinvestit, au point de regretter d’avoir passé sa vie à trop travailler.

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L’agenda individuel est donc un défi d’auto-gestion (self-management) (Boxall, 2014, p. 579). La perspective organisationnelle est elle aussi centrée autour de cette idée du développement des ressources ou des talents de chaque individu. Les organisations ne peuvent survivre sans les ressources humaines qui les constituent. Selon Boxall, ces ressources sont critiques dans la conception, la croissance, le renouvellement des organisations en plus de leur apporter un caractère distinct et unique. C’est d’ailleurs ce qui pousse l’auteur à affirmer que la GRH est, sans équivoque, une fonction essentielle des organisations (Ibid. p. 580).

Au-delà des individus et des organisations, Boxall nous amène aussi à considérer les perspectives sociétale et globale. Ce sont sur ces deux perspectives que nous poserons les bases de ce mémoire. En concevant les « ressources humaines » en tant que ressources ou talents intrinsèques à chacun, il devient alors pertinent de considérer le contexte social qui permet à l’individu de développer ou non ses talents. Boxall affirme que la communauté forme et nourrit les ressources humaines de chacun à travers divers programmes sociaux tels que l’éducation ou l’accès aux soins de santé (Ibid.). Elle investit ainsi directement dans le développement des individus. Il est donc possible de concevoir la GRH dans une perspective sociétale au-delà de l’organisation ; une GRH qui reçoit de sa communauté et de la société, mais qui y contribue également. La société a tout intérêt à assurer le renouvellement de ses ressources humaines dans une perspective de bien-être collectif à long terme. Dans une perspective globale, l’idée reste la même : c’est la communauté mondiale et supranationale qui a tout intérêt à développer les ressources humaines afin d’assurer le développement humain en général (Ibid.).

1.2. Des répercussions concrètes de la GRH sur la société :

Du point de vue académique principal (ou mainstream), les recherches en GRH se sont surtout développées selon les agendas organisationnel et, plus récemment, individuel (Ibid. p. 584). Une bonne partie des chercheurs en gestion d’aujourd’hui se penchent à la fois sur les intérêts de la gestion et sur le développement des individus. Beaucoup d’entre eux tentent de trouver le difficile équilibre qui assurera la croissance et la prospérité à

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l’organisation tout en garantissant le bien-être de ses employés (bien souvent avec les intérêts managériaux en toile de fond).

Les recherches sur la contribution de la GRH à l’agenda sociétal ou global sont moins nombreuses. On les retrouve plutôt du côté académique critique de la GRH1. Pourtant, cette

contribution est bien présente et peut avoir de fortes répercussions tant sur les communautés locales et régionales, que mondiales. Nous présentons ici plusieurs exemples de répercussions concrètes de la GRH sur la société afin de mieux situer son importance dans nos communautés.

Tout d’abord, Boxall soulève l’impact de la « perte » des ressources humaines sur la société (wasted human resources) à travers notamment le chômage, en particulier celui des jeunes, qui atteint des sommets inquiétants en Europe et qui empêche la croissance professionnelle et le développement des habiletés de toute une génération (Ibid.). Au final, c’est tant les jeunes chômeurs que les entreprises – qui ne peuvent bénéficier à long terme du développement des expertises – qui sont touchés. À plus long terme encore, le chômage menace bien plus que les jeunes travailleurs et le développement des compétences, il menace la cohésion sociale. Outre le chômage, Boxall parle aussi de sous-utilisation des compétences (skill atrophy) qui menace l’innovation et la qualité du travail dans un monde où la performance à court terme des individus est principalement valorisée. La surutilisation des ressources humaines (ou overutilisation) peut, quant à elle, mener à des problèmes de santé chez les travailleurs : fatigue, épuisement professionnel et le sentiment d’être abîmé par le travail (wasted by work) avec toutes les répercussions financières que cela peut avoir sur la société (Ibid. p. 585 et 586). Quant à l’impact de la GRH sur l’agenda global, Boxall donne l’exemple de la crise financière de 2008-2009 qui a bousculé le monde et mené à une importante récession mondiale dont on voit encore les répercussions aujourd’hui. Cette crise, directement liée à des pratiques de GRH non respectueuses de leur

1 Voir par exemple l’article de Rick Delbridge & Tom Keenoy (2010) pour la mise en valeur du contexte

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contexte économique, découle de pratiques de rémunération liées à la performance mises en vigueur dans les années 1990. Banquiers et traders ont largement profité de bonus annuels basés sur des objectifs de performance à court-terme alors que la santé à long-terme de leurs organisations était ébranlée, voir entièrement compromise, par des risques injustifiés et excessifs2 (Ibid. p. 587). D’autres exemples tel que l’effondrement du Rana

Plaza au Bangladesh en 2013 ont mis en lumière les pratiques dangereuses et « désuètes » de la gestion des ressources humaines des principaux sous-traitants de grandes multinationales du textile et de la mode et ont remis en question la responsabilité globale des multinationales quant aux pratiques de leurs fournisseurs et collaborateurs à l’extérieur des frontières nord-américaines et européennes.

Ces exemples et bien d’autres encore nous permettent de constater que les conséquences des pratiques de GRH ne se limitent pas aux individus ou aux organisations, mais qu’elles sont également bien présentes aux niveaux sociétal et global. À partir du moment où l’on reconnaît l’impact des pratiques RH sur la sphère sociétale, on peut se poser la question que met de l’avant Boxall : comment la GRH peut davantage contribuer à la solidarité sociale ? (Ibid. p. 584) Si les mauvaises pratiques de GRH peuvent avoir des conséquences négatives sur les communautés, il est possible de penser que des pratiques mieux adaptées à leur contexte et leur réalité pourraient avoir, au contraire, des effets plus positifs. Le futur d’une GRH positive ou « responsable » reposerait donc sur le développement d’une analyse sociétale (Ibid. p. 587) et sur l’utilisation durable ou soutenable de ressources humaines tant pour les individus, les organisations et la société humaine en général (Ibid. p. 588). Mais au-delà des impacts que peut avoir la GRH sur la société, le but est aussi de mettre en place les conditions sociales qui permettront aux individus d’explorer leur plein potentiel dans le développement de leurs ressources ou talents de manière soutenable à travers les générations (Ibid.). La question que soulève Boxall sur la solidarité sociale servira de point de départ à la réflexion que propose ce mémoire, mais notre réflexion se portera également sur les conditions que peut mettre en place la société pour nourrir le

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développement de ses ressources humaines. Ainsi, nous nous intéresserons au va-et-vient et aux interactions qui s’opèrent entre société et ressources humaines.

1.3. Les interactions entre pratiques de GRH et société dans le contexte spécifique du développement durable :

Pour arriver à contextualiser ces interactions, nous avons choisi de mobiliser le développement durable. Ce concept nous semble en effet pertinent lorsque vient le temps d’explorer comment nous pouvons mettre en place des conditions sociales qui permettent aux individus de développer leurs ressources de manière soutenable, à travers les générations, comme le suggère Boxall. Il l’est également lorsque nous pensons à la contribution que peuvent faire les entreprises et leur GRH à une solidarité sociale, à travers un développement responsable. Pour ces raisons, nous avons choisi de mobiliser le développement durable comme modèle de société qui peut à la fois nourrir les ressources humaines et être nourrit par elles en retour.

Que ce soit dans la sphère politique au sein des divers paliers de gouvernement, dans la sphère privée au sein d’organismes et d’entreprises ou encore dans les médias, l’idée d’un développement durable a pris de plus en plus de place dans le monde au cours de ces dernières années. Ce concept a acquis une reconnaissance globale ; à tel point qu’il est difficile aujourd’hui de concevoir notre monde sans d’abord penser au côté durable de son développement. Les problèmes écologiques qui découlent du développement économique, modelé sur un système capitaliste toujours en quête de croissance, sont à la base du développement durable et sont toujours au centre de grands débats publics. Mais au-delà des problématiques écologiques, l’idée du développement durable englobe aussi largement les problématiques économiques et sociales, et notamment celles reliées au monde du travail. Ainsi, pour répondre à ces divers enjeux, et afin d’assurer la durabilité des ressources (naturelles, mais aussi humaines au sens où l’entend Boxall), de nouveaux instruments politiques, de nouvelles technologies et de nouveaux comportements sont mis en place au nom du développement durable. Ces nouvelles préoccupations constituent un

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nouveau contexte social au cœur duquel les entreprises et les entrepreneurs jouent un rôle prédominant.

L’idée du développement durable a d’abord été pensée suite à une prise de conscience générale des problèmes environnementaux liés à l’activité humaine. Le géographe Paul Claval parle d’un changement des rapports de l’homme avec la nature qui s’est d’abord fait à l’ère de la révolution industrielle (Claval, 2006, p. 419). Dans les années 1970 et 1980, un rapprochement est fait entre développement économique et enjeux environnementaux. L’idée d’un développement économique « soutenable » ou « durable » qui prend en compte l’environnement se solidifie (Zaccaï, 2014, p. 1). À ce couplage économie-écologie, s’ajoute également le concept de justice sociale. À cet effet, Ignacy Sachs développe en 1980, le concept d’écodéveloppement dans son livre Stratégies de l’écodéveloppement, « qui décrit les façons d’harmoniser l’écologie et l’économie, et qui montre comment soumettre les décisions économiques internationales aux exigences primordiales et urgentes de la justice sociale et de la protection de l’environnement » (Vaillancourt, 2004, p. 39). Le concept de développement durable succède à celui de l’écodéveloppement. C’est l’Organisation des Nations Unis (ONU) qui sera porteuse, à cette même période, du nouveau projet de société du développement durable et qui sera à l’origine de son émergence mondiale.

Le rapport mandaté par l’ONU intitulé Our Common Future, Notre avenir à tous (CMEED, 1988)3, aussi appelé le rapport Brundtland, est le document qui, le premier, pose les balises

du développement durable tel qu’on le conçoit aujourd’hui. En insistant sur l’idée de soutenabilité, ce rapport explore l’idée des responsabilités internationale et intergénérationnelle. À travers les piliers environnemental, économique et social, l’idée principale de ce rapport est la reconnaissance du droit au développement des êtres humains

3 Le texte français du rapport Brundtland, présenté en 1987 et publié en 1988, peut être trouvé en format pdf

au lien suivant :

https://www.diplomatie.gouv.fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/5/rapport_brundtland.pdf. Repéré sur le site « diplomatie.gouv.fr » le 23 novembre 2017.

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de façon à ce que cela ne compromette pas les générations futures. Le développement durable y est défini comme suit :

« Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir » (Ibid.).

Suite à la publication du rapport Brundtland, le Centre pour notre avenir à tous est mis sur pied en 1988 à Genève dans le but de préparer le Sommet de la Terre de Rio de 1992. Aussi appelé la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED), le sommet de Rio a donné naissance à l’important programme d’action appelé Action 21 (Vaillancourt, 2004, p. 41). Le plan d’Action 21 sera central dans la mise en application du développement durable. Ce plan ambitieux propose ainsi diverses solutions concrètes pour atteindre les objectifs du développement durable, tant au niveau mondial que continental, régional et local. Ces solutions sont multipartites et s’adressent tant aux gouvernements de tous les paliers, qu’aux ONG, entreprises de toutes tailles et individus citoyens. Bien qu’Action 21 n’ait pas de valeur légale contraignante et dépende de la bonne volonté de multiples acteurs aux intérêts divergents, c’est un document qui cherche à influencer et encourager l’adoption de pratiques concrètes vers un développement durable en proposant des outils qui permettront à chacun de contribuer, à sa façon, à une solidarité sociale. Action 21 est, aujourd’hui encore, reconnu comme un document phare de la mise en œuvre du développement durable. Il continue d’inspirer une diversité d’acteurs, notamment au niveau local, qui ont à cœur la valorisation d’agendas locaux tel qu’ils ont été mis de l’avant dans le plan. Aujourd’hui, on peut dire que les plus grandes avancées en développement durable se sont faites territorialement et localement grâce entre autres à ce programme (Gagnon, 2008, p. 356). Au cœur des agendas locaux, les entreprises ont su faire leurs marques en collaborant, comme nous le verrons, avec des partenaires territoriaux pour en arriver à développer une forme de GRH territoriale.

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Les premières entreprises à être appelées à collaborer au développement durable ont été les multinationales pour leur impact mondial. Koffi Annan, secrétaire général des Nations Unies à l’époque du Sommet de la Terre, reconnaît alors l’importance cruciale du rôle que doivent jouer ces entreprises dans le développement durable. Il demande à l’homme d’affaire philanthrope, Stephan Schmidheiny, de créer un groupe d’industries pour le Sommet de la Terre. Ce groupe, qui représente 50 multinationales européennes, japonaises et nord-américaines, constitue le Business Council for Sustainable Development (BCSD). Il contribuera à l’article 30 de l’Agenda 21, où « les bonnes pratiques de certaines grandes entreprises pionnières, « des entrepreneurs éclairés », sont mises en avant pour démontrer leur contribution au développent durable » (Quairel & Capron, 2013, p. 132). À l’origine, le BCSD et son fondateur ont voulu exprimer une « vision du rôle des entreprises » dans le développement durable. Aujourd’hui, le groupe qui s’est élargi pour devenir le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) se fait plutôt représentant du monde des affaires et de leurs intérêts (Zaccaï, 2002, p. 298), ce qui lui vaut plusieurs critiques4. Néanmoins, son rôle dans la propagation des valeurs du développement durable

au sein de grandes entreprises est incontournable. Son impact considérable en fait l’un des acteurs ayant le plus influencé la mise sur pied de programmes de responsabilité sociale des entreprises (RSE) au sein de plusieurs multinationales.

Si les programmes de RSE se sont développés avec autant de popularité (particulièrement en Europe) chez les multinationales et les entreprises de toutes tailles, c’est aussi en raison de l’influence grandissante des parties prenantes et notamment de l’importance de ce qu’Edwin Zaccaï appelle le « gains d’image, de réputation ». Pour des organismes comme le WBCSD et autre consortium du même type5, la soutenabilité mène à une hausse de la

4 Le WBCSD compte parmi ses membres des entreprises comme Mosanto, Pepsico et Bayer, largement

critiquées pour leurs pratiques sociales et environnementales.

5 Zaccaï fait référence au rapport Sustainable Strategies for Value Creation publié en 1998 par le

Performance Group and the Consortium Partners (consortium constitué de Deutsche Bank, Electrolux, Gerling, ICI, Mosanto, Unilever et Volvo) (Zaccaï, 2002).

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valeur économique par la valeur des actions (shareholder value) (Ibid. p. 301). Plusieurs études, principalement anglo-saxonnes, ont cherché à étudier ce lien entre RSE, gains d’image et performance économique. Benjamin Dubrion en fait notamment mention lorsqu’il parle de « travaux visant à tester les liens existants entre les politiques de RSE et les performances économiques des entreprises, afin de justifier l’intérêt de telles pratiques pour ces dernières, mais aussi pour les salariés eux-mêmes » (Dubrion, 2010, p. 40). Il note toutefois que vue l’ambivalence de leurs résultats, cela « éclaire peu la capacité des études à montrer effectivement que les politiques RH dites responsables ont un effet positif sur les performances économiques des firmes » (Ibid. p. 41).

Néanmoins, l’argument du gains d’image ou de réputation nous amène à reconnaître l’importance des parties prenantes pour les entreprises quant à leur choix de mettre en place des programmes de RSE et autres stratégies de développement durable et quant aux valeurs qu’elles souhaitent diffuser. Ces parties prenantes – ou stakeholders – sont décrites par Zaccaï comme étant « les clients, les consommateurs, des associations diverses, sans oublier les membres du personnel de l’entreprise, qui sont eux aussi sensibles à ces valeurs » (Zaccaï, 2002, p. 300). À cette liste pourrait s’ajouter les actionnaires, les fournisseurs, les sous-traitants, les organismes de société civile, etc. Ces parties prenantes sont primordiales pour les entreprises puisque c’est par elles que se bâtit la réputation et l’image. En d’autres mots, c’est par les parties prenantes que s’établit la crédibilité d’une organisation. Elles sont aussi en mesure d’influencer, chacune à leur échelle, certaines pratiques de l’entreprise, qui devient alors sujette aux changements globaux mis de l’avant par le développement durable à travers la pression des acteurs sociaux. Lorsqu’on parle de gains d’image, on ne peut passer sous silence l’importance de la communication et notamment du rôle des médias dans la transmission des valeurs du développement durable. Claval parle notamment de l’importance de la presse dans la diffusion des idées liées au développement durable (Claval, 2006, p. 433). Face aux informations véhiculées par les médias, l’acte de consommation devient participatif et l’idée du consommateur-citoyen se construit. Le rôle du consommateur-citoyen comme partie prenante relève une nouvelle importance pour les entreprises qui composent avec une consommation dorénavant portée sur la responsabilité et l’éthique. Zaccaï définit la consommation responsable « comme le

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fait de s’attaquer, à travers des choix de consommation effectués par des consommateurs, à des problèmes de nature sociale ou écologique. Elle peut ainsi être vue comme une forme de participation à un projet de développement durable » (Zaccaï, 2002, p. 324). L’entreprise peut ainsi vouloir se construire en réponse aux attentes du consommateur-citoyen. Considérant que les chefs d’entreprises sont d’abord et avant tout des citoyens, elle peut également se définir elle-même en tant qu’entreprise-citoyenne. Ceci nous renvoie à l’idée de Claval qu’« [u]ne fois lancé, le développement durable implique tous les acteurs des jeux sociaux, économiques et politiques » et qu’ainsi chaque individu sur la terre devient « citoyen du monde conscients des dangers qui pèsent sur l’ensemble de l’humanité » (Claval, 2006, p. 432).

Pour atteindre les objectifs du développement durable, l’ONU préconise entre autres une régulation plus forte des pouvoirs publics. En travaillant de concert avec les parties prenantes concernées, la régulation publique permet de rendre légitime les actes liés au développement durable et de proposer des objectifs clairs et concis qui n’ont pas été énoncés dans un but uniquement économique. Mais force est de constater que la régulation publique est en perte de vitesse dans un contexte de globalisation. En France, le pays se distingue toutefois par une importante implication de ses pouvoirs publics au niveau territorial. Comme l’explique la sociologue Christianne Gagnon, « [e]n France, le DD [développement durable] s’est beaucoup développé autour des questions du territoire, des lois associant aménagement, durabilité, solidarité et renouvellement urbain » (Gagnon, 2008, p. 356). Et la mobilisation des entreprises locales n’est pas en reste avec, notamment, le développement d’une GRH territoriale de concert avec les pouvoirs publics locaux. À cet égard, la France et ses territoires ont suivi l’idée des agendas locaux mis de l’avant par le Plan d’Action 21. Selon Gagnon, cette vision territoriale relève son importance du fait que « l’orientation du DD n’est plus alors que le lot des experts, des gouvernements et des organisations internationales, mais devient réappropriée par les acteurs territoriaux » (Ibid.). Elle parle ainsi de gouvernance territoriale « qui s’appuie sur l’élaboration d’un projet de territoire fédérateur et qui met à l’avant-scène la participation citoyenne et celles des communautés » (Ibid.). Dans ce contexte, les entreprises françaises ont su développer,

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en collaboration avec les autres acteurs territoriaux dont les pouvoirs publics, des programmes de responsabilité tenant compte d’objectifs de développement durable locaux. Il est pertinent de constater que les interactions en France entre GRH et développement durable se font surtout au sein des programmes de RSE. À cet égard, les chercheurs Françoise Quairel et Michel Capron soulignent les liens serrés qui existent en Europe, et notamment en France, entre les concepts de développement durable et RSE : « [q]ue ce soit dans les discours managériaux, dans les prises de positions des ONG, les publications académiques, les dispositifs de normalisation, les textes et rapports émanant des autorités publiques, la responsabilité de l’entreprise est actuellement indissociable de la locution « développement durable » (DD) » (Quairel & Capron, 2013, p. 126). Ce consensus européen, qui conçoit la RSE selon les trois piliers du développement durable, se distingue des visions éthiques, utilitaristes ou de redevabilité envers les parties prenantes de la RSE anglo-saxonne (Ibid. p. 127 et 128). Cette distinction européenne peut aussi s’expliquer par le fait que le volet social du développement durable s’est développé en Europe de façon plus équilibrée avec le volet environnemental, contrairement à l’extérieur de l’Europe où le volet environnement a été, et demeure encore pour beaucoup, au centre du projet. Le volet social du développement durable s’est d’abord instauré sur le vieux continent vers le milieu des années 1990 (Ibid.). Encouragées par le président de la Commission européenne, les grandes entreprises sont alors appelées à signer un Manifeste, en 1994, contre l’exclusion sociale. En 2001, vient la publication du « Livre vert – promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises » de la Commission européenne. C’est suite à cette publication que le développement durable et la RSE prennent leur envol (Igalens, El Akremi, Gond, & Swaen, 2011, p. 44). Le Livre vert met notamment de l’avant l’importance du rôle des pouvoirs publics pour encourager les entreprises à développer des programmes de RSE. Ces programmes sont d’emblée vus comme un engagement des entreprises vers un développement durable. En 2002, une autre communication de la commission européenne vient confirmer ce rapprochement direct entre développement durable et RSE. Le document s’intitule Responsabilité sociale des entreprises : une contribution au développement durable. Dès lors, en Europe, cette association entre les deux concepts sera la norme au point où les termes « développement durable » et « RSE »

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deviennent dans bien des cas interchangeables. Au fil des années 2000, l’Union européenne s’engage comme actrice stratégique du développement durable. Elle se positionne comme leader dans la promotion du développement durable à la fois au niveau européen et mondial.

Au sein des programmes de RSE français, le développement des compétences des ressources humaines, la réduction de la précarité et la réinsertion professionnelle par un recrutement durable, l’intégration professionnelle de personnes en situation de handicap ou encore le partage de valeurs à travers des pratiques de GRH responsables, sont des exemples d’interactions directes de l’utilisation des ressources humaines sur la solidarité sociale. Au cours des dernières années, de plus en plus d’entreprises se préoccupent également des conditions de travail de leurs fournisseurs et sous-traitants internationaux, une préoccupation qui se remarque avec notamment un intérêt croissant pour le commerce équitable. Toutes ces pratiques, soutenues par les pouvoirs publics, les groupements d’employeurs ou encore la communauté en général, s’inspirent du développement durable en plus d’y contribuer directement.

1.4. La recherche académique sur les interactions entre GRH et société :

Si moins de chercheurs se sont attardés aux interactions sociales de la GRH qu’à ses répercussions individuelles ou organisationnelles, il existe tout de même – principalement au sein d’études critiques anglo-saxonnes ou de travaux européens – des articles scientifiques mettant en lumières les interactions entre la GRH et la société. Ces articles nous permettent de relever le va-et-vient qui se joue entre le contexte social et les ressources humaines. Nous y avons identifié deux interactions principales : 1) les effets de l’environnement social de la RSE ou du développement durable sur la GRH ; et 2) les effets que peut avoir en retour la GRH sur l’environnement social à travers la RSE ou le développement durable. Au cœur de la première interaction, nous avons identifié la régulation publique et la régulation civile comme sources d’influence sur les ressources humaines. Au cœur de la deuxième interaction, nous avons identifié la GRH territoriale (à travers des initiatives telles que les pôles de compétitivité et les groupements

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d’employeurs) et la GRH prospective comme sources d’influence des ressources humaines sur leur environnement social.

1.4.1. Les effets de la régulation publique et civile du développement durable sur la GRH :

Les chercheurs qui travaillent sur le développement durable ou la RSE sont généralement d’accord pour mettre de l’avant l’importance de la régulation publique dans la mise en application des nouveaux objectifs. Mais ils s’accordent également pour affirmer les limites de ce type de régulation. Nous avons constaté l’influence de la régulation publique à travers les travaux d’Edwin Zaccaï (2002, 2014), Françoise Quairel et Michel Capron (2013), Christane Gagnon (2008) et Paul Claval (2006). Pour Zaccaï, si l’ONU préconise une régulation plus forte des pouvoirs publics vers un développement durable, c’est parce que « le groupe des entreprises n’est, de par sa propre logique, pas foncièrement demandeur de cet objectif » (Zaccaï, 2002, p. 330). Même si l’auteur reconnaît la bonne volonté de certains entrepreneurs, il affirme aussi que « l’objectif du développement durable demande plutôt un surcroit de régulation sociale ou politique (par rapport à la régulation économique) que l’inverse » (Ibid.). Zaccaï envisage le rôle des pouvoirs publics à travers une collaboration nécessaire avec les autres parties prenantes. Il indique ainsi que les pouvoirs publics, en collaboration avec « une multiplicité de parties prenantes », « peuvent favoriser la réalisation de certains objectifs en pratiquant des délégations de missions » (Ibid. p. 329 et 330). Mais la régulation publique a aussi ses limites. Dans leur article, Quairel et Capron mettent de l’avant ces limites, en particulier à l’échelle mondiale : « À l’exception de la signature des accords de Kyoto en 1997, où des États s’engagent en vue de la limitation des émissions de gaz à effet de serre, la gouvernance mondiale en matière de développement durable ne va plus aboutir, après cette date, à des accords contraignants » (Quairel & Capron, 2013, p. 133). Les auteurs nous expliquent ainsi qu’une partie de la régulation liée au développement durable est confiée aux entreprises par les instances publiques elles-mêmes (Ibid. p. 134). On parle alors d’autorégulation des entreprises (Ibid. p. 137). Mais la régulation publique demeure tout de même bien présente. Comme l’indique Claval, « [l]es actions [liées au développement

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durable] doivent être mises en œuvre par les États et par les collectivités territoriales » (Claval, 2006, p. 436). Selon lui, c’est donc à l’échelle des collectivités territoriales que les élus comprennent et adhèrent le mieux aux nouveaux objectifs et aux nouvelles actions nécessaires au développement durable. Pour Gagnon aussi, l’approche territorialiste de la régulation publique est particulièrement pertinente. Elle « ouvre […] la porte à un repositionnement du DD, lié au rôle des acteurs, individuels et collectifs, dans la détermination des choix de développement, adaptés aux contextes singuliers et culturels en réponse à la viabilité des populations locales et en écho à l’intérêt général » (Gagnon, 2008, p. 359). Gagnon insiste ainsi sur l’importance d’une gouvernance territoriale qui serait même, selon Brodhag (1999), « le 4e pilier du DD » (Gagnon, 2008, p. 356). À travers les

divers travaux étudiés, nous constatons que la régulation publique peut, par ses lois et ses politiques publiques, à la fois aider à définir des objectifs précis du développement durable et imposer de manière coercitive des objectifs qui ne sont pas uniquement basés sur la croissance économique des entreprises. La régulation publique, en collaboration avec les autres acteurs territoriaux, jouerait ainsi un rôle crucial afin de soutenir l’idée d’un développement durable qui puisse influencer la façon de concevoir la croissance de ressources humaines ; une croissance qui répondrait aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. À l’échelle territoriale, la régulation publique a encore toute son importance.

Au-delà de la régulation publique, la régulation civile a un impact grandissant sur les pratiques des entreprises. Les travaux de Steve Williams ; Brian Abbott & Edmund Heery (2011a. ; 2011b. ; 2012) et Peter Newell (2008) nous permettent de mieux comprendre l’influence que peut avoir la régulation civile sur les ressources humaines. Contrairement à la régulation publique, la régulation civile se rapporte à une gouvernance non gouvernementale mise en place par diverses organisations – dont les organismes de sociétés civiles – qui cherchent à influencer, à leur manière, les pratiques des entreprises (Williams, Heery, & Abbott, 2011 b., p. 952). Cette régulation s’inscrit, selon Williams et al., dans une relation plus complexe et pluraliste de l’environnement réglementaire. Les auteurs parlent du concept de « regulatory capitalism » duquel surgit une plus grande diversité de formes de régulations (Ibid. p. 953). Nous ne sommes plus ici dans l’imposition

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de règles coercitives par l’État, mais plutôt incitatives ; et il ne s’agit pas de simplement remplir le vide réglementaire laissé par la gouvernance mondiale, mais plutôt de collaborer avec les instances publiques (Ibid. p. 954). Cette collaboration s’opère d’ailleurs, selon l’étude menée au Royaume-Uni par les auteurs, tant au niveau international que national. Dans un second article, les auteurs analysent les façons dont les organismes de société civile tentent d’influencer la GRH au travers d’interactions avec les employeurs et le secteur public (Williams, Abbott, & Heery, 2011 a.). Ils démontrent ainsi l’importance de pressions institutionnelles (institutional pressures) (Ibid. p. 46) qui est non sans rappeler les pressions des parties prenantes mises de l’avant dans notre section précédente. Les auteurs affirment que l’influence des organismes de société civile sur la GRH peut se faire directement, par l’intervention auprès d’employeurs, ou indirectement, en tentant d’influencer les politiques gouvernementales liées à l’emploi (Ibid. p. 50). Ainsi, la régulation civile peut travailler de concert avec la régulation publique. À travers les interventions directes des sociétés civiles, trois interventions principales sont identifiées : les systèmes de récompenses qui font la promotion et reconnaissent les bonnes pratiques des employeurs ; des analyses comparatives qui mesurent la performance des entreprises à travers des critères spécifiques ; et des standards de bonnes pratiques proposés aux employeurs (Ibid.). Newell, quant à lui, amène le concept de l’accountability – que nous traduirons par la responsabilisation – des entreprises (Newell, 2008). Il examine ainsi les stratégies adoptées par les organismes de société civile pour pousser les entreprises à rendre des comptes (answerability) et les pousser à mettre en application (enforceability) de bonnes pratiques (dans ce cas-ci liées aux changements climatiques, mais qui peuvent aussi bien s’adapter à la GRH). Ces stratégies incluent tant les mouvements de confrontation et de protestation que les mouvements faisant la promotion du dialogue, de la mise en place de nouvelles institutions et de la collaboration (Ibid. p. 122). Pour l’auteur, l’accountability est une question de pouvoir qui engage une division des droits et responsabilités entre l’État, le marché et les acteurs de la société civile (Ibid. p. 126). En tentant d’influencer les pratiques des entreprises, la régulation civile assure ainsi un équilibre dans les rapports de pouvoir qui s’opèrent entre gouvernance publique, civile et les entreprises et comble le déficit de la gouvernance mondiale (Ibid. p. 128). Enfin, dans un troisième article rédigé par Heery, Abbott et Williams, les auteurs constatent la montée, au Royaume-Uni, des

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organismes de société civile ayant des programmes spécifiques liés à l’emploi et ayant un impact direct sur la GRH (Heery, Abbott, & Williams, 2012, p. 53). Cette montée peut s’expliquer par une croissance de l’intérêt porté sur les questions liées à l’emploi de la part des citoyens que représentent ces organismes de société civile (Ibid. p. 54). Il s’agit donc d’une pression citoyenne qui a pour but d’influencer les pratiques de ressources humaines des entreprises.

En résumé, les articles scientifiques que nous avons analysés nous permettent de constater que les effets du développement durable sur la GRH proviennent à la fois de la régulation publique, en particulier au niveau territorial, et de la société civile.

1.4.2. Les effets de la GRH territoriale et prospective sur le développement durable et la communauté :

Pour mieux concevoir les effets de la GRH sur la RSE ou le développement durable, et sur l’environnement social au sens large, les articles scientifiques que nous avons analysés nous ont permis de relever des initiatives de la GRH qui contribuent directement à la société en dehors de l’organisation. Il s’agit de la GRH territoriale et de la GRH prospective. Pour mieux comprendre en quoi consiste la GRH territoriale, nous nous sommes basés sur les travaux d’Ingrid Mazzilli (2008 ; 2009 ; 2011; 2015 – en collaboration avec François Pichault). Pour Mazzilli, la GRH territoriale part de « l’élargissement du périmètre d’application de la gestion des ressources humaines dite « classique » » (Mazzilli, 2011, p. 4). Avec sa forte gouvernance territoriale, la France a vu naître plusieurs initiatives centrées autour du territoire6. Dans la conception française que nous présente l’auteure, le territoire

se définit comme une notion qui « intègre à la fois une dimension spatiale mais aussi et surtout humaine. Il se définit dès lors comme « un construit qui génère un système de représentations communes à ses membres, qui crée ses propres règles et qui fait émerger

6 Nous n’avons pas ici abordé les travaux de Bernard Pecqueur sur le tournant territorial, mais il est pertinent

de noter la contribution de ces travaux sur la notion de « territoire » et notamment sur l’idée d’une nouvelle économie territoriale (Campagne & Pecqueur, 2014; Pecqueur, 2006; 2009).

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des formes de régulations partielles relativement autonomes » (Gilly et Pecqueur, 2000, p.134) » (Mazzilli, 2008, p. 6). Pour Mazzilli, cette définition relève son importance du fait que le territoire « est avant tout constitué d’acteurs [qui] interagissent autour de ressources partagées » (Ibid.). La mise en œuvre par l’État français de dispositifs de pôles de compétitivité dont le but est de développer le capital social et les compétences d’une région donnée par « la mise en relation d’acteurs locaux au sein de projets de recherche collaboratifs » (Mazzilli, 2009, p. 3), a contribué à l’essor de cette GRH « élargie ». Dans un tel contexte, la GRH doit apprendre à dépasser le cadre classique organisationnel et s’élargir à des situations de travail multi-employeurs et interinstitutionnelles (Mazzilli, 2008). Mazzilli identifie trois défis que doit relever cette GRH territoriale et qui nous permettent de mieux situer concrètement l’impact des ressources humaines sur le territoire : la gestion des situations de travail multi-employeurs (parmi lesquelles on retrouve les programmes de groupements d’employeurs, de prêt de main-d’œuvre au sein de pôles de compétitivité et d’accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC)) ; l’élargissement des parcours professionnels au-delà de la firme ; et la construction d’une compétence territoriale (Mazzilli, 2009). Parmi les situations de travail multi-employeurs, les groupements d’employeurs permettent « à plusieurs entreprises de se rassembler au sein d’une association loi 19017. Il s’agit ainsi de

transformer des emplois occasionnels ou à temps partiel en contrats à durée indéterminée ou à temps plein [qui] permet aux entreprises d’avoir accès à des compétences spécifiques à proportion de leurs besoins » (Ibid. p. 4). Le prêt de main-d’œuvre au sein des pôles de compétitivité permet de mettre à disposition des institutions locales des salariés d’organismes de recherche, d’établissements d’enseignement supérieur ou d’entreprises qui font partie d’un même pôle en créant ainsi des structures d’emplois partagés (Ibid.). À travers la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), la législation sociale en droit du travail « élargit le cadre d’action de certaines pratiques de GRH à un niveau inter-organisationnel » (Ibid.). Ces initiatives portées par l’État ont mené « à la construction d’une plate-forme territoriale de reclassement, afin d’aider les salariés ayant

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perdu leur emploi, à retrouver une activité dans un rayon de 50 km » (Ibid.). Ces projets, tous soutenus par une régulation publique, permettent à la GRH de se déployer à l’extérieur de l’organisation. Mais ceci représente un autre défi pour la GRH, celui d’élargir les parcours professionnels au-delà de la firme. Dans les situations de travail multi-employeurs, la GRH ne peut plus se rattacher qu’à une seule entreprise. « La gestion des ressources humaines a longtemps considéré que la gestion des carrières professionnelles ne concernait plus l’entreprise, dès lors que le contrat de travail avec le salarié était rompu (Baruch and Peipel, 1997). Pourtant, force est de constater que la GRH passe peu à peu d’une conception tournée vers la gestion du marché interne à une conception de la GRH élargie et « en dehors de ses frontières » » (Ibid. p.5). Ceci permet, selon Mazzilli, une transmission du savoir qui constitue une source de compétitivité pour le territoire et nous amène au troisième défi de l’auteure : la construction d’une compétence territoriale. La compétence dont fait mention Mazzilli renvoie, comme l’indiquent Defélix et Retour (2007, p.119), à « des combinaisons de ressources qui rendent ‘capable de’, dans un contexte donné » (Ibid. p. 6). Ainsi, dans le contexte de la GRH territoriale, Mazzilli parle de « compétence inter-organisationnelle » qui n’est pas seulement la compétence des individus ou des organisations, mais la compétence au sens de « capacité pour un réseau d’entreprises à combiner ses différentes ressources (les entreprises du réseau) afin de produire un résultat d’ensemble » (Ibid.). Ces exemples concrets d’application des ressources humaines sur un territoire nous permettent de concevoir une GRH qui sort du cadre organisationnel et qui a un impact sur la communauté. Même si la mise en application d’une GRH territoriale demeure difficile8, elle reste une initiative bien présente sur le

territoire français. Pour plusieurs acteurs territoriaux, « l’implication dans une telle démarche consistera à s’inscrire dans un cadre plus global de responsabilité sociale en matière de gestion des personnes » (Ibid. p. 2).

8 Voir l’article de Nicolas Arnaud, Stéphane Fauvy et Hadj Nekka (2013) pour un survol des difficultés

auxquelles fait face l’implantation de la GRH territoriale dans des situations multi-employeurs et interinstitutionnelles (Arnaud, Fauvy , & Nekka, 2013).

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Au sein de la GRH territoriale, la GRH « prospective » permet d’envisager les pratiques de la GRH sur la société dans une vision d’anticipation. Nous travaillerons à partir des articles de Christophe Everaere et Catherine Glée (2014), ainsi que Franck Brillet et Annabelle Hulin (2010) pour mieux situer la GRH prospective. Pour Everaere et Glée, les objectifs d’une GRH territoriale « se rejoignent autour de la notion délicate d’anticipation : comment initier une démarche prospective qui permette de passer des actions souvent « à chaud » et uniquement curatives à des politiques globales, à la fois offensives et préventives ? » (Everaere & Glée, 2014, p. 75). Voilà l’objectif d’une GRH prospective. C’est une GRH qui laisse place à l’anticipation des idées nouvelles plutôt qu’à la simple prévision ou planification. En d’autres termes, c’est une démarche créatrice qui permet de concevoir la GRH dans une optique globale de fédération des différents acteurs autour d’un projet partagé (Ibid. p. 79). Pour ces auteurs, la vision prospective découle des diverses façons que nous avons d’envisager ou de définir le territoire. L’une de ces dimensions territoriales « consiste à appréhender le territoire comme un lieu de responsabilités partagées pour un management durable », ce qui nous ramène à la notion de « responsabilité sociale et sociétale [où] chaque décision, chaque action a des conséquences pour l’ensemble de la communauté composée de ‘parties prenantes’ » (Ibid.). Il est également possible, dans cette perspective, d’appréhender le territoire « comme un lieu d’anticipation » (Ibid.). Les chercheurs font ici une distinction importante entre « anticipation » et « prévision ». Loin de se baser sur les expériences du passé dans le but de prévoir le futur, l’anticipation est plutôt « la capacité d’aller dans une nouvelle direction ». Le futur devient « autre chose que la reproduction du passé. Il émerge d’une imagination créatrice de l’avenir souhaitable avec la volonté de le préparer dès maintenant (Berger, 1964) » (Ibid.). Cette vision prospective s’inscrit dans une logique de prévention (Ibid.). Pour Everaere et Glée, c’est ce type d’approche anticipatrice plutôt que prévisionnelle qui permet à la GRH territoriale de construire sa crédibilité « dans la capacité à rassembler l’ensemble des acteurs et à fédérer [la GRH] autour d’un management durable de l’ensemble des ressources, humaines, technologiques, financières,

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économiques… de ce lieu de vie qu’est le territoire » (Ibid. p. 90)9. Pour Brillet et Hulin,

les dispositifs de GRH jouent un rôle central dans la façon d’anticiper et de gérer les changements dans le monde du travail (Brillet & Hulin, 2010). Dans ce contexte, la GRH prospective s’inscrit « dans une perspective plus qualitative [où] la prospective correspond à un inventaire du champ des possibles à long terme » (Ibid. p. 248). Les auteurs mettent de l’avant l’importance de la « temporalité » où le temps « vécu est conçu comme une succession. C’est pourquoi les démarches d’anticipation des RH doivent en tenir compte en s’inscrivant, d’une part, dans le temps mais en prenant en compte, d’autre part, les différentes étapes de la réalisation qui tiendront compte de ces temporalités » (Ibid. p. 249). Les chercheurs affirment ainsi que la gestion prévisionnelle des RH a eu tendance à écarter ces notions d’anticipation, de temporalité, mais également de rationalité (ce qui pousse les hommes à agir) en intégrant « l’hypothèse de l’existence d’une ‘bonne et unique façon de faire les choses’ (Rojot, 1994, p. 22) » (Ibid. p. 253). Pour revenir à ces notions, ils prônent plutôt une vision « plus prospective et donc plus qualitative de la gestion anticipée des RH » (Ibid. p. 252), c’est-à-dire une vision qui s’éloigne des « outils de gestion essentiellement quantitatifs », vers la reconnaissance des principes « d’une rationalité dite cognitive ou sociale [qui] permettrait de fournir des explications et des descriptions plus réalistes des problèmes sociaux et organisationnels et donc de leurs solutions » (Ibid.). 2.

Problématique :

Dans son article, « Societal prerequisites and consequences of human resource management », Werner Nienhueser se demande comment les entreprises influencent la société (Nienhueser, 2013, p. 6). Il nous fait remarquer que cette question sur les effets sociétaux du comportement des entreprises (corporate behaviour) est rarement posée, la plupart des recherches étant centrées sur une perspective microéconomique. Cette question mériterait pourtant, selon l’auteur, une place importante au sein de la recherche en GRH : « for society as a whole, this question is of considerable significance » (Ibid.). Dans son

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article, Nienhueser rappelle que l’activité corporative se fait toujours dans un contexte social donné, que les stratégies de GRH sont influencées par la société et qu’en retour, elles contribuent à reproduire des conditions sociales. Comme l’a mis de l’avant Nienhueser, la problématique principale de notre projet se trouve précisément dans l’idée que peu de praticiens et peu d’académiciens ont cherché à étudier spécifiquement les va-et-vient qui s’opèrent entre la société et la GRH et entre la GRH et la société. Encore moins de recherches ont été menées pour étudier les va-et-vient entre GRH et développement durable au sein d’un cadre théorique qui prendrait spécifiquement en compte ces interactions. Les labor problems d’aujourd’hui ont évolués depuis l’ère de la révolution industrielle, mais sont toujours omniprésents. Les conditions précaires, le chômage, la santé et sécurité au travail ou encore le haut roulement de personnel sont des enjeux qui restent d’actualité. Si le travail des enfants n’est plus un enjeu local, il le demeure pour les relations qu’entretiennent certaines entreprises à leurs fournisseurs issus de pays en développement. Notre façon d’envisager le rôle de la GRH au service de la gestion à l’intérieur de l’organisation ou, au contraire, au service de la communauté à l’extérieur des frontières de l’organisation, a un impact significatif sur la société qui nous entoure, localement et mondialement. En décrivant la GRH enseignée dans les écoles de commerce, Yves Hallée et Sylvain Luc dénoncent une évolution de la discipline au service des intérêts de la gestion : « en abdiquant son rôle de régulation de la relation d’emploi et en se soumettant aux orientations stratégiques de l’entreprise, la GRH n’est plus tant une solution partielle au problème du travail qu’une partie de ce problème » (Hallée & Luc, 2019, p. 14). Pour ces auteurs, « l’hégémonie unitariste » de cette vision de la GRH est « restrictive, en plus de contribuer à l’affaiblissement de son rôle socio-économique » (Ibid.).

La valorisation d’une GRH individuelle et organisationnelle a eu pour effet de limiter les réflexions tant des praticiens que des chercheurs sur la GRH sociétale. Davantage prises en considération, ces réflexions pourraient mener à une pratique plus responsable de la GRH, ce qui pourrait avoir des conséquences positives à la fois au sein de l’organisation et dans l’environnement qui l’entoure. Pour remettre en avant plan cette relation entre GRH et société, comme Boxall et Nienhueser l’entendent, nous croyons au développement d’une

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